Notes
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[1]
Je voudrais chaleureusement remercier Anne-Marie Houdebine et Claire Michard, véritables pionnières dans le domaine, pour m’avoir aidé à tisser au cours des années les fils d’une histoire fragmentée et marginalisée. Un grand merci aussi à Josiane Boutet qui m’a aidé à reconstituer le climat politique d’émergence du CEDREF à Paris VII dans les années 1970.
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[2]
À Paris VII, dans les années 1980, il y avait aussi le séminaire de Marini et celui de Kassai qui portaient sur les articulations entre femmes, langue et littérature (Houdebine, communication personnelle). Par ailleurs, Paris VII et le CEDREF (Centre d’enseignement, de documentation et de recherches pour les études féministes) joueront un rôle essentiel pour l’essor des études féministes en France grâce à l’apport fondamental de Françoise Basch, Josiane Boutet, Françoise Ducrocq, Dominique Fougeyrollas, Antoinette Fouque, Liliane Kandel, Claude Zaidman. Dans ce cadre, on pourrait signaler trois expériences pluridisciplinaires dans lesquelles Paris VII a été pionnier : le module d’enseignement « Présence des femmes dans le mode contemporain : histoire, statut, représentation, langue, rapport à l’élaboration des connaissances », la création d’un DEA « Sexes et société » et la création de la revue du CEDREF (Josiane Boutet, communication personnelle).
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[3]
Il faut signaler la publication en 2011 d’un ouvrage se situant dans le sillage de l’analyse du discours contrastive sur les guides parentaux en allemand et en français (Münchow 2011).
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[4]
Contrairement à une certaine vulgate anglophone selon laquelle l’ouvrage de Lakoff se situerait dans le paradigme du déficit linguistique, il est important de rappeler que les traits du « parler femme » relevés dans son ouvrage sont moins un signe d’un déficit linguistico-cognitif des femmes que l’effet de la domination masculine : « This book is then an attempt to provide diagnostic evidence from language use for one type of inequity that has been claimed to exist in our society : that between the roles of men and women. I will attempt to discover what language use can tell us about the nature and the extent of any inequity […]. » (Lakoff 2004 [1975] : 39)
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[5]
Birdwhistell, anthropologue linguiste, fondateur de la kinésique, reconnaît en 1970 que le « non verbal » peut jouer un rôle central dans la construction du genre ainsi que dans les attentes sociales liées au genre (1970 : 46).
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[6]
Il est intéressant de remarquer que ce paradigme a trouvé son équivalent dans les travaux sur « langage et sexualité » en dressant les traits d’un « parler gay » depuis les années 1940 jusqu’aux années 1980 (cf. Cameron et Kulick 2006) et en reproduisant dans le champ de la sexualité le même type de vision des catégories et des communautés.
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[7]
Les termes « première vague », « deuxième vague » et « troisième vague » correspondent à une méthode de découpage temporel – certes arbitraire et constamment contestée, remise à jour et néanmoins très utilisée – des mouvements et des théories féministes (Krolokke et Sorensen 2006). Alors que la « première vague » est caractérisée par un ensemble de luttes et par le mouvement des suffragettes, ayant eu lieu aux États-Unis et en Europe entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, qui ont abouti notamment au droit de vote pour les femmes et à l’instauration de l’égalité entre les hommes et les femmes, la deuxième vague, celle qui émerge autour des années 1960 et des années 1970 avec les mouvements de libération de la femme, dénonce le caractère patriarcal et phallocratique de notre société. Ce mouvement qui se battra notamment pour l’obtention du divorce et de l’avortement, sera marqué par une forte inspiration avec les théories marxistes, il revendiquera un statut différentiel entre « hommes » et « femmes » et soulignera le caractère politique de toute affaire privée et notamment du corps. La troisième vague, émergeant à la fin des années 1980 et au début des années 1990, s’est dès le début distinguée par un paradoxe intéressant : tout en interrogeant les catégories de genre et la validité heuristico-politique de l’énoncé « nous les femmes », elle a contribué à leur incessante et incroyable prolifération. Ainsi, au sein de la troisième vague, nous pouvons identifier deux mouvements :
– le premier questionnant l’appareil catégoriel du féminisme blanc, bourgeois, occidental (cf. Dorlin 2008) ;
– le second interrogeant le système dichotomique catégoriel (« homme » vs « femme », « hétéro » vs « homo »), le caractère essentialiste des catégories de genre et leur articulation avec le sexe et la sexualité. -
[8]
Ici, « polyphonique » sera pris au sens de Foucault (1969) et de Butler (2004 : 69) : l’auteur du processus de construction de soi dépasse et précède le locuteur.
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[9]
La proposition de Cameron et Kulick (2003) génère à l’époque une violente polémique avec Bucholtz et Hall nourrie par une série d’articles dans lesquels Cameron et Kulick (2005) d’une part, et Bucholtz et Hall (2004) d’autre part, répondent aux critiques, reprécisent le point de la question et redessinent les frontières du champ d’étude.
1. Le paysage intellectuel francophone [1]
1 Bien que le genre soit depuis quelques années au centre des débats publics, des controverses politiques et commence à pénétrer les espaces académiques dans des domaines aussi divers que l’histoire, la littérature, la sociologie, la philosophie, l’anthropologie, les sciences politiques, le droit, l’économie, la primatologie, la biologie, on peut constater une absence criante des questions ayant trait au genre et à la sexualité en sciences du langage malgré la présence d’études pionnières en la matière ayant marqué le domaine d’une façon durable et importante (Durand 1936, Houdebine 1977, Michard et Ribery 1982, Khaznadar 1988, 2007, Irigaray 1990). Alors que l’on reconnaît dans le langage un espace pour la construction et la déconstruction du genre, des sexualités et des sexes et que des féministes des plus célèbres s’y sont attardées pour en relever les traces de la domination masculine (Beauvoir 1976 [1949] : 13), de la différenciation des sexes (Cixous 2010 [1975]) ou pour en souligner la fonction de « plastie sur le réel » (Wittig 2007 [1992] : 105), il manque ce qui existe depuis quarante ans aux États-Unis, les Gender and Language Studies (les recherches linguistiques sur le genre), c’est-à-dire un courant qui rende compte de l’articulation entre genre, sexualités et langage. Boutet et Mainguenau dans un article publié pour Langage & Société en 2005 s’exprimaient ainsi :
[…] On notera la faible influence de la problématique du « gender » et des « gender studies » dans la sociolinguistique française. Ce domaine théorique n’a pas connu l’impact et le retentissement qu’ils ont eus dans le monde anglo-saxon où, par exemple, il n’y a pratiquement pas de livraison de la revue Language in Society qui ne comporte un article sur le « gender ». En France, la dimension sexuelle et sexuée a plutôt été analysée comme l’un des facteurs de la variation, avec l’âge, la position sociale ou l’origine géographique […] mais plus rarement dans le cadre théorique du « genre ». (2005 : 23)
3 Si les sciences du langage ont du mal à faire du genre et de la sexualité des objets linguistiques en les expulsant dans la sphère de l’« extralinguistique », les études de genre montrent pour leur part un désintérêt pour les questions langagières en considérant les travaux linguistiques trop technicistes et peu capables d’atteindre les grands récits sociologiques, les grandes hypothèses macro sur le fonctionnement de la société et du genre. Malgré cela, les travaux linguistiques sur le genre ne manquent pas. Les chercheur-e-s entretiennent depuis longtemps un dialogue serré avec les sociologues, les politistes et les historien-ne-s, et les analyses jonglent dans la plupart des cas entre analyses micro et perspectives macro en travaillant souvent aux marges de l’académie ou dans des situations frontalières marquées par l’interdisciplinarité voire la transdisciplinarité.
4 C’est d’abord grâce à la présence dispersée d’un ensemble de travaux sur le sexage des femmes dans la langue, la féminisation des noms de métiers et des titres de fonctions et sur la variation sociolinguistique que les recherches linguistiques sur le genre émergent dans l’espace francophone. Dans les années 1980 et 1990 en France, deux thèses importantes sont soutenues en sciences du langage : la première en 1980 par Michard et Ribery à l’université de Paris VII et la seconde en 1990 par Khaznadar à l’université de Toulouse. Si les travaux de Michard (2008 [1982] ; 2002) sur l’agentivité des femmes dans les textes anthropologiques des hommes déclinant les théories féministes matérialistes et linguistiques de l’énonciation peuvent être considérés pionniers en la matière, ils seront cependant complètement marginalisés dans l’espace académique. Dans les années 1980, il faut signaler également la publication d’un recueil de textes édité par Aebisher et Forel (1983), Parlers masculins, parlers féminins ?, avec la proposition d’un nouveau champ de recherche articulant sexe, langage et langue et d’une démarche féministe linguistique. Des travaux sur la féminisation, les stéréotypes linguistiques et les stratégies conversationnelles nourrissent le volume.
5 D’une façon presque parallèle, mais au sein d’un tout autre cadre théorique, on pourra signaler l’émergence des recherches à visée comparative d’Irigaray (1987a, 1987b, 1990), psychanalyste et linguiste, sur la différence des sexes dans les langues naturelles ; elles n’ont guère influencé les recherches en sociolinguistique et l’insistance sur la nécessité de la différence sexuelle pour le maintien de notre espèce (Irigaray 1987a : 5 ; 1987b : 81) est très problématique.
6 Dans le domaine de la sociolinguistique et de l’ethnolinguistique, deux initiatives importantes méritent d’être relevées. La première concerne un séminaire qui s’est tenu à Paris VII dans les années 1980 (Fernandez 1998b : 15), « Langage des femmes et discours amoureux », dont les travaux donneront lieu à un colloque en 1988 à Paris III et à une publication en 1990 (Kassai 1990) [2]. La deuxième concerne l’ethnolinguistique et se situe dans le cadre d’un projet du laboratoire CNRS LACITO (Laboratoire des cultures et des langues à tradition orale), « La femme, image et langage, de la tradition orale à la parole quotidienne », porté par Fernandez en 1992 et se fixant deux objectifs (Fernandez 1998b : 13) :
- la description et l’analyse comparatives de matériaux recueillis auprès des conteurs ou de locuteurs femmes et hommes, un éclairage croisé du rôle de la femme dans plusieurs rituels européens (croyance populaire et tradition orale).
- L’évaluation du statut de la femme dans la société, tel qu’il est réfléchi par l’emploi oral de la langue.
8 Dans le volume publié en 1998 (Fernandez 1998a) et préfacé par Yaguello sont réunies plusieurs contributions se focalisant sur l’image de la femme dans plusieurs cultures (méditerranéennes, baltiques, balkaniques et atlantiques) ; et un état de l’art approfondi critique des Gender and Language Studies clôture le volume (Mondada 1998).
9 Il faudra attendre des figures plus institutionnelles comme Houdebine, professeure à Paris Descartes, membre de la Commission gouvernementale Groult (1984-1986) pour que le genre ait droit de cité dans les sciences du langage avec les travaux et les actions politiques sur la féminisation des noms de métier (Houdebine 1998, 2003). Une mise à jour intéressante est proposée aujourd’hui par Dister et Moreau (2009) pour l’espace francophone et par Elmiger (2008) pour une perspective contrastive français/allemand. C’est d’ailleurs grâce à Houdebine que la linguistique sera représentée à l’Institut Émilie de Châtelet créé en 2006 pour le rayonnement et le développement des études de genre en France, à côté de la sociologie, de l’anthropologie, de l’histoire et de la philosophie. L’ouvrage de Yaguello (1978) censé introduire les recherches linguistiques sur le genre en France, les recherches de Baider (2004) en lexicologie et sémantique historique, ou les travaux de Beeching (2002) sur la variation du genre dans la langue et les marques de politesse dans le discours, ou encore ceux de Moïse (2002) sur la violence verbale contribueront à poser les pièces d’un ensemble de travaux qui ne connaîtra jamais ni une véritable reconnaissance ni une institutionnalisation scientifiques. Et ce, malgré l’assise institutionnelle de Houdebine et les échanges avec des pays comme le Canada où les travaux de Labrie et de son équipe (Labrie 2002) sur les relations entre code switching, migration et sexualité ont profité d’un accueil impensable pour l’université française d’il y a vingt ou dix ans.
10 C’est plus précisément au cours de ces dernières années, en profitant d’une médiatisation importante des études de genre en France, des traductions d’ouvrages marquants comme Troubles dans le genre de Butler en 2005 et d’une quantité de plus en plus importante de thèses soutenues sur le genre et les sexualités en sciences politiques, en histoire, en sociologie et en anthropologie que trois recueils sur langage, genre et sexualité verront enfin le jour entre 2011 et 2012 : Langage, genre et sexualité (édité par Duchêne et Moïse en 2011), La face cachée du genre. Langage et pouvoir des normes (édité par Chetcuti et Greco en 2012 avec une postface de Butler) et Intersexion. Langues romanes, langue et genre (édité par Baider et Elmiger en 2012) [3].
11 C’est aussi à la même période que deux réseaux de recherche sont constitués avec l’objectif d’offrir un espace de recherche pour toutes celles et tous ceux qui travaillent sur les relations entre genre, langage et sexualité : le premier à l’initiative de Candea et de moi-même à Paris III en 2009 (le Réseau Genre et Langage, cf. http://www.univ-paris3.fr/reseau-genre-et-langage-156880.kjsp), transformé en 2013 en association (Genres, sexualité, langage : http://gsl.hypotheses.org/) ; et le second constitué en 2011 (le Glam, cf. http://langage-et-genre.kune.fr/) par Abbou et Coady, jeunes chercheures de l’université d’Aix-en-Provence et de l’université de Sheffield. C’est encore dans cette mouvance qu’une thèse sur les procédés de transgression de genre à l’écrit sera soutenue en 2011 à l’université d’Aix-en-Provence (Abbou 2011) et qu’un numéro spécial de Langues et Cités (publication de la Délégation générale de la langue française et aux langues de France) sera consacré aux questions de genre et langage, avec les interventions de Abbou, Arrivé, Dister et Moreau, Elmiger, Gadelii et Hylen et Greco.
2. L’émergence du domaine dans l’espace anglophone
12 Le domaine que ce dossier a l’ambition d’ouvrir et de consolider dans l’espace francophone naît aux États-Unis, à l’université de Berkeley en 1973, date à laquelle la féministe et linguiste Lakoff publie un article pour Language in Society qui rencontrera tout de suite un accueil très important, typique des textes qui marqueront une discipline et la naissance d’un nouveau champ de recherche. Deux ans après, elle publiera le livre Language and Woman’s Place dans lequel elle présentera les traits caractéristiques du « langage des femmes » à partir du point de vue d’une féministe qui voit dans ce parler une marque du patriarcat et le signe de la domination masculine [4]. Enfin, vingt-neuf ans après la publication de l’ouvrage, une nouvelle édition sera publiée avec un retour réflexif de l’auteure sur son propre travail, ainsi que sur sa réception dans la communauté scientifique avec notamment les commentaires des membres les plus influents des recherches linguistiques sur le genre. Ce courant a été caractérisé par la présence d’au moins trois paradigmes : la domination, la différence et la performance.
13 Bien que chaque paradigme propose une vision de la langue et du genre qui lui est propre et que je détaillerai plus loin, ils s’opposent tous, par leur ancrage féministe, à la perspective du déficit linguistique telle qu’elle émerge dans les propos sexistes du linguiste Jespersen (1922 : 212-213) :
The vocabulary of a woman […] is much less extensive than that of a man. Woman move preferably in the central field of language, avoiding everything that is out of the way or bizarre, while men will often eigher coin new words or expressions […] Those who want to learn a foreign language will therefore always do well at the first stage to read many ladies’ novels, because they will there continually meet with just those everyday words and combinations which the foreigner is above all in need of, what may be termed the indispensable small change of a language.
15 et telle qu’elle est véhiculée par Labov (1972) et Trudgill (1972) selon lesquels les formes standard seraient utilisées surtout par les femmes alors que les hommes s’orienteraient plutôt vers des formes déviantes (et créatives). Cette hypothèse a permis d’appréhender les formes utilisées par les hommes comme relevant de la créativité linguistique alors que les femmes seraient plutôt du côté de la norme et proches d’une attitude conservatrice vis-à-vis de la norme (cf. Greco 2012 pour une analyse plus approfondie de la question).
16 Malgré les différences théoriques, la nature des données analysées et la diversité des questions et des objets posés par les trois paradigmes, on peut remarquer que tous sont traversés par la question de l’articulation entre genre et langage que les chercheur-e-s déclinent de deux façons différentes. D’une part, le genre et les rapports sociaux de sexe portent leurs marques sur les formes linguistiques, les formats discursifs et interactionnels ; et d’autre part, c’est plutôt le langage qui est investi d’un pouvoir de création, de contestation, de reproduction sur le genre, la binarité et les relations de pouvoir. Je vais maintenant présenter chaque paradigme en exposant les enjeux théoriques, méthodologiques et analytiques propres à chacun.
2.1. Le paradigme de la domination
17 Le point de départ de Lakoff (2004 [1975]) se situe au niveau d’un triple constat : il y a une inégalité des rôles et des places occupés par les hommes et les femmes dans la société, cette différence est hiérarchique, et la domination exercée par les hommes sur les femmes se reflète dans le langage tel qu’il est parlé par les femmes et tel qu’on l’utilise pour parler des femmes. C’est dans ce cadre et au sein de la méthode de l’introspection et de ses compétences de native speaker que Lakoff, formée aux enseignements de la sémantique générative, dressera une liste des traits typiques du « parler femme » (« talking like a lady » ; cf. Lakoff 2004 [1975] : 43) censés rendre compte de la place de cette dernière dans la société.
18 Ainsi, plusieurs traits seront relevés : un lexique spécialisé dans les couleurs et les émotions, des adjectifs dits « vides » (cute, divine…) ; l’utilisation d’une intonation interrogative posée à la fin d’une assertion, les stratégies d’atténuation d’une déclaration (Well, I don’t know…) ; la présence d’intensificateurs (I like so much) et de hedges (sort of) dans les structures utilisées par les femmes ; des questions posées en fin d’énoncé (les tag questions « lovely day today, isn’t it ? ») ; une présence importante de marques de politesse dans la conversation, l’absence d’humour ; la présence de l’hypercorrection, etc.
19 En même temps que sort l’ouvrage de Lakoff, l’anthropologue Ritchie Key publie Male/Female Language, qui sera une des contributions les plus importantes à l’étude des différences sexuées dans le langage, aussi bien au niveau linguistique (morphologie, lexique, syntaxe, pragmatique) que « non linguistique » (non verbal behaviour, Key 1975 : 105) [5]. Néanmoins, il faut avouer que les recherches de Ritchie Key ne connaîtront jamais une véritable retombée dans les recherches linguistiques sur le genre, ni au sein du paradigme de la domination, comme cela a été le cas pour Lakoff, ni dans le cadre du paradigme de la différence qui sera alimenté surtout par des travaux portant sur les interactions.
20 Le paradigme de la domination sera nourri par d’autres recherches, notamment par celles de Spender (1980) et de Kramarae et Treichler (1985), avançant l’idée que le langage porte les marques de la domination masculine et qu’il faut créer une autre langue et un autre vocabulaire par et dans lesquels les femmes peuvent sortir du silence et réécrire leur histoire (her story).
21 Quatre idées ou problèmes émergent de ces recherches :
- une vision référentielle des rapports entre langue et monde, selon laquelle la langue renvoie au réel et configure une vision du monde. De ce fait, pour intervenir sur le monde et les relations de pouvoir entre les hommes et les femmes, il faut intervenir au niveau de la langue ;
- une perspective essentialiste des genres, des sexes et des langues véhiculée par cette perspective ;
- un regard monofonctionnel sur les traits et les marques linguistiques ;
- et enfin, l’usage de données linguistiques non naturelles ou alors tirées de corpus écrits.
23 Au cours des années 1960 et 1970, sous l’influence de l’ethnographie de la communication et de l’analyse conversationnelle, on peut remarquer l’avènement d’une deuxième vague au sein de ce paradigme avec un intérêt croissant pour les conversations informelles, en famille, entre amis, et entre « hommes » et « femmes ».
24 Ainsi, les conversations sont perçues comme une excellente entrée en matière pour étudier la façon dont la domination est exercée par les hommes sur les femmes. Plusieurs phénomènes discursifs seront privilégiés : une description détaillée des interruptions dans la conversation et de la façon dont les questions et les réponses sont formulées et se succèdent, l’étude des modalités de démarrage et de développement d’un topic ; ou encore l’analyse des tag questions dans plusieurs contextes. C’est grâce notamment à ce genre de travaux que l’on découvre par exemple que les hommes interrompent plus souvent que les femmes (West et Zimmerman 1975 : 105, 116), que les hommes ont la tendance à répondre tardivement, ou pas du tout, ou « à côté » aux questions posées par les femmes (De Francisco 1991 : 179), et que les femmes ont du mal à maintenir un topic dans la conversation lorsqu’il est initié par elles (Fishman 1978 : 403).
25 D’autres travaux constituant une troisième vague de ce paradigme questionneront enfin l’approche de Lakoff en empruntant deux chemins différents. Un premier ensemble de recherches porte sur l’usage des tag questions dans l’interaction et permet de souligner trois caractéristiques nouvelles de ces ressources linguistiques : leur plurifonctionnalité (referential, affective facilitative, affective softening, cf. Holmes 1984 : 54) ; l’indexicalisation d’une identité de powerless participants (O’ Barr et Atkins 1980) dépassant et incluant celle de « femmes » ; et l’exercice d’une sorte de contrôle sur l’activité de son interlocuteur (Cameron, McAlinden et O’Leary 1989 : 75).
26 Un deuxième ensemble de travaux montrera comment le patriarcat et la domination des hommes sur les femmes seraient l’effet de la mise en place de configurations participationnelles instaurées par les femmes lors des repas en famille. Ainsi, en invitant par exemple l’enfant à produire des narrations adressées à son père (« You wanna tell Daddy what happened to you today ? », les mères se positionnent dans un rôle d’auditoire (vs destinataire principal) et véhiculent de ce fait une « father knows best dynamics » (cf. Ochs et Taylor 1995 : 103).
2.2. Le paradigme de la différence
27 Avec l’essor des travaux sur les cross-sex conversations, et dans la lignée des travaux de Deborah Tannen (1990), on voit émerger toute une littérature sur les styles interactionnels genrés (genderlects), transmis dès l’enfance lors des procédés de socialisation langagière différenciés (Two cultures model ; Maltz et Borker 1982 rééd. 1998 : 420). Un nouvel espace pour le paradigme de la différence est ainsi ouvert au sein des recherches linguistiques sur le genre. En prenant appui sur des recherches et des données de Fishman et en s’inspirant des travaux de Gumperz sur la communication interethnique, Maltz et Borker (1982 : 196) avanceront l’hypothèse suivante :
The general approach recently developed for the study of difficulties in cross-ethnic communication can be applied to cross-sex communication as well. We prefer to think of the difficulties in both cross-sex and cross-ethnic communication as two examples of the same larger phenomenon : cultural difference and miscommunication.
29 Dans ce cadre, les hommes et les femmes ayant participé dès leur enfance à des processus de socialisation différents et différenciés n’interpréteraient pas de la même façon les ressources linguistiques dans l’interaction et seraient destiné-e-s à un éternel malentendu dans la conversation. En effet, ce cadre a connu un véritable succès qui s’est étendu bien au-delà de la communauté scientifique des sociolinguistes comme le montre le succès fracassant du best-seller de Gray (1992) Men are from Mars, Women from Venus (Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Venus), qui a largement contribué à véhiculer une image des sexes et des genres calquée sur le modèle de la différence et du nécessaire malentendu. C’est en effet Tannen (1990) qui par ses travaux a amplement contribué à l’installation de ce paradigme au sein des recherches linguistiques sur le genre en soulignant une différenciation dans les styles interactionnels des hommes et des femmes, comme le montre ce passage tiré de son ouvrage :
For males, conversation is the way you negotiate your status in the group and keep people from pushing you around ; you use talk to preserve your independence. Females, on the other hand, use conversation to negotiate closeness and intimacy ; talk is the essence of intimacy, so being best friends means sitting and talking. For boys, activities, doing things together, are central. Just sitting and talking is not an essential part of friendship. They’re friends with the boys they do things with. (1990 : 95) [6]
31 Ces travaux ont fait l’objet de nombreuses critiques soulignant le caractère stéréotypique et réifiant des catégories (Cameron 2007, Bailly 2008) et montrant comment les acteurs peuvent s’approprier ces styles interactionnels pour instituer des relations d’asymétrie entre gamins jouant aux papas, aux mamans ou aux maîtresses d’école (Goodwin 1990 : 170) ou pour accomplir d’autres identités que celles attribuées par leur sexe anatomique (Hall 1995).
32 D’autres chercheur-e-s ont montré comment la mise en relation entre une pratique langagière et un genre est médiatisée par un certain nombre de normes et de postures idéologiques (Ochs 1992), associant respectivement, par exemple, l’autorité et la vulnérabilité à la masculinité et à la féminité à propos de la dimension genrée des pratiques de littératie (Besnier 1995 : 579-580).
33 Ces critiques questionnent la dimension essentialiste et binaire des catégories, le mode de mise en relation entre catégories et pratiques langagières et le concept même de communauté repensé à l’aune des pratiques vs des identités (community of practices ; cf. Eckert et McConnel-Ginet 1992 : 464). C’est dans ce contexte que le paradigme de la performance peut ouvrir un espace au sein des recherches linguistiques sur le genre.
2.3. Le paradigme de la performance
34 Le paradigme de la performance est très influencé d’une part, par le féminisme de la troisième vague [7] de Butler (1990), De Lauretis (1991) et Kosofsky Sedgwick (1990) dont les travaux ont radicalement questionné la dimension essentialiste et binaire des catégories, et, d’autre part, par un ensemble de recherches issues du post-structuralisme et du postmodernisme ayant mis le langage au centre des processus de construction du social. C’est dans cette lignée que les travaux d’Austin, Foucault, Derrida et Lacan sont évoqués, aussi bien pour argumenter la dimension irréductiblement discursive du réel que pour appréhender les identités des participant-e-s comme étant le résultat de pratiques langagières polyphoniques [8]. Avec ce paradigme, on assiste à un changement considérable par rapport aux paradigmes précédents pour au moins trois raisons.
35 Premièrement, la domination masculine et l’hétéronormativité seront considérées moins comme des primitifs sémantiques censés rendre compte des pratiques des acteurs que comme l’effet des pratiques discursives (Kitzinger 2005).
36 Deuxièmement, la différence des genres laisse la place à leur diversité, voire leur prolifération se déclinant avec la classe, l’âge ou la race (les exemples de la drag queen afro-américaine cf. Barret 1999, ou de la jeune fille latina aux allures masculines cf. Mendoza-Denton 2008), les normes (Greco 2012), le corps (Goodwin 2006) et les pratiques de travestissement (Kulick 1998, Greco 2012), la globalisation (Besnier 2007, Provencher 2007), la parentalité (Galatolo et Greco 2012, Greco 2011) et la prise en compte de la masculinité ou de l’hétérosexualité considérées jusque-là comme un allant de soi (Cameron 1997, dans ce volume).
37 Troisièmement, la prise en compte de la sexualité par Cameron et Kulick (2003), objet jusque-là ignoré dans le champ, permet de questionner le concept d’identité au profit de celui du désir et de prendre en compte l’inconscient et le fantasme, et de sortir de ce fait des impasses théoriques découlant d’une conception intentionnelle du langage et de l’identité (ibid. : 126-131) [9].
38 C’est enfin dans cette diversité d’approches et d’objets que des perspectives nouvelles telles que la lavender linguistics (Leap 1995), lasociocultural linguistics (Bucholtz et Hall 2005), la language and sexuality research (Cameron et Kulick 2003), la queer linguistics (Livia et Hall 1997, Motschenbacher 2010, Greco 2013), la feminist conversation analysis (Kitzinger 2000) et enfin la feminist post-structuralist discourse analysis (Baxter 2003), feront leur entrée dans le champ en contribuant à nourrir la réflexion autour de l’articulation entre genre, langage et sexualité et à rendre ce domaine extrêmement polyphonique.
3. Quelques questions en guise de conclusion
39 Au vu de ce panorama sur les recherches linguistiques sur le genre dont j’ai dressé une sorte de généalogie et de cartographie en passant aussi bien par les paradigmes qui l’ont caractérisé que par la façon dont il a émergé dans l’espace francophone et anglophone, on peut aujourd’hui interroger un certain nombre de présupposés qui ont acquis une certaine stabilité dans la littérature. Qu’en est-il aujourd’hui des paradigmes du déficit, de la domination, de la différence et de la performance ? Est-ce que l’histoire relativement jeune et fragmentée de ce domaine dans l’espace francophone a parcouru les mêmes étapes et connu les mêmes débats qui ont fait l’histoire de ce courant aux États-Unis ? Quelles sont aujourd’hui les questions posées par les chercheur-e-s ? Et encore, de quelle façon les recherches à venir sauront tenir compte d’une évolution des théories féministes, des paradigmes et de l’apport des approches critiques ?
40 Si le recul est nécessaire pour commencer à répondre à ces questions, ce qui est sûr c’est que l’arrivée tardive mais fracassante du genre dans l’espace francophone ne laisse plus indifférentes les disciplines, y compris les sciences du langage. Si la parole a été un outil extrêmement puissant pour libérer les corps et les subjectivités dans les années 1960 et 1970 grâce au caractère subversif et thérapeutique des pratiques de coming out et d’auto-conscience féministe, ce que l’on peut souhaiter aujourd’hui aux sciences du langage c’est de sortir du placard le genre, les sexualités et les corps en en faisant enfin des objets linguistiques. C’est entre autre par l’accueil de ces thématiques que les sciences du langage sauront intégrer les nouveaux défis posés par la société contemporaine et devenir enfin une science sociale à part entière, voire même, comme le rappelait Bourdieu pour la sociologie, un « sport de combat ».
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Mots-clés éditeurs : domination, déficit, histoire, performance, recherches linguistiques sur le genre, paradigmes
Date de mise en ligne : 11/06/2014
https://doi.org/10.3917/ls.148.0011Notes
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[1]
Je voudrais chaleureusement remercier Anne-Marie Houdebine et Claire Michard, véritables pionnières dans le domaine, pour m’avoir aidé à tisser au cours des années les fils d’une histoire fragmentée et marginalisée. Un grand merci aussi à Josiane Boutet qui m’a aidé à reconstituer le climat politique d’émergence du CEDREF à Paris VII dans les années 1970.
-
[2]
À Paris VII, dans les années 1980, il y avait aussi le séminaire de Marini et celui de Kassai qui portaient sur les articulations entre femmes, langue et littérature (Houdebine, communication personnelle). Par ailleurs, Paris VII et le CEDREF (Centre d’enseignement, de documentation et de recherches pour les études féministes) joueront un rôle essentiel pour l’essor des études féministes en France grâce à l’apport fondamental de Françoise Basch, Josiane Boutet, Françoise Ducrocq, Dominique Fougeyrollas, Antoinette Fouque, Liliane Kandel, Claude Zaidman. Dans ce cadre, on pourrait signaler trois expériences pluridisciplinaires dans lesquelles Paris VII a été pionnier : le module d’enseignement « Présence des femmes dans le mode contemporain : histoire, statut, représentation, langue, rapport à l’élaboration des connaissances », la création d’un DEA « Sexes et société » et la création de la revue du CEDREF (Josiane Boutet, communication personnelle).
-
[3]
Il faut signaler la publication en 2011 d’un ouvrage se situant dans le sillage de l’analyse du discours contrastive sur les guides parentaux en allemand et en français (Münchow 2011).
-
[4]
Contrairement à une certaine vulgate anglophone selon laquelle l’ouvrage de Lakoff se situerait dans le paradigme du déficit linguistique, il est important de rappeler que les traits du « parler femme » relevés dans son ouvrage sont moins un signe d’un déficit linguistico-cognitif des femmes que l’effet de la domination masculine : « This book is then an attempt to provide diagnostic evidence from language use for one type of inequity that has been claimed to exist in our society : that between the roles of men and women. I will attempt to discover what language use can tell us about the nature and the extent of any inequity […]. » (Lakoff 2004 [1975] : 39)
-
[5]
Birdwhistell, anthropologue linguiste, fondateur de la kinésique, reconnaît en 1970 que le « non verbal » peut jouer un rôle central dans la construction du genre ainsi que dans les attentes sociales liées au genre (1970 : 46).
-
[6]
Il est intéressant de remarquer que ce paradigme a trouvé son équivalent dans les travaux sur « langage et sexualité » en dressant les traits d’un « parler gay » depuis les années 1940 jusqu’aux années 1980 (cf. Cameron et Kulick 2006) et en reproduisant dans le champ de la sexualité le même type de vision des catégories et des communautés.
-
[7]
Les termes « première vague », « deuxième vague » et « troisième vague » correspondent à une méthode de découpage temporel – certes arbitraire et constamment contestée, remise à jour et néanmoins très utilisée – des mouvements et des théories féministes (Krolokke et Sorensen 2006). Alors que la « première vague » est caractérisée par un ensemble de luttes et par le mouvement des suffragettes, ayant eu lieu aux États-Unis et en Europe entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, qui ont abouti notamment au droit de vote pour les femmes et à l’instauration de l’égalité entre les hommes et les femmes, la deuxième vague, celle qui émerge autour des années 1960 et des années 1970 avec les mouvements de libération de la femme, dénonce le caractère patriarcal et phallocratique de notre société. Ce mouvement qui se battra notamment pour l’obtention du divorce et de l’avortement, sera marqué par une forte inspiration avec les théories marxistes, il revendiquera un statut différentiel entre « hommes » et « femmes » et soulignera le caractère politique de toute affaire privée et notamment du corps. La troisième vague, émergeant à la fin des années 1980 et au début des années 1990, s’est dès le début distinguée par un paradoxe intéressant : tout en interrogeant les catégories de genre et la validité heuristico-politique de l’énoncé « nous les femmes », elle a contribué à leur incessante et incroyable prolifération. Ainsi, au sein de la troisième vague, nous pouvons identifier deux mouvements :
– le premier questionnant l’appareil catégoriel du féminisme blanc, bourgeois, occidental (cf. Dorlin 2008) ;
– le second interrogeant le système dichotomique catégoriel (« homme » vs « femme », « hétéro » vs « homo »), le caractère essentialiste des catégories de genre et leur articulation avec le sexe et la sexualité. -
[8]
Ici, « polyphonique » sera pris au sens de Foucault (1969) et de Butler (2004 : 69) : l’auteur du processus de construction de soi dépasse et précède le locuteur.
-
[9]
La proposition de Cameron et Kulick (2003) génère à l’époque une violente polémique avec Bucholtz et Hall nourrie par une série d’articles dans lesquels Cameron et Kulick (2005) d’une part, et Bucholtz et Hall (2004) d’autre part, répondent aux critiques, reprécisent le point de la question et redessinent les frontières du champ d’étude.