Notes
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Cette recherche-action a été restituée publiquement dans le cadre d’un colloque dédié à ce thème « Psychiatrie adulte et protection de l’enfance », organisé par le pôle recherche de l’IRTS (institut régional du travail social) Nord-Pas-de-Calais et le Home des Flandres, le 28 janvier 2016 à Loos, colloque qui a rassemblé 280 personnes, étudiants, professionnels des deux champs et cadres pédagogiques.
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[2]
Delhaye, P. & Pennel, F. (2013). Le savoir des usagers : approche clinique et volonté institutionnelle. AIFRIS (association internationale pour la formation, la recherche et l’intervention sociale), Loos.
Delhaye, P., Leroy, D. & Pennel, F. (2015). Le savoir des usagers : approche clinique et volonté institutionnelle. Les rendez-vous du PREFAS (pôle ressource pour la recherche et la formation en action sociale), Loos.
1 Il était une fois, dans une maison d’enfants à caractère social (MECS) du nord de la France…
2 « Allo, oui, bonjour Madame. Oui, votre fils est parti à l’école. Oui il a pris son petit déjeuner. Non Madame, il n’est pas malade. Je dois vous laisser Madame, bonne journée. » Quand l’éducateur raccroche, il exulte : « C’est déjà la sixième fois que Madame A appelle ce matin. Je n’en peux plus ! On n’y arrivera jamais avec elle ! » Le fils de Madame A., Wahid, a onze ans maintenant ; il est accueilli en MECS sur mesure de protection de l’enfance depuis plus d’un an. Le placement, qui fait suite aux échecs des accompagnements en milieu ouvert, a été décidé du fait de la pathologie mentale de Madame, d’une relation fusionnelle mère-fils, des difficultés du père à assurer son rôle et des difficultés de Wahid qui s’inscrivait alors dans une position de toute-puissance.
3 Comment entendre ce qui s’exprime de la part de l’éducateur ? Un ras-le-bol ? Une plainte ? Nous montrerons dans cet article comment une équipe éducative, mise en lien avec un Pôle recherche, est parvenue à se saisir de ce qui s’exprime là et, partant, à construire une problématique qui l’engage dans une recherche-action. Ce parcours l’amènera, non seulement à élaborer des connaissances et des pratiques innovantes mais, de surcroît, à insuffler un changement dans les postures professionnelles. Nous choisirons le mode narratif dans la mise en récit de cette histoire, une histoire de recherche-action.
Partons de la clinique
4 Revenons donc à cette scène du quotidien d’une MECS. L’éducateur profite d’une séance d’analyse des pratiques pour exprimer ce qu’il ressent à l’égard de Madame A. Il rencontre les éprouvés des autres membres de l’équipe. Tous sont confrontés à ces appels incessants (éducateurs, secrétaire, maîtresses de maison, surveillants de nuit) car Madame A. téléphone jour et nuit, ne tenant pas compte du cadre posé qui limite à deux appels par semaine. Le dérangement occasionné est notable à plus d’un titre, sur le fond comme sur la forme : le fonctionnement du quotidien est rythmé par la sonnerie du téléphone qui suscite l’agacement de l’équipe mais aussi du groupe d’enfants dont certains verbalisent : « C’est encore la mère de Wahid qui appelle ! » L’équipe se penche alors sur l’effet produit sur l’enfant lui-même et constate que celui-ci confie à l’adulte le soin d’y répondre, limitant ainsi sa prise de parole avec sa mère. Dans le contenu donc, les échanges sont pauvres, tant avec l’enfant qu’avec les professionnels. Madame A. déverse la manifestation de ses angoisses à l’égard de son enfant (n’est-il pas malade, affamé ?), reflet de sa souffrance liée au fait de ne pouvoir prendre soin elle-même de son fils. Derrière l’agacement de l’équipe ce jour-là, pointe le sentiment d’impuissance dans cette situation. Car Madame A., personne ne la connaît ! Au vu de la pathologie mentale de Madame et de la perturbation du lien mère-fils, les droits sont limités à quelques visites médiatisées par mois, animées par la référente sociale qui tient à rester investie suite à l’accompagnement à long terme de cette situation. Au cours de ces visites, Wahid, tel un tout petit enfant, est nourri, choyé, parfois lavé par sa mère. Wahid s’y prête pendant le temps de la visite et rentre ensuite en MECS chargé de sacs contenant friandises, bouteilles de lait et de jus d’orange, que Wahid consommera en en faisant profiter les autres enfants ! Contrairement à la pratique ordinaire, Madame A. n’est jamais venue sur le lieu d’accueil de son fils, l’équipe redoutant l’envahissement : « On voit déjà avec le téléphone. Si elle vient ici une fois, elle reviendra tout le temps. Et notre mission est de protéger Wahid ! »
5 Le temps et le cadre de l’analyse permettent l’expression, témoin de l’implication, et suscitent également la distanciation. Fort de l’accompagnement de cette équipe par l’analyste, celle-ci peut cheminer vers d’autres caps : « Elle doit souffrir quand même cette mère ! Qui s’occupe d’elle ? » Mais aussi : « Wahid a quelquefois honte aux yeux des autres enfants quand sa mère appelle tout le temps. Mais à part ça, il ne parle pas beaucoup de ce qu’il ressent. » En effet, Wahid grandit et semble profiter de la situation actuelle : il est bien intégré au groupe d’enfants, apprend à s’inscrire dans des relations de confiance envers l’adulte, gagne en autonomie, investit sa scolarité malgré des rapports empreints d’agressivité avec certains enseignants. De la relation à sa mère, il ne parle guère. En fait, Wahid s’adapte au contexte mais s’exprime peu. Que comprend-t-il de sa situation ?
6 Ouverte à ce questionnement qui a su émerger, l’équipe est d’abord silencieuse. Elle ne sait pas comment avancer, comme face à un mur. Que faire ? « On ne peut rien faire. On ne sait même pas de quoi souffre cette femme. On n’est pas formé à la psychiatrie. Et ce n’est pas notre champ de compétence de toute façon ! » Il n’empêche : « Oui, mais Wahid est parmi nous, et on ne peut pas ne pas penser la façon dont on l’accompagne… » Donc ? En rester là ? Ou imaginer une suite ? Lors des réunions, cette situation revient constamment ; le blocage nécessite d’être dépassé et surtout, l’équipe manifeste l’envie d’avancer dans le travail avec cette famille.
Si les comportements de la mère de Wahid sont particulièrement bruyants, dans d’autres situations, c’est plutôt le silence qui pourrait inquiéter. Prenons l’exemple de Nolan, autre enfant accueilli dans cette même maison d’enfant. L’équipe se rend compte que cela fait quelques semaines qu’elle n’a pas de contact avec la mère de Nolan, Mme D. Il faut dire que Nolan est arrivé dans des circonstances particulières, suite à l’intervention des forces de l’ordre au domicile de sa mère qui vivait alors une décompensation psychotique l’amenant à séquestrer son fils au domicile. Nolan était exposé à une situation de réel danger pour lui-même. Nous apprendrons plus tard, grâce à la MJIE (mesure judiciaire d’investigation éducative), que cette mère était en proie à des hallucinations visuelles et auditives qui lui ordonnaient de tuer son fils. Nolan n’avait alors plus de contact avec son père, lequel avait été évincé par Mme D. et la famille de celle-ci suite à la séparation du couple.
À son arrivée à la maison d’enfants, Nolan est prostré, sidéré et mettra plusieurs semaines à se créer un minimum de repères. À l’accueil de Nolan, Mme D. est hospitalisée sous contrainte en psychiatrique et ne reprendra pas contact avec lui pendant plusieurs semaines. Durant l’accompagnement de Nolan, la relation père-fils se renoue.
Après la sortie d’hospitalisation, et le temps d’organiser les visites, Nolan revoit sa mère dans un cadre protégé. Mme D. se restaure et affirme prendre son traitement. L’équipe n’a pas de contact avec les soignants. Les visites médiatisées se transforment en visite à domicile avec présence d’une TISF (technicienne de l’intervention sociale et familiale), puis en journée, puis en week-end sans accompagnement.
Une main-levée se prépare au domicile de Mme D. et se met effectivement en place un an et demi après l’arrivée de Nolan en maison d’enfants. Mais le père alerte rapidement : il ne parvient plus à voir son fils. La maison d’enfants est contactée par le service AEMO (action éducative en milieu ouvert) qui décrit les mêmes symptômes que ceux ayant précipité le premier accueil : les services sociaux font le constat que Nolan ne va pas à l’école, Mme D. tient des propos incohérents et refuse d’ouvrir sa porte. Force est de constater qu’il s’agit bien d’une nouvelle décompensation de Mme D. qui sera d’ailleurs ré-hospitalisée sous contrainte. Nolan sera à nouveau accueilli dans notre maison d’enfants ; il restera plusieurs semaines sans nouvelle de sa mère.
Avec cette mère, l’équipe a très peu de contacts. Quand elle se sent bien et que nous parvenons à la rencontrer, elle se montre consciente de son état et capable de recul sur les épisodes délirants. Au cours d’un entretien, elle dit : « Si je n’appelle pas, c’est que je ne vais pas bien. » Et en effet, il arrive que l’équipe soit sans nouvelle d’elle pendant parfois plusieurs semaines. Elle s’enquiert alors auprès de la référente sociale de l’état de santé de Mme D. ou tente un rapprochement avec l’équipe de soin, ou l’information nous vient du père. C’est souvent dans ce contexte que nous apprenons qu’elle est à nouveau hospitalisée.
Comment accompagner Nolan ? Que comprend-il lui-même de ce qui se passe pour sa mère ? Comment se coordonnent les différentes actions autour de cette famille ?
L’entrée en recherche d’une Équipe
8 Dans ce service, la psychologue est docteure en psychologie et à ce titre par ailleurs responsable d’un pôle recherche dans un IRTS. Dans cette double compétence, y a-t-il deux identités clivées ? N’est-ce pas l’occasion de susciter, à partir du terrain, une dynamique ? Respectant l’ancrage du questionnement initial, cette double inscription a mené rapidement à l’idée de réaliser une recherche-action. Pas question de prendre le questionnement en le détachant de son lieu d’émergence. Les collègues qui ont exprimé les questions sont ceux qui devront continuer à cheminer, sans en être désappropriés, selon un savant mouvement alliant implication et distanciation.
9 Ce principe, qui s’impose à la psychologue, rencontre et vient s’adosser aux principes de la recherche-action. De quoi s’agit-il quand on pense engager une recherche-action ? La recherche-action, au cœur même des situations vécues par les acteurs, est une façon de re-lier sens et pratique, réflexion et action par un jeu de déconstruction/reconstruction qu’opèrent les acteurs eux-mêmes. Partant de l’expérience des acteurs, sa visée est celle de produire une connaissance nouvelle de son objet d’étude. La connaissance qui en résulte a une valeur pragmatique qui peut infléchir, peser, transformer cette réalité étudiée.
10 Pour autant, si le principe de la recherche-action est d’amener l’acteur à être l’auteur de sa propre recherche, cette démarche, du moins pour les non-initiés, ne peut s’engager sans un accompagnement, lequel en extériorité vient baliser le parcours, assurer la trajectoire, garantir la démarche, partager son savoir. La posture de l’accompagnement n’est ni surplombante, ni magistrale ; elle est méthodologique et pédagogique. C’est pourquoi l’accompagnement ne saurait a priori dire ce qu’il faut savoir, ce qu’il faut faire, ni même ce qu’il faut penser. La recherche-action est guidée autant par les acteurs que par l’accompagnateur. Pour les uns, ce sont les savoirs professionnels, les expériences, les capacités réflexives et créatrices qui conduiront la progression de la recherche. Pour l’autre, c’est sa maîtrise de la démarche méthodologique en référence aux normes scientifiques, des méthodes et traitements, des formalisations et conceptualisations qui guideront la production de la recherche. Au coude à coude, dans des capacités différentes, ils sont dans un principe de transmission et de reconstruction qui nécessite dès le départ un engagement fort et volontaire de la part des acteurs. De cette pensée, qui s’élabore progressivement, la psychologue proposera à l’équipe une posture et une démarche relative à la recherche-action.
11 Mais à ce moment, l’idée d’une recherche-action n’en est pas encore au stade de projet commun. Cette équipe a déjà eu l’occasion de travailler ensemble au-delà de ces missions, en proposant des communications lors de journées d’étude et congrès [2] et allant jusqu’à la publication (Delhaye, Goubet, Leroy, Pennel, Tierrie, 2014 ; Bourzat, Delespierre, Delhaye, Sarlon, 2012). Le contexte institutionnel est favorable et même aidant. Encore faut-il présenter l’intérêt de ce projet. Dans cette étape, psychologue et chef de service se réunissent et font le constat que la question révélée par les situations de Wahid et de Nolan fait écho à bien d’autres situations encore. Bien évidemment, chaque situation est unique ; l’approche est clinique et la recherche peut l’être aussi (Delhaye et al., 2014). Mais la récurrence de ce qui émerge là ne vient-elle pas pointer un axe transversal, et non encore formalisé, de l’accompagnement ?
En voici quelques autres exemples. Lors des visites de sa mère en MECS, Didier semble bien en difficulté quand il est face à sa mère en train de pleurer : il vient chercher le professionnel et l’amène vers elle, le regard interrogateur. Un psychiatre d’ITEP (institut thérapeutique éducatif et pédagogique) révèle lors d’une réunion de synthèse que le père de Jonathan est « psychotique » : que faire de cette information ? La mère de Karima arrive au groupe d’expression chaussée de crocks bleus et tient des propos incohérents ; à son départ, Karima part dans une de ses crises clastiques : « Je ne suis pas folle ! » Quelque chose nous échappe, qui court le long de nos accompagnements en y jouant une partition à laquelle nous ne sommes pas étrangers, mais sans que nous y ayons pensé.
13 Pour le chef de service et la psychologue, toutes ces questions tirées de l’expérience des situations vécues méritent d’être mises à l’étude, d’en ressaisir le sens global, d’observer le problème qu’elles posent. Le problème n’est pas donné, il n’est jamais donné. Il est toujours le fait d’une construction qui réinterroge les pratiques sociales dans leurs interactions et dans leur environnement, qui se nourrit des points de vue conceptuels qui peuvent croiser les significations incertaines, qui circonscrit l’espace du doute et de l’incompréhension et qui pose enfin une question généralisable laquelle s’ouvre comme un appel à faire recherche. C’est cette construction que l’on désigne sous le terme de problématique. C’est cette construction qui est proposée aux praticiens. Forts de cet entr’aperçu, aspirés par cette terre inconnue (bien trop souvent considérée comme étrangère à leur compétence), un accord se dessine parmi les praticiens. Une volonté s’exprime, certes avec timidité, mais avec suffisamment d’aspiration au voyage pour que le projet et la démarche de recherche-action puissent s’engager.
14 Une problématique peut alors s’élaborer, les éléments favorables sont en présence. Les deux institutions seront sollicitées afin de matérialiser ce projet : l’association Home des Flandres et l’Institut régional du travail social Nord-Pas-de-Calais collaboreront autour de ce projet de recherche-action. Après accord par les deux directeurs généraux pour que quelques heures soient dédiées à cette recherche, le projet peut alors se structurer, notamment autour d’instances indispensables. Prend forme dans la suite un comité de pilotage traitant essentiellement la question organisationnelle (le temps étant la pierre angulaire à toute recherche). En parallèle, et afin de permettre la distanciation et l’externalisation dans la mise en réflexion, un sociologue, ex-directeur du collège coopératif Rhône-Alpes, et le psychiatre animant les groupes d’analyse de la pratique seront sollicités afin de constituer le comité scientifique. Puis l’équipe éducative est sollicitée pour que se manifeste l’envie de certains de former un groupe de recherche restreint pour mener cette recherche ; parmi les propositions, deux éducateurs seront nommés et détachés quelques heures supplémentaires pour cette action. L’équipe au complet, durant les temps des groupes d’analyse de la pratique, sera associée à la recherche-action et constituera l’équipe élargie, celle-ci ne souhaitant pas être mise à l’écart de ce qui se met en réflexion. Ce montage permet une autre forme de distanciation et facilitera par la suite le changement dans la posture professionnelle de tous et l’innovation dans la pratique. Enfin, les quatre psychologues de l’association seront invités à participer à la réflexion, les échanges ayant montré que la question dégagée n’est pas propre à cette maison d’enfants mais s’étend à bien d’autres.
15 Ce dernier constat est important. Il est le résultat en quelque sorte d’une pré-investigation qui vient vérifier sur un espace plus large, ou auprès d’autres acteurs hors situation-problème, si le phénomène que l’on observe et qui interroge n’est que le fait d’un contexte local et non généralisable, ou le fait d’une représentation individuelle ou collective difficilement partagée par d’autres en d’autres lieux. Ce constat vient garantir une généralisation possible du phénomène observé ici et ailleurs, ou vécu par « nous » et par « eux », avant tout engagement dans la recherche proprement dite.
16 Nous sommes en novembre 2014 ; nous nous donnerons quelques heures jusqu’en mars 2015 pour bâtir et réaliser cette recherche-action. Le cadre étant posé, le travail peut commencer.
À l’aventure !
17 Le groupe élargi (soit l’équipe au complet) s’active : au cours d’un temps d’analyse de la pratique, le questionnement se creuse, toujours étayé d’éléments cliniques. Sont proposés à la lecture quelques articles et ouvrages, repérés comme venant alimenter notre réflexion. Ces apports permettent une distanciation nourrie d’axes de réflexion : le champ de la pathologie mentale s’étend devant nous (Garonne, Jablensky, Manzano, 1986), mais aussi celui de la parentalité au sens large (Houzel, 1999) et celle dans ce cadre précis (Fava Vizziello, Disnan, Colucci, 2001). Les lectures nous amènent également à nous approcher du vécu des enfants (Van Leuven, 2014 ; Helfter, 2014) et des enjeux en termes de protection de l’enfance (Batifoulier, 2013 ; Berger, 2014). La question de l’articulation du sanitaire et du social n’apparaît alors pas nouvelle (Jaeger, 2006), mais n’en perd pas son intérêt tant les pratiques ont toujours à s’inventer. Doucement, l’équipe passe d’une formulation des questions de départ à une autre question qui les contient toutes. Elle est alors de formulation simple et partagée. Elle ne renvoie pas à des facteurs externes, mais à un auto-questionnement de l’action elle-même. Elle vise la compréhension de ce qui se fait et du sens de ce qui se fait. En effet, on comprend que l’important, pour nous, n’est pas forcément de connaître le diagnostic posé par un autre sur la personne du parent, mais de se saisir de ce qui nous incombe : comment, depuis une MECS, accompagnons-nous l’enfant dans sa relation à son parent quand celui-ci présente une souffrance psychique ?
18 L’action concrète que les travailleurs sociaux engagent est ici pleinement reconnue comme étant une praxis. La praxis, c’est l’articulation, dans une relation dialectique, du rapport pratique/théorie, ou dit autrement du rapport action/connaissance. Mais dès lors que cette action a pour visée la transformation de la situation d’autrui, cette relation a comme tiers concept une finalité guidée par une représentation du sens de cette transformation. C’est cette visée de transformation (le tiers concept) qui unifie sous le primat du sens la relation action/connaissance, qui l’organise en réalité et l’oriente dans le temps et l’espace.
19 Toutefois, la connaissance mobilisée et le sens qui organisent les praxis demeurent souvent opaques, perceptibles en deçà de leur intelligibilité, tant pour l’acteur lui-même que pour autrui, voire pour un observateur extérieur. Il s’agit alors de soutenir la démarche qui permet de révéler les composantes des praxis mises en œuvre, afin d’amener le sens des pratiques sociales à une intelligibilité partagée, à une connaissance critique, à une confrontation axiologique.
20 Décision fut prise de s’aventurer dans une approche praxéologique : analysons et redécouvrons le sens de ce qui se fait (sans ambitionner d’imaginer des pratiques idéales). Nous entendons ainsi par praxéologie la définition qu’en donne le laboratoire de praxéologie, à savoir : « Un parcours de recherche scientifique visant la production de connaissances jusqu’à l’émergence du sens des praxis. Cette visée est réalisée par l’acteur lui-même engagé dans cette praxis qu’il amène par sa posture spécifique à un niveau de recherche. »
21 Pour ce faire, deux méthodes d’enquête sont choisies. La première poursuit l’objectif de creuser l’approche clinique en prenant quatre situations parmi celles des enfants actuellement accueillis, les quatre situations qui, à nos yeux, sont les plus bruyantes, les plus questionnantes. Nous les mettrons au prisme de notre analyse croisée de façon pluridisciplinaire. Nous choisirons en parallèle de nous ouvrir sur ces questions en les proposant à des professionnels investis de cette question dans nos pratiques de réseau ; la seconde méthode d’enquête est celle des entretiens compréhensifs menés auprès de professionnels de la protection de l’enfance et de la psychiatrie adulte.
22 Les éducateurs, le chef de service et la psychologue (l’équipe restreinte) deviennent des praticiens-chercheurs (Cadière, 2013). Ils s’engagent ainsi dans une nouvelle posture : l’acteur prend une position d’auteur pour produire des connaissances à partir de sa pratique, faire du champ de son action le champ de sa recherche. La praxis est entendue comme un champ d’activité pratique afin d’y redécouvrir la finalité interne à l’action. Par la posture de recherche-action à présent acquise, les professionnels tentent de révéler les composantes de la praxis vers une intelligibilité partagée.
23 Ils se rappellent à eux-mêmes que la recherche-action n’a pas pour but de concevoir une pratique idéale, mais de comprendre ce que l’on fait et pourquoi on le fait. Mise en œuvre par eux sur des actions dans lesquelles ils sont engagés, les connaissances produites peuvent faire rupture avec le sens commun, si la démarche engagée, à la fois impliquée et distanciée, circonscrit un objet, formule une problématique, voire une hypothèse, et analyse les matériaux recueillis de l’enquête. La recherche-action se base sur l’analyse de la pratique (ce qui se fait) et sur la réflexivité, croisant distanciation et implication, ce que nécessite toute recherche sur l’humain et le social en général. C’est dire que la démarche de construction de la méthodologie de recherche rassemble tous les acteurs de la dite recherche. Les professionnels ne sont pas seulement considérés comme des personnes-ressources mais comme producteurs de la démarche. La démarche de recherche-action ne peut être planifiée à l’avance, dans la mesure où elle est co-construite au fur et à mesure. Tel un « saut dans le vide », on ne sait pas à l’avance ce qui sera fait, ni ce qui sera produit.
24 Dit autrement, par recherche-action, on entend donc un temps formalisé institutionnellement portant sur la compréhension du sens de l’action, à partir des expériences professionnelles qui sont les nôtres, avec la rigueur et les méthodes adéquates pour construire des connaissances nouvelles et favoriser un changement dans nos pratiques.
Recueillons des données et analysons
25 La démarche de recherche demande d’ouvrir un espace entre, d’un côté, la situation problématisée, liée à l’expérience des acteurs, immanquablement saisie dans un langage de signification et, de l’autre, l’expérience de données nouvelles sur la base d’une enquête réfléchie, réglée et mesurée. Recueillir des données nouvelles, c’est les amener à la surface pour qu’elles deviennent objet d’observation, de traitement et d’analyse. C’est une manière de construire une extériorité, une altérité à son monde vécu, et de permettre ainsi la constitution d’un espace réflexif entre son expérience et ce que disent les données recueillies.
26 L’équipe restreinte se lance donc dans l’analyse des quatre études de situation. Cette analyse donne à voir que les répercussions des troubles psychiques du parent participent au déclenchement du placement, sans que la mesure d’accueil, et donc la séparation, constitue une réponse en soi à ce qui est énoncé. D’ailleurs, la nature de la pathologie présentée par le parent est fort peu formulée (quand elle l’est, cela soulève le souci de la légitimité de ce diagnostic, hormis le cas des expertises, rares). Rares sont également les éléments enrichissant la compréhension de ce qui est attendu en termes d’accompagnement de la relation parent-enfant. De même, on connait souvent peu d’éléments concernant l’environnement social des personnes qui apparaissent, de fait, comme isolées (mais le sont-elles vraiment ou l’accompagnant s’abstient-il de se poser la question ?). Bien souvent, l’équipe éducative ne sait pas si le parent est accompagné par une équipe de soins, et de fait, le lien avec l’équipe de soins est loin d’être systématisé. Quand il existe, il fait l’objet d’une expérimentation quand il vient répondre à un besoin repéré chez le parent et l’enfant. C’est le cas de Didier qui nous a amené à aller avec lui à la rencontre, avec l’accord de sa mère, de l’infirmier-référent de sa mère. Ce cas correspond à un registre névrotique où la mère a conscience de ses troubles, et force est de constater que cette mise en lien apporte un soulagement au parent comme à l’enfant. Dans les autres cas, la non-mise en lien des deux champs s’explique en partie par le refus du parent à ce que ce lien s’établisse. Ces situations correspondent à des registres davantage psychotiques, où le parent peut être perçu dans un déni ou un refus de ses troubles. Une autre fois, c’est la mesure judiciaire d’investigation éducative (MJIE) qui a permis de mettre en évidence l’existence des professionnels de la protection de l’enfance et ceux de la psychiatrie adulte autour d’une situation familiale. Nous remarquons ainsi qu’il existe une pratique des professionnels de la MECS, pratique ne faisant pas l’objet d’une compétence repérée comme telle, mais qui tente de s’élaborer au sens d’un savoir pratique.
27 C’est encore l’équipe restreinte qui va engager des entretiens auprès de différents professionnels représentant une association dédiée à la protection de l’enfance (assistance éducative en milieu ouvert ; mesure judiciaire d’investigation éducative ; aide à la gestion du budget familial), un service aide sociale à l’enfance d’une unité territoriale de prévention et d’action sociale, et enfin des représentants d’une équipe de psychiatrie adulte (un cadre de santé, un éducateur spécialisé et une psychologue) avec qui nous avons été amenés à travailler auprès de l’accompagnement d’une famille (celle de Didier et sa mère). En amont de ces investigations par entretien, un guide d’entretien semi-directif est élaboré. En aval, c’est également l’équipe qui traite, explore et analyse le contenu.
28 De ces entretiens ressortent des éléments d’analyse que nous pouvons dès à présent mettre au jour. Nous remarquons de suite le fait que le lieu d’où émerge le questionnement, la MECS, n’a rien d’étonnant : dans ce lieu d’accueil se concentrent en effet ces problématiques. La source de ce questionnement se légitime de fait, le cadre du milieu ouvert n’apparaissant pas adapté, car pas suffisamment contenant face aux difficultés spécifiques soulevées. En revanche, c’est le rôle de l’ASE (aide sociale à l’enfance), et non plus de la MECS, de poser cette piste d’accompagnement en sollicitant la mise en dialogue des deux champs : protection de l’enfance et psychiatrie de l’adulte. Sur ce point, l’analyse des entretiens d’enquête montre que si des différences de point de vue existent, elles ne constituent pas une zone de désaccord. Les deux champs ont leur identité propre (mission, cadre légal, registre sémantique, corpus théorique) et n’appellent pas à être fusionnés. Mais pour envisager une mise en dialogue, force est de constater l’existence de freins venant renforcer un cloisonnement entre les deux champs. L’un d’entre eux concerne le peu d’ouverture accordée à l’autre champ dans les formations initiales. Les représentations se développent et ont peu l’occasion d’être identifiées et dépassées du fait des rares expériences pratiques en commun. À ce niveau, notons la question délicate de l’accord du parent dans la mise en coordination des deux champs. Sur un autre plan, chaque champ agit avec son outil méthodologique en termes de projet – projet personnalisé de l’enfant en protection de l’enfance ; projet de vie pour le patient du côté de la psychiatrie adulte – mais comment atteindre une vision systémique de l’ensemble formée au titre de la famille ? Les deux s’accordent sur l’importance pour les acteurs professionnels de prendre en compte l’environnement social et relationnel de cette famille, dans sa capacité et ses limites, et d’accompagner cette relation parent-enfant.
Tous ensemble !
29 Ces éléments d’analyse sont redonnés en équipe élargie ; ils sont rediscutés et s’affinent, mais aussi relancent vers d’autres perspectives. Finalement, ce qui est décrit ici ne correspond-il pas à un questionnement que nous aurions intérêt à développer à l’égard d’autres situations, peut-être moins bruyantes en termes de manifestations comportementales symptomatiques, mais tout autant préoccupantes ? C’est le cas de René qui n’a pas vu depuis plus d’un an sa mère, laquelle, à la lecture des rapports issus de la protection de l’enfance, présenterait manifestement des troubles d’ordre psychotique (propos délirants, etc.). Le silence de René, tant sur le plan du questionnement que des symptômes, signifie-t-il qu’aucune question ne doive être posée ?
30 À cette étape de la recherche-action, s’entreprend une demi-journée de formation, adaptée à la demande de l’équipe et animée par une psychologue intervenante extérieure à l’association. La commande initiale – traiter des pathologies mentales – évolue et nous conduit finalement à dépasser le regard épidémiologique pour traiter davantage la question du croisement des termes « parentalité » et « santé mentale ». Le questionnement a bougé, la question n’est plus la même, il y a eu recentrement sur notre corps de métier et affinement de nos objectifs. L’équipe, élargie, s’est approprié l’objet de recherche en participant à son repérage et à son élaboration. On ne s’attarde plus autour du fait que « la psychiatrie ne nous dit pas le diagnostic », on dépasse l’idée selon laquelle « si Mme est psychotique, on ne pourra rien faire dans cette situation », phrases que nous pouvions formuler avant la mise en recherche-action de l’équipe.
31 S’est opérée une prise de conscience de nos représentations, lesquelles peuvent certainement s’expliquer par les éléments suivants. L’un concerne la peur de la transmission (voire de la contamination au sens psychologique du terme) et ce à plusieurs niveaux : du parent à l’enfant, du système familial au parent, du parent au système institutionnel. On évoque ici les peurs, les fantasmes au sujet de ce qui pourrait se transmettre à l’enfant voire au fonctionnement de l’équipe. Une deuxième composante repose sur le manque de formation des équipes éducatives et sur le cloisonnement des champs, c’est-à-dire le manque de dialogue avec les professionnels spécialisés, manque repéré par l’équipe éducative. Ces représentations ont un effet « filtre » qui empêche le professionnel de cerner son expertise dans le champ éducatif, le parent étant perçu dans sa « maladie » et non dans ses compétences.
32 Les différentes nominations – « souffrance psychique », « folie », « pathologie mentale », « troubles psychiatriques », « maladie », « handicap psychique » – correspondent à des définitions différentes selon les acteurs, les professionnels de la protection de l’enfance et de la psychiatrie adulte n’employant notamment pas les mêmes termes, reflet d’une connaissance et d’une appréhension différentes en la matière.
33 La mesure de protection n’est pas déterminée par la maladie elle-même, mais par les effets de la maladie. C’est ce que la recherche-action a permis d’identifier chez et par les professionnels de la protection de l’enfance. C’est ici que peut s’opérer un changement dans la posture professionnelle. Cette dernière analyse permet de déplacer la question centrée uniquement sur le parent en souffrance vers une réflexion portant sur le système familial dans sa capacité ou non à soutenir la parentalité dans son exercice, sa pratique et son expérience (les trois axes de la parentalité selon Didier Houzel, 1999). Elle permet également de prendre en compte le système des relations sociales autour du parent, en constatant que, le plus souvent, le parent apparait très isolé.
34 La recherche-action fait apparaître l’expertise des équipes éducatives à accompagner l’enfant, la relation parent-enfant, là où auparavant cette compétence était masquée par nos représentations de la maladie mentale. Les professionnels se disaient « empêchés » par manque de connaissance du diagnostic. C’est ici l’effet des représentations accrochées au terme de maladie qui venait éteindre la mise en activité d’une compétence pourtant avérée. Cette prise de conscience a permis aux professionnels de l’équipe restreinte de la recherche-action de se restaurer dans leur mission et donc de cerner l’importance d’entamer le dialogue avec un autre champ expert en son domaine : la santé mentale. Il ressort avant tout l’importance de travailler la relation parent-enfant en collaboration avec la psychiatrie adulte, chacun étant expert en son domaine.
35 Les professionnels de la protection de l’enfance sont alors en capacité d’identifier des leviers face à ce qui était perçu comme des obstacles de la coopération entre les deux champs. Les entretiens donnent à voir des représentations croisées qui se cristallisaient autour de cadres légaux différents. Le secret médical constitue une limite, mais le secret professionnel partagé permet d’envisager un levier. En recentrant la réflexion sur la relation parent-enfant, ces obstacles apparaissent comme des inhibiteurs de pensée à caractère peut-être défensif et qui pour autant n’empêchent pas la réflexion sur des leviers.
L’aventure se poursuit
36 « Ce que je fais m’apprends ce que je cherche », disait le peintre Pierre Soulage. La recherche-action, dont les acteurs se sont approprié la démarche, a permis un changement dans les postures professionnelles.
37 Pour l’équipe restreinte, cette recherche-action a permis de prendre de la distance, comme un arrêt sur image, face à ce qui nous pèse dans le quotidien : « Pour moi c’était des mots savants, j’étais éloigné des études. Mais finalement en tant que “simple éducateur”, on peut apporter une pierre à l’édifice. C’est important de le vivre de l’intérieur pour y réfléchir, l’intégrer. Être acteur est important. Vivre le cheminement. L’important c’est le cheminement, pas le résultat. » Cette recherche-action nous a montré qu’on n’a pas de réponses simplifiées. Le regard professionnel s’en trouve changé envers les enfants et les familles, mais aussi les approches dans le travail avec les partenaires : « Je revois les projets établis, j’aurais rajouté la ligne de la mère alors que je l’avais mise à l’écart… je prendrais les choses d’une autre manière. » La participation à la recherche-action a aussi permis de se sensibiliser à ce que peut vivre l’enfant, mais permet également de se sensibiliser à la souffrance que peut endurer le parent et de fait celle des enfants, ce qu’ils ont pu vivre de la souffrance parentale : « On comprend aujourd’hui la demande qu’ils nous font de gérer cela. » À propos de ce qu’on a nommé au départ la « maladie », le regard a changé également : « Avant on perdait du temps à se bloquer sur le diagnostic : on ne sait pas, on peut rien faire… sur les réunions on se bloquait. Ça permet de dédramatiser la maladie en elle-même et ne pas se focaliser dessus. Et plutôt d’axer le regard sur les compétences. » L’effet s’est porté également sur les peurs, la peur des parents, la peur de la psychiatrie adulte : « Aujourd’hui on voit qu’il y a des structures et des personnes qui s’en occupent, ça réduit la crainte. » Il y a moins de tabou : on peut en parler avec le parent et aller plus loin que la seule nomination. Il s’agit également de faire plus attention aux termes utilisés et de mieux expliquer aux enfants qu’on a en charge. Ainsi, le terme « maladie » parait peu adéquat, stigmatisant ; de plus, d’une maladie, on guérit, ce qui n’est pas forcément toujours le cas ici. Dans notre pratique, parler à l’enfant de « souffrance » chez son parent semble recueillir davantage sa compréhension voire son acceptation, résonnant avec l’empathie de l’enfant.
38 La recherche-action a permis de rencontrer des professionnels engagés différemment sur ces situations et de montrer que, trop souvent, les accompagnements se superposent en s’ignorant les uns les autres. Ainsi, le projet de vie émis depuis la psychiatrie adulte concerne l’adulte (et non le parent) et le projet personnalisé pour l’enfant concerne en premier lieu l’enfant, sans qu’une mise en lien soit établie entre les deux documents. L’unité « famille » n’apparaît pas. Pour autant, si l’habitude n’est pas encore là, rien ne nous empêche d’imaginer, et de mettre en place, une articulation des deux champs dans le respect de l’un et de l’autre, et avec l’ASE pour coordonner l’ensemble.
39 Au sein de l’équipe élargie, la recherche-action a permis de mettre à la réflexion en équipe la place de ces parents et notre façon d’agir auprès d’eux, de défaire un blocage : « Avant on pensait, quand on entendait le terme “psychiatrie”, qu’on n’allait pas pouvoir travailler. Maintenant, on sait qu’on peut travailler, mais il faut travailler sur le comment et avec qui. »
40 C’est également l’image du parent qui s’est modifiée. On s’interroge maintenant sur des éléments tels que le maintien des droits, notamment celui de l’exercice de l’autorité parentale dans ce contexte, qui n’est en général pas suspendu. On s’interroge sur la façon dont on peut associer le parent dans l’exercice de ses droits.
41 Les collègues n’ayant pas participé directement à la recherche expriment le fait qu’à travers ce retour émerge l’idée d’une élaboration d’un savoir à l’égard de leur pratique dans la relation avec le parent. Ils prennent conscience que l’enfant lui-même nous regarde dans ce savoir-faire relationnel envers son parent. On établit ainsi l’importance qu’un contact soit gardé entre l’équipe et le parent, ce qui n’est pas toujours le cas.
42 Nous prenons en compte également ce qui peut se jouer pour l’enfant dans le regard porté par les autres enfants sur son parent, y compris parfois des enjeux autour de la honte ou de la recherche de comparaison. Il s’agit aussi de mieux saisir notre rôle auprès de l’enfant et auprès du parent : rassurer dans certains cas, oser la confrontation dans d’autres.
43 S’élabore ainsi peu à peu le rôle du professionnel de la MECS dans ces enjeux : aider l’enfant face au risque d’hyperadaptation ; prendre en compte le regard social ; gérer l’imprévisibilité du parent et parfois l’anticiper ; porter l’évolution de la relation parent-enfant et parent-équipe éducative dans le temps (ce qui est décidé un jour peut être revu plus tard) ; prendre le risque d’un travail sur l’accompagnement (sans lequel la situation tend souvent à s’enliser). À ce titre, l’équipe est amenée à penser que, dans ces situations comme dans les autres, la prise de risque dans l’accompagnement nécessite une réflexion, une mise en pensée de l’équipe dans des instances formalisées.
44 Ne pas connaître le parent maintient la peur chez le professionnel et cette attitude n’aide pas forcément l’enfant qui exprime, parfois de façon implicite, le besoin que quelque chose s’élabore de cette relation parent-enfant, en passant parfois par le regard et la pensée du professionnel.
45 Cette expérience de recherche-action montre l’intérêt à amener les travailleurs sociaux dans ce genre de démarche, pour eux-mêmes en tant que professionnels, et pour la qualité de leur accompagnement. Soulignons l’importance qu’ils soient sensibilisés, voire formés, à la démarche de recherche dès leur formation initiale. Sur le terrain, rien ne peut se faire sans certaines conditions sur le plan institutionnel, permettant la mise en réflexion, l’ouverture sur l’extérieur et l’innovation dans les pratiques.
Retour à la clinique
46 Madame A., la mère de Wahid, a accepté que nous rencontrions son médecin psychiatre qui a, lui aussi, accepté cette rencontre dont l’organisation a été portée par la référente sociale. Lors de cette rencontre à laquelle participe Mme A., les points de vue se croisent. Le cadre légal et la mission de chacun sont respectés. Nous parlons de la santé de Madame et de ce qui se joue dans la relation à son fils. Nous apprenons à nous connaître et ces réunions deviennent régulières. Wahid sait que les adultes se voient. Peut-être un jour demandera-t-il à se joindre à nous et s’ouvrira-t-il un peu davantage ? Madame A. a finalement visité la maison d’enfants qui accueille son fils. Aujourd’hui, Mme A. vient chercher son fils tous les mercredis pour passer l’après-midi ensemble. Elle appelle toujours plusieurs fois par jour, mais l’équipe a convenu de la rappeler chaque soir pour lui parler de la journée de son fils, ce qui la rassure. Les professionnels ont créé une nouvelle forme de relation avec elle, moins tendue, plus à l’écoute et plus conviviale.
47 Nolan est toujours accueilli en maison d’enfants. Mme D. s’oppose à toute mise en relation entre l’équipe éducative et son équipe soignante, ce qui ne facilite pas les tentatives de collaboration entre les professionnels de la protection de l’enfant et ceux de la psychiatrie adulte au-delà de ce qu’autorise le secret professionnel partagé. Nous savons qu’elle connait encore des épisodes de grande fragilité. Nolan ne rencontre sa mère qu’en visite médiatisée. Dans cette situation, les craintes des professionnels de la protection de l’enfance à l’égard de la sécurité de Nolan ne permettent pas d’envisager un retour à domicile, ni même un élargissement des droits.
48 Ainsi, à partir de l’analyse de ses ressentis (l’agacement, la peur, le sentiment d’impuissance) vécus au sein de la clinique éducative, l’équipe des professionnels de la maison d’enfants a su élaborer un questionnement qui l’a amenée dans une démarche de recherche lui permettant une nouvelle inscription dans la relation clinique elle-même et l’élaboration de nouvelles pratiques.
49 Hiver 2016
Bibliographie
Références
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Mots-clés éditeurs : recherche-action, parentalité, enfants, trouble mental
Date de mise en ligne : 19/06/2018.
https://doi.org/10.3917/psye.611.0119Notes
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[1]
Cette recherche-action a été restituée publiquement dans le cadre d’un colloque dédié à ce thème « Psychiatrie adulte et protection de l’enfance », organisé par le pôle recherche de l’IRTS (institut régional du travail social) Nord-Pas-de-Calais et le Home des Flandres, le 28 janvier 2016 à Loos, colloque qui a rassemblé 280 personnes, étudiants, professionnels des deux champs et cadres pédagogiques.
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[2]
Delhaye, P. & Pennel, F. (2013). Le savoir des usagers : approche clinique et volonté institutionnelle. AIFRIS (association internationale pour la formation, la recherche et l’intervention sociale), Loos.
Delhaye, P., Leroy, D. & Pennel, F. (2015). Le savoir des usagers : approche clinique et volonté institutionnelle. Les rendez-vous du PREFAS (pôle ressource pour la recherche et la formation en action sociale), Loos.