Notes
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« Manifeste des 343 salopes », Nouvel Observateur, avril 1971. Procès de Bobigny, octobre 1972.
1L’histoire peut rendre aux groupes sociaux un service comparable à celui que la psychanalyse rend aux individus : elle élucide la mémoire, pièce maîtresse de l’identité. L’histoire des rapports entre le féminisme et la maternité sera utile si elle éclaire la mutation culturelle très complexe que nous traversons. En simplifiant beaucoup, on peut résumer en trois étapes l’évolution des rapports entre féminisme et maternité.
Le féminisme « maternaliste »
2Le « féminisme » ne sera nommé et reconnu qu’à la fin du xixe siècle. Mais son émergence est déjà vigoureuse pendant la Révolution française. Des écrivains illustres comme Condorcet et Olympe de Gouges confirment ce dogme : en vertu du droit naturel, tout être humain est digne d’accéder à la citoyenneté. Les femmes ont été nombreuses à se mobiliser spontanément au service de la Nation et de la Liberté. L’importance de la fonction maternelle était leur motivation officielle. Elles expliquaient aux enfants le sens des valeurs nouvelles, elles leur lisaient Le contrat social, La Déclaration des Droits de l’homme; elles associaient leurs nouveau-nés à la célébration des fêtes politiques. En 1789 les hommes les approuvaient et les encourageaient, louant les « mères des générations futures ». Pourtant, dès 1793, la Ire République les a écartées des responsabilités politiques, en raison précisément de leurs obligations maternelles : « La nature dit à la femme : sois femme. Les tendres soins dus à l’enfance, les douces inquiétudes de la maternité, voilà tes travaux. » Ainsi la maternité a d’abord justifié la participation politique des femmes, et peu après, elle a justifié leur invalidation. Étrange retournement ! La pensée politique révolutionnaire est fondatrice, précisément, en ce qu’elle distingue et sépare deux mondes : celui de la vie publique, où s’activent des citoyens égaux et frères, et celui de la vie privée où s’abritent les dépendants, femmes et enfants, protégés et gouvernés par les citoyens, pères et maris. En même temps, une évolution s’opère dans la représentation de la maternité : à la fonction reproductrice et nourricière se superpose la fonction éducative, de plus en plus valorisée. C’est un devoir et un mérite que de se comporter en « mère de citoyens. » Mais lorsqu’en 1848 la IIe République institue un « suffrage universel » réservé aux hommes, bien des femmes sont déçues. Une lingère se porte candidate aux élections législatives, en mai 1848, quoique non éligible, en appuyant sa revendication des droits politiques sur les compétences et les responsabilités maternelles. Mais ce n’est pas en raison de leurs responsabilités paternelles que les hommes ont reçu le suffrage. La justification des droits politiques est désormais totalement dissociée de l’ordre familial : la citoyenneté concerne des individus abstraits et libres, alors que la femme mariée n’est pas libre puisqu’elle doit obéissance à son mari.
3Les « féministes » se déclarent officiellement, au début de la IIIe République : c’est « la première vague », celle des suffragistes. Entrant dans la logique du système, elles revendiquent les droits civils et politiques en vertu de leur seule qualité d’êtres humains, elles ne se posent plus en mères. Pour autant, elles ne renoncent pas à faire reconnaître l’importance de la maternité. À côté des droits civils et politiques, elles réclament des droits sociaux particuliers : congé de maternité pour les travailleuses, soins et secours pour les accouchées et pour les mères sans appui. De puissantes associations se constituent, entre 1880 et 1900 : elles organisent de grands congrès nationaux et internationaux. Ces militantes sont ainsi à l’origine d’institutions qui verront le jour entre les deux guerres. En effet, les hommes d’État républicains, inquiets du déclin démographique, sont tous convertis au natalisme, donc décidés à stimuler la procréation et à protéger les mères. Ils promulguent des lois répressives pénalisant l’avortement et la propagande en faveur de la contraception (1920-1923). Et surtout ils s’inspirent des revendications féministes pour inaugurer une politique familiale, en instituant le congé de maternité (1909-1913), l’assurance maternité (1928) et les allocations familiales (1932). Cette tendance se renforce sous le gouvernement de Vichy, qui procède à une véritable « nationalisation » des mères (la fête des mères est célébrée officiellement). Ensuite la tendance se confirme après la Libération, avec l’organisation de la Sécurité sociale. L’État providence s’est alors substitué aux pères comme protecteur des mères et des enfants.
Les suffragistes étaient d’autant plus satisfaites qu’elles avaient aussi obtenu, en 1944, l’intégralité des droits politiques. Et le babyboom a semblé confirmer le choix massif des femmes pour la vocation maternelle. Alors pourquoi une « seconde vague » féministe se lève-t-elle dès le milieu des années cinquante ?
Le féminisme contestataire
4Le baby-boom, considéré parfois comme une époque de régression, fut en réalité un creuset de métamorphoses :
51. D’abord parce que les mères du babyboom ont été très mal accompagnées. L’assurance maternité a accéléré la médicalisation de l’accouchement, mais les parturientes étaient mal accueillies dans des cliniques surpeuplées, où le « pouvoir médical » s’imposait sans égards, trop souvent avec brutalité. En même temps la crise du logement sévissait partout, réduisant les vaillantes mères de famille nombreuse à des conditions de vie harassantes.
62. Ensuite le baby-boom a contribué à un essor économique sans précédent (« les Trente Glorieuses ») : un puissant appel de main-d’œuvre attirait les femmes vers des emplois du secteur tertiaire, peu pénibles et assez bien rétribués. D’ailleurs les jeunes filles (futures mères) profitaient de la démocratisation de l’enseignement : elles étaient nombreuses désormais à poursuivre des études secondaires et supérieures, qui leur ouvraient des perspectives professionnelles de plus en plus attrayantes.
73. Les couples du baby-boom, même les mieux disposés à procréer, ne renonçaient nullement à maîtriser leur fécondité. Mais la législation répressive datant des années vingt, appesantie par Vichy, avait été maintenue après la Libération. Faute de contraception féminine, l’avortement sévissait, et sa clandestinité était à l’origine de graves accidents.
84. Enfin on ne saurait négliger l’influence de Simone de Beauvoir. Son livre Le deuxième sexe, ouvrage fondateur s’il en est, avait fait scandale en 1949, mais il a été lu sous le manteau et il a favorisé bien des conversions. Entre autres messages, il dénonçait le caractère aliénant de la maternité qui maintient la femme dans l’immanence, alors que le propre de l’humain c’est le dépassement de soi, l’accès à la transcendance.
9Dès 1956, une nouvelle association, Maternité heureuse, commence à plaider ouvertement pour la contraception, en vue de réduire le fléau de l’avortement clandestin. L’arrivée sur le marché de « la pilule » a stimulé ce nouveau militantisme, qui a rallié de nombreux hommes, surtout des médecins. Au début des années soixante, le Planning familial a vu le jour et des centres de consultation ont été ouverts, dans l’illégalité. Après des débats et des conflits passionnés [1], conduits par des « mouvements » très combatifs (MFPF, MLF, MLAC), deux lois émancipatrices ont été promulguées : la loi Neuwirth (1967) et la loi Veil (1975). Elles ont dépénalisé – sous condition – la contraception et l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Leur importance symbolique ne saurait être sous-estimée : elles instituaient en faveur des femmes un habeas corpus spécifique. Durant la même décennie, dans le code civil, la puissance paternelle a cédé la place à l’autorité parentale, que partage la mère. Le divorce a été facilité.
10Le célèbre slogan : « Un enfant si je veux quand je veux ! » concentre le message de cette nouvelle génération féministe. Les implications en sont profondément révolutionnaires.
11Il récuse la maternité passive, vécue comme un destin ou un devoir, soumise aux intérêts du « patriarcat ». La maternité n’est acceptable que comme épanouissement narcissique du moi féminin, c’est une affaire privée. Une femme n’est plus femme selon sa nature, mais selon sa liberté. Cette liberté dissocie le féminin du maternel. Le « sujet-femme » s’affirme en développant toutes ses potentialités, il se qualifie par ses aptitudes et ses compétences individuelles. La sexualité, exonérée de la fécondité, peut s’exprimer sans contrainte ; le plaisir sexuel exalté, mythifié, supplante la vocation maternelle. L’image de l’autre sexe est chavirée : le sperme perd son pouvoir magique, le géniteur perd son prestige. Seule responsable de la maternité, la femme l’est aussi de la paternité. Au plan social et politique, la liberté féminine d’enfanter ou non n’est comparable à aucune autre : elle confère au deuxième sexe « droit de vie et de mort sur les sociétés occidentales » (Louis Roussel).
12Cependant, après quelques années d’euphorie, le ciel s’est obscurci. L’épidémie de sida a intimidé la libre sexualité. En outre, les jeunes femmes ont ressenti le poids de la responsabilité qui leur incombait. Pourquoi donner la vie ? À quel moment ? Avec quel partenaire ? Dans quel monde ? Arrêter la pilule, c’est provoquer une suite de réactions en chaîne dont les effets seront imprévisibles. Décision effrayante. La maîtrise de la fécondité invite à décider rationnellement ce qui échappe à toute raison. L’ambivalence des femmes vis-à-vis de la maternité s’appesantit. Au cours des années soixante-dix, le taux de natalité s’effondre, et les « maternités tardives » se multiplient.
13Une conséquence remarquable de ce bouleversement c’est l’impulsion qu’il a donnée aux élaborations théoriques et scientifiques En philosophie, les féministes se sont divisées en deux tendances. D’un côté les « universalistes » (Christine Delphy, Élisabeth Badinter) ont remis en cause la différence des sexes, différence non pas naturelle mais socialement construite, y compris la relation parent-enfant (ainsi l’« amour maternel » n’est pas naturel, il est « en plus »), et qui peut donc être « déconstruite ». D’un autre côté, les « essentialistes », ou « différencialistes » (Antoinette Fouque, Hélène Cixous, Luce Irigaray, Julia Kristeva) refusaient toute identification de la femme à l’homme, et inventaient le féminin/maternel comme essence. La tendance universaliste a dominé. En psychologie et en psychiatrie, les consultations relatives à l’interruption de grossesse ont facilité la découverte progressive du fameux « continent noir ». En sciences sociales (sociologie, anthropologie, histoire), les recherches se sont multipliées, analysant les effets de la domination masculine, qui, instrumentalisant la fonction maternelle, voue les femmes aux travaux ménagers, les enferme dans la vie privée, et les écarte de toute participation à la vie publique. La répartition selon le sexe des tâches, des rôles, des fonctions, des espaces est dénoncée comme arbitraire. Le concept de « genre », construction socioculturelle de la différence des sexes, est issu de ces observations.
Les mères féministes ont voulu mettre en œuvre une « contre-éducation » en élevant de la même manière leurs filles et leurs fils. Même si leur succès dans ce domaine est resté limité, elles gardent le mérite d’avoir réhabilité le corps féminin, d’avoir aboli la honte ancestrale, le regret d’être femme.
Le féminisme à venir
14Au cours des années quatre-vingt, de nouvelles questions surgissent.
15Les sciences biomédicales ont exploré à loisir le ventre des femmes pour mieux assurer la maîtrise de la fécondité. Dépassant cet objectif initial, elles ont mis au point des techniques permettant de contourner la stérilité, tant masculine que féminine. Alors, soudain, le désir d’enfant des femmes s’est manifesté avec une intensité imprévue : les services hospitaliers spécialisés se sont trouvés envahis, les listes d’attente s’allongeant démesurément. Les candidates supposées stériles faisaient preuve d’un incroyable acharnement : elles assimilaient leur détresse à celle qui justifie l’avortement. Leur exigence s’exprimait comme un « droit à l’enfant ». Enfant objet pour la mère, « enfant prothèse, enfant greffe » (Delaisi de Parseval) : revendication de plus en plus individuelle, de plus en plus subjective, le sperme évinçant le père. Des demandes émanaient de femmes célibataires, vierges, homosexuelles, ménopausées. Le désir d’enfant des femmes a plongé en plein désarroi les sages des comités d’éthique. D’un autre côté les nouvelles techniques de reproduction ont posé de troublantes questions d’identité. Qui est la mère d’un enfant né d’une fécondation in vitro ? celle qui donne ses ovocytes ? celle qui porte et accouche ? celle qui nourrit et élève ? Au-delà c’est toute la procréation humaine qui est entrée dans une ère nouvelle, avec en perspective un eugénisme vertigineux.
16Et pendant le même temps, l’adoption, facilitée depuis 1960 par une législation plus souple, connaissait une expansion galopante.
17Les féministes, sidérées et perplexes, ont tardé à réagir. Leur dénonciation de la maternité/aliénation, les avait privées de toute réflexion constructive sur la relation entre féminité et maternité. Bientôt de grands colloques (Maternité en mouvement, 1986 ; L’ovaire-dose, 1988) les ont aidées à mûrir. Elles ont admis qu’il fallait non seulement aider les femmes à ne pas devenir mères malgré elles, mais aussi accompagner celles qui choisissaient librement de le devenir. Toutefois, pour ce nouveau combat elles se sont révélées nettement moins militantes et moins organisées que naguère. Les anciens « mouvements » ont disparu. Aux yeux de certains, le féminisme est fini, voire ringard. La vérité est, au contraire, que grâce aux médias, le féminisme s’est infiltré dans tous les milieux, ses messages ont été partout diffusés et entendus. Il n’a plus d’identité politique, ni de programme établi, il s’est émietté en associations multiples, ses objectifs se sont diversifiés. Mais des manifestations fréquentes confirment sa vitalité. Soulignons que les intellectuelles y jouent toujours le premier rôle, que les divergences entre universalistes et différencialistes animent toujours les débats, et que les causes défendues restent toujours en relation étroite avec la fonction maternelle.
18Les enquêtes conduites par les sociologues révèlent des injustices inacceptables.
19Exemples :
20La parité. Tous les lieux de pouvoir sont dominés par le sexe fort, notamment le pouvoir politique. Des féministes ont réclamé – et obtenu – une loi favorisant un partage plus équitable. Les universalistes refusaient cette « discrimination positive » qui confirme la différence des sexes. En effet, s’il faut autant de femmes que d’hommes dans les lieux de pouvoir, cela signifie que les hommes et les femmes ne sont pas uniformément permutables. Or la seule identification irrécusable, la seule permanence du féminin, c’est la maternité.
21Les violences. Les lois permettent de les sanctionner. Pourquoi, disent les universalistes, faudrait-il s’occuper spécialement des violences subies par les femmes ? pourquoi les « victimiser »? Parce que, répondent les autres, les mères sont vulnérables en tant que telles : elles hésitent à porter plainte contre le père, lequel utilise souvent les enfants comme moyen de chantage.
22Le travail. À présent, la plupart des femmes veulent exercer une activité rémunératrice et aussi procréer. Or celles qui cèdent à leur désir d’enfant, sont trop souvent confrontées à la « double journée », souffrant à la fois de surmenage et d’une cruelle culpabilité. Il arrive aujourd’hui que de jeunes mères délaissent, au moins provisoirement, à leurs risques et périls, une carrière brillante pour « profiter » de leur bébé. On ne saurait voir là une résurgence du « matriarcat », qui n’a jamais existé dans aucune culture, mais c’est assurément un grave dommage, pour l’intéressée elle-même et pour la société. En démocratie, toute femme devrait pouvoir devenir mère sans se perdre. Pour pallier cette injustice, les féministes ont d’abord prêché un partage équitable des tâches parentales. Mais d’une part quel moyen a-t-on de contraindre un homme à accepter ce partage ? D’autre part, les femmes ne déposent pas si aisément la « charge mentale » (Monique Haicault) de la maisonnée, espace d’initiative et de responsabilité, mal reconnu mais parfois gratifiant. Et d’ailleurs le nombre de celles qui élèvent seules leurs enfants a tendance à croître. Le partage ne peut résulter que d’une négociation entre conjoints. Le vrai progrès exigerait trois séries de réformes, à propos desquelles toutes les féministes, et toutes les femmes sont d’accord : aménager les congés parentaux (et pour cela réformer le code du travail de telle sorte qu’il respecte le temps de la parentalité, pour les hommes comme pour les femmes) ; améliorer l’organisation sociale du travail domestique, développer et assouplir les modes d’accueil pour les enfants.
23Le métier. Les campagnes publicitaires affirmant que « les métiers n’ont pas de sexe » échouent toujours pitoyablement. La plupart des jeunes filles veulent réussir leur vie privée, en assumant la fonction maternelle dans les meilleures conditions. Or elles savent que la maternité pèse sur les femmes bien plus que la paternité ne pèse sur les hommes. Elles évitent donc les filières conduisant aux métiers les plus accaparants, ainsi que ceux où la compétition est forte, même si ces métiers sont les plus prestigieux et les mieux rétribués. La règle d’or, pour le choix du métier devrait être la liberté individuelle : une femme peut devenir pilote d’essai, un homme peut devenir sagefemme, la loi le permet. On peut pourtant augurer que pendant longtemps encore, il y aura plus de femmes parmi les sages-femmes, et plus d’hommes parmi les pilotes d’essai. Pourquoi pas ? Le vrai scandale c’est la discrimination au niveau des rémunérations et du prestige. Sur ce point aussi toutes les féministes sont d’accord. Mais les femmes manquent de combativité, elles ne savent pas se coaliser pour obtenir les réformes nécessaires.
Habeas corpus. L’importance symbolique des lois qui ont dépénalisé la contraception et l’avortement ne saurait être surestimée. Toutefois, trente ans après on observe que les femmes s’approprient mal les libertés qui leur ont été accordées : la liberté juridique ne suffit jamais, ce n’est qu’une étape. Ainsi pour la contraception : pilules, stérilets et autres engins sont fabriqués par des multinationales qui se soucient bien plus d’accroître leurs profits que de libérer les femmes. En conséquence les pilules les mieux dosées sont les plus onéreuses, la Sécurité sociale peine à les rembourser, les usagères sont flouées, surtout les plus démunies. Quant à l’IVG, les femmes manquent d’assurance pour en user librement. Bon nombre de celles qui la demandent déclarent : « Je n’ai pas le choix ! » Où est la liberté de celle qui n’a pas le choix ? Qui osera étudier de près les obstacles qui bornent cette liberté ? Des enquêtes établissent que très peu de femmes, même expérimentées, sont capables de refuser un rapport non protégé : la demande masculine est prioritaire, surtout si elle se présente comme preuve d’amour, ce à quoi les femmes sont toujours très sensibles. Le risque, c’est la femme seule qui le prend : injustice flagrante qui accuse cruellement la différence des sexes au lieu de la réduire. La loi Veil est certes une loi de liberté très précieuse en ce qu’elle permet aux femmes d’assumer leur ambivalence face à la maternité. Bien des féministes voudraient, comme aux Pays-Bas, étendre le droit d’avorter jusqu’à la viabilité du fœtus (22 semaines de grossesse), elles souhaitent que l’IVG soit une opération chirurgicale banalisée. Le corps médical résiste. Ce qui reste en tout cas inacceptable, c’est la déresponsabilisation masculine. Aujourd’hui, on sait congeler des provisions de sperme : que celui qui ne veut pas être père se fasse vasectomiser. Il conservera le pouvoir d’offrir ses précieuses paillettes à celle qu’il aura jugée digne d’être la mère de ses enfants.
Le féminisme humaniste.
24Proposons pour finir cette définition : le féminisme c’est l’autre face, trop longtemps cachée, de l’humanisme. Qu’est-ce que l’humanisme ? Une doctrine qui met au premier plan la personne humaine et son épanouissement. Mais la personne humaine est sexuée : ce qui convient à l’épanouissement d’une personne de sexe masculin ne convient pas toujours, ne suffit pas toujours, à une personne de sexe féminin. Les combats humanistes ne sont jamais terminés, parce que le changement social produit sans cesse de nouvelles inégalités, de nouvelles injustices parmi les humains. De même les combats féministes ne seront jamais achevés parce que le changement social produit sans cesse de nouvelles inégalités, de nouvelles injustices entre les hommes et les femmes. Le féminisme doit donc veiller à ce que l’humanisme universel n’oublie plus jamais de prendre en compte la différence des sexes. Tâche difficile ! Car ce qu’on appelle la domination masculine est apparu dès les débuts de l’hominisation, peut-être pour compenser l’angoisse originelle des mâles humains, inquiets de voir leurs femelles mettre au monde les enfants des deux sexes. Pour se reproduire en tant que mâles, ils sont obligés de passer par les femmes (Françoise Héritier) : d’où leur souci permanent de dominer les femmes pour gouverner la procréation. Le mariage, au début n’avait pas d’autre raison d’être. Depuis, la domination masculine se construit et se reconstruit sans cesse en s’adaptant à tous les contextes Aujourd’hui elle a lâché du lest dans la vie privée, mais c’est pour mieux s’affirmer ailleurs, dans la plupart des institutions et des entreprises. Ce processus n’est pas toujours délibéré, ni même conscient, mais il semble inéluctable. Le féminisme doit donc protéger le sexe faible sans rompre le dialogue avec l’autre sexe qui a tant besoin de se sentir fort.
Cela suppose une nouvelle élaboration de l’éducation, notamment l’éducation dite sexuelle. Mais c’est là une autre affaire.
Bibliographie
Bibliographie
- • Le siècle des féminismes, collectif, préface de Michelle Perrot, Les Éditions de l’Atelier, 2004.
- • Maternité, affaire privée, affaire publique, collectif, sous la direction d’Yvonne Knibiehler, préface de Françoise Héritier, Bayard, 2001.
Notes
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[1]
« Manifeste des 343 salopes », Nouvel Observateur, avril 1971. Procès de Bobigny, octobre 1972.