1L’œuvre du génial malentendant regorge de pièces qui font la joie de n’importe quel maître d’harmonie.
2Alors que je quittais la tenue, avec dans l’oreille l’Ode à la Joie de Ludwig van Beethoven, symphonie n°9, un Frère m’interpelle : « Ah ! cette musique maçonnique, quelle beauté ! ». Encore un, pensai-je, qui prend l’extraordinaire Ludwig pour un Maçon. Mais encore une erreur historique. Non, trois fois non, contre toute apparence, Beethoven (1770-1827) ne fut jamais maçon.
3Plusieurs commentateurs ont répandu ou accrédité la thèse de l’appartenance maçonnique de Beethoven, de façon péremptoire. Après de solides recherches dans les archives maçonniques, tant en Allemagne qu’en Autriche, rien ne prouve cette thèse. S’agissant d’un compositeur d’une telle importance, son appropriation par les Maçons était plausible, et pour cela ils avancent des hypothèses fondées sur le caractère de certaines œuvres.
4Ce n’est pas parce que Beethoven a côtoyé dans sa vie des Francs-maçons que lui même le devint, comme Goethe ou Rodolphe Kreutzer (1766-1831), violoniste de génie, membre de la loge La Concorde à l’Orient de la Cour à Versailles. Ludwig l’entend à Vienne en 1803 et lui dédie sa sonate pour violon n° 9, qui devient « sonate à Kreutzer ».
Trois preuves qui ne résistent à aucun examen
5Toujours pour accréditer cette thèse, certains exégètes trouvent des « preuves » dans son œuvre, au nombre de trois ! La mystérieuse suscription portée par le compositeur sur le manuscrit de l’Adagio du 7ème Quatuor en fa majeur, op. 59, n° 1 : « Un saule pleureur ou un acacia sur la tombe de mon frère ». Le saule pleureur ne fait pas partie de la symbolique maçonnique ; quant à l’acacia, ce n’est pas une exclusivité de l’Ordre, la Bible cite cet arbre plusieurs fois, car c’est un bois imputrescible. On attribue aussi au compositeur deux lieder maçonniques : « A l’initiation d’un Maçon » (Bei der Aufnahme eines Maurers), et « Questions maçonniques » (Maurerfragen). Il s’agit de deux textes qu’il avait mis en musique en 1790 et qui n’avaient rien de franchement maçonnique.
6C’est dans « l’Ode à la joie » de la 9ème Symphonie qu’on a cru trouver la preuve ultime de l’appartenance de Beethoven à notre Ordre. Un passage du finale du second acte de son opéra Fidelio comporte la phrase : « un frère qui cherche ici ses frères, heureux de les aider s’il le peut », montre bien, d’après certains, que Beethoven en est. La encore, l’antithèse est commode : le lied de Schiller (1759-1805), écrit en 1785, fut souvent dit et chanté dans les Loges allemandes, et particulièrement en Rhénanie, mais ô désespoir ! Schiller lui-même ne fut jamais Franc-maçon !
7Schiller et Beethoven partagent avec les Francs- maçons bien des convictions. Beethoven a exalté la fraternité universelle des hommes de bonne volonté, exprimé la certitude de l’existence d’un Dieu créateur. Les idéaux humanistes de fraternité universelle, de liberté et de justice étaient les siens. Mais on n’y peut rien, Beethoven ne fut jamais un compagnon de route de la Franc-maçonnerie. A propos de Beethoven, le regretté Philippe Autexier écrivait : « Il nous faut nous méfier de ce qu’il nous ferait plaisir de croire ».
L’Ode à la joie exalte les cœurs comme au premier jour
8Malgré cette déconvenue (relative), continuons d’écouter, lors des tenues, l’Ode à Joie et, pour ce, je propose deux magnifiques enregistrements de la Symphonie n° 9, par Wilhelm Furtwangler, enregistrée le 22 août 1954 au Festival de Lucerne (Productions Tahra, 1 allée Georges Bizet à Bezons 95850), avec comme soprano Elisabeth Schwarzkopf ! Et, du même génial chef, chez Deutsche Grammophon, pour le 150ème anniversaire du Wiener Philharmoniker, de 1953.
9Enfin toute l’œuvre de Beethoven, en cinquante compacts en un seul coffret, chez EMI Music France. La 9ème est placée sous la direction d’André Cluytens, enregistrement de 1960 avec l’orchestre Philharmonique de Berlin. Ce coffret rassemble les meilleurs enregistrements tant des symphonies que des concertos pour violon et sonates pour violon et piano. Largement de quoi trouver un accompagnement musical de qualité pour une tenue.
10Je ne voudrais pas finir cette chronique sans souhaiter un bon anniversaire à Régine Crespin, la plus wagné- rienne des chanteuses françaises. Pour cet anniversaire, EMI édite un coffret de 4 CD sous le titre l’Album du 80ème anniversaire, qui permet d’entendre la chanteuse dans le répertoire français, allemand et italien. Mme Crespin est une des rares sopranos françaises à avoir chanté à Bayreuth. C’est un authentique bonheur pour les mélomanes et les autres…