1 Voici une approche psychothérapique spécialisée pour les troubles de la personnalité limite, développée par Otto F. Kernberg et ses collaborateurs du Personality Disorder Institute du New York Presbyterian Hospital, Weschester Division et du Weill Cornell Medical College. Dès les années 1970, devant l’insuccès des thérapies traditionnelles, Kernberg explore cette psychopathologie. Il s’entoure promptement de collègues qui observent, enregistrent et analysent le moindre succès ou échec et tentent d’en comprendre les raisons, les mécanismes psychiques individuels et relationnels. Petit à petit, un corpus de connaissances et de techniques se forme et les premiers textes précisant une psychothérapie spécialisée plus fructueuse apparaissent au début des années quatre-vingt [1, 2]. Depuis, la recherche, tant empirique que clinique, la réflexion ainsi que l’échange entre experts n’ont cessé de s’accroître. Nous présentons les assises théoriques et méthodologiques de la psychothérapie focalisée sur le transfert, son fondement psychodynamique et son ancrage dans les théories des relations objectales. Nous expliquons l’organisation psychique du monde interne développé chez l’enfant normal et comment la personnalité limite conserve quelque chose de ce fonctionnement inachevé. C’est à ces carences du monde psychique que la psychothérapie focalisée sur le transfert tente de s’adapter pour rejoindre et travailler avec la personne souffrante à un fonctionnement plus économique et mieux adapté en modifiant la structure même de sa personnalité. Nous esquissons les buts et les moyens mis en œuvre pour les atteindre.
La psychothérapie focalisée sur le transfert (PFT)
2La PFT est une version modifiée et spécialisée de la psychothérapie psychodynamique. L’épithète « psychodynamique » renvoie à l’interaction de forces conflictuelles et de motivations divergentes dans la psyché. Certaines forces favorisent l’expression spontanée, impulsive et agie des émotions, des désirs et des tensions internes, d’autres répriment de telles actions et exigent le respect des contraintes et impératifs des réalités physiques, sociales et morales. Les conflits ainsi soulevés peuvent provoquer de multiples symptômes.
3 La PFT met l’accent sur certains aspects des théories psychanalytiques élaborées par Freud et Klein et propose certaines modifications techniques, de manière à mieux tenir compte des difficultés particulières liées aux troubles de la personnalité limite. Le thérapeute tente de saisir et de souligner les affects et les pulsions sous-jacentes à la manière d’être de la personne, les représentations qu’elle se fait d’elle-même et des autres, des affects et désirs qui relient les unes aux autres mettant parfois en branle un système défensif tel qu’exprimé dans la relation transférentielle, ce qui suscite parfois des réactions contre-tranférentielles. Le psychothérapeute tente de conserver une perspective d’ensemble de la structure de la personnalité, des forces intrapsychiques en jeu et des principales dyades relationnelles objectales en jeu lorsqu’il formule une interprétation.
4L’approche se fonde aussi sur les théories des relations d’objet. Elle prend en compte les dyades relationnelles que le sujet établit avec les objets et les jeux multiples et variés de ces dyades. Elles sont tantôt utilisées pour répondre à des besoins et des désirs, tantôt comme défensives contre les mouvements pulsionnels, les affects, les angoisses, les aspects dépressifs du monde interne, les objets, les menaces imaginaires ou réelles du monde extérieur. Le thérapeute essaie de détecter la nature profonde de la relation objectale établie par la personne en séance, de percevoir et de comprendre le conflit psychique qui ne manque pas de se manifester plus ou moins clairement par le biais du transfert. Le thérapeute cherche à saisir le rôle des dyades relationnelles mises en scène, leurs motivations tant pulsionnelles que défensives.
La théorie des relations objectales
5Freud et Breuer [3] expliquait une part importante de la psychopathologie par un conflit entre les exigences pulsionnelles majoritairement inconscientes et les interdits partiellement inconscients, initialement posés à l’enfant par les parents, interdits respectés et intériorisés afin de conserver leur amour. Plusieurs symptômes seraient ainsi le résultat d’un compromis inconscient entre une gratification pulsionnelle partielle et un respect tout aussi partiel de l’interdit. Le traitement consiste alors à aider la personne à percevoir, à reconnaître et à comprendre les influences des forces inconscientes, à rendre conscientes les dimensions inconscientes du conflit de manière à permettre une meilleure façon de composer avec les pulsions et les interdits à un niveau plus conscient plutôt que de vivre inconsciemment un compromis-symptôme. L’exemple classique est le symptôme de conversion hystérique dans lequel une pulsion sexuelle est en conflit avec un interdit intériorisé. Ce conflit donne lieu, par exemple, à une paralysie sans causalité physiologique. La paralysie apporte une certaine satisfaction sexuelle en attirant l’attention sur le corps tout en respectant l’interdit de la pleine satisfaction pulsionnelle.
6 Les théories des relations objectales [4-10] mettent l’accent sur le fait que les pulsions libidinales et agressives ne sont pas éprouvées de façon abstraite dans la psyché, mais manifestement ressenties en relation avec un objet spécifique. Le développement de la psyché de l’enfant est intimement lié aux interactions et aux relations vécues avec les figures parentales en combinaison avec le tempérament biologique de l’enfant. L’espace alloué ici ne permet pas d’expliquer comment la TFP intègre la théorie des relations objectales.
L’application de la psychothérapie focalisée sur le transfert
7Comme dans la majorité des traitements s’adressant aux troubles de la personnalité, la PFT est une thérapie à long terme [11]. Contrairement aux thérapies comportementales, la PFT se propose de modifier autant la structure sous-jacente de la personnalité que les comportements et attitudes. Bien qu’intéressée aux racines étiologiques de la personnalité limite, la PFT s’efforce d’éclairer l’organisation du monde interne, le fonctionnement de la pensée et la façon dont la personne les éprouve dans l’expérience relationnelle immédiate au thérapeute. Celui-ci s’efforce d’aider la personne à prendre conscience de sa manière d’être et de faire, laquelle traduit l’organisation du monde interne. L’expérience immédiate manifeste des représentations que la personne se fait de la situation, du thérapeute et d’elle-même. L’expérience vécue est la résultante d’une combinatoire des perceptions du monde extérieur, perceptions biaisées par des représentations déjà actives dans le monde interne, lesquelles sont davantage inconscientes que conscientes et que la personne ressent comme issues de l’expérience immédiate. Au fond, la personne ne se souvient pas vraiment, mais elle agit le contenu du souvenir, comme l’expliquaient Freud et Breuer [3] à propos de l’hystérique.
8C’est par le biais de l’analyse soutenue de la relation transférentielle, de ce qui se passe ici et maintenant avec le psychothérapeute que celui-ci aide la personne à prendre conscience des dyades relationnelles activées en séance, à prendre conscience du rôle que la personne s’attribue à elle-même et au thérapeute et des affects en jeu. De la même manière, toutes les autres relations vécues à l’extérieur de la séance et rapportées en séance sont ramenées, dans la mesure du possible, à la relation immédiate entre le thérapeute et son vis-à-vis. Ainsi, une personne se plaint d’abus de pouvoir de la part de ses patrons et de son impression de ne pas être considérée comme une personne valable. Le thérapeute demande si la personne a eu le sentiment de ne pas être considérée comme une personne valable, en début de séance, lorsque le thérapeute n’a pas daigné répondre à une question à propos de sa voiture personnelle aperçue sur le stationnement. Ramener les propos de la personne à la relation transférentielle n’est pas toujours aussi simple, mais c’est par ce biais que l’analyse des dyades devient possible.
9 Ce travail n’est possible que si l’analyse du contre-transfert est régulièrement assurée avec minutie. C’est pourquoi, la PFT suppose l’appartenance à un groupe de travail avec la possibilité d’échanges francs sur les cas suivis, de discussions sincères et réciproques du travail clinique entre collègues et des supervisions relativement régulières avec un tiers extérieur.
Vue d’ensemble du processus psychothérapique
10L’entretien structural [12] vise à établir un diagnostic différentiel et préciser les problèmes spécifiques à la personne qui consulte. Puis, le psychothérapeute engage la deuxième phase, soit une discussion minutieuse sur le contrat psychothérapique [13]. C’est une étape pré-psychothérapique. Le contrat établit les conditions nécessaires au succès du traitement. Durant cette période, les obstacles ayant fait échouer d’éventuelles thérapies antérieures sont identifiés et des paramètres pour contrer ou composer avec ces difficultés sont posés en accord avec le patient. Les paramètres spécifiques insérés dans le contrat psychothérapique concernent les consommations abusives de substances nocives, les automutilations, les tendances suicidaires, les impulsions à abandonner la thérapie, la retenue d’informations pertinentes que le thérapeute devrait savoir, etc. La PFT se sert sans hésiter de diverses ressources auxiliaires jugées utiles ; tels les programmes en douze étapes pour alcooliques ou toxicomanes, l’assistance d’une clinique des troubles alimentaires ou d’un médecin pour gérer ce type de problèmes, les questions de poids, les déséquilibres métaboliques, etc. Un plan d’action est élaboré si la personne ne se croit pas en mesure de contrôler ses idéations suicidaires ou ses impulsions automutilatrices. Les responsabilités et les attentes des deux parties sont précisées, explicitées et discutées jusqu’à ce qu’advienne une entente claire sur les meilleurs moyens à prendre pour aider la personne à se protéger, protéger son entourage et la psychothérapie. Ces discussions exigent au moins deux séances et souvent plus. Les paramètres et les rôles établis par le contrat aident aussi à analyser le caractère. Dans le déroulement de la thérapie, chaque déviation des paramètres peut être explorée comme une mise en action (enactment) subtile, ou pas, d’un aspect du monde interne du patient. Simplement dit, chaque déviation du cadre établi est une manifestation d’un aspect du transfert.
11Durant cette phase, le thérapeute rencontre parfois des membres proches de la famille ou d’autres personnes de son milieu afin de s’assurer que les personnes concernées partagent la même compréhension des problèmes du patient ou de la patiente et des implications psychothérapiques. Ces rencontres pré-psychothérapiques impliquent certes une certaine forme de psychoéducation, mais elles offrent aussi et surtout aux diverses parties, la possibilité de poser toutes les questions et de soumettre leurs inquiétudes et leurs préoccupations à propos des problèmes de la personne et de la thérapie à venir. Le contrat psychothérapique sert de cadre de travail aux deux protagonistes, aide la personne à rester vigilante face aux comportements qui l’ont conduite à mettre fin de façon précipitée aux thérapies antérieures ou à les faire échouer. Le contrat aide également le thérapeute à gérer les manifestations de son propre contre-transfert devant les puissantes incitations et exigences régulièrement présentes dans le traitement des personnalités limites.
12Si le thérapeute et la personne en viennent à une entente sur les conditions pour le meilleur déroulement de la psychothérapie et seulement à ce moment, les séances de psychothérapie commencent. S’il n’y a pas d’entente, une autre forme de psychothérapie, le plus fréquemment une thérapie de soutien avec des objectifs moins ambitieux, est proposée.
13 Le but premier de la thérapie est d’engager la personne dans une observation et une prise de conscience des différentes représentations d’elle-même (du soi) et des personnes avec lesquelles elle est en contact. Ces représentations ne manqueront pas de s’activer dans la relation au thérapeute. Cependant, en attendant le moment où celles-ci pourront être observées et discutées, parce que la majorité d’entre elles sont inconscientes et qu’elles sont plutôt agies sans conscience des significations et des distorsions qu’elles induisent dans l’expérience vécue, l’intervenant s’intéresse au vécu quotidien de la personne, l’invite explicitement à parler des difficultés rencontrées au jour le jour dans les divers milieux où elle évolue. Le thérapeute questionne souvent les propos de la personne et la presse de s’exprimer davantage, à clarifier son argumentation, ses points de vue et explore les points obscurs, les sous-entendus, les fondements des diverses prises de positions, les raisonnements stéréotypés et préconstruits, etc. C’est par ce travail d’exploration et de clarification que le thérapeute mobilise la personne et canalise vers lui les émotions soulevées par les expériences quotidiennes.
14Une femme demande à son thérapeute s’il est possible de déplacer l’heure de la prochaine séance. Vérification faite dans son agenda, le thérapeute répond par la négative. La patiente s’enrage et adresse plein de reproches, dont celui de ne pas vraiment l’aimer. Elle dit détenir maintenant la preuve que son thérapeute ne veut pas d’elle en thérapie et avoir la certitude qu’il prend même plaisir à la maltraiter, à la voir souffrir, etc. Il y a ici activation d’une représentation d’un soi frustré, rejeté en relation avec un autre négligent, abuseur et sadique. La colère de la patiente continue de s’accroître. Elle quitte son fauteuil et marche de long en large dans le cabinet en poursuivant ses insultes envers le thérapeute. Elle en vient même à le menacer de son poing. Le thérapeute lui demande si elle peut se joindre à lui pour observer ce qui se passe maintenant et réfléchir ensemble à la situation actuelle. La personne hésite, marche encore un temps avant de retourner lentement vers son fauteuil. Le thérapeute attend que la patiente se calme un peu, puis suggère que s’il y avait eu un observateur dans la pièce, il aurait vu une femme le maltraiter aussi durement qu’elle se plaignait de l’être. Elle le regarde, à la fois incrédule et stupéfaite. Il ajoute bien comprendre sa déception, mais pas la colère qu’elle vient de lui manifester, néanmoins, explique-t-il, la colère et la rage sont des sentiments tout à fait humains et acceptables et, malgré leur intensité, ces sentiments peuvent être exprimés d’une façon maîtrisée, contrôlée, mais qu’ils posent problème lorsqu’ils sont déniés, parce qu’il est alors impossible à une personne de contrôler ce dont elle n’est pas consciente.
15La prise de conscience progressive des différentes représentations de soi et des autres rend possible la comparaison des images internes avec la réalité vécue. La réflexion sur l’expérience relationnelle et sur les intentions de l’autre devient possible. Ainsi, dans l’exemple rapporté ci-dessus, la patiente a pu se souvenir d’autres occasions où le thérapeute avait accepté de changer l’heure d’une séance pour l’accommoder. Au fur et à mesure que la personne s’ouvre à une meilleure conscience de ses changements abrupts d’humeur et des contradictions inhérentes à ses états mentaux (clivage en « tout bon/tout mauvais » de soi et de l’autre, inversion des dyades relationnelles, etc.), elle commence à intégrer les images clivées en une représentation-synthèse plus nuancée et plus réaliste de soi et de l’autre.
16Les techniques utilisées en PFT sont : 1) La clarification — rechercher une meilleure compréhension de ce que la personne pense et comprend dans le moment présent ; 2) la confrontation — souligner et encourager la réflexion sur les états mentaux contradictoires ; 3) l’interprétation — expliquer ce qui rend difficile l’intégration des aspects contradictoires en un sentiment cohérent et harmonieux de soi et de l’autre [14]. Lorsque la personne commence à penser, avec le thérapeute, sur elle-même et sur les autres d’une manière moins rigide et moins dichotomique, il y a une diminution des clivages et les dyades relationnelles s’avèrent plus souples et plus stables. La personne développe un sentiment de soi plus cohérent et mieux intégré, ce qui réduit d’autant le besoin d’agir les affects pénibles et, concomitamment, les symptômes sévères de la personnalité limite.
Les changements cliniques espérés
17Si la thérapie aide effectivement la personne à faire la synthèse des dimensions clivées de son monde interne, celle-ci ne voit pas seulement ses symptômes changer, comme la diminution des passages à l’acte, mais elle modifie fondamentalement sa manière de se vivre et d’éprouver les relations avec les autres, retire une plus grande satisfaction et de meilleures gratifications de son expérience de vie.
18 Généralement, les premiers changements observés, chez la personne qui a assidûment suivi une PFT au rythme de deux séances par semaine, consistent en une diminution significative des comportements impulsifs, d’où une meilleure régulation des affects. Cependant, la contrepartie de cette amélioration à l’extérieur du cabinet de consultation est une concentration des affects dans les séances de psychothérapie, dans la relation transférentielle. En fait, s’il n’y avait pas cette intensification de la relation transférentielle, il faudrait considérer que le processus ne s’engage peut-être pas dans la bonne voie. Il y a nécessité pour le thérapeute d’une analyse soutenue de son contre-transfert, parce que sa personnalité est fréquemment prise à partie, soumise à rude épreuve et sa tâche reste de favoriser le travail d’intégration et de synthèse du moi et de l’objet, travail auquel la personne offre, inconsciemment, toute la résistance dont elle dispose. Une réaction incontrôlée, inconsciemment échappée de la part du thérapeute, pourrait renforcer les résistances plutôt que le travail d’analyse.
19C’est également pourquoi le thérapeute prend tout le temps nécessaire pour poser un cadre bien adapté à la pathologie de la personne, à ses habitudes de vie et aux travers qui en découlent dans l’organisation du monde interne, dans les relations interpersonnelles et dans l’ensemble de la vie affective. Le thérapeute veille au respect assez strict de ce cadre de travail et ramène chacun des écarts à la relation transférentielle. En effet, le maintien du cadre aide à analyser la relation transférentielle, puisque le cadre est issu d’une entente conclue entre la personne et le thérapeute, qu’il y a eu accord sur un contrat de travail décidé ensemble, avec toutes les explications nécessaires pour en comprendre les buts et l’utilité. Donc, dès qu’une transgression est connue, le thérapeute cherche à en comprendre le sens, à mettre en évidence la communication faite par les passages à l’acte. Il invite donc explicitement la personne à explorer le message ainsi lancé par ses comportements et ses attitudes qui transgressent le cadre de travail et le contrat psychothérapique convenus ensemble.
20Comparativement au psychanalyste et au psychothérapeute psychanalytique classique, ce qui frappe, pour ne pas dire ce qui choque le plus souvent dans l’approche, c’est la plus grande activité du psychothérapeute. Le thérapeute intervient effectivement plus fréquemment et plus longuement, mais il y a des raisons à cela. Il en va de l’adaptation de la méthode psychothérapique à la pathologie de la personne qui demande de l’aide. Puisque cette dernière souffre d’une identité diffuse et d’un pénible sentiment de vide, sa douleur l’empêche de suivre une pensée, d’élaborer un raisonnement, d’autant que les représentations et les affects sont clivés, les raisonnements ou élaborations que la personne peut émettre sont plutôt courts et de portée restreinte dans leurs dimensions spatio-temporelles et logiques. Le thérapeute se doit donc d’être plus actif pour aider la personne à explorer son monde interne, à développer et suivre sa pensée, à reconnaître ses affects. Le thérapeute s’active parce que la personne recourt aux mécanismes primitifs de défense et sa pensée demeure foncièrement clivée, morcelée, il en découle que ses sentiments, ses affects, son monde interne, ses perceptions du monde externe sont sérieusement biaisées, tronquées, clivées. Ses perceptions et sa compréhension demeurent partielles et nettement partiales. Le thérapeute se doit donc de constamment aider la personne à faire l’épreuve de réalité. La personne dont l’humeur est très instable a tendance à rejeter, par et dans des passages à l’acte ou des somatisations diverses, la pleine expérience de l’émotion, de la relation et de la situation. Le thérapeute aide la personne à prendre conscience de ce type de fonctionnement et à s’arrêter à l’expérience éprouvée. Ses tendances aux passages à l’acte sont plus fortes que la capacité d’éprouver l’affect, que de penser. Le thérapeute intervient donc plus souvent pour aider la personne à contenir et à élaborer son monde interne pour en faciliter l’intégration, la synthèse.
Les changements cliniques obtenus
21La psychothérapie focalisée sur le transfert est un traitement à long terme. Un processus psychothérapique peut facilement durer quatre ou cinq ans et plus, parce que la PFT prétend modifier autant la structure de la personnalité que le comportement et les attitudes, par l’intégration des dimensions clivées et morcelées du monde interne.
22 On constate progressivement des modifications fondamentales et positives dans la manière de la personne de se vivre et de faire l’expérience de relations avec les autres. Elle retire progressivement une plus grande satisfaction et de meilleures gratifications de son expérience de vie. L’expérience clinique montre que le gain en termes d’un meilleur contrôle des passages à l’acte apparaît souvent durant la première année de thérapie.
23 Des indices d’intégration de la structure psychique apparaissent généralement dans la seconde année de traitement ou après, selon le cas.
24 La diminution de la diffusion de l’identité est généralement le dernier et le plus profond des changements observés. Cela pourrait apparaître au cours de la troisième année, voire de la quatrième ou cinquième année d’une thérapie assidûment suivie. L’identité mieux définie survient avec l’intégration progressive de la structure psychique, avec la réunion progressive et relativement harmonieuse des dyades relationnelles et des affects à la base de ces relations.
25 Au cours de la thérapie, il y a généralement une évolution de la relation transférentielle de base. Malgré les changements relativement rapides des humeurs et des affects dans la relation transférentielle, la majorité des personnes établissent un type prévalent de transfert envers le thérapeute, ce qui détermine en quelque sorte l’expérience subjective dominante chez la personne à propos d’elle-même et des autres. La majorité des personnalités limites engage une psychothérapie avec une réaction transférentielle chronique de nature paranoïde, c’est-à-dire que la personne est d’emblée convaincue que ses désirs, tant préœdipiens qu’œdipiens, sont négativement jugés et rejetés, voire ridiculisés. En d’autres mots, dans un monde interne clivé, une représentation d’un « mauvais soi » en relation avec une représentation d’un « mauvais objet » apparaît plus réelle, plus sûre, plus fiable qu’une représentation d’un « bon soi » en relation avec un « bon objet ».
26 Dans le cours de la thérapie, le transfert paranoïde évolue progressivement et généralement vers un transfert dépressif. Ce type de transfert traduit un monde intérieur mieux intégré dans lequel l’objet est éprouvé comme aimant et sachant prendre soin, malgré ses imperfections et ses manques dans les soins. C’est l’effet du travail de deuil face à la perte de l’« objet idéal ». En même temps, le soi fait progressivement l’expérience de l’amour de l’objet parallèlement avec l’existence de sentiments de frustration, de colère et de culpabilité en lien avec les désirs de destruction éprouvés dans le passé. Cet effet relève de l’élaboration de la position dépressive.
Conclusion
27La PFT constitue une approche dont la particularité essentielle est de tenter de modifier la structure même de la personnalité malade. Cette approche ne s’adresse pas seulement aux comportements et aux attitudes, elle vise des changements en profondeur dans la personnalité qui apporteront des modifications dans la manière d’être de la personne en relation avec son environnement. À cet effet, la méthode veut emmener dans le conscient les motivations et les désirs inconscients qui suscitent des affects particulièrement intenses, des crises de colères et des passions incontrôlables. Le psychothérapeute travaille à aider la personne à prendre conscience de sa façon de se représenter les choses, les situations, les personnes et de sa manière de réagir en se fondant sur ses représentations biaisées par ses désirs, ses affects et ses motivations. C’est en insistant auprès de la personne pour qu’elle s’explique davantage, qu’elle s’exprime plus clairement, pour qu’elle dise le fond de sa pensée que le thérapeute aide la personne à prendre conscience de son point de vue. C’est en confrontant de façon respectueuse et diplomatique, mais aussi de façon franche et authentique la personne à ses propres contradictions, à ses paradoxes que le thérapeute supporte la personne à changer certaines perceptions, certains sentiments, sa façon d’organiser ses représentations du monde. Enfin, c’est par le biais de l’interprétation que le thérapeute explique à la personne les motifs sous-tendant ses manières d’être et d’agir. Pour que le processus psychothérapique puisse tenir le coup devant les excès auxquels pousse la pathologie, il est nécessaire de poser un cadre de travail clair et solide élaboré conjointement par le psychothérapeute, le patient et certaines personnes proches intervenant régulièrement dans la vie de la personne limite. Ce cadre de travail sert de tiers entre le psychothérapeute et le patient, un tiers favorisant le travail d’élaboration et d’analyse du transfert et du contre-transfert.
Liens d’intérêts
28les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.
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