La pratique scientifique est fondamentalement une pratique de l’écriture. Depuis la parution de l’ouvrage crucial de L. Fleck (Genèse et développement d'un fait scientifique), la sociologie et la philosophie des sciences ont étayé la réflexion sur la constitution du fait scientifique, la découverte (ou l’invention ?) scientifique, la place de l’écrit et la « littérature scientifique » comme « production des faits scientifiques » (Latour, 1988). En 2003, la génétique textuelle s’emparait de la question avec la parution d’un numéro de la revue Genesis intitulé « Écriture scientifique ». Dans la plupart des travaux, c’est de la production d’articles qu’il s’agit, c’est-à-dire que l’étude est focalisée sur les écrits publiables, dont Latour a montré qu’ils constituaient, du point de vue des chercheurs eux-même, le principal produit de leurs recherches. C’est à l’autre extrémité de la chaîne scripturale, les commencements, que nous allons nous intéresser ici. Dès l’abord, une démarche scientifique passe par le collectage de données dont la trace va être consignée pour constituer ensuite un corpus de travail. Cette tâche de consignation – qui est déjà re-présentation – est indissociable de la réflexion du scientifique dont la constitution laisse également des traces écrites, verbales ou non. Nous aimerions questionner un ensemble varié d’écrits de travail de scientifiques, en sciences humaines (articles de Fenoglio et Doquet) comme en sciences expérimentales (articles de Brives et de Laubé & Sire). Notre choix se porte sur les carnets de travail (notes préparatoires, notes de terrains, notes d’expériences) comme lieux de consignation d’observations, d’élaboration de réflexions et conjointement de constitution de corpus à partir desquels le travail de recherche va se développer. L’objectif est de clarifier le rôle de ces « premiers écrits », souvent faits de prises de notes sur le vif, et d’envisager leur place dans la constitution de la réflexion dont l’écrit final constitue un aboutissement. Une des questions centrales est celle du rapport entre production langagière et construction des connaissances (dans quelle mesure y a-t-il co-construction, ou au moins construction simultanée, des savoirs et des capacités discursives associées ?) ainsi que des fonctions de l’écrit dans la constitution des savoirs (quel rôle joue l’écrit, par opposition à l’oral, dans la stabilisation des connaissances et des savoir-faire ?) en référence – entre autres – aux travaux de Jack Goody.