Couverture de PSYE_641

Article de revue

Les comptines comme médiation thérapeutique auprès d’un groupe d’enfants

Pages 153 à 170

1Les services de pédopsychiatrie accueillent de nombreux profils d’enfants différents, avec des histoires de vie complexes. L’enjeu des soignants est de mettre en place des projets de soins cohérents et en adéquation avec la demande actuelle. Comme le met en avant Laurent (2019), depuis 1950, les thérapies de groupe d’enfants se sont largement déployées, notamment dans les institutions de soin et dans le secteur médico-social. Nous pouvons nous demander pourquoi. En effet, beaucoup d’enfants présentent des difficultés liées aux relations interpersonnelles, notamment avec leurs pairs, et parfois, la relation duelle en psychothérapie n’est pas suffisante pour pouvoir travailler cette dimension. C’est ici tout l’intérêt de cette étude qui se déroule au sein d’un Centre Médico-Psychologique (CMP), accueillant des enfants de 3 à 12 ans. Face à plusieurs jeunes patients aux profils assez inhibés, présentant des mouvements hétéro-agressifs qui les mettent particulièrement en difficulté sur le plan relationnel, nous avons pensé à créer un groupe thérapeutique. Le choix de la médiation s’est rapidement porté sur les comptines, une médiation originale et innovante, d’autant plus qu’elle est peu théorisée dans les écrits. Ces petites chansons universelles permettent de communiquer des émotions et d’aborder certaines angoisses en apportant, peut-être, davantage de légèreté à l’inconscient. Comme l’évoque Grosléziat (2012), en parlant des comptines avec le gros méchant loup : « Il n’est pas meilleur antidote contre la peur que de la rencontrer et de l’apprivoiser » (p. 124).

2Les questions de recherche liées à notre problématique ont, peu à peu, émergé lors de la mise en place du groupe et il nous a paru intéressant de les partager : dans un premier temps, comment les comptines peuvent-elles être médiatrices de la relation ? Et, de manière plus générale, en quoi le groupe peut-il être thérapeutique pour les enfants ?

3Le groupe est constitué de trois petits garçons âgés d’environ 5 ans, ils se réunissent une fois par semaine. Nous supposons que la médiation de la comptine, notamment à gestes, pourrait permettre une approche différente de la relation. De plus, pour ces enfants qui présentent des difficultés à être en groupe, le fait d’être peu nombreux et d’avoir des thérapeutes pour faire tiers pourrait leur permettre de trouver des solutions plus facilement face aux conflits intra et interpersonnels. Nous aborderons comment le groupe a été pensé, de la théorie à la mise en pratique. Puis, nous nous intéresserons davantage à analyser la dynamique du groupe, son évolution et la place du thérapeute dans la relation.

La mise en place d’un groupe thérapeutique d’enfants

4Avant de décrire comment le groupe a été pensé, son déroulement, et l’analyse que nous pouvons en faire, il semble nécessaire d’apporter un bref historique des groupes thérapeutiques et leurs théorisations. Ces différentes lectures ont permis de penser la dynamique du groupe et ont été indispensables à sa construction.

Le développement de l’approche groupale auprès des enfants

5Les premiers groupes thérapeutiques d’enfants sont d’abord apparus aux États-Unis, avec Slavson en 1934. À cette époque, il met en place des groupes d’activités (Activity Group Therapy) pour les enfants en âge de latence. Son postulat de départ repose sur le besoin de l’enfant de s’exprimer, non pas par le langage oral, mais par le corps pour réguler ses émotions. Slavson suppose que l’activité physique, associée à une bonne relation entre les enfants, et la présence d’un adulte, pourrait avoir un effet thérapeutique car ils peuvent « vivre une bonne expérience groupale dans un environnement permissif » (Chapelier, 2009, p. 10). L’objectif thérapeutique étant d’accéder à un meilleur contrôle pulsionnel, consolider les fonctions du moi et permettre une adaptation plus souple à la réalité sociale. Pour les enfants plus jeunes, de moins de 6 ans, Slavson met, également, en place des thérapies de groupe par le jeu (Playtherapies), d’approche psychanalytique. L’intérêt est de permettre à l’enfant de s’exprimer à travers le jeu symbolique. Cependant, des difficultés d’ordre conflictuel et de décharge motrices importantes apparaissent assez vite. Pour pallier ces mouvements, Schiffer (1987) propose un temps de réflexion entre les moments d’activités, afin de mettre des mots sur les moments d’agir, ce qui a pour conséquence d’apaiser les angoisses sous-jacentes. Ce dispositif thérapeutique permet de développer l’introspection chez l’enfant.

6En France, c’est en même temps que l’apparition de la pédopsychiatrie, après la Seconde Guerre mondiale, que les groupes thérapeutiques d’enfants tentent d’être mis en place. Cependant, les groupes d’expression libre n’ont peut-être pas suffisamment été pensés en amont car beaucoup de débordements venants des enfants se sont manifestés. Ce qui a rendu importante la théorisation pour mieux comprendre les mouvements en jeu dans ce dispositif. On observe dans la littérature que la théorisation des groupes thérapeutiques ne se révèle pas si facile puisque nous avons tendance à focaliser notre analyse, soit sur l’individu, soit sur le groupe en tant qu’entité. Dans le mouvement psychanalytique français, c’est en partant de la compréhension du fonctionnement de l’appareil psychique de l’individu que certains auteurs comme Pontalis, Anzieu ou Kaës ont pu théoriser une compréhension des phénomènes de groupes. Ils font l’hypothèse que le groupe acquiert un statut d’objet psychique. Ainsi, Kaës parle, en 1976, de « l’appareil psychique groupal », qui se construit progressivement grâce à l’interaction des appareils psychiques individuels des membres du groupe, pour former une réalité psychique partagée. Anzieu, développe également la notion « d’enveloppe psychique groupale » ou « peau groupale », en 1986, en référence au Moi-Peau, contenant et sécurisant, permettant ainsi le développement de cet appareil psychique groupal. Ce mouvement suppose l’introjection de la fonction contenante du groupe pour pouvoir travailler sur les enveloppes individuelles des membres du groupe.

7Il semble aussi important de garder à l’esprit que chaque membre du groupe est en interaction avec son environnement propre, ce qui permet la singularité de tout individu. Quelin et Privat(2002) parlent de « double approche » dans le sens où le groupe est un lieu de rencontre entre des individus où chacun dépose des émotions et crée ensemble. Ces émotions viennent de l’histoire de l’individu et de ses interactions avec son environnement. Cette notion de « double approche » rejoint en partie l’idée de Kurt Lewin (Gestalt théorie) qui met en avant le fait que chaque individu est en constante interaction réciproque avec son environnement ; le groupe est constitué de membres interdépendants, eux-mêmes interdépendants de leur environnement.

8Parallèlement, c’est dans les années 1980, que Chapelier et Privat organisent des groupes d’enfants d’inspiration psychanalytique et fondent le CIRPPA (Centre d’Information et de Recherches en Psychologie et Psychanalyse Appliquées aux Groupes) permettant les premières théorisations sur les mouvements psychiques en jeu dans les groupes. Il découlera de ces expériences, en 1988, le premier congrès de psychothérapie de groupe d’enfants et d’adolescents.

9Chaque dispositif psychothérapeutique nécessite un cadre (Martin, 2001), qui est réfléchi avant même la rencontre. Ainsi, il existe autant de groupes que de cadres (ex : groupe d’expression libre, psychodrame, groupe à médiations) car celui-ci est pensé différemment en fonction du nombre de thérapeutes, de leurs spécialités, du nombre d’enfants et de leurs profils (âge, culture, problématique, facteurs de temps et de fréquence, lieu, groupe ouvert ou fermé, etc.). Dans le cas de notre étude, les éléments spécifiques du cadre se déclinent autour du choix de la médiation des comptines et de l’association à la rythmicité de la musique. Des études, telles que celle de Bolduc et Lefebvre (2012), se sont intéressées aux comptines dans le développement du langage. D’autres, notamment aux États-Unis (Warren, 2011) se sont intéressées à l’utilisation des rimes sous forme de thérapie comportementale (thérapie rationnelle émotive d’Ellis, 1956) pour contrer les pensées irrationnelles chez les enfants. Mais, nous ne trouvons pas d’articles abordant le choix des « comptines » auprès d’un groupe thérapeutique d’enfants.

10Laurent (2019) décrit quatre conditions essentielles à la constitution d’un groupe thérapeutique d’enfants : l’anticipation du groupe par l’analyste, l’organisation de l’espace-temps, la règle de l’association libre et la règle de l’abstinence. Ces quatre conditions vont être développées.

L’anticipation du groupe par l’analyste

11Ce projet expérimental se déroule dans le cadre institutionnel d’un Centre Médico-Psychologique pour enfants, une structure publique extrahospitalière rattachée au Centre Hospitalier du secteur. Les consultations individuelles, ainsi que les groupes thérapeutiques, se font en ambulatoire. Le groupe est constitué de deux psychologues cliniciennes qui ont travaillé sur le projet ensemble dès le départ. Dans le CMP, peu de groupes sont possibles, il existait un groupe « Éveil » pour les tout petits (jusqu’à 3 ans), un groupe « Contes » pour les plus grands (à partir de 8 ans), mais il n’existait pas de groupe pour les enfants âgés de 4 à 5 ans. La médiation de la comptine nous a paru originale, c’est un moyen universel d’accès à la culture et de mise en relation. Les premières comptines sont chantées par le parent au bébé puis, au fur et à mesure, elles sont apprises dans différents cadres extérieurs avec des camarades (crèche, école, etc.). Elles impliquent parfois une gestuelle qui permet le développement de l’expression orale et corporelle et une meilleure appréhension du schéma corporel. Parfois, ces gestes nécessitent un contact physique avec l’autre, ce qui peut mettre en difficulté du fait de trouver la juste distance à l’autre (Jacquet, 2012).

Composition du groupe

12Thomas est âgé de 5 ans et 1 mois au démarrage du groupe. La grossesse et l’accouchement ont été compliqués pour la maman qui présentait une insuffisance rénale, elle a dû être alitée à partir de trois mois et demi de grossesse. À l’accouchement, une césarienne en urgence a été réalisée et Thomas a dû être réanimé avec massage cardiaque. Sur le plan du développement, il est très peu passé par le babillage, et a très vite été en avance au niveau du langage. La marche a été acquise à 18 mois. Les parents expliquent que le premier moyen de communication de Thomas avec les autres enfants a été de « taper » l’autre. Il a été orienté au CMP par la psychologue scolaire pour « bizarreries du comportement et isolement en classe ». Thomas a des difficultés à suivre les consignes collectives et à être en relation avec les enfants. La maman le décrit comme très sensible, et sujet aux angoisses, ce qui est mis en évidence à travers le jeu symbolique dès le premier rendez-vous de présentation du groupe. L’équipe du CMP soupçonne un syndrome d’Asperger. Thomas est suivi en psychomotricité mais n’a pas encore de thérapie individuelle, celle-ci devrait débuter à la rentrée prochaine.

13Charlie est âgé de 5 ans et 3 mois au démarrage du groupe. Charlie est un enfant unique, désiré, issu d’un parcours de PMA (procréation médicalement assistée) avec don d’ovocytes. Il a été adressé au CMP par la maternité afin de soutenir et évaluer la qualité du lien mère-bébé. La grossesse a été anxiogène pour la maman car Charlie avait un périmètre crânien en deçà de la moyenne et elle s’inquiétait d’avoir un enfant handicapé. L’accouchement s’est fait par césarienne à 42 SA (semaines d’aménorrhées). Charlie a eu un développement harmonieux malgré des otites à répétition qui ont nécessité la pose de yoyos en 2016, améliorant ensuite la qualité du langage. La trace graphique est encore difficile pour Charlie. Depuis juin 2018, il présenterait un comportement problématique à la maison. Charlie a tendance à alterner entre des mouvements de toute puissance où il peut être agressif envers ses parents jusqu’à les taper, et des moments de régression avec des difficultés de séparation et une recherche de rapprochement corporel presque inadapté, de tout petit, supportant difficilement la frustration. À l’extérieur, Charlie a également beaucoup de difficultés à être en relation avec les autres enfants. Pendant l’entretien précédant le groupe, le papa peut dire que Charlie a tendance à mieux s’entendre avec les enfants qui ne parlent pas la même langue, sinon « il s’y prend mal ». Il est suivi en psychothérapie individuelle au sein du CMP, en orthophonie et en psychomotricité en libéral.

14Arthur est âgé de 4 ans et 9 mois au démarrage du groupe. Il a été adressé au CMP dans un contexte de deuil périnatal de son petit frère. Depuis, les parents ont eu un autre enfant. Les quatre derniers mois de grossesse d’Arthur ont été vécus dans l’angoisse car il y avait une suspicion de trisomie. Finalement, Arthur est né à terme par voie basse, mais il a fait une œsophagite à 10 jours et s’est fait opérer deux fois des amygdales. Aujourd’hui, il n’a pas de problème de santé particulier. Sur le plan développemental, Arthur a parlé « très vite et bien » à 2 ans ½ selon le papa et la marche a été acquise à 1 an. De manière générale, Arthur est un enfant qui a des difficultés à réguler ses émotions, il peut avoir fréquemment des perceptions effrayantes, l’amenant à être assez angoissé au moment du coucher et au passage aux toilettes. Ces signes cliniques peuvent être mis en lien avec le fait qu’il a été témoin d’une crise d’épilepsie de son papa lorsqu’il était plus petit. La séparation est source d’angoisse pour Arthur. Il peut souvent être dans sa bulle, montrant un intérêt intense pour l’univers « Marvels ». Il a tendance à ne pas être attentif aux consignes tout en testant souvent les limites. Ses parents le décrivent comme un enfant qui a eu beaucoup de difficultés à être en relation avec les autres enfants, ne sachant pas comment gérer la distance avec eux. Sur le plan des prises en charge, Arthur est suivi en psychothérapie et en psychomotricité au CMP. Il a également un suivi orthophonique en libéral.

15Nous pouvons mettre en lien des points communs entre ces enfants, notamment concernant les difficultés liées à la grossesse et l’accouchement entraînant pour les trois garçons des angoisses de séparation. De plus, à travers le discours des parents et des soignants, il apparaît que les enfants ont des difficultés à être en relation de manière générale, et particulièrement avec les autres enfants. Ils ont aussi un profil de développement hétérogène qui ressort du bilan neuropsychologique et psychomoteur.

16Chaque famille a été rencontrée lors d’un entretien préliminaire afin de présenter le groupe, ses modalités, l’importance de la présence des enfants de manière hebdomadaire mais également d’entendre les attentes, craintes et représentations des familles concernant cet espace de soin.

L’organisation de l’espace-temps

17C’est un groupe fermé, la problématique des enfants étant la difficulté à être en relation, il paraît particulièrement important de créer un environnement secure et de respecter la temporalité de la dynamique de groupe. Nous avons également pensé à inclure une peluche, que nous nommerons Bidule, une grosse tortue colorée qui prend place au centre du groupe et le représente symboliquement.

18Les enfants et les thérapeutes sont assis autour de Bidule, sur des plaids de couleur qui seront les mêmes pour toutes les séances et qui représenteront les « maisons », l’espace de chacun que nous devons respecter. Ces « territoires » (Privat & Quélin-Souligoux, 2005) permettent d’investir son espace avant d’aller vers l’autre. Le choix de cette configuration s’est fait en lien avec nos choix de lecture, notamment l’article de Gauthier et Lejeune (2008). Les enfants accueillis ont des angoisses se traduisant par une agressivité pouvant être dirigée vers l’adulte, que nous pourrions interpréter par une recherche de limites contenantes et « cadrantes ». Nous voulions essayer au maximum que les thérapeutes soient au même niveau que les enfants tout en pouvant rappeler les règles lorsque cela serait nécessaire. Grâce à la peluche Bidule mise au milieu, l’agressivité qui pourrait être dirigée vers le groupe se dirige davantage vers cet objet symbolique.

19Le groupe se déroule au sein du CMP, dans la salle de groupe, tous les mardis matin pendant 1h. Nous avons, ensuite, un temps de post-groupe d’une durée de 30 à 45 minutes. Il n’y a pas de groupe pendant les vacances scolaires.

20Du point de vue du déroulement, les enfants sont amenés par un parent, nous enlevons nos chaussures dès l’entrée dans la salle pour que chacun puisse rejoindre sa place sur sa « maison ». Bidule est au milieu et nous commençons par la chanson du bonjour « j’ai un nom, un prénom ». En cas d’absence d’un membre du groupe, nous mettons des mots et sa place est quand même préservée physiquement et psychiquement. Puis vient le temps des comptines, les enfants sont invités à être force de proposition. De notre côté, nous avons des comptines de préparer en amont que nous adaptons à l’état émotionnel des enfants. Ensuite, nous faisons un temps d’éveil musical assisté d’instruments, obligeant également chacun à respecter l’espace de l’autre, à l’écouter et permettant de décharger les tensions physiques. Les enfants sont très en demande de ce moment. Enfin, nous terminons le groupe par un temps de dessin pour faciliter l’apaisement de chaque enfant avant de se dire « au revoir » et rejoindre les parents en salle d’attente.

La règle de l’association libre et la règle de l’abstinence

21La « règle de l’abstinence » renvoie à la formation d’un appareil psychique groupal constitué de l’ensemble des appareils psychiques individuels en transformation par la mise en groupe. À chaque séance, nous choisissons des comptines en amont qui font lien avec celles que nous avons chantées la semaine précédente et qui les préoccupent. Mais, nous restons flexibles puisque les enfants sont force de proposition. Alors qu’au début ils s’adressaient davantage aux thérapeutes, progressivement les enfants échangent entre eux, et essayent de trouver des compromis quand ils ont des idées différentes. Le thérapeute peut alors les aider si cela est trop difficile pour eux. On retrouve à travers ce fonctionnement, la « règle de l’association libre ». Cette seconde règle vient alors questionner le cadre du thérapeute car, d’autant plus avec les enfants, l’association libre peut amener à des débordements et des agirs pouvant désorganiser le bon fonctionnement du groupe et ses membres. La fonction contenante du groupe émane alors de l’association entre dispositif et psyché des thérapeutes. Nous observons les différents mouvements du groupe et tentons d’en envelopper l’ensemble de manière suffisamment contenante pour que les préoccupations et problématiques de chacun puissent s’exprimer à travers le jeu. Cela rejoint le concept de la neutralité bienveillante. Enfin, la règle de la confidentialité, permet de préserver l’intimité du groupe, comme dans le cadre d’une psychothérapie individuelle. Les thérapeutes s’engagent à garder et protéger l’intime du groupe et engagent les enfants à en faire autant. Cela permet de se libérer de l’œil parental. À ces différentes règles, les thérapeutes exposent aux enfants des règles de groupe telles que l’interdiction de se faire mal et de faire du mal aux autres ou de casser du matériel.

Le groupe Comptines : Analyse de la dynamique de groupe et vignettes cliniques

22Nous allons pouvoir, à travers des vignettes cliniques, faire du lien entre nos observations de la dynamique de groupe et les concepts d’enveloppe psychique groupale (Anzieu, 1986) et d’appareil psychique groupal (Kaës, 1976). En mettant plusieurs individus en groupe, en commun leur psychisme est mis en commun pour former un appareil psychique groupal, chacun y prend une place particulière en fonction de sa participation plus ou moins active. Cet appareillage se fait parce qu’il vient faire écho au psychisme interne face à la réalité de la mise en groupe, il vient questionner la groupalité interne. L’appareil psychique groupal se construit grâce à la rencontre de plusieurs appareils psychiques individuels. Le travail en groupe suppose une certaine introjection de la fonction contenante pour pouvoir instaurer ou restaurer les enveloppes psychiques. L’un des enjeux du groupe thérapeutique est d’établir les prémisses d’activités représentatives à construire avec les enfants. Cependant, l’un des « risques » avec les enfants très jeunes et/ou avec des pathologies limites est de rester seulement dans l’agir plutôt que la symbolisation et le langage. Les comptines nous permettent alors d’aborder des thèmes qui peuvent les préoccuper à travers des représentations imagées adaptées à leur âge. Afin de rentrer en contact avec eux, nous passons par des comptines qu’ils connaissent, ajoutant progressivement des gestes et finalement le jeu de faire semblant. Cette démarche nous permet d’établir davantage la relation et de raconter une histoire qui puisse donner aux enfants des représentations en lien avec les affects éprouvés.

La mise en groupe

23Dès la première séance nous observons très bien les procédés décrits par Laurent (2005) de mise en groupe. Les enfants sont au début assez réservés, s’observent, et testent les limites du cadre. À cette première séance, chaque enfant va montrer sa personnalité et des objectifs personnels vont en découler.

24Séance 1 : Thomas est le premier à se présenter, il montre une certaine aisance à l’oral, et souhaite parler de ce qui se passe pour lui à l’extérieur. Il s’affirme rapidement et il semble important pour lui de dire aux autres qui il est à l’extérieur du groupe, ce qu’il aime : « les trucs de filles ». Charlie est plus réservé, il observe et suit les idées des autres enfants dans une tentative d’adaptation aux autres. Arthur, quant à lui, teste rapidement le cadre et se présente dès le début comme un leader dans le groupe. Force de proposition, il va parfois à l’encontre des propositions de l’adulte et décharge beaucoup d’agressivité sur le personnage médiateur du groupe, Bidule. Lui aussi, parle dès cette première séance de son centre d’intérêt principal : les « Marvel ». Il est d’ailleurs venu avec des chaussettes Spiderman. Les enfants se répondent par le biais des thérapeutes et chacun propose des comptines différentes du répertoire classique (la famille tortue, un éléphant qui se balançait, l’araignée Gipsy, etc.). La recherche de soutien des thérapeutes n’est pas la même pour tous les enfants, Charlie montrera dès cette séance que le regard de l’adulte est particulièrement important pour lui.

25Lors de cette première séance, chaque enfant va montrer sa personnalité et des objectifs personnels vont se dessiner. Thomas a tendance à beaucoup parler de lui et prend peu en compte les autres, il s’agira pour lui de se poser davantage dans la relation car il peut être très agité, et montre que la mise en groupe est compliquée pour lui. Charlie est plus réservé et a besoin d’avoir l’attention de l’adulte sur lui, il a beaucoup de difficultés à gérer la distance avec les autres enfants, tantôt dans sa bulle, tantôt trop proche et entravant l’espace psychique de l’autre dans une tentative de rapprochement physique. L’objectif est donc de s’affirmer davantage au sein d’un groupe tout en respectant les consignes. Arthur est très envahi par son imaginaire et souhaite que les autres enfants partagent ses préoccupations. L’objectif est de laisser la place à l’autre et de décharger ses angoisses de différentes manières. Dans l’ensemble, les objectifs du groupe sont de permettre aux enfants d’appréhender leurs difficultés à être en relation avec leurs pairs, mais également de pouvoir exprimer leurs angoisses respectives grâce à la médiation des comptines et du jeu symbolique.

26Au moment de la rencontre, de la mise en groupe, les angoisses empêchent les idées de s’exprimer, rien ne semble pouvoir être mis en commun, le conflit (avec les thérapeutes ou entre eux) est au-devant de la scène, on observe nettement une décharge immédiate de l’affect. Ces moments pourront se produire aussi plus tard, notamment lorsque le cadre est modifié, lesmises en mots fondent la puissance thérapeutique du groupe. Comme le précise Laurent (2005, p. 91), « le chaos dans la séance nous conduit à percevoir la réalité psychique interne au groupe produite par la rencontre des réalités internes de chacun des sujets du groupe ».

27Progressivement, aux séances suivantes, chacun tente de se différencier tout en formant un groupe, en s’influençant mutuellement. Ils commencent à réfuter les idées des adultes collectivement, mais également à se répondre. Les problématiques internes de chacun viennent se rencontrer à travers la mise en mots et actes de leurs angoisses respectives (cauchemars, fantômes, morts, etc.). Toute la difficulté de la relation est de trouver sa place tout en laissant la place à l’autre. Cela nécessite le dépassement des angoisses liées aux fantasmes d’indifférenciation (Laurent, 2005). Ainsi, les thérapeutes doivent accompagner les enfants pour qu’ils respectent les espaces de chacun, car tous les enfants ne sont pas au même stade au même moment.

La cohésion de groupe

28« Parfois, tout en s’exécutant, les enfants observent la façon de faire des petits amis, car faire le même geste ensemble, c’est signer son appartenance au groupe » (Bustarret, 2007, p. 46).

29Le groupe renvoie immanquablement au besoin d’exister en tant que sujet dans un groupe, tout en laissant la place aux autres. Cette question de la place vient mettre à mal de manière plus ou moins forte, le psychisme de chacun et faire écho directement à sa problématique familiale. Cela pourrait renvoyer au « moment fantasmatique » que décrit Kaës (1976). Le groupe représente un objet transitionnel entre la réalité intrapsychique et l’altérité inquiétante. Ainsi, chacun avec ses ressources va essayer de trouver sa place vis-à-vis des autres, entre tentative de différenciation individuelle et fantasme d’indifférenciation angoissante.

30Séance 3 : Après la comptine du bonjour, Arthur commence à attaquer la tortue Bidule. Charlie fait un bisou à la peluche, puis la tape à son tour, et Thomas fait de même. Les thérapeutes mettent des mots sur la situation et essayent de trouver une manière de calmer le conflit. Les enfants imaginent qu’ils ont fait pleurer Bidule et finissent par se mettre d’accord pour s’excuser et la réconforter. Malgré tout, Bidule meurt et Charlie l’emmène hors de l’espace délimité du groupe. À cette même séance, les moments de la danse avec les instruments et du dessin sont davantage investis que les comptines, les enfants s’expriment en scandant une phrase répétée plusieurs fois par Arthur, « les comptines c’est pour les bébés Cadum ! ». À la fin, lorsque les enfants ont suffisamment déchargé leurs angoisses, Charlie va chercher Bidule pour la ramener au centre au groupe.

31Les mouvements envers l’objet représentatif du groupe, qui fait tiers entre les enfants et les adultes, sont teintés d’ambivalence. L’agressivité n’est pas dirigée directement vers les thérapeutes, mais envers ce qui les symbolise, la tortue et la médiation. À travers cette scène, nous pouvons faire l’hypothèse que les enfants passent par l’agir pour exprimer leurs angoisses liées à la conséquence que peuvent avoir leurs actes. S’ils attaquent Bidule, serait-elle vraiment susceptible de disparaître ? Dans le même temps, les enfants commencent à s’unifier en groupe (à trois) et à s’opposer aux adultes. L’attaque de la médiation est, elle aussi, ambivalente car lorsque les thérapeutes proposent d’autres comptines, peut-être davantage de leur âge, les enfants sont finalement en demande de refaire les comptines du début (ex : la famille tortue, petit escargot). Nous pouvons d’ailleurs observer que les comptines qu’ils préfèrent au début font référence à la famille et à la maison. Il semble que, pour les enfants qui présentent des angoisses de séparation, il soit difficile d’accepter de régresser, car cela les met dans une position de plus petits face aux thérapeutes qui peut paraître insécurisante.

32C’est une fois que la différenciation individuelle se mettra en place, que les enfants vont pouvoir s’approprier davantage le groupe et être force de proposition. Être suffisamment en confiance dans le groupe et avec les membres du groupe les invite à se laisser aller à la symbolisation et à l’expression de leurs angoisses. Ainsi, le jeu ne peut commencer qu’après la mise en place de l’espace psychique groupal (Kaës, 1976).

Construction de l’appareil psychique groupal

33C’est à la sixième et septième séances, au retour des vacances de Noël, que les enfants vont montrer davantage qu’ils ont intégré une identité groupale, incluant les thérapeutes. Alors qu’avant le groupe n’était pas au complet, les trois enfants sont présents, ce qui permet d’avoir plus vite une cohésion de groupe. C’est, également, à cette période que Charlie montre comment il peut être en difficulté à suivre les autres enfants, du fait d’une plus grande immaturité affective. Charlie est celui qui a été le plus présent aux séances du groupe. L’absence des autres a peut-être fait qu’il ne s’est pas senti suffisamment en sécurité pour faire groupe avec eux. D’un autre côté, cela lui a permis de prendre une place particulière et de pouvoir nous raconter plus facilement ce qu’il ressent.

34Séance 7 : Thomas a été absent les 2 dernières séances, il a des difficultés à se poser et être avec les autres, il souhaite nous faire partager tout ce qui le préoccupe et ne laisse pas les autres enfants parler. Arthur, quant à lui, est plus apaisé dans le groupe, moins envahi par son imaginaire et les moments de décharges agressives peuvent être contenus par l’adulte. Charlie est dans l’imitation des autres et montre des difficultés à gérer son espace. Progressivement, il cherche à s’affirmer dans le groupe mais de manière inadaptée : il tente de prendre de la place physiquement dans l’espace avec sa couverture, avec une recherche tactile à l’autre, ce qui, au contraire peut avoir tendance à l’exclure du groupe. Malgré tout, Thomas et Arthur sont patients et le repoussent calmement, se reposant également sur les thérapeutes pour pouvoir remettre les limites et protéger leurs espaces. Chacun d’eux montre un bon investissement du groupe et l’introjection des repères temporels, ce qui leur permet ensuite de se mettre d’accord rapidement sur le thème qu’ils souhaitent aborder : « les loups ». Nous allons démarrer ce travail par la chanson « Promenons-nous dans les bois » et rapidement nous allons la mettre en action, la mimer, chacun son tour va jouer le loup.

35Kaës parle d’un « moment idéologique » qui renvoi à la diminution du moment fantasmatique où chacun va se construire une individualité dans le groupe, ainsi, quand un membre est menacé, c’est l’ensemble du groupe qui l’est aussi. Un mouvement de faux-self serait alors indispensable à la mise en place de l’appareil psychique. Cette étape se termine lorsque tous les membres ont une nouvelle assurance interne et permet le moment figuratif transitionnel, c’est-à-dire l’introjection stable de bon objet. Ces deux moments décrits par Kaës (1976) se passent de manière assez concomitante dans le groupe « Comptines », chaque enfant n’avance pas au même rythme, mais ils s’encouragent chacun à leur manière, tout en ayant toujours par moments des mouvements de rivalité, indispensable à leur individualité. C’est particulièrement Charlie qui montre le plus de mouvements de faux-self, et d’imitation des deux autres enfants.

36Séance 8 : La cohésion entre les enfants est bien présente ce jour, en salle d’attente, ils semblent jouer ensemble, alors qu’avant chacun restait avec son parent à distance sociale. Nous continuons le travail autour de l’expression des angoisses à travers le loup. À tour de rôle, chacun joue le loup, les thérapeutes également. Thomas demande alors en quelles matières seront les maisons puisque s’il y a un loup qui se promène, ils vont représenter les 3 petits cochons. Thomas décide en premier que sa maison sera en brique, Arthur aura une maison en métal et Charlie décide d’avoir une maison en paille. Mais, au fur et à mesure que chacun passe en tant que loup, les maisons se solidifient et Charlie se rend compte que la sienne n’est pas suffisamment solide, il décide donc d’en avoir une en paille, avec du ciment, et à la fin de la séance il arrivera, lui aussi, à avoir une maison en brique.

37Le jeu de tour de rôle permet de contenir l’agressivité et de préserver la place des uns et des autres. Les enfants se laissent plus de place et prennent plaisir à jouer ensemble. Nous pouvons également observer qu’à travers leurs maisons respectives (ils en ont chacun une), les enfants abordent la question des enveloppes.

38Séance 9 : Ensuite, ce sont les trois enfants qui vont faire les loups et les thérapeutes sont les petits cochons. Ces derniers conseillent les thérapeutes sur le choix du matériel pour que leur maison soit bien solide. Ils prennent plaisir à jouer les méchants ensemble : Thomas, très théâtral, connaît les paroles par cœur, Charlie et Arthur les répètent en chœur. Quand la fin de la chanson vient, les enfants se précipitent pour enlever les couvertures des thérapeutes et sautent joyeusement en criant : on a gagné !

39Kaës parle également d’un moment « mytho-poétique » qui correspondrait à la transformation de l’espace psychique interne, distingué du groupe. À cette étape, les relations intersubjectives changent et nous apercevons davantage un agencement de relations de différences entre les sujets. Le groupe se construit comme système de relations symboliques permettant une grande créativité. Nous souhaitions donc, quand ce moment serait venu et les relations ainsi stabilisées et suffisamment secure, créer une comptine avec les enfants du groupe qui permettrait de travailler la créativité collective et laisser une trace à la fin du groupe.

40La répétition de ce jeu de tour de rôle a duré sur plusieurs séances. Les enfants ont probablement eu besoin de ce temps pour se rassurer pour pouvoir ensuite passer à un autre thème. Puis, nous avons lu, mis en scène et chanté « Roule galette », chacun son tour a pu jouer soit la galette, l’ours, le lapin, le loup et enfin le renard. Dans la même optique de travail où chacun va jouer un personnage avec des traits de personnalité différents, comprendre l’histoire, se mettre d’accord sur les rôles de chacun.

Qu’en est-il de l’absence ?

41Une difficulté que nous avons rencontrée dès la seconde séance, a été celle de l’absence d’un participant. Nous nous sommes demandé comment les enfants allaient mentaliser cette absence ? Cela allait-il influencer les séances suivantes ? Mais les enfants sont pleins de ressources et la mise en mots de l’absence du participant permet de l’appréhender de manière plus tranquille. L’enfant est alors présent symboliquement par les mots et par la place qui lui est réservée avec sa couverture/maison.

42Le processus d’individuation ne semble pas être au même moment pour tout le monde, et les absences de certains affectent la dynamique du groupe dans le sens où un enfant peut avoir la sensation d’avoir manqué des choses. Cela devient plus difficile lorsque les absences sont répétées, ce qui a pu être le cas d’Arthur. Ces changements dans le cadre et le dispositif obligent le groupe à s’adapter et les enfants peuvent alors re-tester les limites qui paraissent peut-être moins sécurisantes. Cela peut également permettre de créer des liens entre les deux autres enfants et d’avancer différemment. Dans tous les cas, les séances, en individuel ou en groupe, ne se passent jamais de la même manière et comme nous pouvions les imaginer.

43Séance 11 : L’un des thérapeutes est absent, Arthur également. Les enfants sont en demande de reproduire « promenons-nous dans les bois » et chacun prend à son tour le rôle du loup. Au moment où Thomas fait le loup, le thérapeute tend la main à Charlie pour aller se promener car celui-ci a des difficultés à oser se promener symboliquement. Il accepte l’aide proposé et joue son personnage jusqu’au bout. Lorsque c’est au thérapeute de jouer le loup, de nouveau Charlie est clairement en difficulté et n’ose pas sortir de sous la couverture. Thomas s’en rend compte et lui propose son aide en lui tendant la main.

44Ce moment dans le groupe est une belle illustration de l’avancée des enfants qui montrent à ce moment une cohésion de groupe, où ils peuvent chacun se porter « secours ». Même si Charlie est plus en difficulté, Thomas vient l’aider alors qu’au début du groupe, il avait beaucoup de difficulté à prendre en compte les autres.

Échanges avec les parents, évolutions et critiques

Rencontres avec les parents

45Comme décrit précédemment, nous avons demandé à rencontrer chaque triade parents/enfant avant le début du groupe afin de répondre aux premières interrogations. Nous les avons également rencontrés pendant le groupe afin de faire état de l’avancée de nos observations et avoir un retour des parents sur les évolutions observées.

46La maman de Thomas est venue seule avec son fils, nous exprimant que la prise en charge au CMP n’était pas très soutenue par son mari pour l’instant. Dès cette première rencontre, nous avions pu observer que Thomas n’avait pas de difficultés à parler avec les adultes. Pendant que nous échangeons, il participe avec enthousiasme tout en jouant avec des figurines autour de thèmes très morbides. La maman confie que son entourage a toujours trouvé son fils « bizarre », et que bien qu’elle le trouve différent, elle a eu la sensation d’être jugée. Elle espère, grâce au groupe, que Thomas va pouvoir s’affirmer et ne pas être mis de côté. À la deuxième rencontre, quelques mois plus tard, la maman de Thomas vient seule, sans son fils, ni son mari. Elle est rassurée de savoir que son fils a pu s’exprimer dans le groupe et elle parle du groupe « Comptines » comme « un groupe de parole ». Ces termes n’ont jamais été employés par les thérapeutes, ainsi nous pouvons faire plusieurs hypothèses. Peut-être que Thomas a pu parler du groupe en ce sens, que ce qu’il a pu dire à fait penser à sa maman que c’était un groupe de parole. Cela nous ferait également réfléchir sur la manière dont Thomas investit le groupe, où en effet il peut être en demande de parler beaucoup de lui et aborder ce qui le préoccupe à l’extérieur. Mais nous pouvons également nous demander si ce n’est pas la maman qui projette sur son fils son besoin d’un groupe de parole. En effet, sa mère est, elle aussi, en demande de soutien car la mise en place des suivis pour Thomas a été assez rapide, et elle est relativement seule à s’engager dans le processus de soins. La démarche de venir seule à ce rendez-vous où nous avions demandé à venir en famille nous laisse apercevoir son besoin d’être écoutée et soutenue.

47À la première rencontre, les parents du petit Charlie se montrent très investis dans les soins, ils posent beaucoup de questions, notamment autour des conflits. Ils nous montrent leurs inquiétudes vis-à-vis de cet espace encore inconnu et anticipent les possibles moments difficiles. Dès cette première séance, Charlie est très collé à son papa, il donne l’impression d’un tout petit garçon. Plus tard, lorsque l’attention est moins centrée sur lui, Charlie nous montre que cette position est assez insupportable pour lui. Les parents nous expliquent qu’il a le même comportement à la maison, il ne supporte pas que ses parents parlent sans lui. Lorsque nous les rencontrons afin de faire un point en milieu d’année, les parents nous informent que l’école a remarqué que Charlie était plus agité au retour du CMP. Cela nous a permis de mettre en perspective ce qui pouvait se passer dans le groupe et à l’extérieur. En effet, il y a eu des séances où Charlie a pu rejouer le même type de comportement dans le groupe qu’avec ses parents, ce qui nous a permis de travailler sur ce comportement symptôme. Pendant ce second entretien, Charlie laisse de nouveau apercevoir ce qui se passe pour lui au domicile. Il montre un comportement de toute puissance et souhaite être le centre de l’attention, ses parents ont des difficultés à s’accorder sur l’éducation à lui apporter, ils le laissent faire. Charlie nous montre qu’il est en recherche d’un cadre plus strict et contenant.

48Du côté d’Arthur, au premier rendez-vous sa maman n’avait pas pu se libérer. Le papa nous décrivait un enfant qui peut être dans sa bulle avec des perceptions effrayantes davantage pour les autres que pour lui. Plutôt dans une recherche de ses propres limites. Cependant, il avait peur qu’Arthur ne s’affirme pas dans le groupe, qu’il soit mis de côté. Il questionnait également beaucoup le fonctionnement du groupe. Au second rendez-vous, les parents d’Arthur viennent ensemble mais il a été difficile de poser le rendez-vous. Les parents disent qu’Arthur parle peu du groupe, il est accompagné par son grand-père aux séances. Les parents se montrent assez distants l’un envers l’autre. Arthur est beaucoup plus timide que d’habitude. La difficulté à prendre rendez-vous avec eux à ce moment-là, et la demande d’Arthur à poursuivre son suivi individuel, laissaient supposer que le couple traversait une période difficile avec l’arrivée du petit frère, ce qui s’est confirmé plus tard.

49Nous avons pu nous rendre compte qu’en parallèle de la formation d’identité groupale pour les enfants, les parents commençaient à parler entre eux en salle d’attente. À travers les théorisations sur les processus inhérents des groupes thérapeutiques d’enfants, il est apparu que les groupes de parents seraient également très importants (Chapelier, 2005 ; Laurent, 2019). La réalité du terrain institutionnel, fait que cela n’est pas toujours possible. Cependant, nous avons souhaité faire un point avec les parents de manière régulière pour répondre à leurs possibles interrogations et avoir un retour sur le comportement de l’enfant à l’extérieur du groupe.

Évolution de la gestion des conflits et des relations interpersonnelles

50Thomas a montré assez vite quels effets pouvaient avoir le groupe sur lui, parfois négatif, parfois très positif. À certains moments il peut être trop présent auprès des autres comme l’illustre cette vignette clinique :

51Séance 9 : À la fin de la séance, les enfants souhaitent refaire la chanson « Promenons-nous dans les bois » mais avec plusieurs loups. D’abord, ce sont Charlie et Arthur, ainsi qu’un thérapeute, pendant ce temps l’autre thérapeute est avec Thomas. L’idée émerge qu’une maison pourrait abriter plusieurs petits cochons, comme dans le conte où chacun va se réfugier dans la maison la plus solide pour échapper au grand méchant loup. Au début Thomas ne souhaite pas partager, et finalement il va inviter, de lui-même, le thérapeute à venir se cacher avec lui.

52À d’autres moments, les efforts que Thomas met en place pour tenir au sein du groupe deviennent peut-être trop couteux, et il n’est plus attentif, cherche à s’isoler par des comportements autocentrés (ex : se regarde dans le miroir). Il est apparu que le suivi individuel de chacun en parallèle était très important pour le bon fonctionnement du groupe. Thomas nous montre dans ces moments qu’il a particulièrement besoin de partager ses angoisses, et parfois le groupe ne peut pas entièrement répondre à ce besoin. Du fait du début de prise en charge de la famille au CMP et de la difficulté d’acceptation des difficultés par le papa, la maman nous dit être d’accord pour un suivi en psychothérapie individuelle mais pour l’année prochaine.

53Charlie suit aussi ce même schéma d’alternance entre moments difficiles et belles évolutions. Parfois, Charlie a besoin de s’extraire du groupe de manière bruyante, il peut par exemple, pendant que tout le monde chante, se mettre « à faire son lit » en étalant sa couverture jusqu’à occuper l’espace de son camarade, Arthur. Charlie montre plus d’immaturité affective que ses camarades, il peut montrer une certaine perméabilité aux angoisses des autres. Il faut être vigilant à cette tendance pour que le groupe reste thérapeutique et non désorganisant. D’autant plus qu’un autre contenant majeur n’est plus opérationnel à ce jour, la psychologue qui le suit en individuel est absente depuis plusieurs semaines.

54Pour Arthur, il semblerait que l’introjection de fonction contenante se soit faite plus tôt que pour les deux autres enfants. En effet, nous observons qu’au fur et à mesure du groupe, il montre de moins en moins de mouvements d’opposition agressifs. Son « rôle » de moteur dans le groupe est maintenu malgré ses absences. Arthur montre qu’il prend plaisir à jouer avec les autres enfants, s’autorise davantage à régresser, à parler d’autres sujets que les « Marvel ». Il est à l’écoute des autres.

55À travers l’analyse de ces vignettes cliniques, nous pouvons nous apercevoir que les enfants ne sont pas au même niveau de développement, de structuration psychique et de maturité affective. La dynamique d’un groupe restreint peut assez vite mettre en lumière des mouvements de régression et d’émotions intenses (Fabre, 2012). En effet, Charlie montre régulièrement des recours à des procédés de défenses archaïques, où la distinction entre soi et les autres n’est plus perceptible, et l’autre devient une menace à son intégrité physique et psychique. Pour Thomas, il en est de même dans certaines circonstances, mais il semble tout de même davantage du côté de l’œdipe, les éléments d’angoisses sont théâtralisés pour les mettre à distance. Arthur, lui, met en scène une certaine ambivalence entre ses angoisses de dévoration, d’anéantissement et des accès de tendresse. Le recours à la parole permet à Arthur et Thomas d’apaiser ces angoisses archaïques, ce mouvement prend plus de temps pour Charlie. Ces différences rendent le groupe d’autant plus riche car les enfants peuvent s’aider, mais cela nécessite également une vigilance de la part des thérapeutes pour que le groupe soit bien vécu par les enfants.

Critiques et réflexions

56Le choix de la médiation est important, savoir pourquoi on utilise ce support évite de provoquer des situations non-maîtrisées par le thérapeute. L’un des principes est d’être contenant et non désorganisant. Ainsi nous avions choisi les comptines comme un moyen d’expression dans le but de lutter contre certaines angoisses. Nous nous sommes alors demandé si la médiation avait fonction de réassurance pour les enfants ou pour les thérapeutes. La médiation a évolué au cours du groupe comme nous avons pu le décrire, nous sommes partis des comptines du répertoire classique pour finalement créer un groupe qui peut s’apparenter sous certaines formes au groupe « Contes », adapté cependant à l’âge des enfants, ou, par certains aspects, à un groupe de psychodrame (Juteau, Golse, & Clouet, 2015). Face aux angoisses d’anéantissement, d’effondrement, d’abandon, ou encore de dévoration, nous sommes passés par la mise en mouvement du corps, bien plus que ce que nous avions prévu pour des comptines à gestes. Les enfants ont joué des personnages et cela leur a permis progressivement d’affronter certaines peurs (Grosléziat, 2012).

57Peu de temps après le début du groupe, une idée est apparue comme possiblement structurante pour les enfants pour les aider à travailler sur la distance sociale à respecter envers les uns et les autres et développer leur créativité : créer leur propre comptine. Cela nous a permis de travailler sur la place de chacun et la possibilité de créer quelque chose à plusieurs, ce qui est valorisant pour tous.

58On retrouve dans plusieurs ouvrages (Privat & Quélin-Souligoux, 2005 ; Chapelier, 2009 ; 2013 ; Robert, Riand & Drweski, 2018) l’idée que les groupes en institution sont parfois peu réfléchis en amont, qu’ils sont constitués d’enfants pour lesquels il n’y a pas d’autres prises en charge. Ils se créent en urgence pour répondre à la demande, sous la pression des listes d’attente. Pour le groupe « comptines », au contraire, nous souhaitons que cette prise en charge soit complémentaire au suivi individuel car il aborde d’autres thématiques et s’adapte aux enfants qui le constituent. Bien sûr, cette première expérience du groupe « Comptines » permet d’apprendre des erreurs qui ont pu être commises, et d’affirmer l’importance de la présence de tous les acteurs : enfants et thérapeutes à toutes les séances.

La place du thérapeute

« C’est quand l’enfant joue et, peut-être seulement quand il joue, que l’enfant est libre de se montrer créatif ; tout comme doit être créatif le psychothérapeute pour que la psychothérapie s’effectue là où deux aires de jeux se chevauchent, celle du patient et celle du thérapeute » (Winnicott, 1971, p. 109).

59Privat et Quélin-Souligoux (2005) mettent bien en évidence que la place du thérapeute change en fonction de l’âge des patients. Le groupe vient chercher les parties infantiles du thérapeute, qui l’oblige à être très attentif aux vécus émotionnels des enfants dans le groupe pour trouver la juste distance (Cartron & Winnykamen, 2004). Notre but est donc de favoriser les interactions groupales et tenir compte des particularités des investissements du groupe dans l’économie psychique des jeunes patients. Cet enjeu est apparu dès la première séance. Le positionnement se doit d’être rassurant pour les enfants et il en va de trouver le juste milieu entre instaurer un cadre contenant et des limites claires, tout en faisant parti du groupe et en essayant d’être au même niveau que les enfants et laisser libre cours à leur imagination. Nous souhaitions que les enfants participent, se sentent libres de proposer des idées sur le principe de l’association libre.

60Par exemple, au moment de l’utilisation des instruments qui permet aux enfants une décharge motrice, parfois les thérapeutes doivent contenir l’excitation inhérente de l’activité. Il peut arriver régulièrement de se questionner sur la souplesse à apporter au cadre pour que les enfants fassent bien la distinction entre le lieu de soins et l’extérieur. Alors nous essayons de trouver le bon équilibre entre laisser la liberté aux enfants de se défouler, de régler leurs conflits eux-mêmes et intervenir lorsque le jeu part trop dans l’agir et le débordement émotionnel. Le thérapeute s’adapte aux mouvements psychiques en action pendant le groupe et se doit d’observer et moduler le contenu des séances en fonction des profils de chaque enfant.

61Le choix d’être deux thérapeutes dans ce groupe a d’abord été justifié pour apporter davantage de contenance aux enfants. Puis, avec l’expérience, il nous a paru qu’être deux pourrait aussi être rassurant pour les thérapeutes, peut-être même davantage contenant pour eux que pour les enfants. Il est indispensable que les thérapeutes soient en accord avec ces choix pour que les enfants se sentent en sécurité. Il nous est apparu qu’une psychomotricienne pourrait également être partie prenante dans la démarche d’expression des angoisses et des émotions par le corps. Cependant, trois thérapeutes avec trois enfants nous paraissaient trop d’intervenants. Puis, la question de l’absence d’un des enfants au groupe et les modifications provoquées dans la dynamique de groupe, font qu’être un nombre différent de soignants et d’enfants permet d’éviter un effet miroir enfants/adultes, qui n’est pas favorable à une bonne dynamique de groupe. Le but du groupe thérapeutique est de permettre l’émergence du « on » (Juteau, Golse & Clouet, 2015) ; un groupe thérapeutique composé de cinq membres permet, nous semble-t-il, de se sentir exister dans le groupe. Le fait d’être deux psychologues a permis une certaine complémentarité et une attention particulière à tous les mouvements du groupe. Lorsqu’il y a des moments plus difficiles pour un enfant, une des psychologues peut alors porter davantage son regard sur lui pendant que l’autre poursuit le groupe. Les thérapeutes ont une fonction à la fois contenante et surmoïque, oscillant entre faire partie du groupe et prendre du recul afin de préserver la différence générationnelle indispensable au processus groupal (Quelin & Privat, 2001 ; 2002).

Conclusion

62La manière dont a été pensé et conduit ce groupe est un exemple d’une pratique psychothérapeutique faisant appel à différents courants de pensée en prenant en compte le sujet dans son environnement bio-psycho-social. Nous pouvons observer que le groupe est une manière de travailler à part entière, le thérapeute doit prendre en compte chaque enfant individuellement avec son histoire de vie et sa problématique, le tout dans une dynamique de groupe. Cette clinique est très riche et le groupe peut faire émerger des mouvements peut-être plus rapidement pour certains qu’en travail individuel. La médiation qui, au début a pu être critiquée par les enfants, a finalement pris tout son sens lorsqu’elle a évolué avec le groupe et que nous avons proposé de mettre en mouvements les comptines. L’analyse du groupe se poursuit et reflète le travail de psychothérapie : sans cesse se remettre en question, mettre en perspective ce qui se passe en séance avec l’histoire du sujet, mais également avec la théorie. La psychothérapie et le travail de soin en général obligent une formation continue, avec les enfants cela demande d’être d’autant plus créatif et de se réinventer constamment. Les enfants sont très sensibles à l’authenticité du thérapeute et ont beaucoup moins de filtres que les adultes, ce qui rend le travail d’analyse passionnant.

  • Références

    • Anzieu, D., Chabert, C., Cupa, D., Kaës, R. & Roussillon, R. (2008). Didier Anzieu : le Moi-peau et la psychanalyse des limites. Toulouse : Érès.
    • Bustarret, A. (2007). Le folklore enfantin dans le développement de l’enfant. Dans M. Moreau, P. Ben Soussan, A. Bustarret & M. Cazalet (dir.), 1, 2, 3… comptines (p. 39-48). Toulouse : Érès.
    • Bolduc, J. & Lefebvre, P. (2012). Using Nursery Rhymes to Foster Phonological and Musical Processing Skills in Kindergarteners. Creative Education, 3, 495-502.
    • Cartron, A. & Winnykamen, F. (2004). Les relations sociales chez l’enfant (2e éd.). Malakoff : Armand Colin.
    • Chapelier, J. (2009). Les psychothérapies de groupe chez l’enfant et l’adolescent : les tentations éducatives. Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, 53(2), 9-27.
    • Chapelier, J. (2013). Intérêt de l’approche groupale avec les enfants et les adolescents. Dans : F. Sacco & N. Kacha (dir.), Voies nouvelles pour les psychothérapies de groupe (p. 29-41). Toulouse : Érès.
    • Fabre, N. (2012). Avant l’œdipe, l’archaïque. Imaginaire & Inconscient, 29(1), 9-15.
    • Gauthier, J. M. & Lejeune, C. (2008). Les comptines et leur utilité dans le développement de l’enfant. Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 56, 413-421.
    • Grosléziat, C. (2012). Musique en herbe. Spirale, 63(3), 120-127.
    • Jacquet, É. (2012). Construction de la limite interne et « bon usage du double interdit du toucher » dans des groupes thérapeutiques de jeunes enfants. Cahiers de psychologie clinique, 38(1), 179-202.
    • Juteau, A., Golse, B. & Clouet, A. (2015). Groupe marionnettes, un autre psychodrame ?. La Psychiatrie de l’enfant, 58(1), 23-52.
    • Kaës, R. (2010). L’appareil psychique groupal (3e éd.). Paris : Dunod.
    • Laurent, P. (2005). Le chaos dans le groupe : fantasme ou réalité ?. Dans : J.-B. Chapelier & J.-J. Poncelet (dir.), Excitation, jeu et groupe (p. 83-91). Toulouse : Érès.
    • Laurent, P. (2019). Conduire un groupe de psychothérapie d’enfants. Toulouse : Érès.
    • Martin, M. (2001). Le cadre thérapeutique à l’épreuve de la réalité. Cahiers de psychologie clinique, 17(2), 103-120.
    • Privat, P., Quelin, D. & Rouchy, J. (2001). Psychothérapie psychanalytique de groupe. Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, 37(2), 11-30.
    • Privat, P. & Quélin-Souligoux, D. (2005). Travailler avec les groupes d’enfants, approche thérapeutique. Paris : Dunod.
    • Privat, P. (2005). La mise en jeu des limites, laisser faire en toute sécurité ! Dans : J.-B. Chapelier & J.-J. Poncelet (dir.), Excitation, jeu et groupe (p. 137-150). Toulouse : Érès.
    • Quelin, D. & Privat, P. (2002). Penser le groupe. Enfances & Psy, 19(3), 8-21.
    • Ricciotti, V. (2005). Le jeu et la communication dans le groupe des petits : entre excitation et représentation. Dans : J.-B. Chapelier & J.-J. Poncelet (dir.), Excitation, jeu et groupe (p. 137-150). Toulouse : Érès.
    • Robert, P. Riand, R. & Drweski, P. (2018). Clinique des groupes. Paris : In Press.
    • Schiffer, M. (1987). Les groupes thérapeutiques d’activité et de parole : théories, principes et pratiques. Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, 7-8, 109-118.
    • Slavson, S. R. (1953). Psychothérapie analytique de groupe. Paris : Puf.
    • Warren, J. M. (2011). Rational Rhymes for Addressing Common Childhood Issues. Journal of Creativity in Mental Health, 6(4), 329-339.
    • Winnicott, D. W. (1971). Jeu et réalité. L’espace potentiel. Paris : Gallimard.

Mots-clés éditeurs : psychothérapie, médiation, enfance, Groupe thérapeutique, comptines

Date de mise en ligne : 11/06/2021

https://doi.org/10.3917/psye.641.0153

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.83

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions