1 Comment fonctionne le système morphogénique littoral ? Autour de l’érosion côtière, qui se marque par le recul de la côte se noue un jeu de facteurs dont l’importance varie à la fois dans le temps et selon les lieux. Pour inéluctable qu’elle soit, l’érosion des littoraux n’est pas partout une fatalité.
2 Le « climat » est une pièce essentielle, le climat dans sa globalité – et l’on doit prendre en compte l’actuel réchauffement climatique – mais également le climat de tous les jours, le « temps qu’il fait », variable mais très irrégulier au point de connaître les fureurs tempétueuses, celles qui font reculer la côte… et menacent les biens et les personnes.
Pays de Caux, effondrement d’un pan de falaise dans la craie, talus d’éboulis progressivement lavé par la mer
Pays de Caux, effondrement d’un pan de falaise dans la craie, talus d’éboulis progressivement lavé par la mer
La falaise évolue donc à la fois par le haut (fragilité de la roche, porosité, dia-clases, rôle du gel…) et par la base dont le sapement entretient la verticalité et l’appel au vide.3 La dynamique littorale est la conséquence des effets du climat (ou plutôt du temps). La houle, les vagues sont forcées à la côte par le vent, les courants littoraux redistribuent les sédiments en les triant. Déposés par le jeu subtil des déferlements sur les plages, ces sédiments repris par le vent (et à leur tour triés) forment des embryons de dunes puis, par accumulation, des dunes de première ligne face à la mer : plus les massifs sont étendus et mieux ils ont été alimentés dans le passé. Ce qui ne signifie pas que ces massifs ne soient pas actuellement en érosion.
4 Le budget sédimentaire est une notion qui a émergé depuis quelques décennies. Lors de la dernière transgression marine, à partir de 18 000 BP environ, la mer a plus ou moins lentement repoussé devant elle des quantités importantes de sédiments abandonnés par les rivières : les plages actuelles, les accumulations de galets, en sont la conséquence contemporaine, époque où la recherche (géographes, géologues…) montre une certaine pénurie de sédiments sur les plates-formes. Or, ces accumulations sont aussi le matelas où vient se dissiper l’énergie des mers… et celui sur lequel se reposent les estivants en bord de mer. L’enjeu va donc bien au-delà d’une question de nature.
Côte landaise à Biscarosse, protection lourde par enrochement d’une villa ancienne construite dans la dune
Côte landaise à Biscarosse, protection lourde par enrochement d’une villa ancienne construite dans la dune
5 L’action de l’homme n’est pas négligeable. En équipant les cours d’eau (barrages, épis dans les fleuves, stabilisation des versants…) on a diminué la charge en transit dans les bassins-versants. La côte est moins nourrie et donc moins protégée. D’un autre côté, depuis la fin du XIXe siècle, les diverses formes d’occupation du littoral ont eu les conséquences que l’on pouvait attendre (et qui furent assez tôt annoncées). Les digues d’accès aux ports bloquent le transit littoral ; les murs, les remblais, les enrochements de protection ont introduit un élément rigide dans un système constamment mobile. Tout cela pour protéger des immeubles et des villas qui n’auraient jamais dû être construits « avec vue sur la mer et les pieds dans l’eau ». Toutes ces actions finalement néfastes ont souvent contribué à désorganiser le transit littoral selon des logiques qui ne pouvaient plus passer pour « naturelles ». Et tout cela avec l’assentiment des autorités, du sommet des administrations de l’État aux communes littorales. Bref, l’érosion côtière est dans l’ordre (et le désordre) de la nature. La sagesse, c’est l’adaptation aux rythmes qu’impose la mer. Les tempêtes sont agressives mais guère plus que par le passé. Les côtes « fragiles » reculent et la côte landaise régulièrement et de très longue date. L’immeuble sinistré de Soulac en Gironde relève d’une inconscience et plus encore à la fois d’une insuffisance de connaissances scientifiques et d’un manque de courage des autorités.
6 Reste le niveau des océans. Une variable à l’échelle du Quaternaire. Depuis la fin du XIXe siècle, ce niveau s’élève (1,8 mm/an). L’accélération actuelle, de l’ordre de 3 mm/an selon les lieux ne peut évidemment qu’accentuer les risques d’érosion et… de submersion des zones basses (ce qui n’est pas la même chose).
Côte des Basques à Biarritz, falaise stabilisée par un gros enrochement en ophite à la base, des pans de mur, du béton poreux sur lequel pousse la végétation
Côte des Basques à Biarritz, falaise stabilisée par un gros enrochement en ophite à la base, des pans de mur, du béton poreux sur lequel pousse la végétation
En France, quel état des côtes face à l’érosion ?
7 En dépit des propos alarmistes et pas toujours désintéressés, la situation des côtes françaises n’est pas, en dehors de quelques endroits, particulièrement inquiétante. Selon le Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM), 27% de l’ensemble du littoral français subit une érosion côtière, soit 46% des plages de sable ou à galets et 23% des côtes rocheuses. Faut-il vraiment s’en alarmer ?
8 Par définition, les côtes à falaises sont les plus sensibles et… elles reculent. C’est le cas partout mais à des vitesses variables qui dépendent des paramètres physiques (nature de la roche…). L’homme n’est pas innocent en quelques lieux, là où il a construit trop près de l’abrupt. C’était le cas très spectaculaire de la falaise des Basques à Biarritz, aujourd’hui stabilisée à grand coût, c’est encore le cas des falaises crayeuses normandes, en particulier à hauteur d’Ault et de Criel-sur-Mer. À Ault (Picardie) et en un siècle ce sont « trois rues » qui sont parties à la mer et sans qu’on trouve une solution raisonnable. Il est vrai que les digues qui défendent l’entrée des ports normands, Dieppe, Le Tréport, ont piégé de telles quantités de galets que le pied de la falaise, dégarni, est constamment sapé par les vagues, entretenant l’effondrement par saccades de la falaise. Cause naturelle, la falaise recule, c’est son destin. Cause anthropique, l’homme a doublement entretenu le phénomène, via les galets et via une urbanisation aventureuse ! Ce sont là deux exemples emblématiques.
Littoral de Vias (Hérault). Côte en érosion, lourdement protégée par des épis mal rechargés. Commune qui expérimente le « recul stratégique » face à la mer
Littoral de Vias (Hérault). Côte en érosion, lourdement protégée par des épis mal rechargés. Commune qui expérimente le « recul stratégique » face à la mer
9 Bien sûr également, les massifs dunaires « taillés en falaise – et c’est bien la preuve que leur front s’érode – reculent chaque hiver par lents grignotages, ou à l’occasion de grandes tempêtes. Là encore, un bilan s’impose et surtout une connaissance réaliste des conditions de l’évolution : ce sont les côtes landaises qui sont les plus affectées et bien d’autres petits massifs, en Bretagne par exemple. Il est vrai que la dernière guerre fut dramatique pour ces massifs dans lesquels les casemates allemandes ont exigé… le sable de leur construction… qui manque aujourd’hui comme manquent les énormes volumes prélevés dans les plages, après 1945 à La Baule et en d’autres lieux ! Là encore, plus l’homme est responsable qu’une quelconque accentuation de l’érosion des côtes.
Les progrès récents…
10 Il faut bien avouer que ces « progrès » sont d’abord la conséquence d’une catastrophe, cette tempête Xynthia qui a fait plusieurs dizaines de victimes entre le sud Vendée et la Charente-Maritime. Pratiquement toutes ces victimes dormaient là où on n’aurait jamais dû autoriser la moindre construction : les responsabilités humaines sont éclatantes là où l’événement fait que la presse met l’accent sur le « jamais vu » de la catastrophe.
11 D’assez longue date, les alertes n’ont pas manqué, quelques « Cassandre » -universitaires en particulier - mettaient l’accent sur les insuffisances de la connaissance, sur le caractère routinier et bureaucratique des méthodes de lutte contre les flots, sur le « système » qui présidait aux travaux. Sur de possibles nouvelles méthodes mises en pratique (États-Unis, Pays-Bas, Espagne…) comme les rechargements de plage. Le vote par le parlement de la loi du 3 janvier 1986 ouvrait quelques portes, assez vite refermées. Comme hélas souvent, il faut du sang et des larmes pour que l’on bouge, en France en particulier. Depuis Xynthia, rapports et textes réglementaires se sont multipliés : un activisme dont on ne saurait cependant se gausser. Mieux vaut tard que jamais. Un rapport parlementaire donne le signal : à la tête du groupe de travail, Alain Cousin, député de la Manche. Un gros travail de mise à plat des questions à régler. Et d’abord un état des lieux demandé : développer une cartographie nationale de l’érosion côtière et identifier des zones d’érosion forte ; développer des stratégies partagées entre les acteurs et les mettre en œuvre. De la connaissance devrait découler une meilleure appréhension des solutions, techniques et politiques ; quant aux « stratégies partagées », elles s’inscrivent dans l’émergence (depuis 1995 au moins…) de la notion de gestion intégrée des zones côtières. Le rapport débouchera sur « la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte ». L’air du temps d’un côté, la nécessité de l’autre et avec tout cela en quelques années des plans plus ou moins accordés les uns aux autres, PPRL (Plan de prévention des risques littoraux), PSR (Plan submersion rapide), plan digues, pas le moins compliqué à mettre en œuvre du fait que l’on ne connaît pas tous les propriétaires de terrain en zones basses et qu’une partie de ceux-ci ne savent pas qu’ils sont propriétaires… Dernière mesure en gestation, la plus sage mais, quant à la mettre en œuvre, il y faudra du temps : organiser le recul face à la mer, le redéploiement stratégique (on aime le vocabulaire militaire) là où la menace se précise. Ce n’est qu’expérimental et en cinq sites laboratoires : dans les Landes (expérimentation à Lacanau) où le recul est constant, c’est sans doute crucial mais on le sait depuis longtemps…
12 Ce n’est pas l’érosion qui est dangereuse en bord de mer, c’est l’inaction de l’Homme face au piège dans lequel il s’est lui-même enfermé. L’érosion côtière n’est en bien des lieux que le miroir de nos illusions.
Bibliographie
Pour aller plus loin :
- Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Etat des lieux, mer et littoral. Rapport final, octobre 2014.
- Alain Miossec, Les littoraux, entre nature et aménagement. 3° édition, A. Colin, 2009.
- Alain Miossec, « La loi littoral et la protection du trait de côte contre la mer » in Les trente ans de la loi littoral. L’Harmattan, 2017, pp. 315-329.