Notes
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[1]
Cette contribution doit beaucoup aux échanges à l’origine de ce volume collectif ; je remercie L. Tronci, N. La Fauci, D. Bottineau et T. Nakamura pour leurs encouragements et suggestions.
-
[2]
Nous préférons un métaterme purement descriptif, faisant nôtre une remarque de Creissels (2007 : 88, note 9).
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[3]
L’histoire des deux langues éclaire en partie cette dissymétrie : l’italien a très tôt abandonné la solution de l’issue indéfinie de homo, les dernières occurrences relevées datant du XVIe siècle (Rohlfs, 1968 : § 516 ; Brunet, 1994a : 11).
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[4]
L’éventail se veut diversifié : textes techniques, essais, documentaire, romans et bandes dessinées. Pour échapper au style particulier des écrivains, il convenait d’en considérer plusieurs. Les œuvres retenues couvrent grossièrement une génération, de 1963 à 2005 (De Mauro 2007). Les dates des essais s’insèrent de façon complémentaire afin de créer une linéarité même imparfaite. Aucun corpus oral n’étant traduit, la bande dessinée a été retenue parce qu’elle véhicule le dire quotidien avec ses jeux de mots. Les traducteurs sont toujours différents pour multiplier les sensibilités linguistiques : si Pastureau (1998, trad. Magris 1997) optent quasi systématiquement pour on, Vittoz (2008, trad. Veronesi 2005) et Bouzaher (2006, trad. Eco 2003) proposent une grande variété de solutions linguistiques. Les traductions des romans ou des essais privilégient le texte source, les documents européens, supports de travail, le lecteur cible.
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[5]
Si passivante est peu fréquent dans les textes techniques et sa densité varie avec les romanciers. Les essais y recourent de façon modérée. Les équivalences françaises données traditionnellement à la tournure italienne diffèrent quantitativement. Le on prédomine de façon massive, le passif est rare, de même que l’impersonnelil. D’autre part, le passif est circonscrit presque exclusivement aux textes techniques juridico-administratifs tandis que on prédomine partout ailleurs.
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[6]
Maiden & Robustelli (2000 : 121) et les auteurs qui ont abordé le sujet : Lepschy & Lepschy (1981), Salvi (2008) et Brunet (1994a : 127-129).
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[7]
Il convient, bien sûr, d’exclure celles où le verbe vaut pour posséder : si hanno con sé pochissime cose(Magris, 1997 : 20) ; on n’a avec soi que très peu de chose (Magris, par Pastureau, 1998 : 24).
-
[8]
– è come l’India ! – diceva. – Lo sporco che c’era in India non si può immaginare ! (Ginzburg, 1966 : 166). Trad. C’est comme en Inde, disait-il. La saleté qui régnait en Inde, c’est inimaginable ! (Ginzburg, par Causse, 1966 : 196).
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[9]
“Indefinite personal si is treated as the subject, so that the noun remains the object, and the verb agrees with subject si [...].” (Maiden & Robustelli, 2000 : 121)
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[10]
Le titre diffère dans le sommaire de l’ouvrage.
1. INTRODUCTION [1]
1Le si passivante italien est traditionnellement et formellement caractérisé par plusieurs traits concomitants : (a) la présence du clitique si devant un verbe transitif, (b) la promotion de l’élément nominal comme sujet syntaxique et donc (c) un accord V-N (sauf dans sa variante toscane, Salvi 2008) ainsi qu’une réalisation possible uniquement aux 3es personnes du singulier et du pluriel. Sa signification passive (d) lui vaut son étiquette de si passivante (Lamiroy 1993 ; Brunet 1994a ; Serianni, 2000 : 272). La convergence fonctionnelle du Sujet grammatical avec l’Objet direct (La Fauci, 2009 : 100) le fait classer dans le moyen.
2En italien même, la tournure est très proche d’un si impersonnel ou indéfini (Brunet 1994a), ainsi que de certaines structures que nous appellerons par prudence si-verbe [2]. Les frontières ne sont pas toujours aisées à tracer (cf. infra§. 2).
3Dans une perspective comparée (italien-français), on établit avec le si passivante des similitudes d’emploi à la fois avec son équivalent structurel se-verbe, mais aussi avec le passif périphrastique français sans agent mentionné et surtoutl’indéfini on [3]. Pour notre questionnement sur le moyen (où se situe si passivantepar rapport aux autres formes avec si ?), ces similitudes sont troublantes : si la deuxième dit la parenté du moyen avec le passif, on relève de l’actif transitif auquel le moyen est traditionnellement opposé. Ces structures syntaxiques différentes posent le problème de la nature de l’Agent externe impliqué et celle de son absence formelle (simple neutralisation ? indétermination parce que l’identification est indifférente ou impossible ?) et donc, celle des relations Agent-Sujet et Agent-Procès.
<Les oppositions> reviennent toujours en définitive à situer des positions du sujet vis-à-vis du procès, selon qu’il est extérieur ou intérieur, et à le qualifier en tant qu’agent, selon qu’il effectue dans l’actif, où qu’il effectue en s’affectant, dans le moyen. (Benveniste, 1966 : 173)
5Nous procéderons par un questionnement en miroir à partir d’occurrences du si passivante et de leurs traductions en français : quelles valeurs particulières développent le passif périphrastique, l’indéfini on et d’autres réalisations révélées par le corpus, que si passivante serait capable à lui seul de recouvrir ? Et en quoi l’observation de ces constructions éclaire-t-elle cette réalisation spécifique du moyen ?
6Nous travaillons sur des occurrences attestées. Le choix du corpus répond à deux critères :
- des textes de genres différents et qui soient au plus près d’un état de langue contemporain (cf. bibliographie) [4] ;
- des écrits traduits par des professionnels fiables et différents, pour aller au-delà de la seule compétence linguistique du chercheur (nous les considérons comme des indications spontanées, et non toujours comme la seule équivalence possible).
8Pour situer la portée des observations qui suivront, la quête a été menée sur plusieurs milliers d’occurrences avec si et l’analyse a porté sur quelques centaines de formes [5] dont les exemples cités ici se veulent représentatifs. Cette façon deprocéder permet le retour sur des contextes larges. Notre démarche est volontairement dépouillée et centrée sur l’observation des données, notre critère étant que les manipulations syntaxiques suggérées par les traductions ou introduites pour vérifier les traits définitoires ne doivent altérer la structure sémantique (Kulikov, 2013 : 266). Nous parlerons de Sujet (grammatical) et d’Agent pour distinguer le niveau syntaxique du niveau sémantique.
2. AUX MARGES DU SI PASSIVANTE
9Revenons sur les difficultés de repérage à l’intérieur même de la langue italienne. Le si passivante partage le clitique si, trait (a), avec d’autres structures verbales (Tronci 2013). Il est facile de le distinguer des pronominaux actifs (réfléchis etréciproques), certes caractérisés par la co-référence du Sujet et de l’Objet, mais possibles à toutes les personnes (vs trait (c)) ; le Sujet y est Agent. Le repérage des pronominaux intrinsèques (arrampicarsi ‘grimper’ ; accorgersi ‘s’apercevoir’ vs. scorgere ‘apercevoir’, etc., voir Cordin, 1991 : 601-602) est également relativement aisé parce qu’ils sont inscrits dans le lexique. Quelquefois, la lexicalisation n’est pas immédiatement perceptible dans des structures actancielles figées comme farsi intorno en (1) mais, par ailleurs, celles-ci n’ont pas de correspondants actif (1c), ou passif (1d) :
b. Il y eût aussitôt un petit attroupement (Ortese, par Bonalumi, 1993 : 32)
c. *uno fece una piccola folla intorno
d. *una piccola folla fu fatta intorno
2.1. Autres si-verbes
11La difficulté croît avec la frange des si-verbes « neutres », traduits en français par des se-verbes : si les caractéristiques de (a) à (c) (clitique si, formes verbales à la 3e personne pluriel, accord V-N) y sont observables, ces structures posent le problème de l’identification de l’Agent et donc de leur classement dans le continuum autocausatifs – décausatifs – formes moyennes ou médio-passifs (Creissels, 2007 : 98-99). Les exemples (2) et (3) sont presque prototypiques de dizaines d’occurrences du corpus. De toute évidence, nous ne sommes plus dans les pronominaux subjectifs (2c) ; l’Agent est générique (2d), mais le passif est incongru (2e), à moins d’une variation aspectuelle imperfective sur l’auxiliaire (2f) :
E facendo l’altalena doveva aver mandato il gancio a chiudersi su un longherone, perché era uno di quei ganci di sicurezza, col moschettone e la molla, che se si chiudono non si riaprono piú. (Levi, 1979 : 34)
b. et en se balançant il devait avoir envoyé le crochet se refermer sur un longeron, parce que c’était un de ces crochets de sûreté, avec un mousqueton et un ressort, qui quand ils se referment se rouvrent plus. (Lévi, par Stragliati, 2002 : 47)
c. *se quei ganci di sicurezza chiudono se stessi non riaprono più se stessi
d. se uno chiude quei ganci di sicurezza non li riapre più
e. *se quei ganci di sicurezza sono chiusi, non sono più aperti
f. se quei ganci di sicurezza vengono chiusi, non vengono più aperti
13L’occurrence (2) correspond à ce qu’avec D. Creissels, nous rangeons dans les décausatifs appelés ailleurs anticausatifs (Kulikov, 2013 : 272). Le présent gnomique permet d’évoquer ici un type de crochet et son fonctionnement normal. Les observations valent à d’autres temps verbaux, en (3) un perfectif :
b. Tous ceux qui étaient présents ont effleuré Ada du regard. La porte du blocs’est refermée, silencieuse et ample, derrière nous. (Mazzantini, par Raynaud, 2004 : 14)
c. La porta della sala operatoria è stata richiusa *silenziosa / silenciosamente
d. <il chirurgo/qualcuno> ha chiuso la porta *silenziosa / silenziosamente
15Toutes les gloses ne sont possibles qu’au prix d’une modification de l’adjectif à fonction adverbiale en adverbe en -mente, ce qui met en évidence que silenziosase réfère en (3a) au Sujet grammatical et non à l’Agent (3d).
16L’agentivité y est référentiellement et syntaxiquement extérieure et non identifiée. « Seule l’existence du processus s’impose à l’observateur extérieur [...] processus envisagé en faisant abstraction de toute causalité. »(Creissels, 2007 : 98)
2.2. Les frontières avec si indéfini
17Si indéfini ou si impersonnel, l’étiquette varie avec les auteurs, mais la difficulté pour cerner ses frontières d’avec le si passivante est unanimement reconnue [6]. Les critères évoqués en introduction semblent vaciller. Certes l’indéfini régit un verbe intransitif, mais également un transitif sans expansion (Brunet 1994b). Et avec un même verbe transitif, si la structure est au singulier, comment distinguer un N Objet d’un N Sujet ? En dehors de la traduction proposée, la variation en nombre du verbe dans l’occurrence (4a) est éloquente à cet égard :
b. Les seuls gâteaux auxquels nous avions droit, à table, étaient des espèces de beignets appelés « smarren », un dessert que nous avait fait connaître je ne sais quelle cuisinière allemande ; ces beignets devaient être économiques car nous en mangions si souvent que nous ne pouvions les souffrir. (Ginzburg, par Causse, 1966 : 62)
19Certains avancent le critère de l’ordre : N « tend » à suivre le verbe dans l’indéfini, à le précéder dans la forme passive (Maiden & Robustelli, 2000 : 121). Mais les mêmes auteurs illustrent plus loin cette dernière forme avec des exemples présentant aussi l’ordre N V (op. cit. : 284) et cette tendance à l’antéposition, même si elle est par ailleurs largement documentée, est mise à mal par les relevés substantiels de J. Brunet (1994a). Si la tendance est effectivement à la postposition avec l’indéfini, ce trait ne pourra être considéré comme unique trait définitoire. En modifiant l’ordre N-V, et avec la modification de la détermination nominale, (5d) revêt au niveau interprétatif une valeur prescriptive totalement absente de (5a) qui est simplement descriptif et générique :
b. Je n’allais pas à l’école, bien que je fusse en âge de la fréquenter ; mon père disait qu’à l’école on attrape des microbes. (Ginzburg, par Causse, 1966 : 62)
c.?mio padre diceva che microbi si prendono a scuola
d. mio padre diceva che i microbi si prendono a scuola
21Une traduction par se-verbe français aurait provoqué soit une glose incongrue (6a), soit une interprétation réciproque (6b). Avec (6c), on revient à la valeur prescriptive de (5d). La traduction par on est bien la seule possible :
b. mon père disait qu’à l’école les microbes s’attrapent (entre eux)
c. mon père disait que les microbes, ça s’attrape à l’école
23En quoi diffère-t-il du si-passif ? Qu’entend-on par « valeur » passive (trait d) du si passivante ? J. Brunet (1994a) utilise plutôt le terme « parenté »(Brunet, 1994a : 14, 16, etc.), ce qui ne signifie pas « équivalence » ; ailleurs, elle parle de « proximité »(op. cit. : 16, note 22). Nulle part, à notre connaissance, il n’est donné de critères pour l’apprécier si ce n’est une glose par la tournure passive (Maiden & Robustelli, 2000 : 284).
24Nous poserons que si-verbe est « passivante » lorsqu’on peut le redire par un passif périphrastique sans que cela ne déforme le sens de la phrase. Un passif (7a) n’est pas viable ; nous sommes bien en présence d’un si indéfini :
b. *mon père disait qu’à l’école des microbes sont attrapés
26Si l’Agent est indéfini, on remarque souvent la présence d’un adverbial qui circonscrit la généricité de on à une situation précise (ici a scuola). La valeurréférentielle de l’Agent n’est certes pas définie, mais elle n’est pas pour cela indéterminée.
27L’occurrence (8) rend compte d’une réalisation ténue mais suggérée plusieurs fois par le corpus : l’Agent (l’exécutant ou l’interprète) est évoqué de façon plus abstraite et générique dans le co-texte par des substantifs suffixés en -zione/tion (esecuzioni, interpretazioni) :
b. Entre deux exécutions d’une sonate pour violon ou deux interprétations d’une pièce de théâtre, on suit les indications de la « partition » – tandis que, pour le dire brièvement, la mélodie et le timbre voulus par le musicien et les mots voulus par le dramaturge restent inchangés. (Eco, par Bouzaher, 2006 : 319)
29Pour ce qui est de la comparaison italien/français, on remarquera qu’un siindéfini italien reçoit une traduction aussi bien par on (5b, 8b) que par se-verbe (9b) :
b. [...] j’avais un de ces petits chariots qui se conduisent par le timon, chargé des fameux coussinets que je devais surtout pas fiche par terre. (Levi, par Stragliati, 2002 : 56)
c. *avevo uno di quei carrellini che sono guidati dal timone
d. avevo uno di quei carrellini che vengono guidati dal timone
e. avevo uno di quei carrellini che uno guida dal timone
f. j’avais un de ces petits chariots que l’on conduit par le timon
31Il n’y a donc pas de correspondance systématique et ces réalisations rendent compte de la complexité des faits.
Si indéfini | On | Agent indéfini mais non indéterminé |
Se |
3. SI PASSIVANTE
32Il en est de même pour les réalisations du si passivante pour lesquelles les traductions se partagent entre se-verbe et (plus fréquemment) on.
3.1. Que nous suggère la correspondance avec on ?
33La polyvalence du on français est bien connue, qui va de l’indétermination franche à la référence à NOUS (et plus rarement à JE-TU ou IL/ELLE) en passant par un on universel/général (François 1984). Des passages comme (10) sontintéressants pour l’alternance des deux relations (si-noi et on-nous) à la fois dans le texte source et dans la traduction :
b. Nous ne nous sommes pas donnés en spectacle, non, il faut dire que c’était déjà bien d’avoir réussi à ne pas tomber ; ou plutôt : nous avons donné le spectacle de deux types qui ont été jeunes aussi [...]. (Veronesi, par Vittoz, 2008 : 13)
35La disponibilité de contextes larges permet, lors du retour sur le texte italien, de dégager la variation de l’Agent impliqué. Nous illustrerons ce cas majoritairement fréquent par deux exemples :
b. elle rit, dit arrêtez donc, mais moi j’insiste, ce n’est pas anodin, nom de Dieu,on ne peut pas laisser des choses comme ça. (Veronesi, par Vittoz, 2008 : 100)
– Decurione !
– Un messaggio del prefetto : tutte le guarnigoni in allarme ! Si ricercano dei tipi pericolosi ! Un britanno e due galli ! (Goscinny & Uderzo, par Marconcini, 2011a : 16)
b. – Décurion !
– Un message du préfet : toutes les garnisons doivent être en alerte ! On recherche de dangereux irréductibles ! Un breton et deux gaulois ! (Goscinny & Uderzo, 1966 : 16)
38En (11), le si passivante permet d’intégrer au jeu io-lei / moi-elle les témoins de la conversation que l’on veut entraîner dans cet avis car le diagnostic est urgent. Ce sont les relations d’interlocution (Douay & Roulland 2012) que tisse et entremêle la tournure italienne. En (12), la concrétude de la situation est retracée par le dessin : toi, décurion insouciant qui joue aux fléchettes, moi, soldat romain de base qui transmet l’ordre et sera certainement parmi les prochaines victimes des gaulois, le préfet, représentant de l’occupant et nous tous romains, ici présents et en danger. Ce jeu de repérage est reproductible à l’envi. Ce qui semble suggérer que la récession agentive avec le si passivante pourrait n’être, dans certains cas (les analogies avec on), qu’une occultation passagère de l’Agent facilement récupérable dans le contexte, souvent inclus dans la relation de personne « je-tu »(Benveniste, 1966 : 174). Le regard est ainsi déplacé d’une considération sémantique sur le verbe (« et le moyen servira à définir le sujet comme intérieur au procès », op. cit. : 173) à son co-texte linguistique et plus largement à son cadre interlocutif. Le recours aux indices morpho-syntaxiques du contexte évacue, dans ces cas, le problème de deux plans d’analyse (syntaxique ou sémantique). Les structures avec on ou si apparaissent comme deux façons de gommer la référence plus particulièrement désignative du Sujet grammatical, d’occulterau niveau du groupe verbal l’agentivité qui est dite ou suggérée ailleurs. La référence à l’Agent est explicitée dans le cadre de l’interlocution (Maillard, 2010 : 105) et c’est le trait saillant qui nous semble émerger massivement du corpus.
3.2. Si passivante traduit par se-verbe français
39Les analogies avec se-verbe sont plus déconcertantes quant aux observations faites précédemment sur l’Agent.
b. On a fait les palindromes. Tu sais, ce qui se lit pareil à l’endroit et à l’envers. (Veronesi, par Vittoz, 2008 : 64)
41Les « constructions pronominales à sens passif »(Tamine, 2010 : 118) ont, en français, des traits différents (aussi Brunet, 1994a : 13) : le sujet y renvoie à une classe (le cose che / ce qui...) ; la « valeur générique explique la présence d’adverbes ou de compléments de manière »(ici, anche al contrario) et la construction présente une affinité – non obligatoire – avec un présent gnomique atemporel. La traduction par un se-verbe français (13b) est très adaptée.
42L’interprétation impersonnelle (14a) serait possible mais la valeur passive (14b) est indéniable :
b. le cose che sono / vengono lette uguali anche al contrario
44Dans cette occurrence, l’Agent animé peut correspondre à n’importe quel lecteur de palindromes, mais le phatique sai / tu sais intègre l’allocutaire dans la sphère des Agents possibles, au point que la glose (15) est totalement recevable :
b. Tu sais, ce que nous lisons pareil à l’endroit et à l’envers
46Il n’en est pas de même avec (16) et (17). Si l’Agent est inférable, de façon large, des conditions de réalisation du Procès (16c), il ne peut être induit d’aucun indice du co-texte en (17) (s’agit-il des partisans ? des nations concernées ? de l’intégralité des belligérants ?) :
b. Pour que les règles de concurrence de l’Union s’appliquent à une entente ou à une pratique abusive, il faut que celle-ci soit susceptible d’affecter le commerce entre les États membres.
c. Perché <il legislatore, l’Unione> applichi le norme.
b. Dans cette guerre des bois se tissaient aussi les fils d’une politique qui pensait en termes universels et visait non pas seulement à libérer un pays, mais à créer un nouvel ordre social. (Magris, par Pastureau, 1998 : 133)
49L’introduction d’un élément agentif (18a-18b) brise la métaphore. On notera que s’il y a « proximité » avec le passif, il n’y a pas complète équivalence car ces réalisations, certes acceptables, sont moins naturelles que le si du texte source (17a) :
b. Dans cette guerre des bois on tissait aussi les fils d’une politique
c. In quella guerra di bosco erano tessute anche le fila di una politica
d. Dans cette guerre des bois étaient tissés aussi les fils d’une politique
3.3. Quand le verbe est avere / avoir
51Alors qu’il est exclu en français d’une tournure pronominale (Melis, 1990 : 21), le verbe avere/avoir peut se rencontrer en italien (Brunet, 1994a : 32, 127). Le corpus fournit quelques occurrences aussi bien dans les romans que dans l’essai critique [7] :
b. Les remaniements existent en musique, ce sont par exemple certains types de virtuosités (les paraphrases de Liszt des symphonies de Beethoven). (Eco, par Bouzaher, 2006 : 399)
c. *uno ha rifacimenti in musica
d.? Sono avuti rifacimenti in musica
53La traduction (19b) n’est pas sans écho avec une observation de M. Maillard (2010 : 107) sur la traduction des passifs impersonnels latins legitur et curriturpour lesquels l’auteur propose il y a lecture et il y a course. Avec avere, la tournure si-verbe peut se faire support d’énoncés thétiques (Rousseau, 2010 : 45) où l’Agent est totalement occulté.
54Si passivante correspond ainsi à une forte modulation de l’Agent vis-à-vis du Procès qui va de la référence aux participants à l’interlocution, récupérables dans le co-texte jusqu’à une indétermination telle que l’Agent disparaît et que le Procès occupe le premier plan.
Si passivante | On | Agent occulté mais récupérable dans la situation d’interlocution |
Se-verbe | Ambivalence de l’Agent | |
V. avere | Énoncé thétique possible |
4. LA RELATION AVEC LE PASSIF PÉRIPHRASTIQUE DANS LES TRADUCTIONS
55Si le test par le passif a été un des critères pour identifier le si passivante (trait d), qu’en est-il des réalisations proposées par les traductions ? La traduction par le passif est – dans les limites de notre corpus – extrêmement rare. D’autre part, elle est le propre des textes techniques. Enfin, ces traductions ne correspondent pas uniquement à des si passivante, mais relèvent aussi du décausatif (20e) et dusi indéfini (21d) :
b. Il incombe à la juridiction de renvoi d’apprécier, au regard du contexte global dans lequel ce code déploie ses effets, y compris au regard de l’ensemble du cadre juridique national ainsi que de la pratique de l’application dudit code par l’ordre national des géologues, si ledit effet est produit en l’occurrence.
c. *se i predetti effetti sono prodotti nel caso di specie
d. *se uno produce i predetti effetti
e. si ledit effet se produit en l’occurrence
b. Le droit européen est constitué du droit « primaire » et du droit « dérivé »
c. Il diritto dell’UE *è / viene diviso in primario e derivato
d. On divise le droit européen en droit « primaire » et droit « dérivé »
e. Le droit européen se divise en droit « primaire » et droit « dérivé »
58La correspondance du si passivante avec un passif essentiellement impersonnel (PEI, Gaatone 1993), souvent cité dans les écrits, est encore plus rare et son emploi est, lui aussi, restreint au domaine technique.
b. Pour les sociétés qui ont coopéré pleinement et dont il a été constaté qu’elles ne contournaient pas les mesures en vigueur, il est proposé de leur accorder des exemptions. (Eurolex COM/2011/0390, § 3)
60La tournure « ne connaît pas de forme personnelle strictement équivalente » (Gaatone, 1993 : 38) ; il faudrait suggérer quelque chose comme l’amministrazione,la legislazione (23a) :
b.? Pour les sociétés qui [...] on propose la concession d’exemptions.
c. Per le società che [...] è proposta la concessione di esenzioni.
62Que signifie la présence de il, Sujet grammatical extraposé, délocutif et asubjectal (Maillard, 2010 : 106) ? Il s’agit d’une construction à Agent fortement éloigné où l’argument Sujet est exclu, un degré ultérieur de récession agentive.
63Quelques équivalences du corpus proposent une traduction par le suffixe- able qui correspond, on le sait, à un passif modalisé : « être susceptible d’être V »(Picabia 1978). Dans des occurrences romanesques, de telles traductions peuvent correspondre également au si indéfini ; elles sont souvent suggérées par la présence d’un modal potere dans le co-texte source [8]. Dans les textes techniques, le suffixe est en lien avec le côté prescriptif du se-verbe :
b. Sauf indication contraire, les dispositions en vigueur en matière de droits de douane sont applicables. (Eurolex COM/2011/0390 art. 1)
65La traduction proposée en (24b) n’est d’ailleurs pas la seule possible :
b. Sauf [...], les dispositions en vigueur sont appliquées [...].
c. Sauf [...], les dispositions en vigueur s’appliquent en matière de [...].
67L’étiquette si passivante / si passivo ne semble guère heureuse puisque des gloses par le passif sont possibles avec d’autres si. Aussi conviendrait-il de le nommersi medio/moyen lorsqu’il possède les traits définitoires.
5. CONCLUSION
68Tout au long de cette étude, le côté ténu des traits et surtout la complexité de leurs combinatoires – mises en évidence par les manipulations fonctionnelles sur les occurrences – ont fait quelquefois douter du bien-fondé de la distinction catégorielle proposée par les grammaires entre plusieurs si.
69De la difficulté des analyses, il ressort que le statut changeant de si dans les descriptions convainc peu ou risque même, à nos yeux, de troubler le non italophone. En effet, les descriptions le font osciller entre le plan morphologique (marque de diathèse réfléchie) et la syntaxe (rôle de pronom sujet dans la valeur indéfinie ; Brunet (1994a : 123), Maiden & Robustelli (2000 : 121 [9])). Nous proposons d’énoncer les faits de façon unitaire, à partir d’une forme verbale composée d’un clitique et d’un verbe que nous posons comme indissociables : ce sont eux qui indiquent la diathèse et si est relégué au rang de simple indice. À partir du noyau si V, la diathèse est définie par des corrélations fines (La Fauci 2012) entre les éléments, corrélations où, au niveau sémantique, le statut de l’Agent est déterminant :
- correspondance Sujet-Agent dans les formes réfléchies et réciproques, dites aussi pronominales subjectives (V actif) ;
- équivalence Sujet-Objet dans les décausatifs, l’Agent est formellement effacé (V intransitif ou inaccusatif selon les terminologies) ;
- statut objectal de N dans le si-verbe indéfini, révélé par l’impossibilité de la passivation. L’agentivité n’est pas dite explicitement, mais elle n’en est pas pour autant absente : elle est suggérée, inférable d’adverbiaux du co-texte ;
- convergence Sujet ex-Objet (si moyen/medio alias passivante, en fait quantitativement moins fréquent que le si indéfini et les autres si, dans notre corpus). L’Agent est polymorphe : soit, inféré du contexte large, il appartient à l’interlocution et revêt le large panel de références possibles révélées par les équivalences avec le on français « personnel », soit son occultation correspond au se-verbe passif et prescriptif français ou bien il va jusqu’à se réaliser dans des énoncés thétiques.
71Le recours à un double corpus met en évidence des usages liés à certains genres, modulant ainsi une présentation globale trop généralisante de la tournure italienne.
Bibliographie
Références
- BENVENISTE É. (1966 [1950]), « Actif et moyen dans le verbe », Problèmes de linguistique générale, t. 1, Paris : Gallimard, 168-175.
- BRUNET J. (1994a), Grammaire critique de l’italien n. 12 – Un si ou deux, Paris : Université de Vincennes-St. Denis.
- BRUNET J. (1994b), « L’expression de l’impersonnel en français et en Italien », SILTA XXXIII (3), 457-476.
- CORDIN P. (1991), « I pronomi riflessivi », in L. Renzi (ed.), Grande grammatica italiana di consultazione, vol. 1, Bologne : Il Mulino, 593-603.
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- DOUAY C. & ROULLAND D. (éds) (2012), L’interlocution comme paramètre, Rennes : Presses Universitaires de Rennes.
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Corpus
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- SITE DE L’OIT (BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL) : http://www.ilo.org
- SITES DE L’UE : http://europa.eu, http://eur-lex.europa.eu
- VERONESI S. (2005), Caos Calmo, Milan : Bompiani, trad. D. Vittoz (2008), Chaos calme, Paris : Grasset.
Notes
-
[1]
Cette contribution doit beaucoup aux échanges à l’origine de ce volume collectif ; je remercie L. Tronci, N. La Fauci, D. Bottineau et T. Nakamura pour leurs encouragements et suggestions.
-
[2]
Nous préférons un métaterme purement descriptif, faisant nôtre une remarque de Creissels (2007 : 88, note 9).
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[3]
L’histoire des deux langues éclaire en partie cette dissymétrie : l’italien a très tôt abandonné la solution de l’issue indéfinie de homo, les dernières occurrences relevées datant du XVIe siècle (Rohlfs, 1968 : § 516 ; Brunet, 1994a : 11).
-
[4]
L’éventail se veut diversifié : textes techniques, essais, documentaire, romans et bandes dessinées. Pour échapper au style particulier des écrivains, il convenait d’en considérer plusieurs. Les œuvres retenues couvrent grossièrement une génération, de 1963 à 2005 (De Mauro 2007). Les dates des essais s’insèrent de façon complémentaire afin de créer une linéarité même imparfaite. Aucun corpus oral n’étant traduit, la bande dessinée a été retenue parce qu’elle véhicule le dire quotidien avec ses jeux de mots. Les traducteurs sont toujours différents pour multiplier les sensibilités linguistiques : si Pastureau (1998, trad. Magris 1997) optent quasi systématiquement pour on, Vittoz (2008, trad. Veronesi 2005) et Bouzaher (2006, trad. Eco 2003) proposent une grande variété de solutions linguistiques. Les traductions des romans ou des essais privilégient le texte source, les documents européens, supports de travail, le lecteur cible.
-
[5]
Si passivante est peu fréquent dans les textes techniques et sa densité varie avec les romanciers. Les essais y recourent de façon modérée. Les équivalences françaises données traditionnellement à la tournure italienne diffèrent quantitativement. Le on prédomine de façon massive, le passif est rare, de même que l’impersonnelil. D’autre part, le passif est circonscrit presque exclusivement aux textes techniques juridico-administratifs tandis que on prédomine partout ailleurs.
-
[6]
Maiden & Robustelli (2000 : 121) et les auteurs qui ont abordé le sujet : Lepschy & Lepschy (1981), Salvi (2008) et Brunet (1994a : 127-129).
-
[7]
Il convient, bien sûr, d’exclure celles où le verbe vaut pour posséder : si hanno con sé pochissime cose(Magris, 1997 : 20) ; on n’a avec soi que très peu de chose (Magris, par Pastureau, 1998 : 24).
-
[8]
– è come l’India ! – diceva. – Lo sporco che c’era in India non si può immaginare ! (Ginzburg, 1966 : 166). Trad. C’est comme en Inde, disait-il. La saleté qui régnait en Inde, c’est inimaginable ! (Ginzburg, par Causse, 1966 : 196).
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[9]
“Indefinite personal si is treated as the subject, so that the noun remains the object, and the verb agrees with subject si [...].” (Maiden & Robustelli, 2000 : 121)
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[10]
Le titre diffère dans le sommaire de l’ouvrage.