Question du psychiatre
1Comme beaucoup de psychiatres, je suis dérouté par la loi du 26 janvier 2016 [1] qui emploie le terme de « décision » pour la mise en isolement ou la contention, alors qu’en tant que médecin je suis habitué à la notion de « prescription ». Il s’agit pour moi de prescrire une mesure thérapeutique. Peut-on imaginer que l’isolement et la contention ne seraient pas thérapeutiques ?
2 En outre, des réactions diverses à ce changement de terme font état qu’en optant pour « décision », il s’agirait d’une mesure administrative. Au quotidien, je n’ai pas conscience d’être une autorité administrative, contrairement au directeur. Ne serait-ce dans ce cas pas à lui de décider de la mesure après que je l’ai prescrite, suivant en cela la procédure des soins sous contrainte : le médecin propose et le directeur ou le préfet décident ?
Réponse du juriste
3Il est vrai que la lecture des dispositions de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique a de quoi surprendre à la première lecture et que ses conséquences pratiques sont nombreuses. Selon le législateur, « l’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d’un psychiatre, prise pour une durée limitée ». Il n’est pas question de reprendre ici les raisons qui ont conduit à retenir cette formulation, mais d’en proposer une lecture conforme aux principes de l’État de droit qui gouverne les relations entre les administrés et la puissance publique. Rappelons tout d’abord que la loi est intervenue afin de fixer un cadre normatif à l’usage des moyens de contrainte indispensables à la prise en charge de certains patients. En procédant de la sorte, le Parlement cherche à garantir que le recours à la chambre d’isolement ou à la contention ne sera pas détourné de sa finalité thérapeutique. La première garantie consiste à dresser la liste des personnes qui peuvent y avoir recours. Sur ce point, le législateur est très clair puisqu’en dehors du psychiatre, personne ne peut faire le choix de les utiliser. Le directeur, le préfet, l’administration pénitentiaire ne peuvent exiger qu’un patient y séjourne par exemple. Ensuite, le terme « décision » permet d’écarter un usage réglementaire de ces deux techniques. Il est en effet illégal d’en prévoir dans un règlement intérieur ou dans un « protocole » un usage systématique à l’encontre d’une catégorie de patient.
4En ce qui concerne le terme juridique de « décision », il y a plusieurs manières de s’approprier les dispositions de l’article L. 3222-5-1, tout en respectant l’esprit du législateur. Il faut d’abord savoir que toute prescription est une décision, mais que toute décision n’est pas une prescription. Depuis toujours, les psychiatres intervenant dans les établissements de santé peuvent être amenés à décider. Dans certaines conditions liées à l’incapacité à consentir du patient ou à l’urgence de la situation, ils prennent des « décisions unilatérales qui s’imposent au malade ». Compte tenu de leurs fonctions, les psychiatres ne doivent théoriquement agir que pour des motifs médicaux [2]. Un placement en chambre d’isolement qui serait décidé à titre de sanction serait non seulement illégal, mais assimilable à une voie de fait. Si l’on fait une lecture purement légaliste de l’article, on peut même imaginer qu’un psychiatre puisse décider de recourir à l’isolement ou à la contention pour un motif médical sans avoir préalablement vu le patient. Par contre, il ne pourra « prescrire » les modalités de surveillance et la durée qu’après l’avoir examiné. Deux situations sont alors possibles. La première va se rencontrer lorsque le psychiatre sera physiquement dans le service au moment où la situation exigera d’user d’une de ces techniques. Dans ce cas, le psychiatre décidera en rédigeant une prescription fixant la durée et les modalités de la mesure. L’autre hypothèse se rencontrera lorsqu’un patient très agité se mettra gravement en danger ou menacera les tiers et que l’équipe infirmière réagira. Immédiatement après avoir « isolé » le patient, le psychiatre sera contacté afin de décider l’isolement ou la contention. Sur la base des déclarations de l’équipe infirmière, il préconisera les modalités de surveillance adaptées jusqu’à son arrivée dans les plus brefs délais dans le service. C’est alors qu’il pourra prescrire en détail les modalités et la durée de la contrainte après avoir examiné le patient. Il dispose sur ce point d’une liberté de prescription et pourra s’il est en mesure de la justifier s’écarter des recommandations de bonnes pratiques de la Haute autorité de santé (HAS) ou des protocoles prévus dans l’établissement. Sa décision individuelle s’appuiera en effet sur son analyse de la situation, sur le profil du patient et fera l’objet d’un écrit. Cette décision s’imposera alors au patient, qui pourra en contester la légalité ou les effets devant le juge administratif s’il estime que le psychiatre a agi illégalement.
5Quant à la seconde partie de votre question, le législateur vient en effet rappeler que la décision de placement à l’isolement ou d’user de la contention est juridiquement qualifiable « d’acte administratif unilatéral ». Sur ce point, il n’innove pas, mais clarifie la situation juridique en se positionnant dans la droite ligne de la jurisprudence du Conseil d’État. Il s’agit pour être précis d’une « décision administrative individuelle portant atteinte aux libertés individuelles » au sens de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs (codifiée désormais à l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration). Cette loi oblige une « autorité administrative » à motiver en détail ses décisions afin de permettre à l’administré de comprendre les raisons ayant conduit à la solution retenue. Le défaut de motivation ou son caractère stéréotypé sont d’ailleurs une cause fréquente d’annulation des décisions administratives. À l’hôpital, il n’y a pas que le directeur qui est considéré comme une autorité administrative. Tout agent qui participe à la mise en œuvre d’une mission de service public est considéré comme tel. Chacun dans son domaine de compétence va être amené à prendre une multitude de décisions. Les plus connues et facilement identifiables sont certes celles prises par le directeur lorsqu’il admet un patient, lorsqu’il sanctionne un agent ou lorsqu’il signe une convention au nom de l’établissement. Le personnel soignant va lui aussi prendre des « décisions » au sens juridique du terme. Pendant longtemps, ces « décisions » étaient considérées par le juge administratif comme des « mesures d’ordre intérieur » et ne pouvaient pas à ce titre faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif. Désormais depuis en particulier les jurisprudences Marie et Hardouin (CE, 17 février 1995, rec. Lebon p. 82 et 85) qui portaient sur des questions militaires et pénitentiaires, la notion de mesure d’ordre intérieur connaît un très sérieux recul et le nombre de contentieux ne cesse d’augmenter. Je prendrais simplement deux exemples en matière psychiatrique : la contestation d’une prescription de risperidone (CE, 16 juillet 2012, CHS G. Régnier, no : 360793, JCP adm 2013 ; 2168 : 37 ; TA de Rennes, 18 juin 2012, no 1202373, Madame A. contre CHS Guillaume Régnier, JCP adm 2012 ; chron. 2321) et la contestation des conditions de séjours dans une chambre d’isolement (CAA Marseille, 21 mai 2015, no 13MA03115). Dans ces deux affaires, les patients ont saisi le juge administratif afin que celui-ci vienne contrôler le fonctionnement quotidien d’un service de psychiatrie. Dans la première, le juge des référés a qualifié une ordonnance d’acte administratif dont la légalité pouvait faire l’objet d’un contrôle de légalité. Dans la seconde, le juge de l’indemnisation a condamné l’établissement du fait des conditions d’hospitalisation en chambre d’isolement. La loi de 2016 s’inscrit dans cette logique. Ce n’est pas au directeur de placer en chambre d’isolement ou de recourir aux contentions. Par contre, ce dernier doit être alerté le plus rapidement possible des choix du psychiatre par le biais du registre afin de pouvoir éventuellement faire procéder au changement de modalité de prise en charge d’un patient qui était jusqu’à la décision du psychiatre en soins libres.
Liens d’intérêts
6Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Bibliographie
Références
- 1. Loi n̊ 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. NOR : AFSX1418355L. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000031912641&fastPos=1&fastReqId=1190925541&categorieLien=cid&oldAction=rechTexte..
- 2. Instruction n̊ DGOS/R4/DGS/SP4/2017/109 du 29 mars 2017 relative à la politique de réduction des pratiques d’isolement et de contention au sein des établissements de santé autorisés en psychiatrie et désignés par le directeur général de l’agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement..