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Article de revue

De la musique maçonnique (s’il en est une)

Pages 58 à 63

Notes

  • [1]
    Philippe A. Autexier, La colonne d’harmonie – Histoire, théorie, pratique, Detrad, Paris, 1995.
  • [2]
    Chants maçonniques des Hauts Grades, 1 livre + 1 CD, Véga, 2008.

Ya-t-il une musique maçonnique ? Mélomanes amateurs ou spécialistes en disputent depuis longtemps et la querelle ne paraît pas près d’être tranchée. De nombreuses activités (le film) ou corporations (les armées, le cirque) en ont une, reconnaissable entre mille. Mais, pour l’artiste lyrique et compositeur Bernard Muracciole, de musique maçonnique il n’y en a point.

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Illustration Jean-Pie Robillot

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Illustration Jean-Pie Robillot

2Artiste lyrique et metteur en scène, je me suis intéressé à la musique maçonnique, et plus précisément à la chanson maçonnique, par la grâce d’une loge qui me demanda, il y a une quinzaine d’années, une planche sur ce sujet. Depuis, j’ai enregistré quatre CD …

3Bien entendu, à la suite de ma première intervention, j’ai promené ma planche aux quatre coins de l’hexagone, y compris, tout récemment, dans ma contrée d’origine, la Corse.

4Les questions les plus fréquemment posées à l’issue de ces tenues furent : « Qu’est-ce qu’une chanson maçonnique ? » et surtout « Existe-t-il une musique maçonnique ? »

5Tout en précisant que je n’étais ni instrumentiste ni musicologue, j’ai toujours répondu en ma qualité d’interprète. Voici le fruit de ces dizaines d’interventions :

Chanson maçonnique ?

6Pour moi, une chanson maçonnique est un air dont les paroles et la musique vont communiquer une émotion supplémentaire et transcender ainsi une ou plusieurs phases d’un rituel.

7Combien de fois des Frères et des Sœurs m’ont-ils dit : « Tu as chanté pour mon initiation ou pour mon élévation à tel ou tel grade, j’ai encore ta voix dans mon oreille, ce fut un instant magique ! ».

8Malgré le plaisir que me procurent de tels compliments, je n’imagine pas une seconde que cela puisse être ma voix qui ait créé de pareils souvenirs dans l’esprit de ces auditeurs : quel que soit l’interprète, l’effet aurait été le même.

9C’est cette vibration de l’air mis en mouvement par les décibels de la voix, et la présence physique du chanteur, qui ont provoqué l’émotion.

10Nous sommes tellement habitués aux enregistrements mécaniques que le chant en direct reste toujours porteur de sensations fortes et durables.

Musique maçonnique ?

11Maintenant, je vais essayer d’apporter une réponse, la mienne, à la deuxième interrogation : existe-t-il une musique maçonnique ?

12Je vais argumenter mon propos en plusieurs points.

13Tout d’abord, des spécialistes ont décrété que, de même qu’à chaque degré correspondent un âge, une batterie et un nombre, de même, il suffirait de se servir de ces nombres pour obtenir de la musique maçonnique !

Dés leur première publication en 1723, les Constitutions d’Anderson comprennent des chansons. Ci-contre la chanson des Maîtres.

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Dés leur première publication en 1723, les Constitutions d’Anderson comprennent des chansons. Ci-contre la chanson des Maîtres.

© Photo Chaîne d’union.

14Prenons, par exemple, la tonalité de mi bémol majeur qui comprend 3 bémols. Une musique écrite dans cette tonalité devrait donc être maçonnique et correspondre au grade d’Apprenti dont l’âge est 3 ans.

15Mozart, lui, n’aurait pas utilisé les nombres dans le même ordre. D’aucuns, en effet, affirment qu’il avait mis au point un système le conduisant à écrire dans des tonalités comportant un nombre d’accidents (bémols ou dièses) correspondant à des grades précis : 2 accidents pour le Compagnon et 3 pour le Maître (assez logiquement, je suppose que 1 bémol ou 1 dièse était réservé tout naturellement à… l’Apprenti !).

16Effectivement, on s’aperçoit que, dans un de ses lieder (Die Gesellenreise, en si bémol majeur – en français : le voyage du Compagnon), écrit pour une élévation au grade de Compagnon, il y a bien 2 bémols à la clef et, pour une exaltation à la Maîtrise (Maurerische Trauermusik, en ut mineur), il y a 3 bémols.

17Dans ses 8 autres chants composés pour la Franc-maçonnerie, on trouve, sans signification majeure, des tonalités à 3 accidents, 2 accidents ou sans accident du tout…

18De plus, il parait que, lorsque Mozart mettait 4 accidents, il était censé évoquer les quatre angles du carré long !

Transpositions

19En admettant que la musique maçonnique se doive de comporter 3 ou 5 accidents (pourquoi pas 7 aussi ?), se pose alors tout d’abord la question des transpositions.

20L’hymne du Droit Humain fut écrit par le Frère André Gédalge en mi bémol majeur, donc avec 3 bémols.

21Etant baryton, si je devais chanter en soliste l’Hymne du droit Humain (écrit pour un quatuor vocal), je devrais forcément l’interpréter dans une tonalité plus grave, par exemple en ré majeur avec 2 dièses, ou en do majeur sans accident.

22Cet air, transposé, ne serait donc plus maçonnique ? Pourquoi, à cause d’un changement de tonalité ?

23Philippe A. Autexier, dans son livre sur la colonne d’Harmonie [1], écrit : « Le seul fait de rencontrer une ‘tonalité maçonnique’ ne garantit d’aucune façon le caractère maçonnique d’une œuvre. La prudence s’impose dans tous les cas… »

24Cette assertion venant d’un spécialiste pourrait mettre fin à ce sempiternel questionnement sur une supposée musique maçonnique.

Coffret à disques à motifs maçonniques de Henri-Jean Mainguy dit Deguillemain, XXe siècle

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Coffret à disques à motifs maçonniques de Henri-Jean Mainguy dit Deguillemain, XXe siècle

La faute au diapason ?

25Une deuxième question, amenant la même conclusion, se pose : depuis l’époque du Frère Mozart, il est communément admis que le diapason, cet objet qui permet aux instruments de s’accorder ensemble, est monté d’un demi-ton, la responsabilité en étant attribuée aux orchestres d’Amérique du nord.

26Il est certain que, lorsque l’on utilise des instruments d’époque, on ne peut généralement pas les accorder suivant l’actuel diapason, les cordes surtout ne résistant pas à une tension trop forte.

27Par conséquent, un air écrit par Mozart en mi bémol correspond aujourd’hui à une tonalité de mi naturel.

28Si je ne m’abuse, donc, toute la musique maçonnique du XVIIIème siècle ne serait plus maçonnique de nos jours du fait de l’élévation du diapason ?

29Me référant à mon vécu d’artiste lyrique, je veux ajouter quelques mots sur un opéra, Le chevalier vermeil, écrit par le Frère Gérard Gefen et mis en musique par le Frère Claude Ricard, que j’ai eu le bonheur de créer en 1982 salle Cadet, au Grand Orient de France.

30Le texte en est éminemment maçonnique, mais je ne pense pas que notre Frère compositeur Claude ait songé à des tonalités spéciales.

31Il a mis un certain temps à écrire cet ouvrage et, du fait de problèmes techniques, il a accumulé du retard pour sa livraison.

32Dans les derniers jours, il fallait presque lui arracher des mains les dernières pages, à peine sèches, pour les apprendre et les chanter quelques jours après.

33Notre Frère compositeur ne faisait, sans le vouloir, que suivre en cela les musiciens des siècles passés qui, composant sur commande, étaient obligés d’écrire vite et parfois même plusieurs partitions différentes en même temps.

34Alors, imaginer que Mozart, et tant d’autres compositeurs, connaissant presque tous des problèmes d’argent et donc pressés par le temps, aient pu passer des heures à construire des pièces entières suivant des systèmes maçonniques ! Le non-spécialiste que je suis en doute beaucoup.

Musiques profanes sur textes maçonniques

35Après m’être penché sur les tonalités et les systèmes dits maçonniques, avoir parlé des transpositions et de l’élévation du diapason, j’en viens au dernier point.

36Un certain nombre d’airs maçonniques du XVIIIème et du XIXème siècles ont été écrits sur l‘air de, l’air en question étant une chanson à la mode à l’époque, ce que nous appelons de nos jours un tube !

37Dans mon dernier CD, consacré aux Hauts Grades [2], 5 cantiques ont été écrits sur des musiques profanes préexistantes.

38Bien futé qui pourrait trouver une symbolique maçonnique quelconque dans l’air « Peuple français, à toi dont la victoire… », dans « Il faut rire, rire, rire… » ou dans la « Pipe de tabac » !

39Pour ce disque, n’ayant pu retrouver certaines musiques, j’ai composé 11 airs sur des paroles anciennes.

40Ne me prenant ni pour Naudot ni pour Sibelius et encore moins pour Mozart, j’ai essayé seulement d’apporter aux textes qui m’étaient soumis des musiques pouvant illustrer ces vers, de rester dans le contexte de l’époque, de suivre les fluctuations de la langue, de mettre en relief les symboles évoqués par les auteurs, donc de faire en sorte qu’il y ait osmose entre les textes et mes musiques.

41A aucun moment je ne me suis demandé si ma musique était maçonnique, si je devais tenter de trouver une tonalité plus adaptée au grade auquel est consacré cet air…

42J’espère seulement que les auditeurs, en écoutant ces morceaux, éprouveront les mêmes sentiments que ceux que j’ai ressentis en les composant.

43Voilà quelques réponses aux questions posées par des Frères et des Sœurs.

44Je n’ai parlé que de mon vécu, de mon ressenti, laissant aux autres la faculté de penser différemment.

Notes

  • [1]
    Philippe A. Autexier, La colonne d’harmonie – Histoire, théorie, pratique, Detrad, Paris, 1995.
  • [2]
    Chants maçonniques des Hauts Grades, 1 livre + 1 CD, Véga, 2008.
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