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Article de revue

La formule “développement durable” : un opérateur de neutralisation de la conflictualité

Pages 5 à 29

Notes

  • [1]
    Le lecteur pourra avoir un aperçu de la variété des modélisations du développement durable en visualisant les résultats de la requête « schéma du développement durable » dans la fonction image d’un moteur de recherche.
  • [2]
    « RSE » est principalement interprété comme étant le sigle de « responsabilité sociale (ou sociétale) des entreprises » ou de « responsabilité sociale de l’entreprise », mais il est fréquemment développé également par « responsabilité sociale et environnementale (de l’/des entreprise(s)) », ce qui accroît le cousinage entre « RSE » et « développement durable ».
  • [3]
    Sur cette question, qui implique la notion d’« interprétant raisonnable », voir Krieg-Planque 2006 : 36-38.
  • [4]
    Pour traduire l’expression anglaise « sustainable development », les langues de l’Union européenne ont favorisé « soutenable » : « sviluppo sostenibile » (italien), « desarrollo sostenible » (espagnol), « desenvolvimiento sustentàvel » (portugais)… Sur les questions de traduction et de définition de « développement durable », voir aussi Vivien 2007. Sur la traduction de la formule en rapport avec ses trois « piliers », voir Jeanneret à paraître.
  • [5]
    EDF - Délégation à l’éthique et à la déontologie, CA du 25 mai 2005, document de travail, « Valeurs du Groupe EDF », pp. 97-98. Dans leur analyse des rapports annuels sur le développement durable de la société Hydro Québec, Marie-Andrée Caron et Marie-Françoise Turcotte observent des phénomènes similaires (2006 : 163).
  • [6]
    Sur cette question voir Krieg-Planque 2009b.
  • [7]
    Sur cette dénomination voir Barbet 2010
  • [8]
    Voir Krieg-Planque 2003 : 105-133.
  • [9]
    Sur ce texte voir Vignes 1994.
  • [10]
    Sur ce point voir notre analyse de l’énoncé « Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas » dans Krieg-Planque 2010.
  • [11]
    En anglais : « People. Planet. Profit. » (« Triple Bottom Line »).
  • [12]
    Pour un panorama général de la concessive en français, on se reportera principalement à Morel 1996. La place nous manque ici pour analyser les spécificités des concessives associées au développement durable, où s’exprime une forme de continuité plutôt que de rupture.
  • [13]
    La version anglaise est ainsi formulée : « … development that meets the needs of the present without compromising the ability of future generations to meet their own needs ». Report Our Common Future, ONU, World Commission on Environment and Development (WCED), 1987. Pour le présent article, nous retenons uniquement les énoncés de langue française. Mais, comme nous y avons insisté plus haut, la formation et la circulation des formules dans les discours institutionnels sont étroitement liées au colinguisme.
  • [14]
    Sur les particularités sémantiques et argumentatives apportées par « développement », y compris en rapport avec l’adjectif « durable », voir Dufour 2010.
  • [15]
    * Cf. Le Monde diplomatique, mai 2001. Pour Serge Latouche, « le mythe du "développement" aboutissant le plus souvent dans les pays du tiers-monde à une régression de fait, vouloir le rendre durable est une insigne contradiction. Parler de développement, dès lors, c’est prôner une progression… régressive ! »
  • [16]
    Ce rapport d’études a été édité pour la première fois en 2006, sous l’égide du BVP (Bureau de Vérification de la Publicité). Après une seconde édition en 2007, le rapport a été renouvelé en 2009, cette fois sous l’égide conjointe de l’ARPP et de l’ADEME.
  • [17]
    Co-édité par l’ARPP et l’ADEME, ce guide s’inscrit dans le prolongement du Guide de l’éco-communication. Pour une communication plus responsable édité par l’ADEME en 2007.

1. “Développement durable” : une formule

1.1. Analyse du discours et approches formulaires

1 Depuis le milieu des années 1990, le développement durable a suscité un foisonnement de publications. Provenant d’horizons disciplinaires variés, et intervenant à différents niveaux de spécialisation et de normativité, ces travaux mettent l’accent, selon les cas, par exemple : sur l’histoire de la notion (Zaccaï 2002), sur ses usages politiques (Brunel 2008), sur les approches économiques de l’objet (Bürgenmeier 2005), sur le recours au développement durable dans les stratégies de communication des entreprises et des marques (Tixier dir. 2005), sur les modélisations et pratiques du développement durable en management ou en gestion (Capron et Quairel-Lanoizelée 2004 ; Reynaud et alii 2006), ou encore sur la sociologie de l’engagement militant auquel donne lieu le développement durable ou des questions liées (environnementalisme, consommation engagée, anticonsumérisme, altermondialisme…) (Fillieule, Agrikoliansky, Meyer 2004 ; Ollitrault 2008). À ces études, il convient d’ajouter celles qui examinent les idées et les courants de l’écologie politique, soit depuis une posture de philosophe, de sociologue ou de politiste (Sainteny 2000), soit depuis un positionnement qui combine ceux de l’analyste et de l’acteur (Yves Cochet, Alain Lipietz, Serge Latouche…).

2 Ici comme sur d’autres sujets, une approche discursive des faits sociaux propose un éclairage particulier. À propos du développement durable comme ailleurs, l’analyse du discours n’a pas pour finalité de commenter les recherches menées en sciences humaines et sociales (encore moins de les « illustrer », de les « vérifier » ou de les « dépasser »), mais bien plutôt de prendre le discours lui-même pour objet, en le questionnant selon des concepts et des catégories spécifiques. Le fait d’appréhender les discours relatifs au développement durable sous l’angle formulaire, comme nous le proposons ici, relève de ce type de démarche propre à l’analyse du discours. La notion de « formule » a fait l’objet de publications auxquelles nous renvoyons, nous contentant de rappeler que nous entendons par là « un ensemble de formulations qui, du fait de leurs emplois à un moment donné et dans un espace public donné, cristallisent des enjeux politiques et sociaux que ces formulations contribuent dans le même temps à construire » (Krieg-Planque 2009a : 7). En envisageant “développement durable” comme une formule, nous poursuivons un projet qui vise à saisir les discours politiques, médiatiques et institutionnels à travers les différentes formes de figements que ces discours modèlent et font circuler : il s’agit de « transgresser les frontières posées par les discours et par leurs producteurs pour rendre visibles des faits de reprise, de reformulation, de régularité, de circulation, de dispersion et d’écho » (Krieg-Planque 2007 : 58).

1.2. Un référent social : le succès de l’expression

3 Une formule se caractérise notamment par le fait qu’elle est devenue un référent social : elle signifie quelque chose pour tous. Dans le cas de “développement durable”, nombreux sont les indices de circulation du terme qui manifestent son succès. Le syntagme “développement durable” est en usage dans les secteurs les plus divers : transports, distribution, énergie, construction, architecture et urbanisme, tourisme, éducation, agriculture, pêche, textile… Dans ses mises en discours, il croise aisément des thématiques trans-sectorielles politiquement encouragées, telles que la ville, la mobilité, les territoires, les technologies numériques, ou encore la participation. Celui qui voudrait décrire avec précision la dissémination de “développement durable” ne manquerait donc ni de terrains ni de corpus.

4 Dans le domaine de l’action publique, l’apparition du syntagme “développement durable” dans le nom d’un portefeuille ministériel est bien entendu particulièrement remarquable. En France, la création en mai 2002 d’un secrétariat d’État au Développement durable et d’un ministère de l’Écologie et du développement durable (faisant suite à ce qui était précédemment un ministère de l’Aménagement du territoire et de l’environnement) atteste la prise en charge par les politiques publiques de ce à quoi la formule “développement durable” renvoie comme construit dans l’ordre des représentations. L’apparition d’un programme Écologie et développement durable dès la mise en place de la LOLF promulguée en 2001, ou encore le lancement d’une Semaine du développement durable en 2003, témoignent d’une mise à l’agenda de ce que la formule est supposée désigner, dans le cadre plus large de la montée en puissance des problématiques sanitaires et environnementales. Dans les organigrammes des entreprises, tout au long des années 2000, l’adjonction de “développement durable” aux dénominations de fonctions dirigeantes rend visible l’importance que l’organisation accorde à celui-ci, à la charnière du stratégique et du communicationnel (Direction de la communication et du développement durable, Direction du développement durable et des affaires publiques, Direction de la stratégie et du développement durable…). Complémentairement à son acception fortement conceptuelle, le développement durable apparaît à différents égards comme un fait objectivable, quantifiable, mesurable, cartographiable, qui devient ainsi disponible pour un « gouvernement par les nombres ». C’est ce que suggère, par exemple, la parution initiale en 2002 d’un Atlas mondial du développement durable (Éditions Autrement), ou encore, à un autre niveau, les indicateurs de développement durable dont la mise en place s’est accélérée avec la loi relative aux nouvelles régulations économiques (NRE) de 2001. Cette loi, à son tour, participe à la prolifération du terme, en renforçant la professionnalisation de métiers liés au conseil stratégique en développement durable, à la rédaction de rapports annuels sur le développement durable, et à la certification de comptes de développement durable et de responsabilité sociale des entreprises. D’autres phénomènes encore attestent le caractère envahissant de “développement durable” dans l’espace public à partir du milieu des années 1990 : augmentation de la fréquence du syntagme dans des corpus médiatiques, création de formations dédiées dans l’enseignement supérieur, lancement de titres de presse incluant une variante de la formule…

5 L’emploi de la formule est le fait de locuteurs hétérogènes et parfois antagonistes. De plus, “développement durable” apparaît dans des genres et des types de supports extrêmement variés. Ceci rappelle que les formules sont des objets transgénériques, relevant de ce que Dominique Maingueneau (2005) appelle des « unités non-topiques ». Si la formule circule, c’est parce qu’elle porte en elle des enjeux multiples, éventuellement contradictoires. Mais c’est aussi parce que l’usage de l’expression constitue, par lui-même, un enjeu. En effet, ce ne sont pas seulement les emplois du terme en eux-mêmes qui font de “développement durable” une formule, mais également leur capacité à accompagner des mots d’ordre. Cette valeur d’injonction est très concrètement observable dans des situations où l’usage de cette expression conditionne l’existence de structures, de projets ou d’actions, par exemple parce qu’il détermine des crédits (le “développement durable” fait partie des thématiques explicites de financement de la recherche, par exemple en France dans les financements de l’ANR), ou parce qu’il légitime des pratiques (par exemple, la dématérialisation des procédures est mise en place notamment au nom des économies de papier qu’elle engendrerait, alors qu’elle pourrait être vue sous l’angle des inégalités qu’elle entérine et des dégradations sociales qu’elle occasionne).

1.3. Une sémantisation hétérogène : la diversité des significations

6 Le caractère dominant d’une formule n’en implique nullement l’homogénéité : le fait que “développement durable” soit un passage obligé de nombreuses productions textuelles ne suppose pas – au contraire – la stabilité ou l’univocité du terme. « On constate que les mots peuvent changer de sens selon les positions tenues par ceux qui les emploient », écrivait Michel Pêcheux (1990 [1971] : 140). L’étude de la formule “développement durable” permet une fois de plus de l’observer.

7 Quand bien même on s’en tiendrait aux définitions canoniques, “développement durable” apparaît comme diversement investi. La définition autorisée selon laquelle le développement durable reposerait sur trois piliers (« social », « environnement », « économie »), à l’intersection desquels se situeraient à leur tour les trois composantes de l’« équitable », du « viable » et du « vivable », est en réalité l’objet de variations multiples, repérables en discours et plus remarquables encore dans les représentations visuelles qui ont recours à un diagramme de Venn à trois ensembles [1]. Certains acteurs institutionnels militent explicitement pour faire bouger cette définition au bénéfice de leurs propres intérêts, lesquels sont portés par le lexique. Par exemple, dans le cadre d’actions liées à l’Agenda 21, certaines collectivités territoriales assurent la promotion conjointe du “développement durable” et de la « culture » (et/ou de la « diversité culturelle ») en proposant que la « culture » (ou que la « diversité culturelle ») soit reconnue comme un « quatrième pilier » du développement durable. D’autres acteurs estiment que la « communication », la « communication publique », la « gouvernance » ou bien encore la « connaissance » devrait faire l’objet d’une reconnaissance en tant que « quatrième pilier ». De tels efforts témoignent de l’enjeu de légitimation doublé d’une valeur d’injonction que cristallise la formule “développement durable”. Ils sont, également, l’indice de la plasticité sémantique caractéristique des formules.

8 En dehors des énoncés à caractère définitoire, les occurrences du syntagme “développement durable” en usage font apparaître une plus grande diversité d’acceptions encore. Il est manifeste que les réalités désignées et les traits de signification impliqués ne sont que partiellement partagés selon que l’expression apparaît, par exemple, dans les travaux produits lors des sessions des Semaines Sociales de France, dans des documents de l’organisation Oxfam, ou dans des supports de communication institutionnelle d’Air France. Chez ce dernier type de locuteur, la synonymie partielle – voire, parfois, la synonymie explicitement posée – entre “développement durable” et « responsabilité sociale des entreprises » (qui est renforcée par la pluralité des désiglaisons de « RSE » [2]), souligne la capacité des acteurs à s’approprier “développement durable” (ou, considéré d’un autre point de vue : la capacité de la formule “développement durable” à s’intégrer dans les catégories indigènes et les raisonnements pratiques).

9 Le sens de “développement durable” se construit également à travers les multiples variantes qui, tout en portant la formule, la transforment, ainsi que nous en disons quelques mots à présent.

1.4. La formule et ses variantes : « développement soutenable », « tourisme durable », « durabilité urbaine »…

10 La formule “développement durable”, c’est le syntagme “développement durable” lui-même, mais c’est aussi l’ensemble de ses variantes, dérivés, composés et défigements identifiés comme tels en contexte [3]. Nous avons eu l’occasion de procéder minutieusement à ce type d’inventaire à propos de la formule « purification ethnique » (Krieg-Planque 2003) : cette étude montrait combien la productivité lexicologique est associée à un fonctionnement formulaire. “Développement durable”, lui aussi, prolifère en une série de formulations qui constituent autant de transformations attestant le succès de la formule, qu’elles participent ainsi à faire circuler.

11 Celui qui s’intéresserait en détail à l’inventaire de la formule “développement durable” serait amené à repérer, dans des corpus circonscrits, différentes formulations, qu’elles soient produites par commutation nominale (« alimentation durable », « mode de vie durable », « quartiers durables »), par commutation adjectivale (« développement viable », « développement éthique », « développement propre »), par coordination (« développement durable et solidaire », « développement et croissance durables »), par insertion (« développement urbain durable », « développement humain durable »), ou encore sur une base adjectivale par dérivation impropre (« le durable », « le soutenable ») ou par nominalisation (« la soutenabilité », « la durabilité »). Les formulations produites par combinaison de plusieurs de ces opérations figurent aussi à l’inventaire, parfois en rapport étroit avec la « responsabilité sociale de l’entreprise » : « soutenabilité faible », « épargne responsable », « politiques de durabilité », « gestion durable et équitable de l’eau », « aménagement responsable et durable des territoires et de l’environnement »…

12 Par ailleurs, l’analyse des variantes de la formule doit tenir compte des phénomènes de traduction, de la cohabitation de versions documentaires et textuelles, et plus globalement du colinguisme. En effet, d’une part “développement durable” est avant tout le produit d’institutions politiques et publiques caractérisées par leur dimension supranationale ou internationale, donc marquées par le colinguisme ; d’autre part les variantes de la formule dans une langue déterminée ne sont que partiellement dissociables des traductions avec lesquelles elles sont en contact. On ne peut manquer de remarquer, par exemple, que la langue française est la seule à privilégier « durable » plutôt que « soutenable » pour la traduction du terme anglais « sustainable » [4], ce qui, comme le relève Paola Paissa, comporte des coûts « à la fois sur le plan de la cohérence linguistique et sur le plan de la communication internationale » (Paissa 2008 : 557).

13 Comme nous l’évoquions dans la subdivision précédente, il existe un lien fort entre la question des variantes et celle de la signification. Le jeu de la substituabilité de certains éléments d’un paradigme dans certains contextes mais de leur non-substituabilité dans d’autres rend possible la reprise (parfois à peine saisissable, parfois très visible) d’une formulation par une autre dans la prise en charge énonciative. Dans ce cadre, l’usage de « croissance durable » comme variante fréquente de la formule dans la littérature des grandes entreprises et des firmes transnationales (mais aussi comme traduction française de « sustainable development » parfois retenue par l’OCDE) autorise des déplacements qui servent les options politiques des acteurs. C’est cet usage, par exemple, qui permet à EDF de passer, à l’intérieur d’un même document, d’une « croissance durable et solidaire » à une « croissance rentable et durable du Groupe » [5].

1.5. La formule et ses contextes : slogans, récits, topoï, icônes

14 Au sens où nous l’entendons, le contexte d’une formule n’appartient pas à un ordre de la réalité mondaine dont la description par le chercheur fournirait la conjoncture éclairante de la formule : il appartient à l’ordre du réel discursif et symbolique dont la formule elle-même relève. Dans l’enquête que nous avions menée autour de « purification ethnique », l’analyse faisait apparaître des désignants, des événements, des petites phrases ou encore des slogans comme étant des contextes de la formule. Pour ce qui concerne la formule “développement durable”, la documentation permet d’observer des contextes d’une grande richesse, dont nous ne faisons ici qu’évoquer quelques points. Chacun d’eux mériterait une recherche spécifique.

15 Les noms propres d’événements [6] constituent un type de contexte remarquable de la formule. Dans la narration publique, celle-ci est présentée selon une trajectoire ascendante parallèle à celle d’événements que dénomment des toponymes en emplois événementiels, comme le sont fréquemment les noms de sommets et de conférences : « conférence de Stockholm », « sommet de Rio », « sommet de Kyoto », « sommet de Johannesbourg », « conférence de Copenhague »… Appartiennent également à ce type de contexte des dénominations d’événements que l’on peut appréhender comme des métonymies de noms propres d’événements formés sur un toponyme, tel le « Grenelle de l’environnement » [7].

16 Le contexte de la formule est également constitué de « textes clés » au sens où nous l’entendons [8], c’est-à-dire, dans le cas présent, de récits, déclarations et documents dans lesquels les commentateurs croient pouvoir identifier le sens profond ou les intentions inaugurales de la formule. Le « Rapport Brundtland de 1987 » est à cet égard le plus remarquable des textes clés : par-delà ses usages variés, il fonctionne constamment comme texte fondateur de la notion et comme source légitime de la définition. Fonctionnent également comme des textes clés l’« Appel de La Haye » de 1989, l’« Appel d’Heidelberg » de 1992 [9], le « Discours de Chirac à Johannesbourg » en 2002 (régulièrement présenté comme celui par lequel est enfin libérée l’expression politique de la culpabilité morale et du devoir d’action [10]), ou encore le « Pacte écologique de Nicolas Hulot » lancé en 2006. Les récits auxquels les commentateurs confèrent le statut de mythe ou de légende comptent également parmi les textes clés grâce auxquels la formule prend consistance : ainsi en est-il de « l’histoire du colibri », récit exemplaire attribué à une légende amérindienne, et dont les versions les plus diversifiées circulent.

17 Dans sa mise en discours, “développement durable” rencontre également des citations d’autorité. C’est ainsi que fonctionne par exemple l’énoncé « Nous n’héritons pas de la Terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants », généralement attribué à Antoine de Saint-Exupéry, mais parfois aussi à un chef indien de la région de Seattle, ou encore mentionné comme étant un proverbe africain. Là encore, le sujet mériterait une étude à part entière.

18 Toujours à l’appui de la construction de la légitimité de la formule, on relève certains topoï, dont deux au moins valent d’être signalés. L’un actionne avant tout la dimension temporelle : il pose que ce que l’on fait aujourd’hui détermine ce que sera demain. L’autre type d’argument combine le lieu de la quantité et les rapports de causalité : il pose que beaucoup de petites choses ont un grand effet. C’est ce topos qui est mobilisé dans la stratégie des « écogestes », souvent adoptée dans la communication publique destinée au grand public, et utilisée par de nombreuses associations et fondations. C’est sur ce topos que repose un slogan tel que « Faisons vite, chaque geste compte ! », mais aussi « l’histoire du colibri » évoquée précédemment.

19 Différents éléments impliquant la strate graphique et iconique tout autant que la strate verbale sont également à considérer dans le contexte de la formule. Nous pensons bien évidemment aux schémas (diagramme de Venn représentant le “développement durable” et mettant éventuellement à contribution « le triple P » [11], mais aussi « roue de Deming » et différents schémas de la démarche qualité) et aux thématiques iconiques (éolienne, vélo, ours polaire, banquise et icebergs…). Nous pensons aussi aux différentes représentations associées à la normalisation et à la gestion du développement durable : labels, logos, étiquettes, certifications, indices, notations, évaluations, indicateurs…

20 Cette dernière dimension à la fois normative et gestionnaire rappelle que le contexte discursif de la formule “développement durable” ne saurait être décrit sans une prise en considération des genres et des types de textes qu’elle implique. Nous voulons dire par là qu’étudier une formule consiste y compris à s’interroger sur les genres et types de textes que celle-ci génère. Dans le cas présent, sont principalement concernés les chartes et codes de conduite, les bilans et diagnostics, et les rapports annuels et autres documents de « reporting ».

21 À un niveau plus lexical, le contexte de la formule peut être appréhendé en termes de cooccurrences. Des explorations lexicométriques permettent de repérer, sur des corpus déterminés, les collocations et les syntagmes associés. Dans le contexte de “développement durable”, prennent alors place des formulations comme « respectueux de l’environnement », « bonnes pratiques environnementales » ou « pour la planète », mais aussi des formules telles que « commerce équitable », « économie sociale et solidaire » ou « changement climatique », ou encore la vaste série des composés néologiques préfixés en « éco- » et en « bio- ».

22 Enfin, l’analyse des contextes d’une formule permet parfois de repérer des opérations syntaxiques ou lexico-syntaxiques caractéristiques. C’est le cas ici. En effet, lors de différentes lectures de textes à caractère institutionnel se référant au développement durable, nous avons relevé la récurrence d’un type d’opération intervenant dans la proximité contextuelle de la formule “développement durable” : la concession. Ceci nous a permis de suggérer qu’une étude des discours renvoyant à cette formule pourrait s’organiser notamment autour de la concession. Ainsi avons-nous esquissé la piste d’un tel travail : « Nous observons que les contradictions mises en évidence – et tout aussi rhétoriquement combattues – par les discours renvoyant au ‘développement durable’ prennent notamment appui sur des concessives. » (Krieg-Planque 2007 : 67) C’est cette idée que nous explorons dans les pages suivantes.

2. La formule “développement durable” : un opérateur de neutralisation de la conflictualité

2.1. Discours sur le développement durable et consensus

23 Dans l’ample littérature consacrée au développement durable, il n’est pas rare de voir que les auteurs pressentent, d’une façon ou d’une autre, la relation étroite qu’entretient cette notion avec quelque chose qui relèverait du « consensus » ou du « compromis ». Dès 1994, dans une chronique lexicale consacrée à l’expression “développement durable”, Michel Chansou relevait que ce « nouveau terme clé dans les discours politiques » est apte à exprimer une « conciliation entre le développement et la protection de l’environnement » (1994 : 104). Dix ans plus tard, dans la même revue, Christophe Beaurain (2003) observe que le développement durable est une notion suffisamment floue pour faire l’objet de réappropriations successives par les acteurs locaux de l’agglomération qu’il étudie. Du côté des sciences économiques et de la gestion spécialisées en responsabilité sociale et environnementale des entreprises, Marie-Andrée Caron et Marie-France Turcotte s’attachent à analyser « le rôle de médiateur du concept de développement durable » (2006 : 159) et repèrent avec une intuition étayée ce qu’elles appellent une « allégorie de la réconciliation » (2006 : 161) dans les rapports annuels produits par des entreprises canadiennes. De façon convergente, le travail mené en analyse du discours par Nathalie Garric, Isabelle Léglise et Sébastien Point (2006) met en évidence le caractère légitimant des rapports de « RSE » publiés par certaines grandes firmes internationales. En juriste spécialisée dans le droit de l’environnement, Chantal Cans (2003) souligne la faiblesse juridique de la notion de développement durable, dont elle relève en revanche l’importance politique, en particulier dans sa fonction de légitimation. Ou encore, s’intéressant à la communication des organisations et concevant la question sous l’angle des stratégies et des contenus, Nicole d’Almeida (2004) évoque la « notion de développement durable » en tant qu’elle « rend possible l’inclusion d’acteurs nombreux dans un débat où s’estompe la dimension conflictuelle ».

24 Néanmoins, à notre connaissance, aucun travail ne relève l’existence de la concession (ni d’autres formes possibles d’expression de la contradiction et de l’opposition). Même parmi les recherches qui scrutent d’assez près les énoncés, aucune ne suggère que la dimension consensuelle et légitimante observée passe par des opérations précises et linguistiquement descriptibles. Pour notre part, continuant de nous arrimer à une analyse du discours qui opère par les vertus structurantes de la langue, il nous semble que la concession est constitutive du discours sur le développement durable et qu’elle est un mode d’accès à la compréhension de la formule “développement durable” elle-même.

2.2. La concession : opération interdiscursivement constitutive de la formule “développement durable”

25 Nous observons que les discours qui ont recours à la formule “développement durable” prennent notamment appui sur des concessives, et très spécifiquement sur des concessives réduites au gérondif (ou à tout + gérondif), ou sur des concessives réduites à sans + infinitif ou GN (ou à sans pour autant + infinitif ou GN) [12].

26 De telles constructions sont repérables dans des définitions du développement durable présentées comme telles, à commencer par celle du Rapport Brundtland qui évoque un :

27

… mode de développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs.
(Rapport Notre avenir à tous, ONU, Commission mondiale sur l’environnement et le développement, 1987. Version française [13])

28 ou dans celle du rapport Sauver la planète :

29

Dans la présente Stratégie, on entend par “développement durable” le fait d’améliorer les conditions d’existence des communautés humaines tout en restant dans les limites de la capacité de charge des écosystèmes.
(UICN, PNUE, WWF, Sauver la planète. Stratégies pour l’avenir de la vie, Gland, Suisse, 1991, 250 p. ; p. 9)

30 De telles constructions se trouvent aussi dans différents documents institutionnels, politiques, industriels et/ou commerciaux, dont voici, par ordre chronologique, quelques exemples parmi des dizaines :

31

L’aménagement durable des forêts est un procédé d’aménagement des terres forestières permanentes grâce auquel il est possible d’atteindre un ou plusieurs objectifs clairement définis d’aménagement concernant la production d’un apport continu des produits et services forestiers désirés sans réduire outre mesure ses valeurs inhérentes et la productivité future ou sans effets défavorables sur l’environnement physique et social.
(Conseil International des Bois Tropicaux (ITTO), « Aménagement durable des forêts », Décision 6 (XI), 4 décembre 1991)
Le développement durable est une forme de développement qui répond aux besoins actuels de la population, tout en préservant les besoins des générations futures. Dans le développement durable, les entreprises trouvent un modèle de croissance plus équilibré, fondé sur le développement économique à long terme, la protection de l’environnement et la responsabilité sociale.
(JourPost Ile-de-France, journal de communication interne du groupe La Poste, édition du département du Val-de-Marne, décembre 2004, page I du cahier Val-de-Marne, « Penser, agir ‘développement durable’ »)
L’amélioration des transports en commun est un objectif majeur de la municipalité parisienne. L’action de Bertrand Delanoë vise à réduire la pollution et le bruit, tout en préservant le dynamisme économique de Paris. (Le Journal du Parti Socialiste Paris 12e, n° 1, mars 2006, Emmanuel Grégoire, « Mieux circuler, mieux respirer », page 2)
Réseau Culturel / Terre Catalane, engagé dans une expérimentation nationale de tourisme durable, est soucieux de développer un tourisme culturel de qualité en préservant les ressources patrimoniales.
(Réseau Culturel Pyrénées Orientales / Terre Catalane. Document destiné au public : « Pass inter-sites 2008 », page 2, texte de présentation institutionnelle du Réseau Culturel)
Pour fournir de l’énergie à nos clients tout en minimisant l’impact de sa production sur l’environnement et le climat, GDF SUEZ choisit de leur garantir un mix énergétique équilibré à partir de l’ensemble des sources disponibles.
(Brochure de présentation institutionnelle de GDF SUEZ, « L’énergie, source de progrès », 2008, réalisée par Verbe - Publicis Consultants. Rubrique « L’efficacité d’une énergie durable »)
Notre mission : Offrir aux consommateurs une solution complète pour faire briller leur maison tout en respectant l’environnement. Plus doux pour la planète, nos produits permettent aussi un ménage moins toxique et un intérieur plus sain.
(Publicité de la marque Vileda pour sa ligne de produits ménagers EcoVer. Publiée dans LSA, 15 octobre 2009, p. 70)

32 Au-delà de la concession strictement dite comme opération caractéristique (et historiquement fondatrice) de la formule “développement durable”, c’est plus généralement diverses expressions de la contradiction et de l’opposition qui constituent, dans l’interdiscours, le support définitoire de “développement durable”. Les verbes « conjuguer », « rimer », « allier » et « concilier » participent de cette expression, que l’on rencontre par exemple dans la Charte de l’environnement de 2004 (ajoutée en préambule de la Constitution du 4 octobre 1958) :

33

Article 6. - Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social.

34 ou encore dans le texte de présentation de l’opération « Parlement des Entrepreneurs d’avenir » qui s’est tenue à l’Assemblée nationale le 4 juin 2009 :

35

Le Parlement des Entrepreneurs d’avenir met à l’honneur des PME-PMI, associations, scop, pionnières d’une économie plus humaine et durable, qui réussissent à concilier efficacité et responsabilité sociale, performance et engagement éthique et environnemental.

36 Dans les énoncés rencontrés, la concession établit le plus souvent un contraste entre des entités temporelles. Cette tension oppose en général « aujourd’hui » et « demain », comme c’est le cas aussi dans de nombreux slogans liés au développement durable (« Agir aujourd’hui pour mieux vivre demain », « Présent à Copenhague pour l’avenir »). Dans sa formulation la plus canonique, la concession met également en jeu les actants du procès : les générations humaines (présentes et futures) ; la planète (dans son état présent et dans son état futur) ; les besoins (présents et futurs), comme conditions de l’action ; les intérêts (présents et futurs), comme mobiles de l’action.

37 Quels que soient les traitements proposés (logique, argumentatif, rhétorique, syntaxique, énonciatif, discursif), les recherches portant sur la concession ont tendance à centrer l’attention sur les marqueurs (« mais », « cependant », « toutefois »…). Néanmoins plusieurs d’entre elles convergent pour souligner l’importance des dimensions argumentative et énonciative dans les réalisations discursives. Analysant un corpus de rapports de soutenance de thèse, Dominique Ducard conclut que, « à partir d’une confrontation entre représentations conflictuelles », la concession opère, dans ce type de document, « une véritable transaction énonciative assurant la passation qui régit les rapports intersubjectifs et le contrat institutionnel » (Ducard 2002 : 118). Sylvie Garnier (2008) aboutit à des observations analogues en étudiant un autre genre d’écrit institutionnel à caractère évaluatif : les rapports de signalement d’enfant en danger. Prolongeant cette réflexion, Frédérique Sitri et Sylvie Garnier voient en la forme concessive « un lieu privilégié d’inscription du discours autre dans le discours en train de se tenir » (2004 : 570), et mettent en évidence les différents types de dialogisme dont un marqueur concessif tel que « certes » peut assurer la mise en discours (2009).

38 À notre tour, nous ne saurions trop insister sur l’importance de la concession pour l’analyse des discours sur le développement durable. D’une part, la concession permet qu’à travers elle s’expriment plusieurs messages, susceptibles de fonctionner comme autant d’actes de langage produits concomitamment à l’intention de différentes catégories de destinataires (par exemple « je m’engage à protéger l’environnement » - « je m’engage à favoriser la croissance économique »). On retrouve ici le caractère fréquemment pluri-adressé des discours politiques et institutionnels. D’autre part, la concession a pour caractéristique argumentative de présenter comme dépassables les éléments qu’elle met elle-même en tension. En effet, dans son orientation argumentative, la concession présente des éléments comme pouvant sembler contradictoires mais ne l’étant pas. Ainsi, dans les énoncés qui le définissent, le paraphrasent ou le reformulent, “développement durable” apparaît comme un terme qui exprime une contradiction, mais qui serait une contradiction dépassable.

39 Dans l’interdiscours, la formule “développement durable” reste en contact avec ces énoncés définitoires qui expriment une contradiction dépassable : les multiples énoncés définitoires ordinaires, relatives appositives, appositions, reprises, reformulations et paraphrases qui entourent les discours tenus à propos de la formule “développement durable” constituent la trame sur laquelle ce terme élabore sa capacité à figurer une tension qui peut être surpassée.

2.3. La formule “développement durable” : suturer la concessive pour neutraliser le conflit

40 Ainsi que nous venons de le voir, le syntagme “développement durable” symbolise, grâce aux liens qu’il entretient dans l’interdiscours, une contradiction que l’on peut résoudre. Mais, en même temps, ce syntagme tend à dissimuler cette contradiction par la dimension formulaire qu’il acquiert : la formule “développement durable” tient lieu d’une opposition qu’elle ne représente plus que sur un mode effacé. « Dans la transparence du sens qui s’y forme » (Pêcheux 1990 [1975] : 227), en absorbant sous elle la concession qui la fonde, la formule fait disparaître les motifs de discorde que les énoncés définitoires exhibaient. La formule “développement durable” apparaît alors comme ce qui, en discours, suture l’opposition. La suture dont il est question ici est à entendre y compris sous l’angle du figement linguistique : l’arrêt de l’ouverture de la combinatoire dans l’ordre de la langue (impossibilité d’insérer, impossibilité de commuter) renvoie à la suspension de la contradiction dans l’ordre des arguments et des contenus du discours (impossibilité de contredire).

41 Nous saisissons mieux, à présent, la façon dont « développement durable » contribue à l’élaboration d’un consensus : la concessive, qui se trouve être constitutive de « développement durable », exprime une tension que la formule, pour sa part, permet de neutraliser. C’est ainsi que l’on peut appréhender “développement durable” comme un syntagme qui, du fait de ses fonctionnements en discours, tend à esquiver les divergences de points de vue, à dépolitiser les thématiques dont il effectue le cadrage, à dénier les conflits d’intérêt, à constituer un opérateur de neutralisation de la conflictualité, ainsi que nous le mettons en avant dans le titre de cet article. Continuant d’emprunter au vocabulaire stimulant de la conjoncture des années 1970, on pourrait dire que “développement durable” participe intensément d’un fonctionnement idéologique, en ce sens que l’idéologie consiste à faire oublier ce qui la fonde : la formule “développement durable” permet de faire oublier la contradiction sur laquelle elle s’appuie. Recourant à un vocable un peu différent, on peut dire également que la formule “développement durable” revêt une dimension doxique, au sens où elle inhibe les contre-discours et marginalise les contre-arguments.

42 Précédemment, la notion d’interdiscours permettait de comprendre comment la concession est une opération constitutive de la formule “développement durable”. De façon complémentaire, et toujours selon les cadres élaborés par Paul Henry et Michel Pêcheux, la notion de préconstruit aide à saisir la dimension doxique de la formule : à travers les différents effets d’antériorité qu’elle produit (la nominalisation, ici, joue un rôle crucial [14]) et dans de nombreux contextes d’emploi (article défini, notamment), la formule “développement durable” se donne à lire comme allant de soi dans l’intradiscours. Dans le « fonctionnement du discours par rapport à lui-même » (Pêcheux 1990 [1975] : 230), cette formule se déploie en produisant des effets d’évidence, non sans avoir au préalable dissimulé la contradiction qui constitue son soubassement. C’est ainsi pleinement munie de ce qui peut décourager les objections dans un discours que “développement durable” impose sa consistance formulaire dans l’espace public.

3. Briser le consensus ou le reconstruire : phénomènes de dialogisme et de conflictualité discursive

43 Bien qu’elle ait tendance à évincer la conflictualité, la formule “développement durable” est prise dans des phénomènes de dialogisme complexes. Deux mouvements dialogiques majeurs nous semblent pouvoir être identifiés. Tout d’abord, nous nous intéressons aux discours qui répondent à “développement durable” en tant qu’instrument du consensus, et qui consistent à réfuter le caractère dépassable de la contradiction : ce sont des contre-discours au développement durable. Ensuite, nous relevons l’existence de discours qui – au contraire, et comme en réponse aux précédents – essaient de préserver “développement durable” des menaces qui pourraient l’ébranler : ce sont des discours qui entendent assurer le rassemblement.

3.1. Résistances au consensus : repolitiser le débat

44 Un certain nombre de locuteurs voient en “développement durable” une formule propre à tromper, en ce qu’elle présente comme évidentes des positions que ces acteurs estiment devoir être débattues, critiquées, et, en général, condamnées. Il s’agit donc pour ces acteurs de résister à des discours perçus comme doxiques, de repolitiser des questions que d’autres acteurs se sont employés à dépolitiser. À l’instar des slogans liés à la « moralisation du capitalisme » avec lesquels ils entretiennent d’ailleurs une parenté, les discours prônant le “développement durable” suscitent manifestement quelques réactions hostiles, ce que du point de vue de l’analyse du discours on peut appréhender comme relevant de phénomènes de dialogisme interdiscursif.

45 Cette résistance au consensus s’exprime sur des modes divers. Elle se manifeste de façon construite et théorisée chez un certain nombre d’acteurs qui militent explicitement contre le “développement durable” comme cristallisation d’une doctrine qu’ils récusent ou comme ensemble de pratiques perçues comme inopportunes. Les discours prônant la « décroissance » sont à cet égard particulièrement explicites et organisés : on peut en identifier les auteurs légitimes, les textes clés, les structures, les publications et les courants. La « décroissance » apparaît en substance comme un contre-discours. Ainsi que nous le suggérions dans un texte antérieur, nous disposons grâce à “développement durable” comme formule et à la « décroissance » comme contre-discours, d’une illustration limpide de ce que peut être le dialogisme. D’un côté, le discours du “développement durable” se présente comme une réaction (mais une réaction en quelque sorte « progressiste » ou du moins « progressante ») à ce que seraient les « excès », les « défauts », les « effets pervers » du modèle socio-économique de la « croissance ». De l’autre côté, le discours de la « décroissance » se donne à voir comme un contre-discours : ceux qui le tiennent ont bien identifié comment du “développement durable” on pouvait (re)passer, via la « croissance durable » ou la « croissance verte », à des formes de la « croissance industrielle » et de la « croissance économique » induites par un modèle productiviste. Le discours du “développement durable” et le discours de la « décroissance », écrivions-nous, « prétendent tous deux très sérieusement sauver le monde, l’homme et la planète. Nous avons là deux vigoureux pôles idéologiques incarnés dans des unités lexicales élaborées dialogiquement. » (Krieg-Planque 2006 : 44)

46 La résistance au consensus se manifeste aussi de façon éventuellement plus circonscrite ou intuitive, parfois chez les mêmes locuteurs (Serge Latouche, Yves Cochet, Paul Ariès, Vincent Cheynet…), par des disqualifications de l’expression “développement durable”. Ces disqualifications passent notamment par des énoncés métadiscursifs, et en particulier par des commentaires qui qualifient “développement durable” d’« oxymore » ou d’« oxymoron ». Les énoncés relevés ici doivent donc être lus au double prisme des travaux sur le métadiscours (Authier-Revuz 1995), et de ceux qui s’intéressent à l’usage ordinaire de mots métalinguistiques, tels que « euphémisme » (Krieg-Planque 2004) ou « synonyme » (Lecolle 2009). Dans certains cas, ils doivent en outre être relevés en tant qu’ils participent plus globalement d’une dénonciation du caractère manipulateur des discours politiques en général, dont l’oxymore serait une des figures typiques dans l’espace public contemporain. L’essai de Bertrand Méheust, La politique de l’oxymore. Comment ceux qui nous gouvernent nous masquent la réalité du monde, abondamment commenté lors de sa parution en 2009, témoigne d’un tel mouvement de dénonciation générale, et il place “développement durable” au premier rang de ce type d’usage perverti du langage.

47 Voici quelques illustrations de cette repolitisation du débat que permet la disqualification de “développement durable” en tant qu’il serait un oxymore :

48

Développement durable. Cette expression, à laquelle se sont ralliés depuis quelques années tous les grands pollueurs de la planète, a mérité à juste titre les foudres de Serge Latouche qui y voit un oxymore notoire. [15]
(François Brune, De l’idéologie, aujourd’hui. Analyses, parfois désobligeantes, du « discours » médiatico-publicitaire, Paris, Parangon, 2003, 190 p. ; p. 109) Alors que le ‘développement durable’ est déjà un oxymore dépourvu de sens – chacun le sait aujourd’hui ! –, lui associer la ‘croissance durable’ me paraît totalement ubuesque ! ‘Croissance’ si gnifie en effet – ce n’est pas M. Muet qui me démentira – que l’économie est affectée, tous les ans, d’un taux, certes plus ou moins variable, mais toujours positif ! Il s’agit donc d’une forme de croissance exponentielle. Adjoindre ‘durable’ à ‘croissance’ en feignant de croire qu’il en sera de même en 2100, en 2500 ou en 3000, c’est complètement idiot ! Monsieur le ministre, adopter une loi contenant ces deux phrases vous ridiculisera en Europe !
(Yves Cochet (groupe Gauche démocrate et républicaine). Assemblée Nationale, débats en séance publique, session ordinaire de 2008-2009. Deuxième séance du mercredi 10 juin 2009. Grenelle de l’environnement. Suite de la discussion, en deuxième lecture, d’un projet de loi)

49 À travers la caractérisation de “développement durable” comme étant un « oxymore », c’est la dimension contradictoire du développement durable qui est soulignée. Plus précisément : ce que la concessive donnait à voir comme contradictoire en apparence, ces commentaires le donnent à voir comme réellement contradictoire. Pour leurs auteurs, il s’agit donc à travers ces commentaires de refuser la suture de la concessive qu’opère la formule “développement durable”. Il s’agit souvent aussi, par la même occasion, de dénoncer le caractère globalement fallacieux de la rhétorique de l’adversaire.

3.2. Anticipations des résistances et réactions à la conflictualité : assurer le rassemblement

50 Le deuxième mouvement dialogique qui nous intéresse à présent consiste en des anticipations des résistances : il s’agit, pour les locuteurs concernés, de se prémunir des discours qui menacent le développement durable, et, comme par avance, d’assurer la réhabilitation d’un “développement durable” dont les acteurs évoqués précédemment ont entrepris la critique. Ces réactions à la conflictualité se trouvent dans des discours favorables au “développement durable”, dont ces discours visent à effectuer une re-capture positive. Dit autrement, face à des acteurs qui relèvent les incohérences et les contradictions de “développement durable”, il s’agit pour cette seconde série de locuteurs de recréer une cohérence des valeurs – cohérence des valeurs que la formule “développement durable”, grâce à la suture de la concessive qu’elle a opérée, entend assurer. Sur le fond et au plan argumentatif, ces discours consistent en une dissociation des notions qui oppose le « faux développement durable » (un développement durable fictif, usurpé, feint, dévoyé, inauthentique, méritant d’être condamné) au « vrai développement durable » (le développement durable authentique, qu’il conviendrait de promouvoir et de pratiquer).

51 Dans la concrétude des énoncés, ce soutien au développement durable passe par différentes formulations. Il s’exprime volontiers par la réfutation ou la dénégation du « greenwashing » (ou « écoblanchiment »). Le « greenwashing » est alors mis en scène comme pratique à repousser (qu’il faut « traquer », « chasser » ou « débusquer »), en tant qu’elle trahirait la cause d’un développement durable qui resterait par lui-même profondément positif. C’est ainsi par exemple que s’exprime la journaliste d’un quotidien gratuit :

52

Exploité à l’envi, le concept de développement durable – qui entend articuler au mieux l’économique, le social et l’environnemental – est sur toutes les lèvres. Il faut donc séparer le bon grain (bio) de l’ivraie (génétiquement modifiée), traquer le greenwashing, cette propension à tout verdir pour mieux vendre ou redorer son blason. D’où l’importance des labels – bio, écolos ou équitables –, qui garantissent un meilleur respect de l’environnement et/ou des producteurs. Le commerce équitable, qui est un bel exemple de développement durable, recrée du lien social et de l’espoir. (Catherine Levesque, « Poussée de croissance pour le développement durable », quotidien gratuit 20 Minutes, numéro spécial Semaine du développement durable, mardi 31 mars 2009, p. 15)

53 Les professionnels du secteur de la communication sont des producteurs particulièrement actifs de ce type de discours qui assure la défense du “développement durable” au moyen d’une condamnation du « greenwashing ». Voici par exemple comment se présente AdWiser, un collectif de professionnels de la communication :

54

Nous pensons par exemple que la forme (le support) est aussi importante que le fond (transparence et éthique de vos messages), que la compensation carbone n’est pas une fin en soi, que la chasse au Greenwashing devrait être un réflexe naturel (nous faisons tout pour qu’il le devienne), ou encore que la réglementation devrait s’accompagner d’accords volontaires.
(Texte de présentation et d’intention du 2 juin 2008 de AdWiser « Vers une communication responsable », collectif de professionnels de la communication. Page du site de AdWiser <www.blog-adwiser.com/2008/06/ cest-quoi.html> consultée le 22 février 2010)

55 L’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité, anciennement BVP), en partenariat avec l’ADEME (Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie), s’est instituée parmi les porte-parole autorisés de ce discours de condamnation du greenwashing au nom d’une défense du développement durable. À travers la mise en place d’indicateurs qui permettraient de faire le tri des publicités réellement écologistes et de celles qui ne le seraient pas, l’ARPP se pose en gardien d’un développement durable authentique et fidèle. C’est du moins ainsi que l’organisation se met en scène dans son Bilan Publicité et Environnement[16], ou encore dans le Guide de l’anti-greenwashing actuellement en préparation [17]. D’autres organisations de représentation ou d’auto-régulation du secteur de la communication sont également les promotrices de ce type de discours : UDA (Union Des Annonceurs), AACC (Association des Agences Conseils en Communication), UJJEF (Union des Journaux et Journalistes d’Entreprises de France)…

56 Les raisons de cette prise en charge sont compréhensibles : le secteur de la communication est à la fois un de ceux qui profitent le plus de l’existence d’une injonction au “développement durable” (puisque ce secteur est en charge de mettre en œuvre la publicité des réponses à cette injonction), et celui qui est prioritairement accusé d’effectuer les opérations de « blanchiment » qu’occasionne l’existence d’un tel mot d’ordre (puisque le greenwashing consiste à recourir à la communication pour présenter des marques, firmes, institutions, produits ou services sous un jour excessivement favorable du point de vue environnemental et/ou sociétal).

57 Comme on le voit, les discours de condamnation du greenwashing contribuent à légitimer des activités (celles des communicants tout autant que celles des acteurs pour le compte desquels les communicants travaillent) : ils visent à conforter le consensus, à assurer le rassemblement autour d’un “développement durable” dont le caractère problématique et discutable sur le fond est toujours susceptible d’être rappelé. Venant en renfort d’une formule dont la caractéristique la plus nette est qu’elle neutralise le conflit, ces discours opèrent eux-mêmes et à leur tour en faveur d’un gommage des aspérités.

4. Conclusion

58 En conclusion, c’est moins sur la formule “développement durable” elle-même que nous souhaitons insister que sur la façon dont celle-ci témoigne, plus généralement, de certains fonctionnements discursifs. Différents auteurs ont relevé les rapports étroits qu’entretiennent les discours institutionnels et diverses formes d’effacement.

59 Dans des textes restés célèbres, Patrick Sériot (1986a et 1986b) a montré comment la nominalisation produit un effacement des modes et des temps des verbes ainsi que de l’identité des actants du procès, contribuant à faire de l’objet des discours soviétiques un objet référentiellement sous-déterminé, laissant peu de prise à la contradiction. Dans son analyse des discours humanitaires, Philippe Juhem (2001) met en avant l’absence d’opposition et de contre-argument que ces discours rencontrent, faisant d’eux des discours sans adversaires. Au cours de leur travail sur la fabrique des discours institutionnels, Claire Oger et Caroline Ollivier-Yaniv (2006) s’intéressent pour leur part aux procédés de lissage qui visent à conjurer le désordre discursif.

60 Dans l’étude que nous avons présentée ici, l’effacement réside en la suture de la concessive opérée par la formule. Des tentatives pour donner à voir ces tensions enfouies parviennent à s’exprimer : nous les avons observées ici à travers des énoncés relevant du dialogisme interdiscursif montré et du métadiscours ordinaire portant sur des mots métalinguistiques. Mais ces tentatives se confrontent à une re-capture positive de “développement durable”, formule dont les promoteurs hétérogènes entendent ne pas abandonner la capacité à dissuader la contradiction. C’est dans ce contexte plus large de l’analyse des discours institutionnels en tant qu’ils pratiquent différents types d’effacement, d’euphémisation et de déni du conflit (Krieg-Planque et Oger 2010) que l’on peut inscrire cette analyse de la formule “développement durable” comme opérateur de neutralisation de la conflictualité.

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  • — 1986b, « La langue de bois et son double », Langage et Société, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, n° 35, pp. 7-32.
  • TIXIER Maud (dir.), 2005, Communiquer sur le développement durable : enjeux et impacts pour l’entreprise, Paris, Éditions d’Organisation.
  • VIGNES Laurence, 1994, « Heidelberg, appel ou rappel ? », Mots. Les langages du politique, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, n° 39, pp. 79-90.
  • VIVIEN Franck-Dominique, 2007, « ‘Sustainable development’ : un problème de traduction », Les Annales des Mines, série Responsabilité & Environnement, Paris, n° 48, octobre 2007, pp. 58-61.
  • ZACCAÏ Edwin, 2002, Le développement durable. Dynamique et constitution d’un projet, Bern/ Bruxelles, Peter Lang.
  • Article reçu en mai 2010.

Mots-clés éditeurs : “développement durable”, interdiscours, conflictualité discursive, consensus, contre-discours, concession, dialogisme, formule

Date de mise en ligne : 15/12/2010

https://doi.org/10.3917/ls.134.0005

Notes

  • [1]
    Le lecteur pourra avoir un aperçu de la variété des modélisations du développement durable en visualisant les résultats de la requête « schéma du développement durable » dans la fonction image d’un moteur de recherche.
  • [2]
    « RSE » est principalement interprété comme étant le sigle de « responsabilité sociale (ou sociétale) des entreprises » ou de « responsabilité sociale de l’entreprise », mais il est fréquemment développé également par « responsabilité sociale et environnementale (de l’/des entreprise(s)) », ce qui accroît le cousinage entre « RSE » et « développement durable ».
  • [3]
    Sur cette question, qui implique la notion d’« interprétant raisonnable », voir Krieg-Planque 2006 : 36-38.
  • [4]
    Pour traduire l’expression anglaise « sustainable development », les langues de l’Union européenne ont favorisé « soutenable » : « sviluppo sostenibile » (italien), « desarrollo sostenible » (espagnol), « desenvolvimiento sustentàvel » (portugais)… Sur les questions de traduction et de définition de « développement durable », voir aussi Vivien 2007. Sur la traduction de la formule en rapport avec ses trois « piliers », voir Jeanneret à paraître.
  • [5]
    EDF - Délégation à l’éthique et à la déontologie, CA du 25 mai 2005, document de travail, « Valeurs du Groupe EDF », pp. 97-98. Dans leur analyse des rapports annuels sur le développement durable de la société Hydro Québec, Marie-Andrée Caron et Marie-Françoise Turcotte observent des phénomènes similaires (2006 : 163).
  • [6]
    Sur cette question voir Krieg-Planque 2009b.
  • [7]
    Sur cette dénomination voir Barbet 2010
  • [8]
    Voir Krieg-Planque 2003 : 105-133.
  • [9]
    Sur ce texte voir Vignes 1994.
  • [10]
    Sur ce point voir notre analyse de l’énoncé « Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas » dans Krieg-Planque 2010.
  • [11]
    En anglais : « People. Planet. Profit. » (« Triple Bottom Line »).
  • [12]
    Pour un panorama général de la concessive en français, on se reportera principalement à Morel 1996. La place nous manque ici pour analyser les spécificités des concessives associées au développement durable, où s’exprime une forme de continuité plutôt que de rupture.
  • [13]
    La version anglaise est ainsi formulée : « … development that meets the needs of the present without compromising the ability of future generations to meet their own needs ». Report Our Common Future, ONU, World Commission on Environment and Development (WCED), 1987. Pour le présent article, nous retenons uniquement les énoncés de langue française. Mais, comme nous y avons insisté plus haut, la formation et la circulation des formules dans les discours institutionnels sont étroitement liées au colinguisme.
  • [14]
    Sur les particularités sémantiques et argumentatives apportées par « développement », y compris en rapport avec l’adjectif « durable », voir Dufour 2010.
  • [15]
    * Cf. Le Monde diplomatique, mai 2001. Pour Serge Latouche, « le mythe du "développement" aboutissant le plus souvent dans les pays du tiers-monde à une régression de fait, vouloir le rendre durable est une insigne contradiction. Parler de développement, dès lors, c’est prôner une progression… régressive ! »
  • [16]
    Ce rapport d’études a été édité pour la première fois en 2006, sous l’égide du BVP (Bureau de Vérification de la Publicité). Après une seconde édition en 2007, le rapport a été renouvelé en 2009, cette fois sous l’égide conjointe de l’ARPP et de l’ADEME.
  • [17]
    Co-édité par l’ARPP et l’ADEME, ce guide s’inscrit dans le prolongement du Guide de l’éco-communication. Pour une communication plus responsable édité par l’ADEME en 2007.

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