« Tous les changements, même les plus souhaités, ont leur mélancolie. »
1La problématique développée au fil des pages qui suivent concerne les enjeux psychiques de l’immédiat après-naissance. S’y nouent fondamentalement l’expérience maternelle traversée et les tout premiers temps de l’organisation psychique du nouveau-né, mais aussi les mystères des échanges réciproques entre le registre intrapsychique et le champ interpersonnel. Cette période encore mal connue du post-partum très précoce cristallise ainsi la complexité des théorisations contemporaines autour de la naissance.
2Les paradoxes épistémologiques rassemblés autour de la notion de blues post-natal constituent le point de départ et le fil rouge de nos réflexions. Ce terme évocateur, qui renvoie aux mélodies nostalgiques chantant l’Afrique perdue, s’est finalement imposé pour caractériser ce curieux phénomène clinique, vers la fin des années soixante (Yalom et al., 1968). Mais les témoins de la naissance connaissent depuis toujours ce moment émotionnel incompréhensible, mais sans gravité, fait de larmes et de tristesses subites et transitoires, survenant dans les jours mêmes où devrait se célébrer un heureux événement. Louis-Victor Marcé, dès 1858, en propose une première description clinique qui reste d’une singulière actualité :
« Période prodromique de la manie des nouvelles accouchées qui varie de quelques heures à cinq ou six jours. Les femmes sont tristes, moroses, mais plus souvent excitées. Leurs manières et leurs allures se modifient ; elles se montrent affectueuses à l’excès pour leur enfant, pour leur famille, ou pleines d’une aversion déraisonnable pour ceux qu’elles aimaient le plus jadis. Leur loquacité est intarissable, elles pleurent ou elles rient sans motif. Les sens deviennent plus actifs ou plus subtils, le moindre bruit affecte l’ouïe d’une manière pénible, une lumière trop vive fait souffrir. Cet état d’excitation qu’il n’est pas rare d’observer mais à un faible degré chez les femmes impressionnables, au moment de la fièvre de lait, peut se calmer de lui-même ou par des soins bien entendus, dès que la sécrétion lactée est établie. Il disparaît alors sans laisser de traces. »
4Aussi diverses soient-elles, les expressions cliniques du blues sont d’une si grande fréquence qu’on a pu les référer à la normalité, et tout au moins les distinguer d’autres situations pathologiques du post-partum, les décompensations psychotiques notamment. Pourtant, à la suite des travaux de Brice Pitt (1968) assimilant le blues à une dépression atypique, une confusion durable s’installe avec les tableaux dépressifs du post-partum, qui ne seront qu’ultérieurement décrits. Parfois limité, pendant quelques jours, à une labilité de l’humeur, à une euphorie transitoire, à quelques crises de larmes en décalage avec les sentiments et à une irritabilité, le blues post-natal est, dans d’autres circonstances, plus sévère, intense, l’occasion de sentiments dépressifs accusés, voire de confusion et de dépersonnalisation, interférant dans les relations de la mère avec son enfant et son entourage, déstabilisé par ce phénomène insolite, en rupture avec le comportement de la jeune mère et peu lié aux circonstances extérieures.
5Bien que de nombreuses études aient, par la suite, été menées dans ce domaine et de considérables progrès accomplis dans la compréhension des mécanismes de l’humeur, le blues reste peu compris sur le plan psychopathologique. La confusion est grande au sein des recherches et les résultats difficiles à généraliser. Sous le terme de blues du post-partum sont réunis des phénomènes cliniques très hétérogènes du point de vue de leur évolution, de leur durée, de leur intensité et de leur gravité.
6Malgré l’hétérogénéité des méthodologies et des sémiologies retenues, les professionnels de terrain s’accordent cependant sur un certain nombre de caractéristiques : la très grande fréquence de survenue du blues qui touche plus de la moitié des accouchées dans les dix premiers jours suivant la naissance, l’intensité de l’amplitude émotionnelle qui le constitue, son caractère transitoire et réversible, et enfin sa fonction d’ouverture à l’échange avec le nouveau-né.
7Le blues a ainsi longtemps constitué l’entité nosographique la plus fréquemment évoquée de la psychiatrie périnatale, tout en étant la plus polémique, car privée de toute définition consensuelle. L’une des raisons principales en est, selon nous, la très grande instabilité et le désordre chaotique qui caractérisent la clinique du post-partum immédiat (PPI), faite d’intrications cliniques entre soma et psyché et entre différents niveaux de fonctionnement psychique. Ces intrications entremêlent les niveaux générationnel et identificatoire. Elles conduisent à des déplacements, projections et investissements multiples sur l’environnement familial élargi, comme sur les divers intervenants de la Maternité, avec indifférenciation relative et fluctuation des places et des fonctions.
8Le grand intérêt suscité un temps par le blues du post-partum, porté par l’espoir d’une modélisation possible des variations de l’humeur, a finalement considérablement décru du fait, sans doute, de l’échec à mettre en évidence une causalité biologique à ce phénomène clinique stéréotypé, cumulant la fin du stress de la grossesse et de l’accouchement avec des conditions hormonales nouvelles. L’accumulation empirique de résultats épars et disparates est probablement, pour une part, liée au manque d’une théorisation solide a priori et de construction de concepts suffisamment heuristiques concernant les enjeux psychiques du post-partum immédiat.
9Tenter de relever ce défi nous a paru être prometteur de perspectives encore inexplorées. Les nombreuses recherches et notations cliniques portant sur ce phénomène ont en effet laissé certaines questions de côté. L’une d’elles concerne le fonctionnement psychique des mères qui n’expérimentent pas le bouleversement émotionnel du blues. Ces femmes qui ne semblent pas éprouver ce « vécu douloureux subjectif » (Rochette, 2009) n’ont, jusqu’à présent, jamais suscité l’intérêt scientifique. L’absence de blues n’a donc pas été spécifiée en tant que telle et l’on ignore tout du style interactif de ces mères avec leur bébé et des conséquences éventuelles de ces qualités émotionnelles sur le développement et l’organisation précoces du nouveau-né.
10Ces interrogations ont parcouru l’ensemble de nos travaux qui s’organise en deux parties essentielles. La première s’inscrit dans une perspective clinique et tente une compréhension psychodynamique et métapsychologique du post-partum immédiat. La deuxième expose une recherche soumettant des hypothèses à la mise en œuvre d’un protocole expérimental.
Vers une clinique psychodynamique du post-partum immédiat
11Pour construire notre problématique de recherche, nous avons tout d’abord réuni les principaux travaux sur l’expérience psychique maternelle en période périnatale, depuis les observations fondatrices de Marcé (1858) jusqu’aux recherches les plus contemporaines (Deutsch, 1944-45 ; Winnicott, 1956 ; Benedek, 1959 ; Bibring et al., 1961 ; Racamier et al., 1961 ; Raphael-Leff, 1991 ; Revault d’Allonnes, 1991 ; Bydlowski, 1991, 1997, 2000 ; Bayle, 2005). Nous nous sommes ensuite intéressés à l’étude des interactions précoces du bébé avec ses partenaires, initiée par Serge Lebovici dans les années 1970 (1983, 1998, Lebovici et al., 1989), notamment dans leur dimension fantasmatique, puis largement poursuivie par les tenants de la théorie de l’attachement, Edward Tronick (1998, Tronick et al., 1978, 1989, 1994) et Peter Fonagy (1991, 1993, 2001) plus particulièrement. Concernant les origines de la vie psychique, les ouvertures théorico-cliniques des post-kleiniens ont connu de larges développements, grâce à une confrontation à d’autres champs cliniques, les cures psychanalytiques d’adultes et les pathologies archaïques de l’enfance notamment (Winnicott, 1958 ; Bion, 1962 ; Anzieu, 1985 ; Bick, 1968 ; Meltzer et al., 1980). Ces travaux invitent à un nécessaire retour sur ses éprouvés contre-transférentiels, permettant parfois d’entrevoir quelque chose de l’expérience initiale traversée par le tout petit (Golse, 2006). Dans le champ périnatal, les confrontations pluridisciplinaires d’approches très diverses sont à l’image de celles qui se jouent chez le bébé et ses parents, où tout ce qui est psychique s’exprime préférentiellement par le corps, obligeant chacun à un retour sur ses propres sensorialités et émotions.
12Nous nous sommes ensuite appuyés sur le modèle intersubjectif de la dynamique émotionnelle du lien et sur l’intrication somato-psychique caractérisant le travail de l’émotion, suivant ainsi les récents travaux de René Roussillon (2000, 2004, 2005, 2008) et de Denis Mellier (2002, 2005). Nous envisageons ainsi la très grande complexité de l’épigénèse périnatale qui noue ensemble et fondamentalement les processus de la naissance psychique d’une part, ceux de la parentalité en devenir d’autre part.
13Dans le post-partum immédiat, mère et bébé se trouvent confrontés à une série d’enjeux déterminants pour l’avenir de leurs liens. La mère est nostalgiquement renvoyée à la situation de sa propre naissance et se trouve massivement replongée dans une réactualisation de ses conflits infantiles restés irrésolus. On sait désormais que la femme qui accouche doit faire face à la perte de l’objet interne de la grossesse et au risque de débordement de son pare-excitation et de ses capacités de contenance par un trop plein d’affects. Le nouveau-né, du fait de son immaturité physique et psychique et de ses besoins, la confronte à son amour désordonné, comme l’écrivait Donald Winnicott (1947), et lui impose un « déficit intersubjectif », selon la formule de Joëlle Rochette (2009) sur laquelle nous reviendrons.
14Jusqu’ici, le blues du post-partum a généralement été abordé sur le plan quantitatif et phénoménologique des signes qui le constituent. Dans la perspective des travaux précédemment cités, nous proposons un autre regard qui permet de considérer l’émotion comme témoin du travail précoce de symbolisation de l’expérience dans l’intersubjectivité et permet ainsi de changer de paradigme pour aborder le blues post-natal, en suivant la deuxième théorie de l’angoisse freudienne (Freud, 1926). Ce point de vue renouvelle le questionnement sur ce phénomène clinique et nous a permis de formuler les hypothèses de la recherche que nous exposons ci-après. Dès lors, la problématique psychique du post-partum immédiat se pose comme suit : Les émotions éprouvées lors du blues sont-elles à considérer comme des affects-signal permettant une mise en phase avec les besoins de l’enfant ? Sont-elles plutôt les témoins d’affects-débordement, mettant à l’épreuve la contenance maternelle ? Cette théorisation nous permet conjointement de nouer cette interrogation sur le blues avec celle de la mise en forme des souffrances et agonies primitives du bébé qui lui permet de passer d’une angoisse irreprésentable à un éprouvé signifiant, l’émotion, dans l’interaction.
15En poursuivant l’idée de l’intrication somato-psychique qui caractérise le travail de l’émotion, le blues peut être considéré comme la traduction affective d’un double phénomène. D’une part, la naissance a pour corollaire la perte de la satisfaction phallique de la grossesse, le deuil de cet objet intérieur qui, en silence, accompagnait la femme depuis des mois. D’autre part, la mère expérimente en post-partum une sorte de dénudation psychique qui lui permet de se mettre en phase avec les besoins de l’enfant naissant. L’ensemble de ces enjeux tend à renvoyer la mère à son monde interne dont elle va être amenée à vérifier la solidité. Nous faisons l’hypothèse que l’expression émotionnelle, ancrée dans la réalité du corps, favoriserait le passage du statut de femme enceinte à celui de mère. Le blues témoignerait de la désorganisation du « cristal du moi maternel », selon la métaphore de Lebovici (1983), et de la préparation de la mère à saisir les indices en provenance de son enfant, ce qui expliquerait son universalité. « Les variations émotionnelles du post-partum permettent à la mère d’éprouver une gamme d’expériences affectives et d’affiner une sensibilité qui va lui être indispensable pour percevoir et donner sens aux messages de son bébé » (Guédeney et al., 1993).
16Certains travaux actuels se centrent, en effet, sur la compréhension du blues comme moment signifiant des transformations psychiques accomplies, scandant la fin du processus de la grossesse (Rochette et al., 2007). Il traduirait ce « désordre aléatoire » qui s’installe à la naissance, avant que, passée la traditionnelle quarantaine qui boucle la période du post-partum immédiat, la mère et son bébé ne trouvent leur « vitesse de croisière » et leur style interactif. L’après-naissance immédiat est marqué par l’étrangeté et la complexité de la situation, le « difficile réglage du temps de la mère sur celui de son bébé ». Si différents et si proches, mère et bébé vont avoir à se rencontrer, à se retrouver autrement. Ce moment conjugue plusieurs réalités : celle du bébé avec ses exigences vitales ; celle de la mère, engagée en temps réel dans le maternage, mais aussi dans un intense travail psychique en raison de la « déconstruction temporaire » de ses repères habituels, d’un retour nostalgique dans son passé et de l’effet mélancoligène de la perte de la grossesse. Pour les deux partenaires de la dyade, il faut pouvoir exister séparément, ce qui requiert la « coupure du lien anatomique », mais aussi la persistance d’un lieu de contenance. « Entre césure et continuum », le temps psychique de l’enfantement n’est ni réductible ni équivalent au temps chronologique, ce paradoxe devant être soutenu et contenu par le socius, groupe familial et communautaire.
17La très grande instabilité caractérisant la clinique du post-partum immédiat tend à la rendre presque insaisissable tant sur le plan nosographique que métapsychologique : sur le plan topique, les instances sont profondément remaniées ; sur le plan dynamique, certaines conflictualités retrouvent une actualité nouvelle. Mais ce qui fonde cette période est probablement l’importance des facteurs économiques liés à l’intensité des affects convoqués.
18Il nous semble que la problématique de l’émotion ouvre ainsi des perspectives plus centrales que celle des représentations pour caractériser les enjeux de l’après-naissance. Les phénomènes psychiques liés au post-partum peuvent se comprendre comme la présence d’affects, échappant en tant que tels à la représentation parce que liés à la perte et à la destruction de l’objet intériorisé de la grossesse. Un travail de figuration de ce fantasme de meurtre originaire, caractérisant l’archaïque à l’œuvre chez la mère, lui permettra de « faire le deuil » de l’enfant fantasmatique intériorisé et d’entamer de manière vivante un dialogue avec son « vrai » bébé (Drossart, 2001, 2003).
19L’idée d’un « trop-plein d’affects », d’un débordement du pare-excitation, du risque traumatique, doit pourtant être complexifiée par la spécificité de la rencontre avec le nouveau-né qui se trouve dans un état de détresse, d’Hilflosigkeit (Freud, 1913). Le contexte du post-partum est proche du chaos lié aux remaniements psychiques, physiques, générationnels, groupaux, et ce chaos est redoublé par l’asymétrie interactive fondamentale, le « déficit intersubjectif » temporaire, imposé à la mère par l’immaturité de l’enfant qui vient de naître (Rochette, 2009). En effet, la relative non réponse du nouveau-né aux besoins intersubjectifs de la mère, l’absence de réciprocité, de partage affectif, risque de provoquer un ébranlement identitaire et narcissique douloureux, plus ou moins surmontable selon le fonctionnement psychique maternel.
20Le blues peut dès lors être considéré comme un authentique mécanisme de défense face à une menace de désorganisation psychique en raison des enjeux émotionnels et affectifs inédits du post-partum immédiat. Cet ensemble risque de déborder le pare-excitation maternel, de faire effraction de façon traumatique et de conduire à une symptomatologie clinique qui prendra différentes formes selon le fonctionnement psychopathologique prévalent : dépression clinique, désorganisation psychotique, mais aussi, peut-être, différentes formes de maternités blanches, silencieuses, du post-partum immédiat, sans affects paradoxalement exprimés en cette période. Dans le cas inverse, si le blues constitue une défense efficace contre ce risque traumatique, il aura valeur de signal pour le moi et permettra à la mère de traverser cette période dans une ambiance émotionnelle, tout en entamant un commerce affectif avec son bébé. Ces émotions seront alors perçues par la mère qui les exprime ou seront du moins ressenties comme telles par un observateur attentif, c’est ce que nous avons développé pour la construction de notre recherche.
21Ainsi, le champ de l’affect et de l’émergence de la représentation nous a semblé particulièrement intéressant pour notre question qui tente de cerner les enjeux du post-partum immédiat, du point de vue maternel, et ses liens avec le développement de la vie psychique du bébé. Le travail de l’émotion est actuellement considéré comme un processus dynamique, comportant en lui-même une valeur de représentation et de communication (Green, 1999, 2002). En ce qui concerne le bébé, les processus de sémiotisation, passage de l’indice au signe, sont fondamentalement affect-dépendants, puisque c’est dans le cadre des interactions précoces, centrées par le jeu des émotions, qu’ils se jouent et se déploient (Golse, 2006). C’est ainsi qu’une indisponibilité psychique de la mère ou un manque de malléabilité (Milner, 1977) vont la rendre peu réceptive aux projections du bébé, induisant chez ce dernier une sorte de répression interactive des affects, puisque, dans ces conditions, ne fonctionne plus la voie de retour qui sous-tend la mise en forme représentative des affects chez l’enfant. La mère apporte dans l’interaction toutes ses capacités d’accordage et d’harmonisation, toute son histoire et tout le poids de sa personnalité, mais aussi tout l’impact de la place que cet enfant particulier occupe au sein de son monde représentationnel. La nature des projections que la mère effectue sur l’enfant dépend alors en grande partie de sa capacité d’identification régressive au bébé, de sa capacité de rester en lien vivant avec ses propres parties infantiles.
22Nous pensons donc que l’affect pourrait être un point de passage conceptuel fécond entre le registre de l’interpersonnel et celui de l’intrapsychique, alors même qu’au niveau représentationnel, ces deux registres se situent souvent dans un rapport conflictuel difficilement dépassable. Les affects et les émotions se co-construisent au sein de la dyade, et c’est leur partage qui va permettre au bébé d’instaurer sa vie affective et émotionnelle personnelle.
23La question des émotions s’avère donc aujourd’hui indissociable du jeu interactif et elle pose en des termes nouveaux l’hypothèse de l’anobjectalité première. Y a-t-il ou non, pour le bébé, un objet qui existe d’emblée ? Roussillon (2008) propose l’idée qu’il y a sans doute un autre précoce, mais que cet autre ne peut exister comme tel qu’en se constituant comme un double, comme un autre-miroir et empathique de soi, sur fond d’un travail d’historicisation commun à l’adulte et à l’enfant.
24Par ailleurs, il faut souligner l’essor des connaissances modernes sur le développement précoce du bébé, l’existence d’outils d’évaluation et, de ce fait, la plus grande précision des recherches possibles dans ce champ jusque-là mal connu. Les études récentes sur les compétences précoces du bébé, les données recueillies par la technique de l’observation directe, l’analyse détaillée des systèmes interactifs et l’étude de plus en plus approfondie des psychopathologies archaïques permettent une meilleure connaissance des niveaux infra-verbaux de la communication et de l’impact de l’intersubjectivité sur le développement psychique de l’enfant.
25Le clinicien familiarisé avec le bébé de moins d’un an s’interroge désormais sur le fonctionnement psychique du nouveau-né de moins de quarante jours. Cette période encore mystérieuse et peu connue est au cœur de nos réflexions. Le profond désarroi dans lequel sont plongés mère et père face à un nourrisson aux manifestations déroutantes, cette souffrance familiale périnatale constituante qui peine à s’appuyer sur les ressources de familles dispersées, sont encore largement méconnus. « Ces souffrances trouvent normalement une résolution, mais elles peuvent devenir pathogènes dans cette période vécue sous tension, période confuse, envahie par le corps et ses productions, soumis à un sentiment de “vidange” psychique et d’épuisement dans lequel le temps et l’espace, les limites psychiques et corporelles se diluent » (Garret-Gloanec, Gloanec, 2007).
Le blues post-natal : une manifestation signifiante et pronostique ?
26Les enjeux théoriques du post-partum immédiat ainsi problématisés, nous avons construit un protocole de recherche dont l’objectif principal était de répondre à la question centrale suivante : le blues du post-partum est-il une manifestation signifiante sur le plan clinique et pronostique pour le lien mère-enfant ?
27Bien que souvent mal délimitées et confondues avec un état dépressif, ces secousses affectives extrêmement fréquentes en post-natal étonnent, mais aucune recherche n’a pour l’instant permis d’en percer ni l’étiologie ni la finalité. Constituent-elles une simple curiosité ? Ont-elles un sens ? Sont-elles les témoins d’un travail psychique à l’œuvre ou, au contraire, les signes d’un débordement pathologique ou du moins de ses prémisses ? Que penser de l’absence d’expression émotionnelle dans un nombre non négligeable de cas ? Quel pourrait en être le retentissement sur le lien immédiat de la mère avec son enfant, voire sur les interactions ultérieures mère-bébé ? Quelles en sont les conséquences éventuelles sur le développement premier de l’enfant ?
28Notre étude associe différents modèles d’intelligibilité. Un abord clinique de la psychopathologie maternelle et des interactions fantasmatiques mère-bébé s’appuie sur une compréhension psychodynamique. La psychologie expérimentale et la théorie de l’attachement ont permis d’enrichir l’observation directe du nouveau-né. En parallèle de ces réflexions psychopathologiques et cliniques, nos hypothèses ont été soumises à validation et nos données analysées selon une méthodologie statistique. Cette étude s’organise ainsi autour de trois hypothèses principales.
29Première hypothèse : Le blues du post-partum dans sa forme modérée et transitoire habituelle, faite d’ambivalence émotionnelle, participerait et témoignerait de l’élaboration psychique de l’événement naissance. Il témoignerait d’une recherche de contenance maternelle pour elle-même comme pour son enfant, et favoriserait l’ajustement maternel à la situation étrange et chaotique expérimentée dans le post-partum.
30Deuxième hypothèse : Un silence émotionnel maternel en post-partum immédiat, autrement dit une absence de blues, témoignerait d’un fonctionnement psychique maternel distinct (imagos, conflictualité) de celui qui caractérise les femmes qui traversent ce « vécu douloureux subjectif » bien connu (Rochette, 2009).
31Troisième hypothèse : Le vécu psychique et émotionnel maternel en post-partum immédiat, qu’il soit ou non ressenti comme blues, pourrait donc se traduire dans le style interactif mère-bébé à deux mois, voire dans les compétences neuropsychomotrices du nouveau-né dès la naissance.
32Cette dernière hypothèse renvoie à une question développementale : Quelles sont les conséquences du blues du post-partum et de son absence sur le développement et l’organisation précoce du bébé (état somatique, tonico-postural et neuropsychomoteur) dès sa naissance ? Quelles en sont les conséquences sur les interactions précoces mère-bébé (proto-conversations, échanges émotionnels entre partenaires de la dyade, rythmicité des échanges) deux mois plus tard, période autour de laquelle doivent pouvoir s’observer et être évalués les premiers organisateurs d’un « sens de soi émergent » (Stern, 1985) et de l’intersubjectivité du côté du bébé : meilleure régulation des états de vigilance, débuts du sourire social, premiers babillages et vocalises, plus grande sensibilité à la contingence et aux états émotionnels du partenaire ?
Description du protocole et de la méthodologie de recherche
Population étudiée et déroulement de l’étude
33L’ensemble du recrutement initial des dyades mère-bébé s’est déroulé dans le service de gynéco-obstétrique de l’Hôpital Jean Rostand (Ivry/Seine, Val de Marne), en hospitalisation de suites de couches entre le premier (J1) et le cinquième jour (J5) du post-partum.
34La population de mères et de bébés a été sélectionnée de façon à être homogène, en vue d’une comparaison des groupes cliniques sur le plan de l’âge, du statut matrimonial, de la catégorie socio-professionnelle, de la situation gynéco-obstétricale et de l’état de santé du bébé. Nous avons ainsi fait le choix de ne rencontrer que des primipares, évitant par là-même l’influence des expériences antérieures de maternité. Il nous a également semblé qu’une première naissance était sans doute émotionnellement traversée d’une façon plus intense et donc probablement plus significative.
35Les femmes auxquelles était proposée la recherche étaient toutes majeures, francophones, socialement non précaires, vivant en couple, ayant eu une grossesse simple non compliquée sur le plan somatique ou psychologique, et ayant accouché à terme par voie basse sans difficultés particulières. Aucune n’avait eu la proposition de rencontrer la psychologue ou le psychiatre de la Maternité, en cours de grossesse comme en suites de couches. Leurs nouveau-nés étaient tous en bonne santé (poids de naissance, périmètre crânien, taille normaux ; Apgar supérieurs ou égal à 8 ; examen pédiatrique sans particularité) et aucun n’avait été séparé de sa mère depuis la naissance. Enfin, pour l’inclusion dans l’étude, il était vérifié au cours d’un entretien par le clinicien-chercheur (Sarah Bydlowski) que les femmes n’étaient pas cliniquement déprimées. Les bébés présentaient un développement neuro-psycho-moteur satisfaisant à l’examen (échelle d’évaluation du développement moteur du jeune enfant de Vaivre-Douret, 2003), afin que d’éventuels troubles posturaux n’influencent ni l’ajustement maternel, ni les interactions mère-bébé.
36Suite à cette première rencontre à la Maternité des dyades mère-bébé, un nouveau rendez-vous était fixé deux mois plus tard au laboratoire de recherche à la Fondation Vallée (Gentilly, Val de Marne). Nous avons choisi de revoir les sujets de l’étude à deux mois, en raison du tournant particulier que constitue la fin de la période des quarante premiers jours du post-partum, moment organisateur pour la dyade comme pour chacun des partenaires de l’interaction et début d’une adaptation mutuelle, dans les bons cas.
Méthode d’observation et outils d’évaluation
Méthode d’observation et outils d’évaluation
37Dans cet article, nous ne présentons que certains des résultats de l’étude, aussi seuls les outils ayant permis d’y parvenir sont exposés ci-dessous.
Les entretiens cliniques semi-directifs
38Pour construire ces entretiens, nous nous sommes inspirés de l’« Interview pour les Représentations Maternelles pendant la Grossesse » (IRMAG) (Ammaniti et al., 1999). Cet entretien semi-structuré, issu des travaux sur les représentations maternelles et sur l’attachement, permet d’explorer chez la femme enceinte le domaine des représentations mentales concernant, non seulement la femme en tant que personne et mère, mais aussi son partenaire et ses figures parentales. Il permet d’analyser des contenus relatifs aux expériences internes, comme la structure narrative qui prend forme au cours de la conversation par le récit spontané de la femme sur sa maternité. Du fait de la transparence psychique propre à la période périnatale (Bydlowski, 1991), les caractéristiques de la structure narrative permettent d’examiner en profondeur la capacité de la femme à élaborer son expérience et à la communiquer, et de faire des hypothèses sur son fonctionnement psychique.
39L’IRMAG a été construit pour être administré au cours du troisième trimestre. Pour la réalisation de notre étude, qui nous amenait à rencontrer les femmes en post-partum immédiat et aux deux mois de l’enfant, nous avons été conduits à modifier le contenu de cet entretien, afin de l’adapter à ces deux périodes spécifiques. Par ailleurs, l’IRMAG s’attache tout particulièrement à l’analyse de la structure narrative et permet de dégager des catégories cliniques, distinctes par le contenu des représentations maternelles, selon une théorisation se référant à la psychologie du développement. Même si nous avons été attentifs à la façon dont les mères mettaient en récit l’expérience traversée, notre fil théorique a essentiellement porté sur la dynamique émotionnelle circulant au cours de ces échanges, selon une théorisation psychodynamique.
40Au cours de ces entretiens, le chercheur (Sarah Bydlowski) observait une position de disponibilité et d’ouverture, la plus neutre et silencieuse possible, à l’égard des femmes et de leurs nouveau-nés. Cette dernière notait avec le plus de précision possible les mots et expressions utilisés par les femmes, en signalant les pauses, les exclamations, les suspensions, les rires ou les pleurs, les phrases incomplètes, etc. Après chacune des rencontres avec les femmes participant à la recherche, elle était à l’écoute des impressions cliniques générales se dégageant de ces échanges. Cette prise de notes tentait de recueillir avec tout le soin et l’attention nécessaires les émotions et affects mobilisés chez l’observatrice, les positions et contre-attitudes du chercheur. Les relations mère-enfant, de même que les comportements propres du bébé, ont fait l’objet d’une attention toute particulière au cours de chaque rencontre.
41L’entretien semi-directif en post-partum immédiat a permis la recherche des symptômes de blues et l’appréciation clinique des réactions actuelles de chaque parturiente. Les fils directeurs en étaient : le désir d’enfant dans l’histoire personnelle de la femme et dans l’histoire du couple, le vécu de la grossesse, de l’accouchement et de l’allaitement, l’accueil du bébé par ses parents, le choix du prénom, le décalage entre l’enfant attendu et l’enfant réel, les représentations maternelles concernant l’enfant et le rôle de mère, les premières réactions vis-à-vis du nouveau-né, les premières relations mère-enfant, la situation de la famille nucléaire, notamment le rôle du conjoint et les représentations maternelles à son égard comme compagnon et comme père de l’enfant, la situation de chaque parent dans sa fratrie, la réaction des familles face à cette naissance et les relations avec celles-ci. Le chercheur appréciait la liberté avec laquelle les mères pouvaient aborder leurs émotions, les relier à leur histoire et les communiquer, leur tolérance vis-à-vis de l’ambivalence et les moyens qu’elles employaient pour aborder leurs conflits intrapsychiques. Une attention particulière était portée à la vie fantasmatique, à la richesse des perceptions dans la description de la mère d’elle-même et de son enfant, à l’ouverture au changement, à l’intensité de l’investissement, à la différenciation et à la dépendance éventuelle vis-à-vis de la famille, du partenaire, du groupe social. Etaient également recherchés l’existence ou non d’une enveloppe sociale et familiale « maternante », les capacités d’identification de la femme à la fois à son enfant et à sa propre imago maternelle, son ambivalence, ses capacités de régression et sa tolérance à la dépendance de son bébé comme à la rupture du lien fusionnel propre à la grossesse.
42L’entretien semi-directif à deux mois permettait, en outre, d’apprécier le début d’une adaptation mutuelle : rythmes du nourrisson, allaitement, sevrage, vécu du retour à la maison, place du père dans les soins du bébé, nouvel équilibre de la vie conjugale et familiale, relations interfamiliales, santé de la mère et du bébé, dépression maternelle éventuelle, vécu des éventuelles premières séparations.
L’échelle d’évaluation comportementale du nouveau-né de Brazelton (Neonatal Behavioural Assessment Scale, NBAS)
43Cet outil constitue un aménagement de l’examen pédiatrique classique, neurocomportemental, du nouveau-né et une synthèse des connaissances apportées par les travaux sur l’attachement et les interactions (Brazelton, 1973 ; Brazelton, Nugent, 1995). Il se fonde sur l’interaction directe du clinicien avec le nouveau-né, qui s’engage activement et corporellement avec le bébé. Il vise à solliciter et évaluer d’une part, les compétences précoces du bébé à la communication, de même que ses capacités motrices et sensorielles oculomotrices, et d’autre part, la capacité du bébé à gérer par lui-même les stress et intrusions progressifs apportés par les stimuli qui lui sont proposés et qui risquent de le désorganiser (Nugent, Brazelton, 1989).
44Un certain nombre de concepts-clés guide la passation et l’analyse de cette observation. Tout d’abord, le concept de meilleure performance repose sur l’hypothèse centrale que l’empathie développée par le clinicien à l’égard du nouveau-né va lui permettre de « toucher le bébé avec tact » et ainsi l’aider à organiser un état d’éveil attentif favorable à l’expression des compétences, à la fois cognitives et affectives, à la découverte des objets, humains et physiques. Ensuite, le concept d’auto-régulation correspond à la capacité innée dont dispose l’enfant pour investir ses propres ressources (régulation active de ses états de vigilance, auto-apaisement…) et maintenir son organisation. Ces deux systèmes, l’un ouvert sur le contact avec le monde, l’autre fondé sur un noyau primaire d’autonomie, sont en relation de potentialisation mutuelle et vectorisés par le développement du système nerveux central (Brazelton, Als, 1979).
Echelle d’évaluation du développement moteur du jeune enfant
45Il s’agit d’une échelle d’évaluation clinique, à visée diagnostique précoce, du développement moteur, incluant les facteurs prédictifs d’une bonne coordination motrice, adaptée, dirigée et motivée (Vaivre-Douret, 2003). Il s’agit d’un outil sensible, les items moteurs sélectionnés permettant de détecter les déviations du comportement par rapport à la normale et d’évaluer les acquisitions posturo-motrices et locomotrices, ainsi que celles de la préhension-coordination visuo-manuelle. Les items choisis apprécient à la fois les aspects fonctionnels quantitatif et qualitatif du développement neuromoteur dont les anomalies ou déviations ainsi repérées pourraient retentir sur le devenir praxique et cognitif de l’enfant.
Notations globales des interactions mère-bébé à deux mois
46Cette échelle a été mise au point par l’équipe anglaise de la Winnicott Research Unit pour décrire les interactions en face-à-face entre une mère et son bébé (Fiori-Cowley, Murray, Gunning, 1999). D’une grande sensibilité clinique, elle a été développée pour évaluer les différences d’interaction mère-bébé entre des groupes de femmes présentant une dépression post-natale et des groupes de femmes indemnes. Cet instrument s’est révélé sensible aux altérations interactives même dans des échantillons à faible risque (Murray, Fiori-Cowley et al., 1996).
47Pour notre recherche, les films ont été visionnés, codés et analysés par un chercheur entraîné à l’analyse des interactions mère-bébé (Gisèle Apter), qui ignorait le statut de la mère et ne connaissait rien de l’histoire des femmes et des bébés observés sur le film. L’outil n’étant pas traduit et validé en français, après accord de Lynne Murray, nous avons utilisé le manuel dans sa forme originale, en anglais.
Analyses des données
Analyse clinique et psychopathologique des données d’entretien
48Nous avons repris l’ensemble des entretiens afin d’en repérer les thèmes centraux en regard de notre perspective de recherche, en portant une attention particulière à leur contenu latent. Le recueil des représentations non verbales, associé aux impressions cliniques et aux contre-attitudes éventuelles de l’observatrice, nous a permis de saisir partiellement les émotions sous-jacentes, d’éclairer le contenu proprement verbal et de lui donner sens.
49Ainsi, quatre niveaux se dégagent de cette analyse : celui des données informatives et objectives ; celui des représentations conscientes et préconscientes ; celui plus latent du fonctionnement psychique, abordé de façon plus indirecte, entre autre par le détour de l’éprouvé du chercheur ; enfin, celui plus global de souplesse ou non du fonctionnement psychique, comprenant un accès plus ou moins grand aux représentations et aux affects, l’organisation des représentations, leur intégration, et l’action sélective et déformante des mécanismes de défense auxquels sont soumises les représentations.
Analyse clinique complémentaire des échanges mère-enfant
50L’analyse clinique des interactions mère-bébé nous a également conduit à dégager un certains nombre de données supplémentaires et complémentaires de l’échelle des notations globales des interactions mère-bébé à deux mois. Ces variables ont été construites avec le concours du clinicien particulièrement formé et habilité à l’analyse des interactions (G. Apter), avec lequel nous avions déjà renseigné l’échelle. Ces données ont été complétées par l’expertise d’une clinicienne apportant son regard sur le développement neuromoteur des bébés (Laurence Vaivre-Douret). Cette dernière a également visionné les films en aveugle, en ignorant tout de l’histoire des mères et de leur enfant. Ces variables ont pour objectif de dégager de façon plus globale l’évaluation de l’ajustement interactif maternel. D’autre part, elles offrent sur les bébés deux points de vue complémentaires : d’un côté, l’observation des capacités de régulation propre de l’enfant en situation d’échange avec sa mère ; de l’autre, l’évaluation des compétences d’organisation psychomotrice et tonico-posturale de l’enfant.
a – La qualité de l’ajustement maternel en situation interactive
51Nous avons évalué la capacité d’adaptation maternelle aux aléas du comportement de son bébé, en tenant du compte de l’âge des enfants. En effet, à deux mois, le développement du bébé ne lui permet pas encore de s’accorder par lui-même dans les échanges ; il est encore largement soumis aux capacités d’ajustement de sa mère. Il initie peu les échanges interactifs, et ses expressions émotionnelles et ses capacités d’imitation sont encore limitées. Il a besoin, pour s’ajuster au mieux et développer ses compétences relationnelles comme ses capacités de régulation, que les rythmes des échanges ne soient ni trop rapides ni trop lents, qu’ils gardent une certaine cohérence et ne soient pas trop variés, et qu’ils soient adaptés à ses possibilités de réponse et ne le sollicitent pas excessivement sur le plan développemental.
52Au cours de cette période, quand les relations mère-enfant sont harmonieuses, la mère est encore principalement à l’initiative des échanges et développe des capacités d’anticipation sur les signaux émanant de son bébé. Dans ces situations, les échanges sont synchrones et concordants. La mère initie le plus souvent l’interaction, sollicitant une réponse de son bébé, celui-ci lui répond, plus ou moins, en fonction de son propre niveau d’organisation et du caractère approprié de la sollicitation maternelle. La mère reprend ensuite l’initiative, suivant son enfant après avoir sollicité de sa part un échange interactif. La synchronie et la concordance des interactions sont mises à mal quand le bébé est trop désorganisé et que sa mère est mal ajustée à ses difficultés. Certaines mères sont rapides dans leurs échanges interactifs, leur bébé paraissant ne pas pouvoir les suivre et se trouvant contraint à la passivité, voire à l’évitement ou à la désorganisation dans les pleurs ou les manifestations somatiques (régurgitations, hoquets, par exemple). D’autres mères semblent en difficulté pour initier les interactions, comme pétrifiées face à leur bébé. D’autres enfin tentent des échanges, mais les initiatives maternelles paraissent toujours en décalage avec les signaux et les comportements du bébé.
53Ainsi, les interactions étant nécessairement soumises à des « accidents » interactifs, à de micro-désajustements, nous avons observé quelle était la capacité maternelle à « réparer » ces incidents dans les échanges mère-enfant, quels étaient ses moyens et la façon dont elle passait d’une séquence interactive à une autre, quelle était sa souplesse à passer à un autre type d’échange, quand le bébé manifeste des signes de malaise ou d’évitement, par exemple. La mère supporte-t-elle facilement que le bébé ne lui réponde pas ou pas assez rapidement ? En paraît-elle blessée ou contrariée ? Reste-t-elle présente dans l’échange ou se replie-t-elle sur elle-même ? Est-elle attentive aux signaux de l’enfant ou semble-t-elle les ignorer ? Est-elle gratifiante à l’égard de son enfant, par la tonalité et le contenu de ses paroles ?
54À deux mois, bien que peu variés sur le plan de leur expressivité émotionnelle, les échanges affectifs sont variables en terme qualitatif comme quantitatif. Certaines mères réagissent plus ou moins aux manifestations émotionnelles de leur enfant, que celles-ci soient positives ou négatives. La mère réagit-elle toujours aux expressions émotionnelles de son enfant (sourires, geignements, pleurs) ? Quand elle y réagit, quelle est la tonalité de la réaction maternelle ? Cette tonalité est-elle toujours identique ou subit-elle des variations ? La tonalité de la réaction maternelle est-elle dans la même tonalité affective que celle de son enfant ? Quand son bébé pleure, par exemple, la mère s’ajuste-t-elle de façon à l’aider à se consoler et à se réconforter ? Quelle est la musicalité de sa voix ? S’ajuste-t-elle corporellement à son enfant ? Utilise-t-elle des canaux sensoriels variés en réponse aux signaux de son bébé ?
55Les interactions étant moins variées qu’elles ne le seront ultérieurement, les mères qui s’ajustent avec qualité à leur bébé développent une sorte de thème central de l’échange sur lequel elles apportent des variations fines, ce qui permet à l’enfant de ne pas être trop désarçonné et de potentialiser ses capacités de réponses. Si la mère devance trop les capacités développementales de réponses de l’enfant, celui-ci risque de se désorganiser ou de quitter l’échange. D’autres échanges sont caractérisés par une grande pauvreté des réponses maternelles et par leur répétitivité.
b – La capacité de régulation propre du bébé
56Au-delà de l’ajustement relationnel maternel, certains bébés semblent avoir acquis à deux mois des capacités de régulation et d’organisation neuropsychomotrices et tonico-posturales plus ou moins importantes. Alors que certains semblent pouvoir, en puisant dans leurs ressources propres, se réconforter et tolérer un certain désajustement maternel, d’autres semblent isolés dans leurs difficultés, et ce, parfois, quelles que soient les capacités interactives de leurs mères.
57Certains enfants semblent ainsi submergés par leur détresse. Ils paraissent inconsolables et particulièrement excitables, s’agitent en tous sens et peinent à rassembler leurs membres supérieurs dans une jonction apaisante. Alors que certains bébés, de par leurs capacités structurantes de coordination et de préhension motrice, tentent de se réconforter par eux-mêmes, en tétant leur main et/ou leurs doigts, ou par des manœuvres de rassemblement avec des mouvements centripètes de leurs membres supérieurs, d’autres se désorganisent dans des mouvements des bras excentrés ou tendent à rejeter leur corps et leur tête vers l’arrière. Certains enfants donnent une impression de détente, leurs mouvements sont souples et activement investis, leurs mains sont ouvertes. D’autres maintiennent leurs membres supérieurs en l’air, dans une position tonique de semi-chandelier, les bras fixés au corps.
58Les capacités de communication et d’échange des bébés sont variables. Les bébés sont plus ou moins disponibles pour l’échange interactif, certains sont plus passifs, d’autres plus dynamiques et à l’initiative de certaines sollicitations à l’égard de leur mère. Certains enfants s’isolent dans un refus actif d’échange, se fixant parfois sur un élément de l’environnement sensoriel immédiat, une lumière par exemple, alors que d’autres ont un regard nettement adressé à leur mère. Les expressions émotionnelles sont plus ou moins développées, certains enfants paraissant particulièrement dévitalisés et manifestant très peu d’émotions, d’autres ont des visages très animés, sourient et vocalisent de façon importante.
59Par ailleurs, certains bébés semblent souffrir plus que d’autres de la mauvaise qualité de l’ajustement relationnel de leur mère. Ces enfants paraissent contraints de rechercher une contenance et un réconfort en puisant exclusivement dans leurs ressources propres, tonico-posturales et neuropsychomotrices. Dans ces circonstances interactives particulières, le maintien interactif semble coûteux pour l’enfant, qui semble devoir fournir des efforts importants pour ne pas se désorganiser, concentrant toute son énergie sur l’utilisation maximale de ses compétences ainsi surstimulées.
Aspects éthiques
60Cette étude a reçu l’avis favorable du Comité de Protection des Personnes (CPP) Ile de France III, de la CNIL et du Comité de Qualification Institutionnel de l’Inserm, promoteur de ce projet.
61Le chercheur était un pédopsychiatre, spécifiquement formé à la prise en charge et à l’étude des jeunes mères, des bébés et des interactions mère-enfant. Ceci lui a permis, lors du repérage d’une souffrance maternelle, néonatale et/ou interactive, d’organiser une orientation vers une prise en charge adéquate et spécialisée.
Principaux résultats de la recherche
62Notre population d’étude initiale comprend 22 dyades mère-enfant (55 % de filles, 45 % de garçons). Parmi ces sujets, certains ont été perdus de vue : 13 ont été revus deux mois plus tard. Grâce aux critères d’inclusion retenus, la population d’étude est d’une grande homogénéité tant sur le plan socio-démographique que clinique. Les mères sont en moyenne âgées de 27.5 ans et majoritairement de nationalité française (82 %). La situation professionnelle des parents est à peu près comparable, avec une majorité d’employés et de professions intermédiaires.
63La durée médiane de la grossesse est de 39.7 semaines d’aménorrhée (SA). L’accouchement s’est déroulé normalement dans trois cas sur quatre environ, sinon une extraction instrumentale a été nécessaire. La délivrance s’est majoritairement effectuée par voie naturelle (82 %). Pour toutes les femmes, les suites de couches ont été sans particularités sur le plan somatique comme sur le plan psychologique.
64À la naissance, le poids moyen des nouveau-nés est de 3.1 kg chez les filles, 3.2 kg chez les garçons. Ils mesurent 48.6±2.2 cm. Le périmètre crânien des garçons est de 34.7±1.8 cm, celui des filles est de 33.4±1.1 cm. L’alimentation est maternelle dans la majorité des cas (91 %).
Expériences émotionnelles et fonctionnement psychique maternels en post-partum immédiat
65Le premier temps de l’analyse, fondé sur les entretiens, les impressions cliniques générales du chercheur et le recueil des observations de l’équipe soignante de suites de couches, a permis de dégager trois groupes cliniques distincts de jeunes mères, traduisant différents types d’expériences émotionnelles dans le post-partum immédiat.
66L’attention était tout particulièrement portée aux émotions déclarées, à leur circulation dans l’échange, à la plus ou moins grande liberté de leur expression, à un certain niveau de conscience émotionnelle. L’intensité du vécu émotionnel n’était pas en soi un critère de discrimination des catégories cliniques. Il s’agissait plutôt d’être à l’écoute des ressources maternelles déployées pour affronter le risque de débordement de son monde intérieur et les enjeux de la situation actuelle dans sa réalité immédiate.
67Nos résultats permettent de distinguer trois groupes cliniques de primipares et notamment, deux types de blues du post-partum :
- Un groupe de femmes présentant un blues « habituel » du post-partum (N=9, 42.85 % en PPI ; N=6 à 2 mois) ;
- Un groupe de femmes ne présentant pas de blues du post-partum (N=8, 38.09 % en PPI ; N=5 à 2 mois) ;
- Un groupe de femmes présentant un blues « triste » (N=4, 19.04 % en PPI ; N=2 à 2 mois).
68Suivant les définitions nosographiques les plus consensuelles, le blues habituel se caractérise par des affects déclarés et ressentis variés, une labilité thymique, une hypersensibilité émotionnelle, un vécu maternel subjectif douloureux souvent tempéré par une certaine élation ou par d’autres affects positifs. Ces femmes laissent émerger leurs sentiments, leurs états d’âme, tolèrent sans trop de culpabilité d’évoquer leur ambivalence, leurs contradictions, et en font part ou les expriment indirectement à l’observateur. Bien que parfois très intense, cette symptomatologie est généralement rapidement résolutive en quelques jours. Ces femmes semblent pouvoir supporter sans en être excessivement effrayées la puissance de leurs sentiments et avoir la possibilité de « contenir, articuler et exprimer les émotions » et d’en « saisir la vérité émotionnelle » (Néri, 2010).
69La catégorie clinique que nous avons qualifiée de blues triste associe des affects déclarés et ressentis, mais d’une qualité exclusivement négative, faite de tristesse et d’anticipation anxieuse. Sans être cliniquement déprimées, certaines de ces femmes présentent une symptomatologie émotionnelle non complètement résolutive au décours de leur séjour à la Maternité.
70Les femmes qui ne présentent pas de blues du post-partum rapportent peu d’émotions, peu d’affects circulent dans l’échange avec le chercheur dans l’entretien, celui-ci étant confronté à une sorte de blanc d’affects.
71Ainsi, en dehors de toute psychopathologie avérée, l’analyse phénoménologique de nos entretiens nous a conduits à distinguer, parmi les femmes présentant un blues du post-partum, des mères avec un blues habituel, tel que précédemment décrit, et des mères avec blues triste, exclusivement constitué d’affects négatifs et sans alternance émotionnelle ressentie. Cette distinction entre ces deux niveaux de blues nous permet de sortir de la confusion habituellement repérée avec la dépression dans les travaux de recherche dans ce domaine. Cette confusion, comme nous l’avons signalé, a gagné le champ de la connaissance générale et le domaine médiatique, l’expression de blues étant largement galvaudée dans le grand public.
72À la suite de ce premier niveau d’analyse, nous avons cherché à mettre en évidence les thématiques récurrentes se dégageant de la lecture transversale du matériel clinique issu de l’ensemble des entretiens menés avec les femmes de notre population. Cette distinction en groupes cliniques s’est ainsi également révélée heuristique sur le plan du fonctionnement psychique dans la mesure où les femmes ne présentant pas de blues sont bien plus proches de celles au blues triste que de celles au blues habituel du post-partum (le matériel clinique ainsi recueilli fait l’objet d’une présentation plus détaillée dans l’article de Bydlowski, publié dans Le Carnet PSY en 2012). En effet, quels que soient les événements traumatiques ou carentiels traversés au cours de leur histoire passée, les femmes sans blues ou au blues triste habitent l’actualité de leur vie psychique et leur rencontre avec le chercheur et leur nouveau-né sur un mode caractérisé par la tristesse et le sentiment d’abandon. Leurs représentations imagoïques sont globalement défaillantes et peu structurantes. Les nombreuses thématiques de deuils inélaborés semblent polariser l’ensemble de leurs investissements pulsionnels au détriment de l’ouverture à l’échange avec leur enfant.
73Au contraire, les femmes présentant un blues habituel se révèlent particulièrement disposées à un retour sur elles-mêmes, et sont présentes dans la relation à l’observateur comme à l’enfant. Ces observations tendent en outre à se confirmer et à s’accentuer deux mois plus tard, notamment pour les femmes au blues triste et les femmes sans blues, encore submergées par le chaos de la naissance à quelques semaines de vie de l’enfant, peinant à s’organiser et à retrouver un équilibre à quelques semaines de l’accouchement. Les femmes au blues triste en particulier semblent bien à risque de décompensation dépressive. Leurs plaintes se sont généralement accrues à quelques semaines de distance. Celles silencieuses trouvent parfois d’autres ressources, mais accroissent leurs défenses qui empêchent l’accès à leurs éprouvés. Inversement, l’orage émotionnel traversé par les femmes au blues habituel en post-partum immédiat semble s’apparenter à un remaniement psychique et émotionnel, puisqu’il s’estompe la plupart du temps à deux mois. Elles sont en voie de réorganisation huit semaines plus tard et semblent mieux faire face à la situation de l’après-naissance.
Expérience émotionnelle maternelle et régulations du nouveau-né en post-partum immédiat
74L’étude statistique de la variabilité des scores du Brazelton montre que ce sont les items de régulation des états du bébé, et plus particulièrement l’item « main-bouche », qui permettent le mieux de distinguer les nouveau-nés de notre population les uns des autres. Ce dernier item évalue un réflexe « inné », selon les auteurs de l’échelle (Brazelton, Nugent, 1995), qui consiste en la capacité du bébé à porter activement sa main à la bouche, ainsi que la réussite d’une insertion d’une partie de son poing ou de ses doigts. Il est spontanément observé quand le bébé est agité et tente de s’apaiser, et peut être déclenché par un inconfort quelconque.
75Dans notre population, les nouveau-nés ayant acquis le réflexe main-bouche sont également plus compétents sur les items du Brazelton évaluant les comportements d’auto-régulation. Ces bébés sont plus robustes et endurants au cours de l’examen (75 % contre 50 % chez les bébés n’ayant pas acquis le réflexe main-bouche) et ils présentent une meilleure régulation de leurs états de sommeil et d’éveil (100 % contre 78.6 %). Le soutien de l’adulte, son holding, son attention et sa contenance, sont moins sollicités par ces enfants (75 % contre 57.1 %).
76Témoignant ainsi, chez le nouveau-né, d’une capacité débutante à se protéger et à se réconforter, d’un début de liberté et d’une plus grande activité par rapport à son propre corps, nous nous sommes interrogés sur les facteurs pouvant contribuer ou freiner le développement de ce geste du « main-bouche ».
77Cette organisation comportementale étant présente dans le post-partum immédiat, nous supposons que le bébé doit déjà chercher ainsi une détente in utero. Or, parmi ces facteurs, certains favorisent la liberté d’expression motrice fœtale, notamment une plus faible corpulence de ces bébés. Probablement moins contraints corporellement, ceux-ci ont, de ce fait, plus d’espace pour expérimenter leurs mouvements.
78Mais surtout, les nouveau-nés ayant acquis le réflexe main-bouche ont majoritairement une mère qui présente un blues habituel du post-partum (6 bébés vs 1 bébé dont la mère a un blues triste et 1 bébé dont la mère ne présente pas de blues). Il semblerait donc qu’il existe une étroite association entre l’expérience émotionnelle maternelle et les capacités de régulation neuropsychomotrice néonatales.
79Ces résultats nous ont conduits à rechercher des liens entre les données issues des entretiens maternels et l’organisation comportementale néonatale. Sont ainsi reliées à l’acquisition de ce réflexe : des représentations du père de l’enfant comme un conjoint étayant, la qualité de la rencontre de la mère avec le bébé, une imago maternelle structurante et l’absence de repérage par l’observateur d’éléments psychopathologiques, tels que précédemment décrits. Ces différents aspects du fonctionnement psychique sont eux-mêmes bien reliés, comme nous l’avons vu, à la présence d’un blues habituel, modéré et transitoire. Un fonctionnement psychique maternel d’une plus grande souplesse et témoignant d’une plus grande ouverture sur soi-même et à l’échange avec l’enfant pourrait ainsi favoriser, du côté du bébé également, et ce, dès la vie fœtale, une certaine détente, un plus faible recours à l’hypertonicité et de plus grandes compétences à développer des manœuvres d’auto-apaisement, telles que le réflexe main-bouche. Inversement, un fœtus contraint à une réactivité permanente aux difficultés psychiques maternelles est, en quelque sorte, décentré de lui-même et probablement ainsi freiné dans ses capacités développementales.
Devenir des émotions maternelles et des compétences neuropsychomotrices du nouveau-né dans l’échange interactif mère-enfant
80L’expérience émotionnelle du blues, d’une part, en tant que témoin d’un certain fonctionnement psychique, le réflexe main-bouche, de l’autre, du fait de son association étroite aux régulations néonatales, nous ont permis de suivre l’évolution des couples mère-bébé quelques semaines après l’accouchement.
81Lorsque les dyades (n=5) présentent un certain nombre de compétences dans le post-partum immédiat – présence d’un blues habituel maternel et acquisition du main-bouche chez le bébé –, à deux mois, les mères sont majoritairement bien ajustées à leurs bébés qui présentent une organisation tonico-posturale et psychomotrice de bonne qualité (n=4). Une mère est plus en difficulté sur le plan interactif, son bébé est, quant à lui, globalement organisé dans l’échange.
82Parmi les autres dyades (n=8), soit la mère, soit l’enfant, soit les deux ne présentent pas ces compétences : aucun de ces bébés ne trouve les ressources internes pour s’apaiser par lui-même ; deux femmes se plaignent d’un blues triste, cinq femmes ne présentent pas de blues, une seule femme expérimente un blues habituel.
83Deux mois plus tard parmi ces huit dyades, quatre femmes sont en difficulté interactive et leur bébé soit peine également à s’organiser sur le plan psychomoteur, soit le coût de cette organisation est élevé ; trois femmes sont peu ajustées à leur bébé qui présente une organisation tonico-posturale de bonne qualité, mais l’un d’entre eux est particulièrement passif et peu expressif dans l’échange avec sa mère. Une femme s’ajuste bien à son enfant, mais celui-ci souffre pour maintenir son organisation tonico-posturale et se montre très excitable.
84Nos résultats semblent indiquer une certaine continuité du post-partum immédiat aux deux mois de l’enfant. Lorsque les compétences maternelles et infantiles sont présentes en suites de couches, les interactions mère-bébé sont globalement de bonne qualité quelques semaines plus tard : la mère offre une contenance de qualité à un bébé qui la gratifie et soutient l’ajustement maternel en puisant dans ses ressources propres d’organisation tonico-posturale.
85Inversement, lorsqu’un certain nombre de signes tant maternels qu’infantiles font défaut dès la naissance, les interactions risquent d’en être affectées : le bébé se trouve mis en difficulté par l’absence de holding et de soutien maternels et entraîné dans une auto-excitation non maîtrisée ni par lui ni par sa mère, débordée par son enfant. Mère et bébé semblent alors prisonniers d’un cercle vicieux dont ils ne peuvent se dégager.
Pertinence d’une complexification du repérage clinique dans les suites immédiates de la naissance
Le blues du post-partum dans sa forme habituelle, modérée et transitoire
86En post-partum immédiat, une certaine capacité d’ouverture sur soi, d’insight, témoignant probablement de la transparence psychique déjà présente au cours de la grossesse (Bydlowski, 1991), est très variablement observée selon les femmes et se trouve étroitement associée à une expression émotionnelle, partagée au cours de l’entretien de recherche, riche en affects perçus et ressentis par le sujet lui-même. La situation de rencontre avec l’observatrice, en cette période si sensible, favorise, le plus souvent par elle-même, un retour sur l’histoire infantile dans un climat chargé d’émotions. Deux mois plus tard, du fait des enjeux du maternage, du poids des besoins de l’enfant et des réaménagements de la vie conjugale et familiale, ce partage d’affects lointains du passé est souvent moins accessible, notamment lorsque l’histoire infantile maternelle a été marquée par des traumatismes et des deuils mal cicatrisés.
87Nos rencontres avec les femmes à la Maternité ont permis de montrer que pour qu’une expression émotionnelle libre se déploie, ce dont témoigne l’observation d’un blues habituel du post-partum, il semble nécessaire que la mère puisse s’identifier à une imago maternelle bienveillante, soutenante et apaisante, lui permettant de trouver des ressources autour d’elle et de son bébé, pour lui autoriser la nécessaire régression à laquelle chaque femme est conduite après l’accouchement. Claude de Tychey et al. (1997) suggéraient déjà, sur la base d’indicateurs issus de la clinique projective à partir du test de Rorschach, que la négativité de l’imago maternelle intériorisée invalide lourdement la capacité des femmes à assumer les enjeux du maternage en post-partum. De façon intense, la relation intériorisée de la mère à son propre objet maternant, en référence à ses toutes premières expériences, se réveille chez toutes les femmes sous la forme d’intensité émotionnelle et d’angoisses primitives. Le déploiement d’une préoccupation maternelle primaire de qualité requiert ainsi une identification structurante à l’imago maternelle.
88Dans la perspective kleinienne (Klein, 1946), la conquête de la capacité de vivre avec force et spontanéité ses affects pourrait être le résultat de la traversée de la position dépressive. Le sujet s’approche de l’expérience et de la compréhension des sentiments crus, passionnés et ambivalents qu’il nourrit pour l’objet d’amour précédemment idéalisé, à tous les moments fondateurs de son existence. De cette façon, abandonnant progressivement défense et fiction, il devient de plus en plus apte à reconnaître et contenir ses propres émotions, sentiments et fantasmes (Neri, 2010). Les angoisses liées à la position dépressive sont aussi porteuses de lien et de libidinalisation. Constituant un ressort majeur de la vie psychique, elles sont à l’origine de la pensée et à la source de la créativité. Une certaine dépressivité est ainsi « au service de la vie » (Gammill, 2007), inévitable et nécessaire, favorable et concomitante de ce que Wilfred Bion (1962) nomme « la croissance psychique ». Ce travail intérieur ancien est singulièrement revécu au moment de la naissance d’un bébé.
89Ainsi, dans les situations favorables, les sentiments de persécution éprouvés par la femme, du fait de la réactivation d’angoisses primitives intolérables, pourraient s’élaborer en sentiments dépressifs liés à la perte de l’objet d’amour de la grossesse, porteur des rêveries de la mère. Cette perte fait l’objet d’une narration, donne lieu à des souvenirs qui vont favoriser l’acceptation de cette séparation et la création d’un lien nouveau avec l’enfant ; la mère découvre ses capacités d’amour et de sollicitude.
90L’authenticité affective, ressentie chez les femmes exprimant leurs émotions ambivalentes après la naissance de leur bébé, pourrait être le fruit d’une intégration du psychisme maternel, favorisant la mise en relation des conflits internes sous des formes autres que le clivage et la négation, et préservant une certaine cohérence. Elle ouvre ainsi un espace de liberté et de créativité.
91Une authenticité plus grande se signale aussi dans l’entretien de recherche : le sujet « tire de ces moments de rencontre le sentiment d’avoir réalisé un contact plus profond », non seulement avec autrui, mais aussi avec lui-même (Néri, 2010). Il en tire donc un sentiment de plus grande cohésion et d’identité. Ces remarques éclairent la qualité des entretiens que nous avons eue avec les femmes ouvertes sur leur vie psychique, mais également sur la qualité de leurs interactions avec leur enfant.
92La naissance réédite névrose infantile et conflictualité œdipienne, mais confronte également à des enjeux plus narcissiques. La situation périnatale fournit un terreau fertile à la réémergence d’agonies primitives qui vont trouver là l’occasion soit de se resignifier constructivement, soit au contraire d’amorcer la déconstruction du « conteneur structurel œdipien » (Carel, 1997). Aussi, la mère doit-elle mettre en œuvre, pour élaborer cette expérience, un cadre interne fait de l’oscillation entre deux registres de fonctionnement mental : l’un régressif, renvoyant aux modalités archaïques de la psyché ; l’autre névrotique œdipien qui protège contre le passage à l’acte. Le « pulsionnel » se trouve ainsi déplacé vers le plan représentatif, régulé par le refoulement, et laisse le champ suffisamment libre à la préoccupation maternelle primaire centrée sur les soins au bébé.
93L’accès à la réalité de la maternité a nécessairement une connotation transgressive que la femme va assumer de façon variable, selon qu’elle se sent plus ou moins autorisée face à cet interdit. L’exaltation et l’euphorie, caractérisant le blues, sont à porter au crédit de ce triomphe sur le surmoi interdicteur de l’inceste, comme les pleurs qui leur succèdent témoignent de la culpabilité et de la crainte d’une punition face à cette transgression. Ce mélange complexe de triomphe et de déception à l’égard du bébé réel, en relation avec l’enfant fantasmatique, nous a semblé caractériser le fonctionnement psychique des femmes au blues habituel.
94Les mères sans blues et au blues triste semblent débordées par ces enjeux, paraissant en quelque sorte ne pouvoir que renoncer à l’investissement de leur enfant. La déception nécessairement infligée à sa mère par le bébé semble favoriser des décompensations mélancoliques, surtout lorsque l’objet primaire a plus ou moins largement failli dans sa fonction initiale de miroir (Winnicott, 1967). Dans ces situations, le mode de relation, d’identification, qui unit le sujet à son objet est de type narcissique, puisant dans le narcissisme primaire. L’objet est un double potentiel, mais se révèle décevant dans cette fonction. La mère « tombe amoureuse à la naissance » sur un mode qui n’est plus de l’ordre de la métaphore, le père de l’enfant est mis à distance ou disqualifié et l’amour maternel est empreint d’incestualité. Le courant érotique, libidinal entre parents, est nourricier pour le psychisme du bébé, mais le courant érotique à l’égard du bébé devrait être à l’abri d’un surmoi post-œdipien maternel secourable qui protège alors l’enfant de l’inceste et du meurtre (Carel, 2009).
95Ainsi, l’éprouvé psychique de la mère au contact de son bébé semble répondre à cette injonction prise entre l’excitation sexuelle imposée par le bébé et la puissance de l’interdit de l’inceste : elle n’a d’autre solution que d’humaniser le bébé, d’inventer quelque chose qui ne soit ni la satisfaction sexuelle ni son interdiction.
96L’enfant est un nécessaire rival, œdipien dans les bons cas, narcissique dans d’autres situations, et la femme doit pouvoir élaborer dans l’urgence ses conflits, qui prennent racine dans son histoire infantile, les érotiser et les sublimer en créativité, pour assumer sa position maternelle et s’occuper de son bébé. La fonction sémaphorique de signal pour le moi que nous attribuons au blues, à la suite d’autres auteurs (Rochette, 2009), permettrait ainsi de faire face à la perte à laquelle elle est confrontée et d’accéder à la parentalité tout en évitant une décompensation psychopathologique. Cet état émotionnel, cette « angoisse signal », alerte ainsi sur un processus d’introjection en cours, permettant l’anticipation et la mise en route des défenses. Il s’oppose à l’« angoisse automatique » – propre à déborder de façon traumatique le sujet – qui témoigne de l’échec du travail de la symbolisation primaire (Roussillon, 2005) et conduit à une détresse, à une « terreur sans nom » à laquelle peut être exposée une femme trop immature si sa vie psychique n’est pas contenue par un autre secourable.
Absence de blues et blues triste : deux formes de la psychopathologie
97Dans notre étude, l’association entre le silence émotionnel et l’intensité d’une dimension abandonnique et carentielle est particulièrement frappante. Un certain nombre de femmes semblent enfermées, voire clivées, dans un repli opératoire ou dans une maîtrise obsessionnelle figée, évoquant une sidération post-traumatique.
98En outre, le fait que les femmes présentant un blues triste aient de nombreuses similarités avec celles caractérisées par un retrait émotionnel – caractéristiques psychopathologiques proches et difficultés accrues aux deux mois de l’enfant – nous conduit à penser que le silence émotionnel renvoie à une difficulté psychique majeure qui se manifeste par une impossibilité du travail de l’émotion, l’angoisse ne faisant pas signal au moi et débordant les capacités du pare-excitation. Ces deux situations semblent ainsi témoigner d’une décompensation maternelle à bas bruit. Toute l’énergie psychique est alors au service de la rétention de la « folie maternelle » du post-partum, au maintien du refoulement empêchant la transparence psychique, et conduit à des difficultés d’adaptation au nouvel état induit par l’arrivée du bébé et la réorganisation imposée par cette situation.
99Cependant, parmi les femmes qui n’avaient pas présenté de blues du post-partum, nous avons repéré certaines mères plus défensives, sur un mode plus actif, et d’autres paraissant davantage traversées par une dépression de nature plus profonde. Deux mois plus tard, les femmes les plus défensives en post-partum immédiat ont maintenu cette organisation et semblent lutter activement contre le chaos qui fait suite à l’arrivée du bébé. Leur ajustement interactif est d’ailleurs de meilleure qualité que celui des femmes silencieuses émotionnellement mais plus dépressives, ces dernières se rapprochent davantage dans leur fonctionnement interactif des femmes au blues triste.
100Ces constats sont à rapprocher d’autres travaux (Field et al., 1991 ; Lyons-Ruth et al., 1986 ; Ayissi et al., 2006) sur les comportements interactifs de mères aux scores nuls aux échelles de dépression post-natale. Ces scores peuvent être compris comme un déni de la dépression, un comportement interactif de type dépressif étant repéré chez ces femmes par le biais d’autres mesures (scores élevés au Covert Hostility and Interfering Manipulation) ; ils peuvent également être mis en rapport avec une colère ou une irritabilité plus importante. Les attitudes dans les échanges avec leurs bébés de ces mères sans blues s’apparentent davantage à celles des femmes déprimées ou présentant un blues sévère, qu’à celles des femmes non dépressives (désengagement, apathie plus sévère encore par son expression comportementale que celle de mères déprimées). En outre, à 5 mois, leurs enfants ont un développement plus entravé que ceux des mères en bonne santé, mais comparable à celui des enfants de mères déprimées.
101Certaines mères, qui ne manifestent apparemment aucune émotion dépressive, luttent contre l’émergence de tels affects et se réfugient dans des comportements opératoires. Des scores nuls aux questionnaires signent souvent un contre-investissement massif du sentiment dépressif, empêchant toute possibilité d’accès à une demande de soins ou de soutien (Rochette, Mellier, 2004). Ces scores constituent des indicateurs en creux pour les professionnels exerçant en périnatalité, surtout si ces derniers ressentent confusément une inquiétude pour la dyade, fruit de la diffusion des anxiétés primitives non traitées psychiquement par la mère.
102Pour Carel (2009), ces « maternalités blanches » témoignent d’une « traumatose périnatale », la traversée d’une « confusion existentielle » étant le lot de toute mère dans le post-partum immédiat. En effet, la naissance normale est la rencontre entre une mère en contact avec sa nudité, prête à accueillir un bébé, lui-même à nu (Winnicott, 1990). Le contact entre ces deux nudités, cette proximité sensuelle, cette séduction originaire intense, doit pouvoir être suffisamment régulé pour éviter le déploiement de la destructivité et de l’incestuel (Racamier, 1995).
103La naissance comprend ainsi une dimension aléatoire triple : génomique ; générationnelle, du fait de la reconfiguration des liens familiaux et des identifications ; événementielle enfin, liée aux aléas de la grossesse et de l’accouchement.
104Dans les situations qui s’apparentent à la « traumatose », la mère se trouve prise dans une contradiction entre aimer et haïr, en proie à un surmoi cruel s’associant à un idéal du moi grandiose et qui ne l’autorise plus à une alternance avec un surmoi secourable. La mère déploie sa rivalité narcissique avec le bébé, idéalisé et identifié à un objet perdu dont elle n’a pas fait le deuil.
105La « mère morte » (Green, 1980), loin d’être une mère disparue, est, au contraire, l’image interne d’une mère endeuillée. Cette mère, qui aurait dû être source de vitalité, a été et continue d’être une figure atone et quasiment inanimée. Elle fait ainsi obstacle à la possibilité d’accéder au vécu de ses émotions et de ses sentiments les plus intenses. L’intériorisation d’une telle imago pourrait ainsi expliquer la tristesse dépressive du post-partum et son envers, le silence émotionnel de certaines femmes.
106Le premier temps de ces traumatismes hyper-précoces est lié à une insuffisance première de la « capacité de rêverie maternelle », qui laisse ensuite le bébé démuni face aux événements ultérieurs susceptibles de venir jouer, pour lui, comme des temps seconds de la dynamique traumatique (Bion, 1962). Ce défaut d’intériorisation de « l’appareil à penser maternel » fait figure, dans cette modélisation, de temps traumatique premier, mais silencieux, muet, en creux ou en négatif. Dans ces situations, le temps traumatique premier est fondé sur le manque (manque d’intériorisation de la fonction liante et contenante de la mère), le second temps, fondé sur l’excès d’excitations non métabolisables, venant alors déborder les capacités intégratives du bébé.
107Dans les situations défensives et de silence émotionnel, il nous semble que les mères sont aux prises avec la « violence fondamentale » de la rivalité narcissique (Bergeret, 1984). Elles sont tiraillées entre l’investissement de leur bébé comme triomphe narcissique et comme offrande faite à la grand-mère maternelle pour la maintenir en vie, et le risque d’abandon et de mise en cause de leur narcissisme défaillant. Le nouveau-né susciterait alors de la peur, voire de l’agressivité, générant des mouvements d’idéalisation ne favorisant pas la rencontre entre mère et enfant. Dans la période qui suit la naissance, pour toutes les femmes, même celles qui sont au plus près de leurs émotions, l’enfant est encore peu différencié dans sa réalité, la mère étant encore massivement aux prises avec le narcissisme de la grossesse. À deux mois, pour les femmes les plus en difficulté, la massivité des projections sur l’enfant, la déception ou les difficultés auxquelles il confronte sa mère, prennent alors facilement le dessus, entravant encore les possibilités de rencontre authentique avec leur enfant.
108L’union vécue avec le fœtus pendant la grossesse est brutalement interrompue par la naissance et ravive anxiétés et blessures anciennes. L’intimité mère-bébé au cours de la gestation favorise, pour certaines femmes, une prise de contact intérieur avec un bon objet interne capable de protéger ses parties infantiles. Cette union retrouvée avec un bon objet, représenté à ce moment-là par le bébé, permet d’approcher les affects dépressifs contre l’intensité desquels la mère tente habituellement de se défendre. La naissance et la perte du contact avec le bon objet interne maternant rendent dangereux pour la survie, physique et psychique, le ressenti de la dépressivité suscitée par la séparation de l’accouchement, mais le partage d’affects avec un tiers conduit certaines femmes à l’ouverture de leur capacité associative. L’élaboration du traumatisme, quand elle est possible, relance les mobilités interprétatives, rétablit les capacités de jeu, la libre circulation des représentations psychiques, la générativité des chaînes associatives (Roussillon, 2008).
109Dans les bons cas, le travail associatif va permettre une décondensation de l’image du bébé, image réattribuée à un objet de deuil. Dans ces circonstances, la mère peut se déprimer, c’est ce que l’on observe dans le blues habituel, et le bébé peut s’organiser sur le plan comportemental, psychomoteur et tonico-postural. Inversement, les grossesses des femmes sans blues ou présentant un blues triste débouchent sur un sentiment de mort imminente et, pour parer à la catastrophe, la mère se désengage affectivement du lien à son enfant. Le bébé n’est plus, pour sa mère, en position transitionnelle de moi/non-moi. La mère est conduite à une représentation d’un bébé non-moi, à distance, qui induit un deuxième niveau d’effroi.
110Pour lutter défensivement contre cette détresse, la mère tente parfois de réaffilier le bébé à un ancêtre, grandiose ou non, dans un mouvement de réengendrement en filiation narcissique. Le bébé, identifié à cet aïeul sur le mode isomorphique, devient source du tabou d’inceste, conduisant à un interdit du toucher et à une dysharmonie des liens.
111Pouvoir se jouer de la séparation, quitter l’objet de fusion narcissique de la grossesse, n’est possible que si l’objet primordial a pu lui-même supporter la perte et la séparation (Winnicott, 1971). C’est ce qui se rejoue d’emblée dans les liens avec le nouveau-né et que nous observons quelques semaines plus tard dans les interactions avec l’enfant, nécessitant de la part de la mère, pour être harmonieuses, de prendre en compte le point de vue intersubjectif.
112La confusion entre le champ vital et sexuel s’applique particulièrement aux processus cognitifs, la pensée et le processus de communication interpersonnelle (Carel, 1997). Elle permet de comprendre la fréquence avec laquelle les engagements interactifs entre bébé et parents sont disqualifiés, entraînant la non-mise en place de l’accordage affectif et une dysrythmie intersubjective. Ces manifestations symptomatiques appartiennent au registre de la perversion narcissique et sont à mettre au compte de processus défensifs contre les angoisses catastrophiques liées aux pertes, sans travail de deuil, subies autrefois par le sujet. Dans ce mode de fonctionnement mental régi par l’empire de la pensée magique, il n’y a plus d’écart, le jeu symbolique est entravé, la limite différenciatrice entre jeu et non-jeu, garantie et incarnée par la mère avant de l’être pour le sujet lui-même, est abolie.
113Ainsi, faut-il probablement s’inquiéter, en post-partum immédiat, quand aucun affect dépressif n’apparaît. Les femmes qui traversent apparemment impassiblement le post-partum immédiat semblent bien moins prêtes à supporter le cap de la maternité, mais aussi bien mieux armées pour s’en défendre. La dépression peut s’exprimer sur un mode opératoire, non mentalisé, où le « faire » plus ou moins mécanisé revêt une fonction défensive face à un noyau dépressif profond. Dans ces situations, si la mère échappe à l’angoisse de la maternalité, c’est au détriment du développement affectif de l’enfant et de relations de moins grande réciprocité avec leur enfant à 6 semaines.
114Cliniquement, cette impossibilité ou ce déni de la dépression se manifeste tantôt par une entrée immédiate de la mère dans une relation fusionnelle avec son enfant, sorte de prolongement de l’état de grossesse (mais une décompensation psychique viendra parfois, au moment du sevrage, signer la première séparation-défusion), tantôt par une adhésion forcée de la mère à une image idéalisée d’hypernormalité : certaines mères s’épuisent à soutenir l’image d’un bonheur total et sans faille, l’entourage (familial, mais aussi soignant) contribuant souvent à cette idéalisation, néfaste pour la mère comme pour l’enfant. Dans l’étude de Véronique Lemaitre-Sillère et al. (1989), la moitié des femmes n’ayant pas présenté de blues en post-partum immédiat souffrait d’un syndrome dépressif net à trois mois ; inversement, les femmes ayant présenté un blues discret semblaient protégées d’un syndrome dépressif franc. À la performance technique de l’accouchement et de la grossesse doit répondre la performance psychologique de la future mère, invitée à réussir son accouchement, à le « maîtriser ». Quand la naissance doit être heureuse, la dépression s’accepte mal. Mais quand la dépression ne peut même pas s’envisager, sinon comme destruction, pour la mère, d’elle-même, c’est qu’alors quelque chose de la naissance ne peut radicalement advenir (Beetschen, Charvet, 1978).
Le travail de l’émotion en situation périnatale : fonction signal du blues du post-partum et rencontre intersubjective
115La conceptualisation de l’affect a subi d’importantes mutations de Charles Darwin (1872) à Antonio Damasio (1995) : l’émotion est considérée de façon de plus en plus dynamique, jusqu’à devenir un mode de représentation en soi (Green, 2002) fondamentale dans les liens mère-bébé, car favorisant par un « accordage affectif » l’émergence de représentations (Stern, 1993) et des « modèles internes opérants », eux-mêmes garants de la qualité de l’attachement (Fonagy, 1999). Le bébé construit un portrait dynamique de sa mère, une « image motrice », grâce aux émotions qui circulent dans la dyade (Haag, 1990). L’affect devient ainsi, même s’il est très primitif, un mode de communication en soi. Les identifications projectives favorisent la circulation des émotions entre mères et bébés, au travers de « boucles de retour » (Haag, 1992).
116Nos résultats nous permettent de penser que le travail émotionnel, dont témoigne le blues habituel du post-partum, favorise en quelque sorte le passage de l’intrapsychique maternel vers le développement et la naissance de la vie psychique du bébé dès la vie fœtale ; il se poursuit dans l’ajustement interactif de la dyade après la naissance de l’enfant.
117Le blues dans sa forme modérée semble donc constituer un signal adaptatif pour le moi, témoigner du travail intersubjectif de l’émotion, à la mesure de la régression maternelle indispensable face au bébé et des nombreux remaniements psychiques, physiques, générationnels, familiaux et groupaux à l’œuvre dans le post-partum immédiat.
118Cette observation s’étaye sur le fonctionnement émotionnel maternel relevé en post-partum immédiat et quelques semaines plus tard, de même que dans ses capacités interactives, mais s’appuie également sur les capacités neuropsychomotrices, tonico-posturales et interactives observées chez le bébé dans les jours qui suivent l’accouchement. Le travail de l’émotion, dans sa dynamique, sa qualité de représentance et de communication, est une co-construction accomplie, pour une part, lors du blues en post-partum immédiat. Il autorise la mère à une meilleure communication émotionnelle avec elle-même, avec la mémoire du bébé qu’elle a été, et induit par là-même un meilleur échange émotionnel avec son bébé. Ce dernier se développe ainsi sur le plan psychomoteur et tonico-postural avec plus de facilité ; il semble en quelque sorte pouvoir développer une plus grande liberté à disposer de lui-même.
119Inversement, dans les « maternalités blanches », comme lorsque le blues n’est plus que triste, l’émotion devient « dépressive » et deviendrait ainsi pathologique, ne permettant plus cette liberté émotionnelle pour la mère et entravant la qualité de ses échanges avec son bébé.
120L’émotion est dans la langue ancienne « un trouble, un frisson de fièvre, un frisson de la psyché et un trouble suscité par l’amour » (Rey, 1998). En deçà de l’émotion, on ne trouve ni manifestation d’amour ni protestation contre le désamour, mais un figement émotionnel, un gel des affects. Une certaine disponibilité maternelle est « nécessaire pour que l’enfant découvre la richesse de la relation intersubjective ». Le « fantasme de disqualification parentale », à l’œuvre dans la dépression maternelle, met à mal cette disponibilité (Golse, 2000). L’indisponibilité psychique de l’adulte, son manque de malléabilité (Milner, 1977), vont le rendre peu réceptif aux projections du bébé, en induisant chez ce dernier une sorte de répression interactive des affects, puisque, dans ces conditions, ne fonctionne plus la voie de retour qui sous-tend la mise en forme représentative des affects chez l’enfant.
121Il nous semble ainsi cerner l’importance du blues pour la construction de la relation mère-bébé. Pour Bion (1962), l’émotion n’est pas seulement un « carburant » ; dans la rencontre émotionnelle, il y a déjà quelque chose de la relation d’objet. Les éprouvés corporels du bébé sont projetés sur l’adulte qui doit les élaborer avant de les « rendre » à l’enfant. Dans ces conditions, le blues autoriserait une régression salutaire et une forme particulière de déconstruction/reconstruction propice à la rencontre avec l’immaturité et tout l’archaïque du bébé (Rochette, Mellier, 2004), contrées anciennes d’avant le langage, d’avant le temps et sa perception. Donner la vie à un nouveau-né réactive chez sa mère, qui éprouve l’ébranlement extraordinaire de la grossesse et de l’accouchement, des angoisses désorganisantes et nostalgiques, mais lui permet également, au travers de cette folle empathie, de comprendre les anxiétés de son bébé et de lui offrir le holding dont il a besoin. En raison de l’identification profonde de la mère à son nouveau-né, de nouvelles représentations peuvent s’actualiser dans le monde intra-psychique de la mère. L’élan du bébé pour elle, à la fois corporel et émotionnel, lui permettrait de se voir non seulement comme mère (réorganisation identitaire), mais aussi comme un bébé ayant un plein accès à son objet d’amour primaire.
122Les angoisses vitales sont activées autour de la naissance, même de façon fugitive. Le risque de mort est inhérent, dans la réalité, à la transmission de la vie. L’autoconservation passe par les soins du corps. Le risque vital, pour la mère, est aussi un héritage culturel ; il peut faire partie de l’histoire des femmes de la famille et entrer en résonnance avec les anxiétés primitives, éprouvés en deçà des mots et des capacités de symbolisation. Ces anxiétés appartiennent au registre primaire et ont la particularité de diffuser dans l’espace intersubjectif (Mellier, 2002).
123Ainsi, dans la période qui suit immédiatement l’après-naissance, seul le travail de l’émotion, via la psyché d’un autre et de plus d’un autre, va permettre de transformer les anxiétés primitives, maternelles et infantiles, en signal pour le moi de la mère, favorisant par là la croissance psychique du bébé. L’émotion et le partage d’affects sont, dans cette perspective, les leviers du « travail de nativité » (Carel, 2009). Ils favorisent la symbolisation et le travail de représentation au cœur du travail psychique périnatal et se révèlent nécessaires au fonctionnement non traumatique de la psyché. Ainsi, le travail de l’émotion, composé de sensations premières, précède-t-il la représentation.
124Notre étude semble contribuer à indiquer que la capacité de contenance maternelle favorise, dès la vie in utero, le développement du bébé et les échanges interactifs mère-enfant. Le bébé n’a pas la capacité de rassembler par lui-même les différents éléments de sa personnalité, s’il ne rencontre pas dans l’environnement quelqu’un qui fasse ce travail de jonction (Bick, 1968). Le propre de la fonction contenante est de recevoir les éprouvés corporels bruts épars et désorganisateurs, liés à la problématique de survie et d’autoconservation, centrale autour de la naissance. La fonction contenante de la mère, soutenue, dans les bons cas, par son conjoint, ses proches et les soignants de la Maternité, attire ces angoisses, les rassemble et les lie pour leur donner sens, les rendre enfin assimilables par la psyché naissante du bébé qui développe alors progressivement cette fonction pour lui-même, intériorise son « appareil à penser » (Bion, 1962).
125Les cliniciens et théoriciens de la première enfance ont décrit les conditions de fonctionnement du narcissisme primaire. Afin de cerner l’effet des défaillances de la fonction de miroir primitif de l’objet, il faut partir de ce que le bébé attend de l’objet et des reflets de celui-ci. Le bébé n’est pas une tabula rasa quand il vient au monde ; il possède un ensemble de préconceptions de l’objet et de ce qu’il peut attendre de lui (Bion, 1962). Winnicott (1971) souligne que le développement des potentialités du bébé dépend étroitement des réponses que l’environnement apporte à ses tentatives pour les faire connaître et reconnaître. Les potentialités du bébé se présentent comme des préconceptions en attente d’accomplissement, elles ne sont que virtuelles, tant qu’elles n’ont pas trouvé de quoi s’actualiser dans la rencontre avec l’environnement.
126Pour comprendre la façon dont cet accomplissement se produit, Bion (1962) propose l’idée d’une fonction alpha de la mère qui détoxique les « objets bizarres » auxquels l’infans se trouve confronté. Winnicott (1967) propose l’idée d’une fonction « miroir » du visage maternel. Pour Roussillon (2008), c’est l’ensemble des émois, comportements, attitudes corporelles, mimiques, gestuelles, tout ce que le corps de la mère communique au bébé, qui prend valeur de message signifiant pour lui, de reflet de ce qu’il éprouve. La mère « transforme en échoïsant » ce que le bébé éprouve, ce qu’il manifeste, elle le transforme par cette réponse « en double » qui a comme condition une empathie suffisante et comme effet de conférer à ce qui est ainsi « échoïsé » la valeur d’un signe et d’un message. À partir de la chorégraphie de l’ajustement mimo-gesto-postural réciproque entre mère et bébé, au sein de laquelle se transmettent, se régulent et se partagent des sensations, bébé et mère se répondent en échos et commencent à explorer les mouvements de l’autre. C’est ainsi qu’une certaine connaissance des états cénesthésiques et affectifs de l’autre se développe. « Je suis moi dans ton regard » (Levinas, 1961).
127Daniel Stern (1985) propose de considérer les « émotions de vie », les « affects de vitalité » comme à l’origine des représentations. Ainsi, le bébé apprendrait très précocement à reconnaître sa mère, à travers les signaux sensoriels émanant de la façon dont les soins se déroulent. Cette conception intersubjective des émotions, issue des théories développementale et de la relation d’objet, accorde donc au partage affectif, à l’accordage émotionnel, un rôle central dans le processus représentationnel : l’espace affectif partagé créerait l’espace mental personnel.
128La théorie psychanalytique de l’affect engage un point de vue plus solipsiste sur la naissance des représentations. Si Sigmund Freud (1926) définit l’affect comme un représentant psychique quantifiant l’intensité de la pulsion et qualifiant la sensation (opposition plaisir/déplaisir), il propose aussi, comme plus tard Melanie Klein (1952), que les affects constituent une sorte de mémoire corporelle, « memories in feeling », un rappel atténué des ébranlements traumatiques précoces, préhistoriques, ayant affecté le corps et l’ensemble de l’être aux époques préverbales ou présymboliques de sa constitution (Roussillon, 2001). L’intensité affective autour de l’accouchement serait susceptible de réveiller des traces anciennes en lien avec ces premières expériences infantiles, d’où le paradoxe de Winnicott (1956), qui veut que seule une mère en bonne santé puisse supporter cette folie de l’accouchée, l’afflux de ces traces archaïques, et en assurer une certaine intégration subjective.
129L’expérience clinique montre que bébés et mères se « cherchent », qu’ils tâtonnent tous deux dans leur tentative (60 % des interactions sont des interactions d’ajustement réciproque) et produisent ainsi une sorte de « chorégraphie » de la rencontre, dans la mesure où les réponses de la mère ne sont pas d’emblée trop étrangères au bébé. L’enjeu est celui de la reconnaissance mutuelle, que chacun puisse communiquer à l’autre qu’il a été compris. Pour les deux partenaires, la seule manière de pouvoir s’adresser un tel message est de se placer en position de « double » de l’autre.
130La chorégraphie ne peut s’effectuer que si chacun des partenaires a la possibilité d’anticiper les mouvements et variations de l’autre. Le bébé n’en est capable que dans une certaine mesure et risque d’être débordé dans ses possibilités d’anticipation par une mère chaotique et imprévisible. Quand la gestuelle maternelle ne déborde pas ses capacités, le bébé va s’étayer sur sa propre aptitude à repérer, organiser, décomposer et « concevoir » les rythmes qui se dégagent du mouvement maternel. L’investissement du corps et du visage maternels, s’ajustant aux mouvements et états cénesthésiques internes du bébé, produit alors un plaisir dans lequel le bébé perçoit le reflet de sa cohérence et de son harmonie. « Si le plaisir réverbéré par la mère et ses propres états internes n’est pas suffisant, l’affect de plaisir de l’enfant peut ne pas se composer et donc ne pas être éprouvé » (Roussillon, 2008).
131Ce partage cénesthésique premier permet de commencer à explorer des sensations et des formes premières d’affects, mais aussi des processus psychiques débutants de transformation et de traitement des états internes, du registre de la « symbolisation primaire ». Le narcissisme primaire, l’investissement du corps propre et de son fonctionnement par le bébé, n’est ni immédiat ni direct, il dépend de la médiation offerte par l’objet. Se traite ainsi le paradoxe du narcissisme primaire, l’investissement de l’objet se superpose à l’investissement de soi-même, sans antagonisme, dans la mesure où l’investissement de l’objet reflète au sujet ses propres états ou des états correspondants au mode près.
132Cet accordage a une valeur fondamentale dans les expériences de rassemblement. André Bullinger (2004) décrit comment l’ajustement de l’appui-dos du holding premier rend possible une libération des muscles hyperextenseurs du bébé, qui lui permet de ramener, pendant la tétée, la main dans le champ visuo-buccal. S’ouvre ainsi la possibilité d’un investissement d’une première forme de « rassemblement » de la « nébuleuse subjective » première (David, 1997), rassemblement que la « tresse des plaisirs » (Roussillon, 2008) va permettre de libidinaliser et donc de lier psychiquement. Inversement, la mauvaise qualité de cette expérience de lien et d’association affaiblit d’emblée les capacités associatives et la future capacité de synthèse du processus de subjectivation.
133Le partage cénesthésique constitue une trame sur laquelle s’établit secondairement la possibilité d’un accordage émotionnel. L’investissement des perceptions issues du corps propre produit des états affectifs premiers, qui préfigurent les futurs états émotionnels du bébé. L’émotion se compose à partir des sensations premières, elle est une forme complexifiée de celles-ci. L’accordage comme l’ajustement sont des processus, ce ne sont ni des états, ni des données immédiates de la relation première. Commence ainsi à se transmettre au bébé la différence entre un « affect-passion », intense, adapté à certaines conditions bien particulières, et un « affect-signal » qui « représente » l’affect, en donne le signe.
Vers une compréhension psychodynamique de certaines compétences néonatales
134Nous avons eu la surprise d’observer que, de façon significative, les nouveau-nés des femmes présentant un blues habituel du post-partum avaient un réflexe main-bouche plus organisé que les autres. La survenue précoce de cette capacité du bébé est révélatrice de sa maturité psychomotrice et tonico-posturale, dans la mesure où le suçotement est une activité qui apporte « l’apaisement, la décharge d’une tension, dans un acte où plusieurs éléments sensori-moteurs et cénesthésiques sont rassemblés consensuellement » (Botella et al., 1977).
135L’expression affective dont témoigne le blues semble ainsi souligner l’impact de l’état psychique maternel sur l’état du bébé à sa naissance. La perception subjective d’un vécu douloureux en situation périnatale pourrait donc avoir une valeur constructive pour le développement des capacités d’organisation du bébé, et ce, probablement, dès la vie fœtale. Nos résultats montrent que ces qualités maternelles sont corrélées au développement et à l’organisation d’une meilleure régulation des états du nouveau-né dès le post-partum immédiat, et ce bon démarrage se révèle donc une compétence partagée qui favorise la qualité des interactions deux mois plus tard. Inversement, blues triste et absence de ce réflexe néonatal conduisent à des interactions mère-enfant difficiles à deux mois.
136Selon une autre perspective, Tiffany Field et al. (2002) montrent qu’une activation électroencéphalographique maternelle frontale droite est associée à des niveaux de dépression et d’anxiété plus élevés et à des taux plus faibles de dopamine pendant la grossesse et le post-partum, ainsi qu’à des taux plus élevés de cortisol en post-natal immédiat. Or, les nouveau-nés de ces mères plus fragiles ont eux-mêmes des taux plus faibles de dopamine et de sérotonine et une activité électroencéphalographique frontale droite plus importante, ainsi que des scores plus faibles à l’examen de Brazelton sur les items d’habituation, d’orientation, de motricité, les réflexes et les états d’éveil.
137Par ailleurs, il est maintenant acquis que des différences tonico-posturales, acquises pendant la vie fœtale et manifestes à la naissance, ont des conséquences fonctionnelles sur le plan psychomoteur, et surtout sur les interactions mère-enfant, tant comportementales (visuelles, vocales, corporelles) (Vaivre-Douret, 1994) que fantasmatiques (Lebovici et al., 1989). La mère est plus ou moins soutenue dans les interactions et les soins avec son bébé, par les réactions et les comportements de son enfant, comme nous avons pu nous-mêmes l’observer à deux mois. L’immaturité tonico-posturale et l’excitabilité qu’elle entraîne chez le nouveau-né met sa mère dans une situation difficile. Elle ne perçoit pas toujours l’inconfort de son enfant, ne comprend pas ses colères répétées, et se culpabilise de ne pas agir comme il le faudrait ou de ne pas savoir interpréter ses signaux de détresse. Le lien d’attachement et l’ajustement tonique corporel peuvent en être entravés. La mère sollicite involontairement maladroitement son enfant, lors des déplacements corporels et des soins quotidiens, et ignore les manipulations adéquates pour éviter l’inconfort et favoriser le développement de son organisation tonico-posturale. Si au quotidien le bébé n’est pas en mesure de trouver une posture plus harmonieuse, il renforce sa mauvaise position, sa motricité volontaire étant en cours de maturation et il risque d’acquérir d’autres anomalies secondaires, notamment plastiques ou orthopédiques.
138Enfin, la succion peut être considérée comme une véritable « ligne de développement » (Freud, 1965) et de l’histoire du sujet depuis la vie fœtale jusqu’aux confins de l’existence (Missonnier, 2009). Sa compréhension est indissociable du développement psychomoteur dans son ensemble et de l’unité fonctionnelle de la « cavité primitive », concept au travers duquel René Spitz (1955) décrit les réflexes de succion et de déglutition des nouveau-nés dans un contexte développemental biopsychique. L’ensemble, constitué par la langue, les muqueuses buccales, les lèvres, les joues, le nez, le menton, les voies nasales et pharyngées, est le « berceau » de toutes perceptions et occupe une place fondamentale dans le développement psychomoteur du nourrisson. Sa singularité, déterminante pour le développement, est d’agir « à la fois de l’intérieur et de l’extérieur, c’est simultanément un intérocepteur et un extérocepteur. […] la cavité orale remplit la fonction d’un pont entre la réception interne et la perception externe ». L’expérience de la cavité primitive est celle de la « perception cœnesthésique », « le monde de la sécurité la plus profonde que l’homme puisse jamais éprouver après la naissance, un monde où il demeure entouré et calme ». La succion non nutritive se rattache, selon la théorie de l’attachement (Bowlby, 1969), à l’ensemble des comportements qui médiatisent l’attachement. Ceux-ci s’organisent en deux catégories : les comportements de signal (pleurs, gestuelle, etc.) et les comportements d’approche dont l’effet est d’amener l’enfant à la mère (agrippement, succion non nutritive). Si la succion reste inscrite dans la lignée génétique du besoin d’attachement, elle est assimilable à la matrice autocalmante primaire orientée vers l’autre, in utero et dans l’immédiat après-naissance (Missonnier, 2009). Ainsi, la valeur « messagère » de la pulsion n’est-elle que potentielle. Elle dépend de l’étayage de la succion nutritive et non nutritive postnatales sur la succion prénatale, avant le deuxième niveau d’étayage (Freud, 1905), qui correspond à la « succion libidinale ». L’apparition d’un suçotement est un signe de « bonne évolution et de l’atteinte d’un certain niveau relationnel ». Inversement, les « activités auto-érotiques dissociées », toujours gouvernées par la compulsion de répétition et proches de la notion de démantèlement (Meltzer et al., 1980), ne sont pas observées chez des enfants possédant la capacité de sucer leurs doigts, témoignant d’un auto-érotisme normal (Botella et al., 1977).
139Ce premier étayage correspond au passage de l’autocalmant (protonarcissique prénatal) à l’auto-érotique (narcissique post-natal). La succion non nutritive du nourrisson n’a pas pour origine la fonction alimentaire au sein ou au biberon, mais la succion fœtale prénatale (Lecanuet, 2002), suivant les propos de Freud (1905) selon lequel chez les enfants qui suçotent plus que les autres, « la sensibilité érogène de la zone labiale est congénitalement fort développée ».
140Cette proposition d’envisager une « synergie fonctionnelle » de la succion prénatale et néonatale s’appuie sur les hypothèses de Béla Grunberger (1975) pour lequel l’état élationnel prénatal est la source de toutes les variantes possibles du narcissisme. Les relations mère-enfant postnatales sont la « répétition d’un processus plus archaïque » où la relation orale commémore et met en déséquilibre la toute-puissance fœtale d’une succion sans limite, non liée au nourrissage et, par conséquent, à la butée de la réplétion. Michel Soulé (Soulé et al., 1999) propose une triade biologique fœtus-placenta-mère et ses éventuels dysfonctionnements, basée sur les observations des échographistes. Il aboutit à l’idée que la succion et la déglutition prénatale seraient une condition sine qua non de l’efficience de la tétée en postnatal et de la compréhension clinique de ses avatars, d’où l’intérêt de considérer les comportements fœtaux comme des « prémices des procédés auto-calmants » s’inscrivant dans un « système de décharge pendant la vie fœtale ». L’autocalmant (Szwec, 1998) précède l’autoérotique et en constitue la matrice sur laquelle la partition fœtale s’étaye. Au travers des procédés autocalmants (Smadja, 1993), le moi est sujet et objet de ces procédés qui visent à restaurer le calme par le recours à la motricité et à la perception, afin d’obtenir une réalité dépouillée de ses affects et de sa charge symbolique.
141D’après notre étude, l’organisation du réflexe main-bouche dès la naissance paraît corrélée avec la qualité du fonctionnement émotionnel maternel et constitue, en ce sens, un fait nouveau d’observation qui reste encore énigmatique dans sa compréhension, puisqu’il lie le potentiel émotionnel maternel à la précocité développementale du nouveau-né. Nos résultats nous semblent confirmer l’hypothèse avancée par Sylvain Missonnier (2009), selon laquelle la formalisation évolutive de la ligne de développement de la succion est un processus interrelationnel entre l’enfant et son environnement humain et non humain. « C’est par l’intermédiaire de l’objet que la libido s’unifie et se polarise sur certaines zones. Pour que la bouche soit véritablement investie en zone érogène, l’apport libidinal fourni par l’objet semble être obligatoire » (Botella et al., 1977). La succion mérite d’être considérée comme un axe majeur de l’intersubjectivité primaire. Elle confronte la relation d’objet naissante de l’infans avec celle, archaïque, de l’adulte, inscrit dans le langage.
Conclusion et perspectives
142Conduits selon une méthodologie clinique, s’appuyant à la fois sur une lecture psychodynamique des entretiens maternels, sur des évaluations néonatales en post-partum immédiat et des interactions mère-bébé à deux mois, nos résultats nous ont permis de confirmer que, dans la période particulière de l’après-naissance, du fait de l’intensité des affects mobilisés et de la rencontre avec l’immaturité du nouveau-né, le blues du post-partum apparaît comme une manifestation signifiante sur le plan clinique et pronostique pour le lien mère-enfant. Notre travail nous a permis d’en préciser les contours cliniques et nosographiques, les enjeux psychopathologiques et métapsychologiques, ainsi que les conséquences favorables sur la régulation neuropsychomotrice et tonico-posturale du bébé dès sa naissance, comme sur l’ajustement interactif mère-enfant quelques semaines plus tard.
143Le blues post-natal peut dès lors être considéré comme un marqueur du lien intersubjectif avec le nouveau-né et intervenir dans son évolution neuropsychomotrice, même si ces observations sont à confirmer sur de plus larges échantillons et devraient être associées à des mesures plus poussées du développement psychomoteur et tonico-postural, comme des interactions mère-bébé.
144Cette perspective nouvelle permet d’ouvrir certaines pistes en matière de prévention dans le domaine de la santé publique pour les soignants œuvrant dans le champ de la périnatalité. Un certain nombre d’indices du côté maternel, tels que le silence émotionnel de l’absence de blues ou la qualité exclusivement triste des affects exprimés dans le post-partum, devraient alerter les témoins de la naissance. Nos résultats conduisent également à une attention redoublée devant toute dysrégulation psychomotrice et tonico-posturale du nouveau-né, dont l’importance est largement soulignée dans les travaux de recherche actuels. La recherche systématique du réflexe « main-bouche », même s’il ne constitue probablement qu’un marqueur d’une organisation plus complexe, pourrait être proposée aux professionnels de terrain qui peuvent facilement le repérer lors des examens de routine, en suites de couches ou en PMI par exemple.
145Partant de ces constats, de nouveaux facteurs de risque dans l’établissement des premiers liens mère-enfant pourront peut-être être repérés, favorisant ainsi une meilleure orientation vers les lieux de soins les plus adaptés, en restant vigilant à toute confusion entre prédiction et prévention. Nous savons que les souffrances primitives familiales en périnatalité font difficilement « signal » pour les parents, car elles sont diffuses et peu localisables. Les professionnels sont ici invités à capter cet appel et à soutenir les parents et la famille. Il s’agit d’être attentif à la fois à l’éventuelle dysthymie maternelle comme à l’état somato-psychique du bébé, mais aussi aux effets de la désorganisation maternelle sur le bébé et à ceux des difficultés de développement du bébé sur sa mère. Soulignons l’intérêt que ces évaluations et ces orientations thérapeutiques puissent être conduites de façon longitudinale par des soignants formés à l’observation des difficultés dyadiques et travaillant en lien étroit avec des équipes de pédopsychiatrie. De telles observations débutant dès le séjour en Maternité et se poursuivant pendant la première année de vie permettent de développer une stratégie de prévention, s’appuyant sur un réseau interinstitutionnel.
146Nos recherches invitent également au développement d’un « suivi longitudinal psychosomatique périnatal », selon l’expression de Sylvain Missonnier. Cette perspective devrait permettre, au travers d’observations conjointes des obstétriciens, des échographistes, des pédiatres et des professionnels du psychisme, une meilleure compréhension psychologique des processus de parentalité dès la période anténatale, des interactions fœto-maternelles et du développement psychique premier de l’enfant.
147Le passage de l’intrapsychique à l’interpersonnel, tout en restant profondément énigmatique, ne peut et ne doit cesser d’alimenter l’inventivité et la créativité des interrogations dans le champ périnatal.
148Enfin, l’affect et l’émotion font désormais l’objet de nombreux travaux d’orientations diverses et parfois convergentes. Ils constituent des thématiques de recherche en pleine évolution conceptuelle. Tous deux sont maintenant considérés comme des éléments essentiels des processus de l’intersubjectivité, et paraissent constituer en eux-mêmes une manière particulière de penser l’objet. Dans cette perspective, notre travail concourra peut-être à la mise en valeur de l’émotion et de sa dynamique, dans ses liens avec le travail de symbolisation et de représentation. Une ouverture vers d’autres situations cliniques que l’aube de la vie, où l’affect devient un outil privilégié de communication, permettra probablement d’avancer dans ces connaissances.
149Automne 2012
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