Notes
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Equipe de thérapie familiale de la Fondation de l’Élan retrouvé, 23 rue de la Rochefoucauld, 75009 Paris.
Introduction
1 Le repli à domicile associé au retrait relationnel d’un jeune adulte est un motif fréquent de recours à la thérapie familiale.
2 Plusieurs facteurs étiologiques, intriqués, peuvent contribuer à ce repli qu’ils soient sociaux (exigence de réussite, chômage), individuels (facteurs psychologiques, pathologies psychiatriques) ou encore intrafamiliaux [1, 2]. Ce sont ces derniers aspects qui nous intéressent plus spécifiquement ici.
3 Pour les familles que nous rencontrons, le recours à la thérapie familiale dans les situations de repli rejoint les indications généralement admises, c’est-à-dire lorsque le symptôme a des conséquences sur le fonctionnement familial ou lorsqu’il y a une demande du patient ou de la famille [3]. L’indication peut se faire à la demande du thérapeute du patient désigné pour compléter la prise en charge individuelle.
4À l’Élan retrouvé [1], nous rencontrons plus particulièrement des familles après un parcours de soins individuels pour le jeune pour qui un diagnostic psychiatrique a été posé : schizophrénie, trouble bipolaire, dépression, addiction à l’alcool ou au cannabis, trouble de la personnalité. Nous voyons d’après la multitude des diagnostics sus-cités que le repli et le retrait relationnel qui lui est associé sont des symptômes transnosographiques.
5Le principe essentiel de la thérapie familiale est une lecture du comportement du patient via l’analyse du contexte dans lequel il s’inscrit ; lecture qui se fait dans le cadre d’un travail de co-construction thérapeute/famille. L’élargissement du cadre de lecture du symptôme a pour visée de lui donner de nouvelles significations, d’en comprendre sa fonction et d’identifier notamment les facteurs familiaux qui contribuent à son maintien. Le fait que ce travail d’analyse s’instaure dans une dynamique de co-expertise avec la famille, en posant des points de repères et de compréhension, permet de réamorcer une capacité de changement [4].
6 Sur quelles théories systémiques pouvons-nous nous appuyer lorsqu’une famille consulte, amenant l’un des leurs, pour repli au domicile depuis plusieurs années ?
7 Nous verrons dans un premier temps, dans quel cadre de lecture systémique peut s’inscrire le repli d’un jeune adulte. Pour cela, nous décrirons le cycle de vie comme support à une narration de l’histoire et recadrage du symptôme. Puis, nous définirons la co-construction et le questionnement circulaire, outils précieux dans la prise en charge des familles. Nous illustrerons notre propos en nous appuyant sur des vignettes cliniques de l’équipe de thérapie familiale de l’Élan retrouvé. Enfin, nous reviendrons sur la question des modalités d’accompagnement et de prise en charge : une prise en charge familiale est-elle plus pertinente qu’un suivi individuel ? Ou l’inverse ? Ou les deux ?
Le cadre de lecture systémique
8Chaque famille est considérée comme un écosystème c’est-à-dire « un ensemble organisé d’éléments en interaction évoluant dans le temps en fonction du milieu et de finalités, tel que tout événement concernant l’un de ses éléments retentit sur tous les autres » [5] . Les différents éléments du système influencent leur environnement via des actions et des rétroactions dans une dynamique d’échange et de réciprocité. Cette dynamique est donc circulaire ou plutôt pseudo-circulaire.
9En effet, l’état d’équilibre optimal d’une famille n’est pas une immobilité, c’est au contraire « une suite de mouvements, une alternance d’actions et de rétroactions centrifuges (favorisant le mouvement) et centripètes (maintenant le statu quo) qui s’enchaîne circulairement, à laquelle s’ajoute la notion de processus, c’est-à-dire un mouvement diachronique » [5]. C’est ce processus qui crée la pseudo-circularité.
10 Le moment de crise, qui conduit la famille en thérapie, est un moment de déséquilibre lié à un événement qui vient perturber l’homéostasie du système. Les règles relationnelles habituelles ne peuvent pas y répondre. L’événement dont il s’agit ici correspond à la persistance du repli à domicile du jeune adulte et à l’échec du processus d’autonomisation officiellement attendu.
La toile de fond : le cycle de vie familial
11 Grâce notamment aux travaux de J. Haley, la notion, initialement sociologique, de cycle de vie familiale est aujourd’hui utilisée dans les thérapies familiales pour comprendre le comportement symptomatique d’un des membres en le reliant avec la difficulté de la famille à passer d’un stade à un autre.
12Dans son ouvrage « Leaving home », il affirme même de façon provocatrice que la spécificité du stade de la vie de famille a plus d’intérêt que le classement symptomatique du jeune [6].
Définition et pertinence clinique du cycle de vie
13Le cycle de vie familial est un concept proposé par les sociologues R. Hill et E. Duval dès 1948 décrivant la succession des phases que traverse une unité familiale, depuis sa constitution jusqu’à sa disparition. Historiquement, ils avaient divisé ce cycle en huit étapes, toutes reliées à des arrivées et des départs dans la famille (mariage, naissance, départ, décès…). Ce concept a par la suite été repris et développé par les thérapeutes familiaux tels que J. Haley, M. Bowen, S. Minuchin et E. A. Carter et M. Mac Goldrick dans les années 1970 [7]. Ces auteurs, dont nous verrons les apports spécifiques, se sont appuyés sur le cycle de vie pour les aider à penser et à soutenir en thérapie les processus d’autonomisation dans les familles.
14E. A. Carter et M. Mac Goldrick en s’appuyant sur différents modèles proposés par les sociologues auparavant, ont mis au point une nouvelle classification comprenant six stades. C’est sur leur classification que s’appuie la majorité des cliniciens. Ces stades sont les suivants : la vie au sein de sa famille d’origine, le départ de la maison du jeune adulte, la vie de jeune adulte célibataire, la formation du couple, la famille avec de jeunes enfants, la famille avec des adolescents, le départ des enfants et la vie à un âge plus avancé [8].
15La théorie de Carter et Mac Goldrick est basée sur le fait que chaque famille doit franchir ces stades les uns après les autres en répondant à un ensemble de tâches développementales et que dès lors qu’une de ces tâches n’est pas remplie, alors il y aura une plus grande difficulté lorsqu’il s’agira de passer le cap du stade suivant [8, 9]. De plus, à chaque stade, correspondent un défi émotionnel et des tâches organisationnelles spécifiques.
16 Ce modèle développemental, très normatif, a plusieurs limites : il pointe les déficits et les échecs de la famille en lui montrant ce qu’elle devrait/aurait dû faire ; il ne peut pas être appliqué aux « nouvelles familles » (famille monoparentale, famille recomposée…) [10] ; il laisse de côté le contexte historique et culturel sur le cycle de vie familiale avec l’oubli d’autres variables (ethnicité, religion, orientation sexuelle) qui ont un impact tout aussi important que les générations et la résolution des tâches développementales.
17 Afin d’éviter ces écueils dans la pratique clinique, le cycle de vie doit rester une arrière-pensée, une toile de fond pour le thérapeute qui prend en compte la singularité de la famille. Cette toile met en lumière les mouvements, les arrivées et les départs et leurs conséquences relationnelles. En effet, ces nouvelles variables vont modifier l’équilibre familial et obliger de nouveaux ajustements dans les règles relationnelles.
18 Le thérapeute propose à la famille de s’interroger ensemble sur ces mouvements et leurs conséquences et cela, dans la dynamique de la thérapie : le récit du cycle de vie propre à la famille devient une co-construction.
19 L’identification du stade dans le cycle de vie, permet d’envisager le comportement symptomatique individuel dans une perspective systémique. Ce recadrage introduit un autre point à partir duquel on décrit la situation évitant ainsi d’établir un déterminisme linéaire de la souffrance familiale. Le repli n’est plus la cause de la crise familiale mais son expression.
20 Il permet ainsi de décrire des crises familiales et individuelles d’une façon moins pathologique. Cet enrichissement et cette « dé-pathologisation » permettent à la famille d’alléger le poids du symptôme et de lui redonner confiance dans ses propres compétences pour sortir de la crise.
21 Enfin, le cycle de vie remet de la temporalité, un avant/après dans un moment de crise durant lequel le temps est comme suspendu. En effet, le repli est un symptôme qui fige le fonctionnement familial. C’est pourquoi l’histoire familiale, la mémoire transgénérationnelle, qui construit les mythes et les représentations, est interrogée.
22 Dans le cas du jeune adulte, on demande à la famille, via le questionnement circulaire, comment s’est passé le départ de la maison des parents et de leurs frères et sœurs ? Qui pourrait venir en parler avec eux ? Il est possible que les grands parents ou d’autres personnes identifiées comme ressource par la famille soient conviés à participer à des séances ultérieures.
23 Le futur est aussi interrogé (le syndrome du « nid vide »). Qu’imagine le jeune adulte des changements précipités par son départ de la maison ? Que feraient ses parents après son départ éventuel ? Que peuvent en dire les parents eux-mêmes ? On interroge aussi ce qu’il se passera si le symptôme persiste, c’est-à-dire ce qu’il se passera si le patient désigné conserve sa dépendance à sa famille quand les parents vieilliront et ne pourront plus s’occuper de lui comme aujourd’hui. Qui prendra le relais ? Il est alors utile d’inviter pour une ou plusieurs séances la fratrie qui jusque-là n’a pas toujours participé aux séances surtout si les frères et sœurs ont déjà pris leur autonomie de leur côté [11].
Spécificité du stade « départ du jeune adulte » : processus d’autonomisation dans la théorie systémique : la différenciation du soi, problématique de séparation/individuation
24Le départ d’un enfant du domicile familial ou du moins le processus de son autonomisation est un stade particulièrement critique pour la famille car il signe la fin d’une ère et annonce le début d’une autre. Les différents stades franchis jusqu’à présent étaient dans le sens de la croissance. L’autonomisation d’un enfant amorce la décroissance de la cellule familiale.
25 La famille et le jeune adulte négocient ensemble ce changement relationnel. L’issue de cette négociation est variable : une stagnation ou une nouvelle différenciation permettant l’autonomie. Lorsque la stagnation tend à l’immobilisme, cela est particulièrement coûteux en termes d’énergie et le symptôme apparaît alors, signe de la dysfonction relationnelle [12]. Le symptôme peut prendre différentes formes : phobie sociale, dépression chronique, addiction au cannabis ou encore l’exacerbation d’une autre maladie psychiatrique ou somatique. Plusieurs thérapeutes familiaux se sont intéressés au processus d’autonomisation.
26 Pour McGoldrick et Carter [9], l’objectif principal de ce stade est la capacité à s’autonomiser de manière affective et financière. Les différentes tâches sont la différenciation du soi dans sa famille d’origine, le développement de relations intimes avec des pairs, s’établir en ayant un travail ainsi qu’une indépendance financière.
27 Selon Salvador Minuchin : « le sentiment de séparation et d’individuation est créé par la participation à différents sous-systèmes dans la famille » [13]. Une femme peut être à la fois fille, sœur ou conjointe selon le sous-système familial considéré. C’est donc paradoxalement en expérimentant de multiples systèmes d’appartenance que peut se construire un sentiment d’individuation et d’autonomisation. Forte de cette expérience familiale, elle peut alors aller vers l’extérieur et devenir une collègue de travail, une amie, un parent d’élève, une bénévole… C. Vasselier, à partir de la problématique séparation/individuation de Minuchin, définit l’autonomie comme« la capacité de l’individu à gérer ses multiples appartenances et diverses inter-dépendances » [5].
28 S. Minuchin différencie alors schématiquement deux types de fonctionnement familial en fonction de leurs degrés de dépendance relationnelle et donc de leur autonomie : les familles « enchevêtrées » et les familles « désengagées » [13].
29 Les familles enchevêtrées sont celles où il y a un très faible degré de différenciation entre les membres de la famille mais aussi avec les familles d’origine. Les frontières sont mal définies entre les membres, les générations et avec les familles d’origine des deux conjoints. Cela donne une impression d’agrégat et de confusion. Il y a un degré élevé d’appartenance confinant à la dépendance. Le mouvement est essentiellement centripète, tourné vers la famille.
30 À l’inverse, les familles désengagées sont celles où il y a un degré élevé de différenciation entre les membres. Le mouvement est alors majoritairement centrifuge.
31 Ces deux extrêmes sont des fonctionnements plus rigides qui tolèrent mal le moindre changement et sont plus à même d’être en crise lorsqu’un événement survient.
32 M. Bowen, à propos de l’autonomie, parle lui de la différenciation du soi. Il le définit comme le degré de différenciation entre le fonctionnement émotif et le fonctionnement intellectuel (faculté de penser) chez une personne. En cas de basse différenciation entre les deux, l’individu est plus à même de rechercher la fusion émotive dans les relations individuelles avec une dépendance importante. Au contraire, une personne avec une grande différenciation entre les deux fonctionnements, est plus à même de s’autonomiser dans la relation et aussi de son système familial. Cette différenciation du soi est influencée par ailleurs par le propre degré personnel d’autonomie que le père et la mère ont eux-mêmes atteint dans la relation qu’ils ont entretenue avec leurs parents [14].
Les outils principaux : la co-construction et la circularité
33Au moment de la thérapie, la famille consulte car elle est confrontée à une crise qu’elle pense ne pas pouvoir traverser seule. Elle considère que toutes les stratégies mises en place pour aider le jeune à s’autonomiser échouent.
34Afin de rendre le cadre de la prise en charge thérapeutique favorable au changement, le thérapeute doit se positionner comme un « co-expert » vis-à-vis de la famille. C’est-à-dire qu’il doit s’appuyer sur les compétences et la créativité propres à chaque famille. Cette co-construction a pour objectif l’émergence d’un nouvel état d’équilibre qui soit décidé et donc accepté durablement par les familles [15]. Partant du principe que la famille a nécessairement les capacités pour aider le jeune à s’autonomiser, il existe une bonne raison pour que le repli persiste. Dans un premier temps, le thérapeute doit explorer avec elle pourquoi le repli du jeune est la solution pour le moment ; quels seraient les risques encourus en cas de non-repli. En comprenant ces raisons et les risques, il partage l’inquiétude de la famille et peut se poser comme garant d’un cadre secure pour un éventuel changement. Son intervention est thérapeutique si elle permet à la famille de lui redonner la capacité de choisir.
35Cette exploration et cette co-construction se font via une technique d’entretien particulier : le questionnement circulaire [16]. Celle-ci prend en compte la causalité circulaire, les rétroactions de la famille aux informations sur la relation et la différenciation des membres de la famille. Le questionnement circulaire consiste par exemple à demander l’opinion d’un des membres de la famille sur la relation entre deux autres ; ou ce qu’il imagine que l’autre pense, ou ressent par rapport à une situation. Puis de le confronter ensuite à ce que l’autre exprime de ses pensées ou de ses ressentis. Ceci permet à chaque membre du système d’acquérir des informations nouvelles sur les relations dans le système et un enrichissement de la problématique qui permet de s’extraire d’une causalité linéaire.
Illustrations cliniques
36Pierre vient avec sa mère et sa sœur en thérapie familiale. La mère est demandeuse d’une thérapie familiale car elle est inquiète du repli au domicile de son fils, alors âgé de 23 ans et de son absence de perspectives professionnelles. Il est suivi en psychiatrie pour une dépression sévère. Ils vivent ensemble. Les parents ont divorcé alors que Pierre avait 13 ans. La demande est que Pierre doit guérir, trouver un travail et partir de la maison. Au cours de la thérapie, l’histoire familiale est explorée et émerge la croyance familiale d’une malédiction qui frapperait toute la famille depuis plusieurs générations : alcoolisme, dépression… Chacun vit dans cette croyance qui immobilise la famille dans ce destin.
37 Cette différence entre la demande de changement portée par la famille et l’impossibilité de changer en lien avec une expérience vécue ou une croyance est théorisée par M. Elkaim [17] à l’aide de ce qu’il appelle « le programme officiel » et « la carte du monde ». Le programme officiel est la demande de changement en thérapie. La carte du monde est la représentation du monde de la personne en lien avec les expériences vécues, son histoire familiale et ses croyances qui viennent expliquer les raisons de l’absence de changement possible. Faire émerger la carte du monde d’un ou des membres de la famille permet de redéfinir le problème, de requalifier le symptôme qui peut apparaître alors comme une solution. Un changement peut alors s’amorcer à partir de cette requalification.
38 Thierry a 43 ans lorsque nous le rencontrons accompagné de ses parents. Après une rupture avec sa compagne, il est retourné vivre chez eux. Il ne travaille plus, alors qu’il a longtemps travaillé et fait par le passé de brillantes études. Il est replié au domicile où il passe beaucoup de temps sur le canapé ou sur son lit à ruminer des idées mélancoliques autour de sa rupture et du paradis perdu. Les rares fois où il sort, les parents sont sur le qui-vive en raison de conduites à risque et de mises en danger. La famille s’inquiète aussi de ce retour au domicile parental qui s’éternise, de cette perte d’autonomie, qui permet mal d’imaginer que Thierry puisse de nouveau habiter seul et subvenir à ses besoins. La première partie du travail lors de nos rencontres a consisté à travailler ce qui dans la relation entre Thierry et ses parents contribuait au maintien de cette dépendance. La fonction des mises en danger de Thierry qui maintenait un niveau élevé d’inquiétude chez ses parents a été amplifiée. Il s’agissait de s’allier à la fois avec Thierry et de s’allier avec les parents : soutenir Thierry dans sa problématique et ses difficultés (ruminations mélancoliques, absence de représentation ou vision péjorative et figée de l’avenir) et dans le même temps, soutenir ses parents dans leur inquiétude et leur souhait d’autonomie pour leur fils. Afin d’ouvrir le système et de prendre en compte le contexte familial dans sa globalité, la fratrie a été conviée pour une séance. Peu à peu, il a été possible d’envisager un retour de Thierry à son domicile. Pour autant, ce retour n’est qu’une première étape : le travail de thérapie familiale se poursuit. En effet, la question de l’autonomie continue de se poser, même si la famille n’habite plus sous le même toit.
39 Pendant la séance, soutenir, s’allier avec chacun des membres de la famille, c’est ce que Nagy [18] a décrit comme « la partialité multi-directionnelle ». C’est un mode d’intervention qui prend en compte chaque membre de la famille, avec ses ressentis et ses ressources. Il s’agit de s’adresser à chacun, sans oublier les absents qui peuvent être concernés par le travail thérapeutique. Ceux-ci peuvent être d’autres membres de la famille qui ne participent pas habituellement aux séances, comme ici la fratrie. Le manque d’autonomie de l’adulte qui reste au domicile parental permet de ne pas envisager l’étape suivante du cycle de vie de la famille, c’est-à-dire celle du vieillissement des parents. Interroger la fonction du symptôme dans le système, c’est aussi introduire la question du futur : « Que va-t-il se passer lorsque les parents ne seront plus en mesure de s’occuper de l’enfant adulte non autonome ? ».
Conclusion
40Le repli du jeune adulte au domicile arrive à un moment critique du cycle de vie familial : celui qui devrait annoncer la fin d’une ère et le début d’une autre. Le repli et les difficultés d’autonomisation figent ce cycle. Le repérage du moment de cycle de vie familial au moment où la famille rentre en thérapie permet une relecture du repli en fonction de son mode de survenue, de sa périodicité avec une causalité circulaire, cyclique et non linéaire. Il doit se faire dans une dynamique de co-construction thérapeute/famille pour devenir un outil thérapeutique [7]. Cette relecture complexifie le problème et ouvre des nouveaux choix pour la famille. Elle peut ainsi être de nouveau en capacité de choisir. C’est en devenant un outil singulier, pétri par la mémoire transgénérationnelle de chaque famille que le cycle de vie devient pertinent dans la pratique clinique.
41Dans l’introduction, nous avons brièvement résumé les indications classiques de la thérapie familiale : lorsque le symptôme a des conséquences sur le fonctionnement familial ou lorsqu’il y a une demande du patient ou de la famille [3]. L’indication peut aussi être posée par le thérapeute d’un des membres de la famille. On peut dire que le travail commence quand l’idée d’une prise en charge familiale émerge. Le patient désigné ou l’un des membres de la famille doit « amener » la famille aux séances de thérapie familiale. Ceci implique le début d’une discussion, autour du problème qui apparaît alors déjà comme appartenant au système familial et non plus au patient désigné seul. La famille doit commencer à imaginer les raisons pour lesquelles l’un des leurs ou son thérapeute envisage cette prise en charge, ce qui entraîne la possibilité d’une redéfinition du problème. La première séance consiste à travailler la demande de la famille. Il se peut que cette demande ne soit pas la même selon les membres de la famille, il s’agit donc de clarifier le problème et la demande afin de donner une première direction au travail. C’est une première co-construction, amorce d’une dynamique de changement. Dans les situations de repli au domicile, la thérapie familiale se met en place souvent après un parcours assez long de soins individuels. Elle vient alors renforcer le dispositif de soins préexistant, dont la poursuite reste nécessaire et indispensable. Un des axes de travail est de réintroduire une temporalité mais celle-ci doit suivre le tempo des familles, au risque, sinon d’une rupture du travail familial.
Remerciements
42Nous remercions chaleureusement l’équipe de thérapie familiale de l’Élan retrouvé pour ses suggestions, commentaires et sa relecture attentive.
Liens d’intérêts
43 Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Bibliographie
Références
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Mots-clés éditeurs : autonomisation, psychothérapie familiale systémique, retrait relationnel, jeune adulte
Date de mise en ligne : 09/05/2017.
https://doi.org/10.1684/ipe.2017.1627Notes
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Equipe de thérapie familiale de la Fondation de l’Élan retrouvé, 23 rue de la Rochefoucauld, 75009 Paris.