Introduction
1Les conseils locaux de santé mentale sont un modèle d’application d’une démocratie sanitaire locale, à l’échelon du territoire, comme le préconise un rapport récent sur la démocratie sanitaire [1]. En associant tous les acteurs concernés par la santé mentale, et en premier lieu les associations d’usagers, ils doivent permettent un décloisonnement des professionnels de la psychiatrie et la mise en œuvre d’actions qui favorisent l’inclusion sociale et le bien-être de tous les citoyens et en particulier de ceux qui vivent avec un trouble psychique. L’Association intercommunale de santé, santé mentale, citoyenneté des villes de Hellemmes, Mons-en-Barœul, Lezennes, Faches-Thumesnil, Ronchin, Lesquin (banlieue sud-est de Lille) fonctionne sur ce modèle, et est issue d’un partenariat entre des professionnels de l’Établissement public de santé mentale Lille Métropole (EPSM LM) et des élus locaux initié il y a plus de 30 ans. Fort d’un dispositif de soins totalement inséré dans la cité, le projet actuel du pôle de santé mentale de ces villes, a pour objectif de mettre l’accent sur les actions orientées vers le rétablissement des usagers et de renforcer la démocratie sanitaire. Les pratiques dites « orientées vers le rétablissement » sont essentiellement fondées sur l’intégration du savoir expérientiel et de l’entraide dans l’accompagnement des personnes vivant avec un trouble psychique [2].
Un contexte favorisant un partenariat de proximité entre les différents acteurs de la santé mentale
Historique de l’Association intercommunale de santé, santé mentale, citoyenneté
2 C’est en 1977 que le Dr Jean-Luc Roelandt, alors jeune chef de service, prend la responsabilité d’un secteur de psychiatrie adulte. Il gère, à l’hôpital psychiatrique d’Armentières, 6 pavillons qui hébergent plus de 300 personnes ayant des maladies mentales chroniques, parmi lesquels une soixantaine d’« agités » venant de toute la région parqués dans le pavillon de force régional. C’est cette réalité de départ, enfermée derrière les murs, qui en trente ans va se transformer en un service de santé mentale complètement inséré dans la cité. C’est la « psychiatrie citoyenne » [3, 4] mise en pratique.
3 Pour aider à cette transformation est créée dès 1977 l’Association médico-psycho-sociale (AMPS). Association de droit privé, elle réunit toutes les bonnes volontés de l’époque pour changer la réalité asilaire et développer la sectorisation. En liaison avec l’hôpital d’Armentières, l’AMPS regroupe les élus des six municipalités du secteur (Mons-en-Barœul, Hellemmes, Lezennes, Ronchin Faches-Thumesnil et Lesquin), des soignants, des partenaires sociaux et les personnes intéressées à la mise en œuvre de la politique de sectorisation, sur les territoires du sud-est de Lille. Elle a servi de levier pour toutes les actions de partenariat menées avec les 6 municipalités.
4 Dès 1977, la première mission de l’AMPS a été de sensibiliser la population aux problèmes de santé mentale et à l’importance de l’intégration dans la cité des personnes qui en souffrent. De nombreuses réunions ont été organisées dans les quartiers. En 1982, l’AMPS permet l’ouverture de la Maison Antonin-Artaud (centre médico-psychologique et hôpital de jour) et favorise l’obtention gratuite du lieu par la municipalité d’Hellemmes. Puis des travaux recherches-actions ont été menés, pour étudier plus précisément les représentations de la « maladie mentale » et de la « folie » et la stigmatisation. Ces travaux, soutenus par le conseil régional Nord-Pas-de-Calais dès 1979, ont permis ensuite la mise en place d’une véritable politique d’intégration et de sensibilisation, par un travail en commun entre l’équipe de psychiatrie et des artistes locaux, avec toujours pour objectif de lutter contre l’image négative de la folie et des maladies mentales de la population des villes du secteur.
5 En 1982, Agora, un centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) spécialisé dans la réinsertion de patients de la psychiatrie hospitalisés au long cours, ouvre ses portes, ses salariés étant rémunérés par l’AMPS. Cette expérience initie les premiers contacts avec les bailleurs sociaux, pour la mise en place d’un appartement associatif et thérapeutique, puis pour l’accès aux logements associatifs disséminés pour lesquels l’AISSMC continue d’être le porteur.
6 Le changement s’est fait en deux étapes essentielles :
- la première étape (1975-1995) a vu le passage de l’hôpital psychiatrique à la communauté, par le développement de la sectorisation, avec l’aide du budget global ;
- la seconde étape (1995-2010) a consisté à décentraliser et ouvrir le service de psychiatrie en intégrant les professionnels de l’équipe dans les services sanitaires, sociaux et culturels des municipalités. Cette intégration a amplifié l’implication des partenaires (usagers, familles, professionnels et élus) dans le système de décisions du pôle de santé mentale.
7 En 2010, l’AMPS a évolué et est devenue un conseil local de santé mentale [4] : l’« Association intercommunale santé, santé mentale et citoyenneté (AISSMC) » pour les habitants des villes du secteur de santé mentale. À la demande des maires l’association a englobé les notions de santé et citoyenneté. Présidé par le maire de Ronchin Mr Rabary puis aujourd’hui par Raghnia Chabane, conseillère municipale déléguée à la ville de Mons-en-Barœul, tous les deux convaincus de la nécessité d’impliquer les élus locaux dans le domaine la santé, et en particulier de la santé mentale.
L’organisation et le projet du pôle de santé mentale des villes de Hellemmes, Mons-en-Barœul, Lezennes, Faches-Thumesnil, Ronchin, Lesquin
8 La dynamique de projet du pôle de santé mentale des villes Hellemmes, Mons-en-Barœul, Lezennes, Faches-Thumesnil, Ronchin, Lesquin s’applique à mettre en place les préconisations d’organisation des soins telles qu’elles sont proposées au niveau national au travers des plans de santé mentale ou des recommandations internationales de l’OMS [5]. Dans cette optique, l’offre de soin doit être adaptée aux besoins et demandes de la population. L’acceptabilité de la proposition de soin est un leitmotiv de l’organisation du pôle [6].
9 La notion de citoyenneté implique que l’offre de soin ne doit pas rendre les usagers captifs du système de soin qui le définira comme un malade mental, lui offrant gîte et couvert et l’éloignant de la vie de citoyen ordinaire. Elle doit axer son travail sur les ressources de la personne qu’elles soient internes (psychiques) ou externes en lien avec son environnement. La coordination doit limiter les ruptures de soins et les blocages dans les parcours de soins en veillant à la disponibilité et à la réactivité des acteurs de santé tout au long du parcours. Elle doit toucher à la fois l’offre de soins mais aussi la prévention. Elle doit s’intéresser à la gestion de l’urgence, aux délais de consultation, au degré d’intensité des suivis, à l’organisation des interventions au domicile. Le pôle souhaite passer d’une logique de parcours de soin à la notion de parcours de rétablissement englobant l’accompagnement du handicap et d’un bien-être global dépassant la notion de soin.
10L’offre de soins et d’accompagnement se décline en plusieurs dispositifs :
- les soins médico-psychologiques de proximité, qui regroupent l’ensemble des actions de consultations dont l’activité est à 50 % au domicile. L’offre de consultation est variée, afin de s’adapter aux besoins et aux choix des usagers. Les professionnels consultants sont médecins, infirmiers, psychologues, psychomotriciens, éducateurs, diététiciens, médiateurs de santé pair, expert d’expérience ;
- les soins intensifs intégrés dans la cité, qui sont assurés par une équipe mobile d’urgence et de soins intensifs au domicile, permettant la prise en charge des situations d’urgence et de crise, et un suivi sur le modèle de l’hospitalisation à domicile ;
- la clinique Jérôme Bosch qui est une unité de soin de 10 lits et 2 lits accompagnants. Les prises en charge y sont intensives et coordonnées avec l’ensemble du parcours, permettant une moyenne de 7 personnes hospitalisées durant 7 jours, toutes modalités d’hospitalisation confondues (pour une population de 85 000 habitants). Le respect des droits et des libertés des usagers y est une priorité : le service est ouvert, avec un objectif d’absence d’isolement et de contentions, luttant contre toute restriction des libertés ;
- les familles d’accueil alternatives à l’hospitalisation où les accueils sont proposés à court terme ;
- l’accompagnement des usagers vers les activités de bien-être et vers l’inclusion sociale, au travers du centre Frontière$ dont l’équipe propose un accès aux loisirs, à la culture, aux activités physiques et au travail, en privilégiant le milieu ordinaire et le tissu associatif local ;
- l’accompagnement au moyen-long cours des usagers présentant un handicap psychique et des besoins médico-sociaux élevés, par Habicité sur un modèle proche de l’assertive community treatment (ACT) [7]. L’accompagnement est principalement dirigé vers l’habitat mais peut recouvrir tous les projets de la personne.
11Le service de santé mentale a été promu en 1998 « Site pilote pour la santé mentale communautaire », par le département Santé mentale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Depuis 2001, il travaille en étroite collaboration avec le Centre collaborateur français de l’OMS pour la recherche et la formation en santé mentale (CCOMS). Il est un laboratoire d’application des recommandations de l’OMS et un lieu de visite et de formation reconnu au niveau national et international [8].
Une forte mobilisation des associations d’entraide. L’exemple du Réseau français sur l’entente de voix (REV France)
12 Il existe une grande variété d’associations d’entraide en santé mentale sur la métropole lilloise. Ces associations peuvent être locales, comme l’Étoile bipolaire, ou appartenir à une association nationale, comme le REV France ou encore l’AFTOC.
13 Les membres du REV entendent par « entendeur de voix » toute personne entendant ou vivant d’autres phénomènes touchant les 5 sens mais aussi percevant des idées, des sensations… n’étant pas vécu par l’entendeur comme étant les siennes. Contrairement à une opinion largement répandue, y compris parmi les professionnels de la santé mentale, entendre des voix est une expérience humaine commune. Le REV estime la proportion d’entendeurs de voix au sein de la population générale entre 8 et 12 % [9]. Il s’agit d’un chiffre bien supérieur à celui de la prévalence des « troubles schizophréniques » estimée par la psychiatrie à 1 % de la population.
14 Non seulement de nombreuses personnes entendent des voix mais la plupart d’entre elles se portent bien et n’ont jamais eu affaire à la psychiatrie du fait de cette expérience. Il existe pourtant une différence importante entre l’expérience de la personne devenue patient psychiatrique et celle qui se porte bien tout en entendant des voix, c’est la nature de la relation de la personne avec ses voix. Une relation de défiance entre la personne et ses voix est plus souvent retrouvée pour les personnes devenues patients psychiatriques tandis que les entendeurs de voix « bien portants » ont généralement une relation plus apaisée à leurs voix. Or, il n’y a là aucune fatalité et l’expérience montre qu’il est possible de modifier sa relation aux voix. Le fait de pouvoir parler des voix avec d’autres « entendeurs » et d’échanger des stratégies pour faire face aux voix constitue un appui essentiel dans ce sens. C’est la raison d’être des « groupes d’entendeurs de voix ».
15 Des groupes locaux permettant à chacun d’échanger, partager son expérience et ses stratégies pour faire face aux voix, émergent des entendeurs souhaitant communiquer le message que c’est possible de vivre mieux, de vivre heureux, avec ou sans les voix. Sur la base d’un mouvement agissant en faveur du rétablissement des personnes qui entendent des voix (intervoice), le 1er groupe d’entendeur de voix en France a été créé à Mons-en-Barœul. Il est né de la volonté d’un stagiaire psychologue et d’une entendeuse de voix. Sur la métropole lilloise, il existe désormais 4 groupes, co-facilités par des entendeurs de voix. Sous cette impulsion des groupes ont vu le jour un peu partout en France.
Les enjeux actuels de l’AISSMC
16 L’AISSMC met en œuvre des projets dans quatre champs principaux : l’accès et le maintien au logement, au travail, aux loisirs et à la culture ; la prévention et l’information en santé mentale ; la participation des usagers ; la mise en œuvre d’espaces de coordination sécurisés, les cellules ressources des situations individuelles complexes.
L’implication des élus
17 Les élus ne sont pas seulement responsables de la tranquillité publique, de la sécurité ou de la protection des biens de leurs concitoyens. Ils sont responsables et donc, garants, de manière plus large, du bien-être de la population, de sa cohésion et surtout, de l’égalité territoriale pour tous. C’est une obligation envers les citoyens et plus particulièrement, envers les populations les plus fragiles. C’est pourquoi la question de la santé est une question politique. C’est un enjeu national, bien sûr, mais c’est également un enjeu local. Les six communes ont donc décidé de s’atteler à cette problématique, d’autant plus qu’il apparaît évident que la ville est une bonne échelle pour appréhender ces problématiques. Les conditions de vie, et non seulement les soins, sont des déterminants majeurs dans les questions qui concernent la santé mentale.
18 Dès la création de l’AISSMC, l’objectif était de travailler sur la santé mentale tout en prenant en compte la santé dans sa globalité, et bien sûr la citoyenneté, car il est important qu’il y ait une intégration, dans la cité, des personnes souffrant de troubles psychiques. L’EPSM LM, les communes et l’ARS Nord-Pas-de-Calais apportent une participation financière à ce projet.
19 L’association a deux enjeux principaux. Le premier est de continuer de développer et de perfectionner la participation des habitants et des usagers au sein ses instances. Le deuxième enjeu est de faire remonter cette question de la santé et de la santé mentale au niveau communautaire. Dans le Nord, beaucoup de territoires sont en politique de la ville. Un contrat unique d’agglomération est en cours de construction. Il importe que la question de la santé y soit inscrite et que l’on puisse travailler sereinement et avec les usagers à la constitution des conseils de citoyens au sein de chacun de nos quartiers prioritaires.
20 Parallèlement, les contrats locaux de santé sont des outils qui permettent de légitimer cette coordination des acteurs locaux. Un contrat local de santé a récemment été élaboré et signé avec l’ARS. Quatre thématiques prioritaires ont émergé : la santé mentale, les conduites addictives, le cancer, les déterminants de santé.
La participation des usagers au sein du Conseil intercommunal de santé, santé mentale et citoyenneté
21 Dès 2010, l’un des deux groupes d’entraide mutuelle du territoire a été signataire des statuts et s’est engagé dans la participation du conseil d’administration et du bureau de l’association. Désormais, les deux Gem présents sur le territoire ont un statut de membre associé de l’association : ils ont voix délibérative en assemblée générale et en conseil d’administration. La Fnapsy et l’Unafam sont également membres adhérents de l’association et ont été élus pour représenter le collège des membres adhérents au sein du conseil d’administration. Un des Gem est membre permanent de la cellule ressource d’analyse des situations difficiles porté par l’association.
22 En mars 2012, l’association intercommunale a intégré la mission de la gestion d’une vingtaine d’appartements associatifs, la majorité des collocations facilitant l’accès au logement pour des personnes présentant un handicap psychique. Cette année, le premier forum annuel des résidents de ces logements a été réalisé, rassemblant une dizaine de participants.
23 L’AISSMC participe depuis 2012 à l’organisation de forums participatifs ouverts à l’ensemble des usagers du pôle, par le biais de la mise à disposition de salles communales et de la co-animation du forum par la coordinatrice de l’association.
La participation des experts d’expérience et des usagers du pôle à l’amélioration des pratiques professionnelles et à l’accompagnement des usagers vers le rétablissement
L’implication des experts d’expérience
24 Tous les témoignages et les études recueillant l’expérience des personnes vivant avec un trouble psychique qui a bouleversé leur vie attestent que le stigmate est un des obstacles principaux au rétablissement [2]. Ce stigmate du « malade mental » est une conséquence des représentations sociales associant trouble psychique et dangerosité, incapacité, dépendance… Ces représentations sociales négatives ne sont pas seulement portées par la population générale « non initiée » aux problèmes de santé mentale, mais aussi par les professionnels eux-mêmes qui associent les diagnostics de schizophrénie ou de psychose à une évolution défavorable des troubles, à la chronicité, avec l’idée que la personne concernée sera toujours dépendante du service de psychiatrie et ne pourra aspirer qu’à une « stabilisation » sous contrôle des professionnels. Pour lever cet obstacle majeur au rétablissement l’intervention des « pairs » est indispensable : la rencontre entre une personne vivant très difficilement ses troubles et une personne bien avancée dans son parcours de rétablissement (le rétablissement est bien un parcours et non un état figé [2]), capable de témoigner de son parcours, va être porteuse d’espoir et amener à penser qu’une vie pleine et entière est possible malgré les troubles et leurs conséquences. L’action de ces « experts d’expérience » pour favoriser le rétablissement des usagers, va au-delà de cette pair-aidance : les échanges entre personnes ayant une expérience du rétablissement en santé mentale (on les nommera « experts d’expérience ») et les professionnels de la psychiatrie peut aussi venir bouleverser les représentations et modifier en conséquences les pratiques professionnelles. Les associations regroupant des personnes vivant avec un trouble psychique (groupes d’entraide mutuelle, associations spécifiques à un trouble précis…) comptent de nombreux « experts d’expérience » parmi leurs membres [10]. Nous les nommerons ici associations d’usagers et/ou de pairs, vivre avec un trouble psychique n’impliquant pas forcément d’être usager de la psychiatrie.
25Le pôle de santé mentale, conscient du rôle que ce savoir expérientiel peut avoir dans le parcours de rétablissement des usagers, a souhaité renforcer depuis 2011 la place des experts d’expérience dans l’accompagnement des usagers. Le travail en commun avec les experts d’expérience se décline en quatre axes :
- l’intégration de médiateurs de santé-pair (MSP) dans les équipes du service. Une MSP est actuellement en poste et l’embauche de deux autres médiateurs est en projet. La MSP assure l’accompagnement individuel des usagers, par des rencontres ponctuelles ou plus régulières selon les situations, et apporte son savoir expérientiel aux équipes du service. Elle peut aussi avoir un rôle spécifique de médiation entre les professionnels classiques et les usagers pour aider ceux-ci à s’exprimer et à être entendus, et faciliter la relation de soin ;
- Les ateliers « mieux-être ». Ce sont des ateliers d’information sur les troubles psychiques et la santé mentale, ouverts à tous, qui sont co-animés par un professionnel et un membre d’une association d’usagers et/ou de pairs. Ils ont lieu tous les quinze jours et se déroulent dans des lieux municipaux, des salles municipales et des associations du territoire. Six associations participent au comité de pilotage de cette action. C’est l’action la plus ancienne ;
- les actions visant à favoriser l’accès au savoir expérientiel et à l’entraide pour tous les usagers. Cet axe du partenariat consiste essentiellement en l’établissement de liens privilégiés entre les équipes du service et les associations d’usagers du territoire, ce qui doit permettre d’orienter facilement les usagers vers les groupes de paroles de ces associations et de provoquer des rencontres individuelles, éventuellement en présence d’un professionnel dans un premier temps, pour les usagers ayant des difficultés à faire la démarche ;
- les sessions de formation « ce qui aide, ce qui n’aide pas ». Elles concernent l’ensemble des professionnels du pôle de santé mentale. Elles ont pour objectif de sensibiliser les professionnels à l’expérience vécue des soins et des services de santé mentale par les usagers, et par leurs proches. Les experts d’expérience animant ces sessions se fondent sur leur expérience personnelle et celle des adhérents de leur association pour donner des pistes aux professionnels sur les attitudes et pratiques qui peuvent favoriser ou au contraire faire obstacle à un parcours de rétablissement. Dans le cas des experts de l’expérience des proches, comme l’Unafam, ils témoignent de leur expérience en tant que familles/proches d’usagers des services de santé mentale puisqu’ils sont souvent en lien avec les professionnels dans le cadre des soins ou de l’accompagnement de leurs proches.
Focus sur la consultation entendeurs de voix et le partenariat entre le REV et le service de santé mentale
26 De nombreuses études rapportent d’une part le caractère commun de l’expérience d’entente de voix et d’autre part la fréquence des événements de vie traumatiques à l’origine de l’expérience d’entente de voix chez les personnes ayant affaire à la psychiatrie [11].
27 Ces données soulignent l’importance, dans une perspective de prévention et de soin de rechercher la signification des voix pour la personne, notamment lorsqu’elle a reçu un diagnostic psychiatrique (schizophrénie ou autre) qui tend à l’enfermer dans une identité de « malade », le laissant démuni ainsi que son entourage. Impulsant une dynamique de changement dans les pratiques de soins en santé mentale et donnant une place centrale à la personne qui les sollicite, cette dynamique montre qu’une meilleure connaissance des perceptions et/ou expériences dites « psychotiques » permet à l’ensemble des acteurs – usagers, experts d’expériences et professionnels – de s’engager activement dans des démarches d’entraide et de soin constructives pour la personne concernée en utilisant des techniques telles que le « Dialogue avec les voix ».
28 Sous l’impulsion d’un psychiatre formé à ces techniques, une consultation entendeurs de voix a été ajoutée à l’offre de consultations du pôle de santé mentale des villes de Hellemmes, Mons-en-Baroeul, Lezennes, Faches-Thumesnil, Ronchin, Lesquin. Les consultants sont en binômes, associant toujours un expert d’expérience, membre actif du REV France, et un professionnel (désormais deux infirmiers, un psychologue et un psychiatre, formés par le REV France). Depuis début 2015, les créneaux de consultation ont été augmentés à 2 demi-journées par semaine, et une trentaine d’usagers ont bénéficié de cette consultation.
29 Pour que tous les usagers, même ceux qui sont le plus éloignés d’un parcours de rétablissement, puissent avoir accès à l’espoir et la dynamique d’entraide portés par le REV, des rencontres plus informelles ont lieu à la demande des professionnels du service de santé mentale, toujours avec l’accord de l’usager : ces rencontres se font à la clinique Jérôme Bosch, ou encore sur un lieu de consultation, ou au domicile, en binôme ou non avec un professionnel en fonction de ce que souhaite l’usager. Une rencontre informelle est parfois déterminante pour donner l’envie à la personne de rejoindre un groupe Entendeurs de voix, ou pour l’amener à chercher des ressources personnelles pour sortir d’une identité de malade et d’exclu.
30 Lors de la session « Ce qui aide, ce qui n’aide pas » animée par le REV, la sensibilisation a été axée sur l’importance que les professionnels de la santé mentale accompagnent les entendeurs de voix en leur apportant une aide constructive, d’abord à travers une meilleure connaissance du phénomène de l’entente de voix , ensuite par la prise en compte des voix et l’exploration de l’expérience d’entente de voix à travers neuf dimensions : la nature de l’expérience, les caractéristiques des voix, l’anamnèse de l’expérience, ce qui déclenche les voix, ce que disent les voix, l’origine des voix, leur impact sur la vie de la personne, la relation aux voix et les stratégies de coping. Des exemples d’attitude à éviter ont été donnés : décider pour l’usager ce qu’il est capable ou non de faire comme activités, associer systématiquement l’urgence avec hospitalisation ou augmentation du traitement, utiliser des mots comme hallucinations qui donnent l’impression à l’usager qu’on renie ce qu’il vit… Les attitudes et pratiques des professionnels considérées comme aidantes ont aussi été mises en avant, comme par exemple : reconnaître les limites du service de psychiatrie et s’appuyer sur les associations, s’intéresser à ce que le patient souhaite faire pour être heureux et non ce que le soignant veut qu’il fasse, aider à la mise en place de stratégies pour faire face aux voix.
L’implication des usagers du pôle de santé mentale dans son organisation
31Les associations d’usagers du territoire sont présentes depuis plusieurs années dans les instances décisionnelles de l’AISSMC. De plus, comme dans tous les établissements de santé, des associations d’usagers et de proches siègent dans plusieurs instances de l’établissement (commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge (CRUQPC), conseil de surveillance…). Cette participation est un grand pas vers la mise en place d’une « démocratie sanitaire » et l’empowerment des usagers, mais elle est insuffisante : les instances comme la CRUQPC concernent l’ensemble de l’EPSM c’est-à-dire à dix pôles de santé mentale, elles ne peuvent donc pas prendre en compte la spécificité de chaque pôle et assurer une proximité avec les usagers. Afin d’être au plus près de l’objectif préconisé par l’OMS concernant l’empowerment des usagers, et de proposer des services plus adaptés à leurs besoins, il est apparu nécessaire d’intégrer les usagers du service, bénéficiaires directs des soins et de l’accompagnement, dans le processus décisionnel du pôle, à tous les niveaux : de la création d’un groupe de travail, en passant par la construction d’un projet, jusqu’à la validation finale. La participation des usagers doit pouvoir pointer des dysfonctionnements relevés par ceux-ci, mais aussi faire émerger des idées et des propositions venant d’une connaissance de terrain.
32 Un groupe de travail sur la participation des usagers a été initié en 2012 avec quelques professionnels du pôle et des associations d’usagers du territoire, en particulier les groupes d’entraide mutuelle (GEM). Ce groupe a lancé l’organisation de « forum des usagers », ouvert à tous les usagers du pôle. Au fur et à mesure de la tenue des forums, quelques usagers régulièrement présents se sont portés volontaires, sur sollicitation de professionnels du pôle, pour participer au groupe de travail.
Les espaces et outils participatifs au sein du pôle de santé mentale
33 Les forums participatifs des usagers se déroulent une fois par trimestre. Ils sont co-animés par la médiatrice de santé pair et la coordinatrice de l’AISSMC. Les usagers impliqués ont récemment pris une place importante dans l’animation du forum, et l’objectif est son auto-gestion par les usagers dès que l’aide des professionnels ne sera plus nécessaire. Le forum a une durée d’environ deux heures trente. À chaque forum au moins la moitié du temps total est dédié à un débat avec les usagers où tous les points concernant les plaintes des usagers, et l’amélioration et/ou l’organisation des soins sont abordés. Une deuxième partie aborde des sujets préalablement inscrits à l’ordre du jour, celui-ci ayant été proposé par les participants du précédent forum ou par le groupe « participation des usagers ». Par exemple, lors du forum de juin 2015 le sujet de la démocratie sanitaire a été abordé et notamment quel serait le rôle de porte-parole des usagers au sein du pôle de santé mentale. La présence aux forums représente en moyenne une dizaine de participants. L’objectif est d’améliorer cette participation par une communication plus efficace, le pôle touchant plus de 3000 personnes à l’année.
34 Les rencontres « paroles aux usagers » ont remplacé les réunions « soignants-soignés ». Elles sont animées par la médiatrice de santé pair, principalement pour les usagers bénéficiant de prises en charge à temps complet, afin de permettre aux usagers qui sont temporairement éloignés de leurs ressources habituelles de conserver ou d’acquérir une capacité critique vis-à-vis des soins dont ils bénéficient, et de pouvoir être plus facilement entendus s’ils repèrent des dysfonctionnements. Les rencontres sont organisées sous forme de groupe ou d’entretien individuel.
35 Des fiches « suggestions/réclamations » en format papier sont disponibles dans les différents lieux de soins du service. Les usagers peuvent les remplir de manière anonyme ou non. Elles sont remises dans des « boîtes à idées » présentes dans les lieux de soins ou aux professionnels du pôle. Lorsque les usagers constatent un dysfonctionnement, il leur est recommandé de rédiger une « fiche événement indésirable », qui intégrera le circuit habituel des fiches événement au sein de l’EPSM LM. L’ensemble des données recueillies par le biais de ces outils et espaces participatifs sont traitées régulièrement par le groupe de travail « participation des usagers ». Le groupe s’assure que les informations venant des usagers sont transmises aux responsables concernés et que ceux-ci les prennent en compte dans les décisions qui concernent l’organisation la structure interne ou du groupe de travail qu’ils dirigent.
Le projet d’intégration de porte-parole des usagers dans les instances décisionnelles du pôle
36Le pôle de santé mentale a le souhait d’intégrer des porte-parole des usagers au processus décisionnel concernant l’organisation des soins et l’accompagnement des usagers, dans l’objectif que le processus de participation soit plus direct qu’il n’est actuellement et que le pôle évolue grâce à une véritable démarche de co-construction avec les usagers. Afin de garantir une légitimité et une représentativité de ces porte-parole, des élections seront tenues lors du prochain forum. L’enjeu de la mobilisation des usagers est central pour que ces élections s’inscrivent dans un processus démocratique. Les missions des porte-parole seront principalement les suivantes : entretenir un lien régulier avec les usagers du pôle et recueillir leur avis sur les soins et les services dont ils bénéficient ; participer à des réunions de coordination avec les équipes ou de groupes de travail ; assurer un lien ponctuel avec les représentants des usagers de l’EPSM LM. Il est prévu que les porte-parole des usagers soient remboursés de leurs frais, et qu’ils puissent bénéficier de formation sur la représentation et la participation des usagers dans le domaine de la santé.
Conclusion
37Sur le territoire de l’AISSMC, la démocratie sanitaire se joue sur deux niveaux : un niveau institutionnel où les différents acteurs concernés se rassemblent pour échanger, construire, et décider ensemble autour des projets qui touchent la santé mentale ; et un niveau ancré sur le terrain où ces mêmes acteurs vont travailler ensemble à la mise en œuvre des projets visant au bien-être des habitants de ces communes, et en particulier au rétablissement des usagers du pôle de santé mentale. Le partenariat entre les professionnels du pôle de santé mentale et les experts d’expérience est ancien mais des actions récentes ont permis d’aller plus loin dans la nature du partenariat, telles les formations visant à recueillir l’avis d’experts d’expérience pour identifier ce que pourraient être des « pratiques orientées vers le rétablissement », ou encore la consultation « Entendeurs de voix ». Des liens de proximité devront être progressivement tissés entre les professionnels et toutes les associations d’usagers et/ou de pairs du territoire pour que le type de partenariat mis en œuvre avec le REV France soit élargi, et que les usagers puissent bénéficier de l’expérience de pairs quels que soient leurs troubles ou leur parcours de vie. De même, tout un travail reste à accomplir pour développer le processus de co-construction et de co-décision entre professionnels et usagers du pôle, il devra être mené en tenant compte de la temporalité de tous, étant donné le changement culturel majeur qu’il implique.
Liens d’intérêts
38les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Références
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Mots-clés éditeurs : équipe mobile, Lille, conseil local de santé mentale, usager, droit du malade, association d’usagers, psychiatrie, partenariat, élu local
Date de mise en ligne : 15/09/2015
https://doi.org/10.1684/ipe.2015.1379