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Article de revue

Bifurcations didactiques lors de l’inclusion d’un élève équipé d’un matériel pédagogique adapté

Pages 203 à 221

Notes

  • [1]
    Le Trouble de l’acquisition de la coordination (TAC) est un trouble développemental se manifestant principalement dans des habiletés gestuelles et se traduisant souvent par des difficultés d’apprentissage à l’école ainsi que par des limitations dans d’autres activités de la vie quotidienne.

Introduction - Présentation

1 La scolarisation inclusive des élèves en situation de handicap s’accompagne souvent d’aides techniques (Ministère de l’Éducation nationale et Direction de l’évaluation de la prospective et de la performance, 2021). Celles-ci sont appelées Matériels pédagogiques adaptés (MPA) par l’Éducation nationale. Elles peuvent être attribuées à des élèves présentant des troubles des apprentissages, comme les Troubles de l’acquisition des coordinations (TAC). Dans ce cas, ce sont généralement des ordinateurs équipés de logiciels qui sont fournis.

2 Nous avons retenu ces troubles en particulier parce qu’ils restent peu étudiés à ce jour dans les recherches sur les pratiques enseignantes, bien que leur prévalence de 5 à 6 % (Barrouillet et al., 2007) soit relativement importante au sein de la population. De plus, les dysgraphies qui leur sont associées (Vaivre-Douret et al., 2011) paraissent être une raison suffisante pour le passage de l’écriture manuscrite à la dactylographie (Mazeau et al., 2016) et il parait donc pertinent de les étudier quand on s’intéresse aux MPA.

3 Toutefois, ces MPA sont introduits en classe sans être choisis par l’enseignant, et il est alors courant qu’ils ne soient pas réellement utilisés durant les cours (Daspet, 2016). Nous avons donc cherché à comprendre quelles étaient les raisons qui faisaient obstacle au déploiement de ces matériels en classe. Nous pensons que la meilleure compréhension des difficultés rencontrées passe par l’analyse des pratiques des enseignants dans un contexte réel d’enseignement/apprentissage lors de l’usage de ces matériels.

4 La contribution suivante, issue d’un travail doctoral (Booms, 2022), analyse les pratiques des enseignants en s’appuyant sur les conséquences de l’usage d’un MPA sur les apprentissages d’un élève présentant des TAC par rapport aux apprentissages de la classe. Elle débute par la définition du cadre théorique retenu, puis par la méthode que nous avons utilisée pour accéder aux pratiques des enseignants et aux apprentissages des élèves. Ce travail permet d’identifier des bifurcations didactiques (Margolinas, 2004) empruntées par l’élève inclus. La conclusion portera sur la relation entre l’usage du MPA et les apprentissages d’un élève équipé ainsi que quelques perspectives pour poursuivre la recherche sur l’inclusion grâce à ces MPA.

Cadre théorique

5 Pour analyser les pratiques enseignantes, nous mobilisons la double approche didactique et ergonomique de Robert et Rogalski (2002) qui combine une analyse didactique visant à comprendre comment les enseignants organisent et pilotent les apprentissages chez les élèves, et une analyse ergonomique les considérant comme des individus en situation de travail et ainsi étudier les déterminants qui pèsent sur leur activité. Les composantes cognitive et médiative permettent d’accéder à la façon dont l’enseignant organise les apprentissages. La composante cognitive porte sur l’organisation de la fréquentation des savoirs telle qu’elle est conçue et mise en œuvre par l’enseignant. La composante médiative correspond « aux déroulements, les improvisations, les discours, l’enrôlement des élèves, la dévolution des consignes, l’accompagnement des élèves dans la réalisation de la tâche, les validations, les expositions de connaissances » (Robert, 2008b, p. 60). Les trois autres composantes, personnelle (par exemple la représentation de la discipline enseignée, mais aussi du handicap dans notre cas), sociale (les habitudes de l’établissement, ce qui se fait et ne se fait pas usuellement…) et institutionnelle (les programmes, les textes de loi, les prescriptions…), permettent d’identifier les déterminants pesant sur l’activité des enseignants. Alors que ces deux premières composantes sont accessibles en observant le travail de l’enseignant, les trois autres composantes doivent être inférées (Emprin et Sabra, 2019). Ainsi, la composante institutionnelle est reconstituable à partir du jeu de prescriptions émanant des institutions comme les programmes ou les préconisations des Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et de ce que les enseignants en connaissent ou croient en connaître. La composante sociale est identifiée à partir de la façon dont l’inscription dans un collectif de travail, comme l’établissement, l’équipe pédagogique ou disciplinaire, influe sur le travail individuel de l’enseignant. Enfin, la composante personnelle relève de la façon dont l’enseignant gère la relation à son travail et à la discipline qu’il enseigne. Les pratiques ne sont pas la somme de chacune des composantes, mais c’est l’articulation des composantes entre elles qui doit permettre d’accéder aux pratiques.

6 Comme nous souhaitons étudier les conséquences du recours au MPA sur les apprentissages de l’élève présentant des TAC au regard de ceux de la classe, nous associons donc, à l’analyse des composantes cognitive et médiative, l’étude des bifurcations didactiques proposée par Margolinas (2004). Celles-ci apparaissent quand un élève singulier ne réalise pas la tâche d’apprentissage telle qu’elle a été prévue par l’enseignant alors que la classe l’emprunte, en règle générale. Les bifurcations didactiques s’inscrivent dans la théorie des situations didactiques de Brousseau (1997). Dans cette théorie, l’élève est identifié à plusieurs sujets distincts selon qu’il interagit avec différents niveaux structurant le milieu au sens de Brousseau (ibid.). L’interaction entre un sujet-élève et le niveau de milieu associé constitue une situation. Le milieu est structuré selon une imbrication des différents niveaux du milieu. Chaque niveau du milieu est constitué par la situation de niveau inférieur. C’est ce qui est schématisé dans le tableau 1 ci-dessous.

Tableau 1 : La structuration du milieu (Margolinas, 2004, p. 52)

M0 : 
M–Apprentissage
E0 : 
Élève
P0 : 
Professeur
S0 : Situation didactique
M –1 : 
M–Référence
E -1 : 
E–Apprenant
P -1 : 
P–Observateur
S-1 : 
Situation adidactique d’apprentissage
M –2 : 
M–Objectif
E -2 : 
E–Agissant
S-2 : 
Situation de référence
M –3 : 
M–Matériel
E -3 : 
E–Objectif
S-3 : 
Situation objective

Tableau 1 : La structuration du milieu (Margolinas, 2004, p. 52)

7 Chaque association entre le niveau de milieu et l’élève crée une situation qui sert de niveau de milieu pour la situation de niveau supérieur. Ainsi, l’association du milieu matériel (M-3) et de l’élève objectif (E-3) constitue la situation objective (S-3). Cette situation objective permet d’élaborer un nouveau milieu, le milieu objectif (M-2) dans lequel l’élève adopte un nouveau rôle, celui d’élève-agissant (E-2). L’association élève-agissant (E-2) et milieu objectif (M-2) forme une situation de référence (S-2). Le milieu de référence élaboré à partir de la situation précédente permet à l’élève d’endosser le rôle d’élève-apprenant au sein d’une situation adidactique d’apprentissage. Dans cette situation l’enseignant met en place les conditions (dévolution du problème) pour que l’élève prenne la responsabilité de la résolution du problème en ayant conscience des critères de réussites. Brousseau (1990, p. 324) précise : « ce fonctionnement est appelé “a-didactique”, puisqu’il envisage le fonctionnement normal des connaissances, en dehors des conditions didactiques (celles où quelqu’un a décidé pour l’élève quel savoir il fallait apprendre) ». L’étude des structurations du milieu se poursuit jusqu’à la situation didactique (S0), celle où l’enseignant institutionnalise les connaissances, c’est-à-dire qu’il légitime les moyens utilisés pour la résolution du problème posé aux élèves.

8 Une bifurcation didactique (Margolinas, 2004) peut alors être représentée ainsi :

Figure 1 : Représentation de branches didactiques marginales et principales dans le cas d’une bifurcation didactique n’ayant pas permis à des élèves d’investir la situation adidactique (branche marginale ne présentant pas de niveau -1) (Margolinas, 2004, p. 83)

Figure 1 : Représentation de branches didactiques marginales et principales dans le cas d’une bifurcation didactique n’ayant pas permis à des élèves d’investir la situation adidactique (branche marginale ne présentant pas de niveau -1) (Margolinas, 2004, p. 83)

Figure 1 : Représentation de branches didactiques marginales et principales dans le cas d’une bifurcation didactique n’ayant pas permis à des élèves d’investir la situation adidactique (branche marginale ne présentant pas de niveau -1) (Margolinas, 2004, p. 83)

9 Dans la représentation ci-dessus, un élève emprunte une branche marginale, faute d’avoir pu constituer la même situation objective (S-3) que celle de la classe. Il agit dans une situation de référence propre (S-2), mais ne peut pas investir la situation adidactique permettant les apprentissages (S-1). Il est alors contraint de rejoindre la classe lorsque l’enseignant institutionnalise les connaissances en jeu (S0) sans jamais avoir pu les élaborer de lui-même dans une situation adidactique (S-1).

10 Margolinas envisage aussi que dans certains cas, le niveau S-1 soit absent, par exemple dans le cas de tâches de révision où il n’y a pas de savoirs nouveaux à construire, et désigne ces situations comme des situations nildidactiques. Ces dernières sont définies par Margolinas comme étant caractérisées par « l’absence de niveau -1 dans la structuration du milieu : dans laquelle l’interaction avec le milieu met en jeu uniquement des savoirs institués, naturalisés ou stables » (2004, p. 65).

Méthodologie

11 Comme nous souhaitons observer l’inclusion d’un élève équipé en contexte de classe et que nous avons retenu la double approche didactique et ergonomique, nous avons construit notre méthode en trois temps, selon les propositions de Robert (2008a).

12 Tout d’abord, une analyse a priori est réalisée à partir d’entretien ante où les enseignants présentent la séquence telle qu’elle est prévue ainsi que les ressources qu’ils ont préparées. Ce premier travail permet de dégager les lignes d’action et d’identifier les itinéraires cognitifs prévus par l’enseignant. Il renseigne également sur les composantes personnelle, sociale et institutionnelle des pratiques.

13 Puis nous réalisons une captation vidéo depuis le fond de la classe, afin d’observer le déroulement de la séance et donc les composantes médiatives et cognitives, que nous synchronisons avec une captation en plan serré de dos de l’élève inclus, pour observer son travail et repérer si des bifurcations apparaissent. Nous relevons également les traces réalisées par cet élève lors des séances, par exemple en photographiant ses écrits afin de compléter les composantes cognitives et médiatives.

14 Enfin, nous identifions des moments singuliers, que nous appelons des épisodes didactiques, dans le matériau vidéoscopique pour mener des entretiens d’autoconfrontation simple avec l’enseignant. Dans ce type d’entretien, le discours de l’enseignant sur sa pratique permet d’accéder à son travail en lien avec la dimension ergonomique de la double approche.

Constitution de l’échantillon

15 Afin de limiter les variations généralement présentes dans ce type de recherche, nous avons cherché à fixer un maximum de paramètres. C’est la raison pour laquelle le corpus a été construit autour d’un seul et même élève, que nous appelons Artegal. Nous n’avons donc étudié qu’un seul MPA sur un seul niveau scolaire, sur une période limitée de l’année. L’élève est en sixième, c’est-à-dire à l’âge généralement préconisé pour le passage au clavier (Freeman et al., 2005 ; Lefévère, 2007). Nous avons également restreint les disciplines au champ des STIM (Sciences, technologie, ingénierie et mathématiques) dans la mesure où elles partagent certaines proximités didactiques (McDonald, 2016).

16 Nous avons observé une enseignante en SVT et trois enseignants, en sciences physiques, en mathématiques, et en technologie. Les caractéristiques du corpus sont détaillées dans le Tableau 2 ci-dessous.

Tableau 2 : Caractéristiques générales du corpus avec la répartition des heures observées par discipline et la présence d’aides techniques ou humaines ou le recours à des moyens numériques

DisciplineEnseignantNombre de séances de la séquence filmées/séances totalesNumérotation des séances filmées
Usage du MPA lors des séancesPrésence d’AESH lors des séancesUtilisation d’ordinateurs collectifs lors des séances
SVTMme Triona4/41,2 et 42 et 4/
Sciences physiquesM. Melteoc2/2/2/
TechnologieM. Quinn3/4 + 1/1//1 et 3 + 1
MathématiquesM. Hannraoi6/91 et 24 et 75 (l’élève inclus est absent) et 8

Tableau 2 : Caractéristiques générales du corpus avec la répartition des heures observées par discipline et la présence d’aides techniques ou humaines ou le recours à des moyens numériques

17 Nous avons décidé également d’étudier les situations de mobilisation d’ordinateurs collectifs, en salle informatique et dans le laboratoire de technologie, dans la mesure où les outils numériques sont généralement présentés comme ayant un potentiel intrinsèque dans l’aide aux élèves en situation de handicap (Booms, 2016). L’élève bénéficie lors de certaines séances de l’aide d’une Accompagnante d’élève en situation de handicap (AESH). Ces différents éléments, présence ou absence d’aide humaine, utilisation du MPA ou d’ordinateurs collectifs, sont des critères qui nous ont permis de sélectionner des moments spécifiques, les épisodes didactiques, pour les entretiens d’autoconfrontation simple.

Les épisodes didactiques

18 Nous avons besoin de définir les épisodes didactiques en tant qu’entités cohérentes pour pouvoir procéder à l’analyse de la structuration du milieu et mener nos entretiens d’autoconfrontation. Nous nous appuyons sur le découpage proposé par Margolinas « “question posée à l’élève”/“réponse de l’élève”/“conclusion” » (2004, P. 26-27). Toutefois, même si l’existence d’une structuration du milieu, et donc potentiellement de bifurcations didactiques, a été démontrée dans d’autres disciplines que les mathématiques (Margolinas, 2004), nous n’avons pas identifié d’approche pluridisciplinaire pouvant nous servir de modèle. C’est pourquoi nous avons choisi d’éprouver la validité de notre hypothèse de travail sur la cohérence de ces épisodes didactiques grâce à une technique d’analyse lexicale. Celle-ci vise à vérifier la robustesse didactique de ces épisodes. En première approximation, la robustesse indique l’adéquation entre le contenu des échanges durant la réalisation de la tâche proposée à l’élève et l’apprentissage visé.

L’analyse lexicale des épisodes

19 Nous nous assurons donc que les épisodes didactiques sont bien associés à des apprentissages spécifiques. L’existence de ces apprentissages est alors caractérisée par le recours à un vocabulaire propre à ces épisodes. La tendance du vocabulaire à se répartir préférentiellement au sein d’un discours permet d’identifier des « mondes lexicaux stabilisés » (Reinert, 2008, p. 982). Nous envisageons donc que les épisodes puissent être le siège de singularités dans le discours qui devraient alors être caractéristiques des savoirs en jeu et des médiations opérées et que ces singularités constituent des mondes lexicaux stabilisés.

20 L’analyse lexicale selon la méthode proposée par Reinert (Ibid.) permet d’identifier l’indépendance statistique d’une répartition de termes lemmatisés par rapport à une répartition aléatoire dans un découpage défini par le chercheur. Le logiciel retenu – IRaMuTeQ – calcule alors si certaines cooccurrences de mots sont significativement présentes ou significativement absentes de segments de textes prédéfinis. Il construit alors, par classification hiérarchique, des classes correspondant à ces cooccurrences. Reinert (Ibid.) a montré que les classes stables issues d’une double classification hiérarchique correspondent à des mondes lexicaux. Le logiciel permet également de repérer, sans en tenir compte dans le calcul, si ces segments de textes, regroupés en classes, appartiennent aux épisodes didactiques identifiés par le chercheur. Pour faciliter l’analyse, le vocabulaire est lemmatisé par le logiciel.

21 Exemple d’analyse d’un épisode

22 Nous procédons, à titre d’exemple, à une mise en fonctionnement de cette analyse lexicale pour vérifier la robustesse et la teneur d’un épisode didactique. Nous nous appuyons sur une séquence de SVT, issue de notre corpus. La Figure 2 ci-dessous est un graphique mettant en relation les classes obtenues lors de l’analyse avec le découpage en épisodes didactiques (noté *EP_x sur le graphique). Dans chaque classe, le χ2, en ordonnées, permet d’identifier si la classe est significativement présente (χ2 > 3,85) ou absente (χ2 < -3,85) dans l’épisode avec un intervalle de confiance de 95 %.

Figure 2 : χ2 des épisodes didactiques en fonction des classes

Figure 2 : χ2 des épisodes didactiques en fonction des classes

Figure 2 : χ2 des épisodes didactiques en fonction des classes

23 Si nous observons l’épisode didactique no 5 (*EP_5), nous voyons que le vocabulaire de la classe 8 y est très significativement présent (χ2 = 377,09), tandis qu’il est significativement absent des autres épisodes (χ2 = -4.83 pour l’épisode 1 ; χ2 = -14,07 pour l’épisode 2 ; χ2 = -20,05 pour l’épisode 3 ; χ2 = -22,39 pour l’épisode 4).

24 La Figure 2 permet de voir que les mondes lexicaux sont généralement significativement associés aux épisodes didactiques. Ces données statistiques sont complétées qualitativement par une recherche d’adéquation entre le vocabulaire significatif de l’épisode et les savoirs visés et les médiations ayant lieu. Ceci nous permet, par exemple, d’expliquer pourquoi le monde lexical de la classe 4 est commun aux épisodes 3 et 4 qui sont partiellement simultanés, le travail mené durant l’épisode 4 permet de conclure la question à résoudre lors de l’épisode 3.

25 Nous pouvons alors définir la robustesse d’un épisode didactique. Elle est alors caractérisée quantitativement par l’existence d’un ou plusieurs mondes lexicaux significativement présents dans l’épisode didactique, c’est-à-dire un χ2 supérieur à 3,85 ou plus, tandis que les autres épisodes sont significativement absents de cette classe, avec un χ2 inférieur à -3,85. Plus ces valeurs sont élevées en valeur absolue, plus la robustesse est importante. Dans la mesure du possible, l’épisode doit également être significativement absent des autres classes.

Tableau 3 : Recensement du vocabulaire présent dans la classe 8 avec le nombre d’occurrences du mot lemmatisé dans cette classe, le pourcentage de ces occurrences au sein de la classe et le χ2 de ce mot dans la classe.

FormeEffectifs des segments de texte dans la classe 8Pourcentage des effectifs dans la classe 8χ2
manger2567,57120,99
flèche1593,75106,95
alimentaire7100,0052,98
fourmi787,5044,70
collembole787,5044,70
larve770,0033,18
nourrir675,0031,15
collemboles4100,0030,05
régime4100,0030,05
placer4100,0030,05
moisissure583,3329,79
diploure583,3329,79
mourir952,9428,68
brindille480,0022,50
pointe480,0022,50
repère3100,0022,48
bois654,5519,73
accord939,1317,37
donner650,0017,23
acarien743,7516,22
débris375,0015,42
commencer360,0011,23
ver538,469,10
sentir266,678,69
plait266,678,69
cadavre266,678,69
arrêter350,008,48
tableau436,366,50
ligne250,005,63
phrase250,005,63
présenter250,005,63
droit250,005,63
document333,334,07
artegal333,334,07

Tableau 3 : Recensement du vocabulaire présent dans la classe 8 avec le nombre d’occurrences du mot lemmatisé dans cette classe, le pourcentage de ces occurrences au sein de la classe et le χ2 de ce mot dans la classe.

26 Le Tableau 3 ci-dessus indique le vocabulaire significativement présent dans la classe 8 et, par conséquent, dans l’épisode 5. Il porte sur la reconstitution d’une chaine alimentaire, nous y retrouvons un vocabulaire relatif aux animaux et aux aliments ainsi que celui propre à la construction de la chaine alimentaire (manger, flèche, nourrir, placer, pointe, repère, etc.).

L’analyse ascendante des épisodes

27 Une fois les épisodes clairement identifiés, les tâches proposées aux élèves font l’objet d’une analyse ascendante, technique d’analyse qui « consiste à déterminer d’abord les niveaux –3 puis –2, jusqu’à 0 » (Margolinas, 2004, p. 54). Cette analyse permet de faire apparaitre des bifurcations didactiques entre l’élève présentant des TAC et la classe (cf. Figure 1). Par exemple, lors du recours au MPA, le milieu matériel de l’élève équipé est différent de celui de la classe et il est, par conséquent, potentiellement initiateur d’une bifurcation didactique.

28 Lors de cette analyse ascendante, nous comparons ce vocabulaire significatif de l’épisode avec celui relevé dans les échanges entre l’enseignant et l’élève présentant des TAC. Cela nous permet d’identifier si les échanges avec l’élève en situation de handicap portent sur le même vocabulaire que ceux concernant le reste de la classe. Le recours à un monde lexical différent de celui de la classe pour l’épisode didactique concerné peut être interprété comme un indicateur de bifurcation didactique.

Résultats

Les aspects didactiques associés à l’usage du MPA

29 L’analyse ascendante du milieu permet de mettre en évidence quatre types de cas lors de l’inclusion de cet élève présentant des TAC :

  • L’absence de bifurcation : l’apprentissage de l’élève parait identique à celui de la classe. Le MPA y est principalement mobilisé lors des phases de question et d’institutionnalisation, à l’exception d’un unique usage lors de la réalisation de la tâche en SVT. En technologie, les ordinateurs collectifs sont utilisés lors de la réalisation de la tâche.
  • Des bifurcations durant lesquelles l’élève n’arrive pas à investir la situation d’apprentissage, faute d’aide humaine ou technique, alors qu’il est actif.
  • Des bifurcations durant lesquelles l’apparition d’une aide humaine – AESH ou voisin – empêche l’élève d’investir la situation d’apprentissage prévue par l’enseignant. Le MPA n’y est pas mobilisé.
  • Des bifurcations durant lesquelles le recours spécifique au MPA conduit à une situation objective suffisamment différente de celle de la classe pour entraver les apprentissages. Elles apparaissent également lors du travail en salle informatique sur des ordinateurs collectifs.

Tableau 4 : Synthèse des différents types de bifurcations didactiques rencontrées dans notre échantillon

Tableau 4 : Synthèse des différents types de bifurcations didactiques rencontrées dans notre échantillon Tableau 4 : Synthèse des différents types de bifurcations didactiques rencontrées dans notre échantillon

Tableau 4 : Synthèse des différents types de bifurcations didactiques rencontrées dans notre échantillon

* L’épisode 2 débute à la fin de la séance 1 et se poursuit en séance 2
Lors de la séance 1 « Actif, mais non agissant »
Lors de la séance 2 : « Absence de bifurcation »
** Type mixte entre 2 (travail à la maison) et 3 (travail à la maison à corriger en classe)
*** Les apprentissages ont pourtant eu lieu, mais la situation est nildidactique

31 Le type 2, où l’élève est actif, mais non agissant n’est pas traité ici puisque l’aide technique n’y est pas mobilisée, mais elle confirme qu’en l’absence d’aide, humaine comme technique, il peut ne pas accéder aux apprentissages. Le type 3, dans lequel l’aide humaine empêche l’émergence de l’élève-agissant, montre l’influence que peut avoir l’AESH, ou le voisin, sur les apprentissages. Il confirme des travaux antérieurs sur les AESH (par exemple, Nédélec-Trohel et al., 2012) et n’est pas traité non plus ici. Par la suite, nous nous intéressons plus particulièrement aux types 1 – Absence de bifurcation – et 4 – Les moyens numériques modifient la situation objective.

Les situations caractérisées par l’absence de bifurcation didactique (type 1)

32 Dans notre échantillon, nous observons plusieurs situations didactiques dans lesquelles les apprentissages de l’élève présentant des TAC sont comparables aux apprentissages de la classe alors que le MPA y est mobilisé. Cela signifie que les tâches proposées à l’élève inclus sont identiques à celles proposées à la classe et que le lexique utilisé lors des interactions entre l’enseignant et cet élève lors des épisodes didactiques est de nature comparable à celui utilisé lors des échanges avec les autres élèves. Cela apparait lors de l’usage du MPA en SVT et lors de l’usage d’ordinateurs collectifs en technologie, mais également en technologie (épisode 2) et en mathématiques (à la reprise de l’épisode 2 en séance 2), alors que les moyens numériques ne sont pas mobilisés.

Usage du MPA en SVT

33 C’est en SVT que nous avons pu observer cette absence de bifurcation lors du recours au MPA. La séquence porte sur les décomposeurs et leur rôle dans la transformation de matière organique en matière minérale. Les épisodes concernés portent sur la formulation d’hypothèses (épisode 1), la composition du sol de la forêt (épisode 2), la transformation de la matière organique en matière minérale (épisode 3) au travers de l’analyse d’une expérience (épisode 4). Les épisodes didactiques 3 et 4 sont imbriqués, l’analyse d’expérience permettant de conclure sur les mécanismes de cette transformation.

34 Après avoir dactylographié les éléments de cours relatifs à la phase de question de l’épisode didactique, l’élève présentant des TAC réalise les tâches prévues pour la classe sans y être sans rencontrer d’obstacle. Le temps d’apprentissage de celui-ci ne montre d’ailleurs pas de décalage avec le reste de la classe. Il participe aux phases d’institutionnalisations des connaissances en copiant les textes proposés par l’enseignant sur son MPA. Les actions réalisées sur ce MPA relèvent principalement de la dactylographie des consignes relatives aux tâches qui sont à réaliser ou de la saisie des contenus lors des phases d’institutionnalisation. Nous avons constaté un seul et unique usage de ce MPA durant la réalisation d’une des tâches demandées qui consistait à rédiger une hypothèse. L’analyse lexicale ne permet pas de mettre en évidence une différence de nature entre les échanges avec la classe et ceux concernant l’élève présentant des TAC durant ces épisodes.

35 À l’issue du cours de SVT, l’élève présente une trace du cours pratiquement complète sur son ordinateur, même si le cours dactylographié est saisi dans deux fichiers texte distincts. Par ailleurs, l’élève possède également une trace papier complète du cours dans son cahier. La tenue de ce cahier ayant été assuré par les adultes, c’est-à-dire l’AESH et l’enseignante, lors de la séquence. L’existence de cette double trace complète invite à interroger les raisons qui conduisent à maintenir l’élève présentant des TAC dans cette tâche de dactylographie puisque la trace produite sur le MPA constitue un doublon et ne parait donc pas présenter d’utilité propre.

36 L’entretien d’autoconfrontation simple a eu lieu durant l’année scolaire suivant les observations filmées en classe. Lors de celui-ci, l’enseignante indique que, pour elle, la prise du cours par l’adulte – AESH ou enseignante – met l’élève dans une situation d’inaction. Elle regrette qu’il ne soit pas « actif […] de manière moteur ». Elle précise qu’« Artegal, il a encore quelqu’un, là, cette année avec lui… qui est là, dans tous mes cours, et qui ne fait absolument rien. […] Ben, le… Elle est à côté de lui, mais c’est lui qui écrit tous ses cours. C’est lui qui travaille […] Enfin, là, cette année, il n’a plus… il a que son cahier. Il a pas d’ordinateur ».

37 L’enseignante considère donc les moyens de compensation que sont l’ordinateur et la présence d’une AESH comme des empêchements aux apprentissages en limitant la participation motrice et graphomotrice de l’élève lors des séances. La saisie d’une seconde trace sur MPA durant le cours peut alors être interprétée comme un moyen artificiel de maintenir l’élève en action durant le cours pendant qu’un adulte assure la prise de la trace écrite. Le MPA est détourné de sa fonction initiale de compensation pour assurer la fonction pédagogique de maintenir l’élève dans une forme d’action. Alors que le cahier permet de réviser à la maison, le MPA permet de maintenir l’élève actif en classe. Dans la mesure où, l’année suivante, l’AESH laisse l’élève prendre son cours manuellement seul, c’est-à-dire sans MPA, cela permet alors de justifier l’abandon de cette aide technique.

Usage des ordinateurs collectifs en technologie

38 En technologie, les usages des ordinateurs collectifs concernent la consultation d’informations lors d’un cycle de travail sur les matériaux constituant les objets techniques. Les élèves consultent des données interactives sur Internet pour identifier les propriétés des familles de matériaux (épisode 4), qu’ils recopient sur une feuille ou observent une vidéo sur la fabrication de bouteilles en verre pour reconstituer le process de fabrication grâce à des vignettes (épisode 3). L’élève présentant des TAC prend ses notes de façon manuscrite ou réalise les découpages et les collages à la main. Les échanges entre l’enseignant et cet élève relèvent du même monde lexical que celui de la classe, même si un comptage des échanges met en évidence un nombre d’échanges deux à trois fois supérieur à la moyenne de la classe. Lors de ces tâches, alors que l’élève travaille sur ordinateur, les moyens numériques ne visent pas, cette fois encore, non plus, la compensation des gestes graphomoteurs par des moyens numériques. L’enseignant s’interroge d’ailleurs sur l’intérêt de travailler avec le MPA, alors qu’il travaille déjà sur ordinateur. Il précise, lors de l’entretien d’autoconfrontation : « Enfin, ils ont quand même, surtout en sixième, assez souvent des activités à faire sur les ordinateurs. Donc, je pense que ça aurait peut-être pas été très pertinent qu’il vienne avec le sien, vu qu’il aura pas forcément les applications et puis les documents que… que je demande. Donc, je pense que c’était pas vraiment utile qu’il vienne avec son PC, quoi ? »

39 Tout se passe comme si l’enseignant n’arrivait pas à différencier le but compensatoire assigné au MPA par rapport aux usages des ordinateurs collectifs. On voit comment les TICE (technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement) et le MPA entrent dans une forme de concurrence. Nous pensons ainsi qu’un mécanisme de fusion/confusion (Chalghoumi, 2011) est à l’œuvre. Du fait d’une certaine proximité matérielle entre le MPA et l’ordinateur, ce sont alors les règles d’utilisation de ce dernier qui sont associées au MPA, alors que les buts qui leur sont assignés sont différents. Cette assimilation empêche le recours au MPA comme moyen de compensation. Cette observation permet de douter du caractère intrinsèquement compensatoire des moyens numériques et laisse entrevoir certaines limites à un rapprochement entre les TICE et les aides techniques.

Une absence de bifurcation didactique et des moyens numériques non mobilisés pour la mise en accessibilité

40 Les résultats mettent en évidence une forme de paradoxe. Tout d’abord le MPA ou les ordinateurs sont utilisés, mais pour des tâches périphériques aux apprentissages eux-mêmes, comme la saisie de note ou la copie des éléments d’institutionnalisation ou la consultation de ressources, sans que cela semble avoir un impact sur les apprentissages. Les apprentissages ont, en effet, bien lieu, malgré l’absence d’utilisation d’un MPA. Ce paradoxe peut être expliqué par la poursuite de l’analyse didactique.

41 Nous sommes en sixième, donc en fin de cycle 3. Les situations observées ressemblent peu à des situations adidactiques, mais sont plutôt assimilables à des situations nildidactiques. En effet, certaines situations en SVT sont porteuses de savoirs déjà traités précédemment, comme l’analyse d’expérience, ou bien visent l’obtention de réponses sans que les situations présentent de problème complexe à résoudre, comme dans l’observation du sol de la forêt ou l’analyse des résultats de l’expérience fortement guidée par l’enseignante. En technologie, l’exploitation de ressources documentaires relève du même mécanisme de fréquentation de connaissance – sans élaboration de situations adidactiques – laissant finalement peu de place aux décisions de l’élève et aux interactions avec le milieu (Brousseau, 2003). L’absence de bifurcation peut alors s’expliquer par des apprentissages très guidés dans lesquels l’élève a peu de décision à prendre. La présence ou l’absence du MPA ou des PC n’ayant finalement que peu d’influence sur cette forme d’apprentissage. En SVT, l’usage du MPA n’est plus justifié dans la mesure où la trace écrite est, par ailleurs, assurée par l’adulte.

La présence du MPA modifie la situation objective (type 4)

42 Nous nous intéressons maintenant aux situations dans lesquelles le recours au MPA modifie le milieu matériel de façon tellement importante que les apprentissages ne peuvent plus avoir lieu pour l’élève présentant des TAC. Ces situations sont apparues en mathématiques, dans des tâches que l’enseignant a adaptées pour tenir compte des troubles graphomoteurs et manipulatoires de l’élève présentant des TAC.

Le recours au MPA engendre une modification sensible du milieu matériel

43 En mathématiques, l’enseignant propose deux tâches mobilisant le MPA lors d’une séquence sur la symétrie axiale. La première consiste à discriminer des figures symétriques de celles qui ne le sont pas en identifiant les propriétés de la symétrie axiale (épisode 1). Il s’agit donc, sans critères préalables, de différencier des figures OUI, qui possèdent une symétrie axiale de figures NON, qui ne sont pas symétriques. Les élèves doivent donc réactiver les connaissances construites à l’école primaire pour identifier les figures symétriques. Pour limiter les manipulations de figures chez l’élève présentant des TAC, l’enseignant lui propose de trier celles-ci dans un répertoire. L’enseignant distribue les consignes communes sur papier, puis deux minutes environ après avoir lancé l’activité commune, il fournit, à l’élève présentant des TAC, une clé USB comportant les figures à trier et les répertoires pour réaliser ce tri. Sur cette clé, il y a six figures supplémentaires à trier dans les répertoires par rapport à celles données à la classe. Les échanges entre l’élève présentant des TAC et l’enseignant ne s’inscrivent pas dans le monde lexical de l’épisode. Ils relèvent d’aides instrumentales (Abboud-Blanchard et Chappet-Pariès, 2008) permettant d’accompagner l’élève dans la manipulation de son matériel comme « Regarde dans ta clé, là ! » ou « tu les mets… Va dans “figures à classe” ! »

44 Afin de différencier les figures OUI des figures NON, il est nécessaire de superposer les figures après pliage selon l’axe de symétrie, ce qui est impossible à réaliser sur le MPA. L’institutionnalisation porte d’ailleurs sur la définition suivante de la symétrie axiale : « Deux figures sont symétriques par rapport à un axe, si elles se superposent exactement en pliant selon cet axe. » On voit clairement, dans cette tâche, comment la mobilisation du MPA prévu pour limiter la manipulation chez l’élève en situation de handicap lui interdit également d’investir la situation d’apprentissage en empêchant le pliage des figures. Ce pliage, qui est le critère principal pour identifier la symétrie dans ce travail, est rendu impossible par la transposition de la tâche sur le MPA.

45 La seconde tâche mobilisant le MPA porte sur la maitrise de la technique de tracé d’un symétrique (épisode 3). L’enseignant propose à l’élève équipé de réaliser son travail sur un fichier préconfiguré dans un Logiciel de géométrie dynamique (LGD), tandis que les autres élèves apprennent la technique de tracé à partir d’une perpendiculaire et du report de longueur. L’enseignant a désactivé l’outil symétrie axiale dans le fichier fourni à l’élève. Dans un premier temps, l’élève corrige les fautes typographiques dans le fichier de consigne de l’enseignant. Ensuite, il essaie de reproduire, dans le LGD, la feuille d’exercice distribuée à la classe au lieu de réaliser l’exercice que l’enseignant lui a préparé dans ce logiciel. Après que l’enseignant est passé et lui a expliqué qu’il fallait ouvrir le fichier préconfiguré, l’élève trace la perpendiculaire, mais n’arrive pas à reporter la longueur sur celle-ci. Tout comme pour l’épisode précédent, les échanges relèvent d’aides instrumentales sur ordinateur. Par exemple, l’enseignant dit « OK ! Et, puis il y a un fichier. Vas-y ouvre là ! Et puis un fichier à lire là » ou « J’ai dit ouvrir le fichier symétrique d’un point avec GeoGebra. » L’univers lexical relatif à cet épisode de la classe porte, quant à lui, sur des aides relatives à l’usager du papier et du crayon.

46 Alors, que le protocole commun fourni à la classe indique qu’il faut reporter la longueur avec une règle, le LGD ne possède pas d’outil de report de longueur de ce type. La seule possibilité pour l’élève est de recourir aux propriétés d’équidistance des points du cercle pour reporter cette longueur, mais cette indication ne lui est pas fournie. La transposition du papier vers le LGD nécessite de mobiliser une connaissance particulière : le cercle, grâce à ses propriétés, permet le report de longueurs. Ici aussi, l’enseignant envisage la compensation du geste graphomoteur, sans avoir anticipé les modifications didactiques qui sont induites par le passage du matériel tangible vers le LGD. La nature de la tâche est tellement modifiée qu’elle n’est pas, non plus, réalisable par l’élève seul.

L’usage des PC collectifs engendre aussi une modification sensible du milieu matériel

47 Une activité similaire de construction de symétrique à partir de cette méthode à l’équerre est proposée à la classe lors d’une séance en salle informatique. La tâche prévue par l’enseignant consiste à construire le symétrique d’un point en traçant la perpendiculaire à l’axe de symétrie par ce point puis en reportant la longueur entre l’axe de symétrie et ce point de l’autre côté de l’axe de symétrie. Alors que le report de longueur était réalisé grâce à une règle dans la tâche au papier et au crayon, elle doit être réalisée avec un cercle dans le LGD. Une partie des élèves se retrouve confrontée à la même difficulté qu’avait rencontrée l’élève en situation de handicap lors du passage du report de longueur avec la règle vers l’utilisation du cercle. L’enseignant a été obligé d’expliquer comment le cercle permet le report de longueur avec ce groupe qui a été stoppé dans la réalisation de la tâche.

48 Comme l’élève en situation de handicap a été absent lors de cette séance, l’enseignant lui propose de réaliser la même tâche lors de la séance suivante en salle informatique. Alors qu’il réalisait ce travail pour la seconde fois, il n’a été en mesure de reporter la distance grâce au cercle que sous la conduite de l’enseignant.

49 La tâche de construction d’un symétrique avec un LGD à partir d’une méthode prévue pour le papier et le crayon met un certain nombre d’élèves en difficulté, du fait de la création de nouveaux obstacles. Cette difficulté ne peut donc pas être simplement reliée aux troubles de l’acquisition des coordinations ni au MPA puisqu’elle a pu être constatée chez d’autres élèves lors de tâches sur des ordinateurs collectifs. Le changement de nature du milieu matériel qui passe d’un environnement papier/crayon vers un environnement numérique ne permet plus à certains élèves d’accéder aux apprentissages prévus.

Le recours aux moyens informatiques peut modifier la nature de la tâche demandée

50 Lors des trois tâches précédentes – pliage, tracé sur le MPA et tracé sur des ordinateurs collectifs –, les troubles graphomoteurs de l’élève présentant des TAC sont bien compensés par le recours à l’ordinateur, mais la nature de la tâche à réaliser est tellement modifiée par l’utilisation des moyens numériques dans le milieu matériel qu’il n’est pratiquement pas possible à l’élève d’investir le milieu de référence. Nous avons choisi de désigner cette modification de la tâche sous le terme de transposition numérique en référence à la transposition informatique théorisée par Balacheff (1994). Mais, là où Balacheff évoque la modification des objets mathématiques par les limites computationnelles des moyens informatiques, nous faisons référence aux limites des schèmes antérieurs, construits dans le monde tangible, lors de l’utilisation d’instruments numériques, différents par nature.

51 Par ailleurs, le manque de maitrise du MPA de l’élève équipé ne lui permet pas d’utiliser son ordinateur avec aisance. Il est ainsi gêné lors de la navigation dans les répertoires du MPA dans la tâche de tri des figures, il n’ouvre pas le fichier préconfiguré et débranche et rebranche des clés USB à plusieurs reprises. Enfin, dans l’activité sur ordinateur, il est gêné par la navigation alternée entre le fichier de consigne fourni en PDF et le LGD. La modification de nature de la tâche mathématique est donc également associée à un manque de compétences de cet élève dans l’usage du MPA ou du PC qui augmente la complexité de la tâche à réaliser.

Conclusion

52 Le MPA entre dans la classe sans être choisi par l’enseignant puisque la dotation émane du monde médical et paramédical et fait suite à une décision de la MDPH. Les raisons conduisant à la dotation sont centrées sur la compensation des conséquences des troubles, mais l’analyse didactique montre que cette compensation peut induire des pratiques amenant à minorer les modifications potentielles d’apprentissage liées à l’introduction de ces moyens numériques en classe. Dans certaines situations, nous avons également pu montrer que la compensation de certains gestes, comme le tracé des figures géométriques, empêche tout simplement d’investir les situations didactiques. Il apparait clairement que la poursuite de recherches didactiques portant sur l’inclusion est nécessaire pour identifier les différentes transpositions qu’induisent les recours au MPA et leur incidence sur les apprentissages comme sur les médiations au sein de la classe. Nous nous inscrivons, ainsi, à la suite de Sarralié et Vergnaud (2006), pour qui la didactique et la réponse aux besoins éducatifs particuliers sont difficiles à dissocier. Plusieurs travaux récents montrent l’intérêt de cette approche didactique dans l’accompagnement des élèves présentant des TAC (Emprin et Petitfour, 2021 ; Petitfour, 2017) ou dans le travail avec les AESH (Toullec-Théry, 2019), mais l’analyse didactique des aides techniques semble encore peu explorée à ce jour.

53 Des recherches sur la collaboration entre ergothérapeutes et enseignants pourraient permettre l’identification de moyens de compensation visant simultanément la prise en charge du trouble et le maintien des objectifs d’apprentissages, au travers d’un travail de reconception des MPA.

54 Dans les quatre types de bifurcations, nous observons d’une part que l’aide humaine et l’aide technique ne sont pas articulées et que, d’autre part, l’aide humaine provoque une perturbation dans les apprentissages comme l’ont déjà documentée Nédélec-Trohel et Toullec-Théry (Nédélec-Trohel et Toullec-Théry, 2009). Il semble que des recherches collaboratives associant AESH et enseignants autour d’élèves inclus équipés de MPA pourraient offrir des éléments complémentaires sur les difficultés de déploiement de ces aides techniques.

55 Enfin, la question de la proximité matérielle entre le MPA et les TICE et de la confusion qui en résulte nous semble, également, une donnée importante pour expliquer la difficulté de déploiement du MPA. Cette proximité semble, au moins dans certaines conditions, empêcher l’apparition de moyens de compensation. Cette proximité n’est pas systématiquement gênante dans le cas des TAC, lorsqu’il s’agit de produire un texte sur ordinateur, mais elle parait plus conséquente lorsqu’il s’agit de transférer des tâches papier/crayon plus complexes comme en géométrie.

56 Il apparait que les moyens numériques, qui sont souvent présentés comme une solution évidente pour compenser le handicap, doivent encore faire l’objet de recherches pour permettre aux enseignants de les mobiliser de façon à permettre la mise en accessibilité des apprentissages dans le cas de certains troubles des apprentissages.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : Théorie des situations didactiques, Bifurcations didactiques, Troubles de l’acquisition des coordinations, Matériel pédagogique adapté, Inclusion, Double approche didactique et ergonomique

Mise en ligne 11/12/2023

https://doi.org/10.3917/nresi.097.0203

Notes

  • [1]
    Le Trouble de l’acquisition de la coordination (TAC) est un trouble développemental se manifestant principalement dans des habiletés gestuelles et se traduisant souvent par des difficultés d’apprentissage à l’école ainsi que par des limitations dans d’autres activités de la vie quotidienne.
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