1Figure controversée de l’occultisme occidental, Cagliostro continue de fasciner. En campant le personnage et en suivant ses pérégrinations, Alain Queruel nous entraine dans l’Europe de la fin du Siècle des Lumières.
2Entreprise téméraire que celle qui consiste à dresser la statue de l’une des figures les plus contestées de l’occultisme occidental : Joseph Balsamo alias Alexandre, comte de Cagliostro ! Tel est le défi relevé par Alain Queruel, ingénieur chimiste de formation, historien de l’alchimie et enseignant chercheur à l’Université ouverte Paris VII Diderot. Le sous-titre dit suffisamment l’hommage subliminal qu’entend rendre l’auteur au Don Quichotte de Cervantès et à la chevalerie errante. Saluons donc la croisade de ce chevalier à la blanche hermine sur le chemin de vérité de son héros.
3D’emblée, l’auteur fait litière de la théorie rapportée par les encyclopédies, les notices prosopographiques et les biographies plus ou moins autorisées, selon laquelle il y aurait identité entre Cagliostro et Balsamo ; l’un serait le pseudonyme de l’autre et réciproquement. Il faut convenir que les arguments développés sont assez convaincants, même s’ils ne sont pas partagés par la majorité des herméneutes s’étant penchés sur le phénomène.
Un personnage fascinant
4Mage parmi les mages d’une époque qui n’en manquât point, le personnage fascine. Dès l’introduction, Quéruel contextualise son sujet ; il campe fièrement la figure de son héros et fait bien ressortir ce qui le distingue de ses confrères thaumaturges, devins, prophètes, alchimistes, bienfaiteurs de l’humanité ou véritables escrocs : Franz Anton Mesmer, Casanova ou le comte de Saint-Germain – dont Cagliostro se prétendra parfois le disciple.
Buste de Cagliostro par J.-A. Houdon, 1786, National Gallery of Art, Washington DC
Buste de Cagliostro par J.-A. Houdon, 1786, National Gallery of Art, Washington DC
5La première partie du livre - heureuse accroche - est consacrée aux voyages de l’aventurier. La pérégrination commence à Londres en 1776, avec un premier scandale sur la loterie d’Angleterre. Les étapes majeures sont judicieusement analysées dans leur dimension d’hypnose collective : Mittau, capitale du duché de Courlande (l’actuelle Lettonie), Saint-Pétersbourg, Varsovie, Strasbourg, Lyon, Paris, avec l’affaire du Collier de la Reine, prologue de la Révolution française ; suivent un bref retour à Londres, la Suisse, l’Allemagne, jusqu’à la chute finale à Rome, dans les griffes du Saint-Office.
Néo-gnostiques, rosicruciens et francs-maçons spiritualistes
6Chemin faisant, l’auteur dresse le portrait des souverains et des grandes figures intellectuelles de l’Europe du Siècle des Lumières : Goethe, Lavater, Swedenborg… les prophètes de l’Illuminisme, qu’ils soient d’Avignon — Dom Pernéty ; ou de Bavière — Adam Weishaupt. Sur les pas de Cagliostro, le lecteur croise tout ce que l’Europe compte de néo-gnostiques, de rosicruciens, de franc-maçons spiritualistes : Joachim Martinès de Pasqually, Louis-Claude de Saint-Martin, Jean-Baptiste Willermoz, ainsi que d’autres figures de moindre rayonnement… Au cours de ses voyages, Cagliostro se distingue par ses dons de devins et de médecin-guérisseur. À Londres, il donne plusieurs fois de suite les numéros gagnants de la loterie nationale, ce qui ne pouvait que lui attirer les foudres des pouvoirs publics. Ses visions, à l’aide de jeunes médiums, par les techniques de l’hydromancie, lui attirent à la fois l’admiration du public et l’hostilité de ses concurrents. Sa troublante prédiction de 1785, en présence de nombreux témoins, demeure une énigme : Peu de temps s’écoulera avant que Louis XVI ne soit assailli par le peuple dans son palais de Versailles. Un duc conduira la foule. La monarchie sera renversée…
Alchimie et franc-maçonnerie
7Le corps de l’ouvrage est centré sur les deux cordes de l’arc du mage Cagliostro, l’alchimie et la franc-maçonnerie, la seconde étant parfois considérée - avec des réserves - comme l’arche des connaissances mystérieuses de la première. Sur ce chapitre, l’auteur ne nous évite pas quelques envolées immodestes : Il n’est pas dans notre intention ici d’écrire un livre sur l’alchimie, l’ayant déjà fait à de multiples reprises. Reproche mineur, puisque Queruel note avec pertinence qu’à côté de la pratique de l’adepte consistant à faire de l’or avec le vil métal, par alchimie, il faut entendre la finalité thérapeutique, ce que Paracelse nommait la spagyrie. L’auteur montre bien que partout où il passe, Cagliostro vit la même aventure : Il est d’abord accueilli avec intérêt et sympathie par la communauté médicale. Il obtient des guérisons spectaculaires, mais lorsqu’on se rend compte qu’il soigne gratuitement les malades, il est honni par la corporation des médecins, pourchassé par la police et il doit prendre la fuite.
8Quant à l’émergence de la maçonnerie égyptienne, qu’on associe souvent à l’expédition des pyramides, l’auteur rappelle cette évidence : Le système de Cagliostro, sur des bases égyptiennes, coptes et chrétiennes, est antérieur de dix ans à la campagne d’Égypte menée par Bonaparte.
9L’ouvrage fourmille de détails pittoresques sur les mouvements gnostiques, hermétiques, délirants ou révolutionnaires d’une époque fascinante. Puisant aux meilleures sources de la maçonnologie contemporaine - Roger Dachez, Antoine Faivre, Daniel Ligou, Pierre Mollier - l’auteur proteste de la régularité de sa méthode, conforme, selon lui, aux canons de la recherche historico-critique ; cependant on ne peut s’empêcher de relever une certaine complaisance vis-à-vis de sources moins recommandables, écrits romantiques ou hagiographiques incompatibles avec l’agnosticisme méthodologique de rigueur. Mais que cette ombre de suspicion ne dissuade pas l’amateur de la geste du Grand Cophte de la lecture de cette belle biographie.