Le Chiffre du mois
C’est le pourcentage de jeunes de 17 ans ayant expérimenté la MDMA/ecstasy en 2014 (contre 1,9 % en 2011).
D’après le site Internet de l’OFDT (Observatoire français des drogues et des toxicomanies), publication « Drogues, chiffres clés », 6e édition (juin 2015)
1« Le trouble du déficit d’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H) fut connu dès le xix e siècle sous la forme de cas d’instabilité motrice décrits d’abord chez les enfants puis chez les adultes » [1].
2Heinrich Hoffman a décrit en 1844, dans son livre Der Strunwelpeter [2] les personnages « Phill qui gigotent » et « Johnny qui regarde dans le vide », des enfants qui présentent des symptômes d’hyperactivité et déficit d’attention. Au début du xix e siècle, George Frederick Still [3, 4] a décrit le concept de « Brain Damage Syndrome » et Paul Bancour a repris ses écrits pour les appliquer aux enfants atteints de troubles neurologiques. Le syndrome « hyperkinétique » a été décrit par Hohmann [5] comme séquelle observée chez les patients atteints par l’épidémie d’encéphalite Von Economo-Cruchet de 1918. Le diagnostic de « réaction hyperkinétique » apparaît pour la première fois en 1968, dans le DSM II [6]. Dès le DSM III de 1980 [7], une définition multidimensionnelle a été proposée par la description de 3 séries de critères : critère A « inattention » (5 items), critère B « impulsivité » (6 items) et critère C « hyperactivité » (5 items). Aujourd’hui, le DSM V décrit le TDA/H : trouble déficit de l’attention/hyperactivité.
3 « Le TDA/H est un trouble qui concernerait, en France, 3,5 à 5,6 % des enfants d’âge scolaire, 3 % des adolescents et 1 à 2 % d’adultes » [8].
4 Depuis 2005, le TDA/H peut être reconnu en tant qu’handicap cognitif chez les enfants et les adolescents, cette reconnaissance étant indispensable pour la mise en place d’une adaptation formalisée de l’aménagement scolaire lorsqu’elle est nécessaire [1]. Le retentissement de ce trouble sur le patient et son entourage, l’impact négatif sur le futur de l’enfant et sa fréquence non négligeable justifient qu’il s’inscrive dans le cadre des priorités de santé publique [9].
5 Le concept de TDA/H est venu stigmatiser l’opposition radicale de deux démarches : la démarche anglo-saxonne, qui se veut pragmatique et marquée par la recherche neurobiologique, et la démarche de la pédopsychiatrie française dont les fondements psychodynamiques tendent à percevoir le fonctionnement psychique de l’enfant dans sa globalité et à ne pas se focaliser sur un regroupement syndromique dont l’étiologie peut être multifactorielle [10].
6 Actuellement, il existe plusieurs modèles théoriques : le modèle neuro-anatomo-fonctionnel, le modèle génétique et de biologie moléculaire, le modèle neurobiologique et le modèle psychodynamique.
Le modèle neuro-anatamo-fonctionnel
7L’imagerie médicale (IRM anatomique, IRM fonctionnelle, scintigraphie [PET/SPECT]) peut permettre de mieux comprendre comment fonctionne le cerveau des patients atteints de TDA/H et les mécanismes d’action des thérapeutiques, voire d’en développer de nouveaux. Parmi les études réalisées, l’imagerie par IRM anatomique a permis de montrer que les patients TDA/H présentaient une baisse reproductible du volume cérébral de 3 à 5 % dues aux altérations structurales de certaines structures du cerveau (le cortex préfrontal, les noyaux gris centraux [striatum], le cortex cingulaire antérieur dorsal, le corps calleux et le cervelet) [11].
8 Les hypothèses neurobiologiques récentes portent sur des dysfonctionnements de neurotransmetteurs (en particulier la dopamine et la noradrénaline) au niveau de certains circuits neuronaux, comme par exemple les dysfonctionnements des circuits fronto-striato-pariéto-temporal et cérébelleux impliqués dans l’inhibition, l’attention et la temporalité, et des circuits ventro-médian-fronto-orbito-latéral, frontal-temporal et limbique avec, en particulier, les régions amygdaliennes impliquées dans la régulation de la motivation et des affects.
Le modèle génétique et de biologie moléculaire
9Des facteurs génétiques sont impliqués dans le TDA/H, mais le mécanisme d’action n’est pas complètement élucidé. Les études des jumeaux, qui grandissent dans leur famille ou ont été adoptés, ont souligné une forte contribution génétique à ce trouble, avec une probabilité d’hériter de 60-90 %. Murray et Johnston [12] ont montré, dans une étude en 2006, que 30-40 % des parents avec TDA/H ont un enfant avec TDA/H, que 25 % des enfants atteints ont aussi un parent atteint et que le fait que le parent soit aussi atteint de TDA/H non traité augmente les difficultés pour qu’il puisse aider son enfant à vivre avec son TDA/H.
10 Des études ont prouvé que, dans l’étiologie du TDA/H, sont impliqués les gènes de la régularisation d’un système neurotransmetteur des synapses dopaminergiques : DRD4, DRD5, SCL 6A3, SNAP-25 et HTR1B [13].
Le modèle neurobiologique
11Au cours des deux dernières décennies, les théories neurobiologiques du TDA/H ont été centrées sur deux modèles communs, mais pas mutuellement exclusifs.
12Les rôles du fonctionnement exécutif, ou la théorie « top-down » dans le TDA/H, ont été discutés comme un dysfonctionnement de base des troubles depuis plus d’un siècle. Dans l’une des versions les plus développées de cet argument, Barkley [14] a présenté ce qu’il a appelé une théorie unificatrice du TDA/H, qui suggère que les symptômes du « désordre » représentent une inhibition comportementale atypique, qui a été causée par des déficits de réponse ; cette inhibition, à son tour, perturbe quatre fonctions exécutives spécifiques : 1) la mémoire de travail (non verbale) ; 2) l’autorégulation des processus de motivation, de vigilance et des affects ; 3) l’internalisation du discours (mémoire de travail verbale) ; 4) la reconstitution.
13Les théories de « bottom-up » (de la motivation, de la réponse récompensée et de la régulation émotionnelle), présentées pour la première fois dans les années 1970, ont récemment augmenté dans la littérature [15-17]. La théorie de la motivation (ou de la réponse récompensée) est liée à l’actualisation temporelle ou à une mauvaise régulation de l’affect. Cette régulation de l’affect est généralement considérée en termes d’« approprier » le comportement (qui peut également être interprété comme affectivité positive) et « éviter » le comportement (interprété comme affectivité négative). Bien que ne faisant pas partie des critères diagnostiques, le TDA/H est souvent associé à des problèmes émotifs, comme les difficultés à gérer la colère, l’humeur [18].
14Ces deux modèles mettent en avant le déficit d’auto-modulation présent dans le TDA/H. Les dysfonctionnements aux niveaux des fonctions exécutives entraînent des difficultés à plusieurs niveaux [19] : 1) activation : difficulté à organiser, prioriser, initier la tâche, en ce qui concerne la gestion du temps, l’analyse et la synthèse ; 2) focus : concentration, changement de tâche, flexibilité ; 3) effort d’éveil : maintien de l’effort et de l’intérêt, vitesse d’exécution en général normale, mais difficultés d’autocorrection ; 4) émotions : gestions de la frustration, modulation des émotions ; 5) mémoire : mémoire de travail, rappel d’information ; 6) action : autorégulation, inhibition, affects, motivation, pulsions, affectivité. On pourrait donc appeler le TDA/H le trouble de l’auto-modulation ou trouble de l’autogestion de l’attention (idées, stimuli, mouvements, comportements, émotions).
Le modèle psychodynamique
15Les différentes hypothèses psychodynamiques concernant le TDA/H s’intéressent plus particulièrement aux symptômes, ou plutôt au sens du symptôme. L’approche européenne ne dissocie pas le trouble hyperactif de son contexte environnemental et fait une place plus grande aux troubles de l’affectivité, de la structuration de la personnalité et des interactions familiales (modèle polyfactoriel). Dans la littérature psychanalytique, les auteurs parlent plutôt d’enfants instables (il manque quelque chose pour concourir à la stabilité) que d’enfants hyperactifs (il y a quelque chose en trop), et plutôt d’instabilité psychomotrice que de TDA/H.
L’enfant hyperactif : un état limite?
16Pour Malarrive et Bourgeois [20], l’instabilité correspond à une « dysharmonie d’évolution » : il s’agit d’une « organisation pathologique très précoce de la personnalité avec des niveaux dysharmonieux entre une intelligence et un langage pouvant être remarquables et un niveau très bas de structuration affective ».
17Pour Lepage [21], « l’impression générale est celle d’une dysharmonie soit au niveau structurel, soit au niveau de la maturation fonctionnelle, soit les deux », les enfants hyperkinétiques appartenant au « groupe des états-limites ».
18Flavigny [22] confirme la précarité des mécanismes de défense névrotique de type phobique ou obsessionnel, l’absence de trait psychotique avéré, les défenses de la personnalité apparaissant toujours efficaces et maintenant le lien à la réalité. En référence aux critéres de l’école française, d’après l’approche de Misès, il considère l’enfant comme appartenant aux dysharmonies d’évolution, la structure de la personnalité étant plus souvent « état limite », dans deux tiers des cas. Et, pour citer F. Joly : « derrière la symptomatologie la plus manifeste, existe une faille profonde de la structuration psychique subjective, et (ces brefs rappels psychopathologiques) dévoilent en vérité l’économie limite sous-jacente à cette a-structuration. Le syndrome d’instabilité me semble apparaître dans la plus grande majorité de ses figures bruyantes actuelles comme une forme prototypique de pathologie limite de l’enfant en développement » [23].
19 À côté des recherches réalisées par les équipes de pédopsychiatrie, d’autres études ont été menées par des sociologues, des ethnologues, des démographes. Elles font ressortir la fréquence croissante, au cours de l’enfance, des manifestations dominées par les « agir » : les troubles de conduite, l’hyperkinésie, les troubles du comportement alimentaire, les phénomènes d’addiction. Ces faits apparaissent en relation étroite avec les mutations que la postmodernité (l’hyper modernité) introduit dans les grandes institutions – la famille, l’école, le cadre social – d’où résultent, ici aussi, les défauts d’accès aux conflits intériorisés qui sont propres aux névroses infantiles.
20 L’hyperactivité recouvre une grande fragilité au plan narcissique [24]. La sous-excitation physique est variablement associée à des retards de langage, des symptômes pseudo-névrotiques et d’autres troubles des comportements [25]. L’étude psychopathologique met en évidence :
21 Les distorsions du lien précoce mère enfant et les défauts d’étayage.
22 Cette fonction d’étayage se définit par la fiabilité de la présence maternelle qui se « manifeste par la disponibilité psychique, l’accessibilité immédiate ; elle offre un cadre de référence, une permanence, résistant aux attaques et aux épreuves : c’est la mère qui porte, supporte et survit » [20, 22, 26-28].
23 Les hypothèses se centrent souvent sur la présence d’une dépression maternelle post-natale, ou sur d’autres situations à risque de perturbations des interactions précoces mère enfant. Il peut s’agir de diverses situations dans lesquelles on peut identifier la présence de « facteurs de risque » qui sont eux-mêmes liés à l’enfant (maladie, présence d’un handicap sensoriel par exemple), ou à la mère (psychopathologie maternelle chronique ou transitoire, névrose de caractère, troubles de la personnalité), ou aux deux (prématurité, séparations).
24 Précisons que, lorsque les auteurs évoquent la mère, ils ont moins en vue la mère en tant que personne que la mère en tant que fonction (maternant), avec tout ce qu’elle comporte d’inconscient et de fantasmatique, et étant bien entendu que, dans la mise en œuvre de cette fonction, l’action de l’enfant sur sa mère est aussi importante que la réciproque.
25 La perception d’une discontinuité du processus de soins maternels (même relative) fait entrevoir l’apparition des failles, de la distorsion qui altèrent le déroulement de l’histoire vécue. Ces conditions font vivre à l’enfant des expériences insécurisantes, ayant valeur de traumatismes, souvent répétitives, d’où découle l’inscription des failles, de la distorsion qui altèrent le processus évolutif mais sans entraîner pour autant des décompensations comparables à celles que l’on rencontre dans l’histoire de certaines psychoses précoces. En effet, l’enfant se montre capable de mobiliser des capacités de rétablissement et d’adaptation en s’appuyant sur des défenses archaïques et sur les clivages qui introduisent les modes de fonctionnement de faux-self de Winnicott. « Il en découle des défaillances de l’appropriation des mécanismes qui assurent l’individualisation, la maîtrise des instruments de symbolisation, l’accès à la vie fantasmatique » [29].
Les défauts de la mise en place du système de pare-excitation et les défauts d’élaboration de la fonction de contenance
26 Le système de pare-excitation permet de métaboliser mentalement les stimulations endogènes et exogènes dont tout nourrisson est bombardé. Il s’agit de la constitution des premières enveloppes psychiques.
27 Pour que cette limite psychique se construise, elle doit contenir de manière organisée des perceptions internes, kinesthésiques, musculaires, osseuses, viscérales, associées aux vécus tactiles, visuels, auditifs, gustatifs, olfactifs. Cette construction peut être mise à mal s’il y a un trop-plein de stimulations extéroceptives et un manque de vécu intéroceptif.
28 Le nouveau-né est d’emblée en prise direct avec son environnement, soumis aux stimulations sensitivo-sensorielles diverses face auxquelles il va devoir être protégé. Cette protection est due à un système pare-excitation assuré en partie par la fonction maternelle, en partie par le bébé lui-même, et en partie par l’interaction entre ces deux composantes.
29 La partie maternelle du système pare-excitation concourt à l’édification des enveloppes psychiques selon la dynamique décrite par Esther Bick [30], qui fait dériver celle-ci de l’investissement libidinal de la peau du bébé par la mère, laquelle sera ensuite, si tout se passe bien, intériorisée en tant qu’objet suffisamment contenant et suffisamment limitant et prenant part aussi au système pare-excitation.
30 Le bébé est lui-même compétent pour s’autoprotéger vis-à-vis de diverses excitations émanant du dehors notamment par les variations de l’état de vigilance, par des processus d’habituation (l’enfant prête de moins en moins attention à des stimuli qui se répètent) ; le bébé dispose aussi de procédés auto-calmants.
31 Quand le système de pare-excitation a été défaillant, que les enveloppes psychiques ne sont pas édifiées de manière optimale, l’agitation d’un enfant peut prendre la valeur d’une enveloppe motrice défensive face à un défaut de contenance primordiale. Les limites corporelles sont indécises et sont alors recherchées dans le monde extérieur et dans autrui car le corps propre ne les possède pas : « il reste soumis au risque de débordements par des excès de tension interne qui altèrent les ébauches d’organisation de sa vie mentale. Les psychosomaticiens en ont bien montré les conséquences dans leurs études sur les expressions par le corps ou par l’agir » [31]. Mille, et al. émettent l’hypothèse qu’il s’agit d’un défaut d’intériorisation de la fonction de rêverie maternelle qui serait à l’origine d’une faille dans la « co-construction » de la fonction de pare-excitation du moi en tant qu’élément essentiel de l’enveloppe psychique [32]. De même, Golse porte l’accent sur une faille dans la constitution des premières enveloppes psychiques et pose comme postulat que l’agitation motrice et la carapace qu’elle induit permettent à l’appareil psychique en constitution de se donner une contenance et d’évacuer la mentalisation des angoisses archaïques, des affects douloureux : bouger permet de se sentir exister en se donnant une contenance [33].
Des échecs dans le registre de la transitionnalité
32Quand l’enfant grandit avec une mobilité croissante et des changements cognitifs, langagiers et émotionnels liés, il doit franchir des étapes au cours desquelles il dépend davantage de la personne de référence primaire qui procure une assurance et qui lui fournit une sécurité. Ainsi, bouger et apprendre à marcher permet à l’enfant de mettre de la distance entre lui et sa mère, d’accomplir ses désirs de rejoindre un objet ou une personne. Une attitude hyperprotectrice, voire fusionnelle de la mère, ou au contraire une trop grande distance, ne permettent pas à la mère de jouer auprès de l’enfant ce repère sécurisant. Si ces capacités d’« accordage », de contenance, de holding et de référence sociale sont absentes, l’enfant ne sera pas capable de s’identifier à l’« objet suffisamment bon » et développer ultérieurement sa propre régulation de pulsions et d’affects internes [34].
33 Ici, les objets transitionnels font simplement défaut, là, ils sont d’apparition retardée, ailleurs ils concernent des objets moins investis, changeants, dont la possession n’est plus impérieuse. En effet, la mère, loin de soutenir l’enfant dans ses essais de construction d’un espace psychique personnel, entretient une proximité et des modes d’emprise qui maintiennent chez l’enfant l’illusion d’un pouvoir omnipotent exercé sur ses premiers objets. Dès lors, l’aptitude à jouer seul, en présence de la mère, puis à distance, se trouve mise à défaut ; l’enfant ne peut prendre ni plaisir, ni intérêt aux activités ludiques, il s’attache surtout à maintenir des échanges captatifs, plus ou moins ritualisés [35]. « Ce défaut de transitionnalité se traduit par une incapacité à jouer ou à travailler seuls, les obligeant à trouver des “animations” substitutives ou des tuteurs dans leur environnement. Ainsi dépourvus d’appui interne, ils sont dépendants des stimulations ou des encouragements de leur entourage qu’ils sont pourtant peu préparés à métaboliser ou à accepter » [35]. Dans un article de 2002, JL Goëb, et al. montrent que 20 % des patients diagnostiqués « hyperactifs » n’ont pas eu d’objet transitionnel [36].
Des défauts d’élaboration de la position dépressive, équivalente des défenses maniaques
34L’hyperactivité de l’enfant peut être envisagée comme une réponse de type « hypomaniaque » envers un noyau dépressif sous-jacent. « Ce serait dans la recherche répétitive de l’excitation et de l’exercice d’une motricité que sera menée la lutte du sujet contre l’effondrement dépressif et narcissique » [37], « Elle entretient l’illusion d’une toute-puissance, qui s’exprime par un mépris, un contrôle et un triomphe sur l’objet » [35]. En effet, c’est dans la restauration du déni de l’impuissance douloureuse, de l’angoisse structurante liée à l’ambivalence et à la capacité de ressentir de la culpabilité envers l’objet d’amour que se renforcent ces défenses maniaques qui soutiennent l’omnipotence, la maîtrise exercée sur les affects et les tentatives de domination sur des personnes. Ainsi, les angoisses dépressives et de séparation restent mal intégrées et viennent généralement au premier plan ; cependant, en dépit de ces échecs, la reconnaissance de la mère comme objet total, comme personne entière demeure acquise par l’enfant ; par elle, s’affirme la différenciation entre soi et non-soi, l’accès au sentiment de soi, tandis que se manifeste parallèlement la prédominance des angoisses dépressives et de séparation sur les angoisses de morcellement et de néantisation. La dépression apparaît alors en position centrale, et il faut savoir en rechercher les expressions. En effet, les composants dépressifs évoluent rarement de façon manifeste pendant une période prolongée car l’émergence d’affects incontrôlés accentue les menaces de désorganisation qui mobilisent des tentatives de liaisons par l’agir.
Une fragilité narcissique
35Quand les pulsions sont non suffisamment intégrées psychiquement, elles risquent d’envahir le moi et ainsi d’inhiber ou d’entraver complètement le développement de la pensée symbolique en processus secondaire ; en d’autres termes, elles risquent d’empêcher de fixer l’attention, de verbaliser les affects, les besoins et les fantasmes ainsi que la capacité de se concentrer [34].
Une pseudo-triangulation œdipienne
36En effet, la relation triangulaire ne s’organise que de façon partielle ; on reste sur le terrain de la pseudo-œdipification, de la bi-triangulation, avec une dominance de la relation duelle. La figure paternelle est utilisée surtout dans une fonction défensive vis-à-vis d’une relation anaclitique à la mère, qui reste indispensable mais apparaît porteuse de représentations et d’angoisse archaïques [37]. Le père peut être vécu par l’enfant comme l’exact inverse de la mère, tout en étant en référence à la mère dans cette prédominance de la relation duelle.
37 Ainsi, cette instabilité associée à un niveau d’excitation interne élevé peut être investie comme une forme de compensation narcissique face à l’angoisse, aux affects agressifs ou pénibles, à la menace d’abandon et au risque d’effondrement, ce d’autant plus qu’elle permet la captation de l’attention des adultes.
38 De plus, l’investissement de l’enveloppe corporelle montre toujours une fragilité des limites ou du sentiment de continuité « liée à la difficulté pour le moi infantile à constituer une représentation unifiée, continue et gratifiante du corps propre ». « L’instabilité de l’enfant peut être décrite comme le vécu sensoriel, émotionnel et cognitif d’un espace interne qui ne peut pas être représenté de façon suffisamment précise et continue » [25].
39 Pour conclure en citant Christian Mille : « mis répétitivement en situation de décharger l’excitation, ou d’évacuer la souffrance ils s’agitent ou agissent, faute de pouvoir penser, élaborer mentalement leurs affects. Cette « carence » discursive interne témoigne des limitations des modalités de fonctionnement psychique et au-delà, des failles dans la structuration de la personnalité » [32].
L’enfant hyperactif : un compromis névrotique ?
40Dans un autre cas de figure, pour Christian Mille [32], le symptôme « instabilité » peut être compris comme une forme de « compromis névrotique » entre le désir œdipien et sa répression : « l’hyperactivité prend valeur de séduction culpabilisée propre à mobiliser conjointement l’intérêt et l’agressivité du parent concerné ». Ici, l’hyperactivité de surface est sous-tendue par une anxiété, voire un vécu dépressif. Ainsi, l’enfant est toujours rassuré de mobiliser la vigilance de ses proches par ses conduites risquées ou ses acrobaties. Les réponses surprotectrices ou punitives des parents contribuent alors à satisfaire le désir œdipien et à soulager la culpabilité inhérente. En agissant de manière irréfléchie et périlleuse, il interroge et met à l’épreuve les sentiments ambivalents de ceux dont il voudrait vérifier l’amour inconditionnel. Par son hyperactivité, il trouve aussi le moyen de dériver l’excitation pulsionnelle débordante qui peut éveiller la plus grande proximité physique avec une mère et un manque d’attention. Ainsi, « l’affirmation phallique et la provocation masochiste traduisent l’absence de renoncement à l’accomplissement des vœux incestueux et la recherche inconsciente de retombées punitives ».
L’enfant hyperactif : une pathologie du lien infanto-maternel ?
41C’est Claudon [25] qui a développé une théorie à propos de cette pathologie du lien, en élaborant également la notion de « représentation d’action spécifique à la source de l’instabilité ». En effet, cet auteur postule que l’enfant en développement se forge des représentations psychiques du mouvement de son corps. Et, en reprenant les travaux de Tisseron et de Anzieu [38-41], il avance l’idée qu’il y aurait au cours du développement de l’enfant une continuité fonctionnelle et surtout affective de certaines représentations de soi corporelles (sensorielles et motrices) qui s’établissent et se rejouent à trois niveaux de structuration fondamentaux : la psyché de l’enfant, son corps et les séries de relations infanto-maternelles. L’histoire du corps de l’enfant avec la mère est alors plus large que celle liée aux soins primaires. Ainsi, lors des apprentissages de la marche, de la déambulation, et lors de toutes les expériences motrices, l’enfant va se constituer progressivement des représentations de soi et de l’environnement en écho direct avec les réponses et injonctions maternelles plus ou moins anxiogènes ; les limitations portant sur les gestes de l’enfant vont aussi porter sur l’individuation subjective, les angoisses de la mère vont se reporter sur l’autonomisation infantile : « le mouvement du corps serait corrélatif d’une structure intrapsychique génératrice de représentations de soi très spécifiques » [38, 41]. L’agir instable pourrait alors constituer une production somato-psychique « autogène », c’est-à-dire qu’il y aurait un processus circulaire entre soma et psyché, tel que l’agir générerait une représentation d’action qui elle-même induirait un agir.
42 Ainsi, selon Claudon [25, 28], l’agir de l’instabilité naîtrait de relations conflictuelles inconscientes entre la mère et l’enfant, conflits centrés sur le champ de la motricité et des actions infantiles ; « dans ces conditions, la motricité de corps est l’outil contenant d’un matériel psychique difficile à penser » [25], c’est-à-dire que les difficultés de mentalisation conduisent le corps à supporter, à figurer des tensions psychiques. Il existe donc chez l’enfant instable un déficit de symbolisation qui inscrit le corps comme scène de symptôme, puis « le corps, en tant que mode de figuration stéréotypée d’ordre sensoriel, est en retour l’origine d’une image mentale corporelle » [25]. Cette image corporelle de soi est alors investie à l’outrance à la place des objets internes conflictuels. De ce fait, P. Claudon définit ensuite l’installation d’une circularité qui en revient toujours au corps : « ce serait comme le surinvestissement d’une image de soi exclusivement corporelle-active dont l’essence corporelle implique inévitablement la présence des sensations proprioceptives, d’où la propension à l’agir. Une circularité s’établit alors selon le schéma suivant : sensation/représentation/action/sensation. Cette circularité expliquerait la pérennisation de l’agir instable et son usage compulsif ». Claudon nomme ce type d’image motrice de soi « la représentation corporelle d’action ».
43 Ainsi, selon cet auteur, l’instabilité psychomotrice infantile apparaît souvent comme l’expression d’une motricité qui n’a pas assez de valeur industrieuse et socialisante. Cette difficulté développementale évoquerait une relation de dépendance à l’objet maternel. L’agir instable existerait d’abord dans l’espace psychique de l’enfant par une représentation motrice spécifique, qu’il a appelé représentation corporelle d’action.
44 Dans une étude de 2002 [25] au cours de laquelle il fait passer aux enfants hyperactifs le test projectif du Rorschach, Claudon retrouve que, pour ces enfants, il est difficile de vivre une unité psychosomatique si les images du corps sont trop peu alimentées par l’imaginaire. Ceci se révèle dans ses données par un décalage ou une dysharmonie entre le corps vécu (instable) et les images que l’enfant s’en fait, produisant au final une représentation de soi trop dépendante du mouvement corporel, de la réalité du corps proprioceptif. De plus, les résultats du Rorschach mettent en avant une fragilité des limites corporelles.
45 Ainsi, à travers les travaux de Claudon, on retrouve chez ces enfants une insuffisance d’élaboration psychique, soulignée également par les auteurs évoquant une structuration limite chez ces enfants hyperactifs.
46 Au total, et pour conclure ce chapitre, il nous semble important de citer les travaux de Cohen de Lara et M. Guinard [42, 43] qui, dans une recherche pluridisciplinaire, étudient le fonctionnement psychique d’enfants diagnostiqués TDA/H. Les épreuves projectives ont mis en évidence, pour une majorité des enfants, l’existence de fragilités du sentiment d’identité et des représentations internes, ainsi que des défauts de pare-excitation et de contenance, sans défaillance d’adaptation à la réalité [37]. Cette étude va donc dans le sens d’une tendance à la structuration limite (ou l’a-structuration) chez les enfants diagnostiqués.
L’évolution du TDA/H
47Environ 50 % à 80 % des enfants souffrant de TDA/H continuent à en souffrir à l’âge adulte [44-45] et 30 % d’entre eux auront au moins un autre trouble psychiatrique à l’âge adulte [46].
48 Parmi les troubles psychiatriques relevés, on note la dépendance à des substances (toxicomanie), un trouble de la personnalité, des troubles d’anxiété généralisée ou des troubles dépressifs [46].
Conclusion
49 « L’étude épistémologique du concept d’instabilité/hyperactivité nous montre les voies différentes que peut emprunter la pensée clinique à partir d’un syndrome décrit de façon identique et invariante depuis plus d’un siècle, dont les caractéristiques cliniques sont bien connues et dont tous s’accordent à le situer de façon intermédiaire entre neurologie et psychopathologie » [10].
50 L’approche psychodynamique semble importante pour la prise en charge du TDA/H et mérite d’être intégrée à la prise en charge médicamenteuse, s’appuyant sur le modèle neuroscientifique, et aux TCC et autres thérapies brèves, s’appuyant sur le modèle neurobiologique.
Liens d’intérêts
51 l’auteure déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec ce texte.
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