Notes
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[1]
Lebovici S., Diatkine R., Soulé M., (1985), Traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Paris, PUF.
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[2]
Fain M., Soulé M., Kreisler L. (1974), L’enfant et son corps. Etudes sur la clinique psychosomatique du premier âge, Paris, PUF.
-
[3]
Soulé M. (dir.), Mère mortifère, mère meurtrière, mère mortifiée, Paris, ESF.
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[4]
Soulé M. (dir.) (1981), La dynamique du nourrisson ou quoi de neuf bébé ? Paris, ESF.
-
[5]
Séguret S., (2003), Le bébé du diagnostic prénatal, Ed. Erès, coll. 1001 bébés, n°58.
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[6]
Tu as été le premier à inviter T. B. Brazelton en France lors de ta 9ème journée scientifique en mars 1981 et à le publier dans l’hexagone dans ton ouvrage La dynamique du nourrisson ou quoi de neuf bébé ?, 1981, ESF.
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[7]
Soulé, M., Gourand, L., Missonnier, S., Soubieux, M.J. (2011). L’échographie de la grossesse. Promesses et vertiges. Toulouse : Érès.
- [8]
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[9]
Soulé M. (dir.) (2006), La vie de l’enfant. Tout ce que vous avez voulu savoir… sans jamais oser le demander, Toulouse, Érès.
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[10]
http://old.psynem.org/Waimh/ Francophone/Presentation/GroupesDeTravail/PremierChapitre/index.htm.
- [11]
-
[12]
Ton ouvrage Histoires de psychiatrie infantile (Érès, 2006) est précieux à cet égard car il réunit tes meilleurs textes disséminés dans divers livres et revues.
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[13]
On trouvera un florilège récent des interventions de ces journées dans ton livre publié en 2006 La vie de l’enfant chez Érès.
Ce numéro de «Carnet Psy» est dédié à Michel Soulé qui nous a tant apporté à l’un comme à l’autre
Ce numéro de «Carnet Psy» est dédié à Michel Soulé qui nous a tant apporté à l’un comme à l’autre
La passion de l’enfance, de la psychanalyse et de la transmission
1Michel Soulé a d’abord été pédiatre puis psychiatre, et m’a souvent raconté la réaction de sa mère quand il lui a annoncé son choix de devenir pédopsychiatre. Il avait obéi à l’injonction de son père, de faire d’abord mathématiques élémentaires et mathématiques supérieures avant de se destiner à la médecine, puis à la pédopsychiatrie. « Mais qu’est-ce que je t’ai donc fait mon pauvre petit ? » lui aurait-elle dit, pourtant, en apprenant sa décision, et ce souvenir a souvent été, pour Michel Soulé, un moyen de faire sentir aux plus jeunes l’ambivalence envers les adultes qui peut se cacher au cœur même des racines de nos vocations. S’occuper des enfants des autres, tout un programme, disait-il souvent !
2De 1955 à 1980, il a dirigé la consultation de psychiatrie infan-tile à l’hôpital Saint-Vincent de Paul. C’est là qu’il a débuté son travail avec l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance) en allant, notamment, visiter les enfants placés en province par le biais des agences. C’est là que s’est développé son extraordinaire travail avec Léon Kreisler sur la psychosomatique du premier âge, travail dont témoigne, encore et toujours, le livre L’enfant et son corps.
3Il a ensuite créé en 1965 et dirigé jusqu’à la fin de sa vie active, le Centre de Guidance infantile de l’I.P.P. (Institut de Puériculture de Paris), centre exemplaire à bien des égards, entièrement dédié à la clinique précoce et à la question de la prévention. Il y a été un véritable pionnier de la psychiatrie du bébé. A l’époque de mes études, quand on voulait devenir psychiatre d’enfants, on commençait par aller dans des services de psychiatries d’adultes, puis d’adolescents, et ensuite d’enfants. C’est là qu’on m’a dit que je devrais aller voir Michel Soulé et ce qu’il en était de la psychiatrie du bébé, et quand je l’ai rencontré, il m’a dit qu’il y avait aussi le fœtus, et puis que viendrait peut-être, ensuite, le temps de la psychiatrie des gamètes, avec d’ores et déjà, disait-il, la sacralisation des gamètes au sein des techniques d’AMP (Assistance Médicale à la Procréation) ! Et de fait, il avait étudié les enjeux psychologiques et psychopathologiques de l’AMP en compagnie du fondateur des CECOS (Centres d’Etude et de Conservation des Œufs et du Sperme), en France, soit le Pr Georges David qui l’a profon-dément admiré. Je ne sais certes pas ce qu’il adviendra de la psychiatrie des gamètes, mais l’idée de ce chemin antidromique allant de l’adulte jusqu’aux gamètes, chemin parallèle à celui de la cure psychanalytique elle-même qui remonte peu à peu vers les âges les plus précoces, témoignait bien, me semble-t-il, de sa passion pour la psychana-lyse, passion qui ne s’est jamais démentie, quel que soit le con-texte socioculturel à ce propos.
4Au-dessus de la guidance infantile, à l’IPP, il a créé en 1970 un hôpital de jour tout à fait pilote et innovant pour la prise en charge précoce des jeunes enfants autistes. Après Didier Houzel et Fabienne Castagnier notamment, il m’a fait l’honneur de me confier la direction de cet hôpital de jour de 1983 à 1993, mission qui a été l’une des plus formatrices de ma trajectoire personnelle.
5Sous son égide, l’IPP était devenu un centre pilote, de réputation nationale et internationale. Il y a noué des liens avec des pédiatres prestigieux tels que Pierre Satge, Jacques Charlas, Roger Salbreux (fondateur du CAMSP de l’IPP), et Marcel Voyer, mais aussi avec les responsables de la PMI, et notamment avec Edith Thoueille avec laquelle il a conçu, assez récemment encore, ce SAPPH (Service d’Aide à la Parentalité pour les Personnes Handicapées) qui promet d’être un outil précieux et extrêmement innovant.
6En 1985, il a été nommé Professeur de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, après de multiples péripéties qu’il a toujours racontées avec la malice et la facétie de son regard sur notre si curieux monde médical et universitaire… Une fois nommé professeur, il a alors activement contribué à la nomination de plusieurs de ses élèves, et ceci sans la moindre ambivalence à leur égard.
7Il a créé l’association PHYMENTIN que j’ai maintenant l’honneur de présider, avec ses trois unités de soin et le COPES :
- l’EPI (Etablissement Psychothé-rapeutique Infantile) avec Martine Agman et Michel Desse puis Xavier Moyaplanaet main-tenant Olivier Ginoux ;
- l’USIS (Unité de Soin Intensif du Soir) avec Corinne Ehrenberg et Charles Foliot, et maintenant Philippe Metello ;
- le COFI (consultation filiation) avec Pierre Levy-Soussan, spécialiste de la filiation ;
- le COPES (Centre d’Ouverture Psychologique et Sociale), centre de formation qui lui importait tant comme lieu de formation des équipes de terrain, parallèlement à l’enseignement universitaire classique, Et puis aussi l’inven-tion, ni plus ni moins, de la psychiatrie fœtale en compagnie de François Sirol, de Marie-José Soubieux, et de Fernand Daffos notamment à l’IPP, sans oublier Sylvain Missonnier, son chaleu-reux complice dans le cadre du Premier chapitre du groupe francophone de la WAIMH (World Association of Infant Mental Health).
8Il faudrait dire un mot également de la WAIMH dont Michel Soulé a été l’un des fondateurs, et de son action si utile au sein du groupe francophone que j’ai fondé aux côtés de Serge Lebovici. Et de votre engagement dans l’association multimédia, A l’aube de la vie, avec un impressionnant coffret sur l‘échographie réalisé en compagnie d’Alain Casanova : l’échographie comme « IVF (Inter-rupteur Volontaire de Fantasmes), nous n’avons certes pas fini d’y penser …
De gauche à droite : Bernard Golse, Sylvain Missonnier, Michel Soulé, Alain Braconnier, Graziella Fava Vizziello
De gauche à droite : Bernard Golse, Sylvain Missonnier, Michel Soulé, Alain Braconnier, Graziella Fava Vizziello
9Et puis il faut dire un mot aussi de la fondation de l’AEPEA (Asso-ciation Européenne de Psychopa-thologie de l’Enfant et de l’Adolescent) avec votre ami Pierre Ferrari et votre grande amie italienne Graziella Fava-Vizziello, AEPEA qui a joué un rôle important avec ses merveilleux colloques organisés dans tout le croissant baroque. Et puis de tous les travaux dans le champ de l’adoption comme membre du Conseil Supérieur de l’Adoption, et ceci en collaboration avec Janine Noël. Et puis du psycho-drame psychanalytique inventé avec vos amis du 13ème (E. Kes-temberg, S. Lebovici et R. Diatkine notamment) ainsi qu’avec D. Widlöcher, psychodrame où Michel Soulé faisait merveille !
10Michel Soulé a été membre titulaire de la SPP (Société Psychanalytique de Paris), et ses articles et ses ouvrages sont résolument innombrables. La psychanalyse est demeurée pour lui, tout au long de sa vie, une référence essentielle, mais il a su nous transmettre une psychanalyse vivante et ouverte qui nous rend plus forts face aux terribles attaques que nous avons à affronter aujourd’hui. Michel Soulé n’était pas un théoricien austère et desséché. Sa théorisation passait toujours par la clinique, par la vie et par l’humour. De l’humour toujours, de l’ironie jamais !
11Nous avions une relation très proche et infiniment complice. Il m’a tout appris : la pédopsychiatrie, la psychanalyse, l’institution, et donc l’humour dont je viens de parler. Venise, l’Italie, le fœtus, le bébé, l’autisme, l’adoption … tout nous a réunis, et il va me manquer, il va nous manquer terriblement. Ses travaux sur les clowns ont également beaucoup compté pour moi, et je crois qu’il était l’un des plus grands clowns qui soit, au sens noble du terme. Un clown non pas triste mais lucide sur la comédie humaine, si sombre et si gaie à la fois. Il savait parler des choses graves avec la plus grande légèreté.
12Si la vie ne commence pas à la naissance, elle ne finit pas non plus avec la mort, et l’on est vivant tant que l’on existe dans la mémoire de ceux à qui l’on a transmis tant de choses, non seulement la vie, mais aussi la capacité même de transmettre (d’où l’importance de la fonction de grand-parent et d’arrière-grand-parent).
13Pr Bernard Golse
Le gai savoir des origines
14Bien cher Michel,
15Je viens de relire ta nouvelle Le maquettiste qui ouvre ce numéro de Carnet/PSY et la magie s’opère. Ton précieux gai savoir face au tragique est intact. Mais cette fois, tu n’as plus ton petit agenda en cuir que tu mettais si souvent devant toi lors des réunions où nous explorions les tréfonds des origines. Tu as désormais quitté chronos, qui mange ses enfants, et tu es maintenant dans l’immense maison de l’éternité dont tu rappelais avec Woody Allen combien elle est longue… surtout vers la fin.
16Dans les temps premiers, tu étais avec Serge Lebovici et René Diatkine un des trois courageux mousquetaires de la naissante psychiatrie infantile hexagonale. Encore en culotte courte sur les bancs de l’Université de psycho-logie de Paris Descartes, tu m’es d’abord apparu avec cette aura mythologique à travers la lecture d’un Traité fondateur de la psychopathologie psychanaly-tique à la française : « le LSD [1] » !
17Mais très vite, ton orientation élective pour les commencements chez l’humain m’a poussé à assister à tes enseignements à l’Institut de Puériculture. Tu étais alors le pionnier de la psycho-somatique du bébé avec Michel Fain et Léon Kreisler [2] et le décou-vreur de la pédopsychiatrie de liaison autour des prématurés [3] et de leurs parents dont « l’enfant imaginaire [4]» blessé occupait toute ton attention.
18Avec toi, la psychopathologie psychanalytique ne restait pas enfermée dans ses seules terres classiques de prédilection de la psychiatrie infantile au CMP, à l’hôpital de jour etc. Non, dans une vision d’avant-garde d’un réseau de prévention libéré des lignes de clivage ancestrales entre spécialistes du corps et de la psyché, tu inventais des liens innovants avec les services de pédiatrie et de néonatalogie. Cette ouverture remportait un vif succès chez les étudiants psychiatres et psychologues qui rêvaient d’en découdre dans des services de médecine où les premières ébauches de collabo-ration entre somaticiens et psy-chistes émergeaient. Les pan-touflards t’évitaient et les aven-turiers t’adoraient !
19Encore maître distant à l’époque, tu es devenu un interlocuteur chaleureux et profond dans le groupe Inter-maternité de Saint- Vincent-de-Paul animé par Sylvie Séguret et Didier David [5]. Sa Majesté le bébé brazeltonien [6] ne nous suffisait plus : le fœtus, son placenta et ses parents enceints nous réunissaient dans des rencontres interdisciplinaires où « somaticiens » et « psychana-lystes » inventaient ensemble les rudiments de la clinique médico-psycho-sociale périnatale. Tu étais notre bienveillant casque bleu dans cette exploration inau-gurale d’une clinique inédite où nous prenions conscience ensem-ble des obstacles et des promesses des lignes de tension entre somaticiens et psys. D’un côté, la pluridisciplinarité de fait des équipes et de notre groupe ravivait les périls du chantier de la tour de Babel. De l’autre, la vivacité de nos dialogues cliniques nous permettait d’esquisser une culture interdisciplinaire à la fois commune, dans l’intérêt de la continuité des soins des patients, mais aussi, respectueuse des spécificités de chacune des multiples professions en présence : obstétriciens, sages-femmes, anesthésistes, radiologues, fœto-pathologiste, puéricultrices, pédiatres, généralistes, psychiatres, psychologues…
20C’est précisément dans le droit fil de cette nouvelle culture métissée interdisciplinaire, que le grand chantier de l’exploration de l’échographie obstétricale en compagnie de la psychiatre et psychanalyste Marie-José Soubieux et de l’obstétricien et échogra-phiste Luc Gourand me permit dans la foulée de devenir un de tes collaborateurs passionnés. Pendant plusieurs années, les séances régulières de travail chez toi, agrémentées il est vrai de champagne et de l’excellent gâteau au chocolat de Nicole, nous ont permis d’entreprendre un chantier ambitieux : redéfinir les processus croisés pendant la grossesse de la maternalisation, de la paternalisation et de la vocation soignante en prénatalité à travers le test projectif grandeur nature de l’échographie obstétricale. Quand on franchit le col de l’utérus pour explorer l’inquiétante étrangeté de la vie fœtale, la culpabilité risque d’être redoutable face à la nostalgie incestueuse ! La tranquillité joyeuse de ton surmoi bienveillant nous a été d’un grand secours pour affronter avec créativité la spéléologie de la mère archaïque.
21Un livre [7] témoigne de ces expé-ditions mais, plus encore, un DVD multimédia de formation [8] pour les professionnels que nous avons réalisé avec nos complices Alain Casanova, Monique Saladin, Sylvie Séguret et une myriade de professionnels pertinents invités. S’ajoutait alors à la potentialité scientifique de cette étude, la découverte non négligeable pour notre fine équipe du plaisir de mêler travail du texte, iconographie et montage vidéo. Cette mise en scène multimédia a été pour nous une expérience initiatique alors que, justement, l’Internet montait partout en puissance et ouvrait des pistes nouvelles.
22Le doux rythme des journées scientifiques annuelles avec Bernard Golse, Marcel Rufo et toute ta bande [9], les voyages en Italie chez le Pr Graziella Fava-Viziello à l’Université de Padoue, les séances mensuelles de notre séminaire Le premier Chapitre [10] transformèrent cette estime en amitié.
23Et, quand au début du troisième millénaire, tu m’a transmis ta collection La vie de l’enfant [11] initialement chez l’éditeur ESF et, depuis 2003, chez Érès, j’ai eu le sentiment délicieux de m’inscrire fièrement dans la filiation de ton œuvre.
24Devenir véritablement psychana-lyste faisait à l’évidence aussi partie de ce mandat généra-tionnel. L’équation « j’ai fait une analyse = je suis psychanalyste » ne te convenait pas. Je dois te dire à ce sujet que tu as été à maintes reprises un avocat subtilement convaincant dans cette perspec-tive car tu empruntais une voie originale pour mettre à l’épreuve mon ambivalence. Il ne s’agissait nullement dans ton propos de magnifier et d’idéaliser les vertus du psychanalyste conforme au dogme de telle ou telle société. Ce que tu louais, c’était les bienfaits - la vie professionnelle durant - du long et passionnant apprentissage du devenir psychanalyste à travers les supervisions groupales et individuelles, une clinique de la formation que tu as longtemps pratiquée et que tu affectionnais particulièrement. Après-coup, j’en conviens pleinement : tu avais raison d’insister sur les avantages de cette formation pour pratiquer la cure-type bien sûr, mais aussi, la « clinique » quotidienne indivi-duelle et institutionnelle à l’université et à l’hôpital.
25D’ailleurs, c’est bien ce métissage que tu affectionnais et auquel je me suis identifié. Combien de fois avons-nous partagé les gains théoriques et techniques de ce mélange au quotidien où clini-ques psychanalytiques avec et sans divan constituent les deux rives indissociables d’un cadre malléable et bien tempéré. Plus précisément, en me référant à ta trajectoire professionnelle et à tes travaux [12], je fais sereinement un pari épistémologique : à l’instar de sa confrontation bénéfique à la psychose, aux fonctionnements limites, à la clinique adolescente, la vieille dame psychanalyse va puiser un dynamisme heuristique dans la clinique périnatale.
26J’aimerai maintenant parler un peu de l’avenir. J’ai toujours eu plusieurs fers au feu avec toi et je ne vois décidément pas pourquoi nous changerions nos habitudes.
27D’abord, avec Bernard Golse et Marcel Rufo le jour de tes obsèques le 7 février 2012, nous nous sommes jurés de t’organiser un hommage en s’inspirant de tes fameuses 36 journées scientifi-ques [13] où, autour de thématiques toujours aussi originales que proches de la vie quotidienne de l’enfant et sa famille, tu mobilisais dans une atmosphère savante et gaie des psychistes de tout poil mais aussi, des anthro-pologues, historiens, paléontho-logues, éthologues, juristes, clowns… Ton rituel de la réunion des orateurs la veille autour d’un dîner sera évidemment scrupuleu-sement respecté… ainsi que celui de la fête le soir du congrès.
Michel Soulé et Sylvain Missonnier
Michel Soulé et Sylvain Missonnier
28Mais je pense aussi à toutes ses heures d’enregistrements d’inter-view que j’ai réalisés avec toi sur ta vie et ton œuvre. Elles sont maintenant transcrites et nous avions même finalisé un plan. Il me reste à transformer ce manuscrit brut et trop épais en un livre élégant à la mesure de la complexité de ton itinéraire et, surtout, de tes traits d’esprit qui émaillaient avec tant de bonheur nos rencontres. Nous avions beaucoup ri en imaginant les titres possibles : la dernière fois, nous hésitions entre Ma vie vous intéresse ou Les critiques sont enthousiastes ! À suivre.
29D’ailleurs, alors que je t’écris aujourd’hui ces quelques lignes, ce qui me manque finalement déjà tant, à l’égal de mon chagrin, c’est bien ton humour renversant. Tu as partagé ce trésor avec nous jusqu’au bout et ce sont les souvenirs impérissables de ces rires partagés que je garderai comme un précieux talisman.
30Face au tragique de la maladie, de la mort et de la séparation, le meilleur antidote est le tien. Si je ris, tu es là… même si, désormais, je suis dans la petite villa en papier avec mon agenda, et toi, dans l’immense maison sans horloge.
31Pr Sylvain Missonnier
Les journées de Soulé
32Un grand nombre d’entre nous ont eu la chance ou l’honneur d’assister, de participer aux Journées de l’Institut de Puériculture que le Pr Michel Soulé organisait tous les ans à la Maison de la Chimie à Paris. Elles avaient, entre autres qualités d’être menées de main de maître par celui qui fût indiscutablement le meilleur enseignant de la pédopsychiatrie. La journée était enrichie, toujours, par les fulgurances et les traits d’ humour de Soulé. Il convoquait pour traiter la thématique du jour les plus fameux représentants des sciences humaines : l’Histoire, par exemple, de Philippe Ariès à Yvonne Kniebielher, des sociologues : ceux de la famille et les démographes, les psychanalystes, bien sûr, et toutes les autres disciplines avec une véritable position d’inter-disciplinarité. Nous ressortions de ces journées toujours enrichis, souvent passionnés et nous terminions la journée par une troisième mi-temps psycho-pathologique chez Monsieur Soulé, rue de l’Estrapade. Autour d’un buffet et de boissons princières, lors de la soirée, en confidence, un après l’autre, il nous annonçait le thème des futures journées en partageant les desserts. Il nous a légué, je crois l’obligation de prolonger son message. Il faudra que nous nous réunissions ceux et celles qui ont bénéficié de son enseignement pour reprendre, poursuivre ses journées annuelles. Lors d’une des dernières,il évoquait sa disparition comme un envol de petits ballons bleus vers le ciel, métaphore de la mort qui était la sienne dans son enfance. Il aimait l’Opéra Comique et il nous faudra commercer et finir par une fête, en musique, recommencer tous les ans pour le plaisir de se revoir. Le soir,évoquer sa mémoire et assumer le mandat qu’il nous a transmis. Mars 2013 nous vous inviterons,à la Maison de la Chimie pour la journée de Soulé.Il y aura un lâcher de ballons bleus. A bientôt.
33Pr Marcel Rufo
Michel Soulé, le pionnier de la psychiatrie foetale
34J’ai rencontré Michel Soulé en 1994 dans le centre de diagnostic anténatal de l’Institut de Puériculture de Paris dirigé alors par le docteur Fernand Daffos. Une rencontre exceptionnelle qui allait me faire découvrir tout un monde nouveau, celui de la psychiatrie fœtale. A cette époque l’échographie et les techniques d’investigation du fœtus étaient en plein essor. Le fœtus était devenu le petit patient d’une équipe qui allait le soigner ou l’éliminer selon la gravité de son état.
35En parfait visionnaire qu’il était, Michel Soulé a vite compris que ce qui se passait dans ces services allait soulever des questions éthiques fondamentales et que les psychiatres et psychologues allaient y occuper une place importante. Tous les jeudis matin, il venait au staff pluridisciplinaire du 4ème étage, là où je l’ai rencontré. Grâce à son humour salvateur il pouvait manier avec une aisance déconcertante des concepts explosifs comme la haine ou bien parler en toute tranquillité de la méchanceté des échographistes !
36C’est alors qu’il me proposa de m’associer à la réalisation d’un projet multimédia sur les aspects psychologiques de l’échographie de la grossesse avec Luc Gourand et Sylvain Missonnier. Ce fut une aventure passionnante de 2 ans même si ce n’était pas toujours facile d’être la seule femme parmi ces fortes personnalités masculines qui prétendaient en savoir plus sur le vécu des femmes enceintes que les femmes elles-mêmes ! Mais j’ai beaucoup appris de ces vives discussions et je me suis faite de vrais amis que je retrouve toujours avec beaucoup de plaisir. L’accueil de Michel Soulé, son humour, le fidèle gâteau au chocolat et le jardin place du Panthéon y ont bien contribué ! Un grand regret pour Michel Soulé, c’est de ne pas avoir pu dialoguer avec Freud autour de l’inquiétante étrangeté car selon lui l’échographie de la grossesse en était le paradigme. Puis ce fut l’aventure du Que-Sais-Je sur la Psychiatrie fœtale qui commença au Mas du Soleil dans sa maison du midi. Il fallait se lever tôt, se coucher tard mais c’était un vrai travail d’échange, d’écriture et de réflexion commune, souvent entrecoupé d’anecdotes truculentes et de collations des plus savoureuses. Ce Que-Sais-Je a eu pour moi valeur de rituel initiatique et peu de temps après j’ai écrit mon propre livre Le berceau vide. Deuil périnatal et travail du psychanalyste. Michel Soulé, alors très affecté par la fermeture du service du Dr Daffos, en a fait la volte-face.
De gauche à droite : Marie-José Soubieux, Michel Soulé, Sylvain Missonnier, Luc Gourand.
De gauche à droite : Marie-José Soubieux, Michel Soulé, Sylvain Missonnier, Luc Gourand.
37Il m’a toujours encouragé à écrire et à publier. Tout récemment encore alors que je lui rendais visite à Broca, il s’intéressait à mes recherches et me proposait d’en discuter avec lui. « Revenez quand vous voulez, je peux avoir encore quelques idées » m’a t-il dit. Des idées oui il en avait, plusieurs à la fois, sur tout sujet, amusant ou sérieux ! Des idées pour le plaisir de communiquer, d’échanger, de réconforter et de rire.
38Merci monsieur le Professeur pour m’avoir permise de vivre cette belle aventure intellectuelle, drôle et humaine qui faisait de chaque rencontre un moment de grâce.
39Marie-José Soubieux
Le Départ d’un ami
40Michel Soulé a consacré sa vie professionnelle au service du développement de la psychiatrie de l’enfant. Il l’a fait avec une intelligence, un dynamisme, et un esprit novateur qui donnaient à sa pensée une modernité, hors du commun, à une époque où notre discipline restait quelque peu enfermée dans des conceptions organicistes figées souvent désuètes et des descriptions de nosographie réductrices. Tout cela a fait de lui un participant actif de cette « Révolution Culturelle » que fut le grand mouvement qui, dans les années 70-80, a rénové en profondeur la compréhension psychopathologique de l’enfant, a contribué à repenser le soin en pédopsychiatrie et à organiser, en fonction de cela, de nouvelles structures thérapeutiques, au sein de « secteurs de pédopsychiatrie ». Michel a dès lors occupé une place de choix au sein de la pédopsychiatrie française.
41Ses capacités de réflexion et de théorisation du « fait psychique humain », son regard étonné, curieux et enthousiaste sur le monde, sa culture faisaient de Michel, un être tout particulièrement doué pour percer le mystère du monde… du mystère d’une Maternité de Bellini… au mystère des premières images échographiques du surgissement de la vie.
42Fidèle à lui-même, il allait ainsi repérant de nouveaux espaces de recherche, ouvrant de nouveaux champs de réflexion et faisant partager découvertes et réflexions à qui voulait les découvrir avec lui. C’est dans cet esprit qu’il fut, avec d’autres, un des pionniers des études sur la psychopathologie du nourrisson d’abord, puis plus tard sur la vie foetale.
43Amoureux de la vie, il l’aimait dans tous ses aspects : s’amusait en regardant, et comprenant, l’agitation des hommes et des femmes pour les petites choses, sans pourtant toujours partager celles-ci. C’était ce trait de personnalité qui lui permettait d’être extrêmement aimé et apprécié par des personnes tout à fait différentes présentant des orientations et des intérêts parfois en opposition ou en contraste avec les siens. Nous nous connaissions de longue date et nous nous sommes de nouveau retrouvés, avec d’autres, et tout particulièrement le professeur Graziella Fava Vizziello, autour d’un projet : celui de la création de l’AEPEA.
44L’ AEPEA est née de notre volonté et de la sienne pour promouvoir la psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent en Europe, avec ce souci original tout en s’ouvrant sur le monde : œuvrer au développement de la pensée psychopathologique sur l’enfant au sein de l’originalité propre à chaque culture.
45Nous avons partagé avec lui durant nombre d’années cette « Expérience » qu’il a toujours activement accompagnée, à chacune de ses étapes et de ses congrès au travers l’Europe, en l’enrichissant de ses idées originales et de l’amitié sans faille qu’il nous témoignait. Nous sommes tristes de devoir continuer notre chemin sans lui, mais sa pensée, son amitié, sa mémoire continueront de nous accompagner longtemps.
46Pr Pierre Ferrari
Lettre à Michel Soulé, un maître et un ami
47Cher Michel,
48La première à me parler de vous a été Bernadette Roy Jacquey, une pédopsychiatre parisienne arrivée à Angers en 1974 en provenance de votre service, et que j’ai accueillie dans un pavillon d’enfants autistes dans lequel j’étais interne en psychiatrie. Quelques semaines après, j’avais lu, sur ses conseils, La connaissance de l’enfant par la psychanalyse, ouvrage rédigé par Lebovici, Soulé et Diatkine, dans lequel elle avait contribué à rédiger le chapitre sur les pseudo-débilités. Ce faisant je venais d’entrer sans m’en rendre compte à l’époque dans un nouvel univers, celui de la psychopathologie psychanalytique, qui ne m’a pas lâché depuis, un univers dans lequel les trois LSD (Lebovici, Soulé, Diatkine) régnaient déjà avec une intelligence du monde humain, passionnante pour l’étudiant que j’étais encore. Mais le deuxième à m’en parler et cela n’étonnera pas ceux qui vous ont connus tous les deux, est Francesc Tosquelles, le psychiatre catalan, condamné à mort par Franco, accueilli à Saint-Alban, et auteur avec Bonnafé et d’autres, de ce qui allait devenir la psychiatrie de secteur intrinsèquement liée avec la psychothérapie institutionnelle. Tosquelles qui lisait à peu près tout ce qui paraissait en psychiatrie à une époque où c’était encore possible, disait grand bien de vous, notamment à propos de vos études approfondies sur l’enfant, le bébé et leurs parents. Car pour lui, la psychiatrie était une, chargée d’accueillir aussi bien le malade mental adulte que l’enfant en souffrance psychique. Et sa pratique l’a montré puisqu’il pouvait aussi bien soigner les personnes schizophrènes de Saint-Alban, que contribuer à l’éducation thérapeutique des enfants de Marvejols. Quand j’ai eu à mon tour l’occasion de vous rencontrer de plus près, par l’entremise de Bernard Golse, je me suis étonné de la ressemblance entre Tosquelles et vous, à la fois par votre immense culture, vos capacités de synthèse extraordinaires et votre humour souvent ravageur. Dans les deux cas, vos talents pédagogiques tenaient en grande partie à vos possibilités de mêler la connaissance la plus affûtée au plaisir intellectuel et affectif du partage intersubjectif. Aussi lorsque, cher Michel, vous m’avez demandé de participer à vos journées scientifiques, en compagnie de Bernard Golse, Sylvain Missonnier et Marcel Rufo, l’ai-je vécu comme une opportunité formidable pour faire partager sous votre égide les quelques sujets que vous me demandiez d’approfondir sur les thèmes proposés, mais aussi comme le signe d’une bienveillance amicale à mon égard. C’est ainsi que j’ai traité successivement, souvent avec un fil rouge musical, un certain nombre de sujets de psychopathologie qui m’apparaissent toujours tellement importants dans la pratique du pédopsychiatre, et pourtant si décriés aujourd’hui, concentrés sur la psychanalyse par les haines ordinaires de la pensée. Notre amitié s’est confortée au fur et à mesure, et chaque occasion de nous réunir chez vous, la veille des journées scientifiques, était une nouvelle fête de famille de la pédopsychiatrie, telle que je l’imaginais encore jusqu’à ces derniers temps. Et aussi chez Sylvain Missonnier pour les réunions du comité de lecture de la Vie de l’enfant dont vous lui aviez confié la direction. Plus près de nous, dans la région Nord Pas de Calais, à Lens, lieu de votre naissance, vous aviez répondu à la demande de Claude Tabet, pédopsychiatre, en parrainant une recherche sur la maltraitance fœtale. Cette recherche qui se poursuit, avait donné lieu à une journée consacrée à la psychiatrie fœtale, avec la participation de Sylvain Missonnier, Marie José Soubieux, Luc Gourand, Edith Thoueille et d’autres, au cours de laquelle vous aviez « donné » (comme on donne un opéra) votre extraordinaire monologue d’un placenta. Nul doute que ce numéro de Carnet Psy y contribuera, mais pour ma part, je voulais vous dire, cher Michel, à quel point je vous suis reconnaissant de tout ce que vous nous avez appris, permis de penser, de rencontrer et de créer, alliant avec un talent rare et précieux, les hypothèses les plus hardies de la science avec une expérience de la vie des profondeurs inconscientes les mieux senties, le tout, en sachant éventuellement en rire, y compris de vous-même. Je continuerai à parler de vous dans mon enseignement et à tenter de témoigner de l’ampleur de votre pensée dans la pédopsychiatrie d’aujourd’hui.
49Pr Pierre Delion
Michel Soulé, penseur de l’enfance
50La première fois que j’ai entendu Michel Soulé, dans un colloque où l’on discutait d’un cas clinique, chacun y allant de son explication des troubles dont souffrait l’enfant, il eut cette phrase : « Le coupable, c’est la scène primitive ». Dans cette courte remarque, il s’inscrivait en faux contre les explications simplistes qui fusaient dans l’assemblée, rendant compte de la psychopathologie de l’enfant par les carences ou les incompétences de ses parents réels, il introduisait dans le débat la réalité psychique et il nous invitait à franchir le miroir entre conscient et inconscient. Je ne l’ai jamais oublié.
51Peu après, il m’expliqua qu’il recherchait, pour la consultation qu’il dirigeait à l’Institut de Puériculture du boulevard Brune à Paris, un jeune pédopsychiatre, engagé dans une formation psychanalytique personnelle. Je n’ai fait le lien avec ma situation personnelle qu’après-coup, dans une prise de conscience quasi analytique, que cette description me correspondait plutôt bien. Avais-je eu besoin de cet après-coup pour lever des inhibitions devant l’aventure à laquelle il m’invitait ? Franchir le miroir, découvrir la réalité psychique, retrouver en moi l’enfant confronté à la scène primitive ! Je le rappelai pour lui proposer ma candidature. Ce fut le début d’une collaboration étroite de près de dix années, qui se transforma par la suite en une indéfectible amitié.
52Il me semble que c’est cette qualité discrète mais profonde de « penseur de l’enfance » qui m’avait séduit chez lui. Sa vie professionnelle, son œuvre scientifique témoignent en faveur de cette dimension de sa personnalité : penser l’enfance depuis ses origines, son enracinement dans la scène primitive, sa corporéité incontournable, son extrême fragilité et son besoin d’une protection éclairée. Il fut un acteur et un pionnier de la pédopsychiatrie en France, il fut aussi un penseur de l’enfance dans sa réalité concrète comme dans sa réalité psychique.
53Pr Didier Houzel
Michel Soulé et la pédopsychiatrie
54Michel Soulé aurait aimé être à son enterrement, et en arranger la mis en scène. Comme Huckleberry Finn, et comme nous tous il aurait voulu entendre ce qui se disait de lui, qui était ému, qui était absent. Il serait content de voir qu’à Montparnasse, ils étaient nombreux, celles et ceux de la faille hétéroclite qu’il a su rassembler, animer et faire collaborer autour de lui. En entendant son petit fils, on croyait l’entendre lui, la même verve, le ton parfaitement juste, l’humour et la tendresse, la culture, utilisée et jamais tartinée. On a mesuré combien cet homme était multiple, et combien il était atypique dans chacun de ses aspects. Il n’a pas été un patron typique, autoritaire, narcissique et au fond ne voulant pas de successeur. Au contraire, peu des chefs de file de la génération de Michel Soulé ont été capables comme lui d’aider, d’épauler, de rassurer aussi leurs jeunes collègues. Michel Soulé était visiblement fier d’avoir contribué à la nomination d’une bonne demi-douzaine de pédopsychiatres. Le passage par la Guidance de l’Institut de Puériculture permettait de se former et de s’affirmer. On apprenait à enseigner dans le fameux cours du COPES sur le développement précoce, et surtout en le voyant faire, en, le voyant si merveilleusement enseigner.
55Michel Soulé était pour nous un maître, plus qu’un patron, un mentor, un inspirateur, sans jamais se poser en modèle. J’ai eu le difficile privilège de prendre sa suite à la Guidance ; nous avons un temps consulté ensemble, offrant ainsi un cadre de transmission intergénérationnelle très stimulant pour moi, et pour les familles. Je me souviens de la façon dont sans aucune ambiguïté et sans ambivalence, il me laissait le soin, comme on dit dans la marine. Avoir l’amiral comme second, quel privilège ! L’important pour Michel était de continuer d’être dans le coup, de participer, et le chef s’est mué sans difficulté apparente en assistant de luxe, prodiguant ses conseils lorsqu’on le lui demandait, et très respectueux de l’autorité du jeune patron.
56Lors des journées de la Guidance, le vrai rendez-vous de la famille des pédopsys, il nous entraînait à parler, à écrire pour le livre qui en était issu, ou pour le précis de psychiatrie de l’enfant qui lui a demandé tant d’efforts. Lors de ces journées, rien n’était plus stimulant que de se voir proposer un sujet dont on ne savait rien, ou sur lequel on avait peu réfléchi : je me souviens ainsi de la journée sur le concept d’autorité, de celle sur les grands-parents, sur le temps, qui m’ont amené à essayer de penser à quelque chose d’un peu original, sur le modèle de Michel Soulé, qui, lui, l’était vraiment, et constamment, avec ce mélange singulier d’intelligence aiguë, de sens clinique, et de curiosité intellectuelle et de culture. Souvenons-nous de « l’enfant qui venait du froid », des « nouvelles parentalités », des « compétences précoces du bébé » pour n’en citer que quelques-unes, sur presque 25 ans. Michel Soulé avait cette capacité de susciter des dialogues entre des pratiques hétérogènes, entre juges et cliniciens, entre psychanalystes et chercheurs, entre historiens et sociologues, à lancer une idée et à laisser les autres réagir et débattre. Lors des journées, on s’écoutait les uns les autres, parfois curieux, parfois fascinés, parfois avec étonnement ou même agacement, mais en apprenant toujours quelque chose, ravis de rencontrer des gens d’horizons différents. Puis on écoutait Michel Soulé, et on saisissait alors le cœur du sujet. Au fond, le rêve de Michel Soulé, c’était de tenir un salon de discussion, comme ceux des lumières.
57Il n’était pas non plus un psychanalyste typique, préférant toujours l’idée au dogme, l’humour et la présence. Il n’était pas non plus un pédopsychiatre typique, car il était resté très proche de l’enfance, et même de l’adolescence ; il était aussi un clown, qui adorait les histoires et les raconter, et les calembours, et comme les enfants, la répétition. Il aimait, ou plutôt vivait avec la musique, le cirque, l’opéra, le voyage, le livre, la fête.
58Je me souviens de l’Italie aussi, où Michel nous entraînait enseigner, avec Janine Noël. Je me souviens de ce voyage dans la Bologne hivernale, de relais au volant avec Bernard Golse, et pour tenir l’horaire, d’une moyenne de 140 km/heure, avec Michel et Janine un peu pâles, mais cois : les enfants ont toujours raison… Venise, aussi, où il fut plus de quarante fois, et où Bernard et Moi jouions aux fils de Don Corleone. Le Brésil aussi, où nous avions eu l’un et l’autre des aventures familiales. Je me souviens de son courage dans le handicap croissant, de sa volonté de vivre, pour travailler, pour comprendre, pour apprendre, sans relâche. Il me manque vraiment, il nous manque.
59Pr Antoine Guedeney
Michel Soulé ou le Gai Savoir
60Lorsque Michel Soulé s’est intéressé au travail de notre petite équipe auprès des parents et futurs parents aveugles, son intérêt n’a pas seulement contribué à nous faire connaître à l’extérieur, mais il a surtout contribué à nous transformer de l’intérieur. Nous avons ainsi eu la chance d’être des bénéficiaires et des acteurs de la « Méthode Soulé ». Première chose : pas de clinique sans recherche- action. Chaque mois il réunissait toute notre équipe jusqu’à des heures tardives, chez lui, pour confronter notre travail à des invités prestigieux. Chacune à notre tour, nous exposions sur des sujets qu’il nous avait attribué après avoir sué sang et eaux (et sans jamais nous plaindre) tout le mois qui précédait pour être à la hauteur de son attention. Ses remarques nous entraînaient toujours sur un terrain qui, évidem- ment, ne nous était pas apparu. Il le faisait cependant avec bienveillance et la soirée se terminait par des gâteaux et du champagne. De ces séminaires sont issus des articles, des conférences et des recherches autour de concepts innovants, autant de pistes que nous n’avons pas fini d’exploiter. Deuxièmement, une clinique généreuse. Grâce à lui les portes du service ne se sont pas simplement ouvertes à des parents singuliers, mais nous avons accueilli les inquiétudes de leurs enfants, bébé ou ado, celles de leurs fratries ou celles de leurs parents. Avec lui, le transgénérationnel n’était pas qu’un concept mais une réalité familiale que nous rencontrons dans toute son épaisseur. Troisièmement : des méthodes de travail. Il nous a incités à organiser avec lui des groupes de paroles thérapeutiques pour les mères, mettant à notre service sa longue expérience psychanalytique. La présence toujours active aujourd’hui de plusieurs d’entre elles au sein du groupe est une des conséquences du transfert positif qu’il savait susciter. Surfant sur cet élan, nous avons mis en place des groupes de pères qu’il n’a pas pu partager avec nous, faute de temps. En grand connaisseur de la dynamique groupale, il nous avait montré ce qu’elle apporte à chacun, professionnel ou patient, parent en situation de handicap ou non et comment passer du particulier au général et comprendre ce que cette attention à un groupe singulier nous apprend « pour toutes les autres mères ». Sa disparition nous a mis dans le devoir de poursuivre notre route avec gaité et rigueur, comme il a si bien su nous l’enseigner.
61Drina Candilis-Huisman
Michel Soulé, et la psychiatrie du bébé
62J’ai connu Michel au début des années 1970, à mon retour des Etats-Unis. Il m’a beaucoup guidé dans ce monde nouveau, pour moi, de la psychiatrie franco-phone. Nous nous réunissions souvent à Paris ou ailleurs, à la faveur des congrès ; il était entouré d’une cohorte de collègues, dont Serge Lebovici, son acolyte dans de nombreuses entreprises, et sa garde rapprochée dont faisaient partie, parmi beaucoup d’autres, Antoine Guedeney, Bernard Golse, les Missonnier, etc.
63Michel avait l’art de rassembler. Il attirait par sa curiosité, qui conferait à tout spécialiste qu’il invitait aux journées du 14ème, l’impression d’avoir été choisi très spécialement. Puis la journée se déroulait, à chaque fois donnant le plaisir du paquet cadeau qu’on découvre.
64Puis ce fut l’aventure de la psychiatrie du bébé, WAIPD, puis WAIMH. Le prochain congrès devait être à Venise, ce qui nous valu de belles visites guidées par Michel, qui adorait cette ville. Mais la belle se révéla trop snob et gourmande. Nous bifurcâmes sur Lugano, qui fut un succès. Pour nous ses «jeunes», c’était un festin que de travailler avec lui : il faisait circuler les connaissances, les cultures et sa culture, le tout au cours de force agapes, dans une atmosphère de théâtre,qu’il animait d’un humour tout à fait unique. Je me rappelle particulièrement une soirée où, déguisé en prêtre, il nous servait une messe désopilante, dont l’inspitateur était peut-être Bacchus, ou Freud, mais certainement l’esprit de Michel : frondeur, dérapant du scientifique au jeu de mots, respectant les vérités des autres sans jamais user de la langue de bois.
65Les meilleurs moments étaient les soirées rue de l’Escapade, précédant les journées scientifiques à la Maison de la Chimie. Là, nous répétions nos rôles, nous réjouissant de côtoyer des collègues illustres venant de toutes les disciplines : il fut le premier champion de la trans- disciplinarité, et, en cela, il fut un des plus modernes parmi ses contemporains.
De gauche à droite : Sylvie Séguret, Sylvain Missonnier, Michel Soulé, Luc Gourand, Marie-José Soubieux
De gauche à droite : Sylvie Séguret, Sylvain Missonnier, Michel Soulé, Luc Gourand, Marie-José Soubieux
66Michel parti, il s’agit de reprendre cet esprit et de le faire perdurer. C’est là, l’hommage que j’aimerais lui adresser.
67Pr Bertrand Cramer
De Tintin aux CECOS
68Ma première rencontre avec Michel remonte aux années 60 à Saint-Vincent-de-Paul. Chaque Jeudi tous les médecins de cet hôpital d’enfants se devaient d’assister au « Salut », office quasi religieux au cours duquel étaient présentées des observations de patients, dignes par leur complexité d’offrir une démonstration du savoir et du pouvoir pédiatrique. Ce jour-là était annoncé comme présentateur un jeune interne, Michel Soulé, avec un titre assez intrigant, « Jacques et l’autobus ». L’orateur se fait d’emblée remarquer par une volumineuse serviette dont il sort précautionneusement trois volumes grand format, cependant qu’il annonce laconiquement « Toute l’origine des troubles du petit Jacques est éclairée dans ces traités fondamentaux », découvrant alors trois albums de Tintin. Suit une démonstration étourdissante par son entremêlement de signes psychopathologiques et de renvois à Tintin. Etonnement croissant de la noble assemblée ; les premiers rangs (les Professeurs) un peu pincés, les hauteurs de l’amphi subjuguées par la jonglerie de l’orateur se référant continuellement à des extraits des albums. Final : tonnerre d’applaudissements déferlant du haut de l’amphi pour gagner les premiers rangs. C’était pour moi une double découverte : celle d’un grand acteur, mais aussi celle d’un grand et nouveau domaine, celui de la psychopathologie de l’enfant.
69Vingt ans plus tard, m’engageant dans les procréations artificielles avec la création des CECOS (Centres d’Etude et de Conservation des Oeufs et du Sperme), nouvelles sources potentielles de pathologie de la filiation, il me parut évident que j’avais besoin de lui. Ce fut le point de départ d’une coopération puis d’une amitié toujours plus profonde et surtout de plus en plus admirative de son agilité intellectuelle et de sa surprenante originalité.
70Pr Georges David
Michel Soulé, Superman en culottes courtes
71La mort d’un être cher ne confronte pas seulement à la nécessité d’accepter que nous ne le reverrons plus. C’est aussi l’occasion de commencer à faire le tri des images que nous gardons de lui. Des années où il régnait sur la pédopsychiatrie française aux moments où nous plaisantions sur le handicap, moi debout et lui dans son fauteuil roulant, les images que j’ai de Michel Soulé sont nombreuses. Michel qui nous amuse, Michel qui nous enseigne - et qui fait d’ailleurs souvent les deux à la fois -, Michel qui nous fait découvrir avec ravissement la face cachée d’un concept aussi connu que l’objet transitionnel, Michel qui a construit la pédopsychiatrie française, avec une curiosité et une ouverture qui ont marqué tous ceux qui l’ont côtoyé, et aussi Michel qui est le seul à s’étonner encore de ce qu’il nous a déjà raconté dix fois, ou qui nous afflige avec quelque plaisanterie scatologique… Aucune de ces facettes n’est plus vraie qu’une autre. Michel Soulé les assumait toutes joyeusement. C’était la richesse de sa personnalité. Faut il vraiment les réunir ? Il était pour moi un gamin éternellement facétieux qui adorait jouer des tours pour en rire ensemble. Car Michel Soulé était plus un adepte de l’humour que de l’ironie, ou plutôt de toutes les formes d’humour. Alors que Didier Anzieu, dont j’étais plus proche, me donnait l’impression de prendre tous les matins son petit déjeuner avec les monstres de la première année de la vie, j’imaginais Michel Soulé inviter chaque jour à sa table les fantasmes, les conflits et les rêves de l’enfant.
Superman en culottes courtes «Les Indestructibles»
Superman en culottes courtes «Les Indestructibles»
72Si le nourrisson savant décrit par Sandor Ferenczi avait un visage, ce pourrait être le sien. Mais je n’en ai pas trouvé… Je me suis rabattu sur une photographie de Superman en culottes courtes. C’est l’hommage que je lui rends.
73Serge Tisseron
Michel Soulé et la psychanalyse
74Michel Soulé rassemblait, avec une intelligence et un humour confondants, l’expérience du pédiatre, du psychiatre d’enfant et du psychanalyste. La psychanalyse avait développé chez lui une perception sensible de ce qui pouvait se dérouler dans la tête d’un enfant en difficulté ainsi qu’entre lui et ses parents. Il disposait d’un art très personnel de la consultation thérapeutique qui lui permettait de dénouer des symptômes gênants avant qu’ils ne s’incrustent. Si les évaluateurs d’aujourd’hui avaient vu travailler Michel Soulé, avaient entendu les discussions cliniques qui se déroulaient entre Léon Kreisler, pédiatre, Michel Fain, psychanalyste, et lui-même à propos d’enfant souffrant de divers troubles somatiques, ils auraient une autre idée de ce que la psychanalyse apporte à la pédiatrie, à la psychiatrie de l’enfant et y compris à l’abord de ce que l’on appelle aujourd’hui les « Troubles envahissants du développement ». Un enfant réputé autiste n’a pas seulement besoin de pédagogie et d’apprentissages, il faut aussi lui permettre de restaurer ses capacités de relations affectives avec les autres. Il n’est pas question de le « psychanalyser » mais de lui permettre de rétablir ou de reconstruire des échanges affectifs suffisants et d’aider les parents à retrouver confiance dans l’avenir. L’un des mérites de Michel Soulé a été de comprendre que le rôle de la psychanalyse est souvent indirect en ce qu’il permet à un soignant, ou à une équipe de soignants, de percevoir et de comprendre, - et par conséquent de supporter - les modes de communication déroutants du petit patient dont il a la charge, et d’apporter aux parents, un soutien efficient.
75Intéressé par tout ce qui avait trait à l’enfance, de la vie fœtale à l’adolescence, Michel Soulé a toujours montré la complexité des facteurs en jeu, mais aussi souligné tout ce qui pouvait permettre d’espérer ou de fonder une évolution favorable. Son plaisir à travailler, à enseigner - si généreusement -, à lire,- et aussi à rire - étaient également communicatifs.
76Paul Denis
Côté cour, côté jardin
77Le COPES est un théâtre qui a perdu son créateur, son auteur, son acteur, quasiment mort sur scène, comme Molière qu’il aimait tant ! Les nombreux abonnés sont tristes, leur héraut n’est plus, mais le parterre de la formation permanente en pédopsychiatrie continue à donner de la voix, témoigne et enrichit le livret original, tel qu’il l’a inventé et que sa troupe le fait perdurer.
78Côté cour, Il fut un inlassable saltimbanque qui cherchait jusqu’au fin fond des provinces, des familles et des individus de tous âges, le souffle de ses innombrables découvertes. Il fréquenta aussi les Cours régnantes, sans exclusive dans un lien convivial et respectueux de part et d’autre. Il voulait de la recherche et encore de la recherche, dans le champ de la formation et de la clinique dont il nourrissait toute sa réflexion.
79Côté jardin, il nous enchanta par son humour, son appétit de vie et sa capacité à se projeter dans le futur : toutes les « machines » de scène, à l’instar du théâtre baroque, devaient emplir les malles de la troupe : vidéo, internet… Il nous initia aux fêtes, à la jouissance de la dérision, auto dérision et jamais ironie. Fantastiques et multiples fêtes valorisant le brio de chaque équipe d’autant plus que lui-même jouait le jeu !
80Sa première pièce, grand classique du COPES dès 1970, tient l’affiche 42 ans après. Les acteurs du Cours, « Les enfants et les familles à problèmes multiples » se succèdent au fil des ans. Certains toujours fidèles ont acquis de nombreux Molière et de nouveaux sociétaires sont intensément engagés dans leur art de la transmission. L’œuvre continue à grandir. Sur l’avis de ses muses, il intro- duisit de nouveaux scénarii de formation. Metteur en scène et chef d’orchestre (de l’opéra baroque bien sûr), Michel Soulé défendit ses thèmes d’avant-garde avec passion, au risque de faire quelques « fours » en attendant le succès.
81Lorsque dans les coulisses je lui faisais part d’un désaccord, il me chinait : « Alors Anne ! On fait son Antigone ? ». Réplique intime, brève et dense, issue du théâtre antique et pimentée de gouaille, elle vaut à elle seule pour le tout, tout au long. Un souffle est passé, mais l’air vif que nous avons respiré avec vous nous guide, encore et toujours, sur les planches de l’avenir. Merci !
82Anne Frichet
Michel Soulé, un conteur
83Michel Soulé était un vrai conteur, un faiseur de récits, un pédagogue magique ! Il avait rêvé et construit le COPES comme un lieu où l’indicible des parcours de vie des enfants pouvait se mettre en mots, où la souffrance de nos métiers exigeants pouvait être entendue, où le plaisir heuristique de la pensée pouvait se déployer. Jusqu’à la fin de sa vie il est venu rencontrer les professionnels de terrain pour partager avec eux une certaine idée de ce que les adultes se doivent de garantir aux enfants qu’ils accueillent. Il savait prendre le risque du contradictoire, oser les paradoxes, autoriser une pensée rebelle à contre courant du « bien pensant ». Cette liberté de pensée juvénile articulée à la densité exceptionnelle de son parcours professionnel donnait à son ensei- gnement un caractère grave, joyeux, unique. Il y avait quelque chose de surréaliste de voir ce très vieux Monsieur au physique si abîmé, arriver dans une salle de formation. Les stagiaires faisaient cercle autour du fauteuil roulant, traversés par des mouvements d’ambivalence angoissée très palpables. Monsieur Soulé commençait à parler… et la magie fonctionnait : le plaisir de cette pensée clinique, riche et profonde, de ces apports théoriques, limpides et féconds, le ton du récit espiègle et malicieux ouvraient aux professionnels un espace unique. Penser le bébé et ses parents devenait aussi essentiel qu’accessible. Il rendait tout auditoire intelligent et fier de se découvrir comme tel.
84Au COPES, il y a déjà quelques années, avec respect et affection, nous l’avions surnommé Maître Yoda. Il s’était renseigné, nous avait-il dit ! Avait-il regardé toute la saga Stars Wars, nous ne saurons jamais ! Mais il nous avait donné d’un air solennel son assentiment à ce titre tendre : Maître Yoda, diminué, appuyé sur sa canne, sage dans ses propos, résolu dans ses valeurs, valeureux dans les combats, généreux dans son enseignement, drôle dans ses pirouettes. Nous sommes des Jedi endeuillés mais conscients de la richesse et de l’importance de l’héritage. Que la force soit avec nous !
85Christine Ascoli Bouin
Michel Soulé et le diagnostic prénatal
86Ce fut pour nous tous une grande chance de participer au groupe de réflexion sur le diagnostic pré-natal à Saint-Vincent-de-Paul dans les années 90. Nous étions là quelques jeunes et moins jeunes psys ou somaticiens réunis autour de Didier David et Michel Soulé. Nous étions là pour vaincre un isolement, pour réfléchir à nos pratiques, pour diluer les frontières entre les soignants du corps et ceux de l’esprit. Là, Michel Soulé nous a initiés à la psychiatrie fœtale. Il nous a entraînés dans les régions fascinantes et parfois dangereuses de l’intra-utérin, en nous indiquant aussi les étranges mouvements de haine qui pouvaient parfois envahir les parents et bien entendu les soignants. Mais toujours en abordant ses rivages obscurs, il savait les alléger en nous en indiquant, par une plaisanterie subtile, la pertinence psychique. Les liens que nous avons créés dans ce groupe se sont fortifiés au cours des années, et nous rassemblaient régulièrement soit dans des journées scientifiques toujours originales, soit dans des séminaires, soit dans les fêtes annuelles dans son beau jardin qui nous permettaient de retrouver les amis du monde entier venus lui rendre hommage. Il nous recevait comme un prince, nous étions ses invités, ses enfants, ses amis. Je sais que nous ne retrouverons plus ces moments magiques, mais sa pensée nous sera toujours présente et nous continuerons avec lui.
87Nous continuerons avec les rencontres créées autour de lui. Et pour moi, avec Manuelle Missonnier architecte du Carnet Psy, avec Sylvain Missonnier, héritier de la collection La Vie de l’Enfant chez Erès, et les amis qui l’entourent, avec l’équipe de Périnatalité de Necker, avec mes consultations parents/bébé en binôme avec Bernard Golse. Avec les soignants de réanimation pédiatrique que j’accompagne. Je mesure ma chance, et ma dette, celles d’avoir été un jour, l’élève de ce maître.
88Sylvie Séguret
Le sens de la fête
89Quatre fêtes surnagent dans ma mémoire : la première où Michel Soulé déguisé en curé recevait un couple improbable qui venait lui parler de son désir d’enfant et de ses embryons congelés à la banque de sperme. La deuxième où il campait le Docteur Cottard dans une soirée Proust, prêt à remettre la mâchoire luxée de la cantatrice qui égrenait des mélodies de Duparc et Fauré. La troisième où il recevait en médecin Mamamouchi dans une soirée orientale digne des Mille et une nuits un jeune couple n’ayant pas encore consommé auquel il devait annoncer après échographie un début de grossesse. La quatrième enfin où il trônait en Zeus, parmi les dieux de l’Olympe dans un opéra baroque à la française en cinq actes avec ballet. Il incarnait le Roi Soleil qui dominait le 14 ème arrondissement face aux puissances du 13ème ou de la Fondation Vallée. Il aimait la fête, amuser et s’amuser. Il aimait la musique, l’opéra et surtout l’opérette, une des opérettes dont nous avions parlé ensemble a pour titre « Là haut ». Il avait une vision du ciel avec Dieu et les anges autour, où on s’embête ferme, espérons que, là haut, il a trouvé la musique qu’il aime !
90Didier David
Michel Soulé et les enjeux psychologiques de l’échographie
91En 1990, j’ai rencontré Michel Soulé à l’une de ses premières réunions interdisciplinaires de réflexion sur le diagnostic pré-natal. Je devais présenter un papier intitulé : ce qui peut être dit lors des échographies prénatales, qui relève de l’information et/ou de l’action. J’avoue que j’y allais à reculons, impressionné à l’idée de déballer mes incertitudes devant un Professeur de Psychiatrie qui devait inévitablement percer à jour mes manquements. Il conclut son commentaire par cette boutade : Qu’est-ce qu’un bon échographiste ? C’est quelqu’un qui dit gentiment à la dame : « Je vous en prie, installez-vous, nous allons piétiner ensemble votre bébé imaginaire ». Et il ajouta : « Vous faites un drôle de métier, mais c’est quand même moins grave que d’assassiner des vieilles dames dans le métro ! » Je ne me doutais pas que j’étais en face d’un magicien qui allait m’aider à explorer les méandres et les non-dits des arrière-plans de ce métier.
Soirée orientale «Mille et une nuits»
Soirée orientale «Mille et une nuits»
92Percevant que j’étais disposé à le suivre dans son intérêt pour le prénatal, il m’a fait l’honneur de m’associer à son groupe de travail sur Les enjeux psychologiques de l’échographie avec Marie-José Soubieux et Sylvain Missonnier. Au milieu de ces psychanalystes, j’étais le seul travailleur manuel et, tout en leur fournissant du combustible, je venais puiser, dans leur approche extérieure et leur expérience, matière à réconfort.
93A cette époque, dix ans avant « les affaires », régnait un certain flou éthique et juridique concernant le diagnostic prénatal et chacun se débrouillait un peu comme il le pouvait. C’est là que Michel Soulé apparaît comme un précurseur en démontrant la nécessité d’une réflexion pluridisciplinaire. Un visionnaire qui faisait rire avec cette idée saugrenue de la psychiatrie fœtale.
94Il nous faisait comprendre que l’échographiste ne peut pas faire l’économie d’une interrogation sur sa pratique, précisément là où sa seule technicité est inadaptée, lorsqu’il se trouve confronté à ses propres limites face à la détresse de l’autre. Un travail long et sans doute peu spectaculaire, mais qui devait apporter un apaisement et des satisfactions importantes, bénéfiques à la qualité soignante. Il y a des rencontres qui comptent. J’ai eu le privilège de croiser Michel Soulé et de faire un bout de route avec lui. Au cours de ces vingt années, sa créativité pleine d’humour a profondément marqué ma vie professionnelle et m’a permis de nombreux développements. Qu’il en soit mille fois remercié.
95Luc Gourand
Michel Soulé et la médecine foetale
96Quand je suis arrivé en 1991 dans le service de médecine fœtale dirigé par Fernand Daffos à l’Institut de Puériculture de Paris, j’ai découvert la place entière dévolue aux psychanalystes dans le service. Leur participation aux staffs et réunions de synthèse était, trois ans après l’ouverture du service, un fait acquis. Double découverte, d’un service entièrement dédié au fœtus malade, et d’une équipe associant étroitement obstétriciens, échographistes, biologistes, psychanalystes, où il paraîssait tout aussi important de raisonner sur le taux de plaquettes fœtales, que sur la psychopathologie de la périnatalité. Pour les patientes hospitalisées, pour les explorations fœtales ou interruptions médicalisées de la grossesse, le contact avec un psychanalyste était toujours annoncé, et proposé, en prévenant les patientes que, bien sûr, elles pourraient refuser de lui parler quand il ou elle rentrerait dans leur chambre. Par ce geste fort, nous affirmions aux patientes l’importance qu’avait pour nous la prise en charge sur le plan psychologique.
97Cette place donnée aux psychanalystes se retrouvait au staff, où le retour des entretiens était communiqué par le psychanalyste, ce qui devait être un exercice difficile pour eux, en tachant à la fois de respecter ce qu’il y avait de personnel dans le ou les entretiens qu’il y avait eu, en permettant d’expliquer au reste de l’équipe ce qui pouvait se passer sur le plan psychique pour la patiente et le couple, et ce faisant en participant à l’éveil de l’ensemble des intervenants à un raisonnement de type psychanalytique. Cette place, nous l’avons reconnue avec Fernand Daffos, en demandant à l’équipe de psychanalystes de rédiger un chapitre entier, dense, de notre ouvrage Grossesses à hauts risques pour raisons fœtales (Editions Elsevier, 2003) ». Quel autre ouvrage de médecine fœtale comportait à ce moment là un article consacré à l’investissement du fœtus, ou à la place des grands-parents dans la médecine fœtale ? L’apport de Michel Soulé et de son équipe, c’était cela, cette place reconnue dans ce service expérimental, après les réticences qu’il avait sans doute fallu vaincre de part et d’autre pour arriver à cette collaboration.
98La présence de Michel Soulé, ce fut aussi pour moi, après quelques discussions, de l’accueillir comme « stagiaire » dans ma salle d’échographie pendant quelques années. Présence silencieuse pendant les échographies de référence, présenté au début de l’examen « Madame, je vous présente le Pr Soulé qui va assister à votre échographie », pas de refus, quelques questions pour savoir de quoi il était spécialiste. Michel Soulé a détaillé ce qu’il avait pu tirer de cette participation aux examens échographiques. Pour moi je n’y voyais que des avantages : donner une dimension supplémentaire à l’examen, pouvoir parler avec lui également, et surtout il était fascinant, en ayant été acteur de ces consultations d’échographie, où il parlait peu mais observait beaucoup, de le voir rapporter cette expérience, de comprendre comment, de la réalité des situations cliniques, il tirait les éléments qui permettaient d’éclairer notre compréhension des processus psychologiques en jeu. Pour moi, ce compagnonnage avec Michel Soulé et son équipe fut une révélation, un soulagement aussi, autant qu’une ouverture : révélation que quelque soit l’importance du geste technique, il n’avait que peu de valeur sans prise en compte de la patiente et du couple dans la relation à leur futur enfant. Je n’ai plus jamais pratiqué ma spécialité comme avant.
99Michel Soulé et son équipe m’ont aidé à remettre la patiente, le couple, au cœur de l’acte médical de diagnostic prénatal, à comprendre le caractère si violent de la médecine fœtale dans ses annonces, même faites avec la plus grande humanité et empathie possibles. Il m’a appris à écouter : plus je prenais conscience de l’importance de ce qui se passait, plus j’essayais de ne pas être intrusif, de respecter les choix, les silences, les approches, les doutes des patients.
100Ce sera pour les obstétriciens et praticiens de la périnatalogie, une prise de conscience majeure, de la spécificité de la psychologie de la périnatalité avec une patiente qui arrive avec son histoire, ses projections, la place qu’elle donne à son enfant à naître, l’inscription dans la lignée, la réparation éventuelle de certaines situations. Quand un problème survient en médecine fœtale, ces projections explosent, la future mère y réagissant avec tout ce qui constituait l’essence de son psychisme et de ses projections, le rôle de l’équipe étant d’apporter non seulement un acte technique, mais également de replacer ce qui se passe dans sa propre histoire, celle de sa famille, celle de son couple. Il exprimait les « vignettes cliniques » qu’il présentait, qui étaient parfois tirées de nos consultations communes avec son merveilleux talent de conteur et d’enseignant. J’aimais la joie qu’il exprimait en transmettant, la curiosité continuelle qui l’animait.
101Je ne peux écrire cet hommage sans évoquer Yolaine Quiniou, qui nous a quittés il y a un peu plus d’un an, ainsi que Marie-José Soubieux, François Sirol, Antoine Guedeney, Linda Morisseau. A travers eux, et sans doute bien d’autres, l’enseignement de Michel Soulé se poursuivra. Merci, Monsieur Soulé.
102François Jacquemard
« Le vieil homme et l’enfant. »
103Rien ne me permet de penser que Michel Soulé ait rêvé de fleurs et de couronnes à l’occasion de ses obsèques. Ni qu’il en ait lui-même assuré la mise en scène et désigné les orateurs qui lui garantissent son éternité au ciel de la pédopsychiatrie. Non, je ne le connaissais pas suffisamment, mais il me semble, pour l’avoir côtoyé dans quelques circons-tances professionnelles qu’il aurait aimé que la transmission de son enseignement soit assurée.
104Obstétricien, non psychanalysé, je n’avais guère de raison de le fréquenter. Son activité auprès de Simone Veil dans la création d’un nouveau cadre législatif de l’adoption m’était cependant en partie connue. Désormais l’adop-tion plénière donnerait aux enfants concernés les droits de tous les enfants. Il s’agissait d’un bouleversement important de notre conception de la filiation et il survenait à un moment de notre histoire, marqué par l’émergence volcanique des nouveaux droits des femmes.
105Non je rencontrais vraiment Michel Soulé, au seul niveau des idées, à cette belle période où le fœtus-enfant acquerrait la dignité de toute personne. En effet, au début des années 1980, nous découvrions ébahis l’embryon-fœtus-bébé en instantané, barbotant dans son liquide amniotique au sein d’une vie qui lui avait donné la vie. Or cette image transmise par nos « drôles de machines » était accusée d’interrompre volontairement les fantasmes de sa future et déjà famille. Outre que le rapprochement avec d’autres « interruptions volontaires » me semblait déplacé, j’admettais difficilement que l’image construite et transmise par nos échographes ait ce pouvoir de bousculer à ce point la qualité de la relation affective qui se tissait entre deux êtres.
106Toutefois, j’admettais fort bien l’extrême complexité de ce lien, et il me paraissait vraisemblable que la part d’inconscient y jouait un rôle important puisqu’il était le fruit de l’activité sexuelle de deux personnes. Non, ce qui méritait une véritable interrogation critique était, à mes yeux, notre intrusion fort indiscrète dans l’intimité d’une conversation fondatrice. Et bien, durant 10 ans, avec de nombreux amis, nous allions, autour de Michel Soulé, tenter d’approcher ce que l’enfant-futur transmettait aux siens et aux professionnels, lors de ce très curieux examen qu’est l’échographie.
107L’aventure ne fut pas seulement riche et passionnante, elle transforma notre regard sur cet enfant à venir, fragile et redoutable, tendre et impétueux, infiniment digne et respectable. Et qui permet aujourd’hui à Michel Soulé de quitter la caverne peu éclairée où nous sommes toujours pour rejoindre le très humain monde des Idées où nous le retrouverons.
108Paul Cesbron
Michel Soulé, mon père imaginaire
109J’ai commencé dans les années 80 à m’intéresser aux bébés, à suivre le séminaire de Serge Lebovici dans le XIIIème, à participer aux activités de l’Association mondiale de santé mentale du nourrisson (WAIMH, alors WAIPAD) - c’est là que j’ai dû croiser Michel Soulé pour la première fois, à Cascais, au Portugal, pour le premier Congrès Mondial de la WAIMH, en 1980.
110A l’époque, il était pour moi associé, individis, à Serge Lebovici et René Diatkine, nos maîtres à penser, pour toute une génération de jeunes psychiatres d’enfants, férus de psychanalyse et de projets. Ils furent en 1985 ceux qui établirent avec leur Traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent le cadre même de notre discipline, encore brouillonne et tâtonnante : une référence incontournable, plus encore une drogue dure que cette somme concoctée par notre LSD (Lebovici-Soulé-Diatkine) national. Mais Soulé, ce fut aussi, L’enfant et son corps, écrit avec Léon Kreisler, dont je suivais l’enseignement de psychosomatique de l’enfant à La Poterne des Peupliers avec Lebovici et Fain. Ces trois-là me parlaient et par leurs articulations subtiles, j’entrais avec passion dans le monde du tout petit et des ancrages corporels de sa vie psychique à peine éclose. Et puis, j’ai lu cette élaboration incroyablement intelligente de Michel Soulé sur l’enfant imaginaire (Soulé M. L’enfant dans la tête, l’enfant imaginaire in T. B. Brazelton, B. Cramer, L. Kreisler, R. Schappi, M. Soulé. La dynamique du nourrisson ou Quoi de neuf bébé ? J’en ai construit, en hommage, le modèle d’un de mes premiers ouvrages, Le bébé imaginaire, bien des années plus tard. Depuis, je suis assuré qu’il est et restera mon père imaginaire, porteur de toute une histoire transgénérationnelle, petit passeur de contenus conscients ou inconscients, de valeurs, de toute une culture, d’élans et de désirs.
111Michel Soulé avait participé aux balbutiements de l’ARANE, Association pour la Recherche en Aquitaine sur le Nourrisson et son Environnement que j’avais fondée avec quelques autres à Bordeaux, en 1993 et aux premières journées de cette association, dont celle de 1997 sur le fœtus à l’hôpital, dans les suites immédiates de son Introduction à la psychiatrie fœtale qu’il avait dirigé en 1992 aux Editions ESF et qui reprenait les actes de la 19ème journée scientifique de l’Institut de Puériculture de 1991. Il fut ainsi un des premiers auteurs de la collection Mille et Un bébés, avec Fernand Daffos, Yves Dumez, Marianne Fontanges-Darriet, Paul Guinet, Philippe Saada à évoquer « les aspects psychologiques de la médecine fœtale et du diagnostic anténatal ». Précurseur s’il en fut en ce domaine, il avait, aux débuts de l’utilisation systématique de l’examen échographique chez les femmes enceintes (1980), mis en vedette cet acronyme d’IVF pour parler d’« Interruption Volontaire de Fantasme » (1982). Mais rapidement, il devait revoir cette hypothèse, en particulier après avoir assisté lui-même à de nombreuses séances d’échographie, à l’Institut de Puériculture : il faisait même alors référence au test de Rorschach, pour dire, à la manière de Sylvain Missonnier plus tard, le pouvoir d’induction imaginaire, fantasmatique, mythique et narcissique de l’image échographique qui peut-être considérée comme un « véritable organisateur psychique de la parentalité ». Il savait faire ça, Soulé, il savait questionner, regarder, écouter, entendre : il était un vrai clinicien, riche de sa pratique et qui tenait de la psychanalyse cette belle conviction que le savoir est chez l’autre. Qui tenait de la psychanalyse aussi cette curiosité, sans failles, incessamment renouvelée et qui lui fit parcourir tant de terra incognita, de l’adoption à la psychiatrie fœtale, des mères aveugles à l’allaitement… Et à chaque terre, ses compagnons de voyage, plus que des confrères, des collègues, de vrais compères, des complices, Soulé savait faire cela aussi, créer des liens, forts, engageants, inaliénables : Lebovici, Kreisler, Golse, Rufo, Missonnier, Noël, Thoueille, Soubieux, Fava-Vizziello,… Et à chaque voyage, ses articles, ses livres, ses conférences. Et toujours cet art du titre, du mot, du récit. Vous souvenez-vous de : Vous aurez de mes nouvelles, Oedipe au cirque, devant le numéro du clown blanc et l’auguste, La mère qui tricote suffisamment, L’enfant qui venait du froid … C’est pour cela que je l’aimais, Michel Soulé, pour cet art éprouvé de raconter, cette délicatesse des bons mots choisis, cet humour imparable, jamais à court de formules. Il était pour moi de ces grands cliniciens, qui savent dire, transmettre, éclairer, illuminer jusque la part la plus sombre de nos pratiques. Et son sourire derrière ses grosses lunettes et sa mine bonhomme me redonnait, à chaque fois, cette tranquille assurance que ce métier de pédopsychiatre est comme le répétait Rufo, le plus beau du monde.
112Qu’est-ce qui vous a pris de mourir, Monsieur Soulé, à l’aube de cette année deux mille « douce »? Qui donc maintenant nous racontera des « histoires de psychiatrie infantile » ? Qui nous dira, avec l’humour et la prévenance qu’on vous connaissait, La vie de l’enfant ? Qui nous lira, avec ses inflexions musicales, le premier chapitre de la vie ?
113Michel Soulé a marqué l’histoire de la psychiatrie de l’enfant et le deuil que nous portons est à la mesure de cette perte pour la clinique et pour tous les bébés, pour tous les fœtus et tous les enfants d’ici et de maintenant.
114Patrick Ben Soussan
Journées d’été
115L’hôtel s’appelait Hôtel Xenia. C’était un cube tout simple planté en bordure de plage, à Skyros, une île grecque, aux temps anciens où il n’y avait pas d’aéroport, pas de parasols, pas d’arbres pour faire de l’ombre. Et pratiquement pas de touristes. En dehors des deux clans, le clan Diatkine et le clan Soulé et leurs annexes. Par contre il y avait encore des poissons dans la mer, entre autre des « barbounias » nom grec pour rouget barbet. Ce qui constituait le plat principal des déjeuners, dans des petits bistros, à l’abri d’une toile tendue au dessus des tables pour protéger du soleil. Suivaient des tranches de melons, que le garçon accompagnait d’un commentaire qu’il avait appris à force de nous l’entendre répéter : « le melon, i n’est pas bon ». Et on riait… Les journaux français n’arrivaient pas jusque là, ce qui privait les deux chefs de clan de leur joute favorite : à celui qui réussirait le premier à terminer les mots croisés du Monde… Faute de quoi ils se réfugiaient alors dans leurs chambres pour soi-disant écrire leurs articles. Il n’empêche que le soir, tout le monde était recuit de soleil, et l’heure de l’ouzo était la bienvenue. On se retrouvait tous pour diner dans la salle à manger de l’hôtel : murs blancs, nappe blanche, lumière blanche crue. Des fumeroles, venues de la cuisine flottaient dans l’air amenant une odeur acre de fumée.
116Les ados tenaient un bout de la table, les adultes, l’autre. C’est lors d’un de ces dîners que Michel eut ce mot d’esprit resté célèbre dans nos mémoires. Les menus -très brefs- étaient posés sur les couverts, annonçant de façon intrigante dans le contexte Beateck Tolstoi. Le garçon apporta les assiettes contenant des sortes de boulettes de viande, genre steacks hachés de petite taille. C’est alors que dans le silence général de déconvenue, la voix de Michel se fit entendre : (Et ici le lecteur est prié de prononcer tout haut ce qui va suivre, car l’écrit ne rend pas compte de l’effet provoqué) « Ils ne sont guère épais » dit-il avec cet extraordinaire esprit d’à propos et cette capacité à jouer sur les mots et la culture. Les serveurs n’ont jamais compris la raison de l’énorme éclat de rire qui s’en suivit. Et moi, quand je raconte cette histoire, j’en ris encore.
117Denise Diatkine
Michel Soulé et la collection multimedia
118Quand nous avons créé, Monique Saladin et moi-même, la collection À l’aube de la vie avec Serge Lebovici, le premier à avoir répondu à son appel pour participer à cette collection a été Michel Soulé. C’est ainsi que pendant deux années, nous nous sommes réunis tous les lundi soir chez lui, rue de l’Estrapade, avec Luc Gourand, Sylvain Missonnier et Marie-José Soubieux pour réfléchir ensemble, devant la caméra, aux problèmes délicats que soulève l’échographie de la grossesse. Cette collaboration a été passionnante et a donné le deuxième titre de cette collection (le premier était celui de Lebovici : Les éléments de la psychopathologie du bébé), L’échographie de la grossesse : les enjeux de la relation ». Michel Soulé ponctuait chaque débat par une réflexion qui nous rendait tous plus intelligents !
119Nous avons repris notre collaboration avec lui tous les lundi soir - il y avait pris goût et nous aussi, d’autant que sa femme Nicole avait institué le rituel du gâteau au chocolat qui était excellent -, pour un autre titre de cette même collection : Allaiter : une relation fondamentale, que nous avons réalisé avec l’aide d’Édith Thoueille et Dominique Blin. Là encore, Michel Soulé faisait venir les meilleurs spécialistes et les plus brillants esprits pour réfléchir ensemble à ce vaste problème qu’est l’allaitement maternel aujourd’hui. Si la réflexion était toujours sérieuse et approfondie, l’ambiance avec lui était toujours à la gaieté et surtout à l’humour qu’il maniait comme personne ! Ces séances de travail ont été pour tous les participants un vrai régal que nous ne sommes pas prêts d’oublier. Et puis il y avait les fameuses journées scientifiques qu’il menait de main de maître qu’il était et qu’il me demandait de venir filmer à la Maison de la Chimie. J’ai donc eu la chance d’emmagasiner les six dernières journées scientifiques, qu’il organisait avec Bernard Golse et Marcel Rufo, ses intervenants fétiches. C’étaient de grands moments de réflexion où l’humour était toujours présent. Vous nous manquez déjà beaucoup, Michel !
120Alain Casanova
La méthode Soulé : souvenirs des journées scientifiques du Centre de Guidance infantile de l’Institut de Puériculture de Paris
121A la Maison de la Chimie à Paris, chaque printemps, depuis 1973, Michel Soulé attendait, les yeux à demi fermés, avec une sourire aux lèvres, que la caravane de son cirque arrive (Revue française de psychanalyse, 1980 Œdipe au cirque devant le numéro de l’auguste et du clown blanc)..Elle installait les bases de l’illusion dans un espace jusque là vide et l’investissait totalement. Les gens du voyage étaient là pour une journée et le lendemain poursuivraient leur route. Le chapiteau se montait avec ses intermittents du spectacle….. « Entrez, entrez ! Et vous verrez !! »… Les enfants- adultes envahissaient les gradins, la piste s’éclairait.
122Michel Soulé, Monsieur Loyal, avec son fouet en limitait l’accès. Mais sur l’aire de jeu tout devenait possible : jongleurs, équilibristes, trapézistes, dompteurs, animaux féroces, éléphants lâchant d’énormes cacas devant tout le monde étaient là. Numéros de maîtrise et pulsionnels se succédaient. Le cauchemar était sous contrôle. Cette grande famille de saltimbanques figurait un véritable roman familial. Nous attendions tous le duo de l’Auguste et du Clown blanc. Monsieur Loyal (Michel Soulé) à la fois propriétaire de la maison, chef de famille et employeur, se déguisait en Clown blanc. Il caricaturait les grandes personnes et illustrait l’incapacité de l’enfant spectateur à distinguer vraiment l’image paternelle de l’image maternelle. Monsieur Loyal était aussi l’Auguste sale, obscène, qui souffrait d’angoisses infantiles. Il parlait avec un accent bébé. Ses chagrins étaient enfantins, il copiait maladroitement l’adulte, il se comportait en pervers polymorphe et son hymne était caca-boudin. Il portait en lui derrière la défense maniaque, la dépression de l’enfant. On assistait alors à un numéro « typique » (B. Chervet. Revue française de psychanalyse 1996, «Les clivages»), véritable « moment d’éducation psychanalytique» (S. Freud, 1932 Œuvres complètes Tome XIX. P.231-238)). La piste est entièrement dans l’obscurité. Soudain, au centre, un réverbère s’allume et diffuse un disque de lumière qui laisse le reste du cirque dans l’ombre. Sous le réverbère, l’Auguste semble chercher quelque chose sur le sol. Il va, vient, se penche, marche à quatre pattes, toujours dans la zone éclairée. Un moment se passe ainsi, silencieusement. Survient le Clown blanc qui entre dans la lumière. Il contemple l’Auguste qui l’ignore. Quelques instants s’écoulent, toujours en silence, puis le Clown blanc se met aussi à chercher. Les deux se déplacent de-ci de-là, dans la lumière et soudain ils se heurtent, l’Auguste tombe en faisant une cabriole.
123-L’Auguste. – Bonjour Monsieur. Excusez-moi Monsieur.
124-Le Clown blanc. – Bonjour Monsieur. Que faites-vous ici ?
125-L’Auguste. – Je cherche ma belle montre en or, je l’ai perdu tout à l’heure.
126-Le Clown blanc. – eh, eh ! je vais vous aider à la chercher.
127Ils reprennent leurs déplacements et leurs recherches dans la lumière..
128-Le Clown blanc. – Décidemment, je ne vois rien ici.
129-L’Auguste. – Moi non plus. Mais ça ne m’étonne pas.
130-Le Clown blanc. – Comment, ça ne vous étonne pas ! Et pourquoi s’il vous plaît ?
131-L’Auguste. – C’est que je ne l’ai pas perdu ici.
132-Le Clown blanc. – Comment, vous me laissez chercher alors que vous ne l’avez pas perdu ici ! Mais où l’avez-vous donc perdu ?
133-L’Auguste désigne du bras un secteur obscur du cirque.
134-L’Auguste. – Là bas, à 3 m. et 25 cm au pied du réverbère.
135-Le Clown blanc. – Mais pourquoi cherchez-vous ici ? Vous vous moquez de moi ?
136-L’Auguste. – Mais non, mais non ! Si je la cherche ici… si je la cherche ici… c’est qu’ici il fait clair !
137Michel Soulé était à la fois Monsieur Loyal, le Clown blanc et l’Auguste et dans le jeu il nous permettait de nous identifier tantôt à l’un, tantôt à l’autre grâce à ses propres capacités d’identification. Michel Soulé savait ce qu’il cherchait, mais le cherchait ailleurs et nous étions, bien souvent, tous leurrés car nous aurions aimé trouver la belle montre en or. Trompe oedipe, on perdait notre pertinence ! A l’authentique obscur, peut-on s’affronter comme au leurre éclairé ?
138En d’autres termes le registre œdipien reste la boussole et tout dépendra de notre acceptation ou non des chimères qui peuplent ce monde là (G. Bayle, Revue française de psychanalyse, « Les clivages »,1996). Mettons la montre de côté, dans l’ombre, en attente, échappant à une recherche vaine et séductrice pour l’Auguste et illusoire et intéressée par le clown blanc. La montre n’est, en fait, pas tout à fait perdue. J’entends toujours son tic tac dans nos battements de cœur. Cet objet mis en latence est assez singulier c’est à la fois un appareil qui mesure le temps et un mot qui indique une direction. Nous trouvons là les thèmes chers à Michel Soulé : origines et finitude. Tout est un problème de regard, de mentalité face à ces questions fondamentales que nous fréquentons dans notre travail quotidien et dans nos vies. C’est la « Méthode Soulé » qui constamment déjoue pour jouer sérieusement, c’est-à-dire une façon de jouer en touche, avec humour, créant de l’inquiétante étrangeté au service du nouveau. C’est un des seuls psychanalystes, à ma connaissance, qui ne renonce pas à une pensée analytique en la mettant au service des problèmes de société qui bouleversent les données sociales, pédagogiques, soignantes et éducatives actuelles.
139Ma chute sera brève comme le final en musique du cirque Soulé, toujours attendu et… inattendu : Caca-boudin. La place de cette locution dans le destin du jeune enfant. La coprolalie ordinaire ou la joie assurée (2006) « On ne saurait faire de « l’action de secteur et de la prévention précoce sans étudier le rôle de caca-boudin dans la santé mentale des enfants.… Véritable indicateur de bonne santé. ; voilà poursuit Michel Soulé, l’humour qui commence quand le sujet traite avec lui-même en tant que représentant de l’espèce humaine. Quand il profère caca-boudin, l’enfant prend la tête en délégué syndical d’une croisade de tous les enfants… mais il recommande qu’un caca-boudin doit demeurer dans les limites de la coprolalie ordinaire. Laissons les bambins saccager « les bonnes manières de table » en nous rassurant puisque c’est une étape solitaire, alors caca-boudin pour tous ».
140Rémy Puyuelo
Michel Soulé et l’Italie
141La disparition d’un maître, comme Michel Soulé l’a été pour moi pendant ces dernières décennies, et le vide que j’ai ressenti, nous amène à des réflexions qui concernent notre propre chemin où sa présence a été fondamentale et qui en même temps indiquent l’indissolubilité d’une amitié qui s’est renforcée le long de ce parcours. Je connaissais les travaux de Soulé depuis mes premiers pas dans le domaine de la pédiatrie et de la pédopsychiatrie : ses recherches sur le corps de l’enfant et sur la psychosomatique précoce, mais aussi ses études sur les crèches et sur l’adoption. Ce fut seulement plus tard, au cours des années 90, que je fis sa connaissance directe et j’ai été pris par sa sympathie humaine qui allait avec une extraordinaire capacité de transmettre ses connaissances mais aussi ses sentiments chaleureux. J’ai pu partager avec lui des fréquentes occasions de formations en Italie, où il ne manquait jamais de moments conviviales : à la maison il savait donner le mieux de son esprit toujours brillant et de sa capacité de « faire groupe », alternant des facéties et des propos savants dans tous les domaines, notamment en ce qui concerne l’art italien. Je crois que je lui dois en grande partie l’intérêt pour Rossini, parce qu’il m’a induit à suivre le festival de Pesaro, comme il avait fait pendant plusieurs éditions. Puis il y a eu les colloques de l’AEPEA et surtout ses journées scientifiques à la Maison de la Chimie, auxquelles j’ai eu le grand honneur d’être longtemps parmi ses invités, comme aussi le soir chez lui (et comme souvent à sa table au déjeuner) par sa lettre très amicale qu’était une joie de la vie de recevoir chaque année. Michel Soulé a été mon parrain (avec Roger Misès) quand j’ai demandé de devenir membre de la SFPEA, et il s’est démontré ému à ma demande. Il m’a initié à la psychiatrie périnatale et cela a été un plaisir de discuter avec lui quand je me suis occupé de l’édition italienne de La psychiatrie fœtale. Je termine ces quelques mots, trop peu pour dire toute ma dévotion à Monsieur Soulé, Maître et grand Ami, par une « image » : à l’occasion de son dernier séjour de travail dans la Vénétie, avec Sylvain Missonnier on lui a préparé une surprise, qu’on savait constituer un de ses désirs : on l’a accompagné au théatre Olympique de Vicenza. Dans une journée froide et brumeuse, bien couvert sur sa petite chaise roulante, il se montrait content comme un enfant ou comme un héros qui venait de gagner sa bataille, de rentrer après longtemps dans un lieu qui lui rappelait beaucoup de choses, dont il nous a parlé avec plein d’anecdotes mais dont il a certainement gardé pour lui l’essentiel.
142Lenio Rizzo
Cher Michel Soulé
143La guidance infantile de l’Institut de Puériculture de Paris, boulevard Brune avait six ans ou peut-être huit quand je suivais en tant qu’étudiante les cours donnés par vous dans une salle annexe, cours dont je sortais toujours amusée parfois hilare, me répétant les anecdotes de notre prof, redevenue intelligente et confirmée dans ma vocation à m’occuper de jeunes enfants. Un poste de psychologue se libérait à la guidance… j’étais la jeune étudiante qui s’occupait tous les soirs du fils de…un garçon suivi par vous. Par cet enfant nous nous connaissions depuis longtemps donc vous m’adoptiez ! Travailler avec vous exigeait une grande rigueur et une disponibilité constante en retour on était assuré de votre confiance totale.
144Votre goût pour la recherche et l’innovation vous permettait d’affirmer qu’un temps dans votre service devait se partager entre une clinique rigoureuse, difficile et un temps carte blanche dans l’un de ces services. Rarement vous vous opposiez à une initiative qui vous apparaissait comme porteuse, c’est ainsi que vous acceptiez que je suive - hors hôpital de Jour- trois enfants autistes en traitement psychanalytique à quatre séances par semaine et que nous confrontions nos idées … A mon retour de congé de maternité alors que je discutais avec vous de l’allaitement maternel et des difficultés que j’avais pu rencontrer l’idée vous vint d’une recherche sur l’allaitement maternel, puis j’eu votre accord pour créer un groupe de mères allaitantes au sein d’une maternité : c’est dire qu’aucune idée ne se perdait et combien votre curiosité était inlassable.
De gauche à droite : Daniel Stern, Michel Soulé, Drina Candilis-Huisman, Nadia Stern, Edith Thoueille, Terry Brazelton, Martine Vermillard, Joshua Sparrow
De gauche à droite : Daniel Stern, Michel Soulé, Drina Candilis-Huisman, Nadia Stern, Edith Thoueille, Terry Brazelton, Martine Vermillard, Joshua Sparrow
145Vous parliez peu de votre travail de psychanalyste auprès des adultes si ce n’est au travers de l’agenda de vos rendez-vous que vous feuilletiez, inlassablement, lorsqu’il vous fallait écouter. La SPP était présente, aussi, dans la supervision collective que vous assuriez avec Simone Decobert le jeudi soir dans les locaux de la guidance, lieu que vous ne quittiez quasiment pas ce jour-là. Votre souci était constant d’entretenir un noyau solide de psychothérapeutes et psychanalystes auprès des enfants et de très jeunes enfants, votre référence théorique restait la métapsychologie freudienne mais votre curiosité personnelle et votre recherche de compréhension du très jeune enfant et du nourrisson vous conduisait à encourager très tôt ceux qui s’intéressaient à l’apport des psychanalystes anglo-saxons et post-kleiniens et à l’observation du nourrisson. Vous regrettiez de ne pas avoir le temps de vous y former et vous me demandiez à plusieurs reprises si je ne pouvais vous assurer « une formation brève » ! sans que je ne sache jamais ce qu’il en était de la boutade et du sérieux puisque vous ne cachiez pas votre analyse brève comme du temps de Freud… ce qui suscitait, en vous, une certaine fierté. On était assuré, en votre présence, d’être pris d’un fou rire inextinguible au moment le plus inattendu, ainsi vous nous recommandiez au milieu d’une très sérieuse discussion d’appeler à l’aide en ouvrant une porte avant qu’une claque ne fuse ! Résumé fulgurant de l’agressivité suscitée par l’enfant dont nous parlions. Votre humour était décapant, vos blagues et votre culture venaient régulièrement redonner du plaisir au travail, élargir l’horizon, alléger l’atmosphère… Vous pensiez, avec regret, que de franchir mon œdipe m’avait éloignée… façon pudique de parler du temps qui passe et de la nostalgie du monde de l’enfance dans lequel vous étiez si à l’aise. Après votre départ nous reste : bonjour gaîté !
146Joyceline Siksou
Michel Soulé et la puériculture
147A une époque où peu de personnes s’occupaient de la vie psychique du bébé, privilégiant sa santé physiologique, vous avez su modifier la vision restrictive que le monde de la puériculture avait du nouveau-né. De simple tube digestif vous l’avez fait accéder au statut de personne. De cela les puéricultrices, dont j’essaie de me faire humblement la voix, vous en sont infiniment reconnaissantes. D’objet de soins, les tout-petits sont devenus sujets de soins : quoi de plus gratifiant pour les soignants que nous sommes.
148Quel privilège, Monsieur, cela fut de travailler avec vous. Nous nous enrichissions à vos côtés de votre culture plurielle que vous saviez avec humour et sans prétention nous faire aimer, ce dont mes professeurs de lettres ou d’histoire avaient été incapables. Nous vous écoutions parler des heures d’opéra, de musique, des peintres vénitiens : Canaletto, Tiepolo, que vous affectionniez particulièrement, comme ce théâtre classique français où, tel Freud avec la mythologie grecque, vous puisiez de quoi étayer vos recherches. D’ailleurs, helléniste accompli, vous aviez dans votre bibliothèque une statue représentant Esculape enseignant. Vous nous aviez confié lors d’une séance de travail avec le Pr Marcel Rufo, que cette statue correspondait à votre idéal du moi. Merci Monsieur d’avoir toujours su et voulu transmettre votre savoir et ce, avec l’humilité des grands esprits. Vous disiez : « Il faut aimer enseigner, y trouver du plaisir et travailler. » Je m’en souviendrai.
149Travailler, oui, avec cette énergie que vous nous avez insufflée pour faire comprendre le monde des femmes handicapées visuelles, voulant accéder à la parentalité. Nous avions saisi leurs attentes sans savoir vraiment les formuler…et ce sont vos réflexions concises et claires qui nous ont aidées à le faire. Vous étiez visionnaire lorsque vous parliez d’un centre pour les mères aveugles. Nous vous avons écouté et diffusé vos propositions. Le résultat est là : l’Agence Régionale de Santé, grâce à vous, nous a donné un agrément pour la création de ce service médico-social. Ces femmes aveugles, que vous avez soutenues lors des groupes thérapeutiques, m’ont demandé expressément de vous rendre l’hommage qui vous était dû, ce que je fais avec reconnaissance et tristesse. Lorsque j’ai commencé à travailler avec vous, vous m’avez créé une devise :
150Pédiatre ne puis
151Psy ne daigne
152Puer suis
153Merci Monsieur pour tout ce que vous m’avez enseigné pour être la puer que je suis. Mais je ne vous rendrais pas l’hommage tant affectueux qu’intellectuel que je vous dois sans conteste si je ne cédais pas ma place à votre vieil ami qui a écrit en 1666 : « Les gens d’un mérite sublime, enchaînent de chacun et l’amour et l’estime.» (Molière, Le Misanthrope, acte III scène V).
154Edith Thoueille
Michel Soulé et le groupe de paroles Mères-Bébés
155Il y a longtemps déjà, nouvellement arrivées au centre de PMI, des idées de changements plein la tête, nous avons été rapidement débordées par le flot de confidences des familles et le constat de l’influence des inégalités sociales sur le développement des enfants. Après maintes hésitations, nous sommes allées demander de l’aide aux « psy » du centre de guidance.
156Première rencontre avec Monsieur Soulé. Il s’est montré très intéressé et nous a écoutées. Avec son pragmatisme, il a cerné les problématiques et a proposé des solutions tout en canalisant l’énergie débordante des puéricultrices que nous étions, afin de nous recentrer sur nos missions et nos compétences, à savoir : le jeune enfant.
157C’est ainsi qu’ont été créés, un groupe de paroles Mères-Bébés, et un atelier pour tout petit. Tout naturellement d’un projet à l’autre, nous avons cheminé aux côtés de Monsieur Soulé. Il a toujours reconnu nos spécificités de puéricultrice en se détachant d’un corporatisme, accordant surtout de la valeur à notre sens clinique. Monsieur Soulé « Grand Patron » ne s’est jamais départi de son dynamisme et d’une force de travail exceptionnelle qui nous ont servi d’exemple. Nous trouvions alors l’énergie pour répondre à ses attentes, tout en sachant que les mots « fatigue », « manque de temps » étaient bannis de son vocabulaire. Nous avons pressenti l’immense chance de travailler avec lui. Cela a renforcé notre engagement dans notre pratique sur le terrain mais surtout un dépassement de soi dans ce travail d’analyse et d’écriture autour de nos pratiques. Le sens de la convivialité faisait partie de ses qualités, ainsi, les temps d’élaboration théorique auxquels nous participions, étaient ponctués de moments de récréation où Monsieur Soulé, devenu conteur, le regard pétillant, nous entraînait avec délice dans le monde de la musique, de la littérature, des voyages, de l’Italie, avec ses blagues pour nous amuser et le fondant au chocolat pour nous réconforter.
158En décembre dernier, il nous a accueillies mes compagnes et moi, avec un enthousiasme particulier, il avait rédigé le synopsis d’un nouveau livre et n’a pas manqué de nous distribuer à chacune un chapitre à traiter. Je tenais à vous remercier, Monsieur Soulé, pour votre générosité, votre courage que la maladie n’a pas atteint et pour votre démarche totalement axée sur la transmission. Je suis bien consciente que je vous dois beaucoup et que vous m’avez donné une belle leçon de vie.
159Martine Vermillard
Michel Soulé à Lens
160« Montrez que de grandes choses peuvent sortir d’une ville de province comme Lens !». Telle était la recommandation que nous faisait Michel Soulé, nous encourageant à réaliser la recherche qui lui tenait tant à cœur au sujet de la maltraitance à fœtus, il y a maintenant quelques années. Lens, sa ville natale, d’où il souhaitait qu’un travail « remarquable » contribue à entretenir l’intérêt pour le fœtus, comme objet d’attention et de recherches fondamentales à ses yeux qui le conduisait jusqu’aux ados casseurs et cassés. C’est à Lens qu’eut lieu sa dernière journée scientifique qu’il donna au sujet du fœtus et son placenta, dans une salle pleine à craquer. « La passion des origines », a été sa motivation première et incessante. Présidant cette journée du 30 avril 2010, présent à la table d’honneur toute la journée malgré une fatigue évidente, il a comme a son habitude blagué et entrainé la salle dans plusieurs épisodes de rires incoercibles ! Michel Soulé, particulièrement généreux et brillant, nous parlait de la vie fœtale à partir de l’évocation de sa propre naissance. Entre traces inconscientes et reconstructions, il rendait vivante la réalité psychique d’un être en devenir, le fœtus, qu’il tenait en très haute estime jusqu’à considérer « La vie entière, comme après-coup » de l’expérience fœto- placentaire. Avec l’entêtement d’un maître exigeant et la gentillesse d’un hôte délicat, il savait nous faire travailler et nous encourager toujours plus avant sur les sentiers ardus de la recherche et de l’écriture. Michel Soulé nous offre son acuité clinique, son regard novateur et original, la richesse de son incessante élaboration et créativité. Dans chacune des rencontres de travail qu’il nous proposait pour nous soutenir, c’est sa générosité, sa bienveillance exigeante et son intelligence visionnaire qui chaque fois nous impressionnaient. Nos questions, nos hésitations et parfois même notre découragement étaient accueillis et transformés pour mieux nous permettre de repartir imprégnés d’une énergie créatrice. Monsieur Soulé exigeant, généreux et pétri d’humour dans toutes les circonstances, nous avons eu la chance de vous rencontrer. Merci de ce parcours qui nous a amenés de la rue de l’Estrapade au congrès de Lugano, à la première journée scientifique lensoise de psychiatrie fœtale, à la Fédération de Recherche, à Devenir … Vous nous manquez.
161Claude Tabet,
162Catherine Dupuis,
163Brigitte Maerten Lesot,
164Pierre Schmidt
Notre rencontre était totalement improbable.
165Tout ce qui concernait la psychiatrie et la pédopsychiatrie m’était totalement étranger. Puis 10 années se sont écoulées. 10 années d’une étroite collaboration d’où est née une sincère et profonde amitié, 10 années durant lesquelles Michel Soulé a toujours su m’associer totalement à tous ses travaux. Je lui dois beaucoup et tous les projets sur lesquels je travaille aujourd’hui n’auraient pu voir le jour sans cette transmission qui lui était si chère. Que dire des journées scientifiques ? Au nombre de 36, elles ont donné naissance au terme générique de Journées Soulé. J’ai collaboré à l’organisation des 7 d’entre elles. Elles mobilisaient notre énergie à tous les deux, au moins 1 an à l’avance. Chaque étape avait son importance. Mais deux d’entre elles m’ont plus particulièrement marquée :
166La première, la préparation du plan de table du déjeuner, à la Maison de la Chimie. C’est dans ce rituel que Michel Soulé retrouvait son âme d’enfant. « Qui asseoir à côté de qui ? ». Question fondamentale qui donnait toujours lieu à une valse de noms et à un retour sur une foule d’anecdotes qui lui faisaient conclure que : « Décidément, non… il est impossible qu’Untel soit assis à côté d’Unetel ». Fous rires garantis pour lesquels il n’avait pas eu de mal à trouver son public. La deuxième étape était celle du soir, lors de la réception qu’il donnait rue de l’Estrapade (avec son magnifique jardin) et que personne n’aurait ratée pour rien au monde. Après une journée très riche mais tout de même assez exténuante, vers minuit, alors que les invités commençaient à partir, Michel Soulé m’interpellait toujours, l’œil frisant, en me disant : « Marie, j’ai trouvé le titre de la prochaine journée scientifique…On en reparle lundi matin ? ». Ce à quoi je lui répondais : « Peut-être ne viendrai-je pas travailler lundi matin, je souhaiterais récupérer un peu » Il me lançait alors, un grand sourire accroché au visage : « Mais qu’ont donc toutes ces personnes à vouloir se reposer… Est-ce que je me repose moi ? Le souvenir de son indéfectible sens de l’humour restera omniprésent dans ma mémoire. Merci, Cher Professeur.
167Marie Rat
Notes
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[1]
Lebovici S., Diatkine R., Soulé M., (1985), Traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Paris, PUF.
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[2]
Fain M., Soulé M., Kreisler L. (1974), L’enfant et son corps. Etudes sur la clinique psychosomatique du premier âge, Paris, PUF.
-
[3]
Soulé M. (dir.), Mère mortifère, mère meurtrière, mère mortifiée, Paris, ESF.
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[4]
Soulé M. (dir.) (1981), La dynamique du nourrisson ou quoi de neuf bébé ? Paris, ESF.
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[5]
Séguret S., (2003), Le bébé du diagnostic prénatal, Ed. Erès, coll. 1001 bébés, n°58.
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[6]
Tu as été le premier à inviter T. B. Brazelton en France lors de ta 9ème journée scientifique en mars 1981 et à le publier dans l’hexagone dans ton ouvrage La dynamique du nourrisson ou quoi de neuf bébé ?, 1981, ESF.
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[7]
Soulé, M., Gourand, L., Missonnier, S., Soubieux, M.J. (2011). L’échographie de la grossesse. Promesses et vertiges. Toulouse : Érès.
- [8]
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[9]
Soulé M. (dir.) (2006), La vie de l’enfant. Tout ce que vous avez voulu savoir… sans jamais oser le demander, Toulouse, Érès.
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[10]
http://old.psynem.org/Waimh/ Francophone/Presentation/GroupesDeTravail/PremierChapitre/index.htm.
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[12]
Ton ouvrage Histoires de psychiatrie infantile (Érès, 2006) est précieux à cet égard car il réunit tes meilleurs textes disséminés dans divers livres et revues.
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[13]
On trouvera un florilège récent des interventions de ces journées dans ton livre publié en 2006 La vie de l’enfant chez Érès.