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Article de revue

Réhabiliter scientifiquement l'imitation au bénéfice de l'autisme

Pages 835 à 842

Introduction

1 L’imitation : quoi de plus simple ? Et en même temps quoi de plus difficile à décrire, puisqu’elle a tant de définitions ? Imiter c’est faire comme l’autre. Oui, mais quand ? En même temps ou après ? Voilà déjà qu’avec l’intervention de la mémoire, les choses se compliquent. Et comment ? S’agit-il de réplique exacte ou d’un à peu près qui suffit pour faire reconnaître la similitude ? Pour certains, l’à peu près ne mérite pas le nom d’imitation, pour d’autres c’en est l’essentiel. Et imiter quoi ? Des choses qu’on n’a jamais faites avant, ou des choses que l’on sait faire ? Voilà encore une distinction qui divise, car, disent plus d’un, seule la reproduction d’actions nouvelles mérite le label d’imitation. Et puis si l’on sait faire les choses, quel bénéfice y a-t-il à les reproduire ? Un bénéfice considérable, rétorquerais-je, car l’imitation ne sert pas seulement à apprendre, elle sert aussi à communiquer. Il reste à poser la question qui fâche : l’imitation est-elle profitable ou nocive ? La réputation de l’imitation était bien négative il y a peu encore. Platon l’avait catégorisé comme dangereuse pour l’individu et pour la société, et nous avions suivi cet oukase depuis des siècles, traitant l’imitation comme une voleuse d’identité et d’originalité. Imiter permet d’être conforme, renchérissait la psychologie sociale. Piaget [2] avait aggravé le cas, considérant que n’était pas intelligente la forme d’imitation immédiate qu’il supposait sans représentation. Il est temps d’arrêter les caricatures et de peser sérieusement le rôle de l’imitation au cours du développement – que ce développement soit typique ou atypique.

2 Si l’on veut bien considérer que l’imitation n’est pas un phénomène unitaire mais implique au contraire une hiérarchie de mécanismes qui ne sont pas tous impliqués dans toutes ses formes, les problèmes de définition et de fonction s’éclairent d’un jour nouveau.

3 Prenons la définition la plus simple et la plus consensuelle : Imiter c’est faire comme l’autre. Cette définition est porteuse d’ambiguïté. Elle ouvre le champ à des types divers d’imitations qui requièrent des capacités différentes. L’imitation est un phénomène qui prend des formes multiples, et selon ses formes, est plus ou moins exigeante en capacités.

4 Certaines capacités sont communes à tous les types d’imitation. C’est le cas de l’attention : il faut regarder l’autre pour imiter (ou l’écouter, si l’imitation est vocale). De même, il faut des capacités motrices pour imiter. Elles sont plus ou moins limitées selon les individus, leur âge, et leur intérêt pour ce que font les autres. Mais les contraintes biologiques limitent aussi les possibilités de reproduction. Même si nous avons envie d’imiter un chat qui grimpe le long d’une gouttière, nos capacités motrices ne nous le permettent pas. Non plus que de sauter de liane en liane comme un aï. Les degrés de liberté de nos articulations, notre tonus plus ou moins élevé, notre équilibre plus ou moins stable, tous ces éléments font que nous ne pouvons pas tout imiter en raison des contraintes que nous impose notre corps.

5 C’est si vrai qu’on ne peut pas imaginer faire des choses impossibles, comme de plier notre bras à 145 degrés ou traverser notre cuisse avec notre bras. Dans l’expérience menée par Stevens [3], les régions pariétales et prémotrices s’activaient lorsque les mouvements étaient faisables, mais pas lorsque les mouvements observés étaient impossibles à réaliser. Ainsi, il ne suffit pas d’être attentif à ce que l’on veut imiter, il faut avoir le potentiel moteur pour le faire.

6 D’autres capacités sont nécessaires dans certains types d’imitation seulement. Par exemple, la capacité de planifier n’est pas en jeu si l’imitation se réduit à reproduire une action simple (comme « soulever le couvercle d’une boîte ») mais par contre elle est nécessaire lorsque l’on imite des actions complexes combinant une suite d’actions intermédiaires simples (par exemple, « soulever le couvercle d’une boîte, prendre la clé qui se trouve dedans, ouvrir un tiroir avec la clé, prendre le tournevis dedans et dévisser une poignée de porte avec le tournevis » : il y a là 5 actions simples à imiter dans l’ordre selon un plan pour réaliser la même action complexe que le modèle).

7 Voici les diverses composantes de l’imitation que décrivent Gonzalez-Rothi, Ochipa & Heilman [4] et qui ne sont pas toutes nécessaires pour les types simples d’imitation : l’attention (visuelle ou auditive), le transfert intermodal, la connaissance du corps, la production motrice, la mémoire, le contrôle de l’activité, le rapport moyen-but, l’analyse séquentielle des sous-buts, la planification, la rotation mentale (exercice mental qui consiste à se mettre dans une autre position dans l’espace ou par rapport à autrui).

8 Ainsi, faire comme l’autre n’est pas une définition suffisante de l’imitation. Il faut préciser imiter quoi, quand, et comment.

Des capacités différentes selon les formes d’imitation

Imiter quoi ?

9 Cette question est peut-être la plus importante de toutes pour qualifier l’imitation. Elle a fait l’objet de grands débats et reste très présente encore aujourd’hui dans les discussions entre spécialistes. Certains auteurs restreignent l’imitation à la reproduction de gestes ou d’actions nouveaux pour l’imitateur. Ainsi, pour Whiten et Ham [5] : « B imite A si B apprend de A un aspect de la forme d’un comportement. » Ou même, imiter est « reproduire une action nouvelle, avec la même stratégie et dans le même but ». Ces auteurs restent ainsi fidèles aux définitions les plus anciennes de l’imitation pour lesquelles reproduire une action familière n’est pas imiter. L’idée est d’opposer deux formes d’imitation : une forme intentionnelle et une forme réflexe. La forme réflexe serait précoce et accessible aux espèces non humaines. Cette opposition a été utilisée par Wallon [6] pour distinguer le mimétisme émotionnel de l’imitation vraie, et par Piaget [2] pour distinguer l’imitation sensori-motrice de l’imitation représentative. Avant eux, Guillaume [7] avait appelé « imitation véritable »une reproduction d’actions sans signification dans le contexte. Pourquoi ? Parce qu’ainsi on est sûr que la personne reproduit quelque chose qu’elle n’a pas l’habitude de faire. Une telle distinction se retrouve aujourd’hui chez certains auteurs pour qui la définition de l’imitation doit passer par une définition des compétences qu’elle exige et donc des activités cérébrales qu’elle concerne. Cette option bien représentée par Heyes [8], présente l’imitation comme un phénomène unitaire et ses plus récents prolongements proposent de considérer l’imitation comme phénomène d’apprentissage séquentiel associationniste.

10 Si l’on adopte au contraire l’option d’une définition multi-mécanisme de l’imitation, on ne rejette pas hors de l’imitation la reproduction d’actions familières. On considère au contraire qu’elle permet l’accès à la reproduction d’actions nouvelles. Comment ? Ce qui est familier peut se restreindre à quelques mouvements et de ce fait alors l’imitation possible est très limitée. Au contraire, ce qui est familier peut s’étendre à de nombreuses actions. On peut réaliser ces actions familières avec les objets de tous les jours ou avec de nouveaux objets (par exemple tourner son sucre dans la tasse avec un couteau). Dans ce cas, la reproduction est plus exigeante. Nous sommes à la frontière entre action nouvelle et action familière, entre action familière et action symbolique (faire semblant de faire une action habituelle avec un objet inhabituel).

11 Comment peut-on apprendre des actions nouvelles ? On a vu qu’il faut qu’elles soient possibles et qu’elles aient déjà été effectuées pour que notre cerveau réagisse à leur observation. Si elles ont déjà été effectuées, elles ne sont pas nouvelles. Sommes-nous dans un cercle vicieux ? Non, si l’on comprend qu’observer ce qu’on a déjà exercé peut juste signifier « observer des actions que l’on a déjà effectuées mais qui sont des éléments d’un ensemble que l’on n’a jamais effectué » : « c’est avec du vieux qu’on fait du neuf », autrement dit c’est grâce à son répertoire d’actions familières que l’on peut apprendre des actions nouvelles. Et plus on dispose d’un large répertoire, plus les recombinaisons sont multiples et plus on peut réaliser de nouvelles actions. De même que plus on a de mélodies à son répertoire et plus on peut en créer de nouvelles. La question du « quoi imiter » est donc essentielle. Il faut la garder bien claire à l’esprit lorsqu’il s’agit d’étudier les capacités imitatives au cours du premier développement. Elle est encore plus cruciale dans le cas d’autisme : peu curieux, peu actifs, quel répertoire moteur ont construit ces enfants ? Jusqu’où ce répertoire leur permet-il d’imiter des actions nouvelles ?

Imiter quand ?

12 Selon que l’on imite tout de suite, plus tard, ou beaucoup plus tard, l’imitation change d’effet et elle ne requiert pas les mêmes capacités. Pour résumer, on parle d’imitation immédiatequand on fait comme l’autre en même temps que l’autre, d’imitation décaléequand on fait la même chose avec retard, et d’imitation différée(ou apprentissage par observation)lorsque l’on réalise la même chose bien après l’autre, et en son absence. Ces types d’imitation exigent de la mémoire à des niveaux différents, et ont des conséquences sociales différentes.

13 L’imitation immédiate est repérée par l’autre, surtout lorsqu’elle est synchronisée. L’imitateur a un public : son modèle bien sûr, s’il s’aperçoit qu’il est imité, et les gens autour. L’imitateur a donc forcément un effet sur son entourage. C’est comme s’il apostrophait l’autre. L’autre est flatté ou furieux mais il réagit. L’imitateur entre de ce fait en relation avec celui qu’il imite. L’imitation a donc là une fonction de communication. Cette fonction est restée longtemps ignorée et nous en avons montré l’existence seulement assez récemment [9]. Ceci en raison de la définition longtemps prévalente qui assimilait l’imitation à la reproduction d’actions nouvelles (voir infra, § « Imiter quoi ? »). Or ici l’imitation est un moyen pour communiquer. Peu importe si l’imitateur apprend quelque chose de nouveau ou pas, ce n’est pas l’objectif. L’objectif est de s’adresser à l’autre. Et l’autre reçoit généralement son imitation comme une marque d’intérêt ou même d’admiration.

14 Par contre, l’imitateur en différé n’a pas l’audience de celui qu’il imite, puisque l’imitation se passe plus tard et ailleurs, en tout cas pas en synchronie avec le modèle. L’imitation dans ce cas n’a pas de fonction d’interaction avec l’autre. Elle est plutôt solitaire. Elle nécessite la mémoire de l’action observée, et impose de trouver la bonne occasion pour reproduire l’action d’une façon qui fait sens. Il faut comprendre la relation entre l’action et l’effet qu’elle produit. L’objectif est d’apprendre quelque chose de nouveau ou de réaliser un effet nouveau pour soi. L’apprentissage est mental.

15 L’imitation décalée concerne elle aussi l’apprentissage. Elle répond le plus souvent à une demande « fais comme moi », mais elle est parfois spontanée. Il s’agit là encore d’apprendre, mais sous le contrôle d’un modèle, un parent, un professeur, un ami, quelqu’un qui sait en tout cas faire quelque chose que vous ne savez pas faire : danser le tango par exemple, ou faire un massage cardiaque. Le moyen est social mais le but n’est pas de communiquer. Il faut observer avec attention ce que fait l’autre parce qu’il s’agit de le reproduire le plus exactement possible. On le voit ainsi, parler d’imitation sans préciser quand elle se produit ne donne pas d’information sur l’objectif de l’imitation, ni sur les capacités requises.

Imiter comment ?

16 La qualité de l’imitation est donc un autre aspectàprendreen compte lorsque l’on définit l’imitation : exacte ou approximative, complète ou partielle, d’emblée ou après de multiples corrections. Cet aspect nous renseigne surtout sur les capacités motrices, mais peut aussi traduire la qualité de la perception. Mais d’autres aspects entrent en jeu lorsque l’on pose la question « imiter comment ? ». Ainsi, l’imitation peut se produire à l’initiative de l’imitateur : il s’agit alors d’imitation spontanée, à distinguer des cas où l’imitation se réalise sur commande. Pourquoi cette distinction ? L’imitation est sélective lorsqu’elle est spontanée. Imiter est un choix. Si nous ne pouvions pas exercer de choix, nous imiterions de façon ininterrompue. Nous pourrions être comme ces patients porteurs d’une lésion cérébrale, qui ne peuvent s’empêcher d’imiter. Lhermitte, Pillon et Seradou [10] ont bien montré, en décrivant ces patients, combien cette forme d’imitation diffère de la nôtre. Elle a été appelée « échopraxie », geste en écho, pour bien la distinguer. Heureusement, nous sommes protégés d’une telle perte d’initiative par nos capacités d’inhibition. Imiter spontanément représente donc quelque chose de plus qu’imiter sur demande : c’est un signal d’intérêt pour la personne ou pour l’action, qui mène à dégager notre inhibition à reproduire (cette inhibition se traduit par une suppression du mu rythme alpha mu durant l’observation d’une action de notre répertoire, comme durant sa réalisation). Nous verrons au paragraphe suivant que ces deux formes d’imitation n’ont pas les mêmes corrélats cérébraux.

17 Étant donnée la fréquence des imitations spontanées chez les jeunes enfants, cette forme d’imitation ne peut pas être sans usage ; nous avons fait l’hypothèse qu’elle sert à communiquer avant le langage [11].

Des fonctions différentes de l’imitation selon ses formes

Imiter pour communiquer

18 Pour tester l’hypothèse d’une fonction de communication exercée par l’imitation spontanée, nous avons utilisé des objets en double exemplaire quand les enfants sont deux dans la pièce, en triple exemplaire quand ils sont trois. De ce fait, le dispositif permet de différencier les cas où l’enfant utilise l’objet comme intermédiaire social (monter, demander, offrir, prendre, échanger...) et les cas où l’objet choisi est l’objet identique, ce qui laisse supposer sans grand risque d’erreur que l’imitation va être le support de l’interaction. Et de toute façon c’est vérifiable. L’avantage du dispositif est alors d’identifier facilement les imitations, ce qui n’est pas si simple autrement. Ainsi, dans notre situation, l’enfant est placé devant la possibilité de s’approprier un objet pour un jeu solitaire, pour entrer en contact avec le partenaire qui tient en mains un autre objet, ou de choisir l’objet identique à celui que le partenaire a en mains. Les résultats de nos expériences successives ont montré que les ports d’objets identiques occupent plus de 70 % du temps de réunion et que porter des objets identiques s’accompagne d’une imitation synchrone des actions de l’autre. Mais il y a plus : les enfants exploitent le fait que l’imitation a deux facettes, imiter et être imité. Ils alternent les rôles, réalisant ainsi un tour de parole. Le résumé des résultats aux différents âges interrogés mène à une courbe en U inversée, montrant un pic d’utilisation de l’imitation pour communiquer à 30 mois, une augmentation régulière de son utilisation entre 12 et 24 mois, et une inversion marquée de tendance après 30 mois. L’extinction de cet usage coïncide avec l’accès au langage productif fluide.

Imiter pour apprendre

19 Outre offrir le moyen de communiquer sans mots, l’imitation ouvre aussi la possibilité d’apprendre. Cette deuxième fonction est plus connue que la première et nous l’utilisons la vie durant. Cependant, il convient de distinguer deux formes d’apprentissage par imitation, l’une très précoce qui consiste à imiter en décalé et l’autre plus tardive qui se produit en différé, sur la base de la seule observation antérieure et sans réalisation préalable. Cette forme d’imitation est appelée « apprentissage par observation ». Ce label indique bien que l’on doit former la représentation motrice d’une action qu’on n’a jamais pratiquée, qu’on a juste vue, et dont la seule observation nous permet de disposer de traces guidant pour la réaliser physiquement. Elle exige une simulation de l’action (imaginer l’action) qui suppose non seulement la programmation de cette action (c’est-à-dire la décomposer par mouvements successifs) mais aussi la création d’une copie des mouvements à reproduire [12]. En somme, la copie sert à garder des traces d’un mouvement qu’on n’a pas fait. On comprend que cette capacité n’apparaît pas avant les alentours de 24 mois. Très peu d’études, et toutes récentes, portent sur l’apprentissage de nouvelles actions par le jeune enfant. Elsner [13] a insisté particulièrement sur l’importance qu’il y a à comprendre les effets de l’action nouvelle pour pouvoir l’apprendre par observation. Pour ce faire, il faut avoir l’expérience d’éléments entrant en jeu dans l’action observée. Ainsi peut-on recombiner ces éléments pour « faire du neuf avec du vieux ». Le couplage de la perception et de l’action suppose ici de décomposer la perception pour la faire entrer dans nos schémas d’action.

Des mécanismes cérébraux différents selon les formes et les fonctions de l’imitation

20 La théorie neuro-mimétique découlant de la découverte du système neuronal miroir [14] paraît particulièrement bien adaptée à l’imitation. En effet, elle se base sur la démonstration de l’existence de représentations motrices partagées [15], l’observation de l’action et l’action produisant les mêmes activations cérébrales. Le système des représentations motrices partagées incluant non seulement le cortex frontal inférieur et le lobule pariétal inférieur – c’est-à-dire le système neuronal miroir classique [14], mais aussi les aires limbiques et sensorimotrices, a été suggéré pour permettre une résonance entre les cerveaux de deux personnes en interaction [16]. Toutefois les études de référence ont toutes été réalisées hors d’un contexte social et sur un seul cerveau, ce qui limite la portée du propos. Il manque l’enregistrement de deux cerveaux en interaction permettant l’analyse de ces représentations partagées qui concernent non pas les rapports intra-cerveau entre la perception et l’action d’un sujet solitaire, mais les rapports inter-cerveaux reliant la perception de l’un et l’action de l’autre au cours d’une interaction. Notre équipe a pu réaliser une telle étude en enregistrant simultanément les activités EEG de dyades de sujets en interaction et montrer ainsi que des réseaux centro-frontaux synchronisent leurs activités dans les cerveaux de dyades de sujets au cours de synchronies interactionnelles [17]. La figure 1 donne un exemple de ces synchronisations liant comportement et activités cérébrales.

Figure 1

figure im1

Figure 1

Activités cérébrales en fonction de la synchronie comportementale : exemple d’une dyade durant un épisode d’imitation spontanée.

21 Puisqu’observer et agir activent les mêmes zones, l’imitation devrait être doublement impliquée dans le système miroir, disaient Iacoboni et al. [18], indiquant le système miroir comme le circuit central de l’imitation. Pourtant oui, l’imitation active des zones du système miroir mais elle les déborde largement – incluant le lobule pariétal supérieur et le cortex prémoteur dorsal –, et ne les implique pas toutes comme le révèle une récente méta-analyse [19]. Remarquons cependant que les études d’imagerie fonctionnelle en résonance magnétique (IRMf) incluses dans la méta-analyse concernent seulement l’imitation en tant que tâche solitaire réalisée sur consigne [20, 21]. Quoiqu’il en soit, ce focus a produit des connaissances intéressantes concernant les liens entre la perception et l’action. Mais qu’en est-il de l’imitation spontanée utilisée au cours d’une interaction et de sa contrepartie, le fait d’être imité ? À notre connaissance, les corrélats du fait d’être imité ont seulement été étudiés par l’équipe de Decety [20] dans une étude en PET qui ne permettait pas d’interaction, et dans une étude en IRMf dans laquelle les sujets avaient à prendre la perspective d’un acteur filmé pendant qu’il est imité.

22 Dans notre étude en IRMf [22] ont été comparées une condition d’imitation sur consigne et une condition d’imitation libre en contexte social – condition jamais étudiée en neuroimagerie jusqu’alors. Nos résultats retrouvent les activations du réseau de l’imitation mis antérieurement en évidence [19-21]. Nous avons trouvé un recrutement similaire des régions pariétofrontales quelle que soit la condition (libre ou sur consigne) et le rôle (imiter ou être imité), mais par-delà ces ressemblances, une différence importante entre les conditions est apparue : notamment une activation du cortex préfrontal dorsolatéral, impliqué dans la cognition sociale, et notamment en jeu dans les situations de self-monitoring de l’action et d’anticipation de l’autre, Alors que des choix sont nécessaires dans l’imitation spontanée, pendant l’imitation sur consigne au contraire, il n’y a aucune décision à prendre, l’imitation n’est pas sélective, il faut juste suivre les instructions. Nos résultats en IRMf illustrent ce phénomène en montrant que l’imitation sur consigne n’active pas les réseaux cérébraux ng en jeu dans l’interaction sociale. La figure 2 résume ces résultats.

Figure 2

figure im2

Figure 2

a. Imitation sur commande ; b. imitation spontanée. On remarque une similitude des régions activées dans les deux formes d’imitation mais les régions du précortex frontomédian, en jeu dans la cognition sociale sont engagées dans l’imitation spontanée à la différence de l’imitation sur commande.

23 Ces différences questionnent évidemment la portée générale attribuée classiquement en neurosciences aux résultats concernant l’imitation sur commande.

Et dans l’autisme ?

24 L’idée d’un déficit de l’imitation et de l’apprentissage dans l’autisme a été accréditée d’emblée par l’étude, pourtant peu contrôlée, réalisée par DeMyer et al.[23] bientôt appuyée par de nombreuses recherches hétérogènes dans leur méthodologie et dans le type d’imitation concerné [24, 25] La thèse selon laquelle l’autisme aurait pour cause un dysfonctionnement du système neuronal miroir et connue sous l’expression « Les miroirs brisés de l’autisme » [26-28] souffre de deux prémisses contestables : considérer l’imitation globalement déficitaire sans en analyser les différentes formes et fonctions, et admettre que le réseau miroir est intégralement impliqué dans l’imitation. Ainsi, plusieurs études en neuro-imagerie montrent l’intégrité des réponses du système miroir dans l’autisme [29, 30] auxquelles s’ajoute la nôtre toute récente [31]. On montre également que l’imitation « automatique » est intacte dans l’autisme [32], de même que l’imitation de tâches de préhension impliquant directement le système miroir [33], et l’imitation d’actions familières est utilisée même par des enfants non verbaux de niveau de fonctionnement très limité [1, 9] qui reconnaissent également être imités [34]. Il y a donc nécessité de faire une description plus discriminative du dysfonctionnement prétendu.

Communication par l’imitation et autisme

25 Nous avons réalisé en France et aux États-Unis une série d’expériences destinées à analyser tout à la fois la capacité à déceler si le partenaire est synchronisé, la capacité à reconnaître être imité, et la capacité à comprendre que l’imitateur est intentionnel. La procédure utilisée était inspirée du dispositif du « visage impassible » (Still Face). Il s’agit d’une situation où la mère interagit gentiment avec le bébé et soudain se fige et adopte un visage sans expression. On montre que le bébé très jeune en est très perturbé, indiquant ainsi qu’il détecte si les comportements du partenaire sont synchronisés avec les siens propres. Nous avons révisé la procédure de façon à ce que l’enfant rencontre une inconnue au visage figé dans une salle familière avec des objets en double exemplaire. L’inconnue immobile ne regardait pas l’enfant. Après 3 minutes, elle se levait et venait imiter tout ce que faisait l’enfant. Trois minutes après elle revenait s’asseoir et reprenait son visage et sa posture figés. Les séances étaient filmées par deux caméras permettant de visionner toute la scène. Les résultats montrent un changement comportemental très significatif de la part de l’enfant. Son comportement devient affiliatif : l’imitation agit comme une bouffée d’ocytocine [34, 35]. Il est prêt ensuite à imiter spontanément et un tour de parole peut s’ensuivre [36].

Apprentissage par observation et autisme

26 Les enfants avec autisme sont considérés comme présentant un dysfonctionnement de l’apprentissage par observation. En l’absence de toute littérature, nous avons exploré cette question dans une étude réalisée en 9 jours, avec 3 périodes test : un test avant la démonstration servant de ligne de base, un test 24 heures après et un autre test 8 jours après. Si nécessaire, une deuxième démonstration est présentée le huitième jour, suivi 24 heures plus tard d’un quatrième test. La tâche consiste à apprendre par observation à ouvrir une boîte que nous avons conçue pour présenter de multiples ouvertures hiérarchiquement visibles (i.e., on ne voit le loquet qu’une fois ouvert le couvercle, etc.). La boîte était présentée sans indication particulière autre que « tu peux l’ouvrir ». L’ouverture complète de la boîte et l’extraction du bonbon requérant d’aller « à la pêche » avec un petit instrument idoine, ne pouvait être réussie d’emblée. Suivait alors une démonstration sur écran vidéo. Vingt-quatre heures se passaient sans toucher à la boîte puis celle-ci était représentée à l’enfant. Le même procédé était utilisé 8 jours après, etc. Quatre groupes d’enfants étaient concernés par la tâche : 2 groupes d’enfants typiques de 2 et 3 ans, et 2 groupes d’enfants avec autisme d’âge développemental 2 ans ou 3 ans. Deux types de scores étaient calculés : l’un comptabilisant les sous-buts réussis (enlever le couvercle, soulever le loquet, ouvrir la boîte, plonger l’outil du bon côté dans le cylindre, etc.), l’autre les actions pertinentes (même si elles n’aboutissaient pas à accomplir le sous-but). Nous avons montré que les deux types de scores diffèrent nettement pour les jeunes avec autisme, tandis qu’ils sont similaires pour les jeunes enfants typiques. En d’autres termes, les actions pertinentes aboutissent à réaliser les sous-buts pour ces derniers tandis que ce n’est pas le cas pour les enfants avec autisme. Plus même, les scores pour les actions pertinentes sont similaires pour les deux groupes de chaque âge, avec un détail frappant : les deux groupes de 2 ans d’âge développemental progressent après 8 jours sans nouvelle démonstration. Pourquoi pas après 24 heures ? La seule explication tenable est qu’ils ont réorganisé leur représentation motrice de la tâche après leur échec à 24 heures. Ceci est déjà une excellente nouvelle concernant les capacités de représentations motrices des enfants avec autisme. Les 36 mois d’âge développemental progressent similairement en actions pertinentes dès 24 heures, réalisant ainsi un véritable apprentissage par observation. Mais il s’agit là d’un apprentissage des moyens pour accéder aux sous-buts. Quand les scores aux sous-buts sont comparés, il apparaît une différence entre groupes qui ne peut être imputée qu’à une difficulté à concevoir les buts de l’action (donc ses effets) (pour plus de détails voir [35]). Avec une deuxième démonstration, les problèmes s’aplanissent, comme si la question de l’anticipation du but se réglait sur la base d’une répétition de l’action : les effets ne sont pas anticipés, mais ils peuvent être appris. Ou plutôt, il y a certainement des effets anticipés, mais qui concernent des impressions sensorielles et non des conséquences fonctionnelles extérieures à l’individu. Si tel est le cas, l’imitation apparaît comme un moyen simple et extrêmement efficace pour associer deux types de répertoire : celui lié aux impressions sensorielles déclenchées par l’observation et celui lié à l’anticipation des buts de l’action observée [37].

Conclusion

27 L’imitation a parfois été considérée comme la traduction la plus pure du couplage perception-action entre deux individus. C’est en tout cas l’aspect commun aux deux fonctions de l’imitation, communiquer et apprendre. De là l’idée que le système neuronal miroir est le mécanisme de ce couplage et devrait être au cœur de l’imitation puisqu’il est au cœur du couplage [21]. Cependant l’imitation est définie globalement dans un tel cadre, alors que des formes différentes d’imitation se traduisent par des activations cérébrales différentes.

28 Les origines développementales du couplage perception-action font l’objet de quelques études pionnières qui postulent la formation d’une ébauche de système miroir durant la période fœtale. Les propriétés prêtées au système miroir, en tant qu’il possède la double capacité d’émettre (dans l’action) et de recevoir (dans la perception) ont entraîné de nombreuses spéculations sur son rôle dans la communication et dans l’imitation. Ainsi est née, sur la base d’une approche schématique de l’imitation, l’idée d’un dysfonctionnement miroir dans l’autisme. Ce dysfonctionnement était censé expliquer les déficits de cognition sociale et les troubles de la communication. Tout récemment, des études en neuro-imagerie remettent en question la théorie des miroirs brisés de l’autisme. Puisqu’ils sont capables de couplage perception-action, ce n’est pas qu’il faut entraîner les enfants à imiter parce qu’ils sont déficitaires dans ce domaine, c’est qu’il faut les encourager à imiter parce qu’ils le peuvent et qu’ainsi ils enrichissent leur répertoire moteur et leur imagerie motrice, et sont prêts à utiliser l’imitation pour apprendre et pour communiquer.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : apprentissage, autisme, observation, imitation, communication

Mise en ligne 09/01/2014

https://doi.org/10.1684/ipe.2014.1276

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