1Yves, professeur de mathématiques dans le secondaire, est hospitalisé en psychiatrie à 41 ans, au décours d’une tentative de suicide
2 Il a, pour seule histoire médicale, deux dépressions traitées la première par clomipramine et la seconde par citalopram en association avec une psychothérapie. La première dépression est survenue à 33 ans après son divorce et la deuxième à 37 ans après le décès de son père. Celui-ci avait été un brillant mathématicien jusqu’à la survenue à 54 ans d’un premier accident vasculaire cérébral (AVC) dont la cause était restée mystérieuse. Il avait bien récupéré, mais à la suite d’un nouvel infarctus cérébral 5 ans plus tard, la marche était devenue très difficile, puis ses facultés intellectuelles s’étaient dégradées progressivement et, en l’espace de quelques années, il était devenu grabataire et dément avant de mourir à l’âge de 67 ans. Yves, qui était son seul enfant, s’en était beaucoup occupé et s’interrogeait sur la nature exacte de la maladie de son père que les médecins avaient rattaché à l’association d’une « démence vasculaire » et d’une maladie neurodégénérative mal étiquetée.
3Lors de l’hospitalisation, on apprend qu’environ deux mois avant sa tentative de suicide, le comportement d’Yves s’était modifié : il était inhabituellement excité, ne dormait plus, avait proposé à ses élèves de monter avec eux une maison d’édition et s’était déjà endetté pour cela. Sa compagne l’avait quitté et, c’est 4 jours après qu’il avait avalé une forte dose de citalopram. À l’hôpital, Yves a un examen neurologique normal mais il est apathique, son discours pauvre avec des thèmes d’autodépréciation et d’autoaccusation conduisant au diagnostic de dépression mélancolique dans le cadre d’une maladie bipolaire. L’échec des traitements antidépresseurs et thymorégulateurs successifs conduit à envisager une sismothérapie. Auparavant, une IRM cérébrale est demandée en raison du caractère inhabituel de l’histoire psychiatrique, de la résistance aux traitements et des antécédents paternels d’ « AVC » et de démence. L’IRM montre d’importants hypersignaux de la substance blanche et plusieurs petits infarctus sous-corticaux, à la fois dans la substance blanche et les noyaux gris. Le diagnostic de cadasil est évoqué puis confirmé par l’analyse moléculaire qui met en évidence l’une des mutations caractéristiques (Arg ⇒ Cys) au sein du gène Notch3.
4Cadasil (cerebral autosomal dominant arteriopathy with subcortical infarcts and leukoencephalopathy) est l’acronyme que nous avons proposé en 1993 pour résumer les principales caractéristiques (maladie des artères cérébrales, transmission autosomique dominante, infarctus sous-corticaux, atteinte de la substance blanche) d’une affection inconnue qui frappait une famille française et dont notre collaboratrice généticienne E. Tournier-Lasserve venait de localiser le gène sur le chromosome 19 [1]. Trois ans plus tard, l’étude de 33 familles permit à Anne Joutel d’identifier le gène responsable Notch3 inconnu jusque-là chez l’homme [2]. Plus de 1 000 familles sont maintenant répertoriées dans le monde et plus de 100 mutations ont été rapportées, presque toutes de type faux-sens [3].
5Les principales manifestations cliniques de cadasil sont purement cérébrales et associent 1) une migraine avec aura chez 35 à 50 % des patients ; 2) des infarctus cérébraux de type lacunaire chez 70 à 80 % des patients ; 3) des troubles de l’humeur chez 20 à 30 % des patients ; 4) des troubles cognitifs et une démence presque constants. Le profil évolutif de la maladie est variable : lorsqu’elle est présente, la migraine avec aura est toujours le premier symptôme, apparaissant entre 20 et 40 ans puis surviennent vers 40 à 60 ans des accidents ischémiques cérébraux récidivants, une apathie, des troubles de l’humeur, des troubles cognitifs et des troubles moteurs aboutissant à un état grabataire, à une démence et au décès en une vingtaine d’années en moyenne [3].
6La fréquence des troubles de l’humeur est extrêmement variable d’un sujet à l’autre et selon les critères diagnostiques utilisés. Elle est habituellement estimée à 20-30 % mais elle peut aller jusqu’à 70 % si l’on prend en compte tous les antécédents de dépression et si l’on pratique systématiquement des échelles spécifiques telles que l’HRDS (Hamilton rating Scale for Depression) ou la YMRS (Young Mania Rating Scale) [4]. Il s’agit de dépression dans 75 % des cas et d’épisodes maniaques dans un quart, aboutissant à un diagnostic de dépression unipolaire dans la moitié des cas et de dépression bipolaire dans un quart [5]. Les troubles de l’humeur surviennent presque toujours en cours d’évolution chez des personnes déjà handicapées par une apathie sévère [6] ou par des troubles moteurs séquellaires de leurs infarctus cérébraux. Dans quelques cas, comme chez Yves, le trouble de l’humeur est le premier symptôme de la maladie [7]. Le diagnostic est alors particulièrement difficile surtout en absence du contexte d’antécédents familiaux. La présence d’une migraine sans aura, la recherche d’un accident ischémique transitoire passé inaperçu, la notion d’une résistance inhabituelle aux traitements sont des indices maigres et non spécifiques mais suffisants pour demander une IRM cérébrale.
7L’atteinte cognitive débute par l’altération des fonctions exécutives qui est constante dès 35-50 ans lorsqu’elle est recherchée par des tests neuropsychologiques adaptés tels que le Wisconsin ou le Trail Making test [8]. Il s’y associe fréquemment des troubles de l’attention et de la mémoire, puis, au fil des années, le déclin cognitif devient plus homogène avec une altération du langage, des capacités visuospatiales et du raisonnement pour aboutir à une démence, présente chez 80 % des sujets avant leur décès. Le déclin cognitif peut évoluer progressivement ou par à-coups et il peut parfois survenir en l’absence de signes cliniques d’AVC mais il existe alors à l’IRM de nombreux microinfarctus affectant notamment des zones stratégiques pour la cognition. L’atteinte de la substance blanche et l’atrophie corticale secondaire aux lésions sous-corticales participent aussi au développement de la démence. Dans 10 % des cas, la démence est isolée et, si elle est à la fois isolée et progressive, elle oriente alors vers une affection neurodégénérative mais le diagnostic sera redressé à l’IRM, impérative en cas de démence. Un essai thérapeutique international effectué chez 168 patients cadasil ayant un déclin cognitif n’a pas montré d’efficacité du donepezil administré pendant 18 semaines sur le critère principal (le score global V-ADAS-cog) mais une amélioration significative sur certains critères secondaires portant plus spécifiquement sur les fonctions exécutives [9].
8Les mécanismes intimes qui relient les mutations de Notch3 caractéristiques de cadasilà la symptomatologie clinique, qu’il s’agisse de la migraine avec aura, des infarctus cérébraux, des troubles de l’humeur ou du déclin cognitif, demeurent inconnus. Il n’y a, à ce jour, aucun traitement d’efficacité prouvée mais des substances sont à l’étude dans des modèles murins de la maladie. Les mesures habituelles de prévention vasculaire sont préconisées, notamment la réduction des facteurs de risque en particulier le tabac qui est actuellement le seul facteur modifiable significativement associé au risque de progression clinique de la maladie [10]. Le soutien psychologique du patient et de sa famille, la rééducation des déficits moteurs, l’orthophonie sont très largement utilisés. Le conseil génétique chez les sujets asymptomatiques soulève les mêmes enjeux éthiques que les autres maladies autosomiques dominantes sévères à début tardif et pour lesquelles il n’existe pas de traitement telles que la maladie de Huntington, et il requiert la même approche multidisciplinaire spécialisée associant lors de consultations dédiées au minimum généticiens, neurologues et psychologues [11].
9Une présentation initiale « psychiatrique » sous la forme de dépression, de syndrome bipolaire ou d’atteinte cognitive est donc rare mais possible dans cadasil. Même en l’absence actuelle de traitement, la suspicion puis la confirmation du diagnostic par analyse génétique sont très importants pour ne pas rattacher à tort les symptômes à une autre affection et pour envisager la stratégie à adopter vis-à-vis des membres de la famille.
Liens d’intérêt
10 l’auteure déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Bibliographie
Références
- 1. Tournier-Lasserve E., Joutel A., Melki J., et al.Cerebral autosomal dominant arteriopathy with subcortical infarcts and leukoencephalopathy maps to chromosom 19q12. Nat Genet 1993 ; 3 : 256-9.
- 2. Joutel A., Corpechot C., Ducros A., et al.Notch 3 mutations in Cadasil, a hereditary adult-onset condition causing stroke and dementia. Nature 1996 ; 383 : 707-10.
- 3. Chabriat H., Joutel A., Dichgans M., et al.Cadasil. Lancet Neurol 2009 ; 8 : 643-5.
- 4. Valenti R., Pescini F., Antonini S., et al.Major depression and bipolar disorders in Cadasil : a study using the DSM-IV semi-structured interview. Acta Neurol Scand 2011 ; 124 : 300-95.
- 5. Kumar S.K., Mahr G.. Cadasil presenting as bipolar disorder. Psychosomatics 1997 ; 38 : 397-8.
- 6. Reyes S., Viswanathan A., Godin O., et al.Apathy : a major symptom in Cadasil. Neurology 2009 ; 72 : 905-10.
- 7. Desmond D.W., Moroney J.T., Lynch T., et al.The natural history of Cadasil : a pooled analysis of previously published cases. Stroke 1999 ; 30 : 1250-3.
- 8. Buffon F., Porcher R., Hernandez K., et al.Cognitive profile in Cadasil. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2006 ; 77 : 175-80.
- 9. Dichgans M., Markus H., Salloway S., et al.Donepezil in patients with subcortical vascular cognitive impairment : a randomized double-blind trial in Cadasil. Lancet Neurol 2008 ; 7 : 310-8.
- 10. Chabriat H., Hervé D., Duering M., et al.Predictors of clinical worsening in cerebral autosomal dominant arteriopathy with subcortical infarcts and leukoencephalopathy. Prospective cohort study. Stroke 2016 ; 47 : 4-11.
- 11. Reyes S., Kurtz A., Herve D., et al.Presymptomatic genetic testing in CADASIL. J Neurol 2012 ; 259 : 2131-6.
Mots-clés éditeurs : maladie vasculocérébrale, trouble cognitif, cadasil, neurologie, clinique, cas clinique, migraine, trouble de l’humeur, maladie héréditaire
Mise en ligne 26/07/2016
https://doi.org/10.1684/ipe.2016.1508