Introduction
1 La médecine environnementale connaît actuellement un regain important d’intérêt. Ses enjeux dépassent souvent le domaine scientifique et ses aspects individuels, sociaux, relationnels et environnementaux vont au-delà des approches techniques et médicales. Notre travail cherche à établir dans quelle mesure les considérations sur l’environnement peuvent contribuer à des innovations sur le plan nosographique.
2 Les syndromes spécifiques en médecine de l’environnement peuvent être répartis en deux catégories : ceux qui peuvent être liés à une exposition actuelle ou passée à un toxique et ceux sans lien évident avec lui. Certaines associations entre des facteurs environnementaux et psychosociaux ayant pu être identifiées, il reste toujours difficile d’affirmer l’existence de liens de causalité entre les uns et les autres.
3 La notion d’une pathologie liée à l’environnement n’est pas nouvelle. Dans la théorie de l’écologie clinique développée par les médecins américains Rowe, Randolph et Rinkel au début du xx e siècle figurait le postulat selon lequel la consommation quotidienne d’aliments pouvait devenir allergisante, causer de diverses maladies chroniques et qu’il paraissait même possible, selon un certain point de vue, de rapprocher allergie alimentaire et toxicomanie [1]. Pour ces auteurs, les phénomènes allergiques se développent lorsque l’organisme ne reçoit pas sa dose d’entretien individuelle quotidienne ; dans ce cadre une allergie alimentaire ne se différenciait qu’au niveau de son degré de sévérité d’une toxicomanie.
4 Un nombre croissant de patients semblent souffrir de symptômes liés à l’environnement, et en particulier aux produits chimiques. Ce qui caractérise l’ensemble de ces syndromes est qu’en règle générale ils échappent à la médecine traditionnelle. Ils font éclater les règles pharmaco-toxicologiques habituelles ainsi que les concepts de l’allergologie classique. À ce jour, il n’existe aucune théorie reconnue, aucune série de critères dont la validité est établie qui permette de conduire à affirmer un diagnostic de certitude dans ce domaine. Malgré cela, le Parlement européen a reconnu en 2011 que « de nouvelles maladies ou syndromes de maladies sont apparus ces dernières années, tels que l’hypersensibilité chimique multiple, le syndrome des amalgames dentaires, l’hypersensibilité aux rayonnements électromagnétiques, le syndrome des bâtiments malsains ou le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité chez les enfants » [2], faisant donc un pas vers la reconnaissance officielle de plusieurs nouvelles maladies dites émergentes.
5 Cette thématique mobilise un nombre important de scientifiques, d’experts, des légistes, des politiciens, de mass media et de réseaux d’associations d’aide.
6 Nous évoquerons plusieurs syndromes distincts au sein de la médecine environnementale, avant de nous pencher sur les syndromes collectifs inexpliqués et leur pathogenèse. Nous étudierons ensuite les « toxicopies » et les « toxicophobies » et leurs mécanismes individuels et collectifs. Nous conclurons enfin à propos des rares études qui ont pu établir de façon scientifique un lien de causalité entre certains agents environnementaux et les pathologies psychiatriques.
Syndrome des bâtiments malsains (SBM)
7 Cet intitulé a été créé par l’Organisation mondiale de la santé en 1982 pour désigner une prévalence excessive de symptômes irritatifs de la peau et des muqueuses associés à d’autres symptômes incluant fatigue et céphalées chez des personnes occupant certains bâtiments. Plusieurs études réalisées dans un tel contexte chez des travailleurs se sont montrées en faveur d’une étiologie multifactorielle associant des défauts de qualité de l’air intérieur et des facteurs personnels et psychosociaux [3]. Un défaut de soutien social, une faible latitude décisionnelle et une insatisfaction au travail sont des variables fréquemment liées à la survenue de SBM. Poser le diagnostic et apporter des améliorations à la qualité de l’air intérieur ne suffisent pas toujours pour voir disparaître les symptômes. En effet, la problématique de gestion d’un SBM se complique lorsqu’il induit une situation de crise. Des auteurs scandinaves [4] ont proposé un modèle associant aux classiques composantes environnementales et psychosociales la notion de stress individuel et surtout la réaction de stress au sein d’une unité de travail (détérioration du climat de travail, problèmes dans les relations interpersonnelles). Ce modèle de « SBM avec impact organisationnel » suppose de considérer une composante supplémentaire d’auto-amplification collective des symptômes qui évolue dans le temps : inexistante ou très faible initialement, la part de cette auto-amplification va s’accroître, entretenue par des événements déclenchants, une situation d’incertitude sur l’origine des manifestations et un climat de travail perturbé.
8 En France au moins deux phénomènes de SBM ont été décrits dans la littérature. Au CHU de Nice en 2000, jusqu’à 42 % de l’effectif de services de procréation médicale assistée et d’orthogénie furent victimes de troubles fonctionnels associant : céphalées, sensation ébrieuse, faiblesse des membres inférieurs, paresthésies, picotements des yeux et de la gorge et difficultés d’élocution [5]. Toutes les investigations techniques réalisées n’ont pas permis d’identifier une source particulière d’émanations de produits toxiques pouvant expliquer l’ensemble des phénomènes observés. Néanmoins, en décembre 2002, cette affaire qui avait soulevé une émotion considérable a abouti sur le plan judiciaire à la condamnation du CHU, ouvrant donc droit à des indemnisations pour les victimes. Les conclusions de l’enquête qualitative sont les suivantes : « Notre étude a montré qu’à partir d’un problème initial « possiblement lié » à la qualité de l’air, « un ensemble de facteurs » a pu participer à la genèse d’un phénomène psychogénique de masse : terrain ancien de revendication et sentiment de non-reconnaissance de la réalité des troubles décrits par les agents concernés, absence de cause apparente à la survenue des symptômes, représentation collective concernant des émanations de produits toxiques entretenue par les déclarations des médias » [6].
9 Le deuxième cas a été décrit à l’hôpital Nord de Marseille en 2005 quand les trois quarts du personnel d’un bloc opératoire ont présenté des troubles divers : céphalées, difficultés respiratoires, picotements des yeux, nausées, vomissements, douleurs gastriques, asthénie, ayant nécessité la fermeture de 12 salles [7]. L’enquête environnementale n’a pas identifié de façon formelle de cause pouvant expliquer les malaises mais a incriminé sans certitude « des expositions faibles et incertaines à des polluants chimiques de l’air », ainsi que « des problèmes manifestes de ventilation accentués en présence du mistral ».
10 Cette conclusion reflète à quel point l’utilisation d’un terme diagnostique acceptable pour le public appauvrit en fait la réflexion psychopathologique, puisque rien ne permet de comprendre pourquoi, au début du moins, seules certaines des personnes exposées sont atteintes.
Hypersensibilité chimique multiple (HCM)
11 Douleurs musculaires, fourmillements au niveau de la colonne vertébrale, maux de tête, insomnie, acouphènes, troubles gastriques, respiratoires, confusion mentale, problème de mémorisation, d’élocution, atteinte de la mobilité des membres sont les symptômes de ce syndrome d’hypersensibilité chimique multiple ou d’intolérance environnementale idiopathique causé par une intolérance à des produits chimiques très divers : cosmétiques, parfums, produits d’entretien, lessives, huiles essentielles, encens, matériaux de construction, peintures, insecticides, solvants…
12 L’évolution est extrêmement variable d’un individu à l’autre. Chez certains sujets, la gêne fonctionnelle peut disparaître avec l’éviction des produits déclencheurs alors que d’autres sont progressivement handicapés dans leur vie quotidienne et vont jusqu’à modifier toutes leurs habitudes, avec des conséquences socioprofessionnelles souvent graves : changement de poste de travail, licenciement, démission, isolement social.
13 Les hypothèses actuelles peuvent être classées en deux grandes catégories : celles qui se fondent sur une origine organique toxique et celles orientant vers une cause psychopathologique.
14 Une étude de Hillert et al. en 2007 [8] a comparé le flux sanguin cérébral régional par PET-scan chez 12 femmes porteuses de MCS et 12 femmes témoins après stimulation par diverses odeurs. On note une plus faible activation des régions cérébrales liées à l’odorat chez les sujets MCS, mais une augmentation de l’activation du cortex cingulaire antérieur, cette zone du cortex étant impliquée entre autres dans la modulation cognitive des réponses corticales à la douleur et dans la vie émotionnelle.
15 Selon les recommandations de l’OMS, des études de provocation en aveugle contre placebo ont été réalisées. Une revue de 2006 sur 37 études chez des sujets souffrantd’HCM [9] montre que les résultats de la plupart des études ne peuvent être retenus en raison d’une méthodologie inadéquate. Dans celles où les critères de provocation en aveugle sont respectés, les sujets ne peuvent discerner une exposition active d’une exposition à un placebo (réponses sévères lors de provocations factices).
16 Les partisans d’une origine psychologique considèrent que l’hypersensibilité chimique multiple est un mode d’expression clinique de plusieurs types de psychopathologies. Des similitudes avec la phobie simple, l’agoraphobie, les attaques de panique ont été soulignées mais aussi avec les troubles psychosomatiques, des états de stress post-traumatiques et le conditionnement pavlovien. Ce dernier mécanisme est surtout évoqué pour le HCM où se succéderaient une phase d’initiation de la symptomatologie lors d’un épisode précis de contact avec une substance chimique odorante puis des phases ultérieures « réflexes » de déclenchement des mêmes symptômes lors de la perception d’odeurs incommodantes [10].
L’hypersensibilité à l’électricité (HE)
17 L’hypersensibilité à l’électricité (HE) est un syndrome essentiellement caractérisé par des plaintes somatiques chez des patients qui attribuent la responsabilité des phénomènes à l’usage ou à la proximité d’appareils ou d’équipements émettant des champs électriques (CE), magnétiques (CM) ou électromagnétiques(CEM).
18 Parmi les symptômes les plus fréquemment présents, figurent des symptômes disparates, dermatologiques (rougeurs, picotements et sensations de brûlure), végétatifs (fatigue, lassitude, difficultés de concentration, étourdissements, nausées, palpitations et troubles digestifs).
19 Cet ensemble symptomatique est parfois rangé dans la classe des « symptômes médicalement non expliqués » (« medically unexplained symptoms »), en tant que « troubles somatoformes indifférenciés » (« undifferentiated somatoform disorder ») selon Hillert [11] et peut également se regrouper sous l’appellation de syndrome fonctionnel somatique (« functional somatic syndrome »), selon la suggestion de Wessely [12].
20 Le fait que, à exposition égale, seules certaines personnes développent une HE implique l’intervention de facteurs internes relatifs à l’individu. Le rôle joué par ces facteurs individuels comme facteur de prédisposition à l’hypersensibilité nécessite cependant de nouvelles recherches cliniques.
21 Une des caractéristiques soulignée par Hillert [11] est le plus haut degré de fréquence et d’intensité des plaintes liées à la santé chez les patients qui se plaignent d’HE. Cette caractéristique avait déjà été soulignée dans des rapports antérieurs. Mais d’après Leitgeb [13], en dehors de cette caractéristique, ces personnes ne diffèrent pas de la population générale. Elles constituent un groupe hétérogène en termes de scolarité, de statut social et économique mais également en termes de symptomatologie. En général, il apparaît que les patients qui se plaignent d’HE ne sont pas plus déprimés, ou plus anxieux et ne présentent pas plus de désordres psychiatriques ou somatoformes que la population générale [14].
22 Cependant il existe des différences de profils psychologiques entre les patients « hypersensibles à l’électricité » et des groupes témoins, notamment au niveau des échelles de somatisation [15]. On ignore encore si ces scores plus élevés sont à l’origine ou une conséquence de l’HE.
Syndrome des amalgames dentaires (SAD)
23 Le syndrome des amalgames dentaires comprend l’ensemble des symptômes décrits par une fraction de la population comme étant la conséquence de la présence d’amalgames en bouche. Ces symptômes sont très divers, non spécifiques : angoisses, irritabilité, dépression, perte de mémoire, hypersensibilité, bruxisme, acouphènes, maux de têtes, fatigue, allergies aux aliments, aux odeurs, sensations de brûlures, fourmillements ou tremblements de certaines parties du corps. C’est ainsi dans son rapport d’octobre 2005, l’Afssaps concluait de façon pour le moins vague : « selon les données scientifiques publiées depuis 1998, les symptômes décrits ne sont pas attribuables au mercure mais reflètent des maladies somatiques non diagnostiquées ou des troubles psychiques, voire psychiatriques » [16].
Syndrome collectif inexpliqué
24 La peur archaïque des empoisonnements est ancrée comme une peur ancestrale profonde chez l’homme. Lorsque celui-ci nourrissait son corps directement avec des produits de la nature, il devait être capable de différencier produits toxiques et atoxiques. Lorsqu’il avait absorbé un produit supposé toxique, le moyen de s’en débarrasser consistait en des nausées, des hauts le cœur, et, finalement, des vomissements qui permettaient de rejeter le poison de l’organisme.
25 Shakespeare avait décrit ce phénomène dans ses contes de Noël : le roi Léonte de Sicile disait alors : « une araignée peut bien se cacher dans le gobelet et l’on boit, l’on mange et l’on ne flaire aucun poison ; mais si quelqu’un nous signale cette chose comme écœurante et nous dit ce que nous avons bu, alors on ressent brutalement de violentes douleurs et des serrements dans la poitrine » [17].
26 Une telle réaction de peur peut survenir à chaque fois que l’on prend brutalement conscience que l’on a été exposé à un poison supposé. La réaction de peur peut s’exprimer sous la forme d’une réaction psychogène collective avec une symptomatologie aiguë (mass psychogenic illness).
27 L’appellation « syndrome collectif inexpliqué » ou « syndrome psychogène » sert à définir l’ensemble des épidémies de symptômes non spécifiques, essentiellement de type neurologique (malaises, céphalées), dermatologique (prurit, boutons), oto-rhino-laryngologique (irritations, inflammations) ou digestif (douleurs abdominales, nausées). Ces « épidémies » collectives possèdent les mêmes caractéristiques variables que le syndrome des bâtiments malsains, peu spécifiques, avec des symptômes souvent exclusivement subjectifs. Les résultats des examens complémentaires pratiqués s’avèrent normaux. Les plaintes sont souvent polymorphes. Les plus fréquentes sont des symptômes généraux : fatigue, tête lourde, céphalée, nausées, sensations vertigineuses, difficultés de concentration, des symptômes affectant les muqueuses : démangeaisons, sensations de brûlure, irritation des yeux, nez irrité, bouché ou qui coule, gorge sèche et voix rauque, toux , des symptômes affectant la peau : peau du visage sèche ou rouge, démangeaisons, sensations de brûlure ou de pression sur le visage. Le ou les premiers patients touchés par l’épidémie, sont appelés les cas index ; ils peuvent occuper une situation de « leader » au sein du groupe. La description de certaines épidémies a parfois permis de mettre en évidence le fait que les symptômes se disséminent dans la collectivité par « le son et la vue » : les personnes deviennent malades après avoir vu une personne malade ou après en avoir entendu parler, et l’épidémie progresse à la vitesse de la rumeur.
28 Le premier examen de la situation ne permet généralement pas aux investigateurs d’objectiver de cause évidente. Les sujets atteints peuvent toutefois avoir une opinion sur la raison pour laquelle ils sont malades. Cette opinion revêt souvent l’aspect d’une croyance tenace.
29 Des mécanismes de somatisation sont souvent mis en avant. Cette référence explicite et péjorative est insuffisamment fondée. Elle assimile souvent psychosomatique et simulation, voire elle retient l’expression vague « facteurs psychosociaux d’accompagnement » [18].
30 Le terme de toxicopie (Kofler), désigne la survenue de symptômes manifestes comparables à ceux observés lors des intoxications sans que puisse être mise en évidence une importante contamination par un toxique [19]. Il s’agit d’une manifestation de la peur d’être intoxiqué de manière chronique, par exemple par des produits chimiques sur son lieu de travail.
31 Le facteur déclenchant de toxicopies est souvent le changement d’un processus de production ou le dégagement d’odeurs inexplicables. Les menaces ressenties sont de trois ordres : la menace contre l’intégrité corporelle recouvrant la peur de la mort et des lésions organiques ; la menace contre l’intégrité existentielle, comme la peur d’être atteint d’une maladie chronique et de devenir invalide, la menace contre l’intégrité psychosociale enfin, c’est-à-dire la peur de perdre son travail et son statut social. Si les deux premières menaces sont accessibles à un travail cognitif et explicatif, les mécanismes collectifs de la menace psychosociale sont beaucoup plus complexes, et l’amélioration ne survient généralement pas même après l’éviction de la cause présumée. Les personnes concernées ne font pas confiance aux autorités dont ils sont convaincus de la mauvaise foi, et ils continuent de croire qu’ils sont intoxiqués. Ce type de situation survient préférentiellement lorsqu’il n’existe aucune possibilité pour les personnes touchées, de ne plus continuer à habiter ou à travailler à proximité des lieux de l’intoxication. Une fuite dans la « maladie » pour obtenir une reconnaissance publique est alors la seule possibilité de résolution du conflit.
32 La conjonction de l’influence des médias et des particularités psychologiques individuelles jouent un rôle important dans la fixation des troubles. Le type de réaction de chaque individu dépend de sa personnalité, de son niveau d’information et de sa perception du monde environnant.
33 Lorsque la défense contre la contamination et l’insécurité subjective ne parvient pas à se mettre en place, il faut s’attendre à des conséquences psychiques, psychosomatiques et/ou purement somatiques. Ce stress pathogène est associé à la contamination de l’environnement et ne s’attache pas particulièrement à un toxique précis. La peur de ne pouvoir se défendre peut donc rendre malade même si le facteur déclenchant la peur a disparu. À condition que le niveau d’information des personnes concernées soit élevé, une grande partie de la population parvient à surmonter la peur par un processus cognitif, surtout lorsque des explications claires concernant les mesures de protection ont pu être données.
34 Le mécanisme de projection des sentiments négatifs tels que l’agressivité et l’impulsivité, peut aussi concerner des institutions. Dans ce cas de figure, les patients se retournent avec virulence contre l’industrie, les autorités sanitaires ou le corps médical et valorisent les activités pratiquées contre ces institutions. La dévalorisation d’un toxique ou d’un produit par la société permet son utilisation immédiate comme cible pour une projection négative. Celle-ci peut impliquer chez les personnes concernées des réactions très violentes contre les autorités, les fabricants et les responsables comme les médecins ou les propriétaires de logements ou des sites industriels. Des tels agissements peuvent d’une part entraîner l’isolement de la personne, d’autre part la plonger dans d’importantes difficultés financières, dues aux dépenses liées à l’évitement des risques supposés, ou à des complications d’ordre judiciaire. Certains patients vont d’ailleurs si loin qu’ils se ruinent financièrement et socialement. On a pu parler à ce propos du syndrome de Michael Kohlhass ou de la paranoïa quérulente avec des procédures judicaires parfois multiples.
35 La fixation sur un toxique de l’environnement (toxicophobie) peut revêtir un caractère difficilement réversible lorsque les patients commencent à organiser toute leur vie de telle manière que le moindre contact avec le toxique supposé soit évité. Par exemple, cela peut se traduire par le fait qu’ils ne pénètrent plus que dans un nombre réduit d’endroits, ne mangent plus que certains plats et n’utilisent plus qu’un type déterminé de produit lavant.
36 Divers troubles phobiques peuvent ainsi se cacher derrière des peurs liées à l’environnement. D’un point de vue psychodynamique, l’angoisse sous-jacente se déplace vers des angoisses concrètes, comme la peur d’une maladie grave (nosophobie), ou la toxicophobie (peur d’être empoisonné).
Agents toxiques
37 L’existence de troubles psychiques dus à une atteinte cérébrale organique par des substances toxiques et, en particulier des solvants, n’est plus à démontrer. Ces psychosyndromes organiques sont décrits dans la CIM 10 [20]. Ils s’accompagnent de modifications de la personnalité avec labilité des affects, agressivité, accès de colère, ou passivité, apathie, indifférence et aboulie. On peut également observer des troubles de la mémoire, des troubles délirants, des hallucinations, et des troubles affectifs.
38 Les résultats de l’étude sur une cohorte de 680 personnes âgées, ont démontré que la pollution d’air liée à la circulation peut avoir des effets négatifs sur la cognition chez des personnes âgées [21].
39 Une autre étude longitudinale menée en Suède sur 1806 participants pendant 15 ans a établi un lien entre la pollution de l’air et les atteintes cérébrales de type Alzheimer ou démence vasculaire [22]. Après avoir éliminé les facteurs de risque connus, les auteurs ont cependant émis des réserves quant au rôle d’autres nuisances, de type sonore entre autres. Ces études longues et difficiles à mener à bien, relevant d’une méthodologie statistique adaptée pour l’exploitation des résultats méritent d’être développées au cours des prochaines années.
Conclusions
40 Ce rapide survol permet d’illustrer l’hétérogénéité des situations cliniques d’allure psychiatrique ou somato-psychique attribuées à divers facteurs présumés pathogènes dans l’environnement.
41 Certaines de ces pathologies s’avèrent en réalité éphémères, à l’image de certains phénomènes de mode souvent habilement médiatisés, rappelant, par exemple, l’importance revêtue dans la nosologie psychiatrique américaine des années 1970-80 par les personnalités multiples.
42 Ailleurs, des liens significatifs entre certains facteurs pathogènes et diverses expressions cliniques de l’angoisse ont bien été mis en évidence. Dans la plupart des cas, même si des facteurs pathogènes précis ont pu être isolés, il s’agit, la plupart du temps, plus de nouvelles expressions cliniques de l’anxiété que de réelles nouvelles entités nosographiques.
43 La diversité concerne beaucoup plus la nature des produits toxiques que celle des troubles constatés.
44 De réels progrès nosographiques nécessitent de nouvelles études comparatives contrôlées, longues et coûteuses, avec un design et des plans d’analyses statistiques adaptés à l’identification de phénomènes à déterminisme multifactoriel et à la mise en évidence de la distinction entre facteurs exogènes et facteurs endogènes.
45 Si l’existence même de facteurs psychologiques dans la genèse des pathologies dues à l’environnement paraît peu douteuse, l’importance de ceux-ci, leur caractère primaire ou secondaire selon les cas, psychosomatique ou somatopsychique, font toujours l’objet de controverses.
46 Les patients concernés souffrent assurément de leur état et courent le risque des manifestations en cascade que nous avons répertoriées, allant de manifestations d’ordre phobique ou dépressif voire projectif de type paranoïaque jusqu’à un développement collectif d’allure épidémique lorsque certaines conditions assez bien connues favorisant la contagiosité sont réunies.
47 Les psychiatres doivent être sensibilisés au dépistage et à la reconnaissance de ces situations, qui, authentiques ou fausses nouvelles entités nosographiques, relèvent de soins et majorent chez ces patients vulnérables le risque de demandes multiples adressées au corps médical à l’origine d’un vagabondage médical, le fameux « doctor's shopping ».
Liens d’intérêts
48 l’auteure déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Nous adressons nos plus vifs remerciements à Nadine Rodary de la bibliothèque Henri Ey de l’hôpital Sainte-Anne de Paris pour son assistance inlassable dans nos recherches bibliographiques
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : intoxication, syndrome des bâtiments malsains, psychopathologie, trouble psychosomatique, toxicophilie, allergie, environnement, hypersensibilité chimique multiple, phobie, syndrome collectif inexpliqué, syndrome des amalgames dentaires, pollution, symptôme, hypersensibilité a l’électricité, toxicologie, toxicopie, pathologie psychiatrique, somatisation
Mise en ligne 12/04/2017
https://doi.org/10.1684/ipe.2017.1609