Notes
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[1]
On appelle externalisation le mécanisme par lequel deux ou plusieurs acteurs parviennent d’autant mieux à trouver un accord qu’ils externalisent le coût sur un tiers.
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[2]
Déclaration lors de la conférence mondiale sur l’éducation et les besoins éducatifs spéciaux sous l’égide de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture.
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[3]
On considère qu’un ensemble est intégré lorsque chacun de ses éléments concourt à la réalisation de l’objectif commun.
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[4]
C’est-à-dire un quartier où les classes populaires sont de plus en plus dominées à la fois sur le plan économique, mais aussi sur le plan culturel et politique (Oberti, Préteceille, 2004).
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[5]
« L’hexis corporelle est la mythologie politique réalisée, incorporée, devenue disposition permanente, manière durable de se tenir, de parler, de marcher, et, par-là, de sentir et de penser. » Bourdieu (1980). Le sens pratique.
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[6]
L’exclusion de classe est une pratique courante dans le 1er degré où l’échelle des punitions est limitée (Debarbieux, 2016).
- [7]
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[8]
« Un individu qui aurait pu aisément se faire admettre dans le cercle des rapports sociaux ordinaires possède une caractéristique telle qu’elle peut s’imposer à l’attention de ceux d’entre nous qui le rencontrent, et nous détourner de lui, détruisant ainsi les droits qu’il a vis-à-vis de nous du fait de ses autres attributs. Il possède un stigmate, une différente fâcheuse d’avec ce à quoi nous nous attendions » (Goffman, 1963, p. 15).
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[9]
L’apprentissage en simple boucle consiste en un mode d’action réaction. L’apprentissage en double boucle permet de comprendre et d’interpréter les causes réelles du problème. Il se retrouve au cœur d’un nouveau modèle d’organisation : l’organisation apprenante.
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[10]
Nous faisons référence ici aux modes fragmentés et séquentiels des organisations ou dit autrement en silos. Chacun travaille dans son service dans l’attente que celui qui le précède a terminé le sien mais personne ne se parle.
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[11]
Pour citer Michel Crozier (1995, p. 84) : « L’image des solutions dicte trop souvent le choix du problème […] au risque d’oublier le problème réel. »
1Depuis la fin des années quatre-vingt, face aux difficultés croissantes de l’école à faire prévaloir « un programme institutionnel » (Dubet, 2002), un nouveau paradigme articulé autour de la question locale émerge. Tributaire de changements globaux, l’école doit s’ouvrir sur l’extérieur afin de prendre en compte les « nouvelles urgences » sociales (Audigier, 2012), en s’alliant si nécessaire à des opérateurs externes (Bromley, Schofer, et Longhofer, 2018). En interne, et dans une logique de projet, le travail en équipe est fortement préconisé pour atteindre ces objectifs. Un nouveau « référentiel » d’action publique (Muller, 2000) se met en place.
2C’est dans ce contexte qu’un consensus autour de la légitimité de la diversité en éducation (Prud’homme, Vienneau, Ramel et Rousseau, 2011) se fait jour dans les discours politiques. La déclaration de Salamanque [2] qui fait « le lien entre les élèves à besoins éducatifs particuliers et l’inclusion scolaire » (Woolven, 2021) pose ainsi les principes d’inclusion et d’accessibilité comme préalables pour « une école pour tous ». L’institutionnalisation du processus se concrétise par une classification des besoins en catégories souvent inspirées des nosographies médicales, malgré une forte résistance en France à des typologies comme celle du DSM (Adam, 2012). Ce classement catégoriel de la diversité, au-delà du risque d’effet pygmalion (Rosenthal, Jacobson, 1992), pose la question organisationnelle de la coopération entre des acteurs pluridisciplinaires et intersectoriels pour la réussite des actions entreprises dans la prise en compte des besoins réels de l’élève. La question se complexifie encore davantage lorsque l’élève se trouve en « situation d’incasabilité » pour reprendre le terme de Paul Durning (2008), au sujet des jeunes en difficultés multiples, et dont nous dirions qu’ils n’entrent pas dans la catégorisation nosographique. Si cette expression est davantage utilisée pour décrire la situation dans laquelle peuvent se trouver les adolescents, elle n’en concerne pas moins des enfants parfois très jeunes, à l’école primaire. Nous nous proposons de montrer, à travers cet article, que la construction sociale de l’incasabilité est une fabrication institutionnelle en étape, séquencée de l’éducation nationale, en analysant les processus d’exclusion successifs qui se mettent en place. Cette construction sociale sera rapportée non pas simplement à des choix individuels, qui ne sont cependant pas sans importance, mais surtout à un fonctionnement collectif (les choix d’une équipe). Ces choix sont eux-mêmes mis en relation avec des fonctionnements interinstitutionnels et avec un souci de protection des acteurs – dans leur espace-classe pour les enseignants, dans un milieu social privilégié pour les parents et pour les autres élèves (Oberti, 2007).
3Nous partirons pour cela d’une étude de cas : l’arrivée d’un enfant différent au sein d’une école au public socialement favorisé. Ce cas est extrait d’une recherche plus vaste sur la coconstruction du pouvoir à l’école primaire (Roaux, 2021) dont le cadre théorique est celui de l’analyse stratégique des organisations (Crozier, 1963). Cette recherche s’appuie sur une triangulation de méthodes : une enquête par questionnaire menée auprès de 5 857 professeurs des écoles dont près de 2 000 directrices et directeurs, des entretiens de recherche auprès de ce même public mais également de la hiérarchie (IEN, IG, IG, recteur, cabinet ministériel) et une longue observation intégrée à notre propre travail de directrice, observation qui sera la base de cet article. Notre fonction de directrice d’école nous offrait en effet une opportunité de recherche (Becker, 2006) qui nous a permis de recueillir à la fois des données administratives et objectives sur l’anamnèse de ce cas et des observations menées durant une année scolaire. Cependant, toute observation participante est source de tension entre implication et distanciation (Lapassade, 2016), surtout lorsque l’on travaille sur son propre terrain professionnel. Pour résoudre cette tension nous avons fait le choix d’un cadre d’analyse – en l’occurrence celui de la sociologie des organisations – afin d’observer une réelle vigilance épistémologique « sociologiquement armée », élaborée à la lumière de la théorie. Suivant en cela Bourdieu (2003), nous préférons alors parler d’objectivation participante, laquelle permet de construire la nécessaire distance à l’objet (Roaux, 2020). C’est bien grâce à ce modèle d’analyse, que nous avons pu progressivement nous transformer en « chercheur de l’intérieur ». L’ethnographie nous a permis d’observer en temps réel ce qui constitue l’organisation, c’est-à-dire les interactions entre les différents acteurs et le contexte dans lequel elles se déroulent.
4Dans une première partie nous contextualiserons au regard de l’histoire de cet élève que nous appellerons Kevin, la construction de la situation d’incasabilité qui bouscule l’idée d’une école inclusive. Dans une seconde partie, nous étayerons notre analyse de cas en interrogeant parallèlement l’éthos professionnel enseignant et le fonctionnement faiblement intégré de l’organisation scolaire. Enfin, en guise de conclusion, nous tenterons de donner des éléments de réponse aux problématiques soulevées dans cet article.
La construction de la situation d’incasabilité
Les débuts d’un détachement désorganisé
5Kevin est un petit garçon de 9 ans et demi, originaire des territoires d’outre-mer. Son parcours de vie est marqué par de nombreux traumatismes et ruptures comme nous allons le découvrir. Ce parcours débute par le placement en pouponnière deux mois après sa naissance, à la suite de négligences et carences affectives précoces. Son père confiera à la directrice de l’école où nous menons nos observations et en présence de l’enfant, que Kevin était « un accident ». Sa « génitrice » comme il l’appelle, avec qui il entretenait « une relation pour l’hygiène », nous précise-t-il, ne l’a jamais accepté et lui ne pouvait le prendre en charge.
6Nous apprendrons par les services sociaux qu’à la fin de la première année de vie de Kevin, ce dernier est confié à sa tante paternelle en région parisienne. À ses quatre ans, le père le récupère et l’emmène avec lui dans l’ouest de la France, où il s’est installé avec sa nouvelle compagne et ses deux enfants nés d’une précédente union. Six années plus tard, toujours selon les services sociaux, les nombreuses addictions du père (alcool, drogue) ont raison du couple et suite à deux signalements successifs pour enfant en danger de la part de l’école, il décide de retourner en région parisienne avec son fils. Sans domicile, ils sont alors hébergés par la tante, la sœur du père, mère de deux enfants qui avait précédemment accueilli Kevin. La vie à cinq n’est pas facile dans le 26 m2 de cette tante et les tensions sont vives. Un matin l’enfant se présente, habillé en fille à l’école, « pour le punir de son insolence, rien de tel que l’humiliation » nous rapporte son père. Un signalement « abusif » selon ce dernier, est alors réalisé par l’école. S’ensuit la déscolarisation brutale de Kevin, puis une errance de plusieurs mois dans la rue du père et de l’enfant, avant d’être relogés par le Samu social dans une chambre d’hôtel, à la condition d’une rescolarisation de l’enfant.
7Au-delà des signalements récurrents, les démarches administratives prennent d’autant plus de temps qu’au manque d’intégration des différents services, c’est-à-dire l’absence de relation entre les départements [3], s’ajoute la mobilité géographique du père et de l’enfant. Une situation qui ne permet pas dès lors la constitution d’un dossier qui aurait pu conduire à la mise en sécurité de l’enfant par rapport à son père.
L’élève mal casé
8Faute de place dans l’école de secteur située en zone d’éducation prioritaire, Kevin est affecté par la mairie dans une école un peu plus éloignée, dans un quartier en voie de gentrification [4]. Ceci se reflète dans la composition du public scolarisé. La présence des nombreux instruments de musique (violon, guitare trompettes…) que les élèves ont l’habitude de laisser à l’entrée de l’école sous la surveillance de la gardienne, témoignent d’une affinité élective avec ces pratiques culturelles. Ceux qui ne jouent pas d’un instrument de musique, prennent des cours de théâtre, de peinture ou d’écriture dans diverses associations ou même au conservatoire. Lorsque l’on interroge les élèves sur leur temps libre, ils détaillent avec un plaisir certain leurs loisirs qui sont diversifiés et importants. Quant à Kevin, et le contraste est saisissant, il nous confiera : « Moi je reste dans la chambre. Quand je sors c’est pour aller manger à la soupe populaire avec papa ou faire les courses au restaurant du cœur, sinon je reste enfermé. » De ce fait, aller l’école, représente pour lui une occasion de s’évader de ce quotidien pesant. L’hexis corporelle [5] de ce dernier, est très vite l’objet d’un repérage discriminant, qui aboutit à une stigmatisation « rejetante », une opposition entre « lui » et « les autres ». Les élèves de sa classe disent ouvertement le trouver « différent », « bizarre », voire pour certains « pouilleux, collant et puant » et quand la directrice insiste pour savoir ce qui justifie la mise à l’écart de Kevin, ces derniers soulignent la nécessité « de garder ses distances pour ne pas être contaminés ». Des propos relayés par ailleurs par les parents qui interpellent la directrice afin de savoir « Pourquoi ce gamin qui a visiblement des troubles du comportement, a été affecté ici » ajoutant « que ce n’est peut-être pas l’école qu’il lui faut. Il fait peur, il est brutal avec les petits, même si sa taille est celle d’un enfant de CP, il est malgré tout en CM2… Il perturbe par son comportement le bon fonctionnement de la classe et de l’école ». Kevin n’a pas le raffinement catégoriel des classes favorisées, implicitement attendu dans cette école où il y a peu de mixité sociale.
9En salle des maîtres, les discussions tournent autour de cet élève dont le comportement jugé instable et imprévisible, bouscule l’ordre établi. Élève d’un excellent niveau d’après son enseignant, Kevin ne présente aucun trouble d’apprentissage. Il possède un vocabulaire très riche et sait manier l’humour. Cependant, avide d’accroches affectives, Kevin ne respecte pas les normes d’interaction (Goffman, 1963). Il saute au cou des autres, les prend par le bras… Son enseignant, informé du passif de Kevin ne sait pas quoi faire de lui et s’interroge : « Étant donné la situation de ce gosse, il aurait dû aller dans un autre arrondissement, une école plus adaptée qui scolarise des mômes comme lui, qu’est-ce que vous voulez que je fasse moi, il refuse de bosser et il emmerde les autres. J’ai pourtant mis sa table contre le mur, dos au groupe pour qu’il arrête de faire des doigts d’honneur et des grimaces aux autres et ben il se retourne et fait des avions avec les feuilles d’exercice. Sa situation n’excuse pas tout et puis ça ne nous concerne pas, les services sociaux doivent s’en occuper, moi je suis là pour enseigner les maths et le français » puis en s’adressant à la directrice : « Il faut le faire partir. » Ses collègues acquiescent et proposent : « En attendant qu’il parte on a qu’à le faire tourner de classe en classe où le mettre dans ton bureau (en regardant la directrice) si nécessaire. » Tout ce que l’enseignant demande, c’est sinon son exclusion définitive de sa classe, du moins une aide disciplinaire qui le remettrait sur « le droit chemin » d’une conformité scolaire (Ben Ayed, 2009). On est davantage dans une logique d’externalisation et de délégation des difficultés [6] qu’une réelle alliance éducative (Barrère, 2013).
Une aide interne à l’école ?
10Cependant, en devenant « la patate chaude » (Pélissié, 2004) de l’école, c’est-à-dire le problème qu’on se transmet, Kevin perd le cadre spatio-temporel (voir par exemple Sgard, Hoyaux, 2006), sa classe de référence et l’adulte, son enseignant, qui constituaient les seuls éléments de sécurisation dans son parcours chaotique. L’origine de la problématique de Kevin ne relevant pas du champ scolaire selon les enseignants – ce dernier n’ayant aucune difficulté d’apprentissage d’ordre cognitif – celle-ci ne peut être prise en charge par aucun dispositif interne. Comme le souligne à cet égard la psychologue scolaire « l’institution a donné la priorité aux maternelles et aux CP, lui est en CM2 donc le Rased ne peut pas le prendre en charge ». Elle ajoute « Inutile de s’adresser au CMPP (Centre médico psycho-pédagogique), la liste d’attente est d’une année et le processus décisionnel ne m’appartient pas… De toutes façons le père n’ira pas et c’est la condition première. Il faut voir avec les services sociaux. » La fragmentation des domaines cognitif, psychomoteur et affectif dont seuls les deux premiers relèvent du champ scolaire d’une part et la priorité donnée aux premières années de scolarisation de l’enfant par l’institution d’autre part, rend impossible la prise en charge d’élèves au-delà du CP. Le fonctionnement en réseau des Rased qui doivent intervenir sur plusieurs écoles du fait de la diminution des effectifs et la multiplication croissante des demandes d’aide ne leur permettent plus par ailleurs d’assurer un réel suivi d’élève.
11Ce mode d’organisation aboutit à une externalisation des prises en charge vers des dispositifs extérieurs, dont le partenariat en faveur de la continuité éducative ne va pas toujours de soi. Par ailleurs, la présence obligatoire d’un des deux parents comme condition préalable, écarte de facto Kevin du jeu. Ces conditions permettent dès lors à chacune des parties de négocier sa participation, en mobilisant des répertoires et des registres différents en fonction des situations éducatives – la transmission des savoirs, la réglementation – induisant un phénomène d’incasabilité.
12Après avoir été balloté pendant une semaine d’une classe à l’autre, un évènement précipite l’exfiltration de ce mal casé vers le bureau de la directrice. Un matin, alors qu’il devait aller dans la classe de CP, Kevin refuse. La directrice est alors appelée pour faire monter l’indiscipliné, prostré dans un coin de la cour. S’agenouillant pour être à sa hauteur, elle lui demande ce qui se passe. Il lève la tête et lui répond : « Je ne veux pas aller en CP ce n’est pas ma classe, ni mon niveau et puis surtout je ne veux pas enlever mon bonnet… Les autres se sont moqués de moi tout à l’heure quand ils me l’ont retiré… papa m’a rasé le crâne car il a entendu des parents d’élèves à la sortie des classes dire que je donnais des poux avec mes cheveux crépus. […] Je n’arrive pas à travailler, je suis fatigué parce qu’il y a des cafards dans la chambre… et puis je dors avec papa et il prend toute la couette alors j’ai froid et puis j’ai trop faim. … Je n’ai pas mangé depuis hier midi, on n’a plus rien. Et puis personne me calcule, personne (en insistant), je suis tout seul. » En quelques mots Kevin résume la situation dans il est malgré lui : il se bat tout seul dans un univers où tout lui est hostile. La directrice lui répond qu’elle va l’aider et qu’il viendra dans son bureau quand il le voudra. Ce à quoi il ajoute : « Trouve-moi une famille. »
13En acceptant de prendre Kevin dans son bureau, la directrice choisit de s’acquitter de ses obligations fonctionnelles (le bon fonctionnement de l’école) au moindre coût. Répondre aux attentes des enseignants lui permet de ne pas rompre la collégialité attendue en impulsant un travail d’équipe autour du climat scolaire, susceptible de déclencher des hostilités difficilement gérables dans sa position. Cependant, en agissant ainsi, elle contribue à alimenter le clivage entre le pédagogique et l’éducatif. Une situation qui n’est pas propre à cette école si l’on en croit le rapport de l’Inspection générale (2013, p. 54), « Ces situations sont souvent l’objet de conflits internes qui consacrent, dans l’établissement, le clivage entre le pédagogique et l’éducatif et d’une certaine manière installent l’élève dans un double jeu » entre la classe et le bureau du directeur. Un jeu « perdant-perdant », dont personne ne remet pourtant en cause le fonctionnement. Au-delà, cette relégation dans le bureau de la direction qui serait une case adaptée pour la déviance, dénote l’absence de collectif de travail sur le climat scolaire. L’exclusion devient un mode de gestion ordinaire de cet enfant : exclusion de la classe, puis des récréations pour ne pas côtoyer les autres. Il n’y a alors aucune chance que Kevin puisse développer un sentiment d’appartenance à l’école et à sa classe, ce qui n’est pas sans incidence sur le comportement de plus en plus ingérable de l’enfant.
Un placement sans lien organisationnel
14Après plusieurs signalements pour maltraitance de la part du père, qui révèleront par la suite qu’il était abusé sexuellement par ce dernier, Kevin est finalement placé par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) en foyer. Si tout le monde se réjouit de voir l’enfant en sécurité, le choix de le maintenir dans l’école qui n’appartient pas au secteur de son nouveau lieu de résidence est jugé « incohérent et incompréhensible alors qu’il y a une école juste à côté du foyer qui prend ces élèves ». La distance est également invoquée pour justifier l’absence de communication entre les animateurs du foyer et l’école : « Le cahier de liaison n’est jamais signé, les devoirs jamais faits du coup maintenant il peut faire encore plus ce qu’il veut et son comportement est pire qu’avant. » La situation nécessiterait une interaction entre l’école et le foyer, pour aider à mieux comprendre le comportement de l’enfant ; mais il n’en est rien. En réalité, et comme il le raconte lui-même à la directrice, Kevin ne se sent pas à sa place ni à l’école, ni dans la structure collective du foyer où il est « avec des grands qui font cinq têtes de plus » que lui. Il a peur dit-il. Alors à l’école, même s’il joue les caïds auprès des petits, il est l’objet d’un véritable harcèlement scolaire, dont on sait que les conséquences sont parfois dramatiques (Debarbieux, 2016). Quand la directrice de l’école appelle le foyer pour en savoir davantage, l’animateur lui confirme que « Kevin a du mal à s’adapter, mais il n’est pas le seul, les enfants qui sont là ont tous un lourd passé. » Pour le suivi scolaire il ajoute : « Le problème c’est qu’on n’est pas assez nombreux pour regarder le cartable de chaque enfant, on n’est pas assez nombreux et puis ce n’est pas notre rôle. Chacun son boulot, son instit peut peut-être s’adapter. »
15À ce stade, l’enfant en tant que personne prise dans sa globalité, n’existe pas. Chaque acteur impliqué n’accepte (et encore) de gérer qu’une partie de l’enfant qui se retrouve de facto segmenté en autant de spécialités qui le prennent ou devraient le prendre en charge : son instruction via l’école, sa protection par le placement en foyer. En revanche l’aspect psychologique est laissé de côté à l’école, mais aussi dans le partenariat possible entre cette école et le foyer d’accueil. Si différentes études scientifiques montrent l’importance du capital culturel et du capital économique des parents (par exemple Lahire, 2019) dans la scolarité de leurs enfants, d’autres éléments, tels que le sentiment de bien-être et le développement des compétences sociales (El Nokali, Bachman, Votruba-Dzral, 2010) sont également à prendre en compte. Cependant, force est de constater que l’importance du capital émotionnel dans la formation des personnes et leur devenir (Gendron, 2008) est souvent négligé dans le champ scolaire. On ne peut pourtant dissocier l’affect du cognitif. Le manque de bienveillance est peut-être une faute morale, il est aussi la conséquence de la fragmentation organisationnelle. Au sein de l’école, le débat entre le savoir et l’éducatif n’est pas un simple clivage idéologique (Payet, 1997) ; il entraîne une répartition des tâches qui est bien une division sociale du travail et renforce les inégalités. À l’enseignant le travail noble qui est transmission des savoirs dits fondamentaux, à la direction le sale boulot, qui est entre autres la prise en charge de ceux qui ne rentrent pas dans les cases de la forme scolaire. L’usage de l’analyse stratégique des organisations est en ce sens intéressant, car il permet de resituer l’individu dans un système d’« action concret » (Crozier, Friedberg, 1977). Concernant Kevin, on s’aperçoit que le manque d’intégration ou dit autrement de coordination entre les parties constitutives du système d’action qui l’entoure, ne permet pas une prise en charge globale de ce dernier pour l’aider à se construire. Au contraire, cela participe à sa déconstruction. Une fragmentation couteuse, dont le fonctionnement segmenté et séquentiel de l’ensemble ne permet pas in fine de résoudre le vrai problème qui est celui de la coopération au bénéfice de l’enfant (Roaux, 2019).
16Au bout d’un mois, après des appels récurrents de la directrice et de l’assistante sociale pour un placement éventuel dans « une vraie famille » comme le demande Kevin, les services sociaux décideront de l’orienter vers un centre dans le nord de la France, « un lieu de vie privilégié avec un effectif réduit où les jeunes réapprennent à vivre au contact des animaux », un moyen d’acquérir les normes de la socialisation « afin de ne pas faire exploser la famille d’accueil ». Ce placement pourrait être interprété comme un échec de l’institution scolaire à remplir son rôle intégrateur. Rappelons à cet égard qu’« Organiser et assurer un mode de fonctionnement du groupe favorisant l’apprentissage et la socialisation des élèves [7] » est une des compétences inscrite dans le référentiel de compétences des professeurs des écoles.
Des « barrières » organisationnelles…
17Le cas Kevin peut d’abord être lu de manière presque classique au niveau de la construction ou de la reproduction des inégalités à l’école. On y trouve en effet tous les indicateurs décrits depuis longtemps : par exemple la distinction sociale en œuvre à partir des activités musicales des élèves, l’hexis corporelle qui permet de « situer » socialement la personne (Lahire, 2019). La naturalisation à l’œuvre dans le discours enseignant, comme dans celui des élèves ou des parents est remarquable, comme si Kevin n’avait pas sa place dans une école normale [8] (Goffman, 1975). Le rejet de Kevin témoigne de la manière dont les classes sociales plus favorisées peuvent mettre en place des processus d’exclusion lorsqu’elles se sentent menacées par des élèves différents, ce qui est bien sûr une difficulté pour l’école inclusive, non pas tant du point de vue du handicap physique ou mental, que de la mise en place d’une sorte de croyance en un handicap social qui aboutit à un souhait de relégation, voire d’exclusion. Il n’est plus à démontrer que les facteurs de vulnérabilité sont plus souvent extrinsèques qu’intrinsèques.
Un effet de l’organisation scolaire locale
18Il convient cependant de lire également cette histoire avec d’autres outils d’analyse et en particulier ceux de l’analyse stratégique des organisations. Ainsi, le lieu classe est particulièrement révélateur de la manière dont, le contexte scolaire lui-même et son organisation, génère ce rejet qui n’est pas à proprement parler lié à un niveau scolaire : Kevin sait parfaitement lire et écrire avec un vocabulaire de qualité comme le soulignent les enseignants qui d’ailleurs s’en étonnent. Mais ce dernier n’a pas acquis les codes du métier d’élève. Il est dès lors exclu en classe de CP pour réapprendre à devenir élève et dans le même temps « faire lire les petits pour servir à quelque chose » comme le soulignera son maître. En réalité, il s’agit bien de s’en débarrasser. C’est la manière dont il dérange la classe, dont il perturbe l’ordre scolaire (le rangement scolaire pourrions-nous dire) qui est en jeu. Et cet enjeu est un enjeu d’autonomie, de pouvoir pour l’enseignant. L’exclusion des élèves pour avoir « la paix » dans sa classe, fait partie des « routines défensives » (Argyris, 1985) pour préserver le sens premier du métier : la transmission des savoirs fondamentaux.
19En partageant son impuissance en salle des maîtres, l’enseignant de Kevin attend implicitement un soutien de ses collègues qui puisse le déculpabiliser. Comme le précise Giust-Desprairies (2003, p. 17) « la nécessité de n’y être pour rien est une conséquence de la logique de la maîtrise, qui exclut une représentation positive de la responsabilité, de l’engagement de soi dans un problème rencontré ». Ainsi, à défaut de générer « de nouvelles manières d’enseigner et d’exercer son métier au sein de collectifs de travail aux compétences multiples, entre pédagogie, soin, techniques de rééducation et accompagnement social » (Bourgoin, 2014), le collectif se structure davantage sur la base « d’un clivage entre le “bon” à l’intérieur du groupe et le “mauvais” à l’extérieur, sous la forme de l’étrangeté des enfants » (Giust-Desprairies, 2003, p. 118). Une manière pour les enseignants d’exploiter « leur avantage initial qui tient au contrôle dont ils disposent sur la seule source importante d’incertitude » (Crozier, 1963, p. 191) : leur classe.
20La situation de Kevin ne peut que heurter moralement ceux qui en prennent connaissance. Elle peut même, au nom de cette appréhension morale, entrainer la condamnation de tel ou tel acteur. Le problème de l’inclusion scolaire est cependant plus complexe et ne se réduit pas à ce qui se passe dans cette école, dont nous avons vu que la générosité des uns (la directrice en l’occurrence) vient, de fait, renforcer les mécanismes d’exclusion qui sont à l’œuvre. Si l’on décide de s’arrêter à cette seule dimension, à cette histoire, alors on réintroduit la classique confusion entre le symptôme et le problème, entre l’anecdote et le fait. D’un point de vue sociologique, on pourrait considérer ce qui arrive à Kevin comme une anecdote, même s’il est difficile de dire cela de la souffrance d’un enfant. Cela devient cependant un fait social (Durkheim, 2013) lorsque d’une part, on peut établir scientifiquement une récurrence significative de ces histoires au sein des écoles et d’autre part lorsqu’on est à même d’en détacher l’existence de chacune des écoles dans lesquelles on les observe, pour en établir l’origine dans un système complexe au sein duquel se trouvent ces mêmes écoles.
21Au-delà du déclaratif en faveur d’une école inclusive, le processus d’inclusion « nécessite un engagement commun, une entreprise collective à tous les niveaux de l’institution, dont principalement la classe » (Tremblay, 2020, p. 7). Cependant, l’organisation n’est pas constituée d’entités parfaitement homogènes et intégrées. Dès lors, l’école qui se structure sur le modèle de la boite à œufs (des classes séparées les unes des autres), avec des parties plus ou moins autonomes peu articulées entre elles et soumises à un contrôle hiérarchique éloigné, apparait telle une figure emblématique de ce que Carl Weick (1976) appelle un « loosely coupled system ». On observe alors un découplage entre les activités déclarées, discours officiels et pratiques effectives.
22Les enseignants bénéficient d’une autonomie certaine dans leur classe qui génère des orientations normatives parfois incohérentes avec le référentiel de référence. Le modèle de la forme scolaire qui repose sur une transmission verticale des savoirs et exige la soumission à des normes (Vincent, 1994) reste prégnant au niveau de la culture professionnelle enseignante. La stratégie des enseignants afin de préserver ce qui constitue leur univers de référence et leur autonomie, c’est-à-dire leur classe, va alors consister à exclure tout élément qui nécessiterait une intervention extérieure au sein de cet univers. On comprend que l’élève différent pourrait, par son comportement, gêner la transmission des savoirs pour les autres et générer des difficultés, voire des conflits, qui révèleraient un fonctionnement éventuellement problématique de la classe. Les incidents de quelque nature qu’ils soient, constituent une opportunité pour des éléments extérieurs (comme la direction de l’école, les parents ou l’inspecteur par exemple) de savoir ce qui se passe à l’intérieur de la classe et éventuellement d’y exercer un contrôle, impossible, de fait, en situation normale. Se mettent conséquemment en place des procédures d’accord et des compromis pratiques à « rationalité limitée » (Simon, 1955) entre divers principes de légitimité (Boltanski, Thévenot, 1991) – comme la collégialité – au sein des écoles en corrélation avec l’environnement organisationnel, afin de parvenir à une situation satisfaisante pour les acteurs. Dit autrement, les enseignants vont chercher la première solution acceptable dans le contexte dans lequel ils évoluent. Dans un premier temps la mise à l’écart de l’élève au fond de la classe, dans notre cas face contre le mur, ce qui ne fait qu’exacerber en retour un renforcement du comportement déviant de l’élève. Un comportement qui sert alors de justification pour l’exclure dans un deuxième temps de la classe vers le bureau de la directrice, en faisant pression pour que dans un troisième temps, elle-même le sorte de l’école. Un mode de fonctionnement induit par le système lui-même, qui ne permet pas l’instauration de réels liens coopératifs afin de gérer collectivement la différence. Dès lors, cette différence ne peut s’exprimer au sein de l’école, en particulier lorsque la prise en charge n’est prévue par aucun système alternatif ou adapté, une case (Durning, Rongé, 2008), qu’à travers le rejet d’un enfant par chacune des parties prenantes jusqu’au niveau de celui ou celle dont une des responsabilités aux yeux des autres, est de prendre en charge « le sale boulot » (Hughes, 1962).
Un effet système
23Si certains leviers sont connus pour favoriser la mise en œuvre des principes de l’école inclusive (Tremblay, 2020), l’opérationnalisation du processus se heurte en premier à la structure politico-administrative du système qui se régule ou s’autogère sans prendre en compte les besoins réels des organisations. Cet apprentissage organisationnel en simple boucle [9] (Argyris, Schön, 2002) prédomine : il consiste en une adaptation aux évolutions sociétales en externalisant les difficultés sans remettre en cause le référentiel dominant de l’organisation et les paradigmes qui sous-tendent les théories d’action. Un apprentissage opérationnel et adaptatif qui se manifeste à tous les niveaux. Au-delà de « la nécessité d’un professionnalisme collectif » (Tardif, Lessard, 2004) rappelé à travers les différentes réformes, sa mise en œuvre effective sur le terrain « suppose une modification des rapports de position car l’enseignant n’est plus seul à décider dans et pour sa classe » (Mérini, 2007, p. 47). Or la coopération, même si elle peut exister, n’est pas un comportement naturel et spontané du moins dans les situations quotidiennes de travail de l’enseignant, car elle constitue un problème d’interdépendance collective entre des acteurs pouvant présenter une divergence d’intérêts et de valeurs, qui peut être vécu « comme une perte de pouvoir, pouvoir de décider seul, même si ce n’est jamais reconnu comme tel » (Mérini, 2007, p. 47). Le développement du partenariat en corrélation avec l’ajout progressif de nouvelles cases (des dispositifs internes et externes), contribue à fabriquer « du besoin éducatif » (Ébersold, Armagnague, 2021) sans permettre d’accéder à un nouveau modèle d’organisation. Ainsi, la multiplicité des cases induit des tensions entre les acteurs issus d’organisations aux référentiels dominants différents, sans permettre de réelles coopérations entre tous les acteurs afin de répondre aux besoins particuliers de certains élèves. Or, sans coopération, pas de partage de savoir et pas d’apprentissage collectif et donc pas de modification des représentations d’usage et des stratégies, c’est-à-dire de transformation des cadres normatifs de référence, qui permettrait la mise en œuvre d’une école inclusive.
24Il en est de même au niveau du territoire avec la constitution de « ghettos » (Maurin, 2004) ghetto d’enfants favorisés dans notre cas, dont on n’a aucun mal à comprendre (à défaut de l’accepter) la stratégie de ses membres : préserver l’homogénéité du ghetto face à tout ce qui peut être considéré comme une agression ou une remise en cause des normes sociales autour desquels il est bâti. Se constitue donc une alliance, une sorte de communauté d’intérêts entre les acteurs concernés pour exclure l’élément perturbateur : l’enseignant « enseigne » et rejette toute responsabilité éducative, les parents ne sont jamais à court d’arguments pour demander le rejet hors de l’école, « notre école » disent-ils et donc pas celle de cet enfant différent du fait de sa précarité sociale. L’école dite inclusive, se révèle alors être telle « une machine à exclure » pour reprendre François Dubet (2014). Le problème n’est donc pas la différence, mais les facteurs d’incasabilité induits par le fonctionnement organisationnel de l’ensemble.
25Cette appréhension sociologique, au-delà de ce qu’elle nous apprend sur une école, amène à repenser le débat sur la mixité sociale qui ne peut se construire uniquement en désenclavant par exemple les établissements et écoles des zones sociales défavorisées. Les découpages territoriaux sont eux-mêmes porteurs de normes sociales qui excluent ceux qui ne les connaissent pas ou ne les respectent pas (Oberti, Préteceille, 2004). De ce fait, le cas de Kevin peut apparaitre comme exemplaire de la manière dont les inégalités sociales sont préexistantes à son inscription dans une école particulière, par la composition même du public accueilli. Mais il montre tout autant comment ces inégalités sont co-fabriquées, augmentées même par une suite de petits arrangements locaux et de jeux d’acteurs mais également par les contrôles et systèmes d’indicateurs mis en place qui survalorisent la conformité et la maîtrise des coûts, au détriment de la pertinence. Décréter la mixité sociale ou l’école inclusive remet nécessairement en cause les zones de confort des uns et des autres, où se produit finalement l’exclusion concrète de la différence. L’organisation est un construit humain. Dès lors, le changement ne peut se faire sans la participation et l’accompagnement de celles et ceux qui seront porteurs de ce changement ni sans prendre en compte le contexte dans lequel elles ou ils évoluent.
Conclusion
26Cette étude de cas nous montre que c’est la situation d’incasabilité générée par le manque d’intégration [10] des différents services et acteurs qui est le problème. Et pourtant, toutes les solutions institutionnelles proposées par les instances éducatives comme par les instances sociales se focalisent sur cet enfant. Ce faux bon sens indique que c’est bien la solution qui amène à la définition du problème [11]. Elle l’individualise (c’est l’enfant le problème), faute de pouvoir le traiter collectivement par des mécanismes de coopération toujours souhaités, mais rarement mis en œuvre. Tout au long du parcours de l’enfant se succèdent ainsi les informations préoccupantes, effectués dans des juridictions différentes, qui de ce fait se cumulent en s’additionnant. Aucun des acteurs individuellement impliqués dans cette situation, n’en est heureux, sauf à pratiquer un cynisme que nous n’avons pas rencontré dans l’ensemble de nos études sur le système scolaire.
27C’est une constante dans l’analyse des organisations de rencontrer des univers dans lesquels se superposent une incapacité collective à faire ce qui devrait être fait et une insatisfaction individuelle, la plupart du temps non-dite ou traduite en termes de manque de moyens devant cette impuissance. La bonne volonté individuelle ne peut être suffisante pour pallier les insuffisances d’un système qui ne parvient pas à prendre en compte la diversité des élèves. Cela appelle à repenser le fonctionnement organisationnel, non pas d’une école, mais d’un système, dont la fragmentation conduit à des conflits de logiques qui empêchent l’autonomie et la prise d’initiative en faveur d’une réelle coopération. Considérer l’organisation selon une approche « simplement » rationnelle (March, Simon, 1958) amène en effet à négliger un aspect important basé sur les interactions humaines et le fonctionnement d’un ensemble social. Au-delà des contraintes imposées, les acteurs sont toujours à même de trouver des solutions – traduites dans leurs comportements – cohérentes avec le contexte dans lequel on les fait évoluer (l’exclusion de l’élève par exemple). L’action par la règle et l’appel à la conviction décontextualisent les comportements des acteurs concernés et négligent la dimension stratégique de ces comportements. D’une part, les acteurs ont bien plus le sentiment d’être culpabilisés qu’écoutés (au sens de la compréhension de leur contexte) ; d’autre part, la méconnaissance de la situation réelle des acteurs ne permet pas d’identifier les leviers qui permettraient d’enclencher une véritable évolution des comportements. L’investissement dans la connaissance comme préalable à l’action, est plus que jamais une obligation si l’on souhaite une vraie transformation en profondeur, systémique et exigeante. Ainsi, au lieu de se focaliser sur des manières et des façons de faire uniformes et imposées, toujours plus détaillées et réductrices, sans possibilité d’initiative, ne serait-il pas souhaitable de s’orienter vers des processus d’apprentissage organisationnel (Argyris, Schon, 2002) en formation qui rassembleraient l’ensemble des acteurs. Un raisonnement plus concret amènerait à considérer que c’est le contexte des acteurs qu’il faut interroger, celui qui les conduit à cet individualisme pénalisant pour les enfants, différents ou pas. Il permet d’éviter de prendre des décisions à l’aveugle, sans portée réelle, si ce n’est d’éloigner un peu plus ceux qui décident, de ceux sur lesquels ces décisions s’appliquent. Problématique exigeante certes, mais sur cette voie se situe la possibilité de rendre effective l’existence d’une école inclusive.
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Notes
-
[1]
On appelle externalisation le mécanisme par lequel deux ou plusieurs acteurs parviennent d’autant mieux à trouver un accord qu’ils externalisent le coût sur un tiers.
-
[2]
Déclaration lors de la conférence mondiale sur l’éducation et les besoins éducatifs spéciaux sous l’égide de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture.
-
[3]
On considère qu’un ensemble est intégré lorsque chacun de ses éléments concourt à la réalisation de l’objectif commun.
-
[4]
C’est-à-dire un quartier où les classes populaires sont de plus en plus dominées à la fois sur le plan économique, mais aussi sur le plan culturel et politique (Oberti, Préteceille, 2004).
-
[5]
« L’hexis corporelle est la mythologie politique réalisée, incorporée, devenue disposition permanente, manière durable de se tenir, de parler, de marcher, et, par-là, de sentir et de penser. » Bourdieu (1980). Le sens pratique.
-
[6]
L’exclusion de classe est une pratique courante dans le 1er degré où l’échelle des punitions est limitée (Debarbieux, 2016).
- [7]
-
[8]
« Un individu qui aurait pu aisément se faire admettre dans le cercle des rapports sociaux ordinaires possède une caractéristique telle qu’elle peut s’imposer à l’attention de ceux d’entre nous qui le rencontrent, et nous détourner de lui, détruisant ainsi les droits qu’il a vis-à-vis de nous du fait de ses autres attributs. Il possède un stigmate, une différente fâcheuse d’avec ce à quoi nous nous attendions » (Goffman, 1963, p. 15).
-
[9]
L’apprentissage en simple boucle consiste en un mode d’action réaction. L’apprentissage en double boucle permet de comprendre et d’interpréter les causes réelles du problème. Il se retrouve au cœur d’un nouveau modèle d’organisation : l’organisation apprenante.
-
[10]
Nous faisons référence ici aux modes fragmentés et séquentiels des organisations ou dit autrement en silos. Chacun travaille dans son service dans l’attente que celui qui le précède a terminé le sien mais personne ne se parle.
-
[11]
Pour citer Michel Crozier (1995, p. 84) : « L’image des solutions dicte trop souvent le choix du problème […] au risque d’oublier le problème réel. »