Matinée grise et boueuse. Le fond de l’air odorait la neige. C’est tout habillé de Lacoste – dans cet inoubliable survêtement d’un blanc immaculé – en plein lieu d’accueil de jour pour SDF, que Djhess m’est apparu pour la toute première fois. Il était bien difficile de lui échapper ce jour-là, dans ce lieu où la guenille est de mise. « Être en blanc dans la merde » : voilà la scène ! Je le revois encore se faufilant tel un reptile (serpent plus que crocodile) entre les usagers, son joint à la main – ostentatoire pétard à l’imposante taille – pour récupérer son café au lait au comptoir. L’espace est saturé. Il y a foule. Son attitude comme la fumée de son joint sont toutes en agressivité. L’altercation semble n’être jamais loin. La tension est palpable et ça paraît pouvoir vriller à tout moment. Il y a du squale en lui, ce requin corail agressif, chassant en meute dans les bassins de récif où la vie bouillonne, mais inoffensif pour l’homme ; plutôt que grand blanc voyageur solitaire, réputé dangereux. Djhess n’est jamais seul. Toujours en bande. Agglutiné à d’autres jeunes d’une vingtaine d’années comme lui, tous plus paumés les uns que les autres, il est toujours au centre.
Je dois avouer que pendant longtemps Djhess m’a agacé. Ce côté loulou, lascar et racaille : il y avait en lui quelque chose de très caricatural qui faisait naître de l’exaspération en moi. Un histrion : une forme de maniérisme, tout en exubérance et en provocation, avec des grands gestes presque toujours exagérés…