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Pages 21 à 27

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Colloque du Centre de Recherche en Psychopathologie et Psychologie Clinique, Evaluation qualitative et clinique des psychothérapies psychanalytiques. Université Lyon 2

1Signe d’une préoccupation grandissante de la part des cliniciens et des universitaires pour la question de l’évaluation, les 4 et 5 mars 2016 s’est tenu un colloque organisé par le CRPPC, portant sur « l’évaluation qualitative et clinique des psychothérapies psychanalytiques » et précédant la publication d’un ouvrage collectif : Evaluation clinique des psychothérapies psychanalytiques. Dispositifs individuels, institutionnels et groupaux de médiations thérapeutiques (dir. A. Brun, R. Roussillon, P. Attigui). Il s’agira, dans cet article, de tenter de résumer les communications de ce colloque. Dans un premier temps nous insisterons sur les enjeux épistémologiques et méthodologiques liés à l’évaluation, puis nous présenterons les recherches cliniques qui nourrissent ces réflexions.

Enjeux épistémologiques et méthodologiques de l’évaluation des psychothérapies psychanalytiques

L’exigence de modélisation

2Le premier point qu’il nous semble important de relever, dans notre tentative de résumé, concerne la volonté de modéliser les processus opérant au cours des psychothérapies psychanalytiques, dans des champs différents du dispositif classique, avec divan. Comme le relève avec clarté A. Brun lors de ce colloque, il s’agit de mettre au jour les spécificités du déploiement de la théorie psychanalytique dans des champs différents de la cure classique, ce qui passe par l’interrogation de modalités particulières de transfert, de formes d’interprétation différentes, etc. Un des bénéfices, souligné par A. Brun, est que cette démarche contraint à l’exploration des soubassements épistémologiques de ces dispositifs, notamment une réflexion sur les processus de symbolisation qui s’y déploient, avec pour conséquence une critique ‒ au sens plein du terme ‒ de ces dispositifs, un affinage des modèles théoriques sous-jacents et enfin l’évaluation des processus psychothérapiques.

3R. Roussillon rajoute que la question ne porte pas sur l’évaluation mais sur sa modélisation. Plus encore, le vivant, la psyché, sont en permanente évaluation de l’environnement et de leurs propres processus, comme il le montre à partir de travaux actuels portant sur des formes biologiques de réflexivité. Par exemple, ceux menés sur les copies d’efférences (pour chaque processus cérébral ‒ par exemple, activation des zones motrices lorsque l’on tend notre bras pour attraper un objet ‒ un autre a lieu pour signaler le premier et en évaluer le résultat) ou dans la théorie des groupes neuronaux qui montre que le cerveau est en permanente auto-évaluation par des boucles rétroactives. A partir de cela, R. Roussillon fait une incise relative aux systèmes de réflexivité présents derrière la subjectivité du sujet, dont la mise en exergue et la circonscription claire sont essentielles.

Au-delà des oppositions simples

4Un autre axe développé durant ce colloque pourrait correspondre à une invitation à dépasser l’opposition habituellement de rigueur entre une démarche de recherche qui serait objective ‒ ou objectiviste ‒ et une autre qui serait subjective. En effet, plusieurs intervenants (R. Roussillon, R. Perron, N. Georgieff, B. Falissard) ont montré, par des voies différentes, combien toute évaluation dite objective est nécessairement aussi subjective. L’évaluateur évalue toujours à partir de ce que lui fait vivre et lui donne à penser la rencontre intersubjective avec le sujet de l’évaluation. Tous s’accordent aussi sur l’insuffisance de ces évaluations « objectives » qui, finalement, perdent leur objet en refusant sa complexité.

5N. Georgieff nous semble faire un pas de plus car, s’il critique le mythe du tout-objectivable déshumanisant, l’objection d’une impossibilité à conduire des évaluations de l’humain et de sa subjectivité relèverait aussi, selon lui, de l’idéologie. Si nous ne pouvons développer son propos ici, relevons simplement qu’il mentionne des travaux actuellement menés en biologie et en neurosciences tendant à montrer la fiabilité des processus de réflexivité subjective. In fine, N. Georgieff note que les approches objectives et subjectives ont des caractéristiques communes, plus encore c’est une contradiction idéologique que de les opposer. Dans toute démarche, c’est la mesure qui fabrique l’objet et cette mesure nécessite la rencontre avec le sujet ; ainsi s’agit-il d’aller vers une troisième voie, intermédiaire.

Une inscription dans la sphère sociale

6Un troisième axe de questionnement concerne les rapports de l’évaluation des psychothérapies à la sphère sociale ‒ voire politique, au sens plein du terme. En effet, l’évaluation du soin a une histoire, et plusieurs communications (R. Roussillon, R. Perron, N. Georgieff, B. Falissard, A. Abelhauser) soulignent la légitimité d’une demande sociale ou politique à l’égard de l’évaluation du travail des cliniciens. Plusieurs font le parallèle avec la notion de responsabilité ; l’évaluation, une éthique ?

7Cette interaction avec la sphère sociale nous semble ensuite approchée selon deux directions complémentaires : la première (A. Brun, R. Roussillon, P. Attigui) correspond à la nécessité, pour les psychanalystes, de se saisir eux-mêmes de la question de l’évaluation, de « sortir de la tour d’ivoire psychanalytique », et de proposer un modèle compatible avec l’épistémologie et la pratique clinique. La seconde (R. Roussillon, P. Attigui, R. Perron), c’est de (re)mettre au cœur du débat la complexité du sujet, ce qui soulève l’épineuse question de la transmission de cette évaluation aux non-initiés.

8Enfin, certains ont abordé les risques inhérents à cette inscription sociale. A. Abelhauser, notamment, a insisté sur les différences existant entre la logique scientifique et clinique, par rapport à la pensée sociale, gestionnaire ‒ et parfois autoritaire. En effet, selon lui, si l’évaluation est un outil indissociable de la pratique clinique, la logique économique et politique tend à en faire une finalité, avec une conséquence importante : les moyens disponibles deviennent les buts en eux-mêmes. Ainsi, la complexité des situations, dont l’évaluation dépasse les moyens (humains, temporels, etc.) que la logique politique peut se donner, est escamotée. Par cette négation de la complexité, le risque est aussi le glissement possible d’une pensée scientifique vers une pensée idéologique, à la recherche d’argument d’autorité.

9Ce colloque aura donc montré qu’il s’agit de travailler à la modélisation et à la transmission de cette évaluation, au sein de la communauté psychanalytique et en dehors, sans en perdre l’essentiel. C’est une entreprise complexe, qui demande au chercheur de dépasser les oppositions simples et de s’engager, malgré une diversité d’approches et de terrains cliniques.

L’évaluation des psychothérapies : de la pluralité des cliniques aux invariants de l’évaluation ?

Les différents dispositifs d’évaluation présentés au colloque du CRPPC

10Nous allons présenter les différents dispositifs évaluatifs mis en place par les chercheurs du CRPPC, avant d’en dégager des noyaux communs, en référence à la psychanalyse et la métapsychologie.

11A. Brun a évoqué un travail mené dans le cadre de groupes à médiation thérapeutique picturale auprès d’enfants et d’adultes psychotiques et autistes. A partir de cette clinique, elle a construit une grille, inspirée des travaux de G. Haag, permettant d’évaluer l’évolution des patients dans différents champs (processus de symbolisation primaires et secondaires, modalités de relations, sensori-motricité, etc.), notamment par le repérage de l’évolution des transferts sur le médium, sur le cadre, sur le groupe et sur l’observateur, ainsi que de l’associativité sensorimotrice.

12F. Guinard a présenté une grille d’évaluation construite à partir de sa pratique – en SESSAD – auprès d’enfants atteints de troubles des apprentissages auxquels il propose des médiations thérapeutiques où le jeu occupe une place prépondérante (médiation théâtrale, jeu de coucou-caché, jeu de la spatule, etc.).

13T. Guenoun a exposé son travail basé sur l’évaluation clinique à partir de la médiation théâtrale, et notamment l’improvisation, avec des adolescents en souffrance, en insistant sur les processus de transformations subjectives engagés.

14G. Gillet a rapporté son travail d’évaluation clinique par le biais de médiations numériques (jeux-vidéos) groupales, auprès de patients psychotiques. Il insiste sur l’évaluation des processus de figuration et de narration mis en jeu dans ce dispositif.

15M. Ravit et V. Di Rocco ont présenté une recherche en cours sur l’évaluation des dispositifs thérapeutiques en milieu carcéral. Celle-ci est menée auprès des équipes de soin, dans lesquelles ils ne sont pas directement impliqués, qui mettent en place des groupes thérapeutiques avec une pluralité de médiations (photolangage, photocollage, groupe terre, groupe à médiation olfactive, etc.), sur des durées variables.

16H. Leca et E. Garnier ont ensuite poursuivi en présentant leur travail de cliniciennes en milieu carcéral, fondé sur des groupes thérapeutiques à médiations olfactives et picturales.

17C. Liozon a dépeint le travail clinique qu’elle mène avec des enfants autistes, en insistant sur les processus cliniques impliqués dans la constitution du lien à l’autre chez ces patients, à partir d’une modélisation des opérateurs de ces transformations.

18A. Lorin de Reure a exposé son travail d’évaluation clinique auprès d’enfants autistes dans le cadre d’une thérapie avec les poneys, en insistant sur les aspects relationnels, émotionnels et communicationnels infra-verbaux. Cette évaluation est modélisée par une grille complexe permettant de rendre compte de l’évolution de l’enfant, analysée à l’appui de films des séances.

19R. Minjard et B. Duplan ont présenté le travail d’évaluation de la pratique clinique qu’ils mènent actuellement auprès de patients douloureux chroniques dans un service de rhumatologie. Dans leur démarche ils insistent notamment sur le travail (en amont) puis le décryptage (contre-transférentiel) du clinicien sur sa propre sensorialité et sa propre corporéité.

20Enfin, J.-Y. Chagnon (Université Paris 13, UTRPP) a présenté un travail sur l’évaluation dans un cadre différent, puisqu’il s’agissait d’éclairer les enjeux des indications de psychothérapie. Plus précisément au cours d’expertise psychologique de patients délinquants sexuels dans le cadre de condamnations judiciaires, dont un des axes concerne les capacités de changements potentiellement mobilisables en psychothérapie. Si ce travail n’est pas en lui-même psychothérapique, J.-Y. Chagnon montre comment cette évaluation peut servir d’étayage au cadre thérapeutique ; comment les conditions de la psychothérapie peuvent se co-construire durant ce temps.

21On voit donc combien ces travaux d’évaluations cliniques recouvrent des pratiques plurielles, sur des terrains cliniques hétéroclites, auprès de populations différentes, avec des dispositifs thérapeutiques distincts. C’est là un reflet important de la diversité actuelle des pratiques des psychologues cliniciens. Par-delà ces différences, c’est bien la référence à la psychanalyse qui a permis, tout au long de ce colloque, de mettre en exergue les points nodaux de toute démarche évaluative, qualitative et clinique.

Au-delà des divergences, les invariants de ces dispositifs d’évaluation des psychothérapies psychanalytiques

22Le premier point que nous souhaitions souligner concerne les pathologies dont souffrent les patients pris en charge dans ces dispositifs cliniques. Toutes entrent dans le champ des pathologies et des souffrances narcissiques-identitaires (R. Roussillon) et des cliniques de l’extrême. Ce qui a pour conséquence de favoriser très largement des dispositifs thérapeutiques et évaluatifs à médiations thérapeutiques. Cela nous semble également tenir à une volonté de l’équipe du CRPPC de se situer dans une perspective résolument actuelle du métier de psychologue clinicien en institution, au plus près de la clinique quotidienne du plus grand nombre, sans que cela n’exclut en rien la rigueur théorique, méthodologique et épistémologique de la démarche.

23Le second point commun concerne la référence aux transferts et au contre-transfert. Nous utilisons le pluriel à dessein, en référence au transfert sur le(s) thérapeute(s), sur le médium, ainsi qu’au transfert sur le cadre dont plusieurs intervenants ont souligné l’importance dans les psychothérapies dans le champ des pathologies narcissiques-identitaires. Par-delà cette référence au(x) transfert(s), il s’agit, dans chacun de ces dispositifs, de spécifier les processus de mise en place et de transformation de ces mouvements transférentiels et contre-transférentiels.

24Enfin, nous souhaitions évoquer la centration sur la sensori-motricité et l’associativité non-verbale en tant qu’indices pertinents pour rendre compte des modalités de fonctionnement et d’évolution des patients. Sur ce point, A. Brun, notamment, a montré comment des expériences sensorielles primitives agonistiques peuvent s’actualiser et par quels processus le médium va s’offrir comme première matière à symboliser pour ces traces, en permettant l’émergence de formes primaires de symbolisation, ce qui offre un champ de recherche tout à fait important à l’égard de l’évaluation des différentes formes de symbolisation.

Pour ne pas conclure

25Si tenter de résumer ce colloque était délicat, nous espérons avoir esquissé certains des enjeux de l’évaluation en psychologie clinique et en psychanalyse. Toutes les communications auront montré l’importance de cette problématique et toute son actualité. Si la légitimité d’une démarche évaluative n’est pas mise en cause, voire si elle est défendue comme inhérente à tout processus thérapeutique, il convient d’en accepter la complexité. Cependant, en s’engageant dans cette voie, les cliniciens et universitaires du CRPPC ont montré le potentiel de réflexivité tout à fait important de cette démarche. Celle-ci nous semble mise en jeu en tant que l’évaluation s’appuie sur une démarche compatible avec la pratique et l’épistémologie psychanalytique, en référence à la métapsychologie, à la clinique du transfert, à la reconnaissance de l’Inconscient et du sexuel infantile.

26Gageons que des chercheurs et des cliniciens s’engageront dans cette exploration des processus thérapeutiques avec créativité certes, mais toujours avec rigueur, et parviendront à en montrer l’intérêt dans les cercles psychanalytiques et au-delà.

27Pierre-Justin Chantepie

28Psychologue clinicien

29Doctorant PCPP (EA 4056)

30Université Paris Descartes - USPC

Notes

311- Edelman, G. (1992). Biologi e de l a conscience, Paris, Odile Jacob

322- Emmanuelli, M., Perron, R. (dir.) (2007). La recherche en psychanalyse, Paris, PUF.

33Perron, R. (2010). La raison psychanalytique, Paris, Dunod

343- Thurin, J.-M., Thurin, M. (2007). Evaluer les psychothérapies : méthodes et pratiques, Paris, Dunod.

354- Haag, G., et all. (1995). « Grille de repérage clinique des étapes évolutives de l’autisme infantile traité », Psychiatrie de l’enfant, 38/2, 495-527.

36Haag, G. (2006). « Résumé d’une grille de repérage clinique de l’évolution de la personnalité chez l’enfant autiste », Contraste, 25, 26-32.

375- Roussillon, R. (1991). Paradoxes et situations limites de la psychanalyse, Paris, PUF.

Judith DUPONT, Au fil du temps, un itinéraire psychanalytique. Editions Campagne Première, 2015, 370 pages, 31 €

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38Voici un très beau livre. L’introduction d’Eva Brabant nous montre que Judith Dupont s’inscrit dans la lignée férenczienne de la psychanalyse. Contrairement à Jones traitant Ferenczi de fou, Judith Dupont et Eva Brabant soulignent que les souffrances des patients ne peuvent être attribuées exclusivement aux désirs refoulés de l’enfance mais qu’il faut prendre en compte ce que les autres lui ont fait. Il ne s’agit pas de choisir entre l’Œdipe et le Trauma mais d’envisager les deux entre-mêlés. La vie de Judith Dupont la montre baignant dans la psychanalyse dès sa naissance (sa grand-mère maternelle et sa tante étant psychanalystes) et participant dès les années 60 à la réhabilitation de la vie et de l’œuvre de Ferenczi par ses travaux et ses traductions des textes et de la correspondance, en lien avec M. Balint, N. Abraham et Maria Torok. Un bref avant-propos de Judith montre le caractère primesautier qu’elle conserve malgré l’âge.

39Un chapitre d’itinéraire et de réflexions analytiques nous la montre soucieuse avant tout des relations humaines. Elle évoque l’histoire complexe des deux branches de sa famille juive. Sa grand-mère maternelle Vilma a été une des premières analystes femme auprès de Ferenczi. Sa tante maternelle Alice allait devenir analyste et la première épouse de Michaël Balint, morte prématurément d’une affection cardiaque. Sa mère s’est destinée elle au dessin et à la peinture depuis l’enfance et a eu tôt du succès en particulier comme portraitiste. Tout le monde, y compris la clinique psychanalytique, étaient dans l’immeuble construit par F. Kovacs, second mari de Vilma. Judith y a passé ses années d’enfance auprès de son cousin germain John Balint. Elle a également été liée d’amitié avec une des filles de Imre Hermann jusqu’à la mort de cette dernière. Son enfance a été assombrie par deux circonstances : dès sa première année, sa mère partait peindre plusieurs mois à l’étranger et ce sont ses grands-parents et le personnel de maison qui s’occupaient d’elle ; elle a été victime d’une colibacillose sévère jusqu’à ce que les sulfamides l’en délivrent. Judith raconte aussi le chagrin de tous, le jour de la mort de Ferenczi, où elle a aussi perdu son petit chien. Elle jouait dans un coin avec son cousin J. Balint, né comme elle en 1925.

40Lorsque les Nazis envahirent l’Autriche en 1937, les familles Balint et Dormandi - nom du père de Judith, écrivain et propriétaire des éditions Panthéon - décidèrent d’émigrer car l’ennemi était trop proche de la Hongrie. Les Balint partirent en Angleterre et la famille de Judith à Paris. Suit le récit pudique de l’Occupation et des risques courus. Le père de Judith a travaillé avec Vercors aux Editions de Minuit clandestines. A la fin de la guerre, Judith qui prépare le bac décide qu’elle deviendra psychanalyste. Elle entreprend des études de médecine mais doit s’arrêter deux ans pour une primo-infection. Un voyage en Hongrie en 47 est l’occasion de constater les destructions, les disparitions mais de retrouver aussi de vieux amis ayant survécu. Elle passe un Noël à Londres auprès de Balint et assiste à une séance de la British Psychoanalytical Association (BPA). Sa famille étant en difficulté financière, elle doit travailler pour payer ses études. Elle rencontre Jacques Dupont qui est dans la même situation et tient une petite imprimerie où il l’embauche, ils ne tardent pas à se marier. Elle évoque ses stages de médecine, celui de psychiatrie à Sainte-Anne lui ayant laissé un malaise tandis que celui à la Fondation Vallée s’est terminé après que Jacques et elle aient accueilli un journaliste qui dénonça dans Samedi Soir les conditions faites aux hospitalisées. Son parcours pour entamer sa formation analytique la conduit chez Daniel Lagache. Elle lui dit que son seul problème était de ne pas être enceinte après deux ans de mariage et elle accouchera de sa fille neuf mois plus tard. Elle a peu de souvenirs de son analyse mais elle s’est trouvée libérée de sa timidité paralysante. Elle évoque ses supervisions avec J. Favez-Boutonier, F. Dolto et G. Favez. Elle travaille auprès de Jenny Aubry, puis une dizaine d’années au Centre de Guidance de l’Aisne. Elle travaille aussi à Saint Maximin dans un établissement pour caractériels surdoués et à l’Ecole des parents avec Berge.

41Elle rejoint le Centre Etienne Marcel. C’est dans ce contexte qu’elle va donner naissance à la revue du Coq Héron, d’abord ronéotée par Jacques Dupont, puis imprimée. Une équipe de traduction en nombreuses langues va permettre de donner aux lecteurs français l’accès à de nombreux travaux psychanalytiques étrangers. La revue a dépassé son 220e numéro avec un comité de rédaction comportant des analystes d’écoles différentes et la règle qu’il suffit qu’un article soit soutenu par un de ses membres pour être accepté, les opposants ayant la possibilité de le faire précéder ou suivre de leurs commentaires. Son activité privée de psychanalyste se développe. Une importante section sur « psychanalyser », parlée à Bruxelles à l’invitation de Francis Martens doit être lue et méditée Elle va déployer sa vie durant une intense activité de traductrice du hongrois, de l’allemand et de l’anglais avec des incursions dans d’autres langues.

42Le chapitre 2 est consacré à Ferenczi. Judith Dupont reprend Granoff écrivant que Freud avait inventé la psychanalyse et que Ferenczi avait fait de la psychanalyse, introduisant un mode relationnel et un niveau d’écoute qui ont pour soubassement théorique relation d’objet, contre-transfert et régression mais ne se définissent pas par la théorie. Son œuvre s’est prolongée avec M. Balint, L. Shengold, Winnicott, Nicolas Abraham et Maria Torok.

43Le chapitre 3 est consacré à Balint, homme de grandes dimensions physiques, intellectuelles et morales. Balint et sa femme Alice, après des études scientifiques, ont commencé leur analyse à Berlin près De Sachs, mais sont revenus la terminer à Budapest près de Ferenczi. Ils ont travaillé comme analystes à Budapest de 1925 à 1939. Balint a travaillé en étroite collaboration avec Ferenczi et écrit en commun avec sa femme Alice. Il était l’héritier littéraire de Ferenczi, tâche qu’il a transmise à Judith Dupont.

44Le chapitre 4 est fait d’écrits divers. Un hommage à Paul Roazen traite « de la curiosité infantile à la science ». Il rappelle la source de la curiosité dans l’intérêt des enfants pour la vie intime des parents. Il montre le lien particulier entre la découverte de la psychanalyse et son développement avec la vie de son créateur et de ses continuateurs. D’une manière générale, on s’intéresse à la vie des hommes qui apparaissent grands dans quelque domaine que ce soit. Un texte sur l’amour note que Freud estimait qu’il y avait autant de réponses que de couples. Ernst Freud a sélectionné les lettres de son père à sa mère livrées à la publication mais Martha avait fait disparaître ses propres lettres. Même s’il s’intéressait à la participation intellectuelle de sa future femme, Freud était resté tributaire de la conception traditionnaliste de la féminité et, même dans son article le plus avancé, en 1931, il affirme la castration féminine comme une réalité. Judith Dupont reprend la déconstruction de l’envie du pénis dans l’œuvre de Maria Torok.

45Un dernier chapitre de « Notes brèves » commence par le problème de « l’enfant modèle », sage comme une image, qui aura les plus grandes difficultés à devenir un adulte ouvert, créatif et aimant. Judith Dupont montre que les effets de la cure analytique ne sont pas évaluables de manière mécanique. Elle souligne l’importance des transgressions fécondes. Pour le progrès des savoirs et des pratiques. Judith Dupont nous offre de brefs croquis cliniques que chaque lecteur doit déguster. Elle a confiance dans l’avenir de la psychanalyse tout en expliquant que c’est une science plus vulnérable par sa nature car elle ne peut pas produire dans son domaine de preuves tangibles, indiscutables et reproductibles. Elle termine en opposant les hagiographes et les iconoclastes des grands hommes. Elle estime que ce sont les hagiographes qui sont les plus dangereux car leurs excès et leurs mensonges sont découverts et risquent de décrédibiliser une œuvre de valeur. L’iconoclastie injustifiée ne tient qu’un certain temps et dans certains milieux de sorte que la valeur d’une œuvre se trouve réévaluée plus justement.

46Je terminerai en donnant la parole à l’ami Heitor de Macedo : « Judith Dupont est une actrice fondamentale dans l’histoire de la psychanalyse, entre autres, par la ténacité avec laquelle elle a fait reconnaître l’importance de la pensée de Sandor Ferenczi et Michael Balint. Rarement la lecture d’un livre de psychanalyse présente d’une façon si simple, directe et émouvante cette intrication entre la vie vivante et le métier de psychanalyste : réussir sa vie pour aider les autres à vivre la leur ».

47Claude Nachin

48Psychiatre,

49Psychanalyste SPP

EXPOSITION, Paul Klee, L’ironi e à l’oeuvr e. Centre Pompidou. Paris Jusqu’au 1er août 2016

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50Paul Klee, l’incontournable, l’autre géant du XXe siècle, avec Picasso (et Matisse) est à Beaubourg. L’exposition revisite son œuvre immense à travers le thème de l’ironie, mettant en lumière la dimension ludique, humoristique, parfois sarcastique de l’œuvre. Mais l’œuvre de Klee est tellement riche, complexe, multiforme et polysémique, qu’elle échappe à toute catégorisation. S’il y a du ludique, il y a du tragique aussi. Il ne se laisse définir par aucun point de vue ; il les déborde tous, apportant sans cesse quelque chose de nouveau, d’inattendu, d’inédit.

51C’est pourquoi chaque toile de Klee est un enchantement, et peut être vue selon des vertex différents. Il combine la spontanéité de l’infantile (on sait que Klee s’est énormément intéressé au dessins des enfants et à l’ « art des fous », précurseur de l’engouement actuel pour l’Art Brut) et l’extrême sophistication de la conception des œuvres. On lui a reproché d’être trop intellectuel, mais ce serait sans compter la poésie, l’inventivité, les belles couleurs, les lignes sinueuses qu’on suit avec plaisir, comme une promenade, les maisons, les villes, les jardins, la lune, les funambules, les animaux et les plantes. Et le bonheur pour les yeux. Si pour Baudelaire, « l’imagination c’est l’art de faire surgir les rapports intimes et secrets des choses, les correspondances et les analogies », c’est à cela que nous invite Klee.

52Klee a beaucoup intéressé les penseurs du XXe siècle, parce qu’il donne à voir le processus de la création, la genèse de l’œuvre. Foucault se demande : qui serait l’équivalent aujourd’hui de Velazquez ? Et répond que ce serait Paul Klee. Auteur d’écrits remarquables sur la théorie de l’art (sa fameuse formule « L’art ne reproduit pas le visible ; il rend visible »), ami de Kandinsky, en lien avec les Surréalistes, le mouvement Dada, le Blaue Reiter, le Bauhaus, il ne s’est pourtant affilié à aucun courant, réfractaire à tout dogmatisme.

53Une salle est consacrée à Klee et Picasso. Ils se sont rencontrés une première fois en 1933, lorsque Klee a visité l’atelier parisien de l’Espagnol, avec un groupe d’artistes. Et une deuxième fois en 1937, lorsque Picasso est venu le voir dans l’atelier bernois où le peintre allemand né en Suisse, qualifié de décadent par les Nazis, a dû s’exiler, et où il est mort, à 60 ans, après plusieurs années d’une cruelle maladie très invalidante. Lors de cette rencontre, Picasso regardant les toiles, Klee restant silencieux, les deux artistes se seraient à peine parlé… C’est bien avec de l’ironie que Klee a réagi à cette visite, inventant un animal imaginaire et archaïque, qu’il nomme Urchs, mélange de bœuf (Ochse) et d’origine (Ur), caricature du Minotaure de Picasso, avec lequel il rend compte avec humour de la confrontation avec la maître. La différence entre les deux artistes est frappante. Chez Picasso, le minotaure, taureau sexualisé, exprime les pulsions bestiales, auquel le peintre s’identifie. Chez Klee, un animal drôle et pataud, vient se moquer de l’ambition et du pathos de Picasso.

54L’ironie rend modeste. Sur sa dernière œuvre (1940), Sans titre, il s’agit d’une composition avec fruits), Klee écrit :

55

« Sollte alles denn gewusst sein ? Ach, ich glaube nein ! »
"Est-ce que tout devra être su ? Ah, je pense que non !"

56Au moment de mourir, il part en sachant que tout n’est pas su, qu’on laisse sa vie et son œuvre en état d’inachèvement, car il reste tant de choses à découvrir.

57Pour compléter cette rencontre avec Klee, on peut se rendre, à l’occasion des vacances d’été, au Paul Klee Zentrum, à Berne, bâtiment conçu par Renzo Piano, et qui détient la plus grande collection Klee au monde. Lieu d’expositions très pointues, dont actuellement, jusqu’en janvier 2017, Images en mouvement, qui étudie l’importance du mouvement, danse, rythmes, espaces, pesanteur, dans l’œuvre de ce grand artiste.

58Simone Korff Sausse

59Psychanalyste SPP

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