Notes
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[1]
Psychothérapeute-chercheur.
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[2]
La récursivité est un concept mathématique. Une fonction est récursive si elle fait appel à elle-même pour se définir. Il y a donc une auto-implication. Mais ce qui les empêche d’être ce que Bertrand Russell appelle des «?cercles vicieux?», c’est qu’elles sont soumises à une condition d’arrêt, à une limite par conséquent. Par exemple, l’opération «?plus grand commun diviseur?» est une fonction récursive. Elle a pour condition d’arrêt que lorsqu’on parvient au PGCD d’un nombre et de zéro, le PGCD est égal à ce nombre.
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[3]
Si je dis que je mens, que ma proposition soit vraie, alors il est vrai que je mens et donc je ne mens pas, je dis la vérité. Mais si je dis la vérité, alors il est faux que je mens, et donc je mens en disant que je mens. Le vrai entraîne le faux qui entraîne à son tour le vrai et ainsi indéfiniment.
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[4]
On pourra trouver de nombreuses représentations de la tripourtre de Penrose sur internet.
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[5]
Le principe essentiel du canon est l’imitation d’un thème. Le canon le plus simple est le canon circulaire?: dans ce cas, le thème est introduit par la première voix puis, après un intervalle déterminé, une copie est introduite dans la même tonalité puis, après le même intervalle, une copie de copie, et ainsi de suite. Pour qu’un thème puisse servir de canon, il faut que chacune des notes puisse jouer un double rôle?: elle doit tout d’abord faire partie d’une mélodie et ensuite faire partie d’une harmonie de cette mélodie. Chacune des notes du canon a plusieurs significations musicales. Un des canons de l’Offrande musicale est particulièrement curieux?: le canon per Tonos à trois voix. Hofstadter le nomme le canon «?éternellement remontant?». Dans ce canon, Bach nous donne un premier exemple de «?boucle étrange?». Le phénomène de «?boucle étrange?» se produit chaque fois qu’à la suite d’une élévation (ou d’une descente), le long de l’échelle d’un système hiérarchique quelconque, nous nous retrouvons au point de départ (dans le cas présent, le système est celui des tonalités musicales).
1Le petit garçon autiste – dont les parents m’ont confié l’éducation sous forme de programme personnalisé – déambule tout absorbé par ses occupations dont rien ne paraît pouvoir le détourner. Il va et vient d’une pièce à l’autre, sans un mot, sans un regard, emmuré. Ses gestes sont d’une précision étonnante, désarmante, tant il semble savoir à l’avance ce qu’il obtiendra de ses jeux bizarres qui nous paraissent des obsessions.
2Il passe d’une «?occupation?» à l’autre, silencieux, muet, énigmatique, autosuffisant, tellement certain de lui-même. On le sent profondément?: il sait, il connaît très précisément toutes les étapes qui vont se dérouler pour chacun des processus qu’il met et remet en route, indéfiniment.
3Dans sa chambre, il ne manque pas de jouets, mais il ne se montre pas intéressé le moins du monde?; à dire vrai, il ne semble même pas les voir, rien ne paraît exister d’autre que quelques-unes de ses petites voitures, toujours les mêmes bien entendu. Pourtant, il a un beau garage à sa disposition, mais il ne semble pas l’avoir aperçu, il ne paraît pas le savoir. Et ces quelques voitures sont l’objet de manipulations bien à lui?: il passe le plus clair de son temps à faire tourner une des roues d’une des voitures, toujours la même roue de la même voiture. Et cette rotation semble très minutieusement réglée?: toujours le même nombre de tours de roue qu’il arrête toujours avec le même bout d’ongle dans un même frottement… étonnement précis. Et toujours avec ce même sentiment qu’il a tout prévu à l’avance?: il sait. Tout cela à moins de trois centimètres de ses petits yeux, toujours le même processus.
4Chaque pièce de l’appartement a son attrait particulier, comme un signe de reconnaissance dirait-on. Il n’a pas besoin de jouer, il a bien mieux à faire, il a ses idées à lui et elles lui suffisent pour occuper son temps. Dans la salle de bains, il ouvre et ferme les robinets en augmentant et en diminuant le débit d’eau toujours dans un même laps de temps?; la trotteuse en est témoin, au bout de trois secondes il commence à augmenter, puis ce n’est qu’au bout de cinq secondes qu’il diminue de nouveau le volume de l’eau, dans une séquence temporelle parfaitement maîtrisée. Comment y arrive-t-il?? Compte-t-il??
5Mais ce qu’il préfère par-dessus tout, ce sont les clés, toutes les sortes de clés. Il les prend méthodiquement, toujours dans le même sens. Personne ne peut l’en empêcher, on sent en lui une sorte d’excitation. Parfois, c’est plus fort que lui, il en garde une qu’il met dans une boîte à secrets. Et il n’y a que lui qui peut décider d’aller les remettre en place pour les reprendre à nouveau. Il peut en avoir pris dix, vingt, trente, il ne se trompera pas, il connaît parfaitement sans un moment d’hésitation l’emplacement de chacune d’elles, et pourtant il ne regarde jamais rien en face, toujours avec son petit regard en coin, furtif, infiniment perçant, infiniment précis. Que voit-il?? Qu’observe-t-il??
6Il est tout-puissant dans son monde, il n’a besoin de personne d’autre que de lui-même et de ses objets. Il les manipule à un rythme précis, propre à chacun d’eux dans une prédestination dont il est le maître. Ce sont les seules choses qui existent pour lui, tout le reste est transparent. Il est unique, omnipotent passe-muraille dans son éternel chemin de ronde.
7Tout cela, c’est indéniable, semble obéir à des rythmes singuliers, préréglés minutieusement pour chacune de ses «?activités?»?: mais à quoi tous ces rythmes correspondent-ils?? À quelles formes de pensée ces stéréotypies font-elles appel?? On dirait volontiers qu’il s’agit d’une simple compulsion de répétition. Mais la théorie deleuzienne nous conduit à penser que ce n’est pas le cas, que la stéréotypie n’est pas de l’ordre de la répétition. Nous tenterons de montrer alors qu’elles relèvent de ce que Douglas Hofstadter (1979) appelle «?boucle étrange?».
La stéréotypie n’est pas de l’ordre de la répétition
8Pour Gilles Deleuze (1968), la répétition s’envisage comme le passage d’un état de différence générale à un état de différence singulière. Primordialement, l’homme se sent différent de l’Autre. Il se perçoit comme étant-autre-que-l’Autre. Cet état de «?différence générale?» est d’abord pressenti comme une négation?: la négation de ce-qui-est-Autre. L’Autre c’est ce qui n’est pas Moi, de même que Moi c’est ce qui n’est pas l’Autre. Deleuze cherche à comprendre comment l’on passe de la différence générale où l’on est la négation de l’Autre, à la différence singulière où l’on est comme l’Autre, où l’Autre est un autre moi-même, à la fois identique et différent. La réponse de Deleuze est tout à fait originale dans la mesure où c’est, selon lui, l’imitation qui fait passer de la négation à la similitude, de cette différence générale à cette différence singulière.
9La capacité d’imitation est en fait toujours présente, il s’agit donc de la faire émerger. Il est fréquent par exemple de constater un certain mimétisme chez les adolescents pour qui le phénomène de groupe prend un sens aigu. Si l’adolescence est la période par excellence de la recherche du Moi, cette recherche va se faire très intensément par le biais d’une forte conscience d’appartenance à un groupe, autrement dit, il s’agit de la recherche d’une appartenance à un «?comme moi?». L’adolescence, période de construction de l’individualité, passe par un absolu besoin d’identification à d’autres «?moi-même?», et c’est le groupe qui est le prétexte à ce «?comme moi?», cet analogon qui suscite et nécessite une répétition du Moi en élaboration.
10C’est donc d’abord la conscience de «?ce-qui-n’est-pas?» qui permet à l’homme de se nommer en tant que «?différence générale?». C’est par cette conscience de «?ce-qui-n’est-pas?» que l’homme élabore l’état de «?ce-qui-est?», l’état de «?différence singulière?», l’état de conscience de «?ce-qui-est-Moi?», l’Être en tant qu’entité, en tant qu’Un. C’est ce sentiment d’unicité qui permet de prendre conscience de ce qui «?est?» cette unité, cette limite d’être. Cet état de conscience singulière de la différence va permettre au sujet d’appréhender l’Autre, sujet ou objet, par la perception de sa forme, donc de sa limite. C’est parce que le Moi s’appréhende dans sa limite d’être en tant que «?forme?» qu’il peut envisager de répéter, c’est-à-dire de reproduire comme et c’est ce «?comme?» qui crée la distance, c’est-à-dire la conscience de ce qui est Moi (l’intérieur) et de ce qui est comme moi (l’extérieur)?: c’est la conscience de ce Moi-analogue (ou non) qui crée le phénomène de la répétition. Nous avons d’abord conscience de nos sensations internes, de notre intériorité, mais c’est par l’Autre que nous prenons conscience de notre extériorité, et c’est par cette construction où l’Autre prend part au Moi que s’élabore la «?différence singulière?». Cette singularité vient de ce que nous nous attribuons le regard de l’Autre?: si l’intériorité de l’autre nous est inaccessible, son extériorité nous est évidente?; de même, notre propre forme extérieure nous est inaccessible alors que notre intériorité nous est évidente. L’Autre est donc constitutif de notre image extérieure, en tant qu’analogie possible. Cette image extérieure, imitable parce qu’analogue, nous permet alors de projeter dans l’autre notre vécu et notre ressenti interne comme possiblement semblable. Notre limite d’être vient donc de la conscience de ce que le regard de l’Autre construit de nous. Et c’est cette quadruple construction – celle que l’autre projette en nous par son regard sur notre forme extérieure, celle que nous projetons sur l’autre dans notre regard sur sa forme extérieure, celle que nous projetons dans l’autre dans l’attribution que nous faisons à l’autre de notre ressenti interne, et enfin celle que l’autre nous attribue dans la projection de son propre ressenti intérieur – qui rend possible le développement de l’imitation.
11Or dans l’autisme, c’est justement tout cela qui ne se construit pas. La personne autiste ne s’envisage pas en tant qu’unité d’être, elle n’appréhende aucune limite d’être et de ce fait ne conçoit aucune analogie. Elle ne se conçoit pas, elle ne s’appréhende pas. C’est en cela qu’on peut dire que les stéréotypies ne sont pas d’emblée du domaine de la répétition, car elles ne sont pas de nature récursive, limitable donc, le phénomène récursif impliquant une répétition soumise à une règle précise [2]. De fait, la personne autiste ne conçoit ni l’intérieur ni l’extérieur d’elle-même?: elle ne se nomme pas, elle ne nomme rien. Prenons l’exemple de l’enfant autiste qui passe d’une fenêtre à l’autre dans une même pièce sans cesser son va-et-vient. Ce n’est pas dans un souci d’étude analogique qu’il fait cela. Il n’a pas le sentiment de répéter un même geste – en réalité, entre les deux fenêtres, il oublie. Il ne se souvient pas. Et tout est toujours pour lui une éternelle première fois.
12Deleuze pose la question de savoir comment le temps provient de la répétition en tant que condition de l’action. La répétition est effectivement la condition de l’action dans la mesure où une action est une forme de mouvement, et qu’il ne peut pas y avoir mouvement s’il n’y a pas répétition. Or le temps n’est rien d’autre que la mesure du mouvement. Réciproquement, on peut dire que le temps n’existe que dans la mesure où il y a mouvement, pourvu que ce mouvement soit envisagé comme un processus. Soit un processus social d’où découle le temps externe, soit du domaine du ressenti d’où procède le temps interne. Mais on peut aller plus loin et montrer en suivant la même veine comment la conscience du temps naît elle aussi de la répétition. D’abord, il ne peut y avoir conscience de la temporalité tant externe qu’interne s’il n’y a qu’inertie. De fait, l’inertie dé-temporalise. Le temps dérive de l’action, du mouvement donc. Il ne peut y avoir construction d’une conscience temporelle, soit sociale en tant que durée, succession rigoureuse dans un processus, soit interne en tant que ressenti qui nous est propre, si l’action est absente. Mais pour que la conscience du temps dérive effectivement de l’action, il faut que cette dernière soit appropriante. En effet, si l’on envisage exclusivement des actions effectuées sur ordre, comme des réflexes conditionnés, l’appropriation temporelle ne se fera pas vraiment. Il est donc essentiel pour que cette conscience du temps se constitue que l’action provienne d’un Moi conscient de sa limite d’être. Et cette action mienne, en tant que mouvement, présuppose la répétition comme l’entend Deleuze. L’action est une catégorie du mouvement qui donne la conscience du temps.
13Pour que la conscience du temps s’élabore, il faut alors que le corps soit vécu comme articulé?: la conscience temporelle ne peut se vivre dans un corps morcelé. Car c’est la conscience de son articulation corporelle vécue comme une succession intangible qui devient «?contexte?» pour l’homme, premier tissage spatio-temporel. Étymologiquement, «?contextere?» veut dire «?tisser ensemble?». Le concept de tissage induit l’idée de connexion. Or, il ne peut y avoir conscience de cette connexion que dans un corps articulé dans lequel les membres se proposent deux à deux par symétrie. Cette conscience de connexion donne une maîtrise de l’articulation corporelle. Et réciproquement, cette conscience primordiale se constitue par et dans un corps articulé. Le corps articulé est le premier contexte d’appréhension d’un ordonnancement. Dans l’articulation du corps, chaque partie, chaque membre s’enchaîne l’une ou l’un à l’autre dans un ordre immuable. Le corps articulé est l’horloge primordiale de la subjectivité temporelle de l’homme d’où découle le vécu du temps social.
14Et c’est parce que l’homme a conscience de l’immuabilité de la succession des différentes parties de son corps que le temps habite sa conscience. Et c’est à partir de la connaissance de cette immuable succession que va se créer l’intuition d’une inévitable répétition. La répétition fait partie de l’ordre immuable du corps articulé. La répétition y est vécue comme une simultanéité?: certains membres se «?répètent?» et permettent de créer la simultanéité gestuelle – les bras, les mains, les jambes, les pieds …
15La répétition de l’immuable temporel du corps articulé peut alors être vécue analogiquement de manière exogène pourvu que l’imitation assure le passage de la négation à la similitude, le passage de la différence générale à la différence singulière. Alors que le corps morcelé n’engendre pas la répétition parce qu’il n’est pas en soi un contexte, un tissage spatio-temporel. Un corps morcelé n’implique jamais le temps et n’est jamais générateur d’action parce qu’il ne peut accéder à l’imitation.
16Pour qu’il y ait «?appropriation?», il faut d’une part que l’expérience engendre la répétition et, d’autre part, que le repère naisse de l’expérience, et pour cela, il faut que le corps soit vécu comme articulé, pour qu’il y ait conscience d’une expérience. Or, il n’y a pas de conscience d’expérience sans repère, sans lieu. Le repère est donc l’essence de l’expérience et c’est le caractère unique de l’expérience qui va engendrer le multiple de la répétition car le multiple est toujours engendré par plusieurs unités?: multiplier c’est combiner deux éléments uniques. C’est parce que l’expérience est de l’ordre du prototype, de la production unique qu’elle va pouvoir donner naissance à la reproduction?: il faut qu’il y ait production pour qu’il y ait reproduction. Une expérience est toujours une naissance de quelque chose intimement vécu par le sujet, la répétition est la re-naissance qui va légitimer ce remplissement interne, au sens husserlien du terme?: cette synthèse identifiante qui nous rapproche du but de la connaissance, nous faisant éprouver alors un «?c’est cela même?», qu’a représenté pour nous cette expérience première.
17Et le repère nait de l’expérience car c’est un jalon choisi par le sujet pour une situation donnée. Et il est pris comme tel dans la mesure où il concerne le sujet et la situation dans laquelle le sujet se trouve. L’expérience et le repère par le même fait ne peuvent être que subjectifs. Il faut que le sujet se sente concerné, «?cerné par?». Or, on ne peut être cerné que par un lieu qui fait repère.
18Pour qu’il y ait appropriation, il faut que le sujet s’offre un repère comme essence d’une expérience qui lui est propre. Or, ce repère, essence de cette expérience, est librement choisi par le sujet et cette possibilité de choix provient du seul lieu où le remplissement interne fait sens?: le corps. Et c’est de ce lien entre la répétition engendrée par la conscience d’une expérience qui, pour qu’elle ait lieu, se propose un repère, que va advenir la possibilité d’une conscience appropriante, nécessaire fruit du corps articulé.
19L’enfant autiste, lui, n’a donc pas conscience d’avoir un corps qui lui appartient, son corps n’est pas perçu comme articulé, son corps est morcelé. Il n’a donc pas connaissance d’un corps utile et utilisable par lui-même et pour lui-même, ses membres ne lui appartiennent pas, parce qu’ils ne sont pas pour lui une succession temporalisante. Alors il «?instrumentalise?» l’autre, il lui prend la main pour attraper un objet, alors qu’en réalité il serait parfaitement capable de les attraper s’il avait conscience que sa main lui appartenait. Le petit garçon nous prenait toujours la main pour attraper ses cassettes qui étaient pourtant à sa portée. Il ne procédait jamais autrement, tout se passait comme si notre bras était un bâton commode plus facile d’usage que tendre sa propre main.
20Selon Deleuze il existe trois types de répétitions?:
- la répétition où la succession est cyclique?;
- la répétition où la succession est symétrique?;
- la répétition où la succession est paradigmatique (l’imitation).
- Une répétition cyclique, comme dans le fonctionnement du métabolisme circadien, auquel participent les organes du vivant. Ce rythme est un des éléments de l’ordre immuable du temps de l’homme?;
- Une répétition de l’ordre de la symétrie dans la disposition de certains de nos membres?: les bras, les mains, les jambes, les pieds, les yeux… Et cette symétrie est constitutive de l’espace du corps articulé l’homme?;
- Quant au troisième type, de l’ordre du modèle, il ne peut exister que si les deux premiers types de répétions, cyclique et symétrique, sont ordonnancés dans le corps. L’ordonnancement est un ordre voulu par le sujet et non pas imposé par le cours et le décours des choses. C’est par ce type de répétition que prend sens le geste de l’homme. L’homme modélise et imite par ses gestes, l’homme peut modifier et édifier du nouveau par ses gestes.
21Nous ajouterons que la répétition ne peut être envisagée comme quelque chose de nouveau, que si celle-ci s’appuie sur un phénomène préexistant à elle-même et que ce phénomène est considéré comme un modèle, par le sujet, comme un fait immuable auquel il peut revenir se référer. S’il est vrai que cette référence peut parfaitement rester immuable, sans la moindre modification, elle peut également être envisagée comme le point de départ de toute modification?: ainsi en va-t-il de toutes les inventions technologiques, par exemple, où le modèle de référence est fait pour être amélioré, donc modifié et aboutit toujours à quelque chose de nouveau. Ainsi, le phénomène référent devient «?ouvrable?», «?malléable?» donc «?changeable?» si les conditions s’y prêtent. Alors que dans les stéréotypies de l’enfant autiste, rien n’est jamais «?utilisé?» à des fins nouvelles, une stéréotypie ne constitue jamais une référence à améliorer. L’enfant qui fait minutieusement tourner les roues de ses petites voitures avec une précision désarmante n’a jamais le souci de faire plus vite ou plus longtemps, ou bien encore d’enlever les pneus pour voir, bref de faire autrement, car il ne s’agit pas pour lui d’une expérience. Ainsi, on comprend qu’il ne peut y avoir de modèle que s’il y a volonté de répétition?: c’est le sujet par son intentionnalité qui désigne l’objet qu’il institue comme modèle.
22Le modèle de référence constitue un point de repère, et c’est la conscience de ce repère dont on peut plus ou moins s’éloigner qui reste la référence et crée la possibilité d’une répétition de quelque chose de toujours nouveau. Dans la mesure où un repère est un fait localisé par le sujet, il est possible, si le sujet le désire, de reproduire plusieurs fois la même situation partant toujours d’un même «?fait localisé?» et, cependant, que ce même fait localisé soit vécu par le sujet comme un cheminement qui se renouvelle sans cesse. Ainsi en va-t-il de la prière qui est en soi un repère singulier et spécifique pour chaque homme, et qui donne lieu rituellement à la répétition mais qui, en réalité, est toujours vécue comme quelque chose de nouveau. La répétition dans la prière est semblable à un éternel commencement, car la prière est un chemin qui nous mène toujours librement vers un lieu nouveau, jamais « tout à fait le même, ni tout fait un autre?», que l’on pourrait nommer à l’instar de Saint Augustin «?Au lieu de Soi?».
23Pour être capable de sélectionner un état de chose comme repère, il faut pouvoir s’approprier de manière interne le temps. Car un repère est toujours du domaine du «?lieu?», même s’il s’agit d’un lieu mental comme dans un souvenir ou d’un lieu fictif comme dans un rêve. Or, quand on travaille avec des enfants autistes, la conscience du temps est impossible s’ils n’assignent pas de lieu. Ainsi, l’idée de repère inclut l’idée d’espace-temps?: un repère est un phénomène temporalisable parce qu’il est nommable et par ce biais localisable.
24Or, le corps morcelé autistique ne constitue nullement un repère en soi, et il est étranger à un quelconque remplissement interne. Il ne lui est pas donné non plus de choisir un repère exogène à lui-même. L’enfant pourra tomber dans un bosquet d’orties sans venir se plaindre, alors qu’au quotidien, enfiler son pantalon est un véritable calvaire car il ne supporte pas que le tissu l’effleure. L’intentionnalité procède de la volonté, de la capacité à envisager l’environnement comme autant d’expériences utiles et utilisables à la subjectivité?: au corps morcelé, il n’est pas offert d’envisager quoi que ce soit. L’intentionnalité engendre la capacité de décider?: décider c’est nommer, c’est localiser, c’est habiter ce qu’on nomme et ce qu’on localise. C’est parce qu’une expérience est l’habitation d’un fait nommable – un lieu, un moment – que l’homme appréhende sa propre limite. Et c’est cette limite révélée par l’expérience qui permet à l’homme de concevoir le vouloir comme la répétition de quelque chose de toujours nouveau librement consenti dans le temps, comme condition de l’action.
La stéréotypie relève de la boucle étrange
25Douglas Hofstadter donne le nom de «?boucle étrange?» à toutes les formes d’auto-implication. Le modèle en est le fameux paradoxe du menteur [3]. Qu’est-ce qu’une boucle étrange si ce n’est la représentation d’un processus infini d’une façon finie. C’est précisément ce que Hegel appelle «?le mauvais infini?», qui se définit par son caractère limité parce que local. Dans L’Être et l’événement, Alain Badiou (1988) définit le «?mauvais infini?» hégélien comme «?une infinité objective, un battement répétitif, un vis-à-vis ennuyeux du fini en devoir-être et de l’infini vide, qui convoque le vide où il se répète infiniment?: il est limite à l’état pur?». C’est l’infini en puissance, la progression infinie qui sempiternellement tend vers une limite qu’elle ne sait pas atteindre. Il s’oppose au bon infini, à l’infini en acte, dont Georg Cantor nous révélera qu’il est lui aussi multiple, l’infini du continu étant infiniment supérieur à l’infini du dénombrable.
26Ainsi, dans le «?Mouvement perpétuel?» d’Escher, une chute d’eau actionne plus bas une roue de moulin, puis l’eau disparaît dans un chenal d’écoulement cimenté. En suivant le courant de l’eau, on voit comment elle descend de plus en plus bas en s’écartant de nous. Et tout à coup, l’endroit le plus bas et le plus éloigné paraît être identique au point le plus haut et le plus proche de nous, de sorte que l’eau peut de nouveau tomber et actionner la roue. On sait que le principe en est la tripoutre de Roger Penrose (1958) [4], c’est-à-dire un triangle solide impossible.
27Cette illusion de mouvement perpétuel d’une chute infinie dont le point le plus bas et le plus éloigné du spectateur se trouve être à la même hauteur et à la même distance que le point le plus haut et le plus proche, est comparable dans sa construction au Canon per Tonos (canon n° 5 de l’Offrande musicale) de Jean-Sébastien Bach, comme l’a montré Hofstadter [5]. Ce canon est certainement le plus curieux de tous ceux de l’Offrande musicale de Bach dans la mesure où il traduit, lui aussi, un mouvement perpétuel, mais cette fois dans une ascension infinie, boucle étrange éternellement montante.
28Dans ses canons, Bach utilisa la technique du contrepoint dont on sait qu’elle consiste à superposer des lignes mélodiques et que, quand la pièce est interprétée, chaque ligne est mise en valeur de telle sorte que l’oreille puisse apprécier en même temps la beauté de toutes les lignes (à l’instar de l’utilisation des tripoutres du point de vue spatial chez Escher). Un canon consiste alors en un motif musical unique qui est exposé dans des registres différents où l’on répète régulièrement la même ligne mélodique. Il y a dans le canon une idée de développement perpétuel, de musique automatique, à l’instar de l’espace impossible créé par Escher.
29Cet usage exemplaire de la symétrie par Bach a donné lieu dans son Offrande musicale à plusieurs types de canons, mais c’est dans le Canon per Tonos qu’il développa un nouveau type de structure linéaire dans lequel la modulation augmente indéfiniment de façon rigoureuse par tons entiers, traduisant l’impression auditive de monter perpétuellement alors qu’en réalité elle se retrouve à son point de départ (Do mineur, Ré mineur, Mi mineur, Fa mineur, Sol mineur, Si mineur, Do mineur), ainsi que la cascade d’Escher qui chute éternellement pour se retrouver à la fois au point le plus bas et le plus éloigné et le plus haut et le plus proche du spectateur.
30Il s’agit donc d’un exemple qui illustre le principe de la causa sui car ce «?Mouvement perpétuel?» s’effectue à l’intérieur de lui-même?; la cause et la conséquence y sont étroitement imbriquées, car on ne peut pas les distinguer dans ce processus. Cette lithographie est comparable à l’enfant qui remue ses petits doigts devant ses yeux comme des ailes de papillon, mouvement qui accompagne en réalité ses saccades oculaires. Dans cette stéréotypie, on ne peut pas, là non plus, déterminer si c’est parce que l’enfant a commencé à remuer ses petits doigts devant ses yeux que ses saccades oculaires se sont produites ou si c’est pour accompagner ses saccades qu’il s’est mis à remuer ses doigts devant ses yeux.
31Dans la lithographie «?Montant et descendant?», les moines cheminent interminablement en boucle et ce chemin s’étage sur quatre niveaux comprenant chacun quarante-cinq marches. Cette lithographie répond au principe du cercle vicieux dans lequel une situation et son contraire sont vraies toutes les deux à la fois?: ici en effet, lorsque les moines semblent monter, ils descendent, et lorsqu’ils semblent descendre, ils montent. Cette lithographie est donc assimilable à la stéréotypie de l’enfant qui fait indéfiniment tourner une assiette dans un sens puis dans l’autre.
32Dans cette lithographie «?Montée et descente?», c’est l’assemblage qui crée l’impossibilité?: certains escaliers ne semblent que monter, d’autres que descendre, et ceux qui servent à monter ne peuvent jamais servir à descendre et inversement. L’idée qui a sous-tendu la création de cet espace par Escher est comparable au fonctionnement de la pensée autistique où chaque situation vécue n’a qu’un seul usage, si l’on peut dire. La personne autiste est incapable d’utiliser de manière souple et innovante une situation qu’elle a déjà vécue d’une certaine façon?: autrement dit, une situation donnée correspond pour elle à un résultat donné auquel elle s’attend?; chaque chose, pour elle, ne peut qu’aller dans un sens unique.
33La lithographie «?Exposition d’estampes?» rappelle la boucle étrange qui traduit le principe des surfaces de Riemann, ou de l’œil du cyclone avec une hiérarchie enchevêtrée. Le tableau est à l’intérieur de lui-même avec une idée de collage de différents feuillets qui admettent de multiples connexions. Il s’agit de l’illustration d’un siphon qui tournoie en lui-même. Mais le spectateur qui regarde le tableau, lui, n’est pas aspiré par le tableau et le jeune homme à l’intérieur du tableau ne sait pas qu’il y figure. Cette lithographie illustre parfaitement la situation de l’enfant autiste qui tourne inlassablement sur lui-même, n’entraînant dans son siphon que lui-même et laissant ceux qui le regardent étrangers à son manège.
34La lithographie «?Mains se dessinant?» répond au principe de récursivité croisée où les éléments s’entrecroisent, chacun étant la cause de l’autre et provoquant sur l’autre l’effet que l’autre produit sur lui-même?: cet entrecroisement de cause et d’effet d’un élément sur l’autre constitue ce qu’on peut appeler une boucle à deux degrés. Dans ce type de récursivité, chacune des deux procédures appelle l’autre et non pas elle-même, c’est donc un type de récursivité qui semble éviter l’autoréférence, encore que l’un crée l’autre pour être créé lui-même. Il existe en effet plusieurs types de récursivité?: elle peut être directe et, dans ce cas, le concept fait référence à lui-même?; elle peut être indirecte ou croisée et, dans ce cas, le concept fait référence à un autre concept qui fait référence à lui-même. Mais en toute hypothèse, la fonction récursive doit toujours contenir une clause de finitude. Il s’agit donc en l’occurrence de l’illustration d’un contexte récursif mais non d’un contexte circulaire, ici il n’y a pas de hiérarchie, pas de niveau supérieur. La cause de l’une a pour effet la cause de l’autre. Cette boucle étrange là ne rappelle aucun type de stéréotypie car, dans l’autisme, il n’y a jamais de réciprocité.
35C’est par l’intervention de l’Autre que peu à peu on va pouvoir mener le phénomène stéréotypique vers un processus récursif où la stéréotypie cessera lorsque les conditions cesseront d’être vraies, c’est-à-dire lorsque l’enfant commencera à se percevoir en tant que Sujet et quittera peu à peu cette objectivité à l’état pur qui caractérise son état. C’est parce que la personne qui accompagnera l’enfant dans la reproduction de sa stéréotypie introduira peu à peu de minuscules modifications et que l’enfant se familiarisera à ces modifications, qu’il acceptera de dévier de sa route éternelle pour des variations qui transformeront la stéréotypie en chemin de plus en plus ouvert. À terme, il ne s’agira plus d’une stéréotypie mais d’un jeu, c’est-à-dire d’un processus limité dans le temps par un commencement et par une fin.
36Les boucles étranges d’Hofstadter ne sont pas, comme on le voit, les seuls modèles possibles de la stéréotypie. On peut également faire un parallèle entre la façon dont se constituent un objet fractal et une boucle étrange. Deux paramètres sont importants?: d’une part, la dimension fractale mesure les degrés d’irrégularité d’un objet ainsi que son degré de brisure. Il s’agit donc toujours d’objets ou de figures de dimension fractionnaire, ce qui peut s’apparenter au mouvement autistique de l’enfant qui reproduit à des échelles différentes les mêmes gestes tronqués. Et d’autre part, dans la dimension fractale on retrouve toujours les mêmes propriétés quelle que soit l’échelle, et donc il n’y a pas de propriétés émergentes dans la mesure où les degrés d’irrégularité sont toujours égaux d’une échelle à l’autre. L’objet fractal est assimilable à une boucle étrange car les parties de cet objet ont toujours la même forme et la même structure que l’objet en son entier et ce, quelle que soit l’échelle. De plus, nous l’avons dit, d’une échelle à l’autre il n’y a jamais aucune propriété émergente, comme si le passage entre les différentes échelles n’était qu’un mouvement intérieur donnant le perpétuel sentiment de rester au point de départ, ce dernier étant d’ailleurs difficile à fixer car on ne peut déterminer si c’est la forme des parties de cet objet qui est la cause ou la conséquence de la forme du tout ou bien si c’est l’inverse.
37Une stéréotypie peut s’apparenter au phénomène fractal étant donnée que la pensée visuelle de l’enfant autiste ne lui permet que de voir très localement mais très (trop) précisément l’objet qu’il va utiliser avec des gestes stéréotypés. De fait, lorsque l’enfant fait tourner une assiette sur sa tranche (ce qui est très courant), on observe avec étonnement qu’il repère sur la tranche un microscopique éclat dont il se servira pour stabiliser l’assiette avant de la faire tourner. Mais ce geste reste toujours fractionnaire, car il arrête toujours l’assiette à un moment précis pour lui (toujours le même?!) et si l’on ferme les yeux, on entend alors intensément ce geste comme une cassure, comme une brisure du geste parfait qu’il avait pourtant fait naître. Mais l’enfant donne véritablement le sentiment d’attendre un moment précis dans le bruit et dans le mouvement de l’assiette pour reproduire éternellement la même fracture, la même brisure.
38De plus, dans ce type de phénomène, certains gestes peuvent être reproduits à des échelles différentes. Ici, la largeur de l’objet fera office d’échelle, par exemple une stéréotypie rotatoire avec une petite soucoupe, une assiette ou un cerceau. L’enfant reproduira alors exactement le même phénomène gestuel avec une égale précision quelle que soit la grandeur de l’objet.
39Nous dirons enfin que le chaos est aussi un modèle possible de la stéréotypie. Comme le chaos, c’est un comportement imprévisible qui apparaît dans un système déterministe extrêmement sensible aux conditions initiales?: en effet, les conditions initiales qui engendrent une stéréotypie sont généralement en relation avec l’environnement proposé à l’enfant. Par exemple, si l’enfant aperçoit des interrupteurs dans un lieu qu’il ne connait pas, il va immédiatement faire une association avec les interrupteurs qu’il utilise chez lui, et ainsi en est-il pour tous les éléments qu’il croise de nouveau dans son environnement. En revanche, si son environnement ne provoque en lui aucune association avec quelque chose de connu par lui, il ne saura rien en faire par lui-même, il ne l’explorera pas. Sa mémoire étant exclusivement associative, il n’a que la capacité d’associer ce qu’il voit à quelque chose qu’il a déjà vécu, et il n’a pas la capacité de l’utiliser autrement que comme il l’a déjà fait dans les précédentes situations. Il ne cherchera donc jamais d’emblée ni à utiliser d’une façon nouvelle ce qu’il a déjà utilisé d’une certaine façon, ni à explorer quelque chose qu’il ne connaît pas pour faire une «?nouvelle expérience?». Ce comportement chaotique peut prendre plusieurs formes?: comme dans le processus de musique aléatoire, la partition est indéterminée et obéit à une succession précise de tonalités uniques dont le début et la fin ne sont pas précisés. Et comme dans la musique aléatoire, il y a des espaces de temps à l’intérieur desquels l’enfant peut ajouter une sonorité vocale dont il est seul «?maître?» de la durée, et cette sonorité, comme dans le processus aléatoire, peut influer sur la dynamique du processus. Ou comme dans le processus de la musique sérielle, qui se caractérise par des éléments égaux qui apparaissent dans un ordre certain sans hiérarchie et de manière atonale et dans laquelle une tonalité fréquemment répétée se développe en séries. De même, une stéréotypie fréquemment renouvelée se développera également en séries obsessionnelles et l’enfant se focalisera pour un temps sur des gestes qu’il refera toujours dans un ordre minutieux et précis.
40Nous avons pu constater que le modèle des boucles étranges est bien le modèle de l’autisme. Dès lors, l’idée d’une modélisation procède de la nécessité de réduire la complexité de ces mécanismes. Il s’agit de comprendre quels types de modèles seraient envisageables et efficaces pour endiguer le phénomène des stéréotypies autistiques?: soit il peut s’agir de rythmes d’origines endogènes et dans ce cas ils sont produits par l’organisme (c’est-à-dire par l’enfant autiste lui-même), soit il s’agira de rythmes exogènes qui sont donc la conséquence de l’environnement. Ils seront dans ce cas sensibles aux conditions initiales, et seront alors assimilables dans leur rythme à un comportement chaotique.
41Or, en étudiant les différents modèles, on se retrouve devant une alternative. Soit les trajectoires des oscillations sont complexes, auquel cas elles ne repassent jamais par le même point et sont alors comparables à des attracteurs étranges (comme par exemple le canon éternellement remontant de J.S. Bach, dit «?Canon per Tonos?» ou encore le «?Mouvement perpétuel?» d’Escher qui traduit, lui, un mouvement éternellement descendant), ou encore au modèle de boucles étranges proposé par les fractales. Ce sont alors des trajectoires extrêmement sensibles aux conditions initiales et elles vont réagir selon un comportement chaotique. Soit il peut s’agir d’un comportement périodique complexe qui prend la forme d’oscillations en salves?: on pensera alors soit au principe de causalité réciproque comme l’illustre «?Mains se dessinant?» d’Escher, qui est un schéma où une partie du processus de récursivité croisée évite l’autoréférence. Mais on pourra également avoir un schéma se rapprochant du principe de la surface de Riemann, où l’aspect cyclonique est une hiérarchie enchevêtrée ainsi qu’un collage de différents feuillets. On repèrera des trains de salves à hautes fréquences qui se répètent de manière complexes mais à intervalles réguliers.
42Chaque modèle met en évidence une particularité de la stéréotypie. On constate alors que, quel que soit le modèle auquel répond une stéréotypie, on peut formaliser la sortie du processus stéréotypé en réussissant à le transformer en phénomène récursif. On comprend que le phénomène de la stéréotypie n’est pas de l’ordre de la répétition telle que la définit Deleuze, mais bien de celui de la boucle étrange telle que l’envisage Douglas Hofstadter. Celle-ci est en effet, de même que les fractales ou le chaos, un bon modèle de la stéréotypie, dans la mesure où il s’agit chaque fois de représenter un processus infini de manière finie. Ce n’est pas pour autant un modèle de l’autisme en général car ce syndrome ne se réduit évidemment pas au seul symptôme de la stéréotypie.
43Printemps 2011
Bibliographie
Références
- Badiou A. (1988), L’Être et l’Événement, Paris, Le Seuil.
- Deleuze G. (1968), Différence et répétition, Paris, Puf, collection «?Epiméthée?».
- Hofstadter D. (1979), Gödel, Escher, Bach. Les brins d’une guirlande éternelle, tr. fr., Paris, Dunod, 1985.
- Penrose L. S. & Penrose R. (1958), «?Impossible objects?: a special type of visual illusion?», British Journal of Psychology, 49(1) pp. 31-33.
Notes
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[1]
Psychothérapeute-chercheur.
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[2]
La récursivité est un concept mathématique. Une fonction est récursive si elle fait appel à elle-même pour se définir. Il y a donc une auto-implication. Mais ce qui les empêche d’être ce que Bertrand Russell appelle des «?cercles vicieux?», c’est qu’elles sont soumises à une condition d’arrêt, à une limite par conséquent. Par exemple, l’opération «?plus grand commun diviseur?» est une fonction récursive. Elle a pour condition d’arrêt que lorsqu’on parvient au PGCD d’un nombre et de zéro, le PGCD est égal à ce nombre.
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[3]
Si je dis que je mens, que ma proposition soit vraie, alors il est vrai que je mens et donc je ne mens pas, je dis la vérité. Mais si je dis la vérité, alors il est faux que je mens, et donc je mens en disant que je mens. Le vrai entraîne le faux qui entraîne à son tour le vrai et ainsi indéfiniment.
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[4]
On pourra trouver de nombreuses représentations de la tripourtre de Penrose sur internet.
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[5]
Le principe essentiel du canon est l’imitation d’un thème. Le canon le plus simple est le canon circulaire?: dans ce cas, le thème est introduit par la première voix puis, après un intervalle déterminé, une copie est introduite dans la même tonalité puis, après le même intervalle, une copie de copie, et ainsi de suite. Pour qu’un thème puisse servir de canon, il faut que chacune des notes puisse jouer un double rôle?: elle doit tout d’abord faire partie d’une mélodie et ensuite faire partie d’une harmonie de cette mélodie. Chacune des notes du canon a plusieurs significations musicales. Un des canons de l’Offrande musicale est particulièrement curieux?: le canon per Tonos à trois voix. Hofstadter le nomme le canon «?éternellement remontant?». Dans ce canon, Bach nous donne un premier exemple de «?boucle étrange?». Le phénomène de «?boucle étrange?» se produit chaque fois qu’à la suite d’une élévation (ou d’une descente), le long de l’échelle d’un système hiérarchique quelconque, nous nous retrouvons au point de départ (dans le cas présent, le système est celui des tonalités musicales).