Notes
-
[1]
Terr L.C. « Childhood traumas : an outline and overview », AmJ Psychiatry, 1991 ; 148 : 10-20.
-
[2]
Jehel L., Lopez G. Psychotraumatologie, Dunod, Paris, 2006.
-
[3]
Le Heuzey M.F. « Le syndrome de stress post-traumatique chez l’enfant », Arch. Pédiatr. 1999 ; 6 : 573-7.
-
[4]
Vila G., Mouren-Simeoni M.C. « État de stress post-traumatique chez le jeune enfant :mythe ou réalité ? », Annales médicopsychologiques, 1999 ; 157 : 456-69.
-
[5]
Le Heuzey M.F. « Détresse de l’enfant victime de stress répétés », Ann. Méd. Psychol., 1998 ;156 (1) : 7-9.
-
[6]
Le Heuzey M.F. Suicide de l’adolescent, Masson, Paris, 2001.
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[7]
Kaplan S.J., Pelcovitz D., Salzinger S., Mandel F., Weiner M. « Adolescent physical abuse and suicide attempts », J Am Acad Child Adolesc Psychiatry, 1997 ; 36 (6) : 799-808.
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[8]
Le Heuzey M.F. « Syndrome de Münchausen par procuration », Nervure, 2003 ; 16 : 20-23.
-
[9]
Arnow B.A. « Relationships between childhood maltreatment, adult health and psychiatric outcomes and medical utilization », J Clin Psychiatry, 2004 ; 65 (suppl. 12) : 10-15.
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[10]
Briere J., Elliott D.M. « Prevalence and psychological sequelae of self-reported childhood physical and sexual abuse in a general population sample of men and women », Child Abuse Negl, 2003 ; 27 : 1205-22.
-
[11]
Springer K.W., Sheridan J., Kuo D., Carnes M. « Long term physical and mental health consequences of childhood physical abuse : results from a large population-based sample of men and women », Child Abuse Negl, 2007 ; 31 : 517-30.
Définir la maltraitance ? [1]
1Il existe différentes définitions de la maltraitance. Celle-ci peut être physique et se manifester sous forme de coups, d’agressions ou de tortures diverses qui dépassent notre imagination – eau bouillante, fer à repasser, cigarette, liens – mais aussi à travers la dénutrition, le manque de soins et d’hygiène, ou encore le « syndrome de Cosette » qui atteint l’enfant exploité à des fins ancillaires ; elle peut être également de nature sexuelle avec le viol, les attouchements, les atteintes à l’intimité, les jeux sexuels et l’inceste. Pour autant, les limites n’en sont pas forcément toujours claires : par exemple, lorsqu’un père donne un bain à sa petite fille de quatre ans, comment déterminer la frontière entre une toilette convenable et une toilette « excessive » ?
2Les actes de maltraitances psychologiques sont encore plus difficiles à cerner. Certes, on peut regrouper sous ce terme les humiliations, brimades, insultes, sadisme verbal, exigences inappropriées… Mais qu’appelle-t-on exactement « exigences inappropriées » ? Où situer la limite entre la « bonne éducation » et l’excès ?
3Et dans nos sociétés dites modernes, ne peut-on assimiler à des situations de maltraitance psychologique celles d’enfants écartelés par des divorces conflictuels – enfants sans domicile fixe car « en garde alternée », enfants dont les deux parents habitent aux antipodes l’un de l’autre, enfants de familles recomposées – décomposées ?
Les conséquences sur le psychisme de l’enfant
4Tous les symptômes psychopathologiques consécutifs à la maltraitance ont été décrits : les troubles dépressifs avec baisse de l’estime de soi, les conduites suicidaires ; les troubles de somatisation tels que céphalées, douleurs abdominales, énurésie, encoprésie ; les troubles anxieux, les symptômes de dissociation, les symptômes hystériformes ; les troubles du comportement sexuel ; les troubles du comportement alimentaire – anorexie mentale et boulimie ; toutes les formes d’addictions – alcoolisme, toxicomanie… Ces troubles variés s’associent parfois, ou encore se succèdent dans le temps, mais aucun ne peut être uniquement imputé aux antécédents de maltraitance. En outre, leur gravité et leur importance diffèrent selon le caractère isolé ou au contraire répétitif de ces antécédents. En matière de psycho-traumatisme [2], en effet, on distingue les traumatismes de type i qui sont des événements traumatiques uniques, comme une agression ou un viol, et les traumatismes de type ii qui correspondent à des situations de stress répétées, comme dans la maltraitance familiale, les situations de guerre ou de camps de concentration.
Après une agression isolée
5La pathologie psychiatrique la plus importante après une agression est l’état de stress post-traumatique (ESPT). Ce trouble peut être observé chez l’enfant, et même chez le jeune enfant [3], [4]. Après une agression unique, l’ESPT se manifeste à travers une réaction immédiate de peur intense, de détresse, un sentiment d’impuissance ou d’horreur, ou se traduit plus banalement par un comportement agité ou désorganisé.
6L’enfant ressent que la situation échappe à toutes ses possibilités de contrôle. Il revit constamment l’événement, dans un syndrome de répétition : en témoignent des jeux répétitifs mettant en scène tout ou partie du traumatisme, des rêves répétitifs à contenu angoissant, des souvenirs visualisés sous formes d’illusions, hallucinations ou flash back. Parallèlement, il cherche à éviter les lieux de l’agression et tout ce qui peut lui rappeler celle-ci : c’est le syndrome d’évitement. Il peut manifester des signes d’angoisse et de frayeur si un individu ressemblant à l’agresseur se présente. Il est en état d’hypervigilance, avec des réactions de sursaut exagéré dues à une hyperréactivité neurovégétative.
7Cet état de grande détresse s’exprime aussi par des troubles du sommeil – difficultés d’endormissement ou réveils nocturnes, une irritabilité, des colères, des difficultés de concentration, une chute du rendement scolaire, des troubles du comportement…
8L’amnésie post-traumatique est assez rare chez l’enfant, qui présente au contraire des souvenirs marqués mais avec des distorsions cognitives. Dans certains cas cependant, l’enfant présente une amnésie partielle ou totale de l’événement, il paraît absent, indifférent, détaché, comme si son affectivité était émoussée. Il éprouve alors le sentiment que le futur est bouché, qu’il n’a pas d’avenir.
9Ces symptômes varient notablement en fonction de l’âge. Avant trois ans, on observe essentiellement les troubles du sommeil, l’irritabilité, les pleurs et les troubles de l’appétit. L’enfant de trois à six ans, quant à lui, peut remettre en actes l’événement traumatisant par l’intermédiaire de ses jouets – poupées, personnages de type « playmobil » – mais sans plaisir, contrairement à ce qui se passe dans le jeu enfantin. On peut observer aussi des phénomènes régressifs : retour au parler bébé, succion du pouce, énurésie, avidité pour les sucreries, mutisme, retrait vis-à-vis des étrangers ou, à l’inverse, comportements affectueux indifférenciés envers tous les adultes.
10L’état de stress post-traumatique est dit « aigu » s’il dure de un à trois mois, et « chronique » au-delà. Parfois, il survient plus de six mois après l’agression ; il est alors appelé « différé ».
Lorsque les agressions sont répétées
11Dans les situations de maltraitance à répétition, il arrive que les signes psychopathologiques soient ceux d’un ESPT chronique ; mais souvent, après que la première agression ait créé un effet de surprise, l’enfant développe des mécanismes de protection psychique qui lui permettront de supporter les agressions suivantes. Il devient capable d’autohypnose et s’anesthésie lui-même à la douleur. Il apprend à être de plus en plus indifférent, comme distant et étranger à lui-même. Dans les cas extrêmes, des mécanismes de dépersonnalisation se manifestent : la personnalité de l’enfant se dissocie en deux personnages, l’un recevant les sévices et l’autre se mettant psychologiquement à distance. C’est ainsi que de nombreux enfants maltraités paraissent froids, distants, indifférents, et qu’ils n’expriment pas leur souffrance par des mots. Ils disent à l’assistante sociale que tout va bien, qu’il n’y pas de problème. Les cas-limites rentrent dans le spectre du syndrome de Stockholm : ils protègent leur agresseur et prennent son parti.
12C’est dans un tel contexte qu’a pu être décrit le syndrome de refus global, comme dans le tableau clinique présenté par Mathieu (voir ci-dessous) : soumis à des situations de stress extrêmes, l’enfant manifeste un refus de marcher, de parler, de manger et de boire qui engage le pronostic vital en cas de prolongation [5].
Mathieu, six ans, est dénutri, déshydraté, douloureux ; il ne marche pas, ne s’assied pas, ne parle pas, ne mange pas, ne boit pas. Prostré, replié sur lui-même, les yeux pleins d’effroi, il crie dès qu’on l’approche… Il ne porte pas de trace visible d’agression, pas de fracture, mais son état révèle une détresse psychologique et physique maximale.
Cet enfant est victime de maltraitance depuis trois années, depuis que sa mère a été victime d’un accident vasculaire cérébral. Elle présente des troubles du comportement avec accès de violence verbale incontrôlable, des difficultés à respecter les horaires, à vérifier la température des bains de Mathieu – elle le plonge parfois dans de l’eau excessivement chaude ou froide – à lui donner à manger.
À l’école, Mathieu ne dit rien.
Il aura fallu trois ans de calvaire pour que l’enfant soit hospitalisé et que sa mère puisse enfin exprimer son désarroi.
Mathieu dit : « Maman me griffe, me fait mal, mais ce n’est pas sa faute, elle est malade. »
14Certains travaux se sont attachés à étudier les conséquences cognitives de la maltraitance chez les jeunes enfants d’âge préscolaire. Ces jeunes enfants sont incapables de capter les bonnes informations dans l’environnement ; ils attribuent d’emblée aux autres des intentions négatives et sont incapables de répondre de manière adéquate dans les situations interpersonnelles, car ils conceptualisent tout le monde extérieur comme un milieu violent et hostile.
15Dans environ 40 % des cas, la maltraitance entraîne au minimum des difficultés scolaires et parfois un déficit intellectuel – le quotient intellectuel verbal est corrélé négativement avec l’intensité des sévices. Néanmoins, l’interprétation est difficile car ces situations de maltraitance mettent en scène de nombreux facteurs intriqués : conditions socio-économiques précaires, contexte éducatif instable, voire difficultés médicales – enfant malade, handicapé, prématuré…
16À l’adolescence, après des traumatismes répétés ou prolongés on observe des troubles dissociatifs, des troubles de l’identité, des troubles du comportement alimentaire, et des prises de risque multiples : conduites suicidaires, automutilations, conduites sexuelles à risque, troubles du comportement de type prédélinquance ou délinquance, abus d’alcool et de substances toxiques… Les gestes auto-agressifs peuvent être perçus comme des tentatives pour échapper à des états pénibles de vide, de détachement et d’émoussement [6].
17Dans les cas d’agression sexuelle, deux types de comportements opposés ont pu être observés sur le long terme : soit un évitement de la sexualité, une crainte des rapports sexuels, une frigidité ; soit, au contraire, des conduites de séduction outrancière, une nymphomanie, une évolution vers la prostitution [7].
Des formes particulières de maltraitance
Les troubles du comportement alimentaire et de la croissance
18Différents troubles de ce type peuvent survenir chez l’enfant maltraité.
19• Ainsi des troubles de l’attachement, dont les symptômes apparaissent précocement entre deux et six mois. L’enfant est en état de carence à la fois nutritionnelle et affective. Il est dénutri, amimique, sans interactions avec un retard de développement psychomoteur. Les échanges affectifs avec sa mère sont absents. Ce tableau se rencontre en particulier chez les enfants de mères malades mentales schizophrènes, toxicomanes, alcooliques ou dépressives graves.
20• Le mérycisme survient dans le même genre de circonstances. L’enfant présente des manifestations de régurgitation avec ruminations de la nourriture, lorsqu’il est seul dans son lit. Ce comportement s’accompagne de dénutrition et de retard psychomoteur.
21• Le pica consiste dans l’ingestion de substances non nutritives telles que du plâtre, des peintures, de la terre… Ce comportement est observé chez des enfants non surveillés, livrés à eux-mêmes. L’ingestion de certaines substances comme le plomb peut conduire à des complications graves.
22• Enfin, le nanisme psychosocial peut être décrit à tout âge chez des enfants en carence affective grave.
Le syndrome de Münchausen par procuration
23Le syndrome de Münchausen par procuration est un trouble factice simulé et/ou induit par un parent [8]. L’enfant est présenté au(x) médecin(s) de façon répétitive et persistante pour des soins médicaux qui conduisent à des examens et des explorations médico-chirurgicales multiples et répétées. Les équipes médicales contribuent ainsi à la maltraitance de l’enfant par la multiplication des explorations – prises de sang, examens radiologiques, biopsies – voire par la pratique d’interventions chirurgicales non motivées.
24Les symptômes physiques les plus fréquents sont les saignements, les convulsions, les pertes de connaissance… Ils régressent lorsque l’enfant est séparé du parent concerné.
25Parfois, le symptôme allégué est comportemental ou psychiatrique, avec allégations ou inductions de symptômes d’autisme, de retard mental… et demande de placement spécialisé.
26Le parent en question est généralement la mère, souvent mère au foyer ; dans les cas où elle exerce une profession, celle-ci est fréquemment en relation avec l’enfance. Elle n’est pas atteinte d’un trouble psychiatrique spécifiquement identifié mais présente un insatiable appétit de contacts médicaux. Il s’agit pour elle d’endosser le rôle de malade par procuration. Les femmes concernées ont souvent des antécédents de mauvais traitements dans leur enfance, et sont isolées socialement ; parfois, elles sont victimes de violences conjugales.
27L’évolution des cas de syndrome de Münchausen par procuration est mal connue, même si certaines victimes ont publié la description de leur propre calvaire.
Facteurs de risque et facteurs de protection quels adultes deviennent les enfants maltraités ?
28L’étude des populations adultes montre que ces sujets souffrent d’une mauvaise santé mentale et médicale [9], [10], [11].
29Ils ont davantage recours aux services d’urgence, aux soins médicaux, et entretiennent beaucoup plus fréquemment des conduites à risque. Plus la maltraitance a été grave, plus l’impact sur la vie de l’adulte est important.
30Les troubles de personnalité les plus souvent rapportés à la maltraitance concernent les personnalités « border line », « évitantes » ou antisociales. Les femmes ayant des antécédents de mauvais traitements sont en outre exposées au phénomène de « revictimisation », c’est-à-dire qu’elles sont plus souvent confrontées, à l’âge adulte, à des relations de couple violentes – femmes battues, victimes de viols…
31Pour autant, tous les enfants ne réagissent pas de la même façon aux agressions. Divers facteurs sont susceptibles d’accroître la vulnérabilité de l’enfant maltraité : l’importance des violences, la personnalité de l’agresseur, la durée des agressions, le sexe de l’enfant, son âge et son niveau de développement…
32À l’inverse, certains enfants pourtant soumis à des stress extrêmes réagissent plus efficacement et plus positivement que d’autres ; ils bénéficient d’une meilleure résilience. Les facteurs en cause sont, ici encore, variés : bonnes capacités intellectuelles, facilités d’adaptation (« coping »), soutien apporté par d’autres figures de référence… Grâce à cette résilience, et grâce à de « bonnes rencontres », certains enfants peuvent ainsi « rebondir » et, après une enfance maltraitée, mener une vie d’adulte normale.
Notes
-
[1]
Terr L.C. « Childhood traumas : an outline and overview », AmJ Psychiatry, 1991 ; 148 : 10-20.
-
[2]
Jehel L., Lopez G. Psychotraumatologie, Dunod, Paris, 2006.
-
[3]
Le Heuzey M.F. « Le syndrome de stress post-traumatique chez l’enfant », Arch. Pédiatr. 1999 ; 6 : 573-7.
-
[4]
Vila G., Mouren-Simeoni M.C. « État de stress post-traumatique chez le jeune enfant :mythe ou réalité ? », Annales médicopsychologiques, 1999 ; 157 : 456-69.
-
[5]
Le Heuzey M.F. « Détresse de l’enfant victime de stress répétés », Ann. Méd. Psychol., 1998 ;156 (1) : 7-9.
-
[6]
Le Heuzey M.F. Suicide de l’adolescent, Masson, Paris, 2001.
-
[7]
Kaplan S.J., Pelcovitz D., Salzinger S., Mandel F., Weiner M. « Adolescent physical abuse and suicide attempts », J Am Acad Child Adolesc Psychiatry, 1997 ; 36 (6) : 799-808.
-
[8]
Le Heuzey M.F. « Syndrome de Münchausen par procuration », Nervure, 2003 ; 16 : 20-23.
-
[9]
Arnow B.A. « Relationships between childhood maltreatment, adult health and psychiatric outcomes and medical utilization », J Clin Psychiatry, 2004 ; 65 (suppl. 12) : 10-15.
-
[10]
Briere J., Elliott D.M. « Prevalence and psychological sequelae of self-reported childhood physical and sexual abuse in a general population sample of men and women », Child Abuse Negl, 2003 ; 27 : 1205-22.
-
[11]
Springer K.W., Sheridan J., Kuo D., Carnes M. « Long term physical and mental health consequences of childhood physical abuse : results from a large population-based sample of men and women », Child Abuse Negl, 2007 ; 31 : 517-30.