Introduction
1Comme tout changement sociétal, l’accès à la scolarité des enfants et des adolescents avec handicap nécessite une profonde modification des mentalités et des comportements [14]. Depuis la première loi du 30 juin 1975, qui instituait en obligation nationale l’éducation des enfants et des adolescents avec handicap, de nombreuses mesures législatives se sont succédées, pour mettre en place les moyens nécessaires à une politique d’intégration. La loi du 11 février 2005 pour « l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » vise à substantiellement modifier le regard de la société sur la personne en situation de handicap, qui devient membre à part entière et de droit de la société [8].
2La principale innovation de cette loi est d’affirmer que tout enfant et tout adolescent présentant un handicap a accès au service public de l’éducation « dans l’établissement de référence au plus proche de son domicile » [4]. Il pourra ensuite être accueilli dans un autre établissement, en fonction du projet personnalisé de scolarisation (PPS). Les parents sont pleinement associés aux décisions concernant leur enfant. Cette loi substitue le terme de « scolarisation » à celui d’« intégration scolaire » [1]. Elle introduit également, dès son article 2, la notion de « handicap psychique ».
3En psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, les troubles mentaux les plus sévères, qui sont à l’origine d’une situation de handicap psychique, sont accueillis en hôpital de jour. L’organisation de la scolarité de ces enfants a évolué : dans les premiers temps, elle s’est faite essentiellement sur le mode de la scolarité interne (au sein de l’hôpital de jour) par un enseignant spécialisé détaché de l’Éducation nationale. Puis s’est développée la scolarité externe, d’abord en intégration collective, avec l’ouverture des classes d’intégration scolaire (CLIS), puis plus tard en inclusion individuelle au sein d’une classe ordinaire. Certains enfants bénéficient de l’association d’une scolarité interne et externe, que nous avons appelée pour notre étude « scolarité mixte ».
4La scolarisation d’enfants et d’adolescents avec handicap nécessite l’élaboration d’un PPS, assorti des ajustements nécessaires, dans leurs dimensions scolaire, éducative et thérapeutique. Ce projet ne peut exister que s’il est sous-tendu par une volonté d’échanges fructueux entre les différents partenaires que sont l’enfant, sa famille, l’Éducation nationale et l’équipe de soins.
5La revue de la littérature montre qu’il existe très peu d’études évaluant « l’intégration scolaire » des enfants ou des adolescents porteurs d’un handicap psychique.
6Dans ce contexte, notre étude a deux objectifs :
- dresser en 2005, juste avant l’application de la nouvelle loi, un état des lieux concret de l’organisation et du contexte de la scolarisation des enfants et des adolescents en situation de handicap psychique accueillis en hôpital de jour ;
- puis apprécier cinq ans plus tard l’impact de cette loi par un état des lieux similaire, réalisé en 2010.
Méthodologie
7Nous avons réalisé une étude de type rétrospectif, descriptif, analytique puis comparatif, qui concernait tous les enfants et adolescents de 18 mois à 18 ans soignés dans l’ensemble des hôpitaux de jour de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du département de Haute-Garonne sur l’année scolaire 2004-2005 [2], année précédant l’application de la loi, puis sur l’année scolaire 2009-2010, soit cinq ans après la mise en œuvre de ce nouveau texte.
8La Haute-Garonne représente, en termes de population, plus de la moitié de la région Midi-Pyrénées. En 2010, la population de la Haute-Garonne s’élevait à 1 245 480 personnes dont 249 296 enfants de moins de 18 ans. Les hôpitaux de jour de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du département accueillaient 306 enfants sur 207 places d’équivalent temps plein, au sein de 14 unités rattachées aux trois secteurs de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. À la même période, 2 383 enfants étaient accueillis dans des établissements médicosociaux : 1 595 en Institut médicoéducatif (IME) et 788 en Institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP).
9Les deux enquêtes ont été réalisées avec les mêmes questionnaires en 2005 puis en 2010 :
- un questionnaire « Hôpital de jour » recueillait pour chaque unité des données générales sur son fonctionnement : âge et nombre d’enfants accueillis, présence d’un enseignant spécialisé dans l’unité, existence de liens formalisés avec les écoles ou autres établissements… ;
- un questionnaire « Enfant » accueillait anonymement pour chaque enfant un certain nombre d’informations : âge, catégorie diagnostique principale dans la Classification internationale des maladies (CIM-10) ou transcodage à partir de la Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent (CFTMEA), éventuelles comorbidités, temps de présence à l’hôpital, modalités de scolarisation, projet scolaire envisagé pour l’année à venir…
Résultats
La population
10En 2005 comme en 2010, toutes les unités d’hôpital de jour de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de Haute-Garonne ont participé à cette étude. Nous avons recueilli un questionnaire « Hôpital de jour » pour chaque unité existante (11 en 2005 et 14 en 2010) et un questionnaire « Enfant » pour tous les enfants et adolescents accueillis (261 en 2005 et 306 en 2010). En revanche, toutes les questions n’étaient pas renseignées pour chaque enfant (dans la présentation des résultats, le nombre de réponses sera précisé sous la forme « n = »).
11En 2005 comme en 2010, les hôpitaux de jours inclus dans l’étude proposent des accueils et des soins à temps partiel : en 2005, 261 enfants sont accueillis pour 195 places d’équivalent temps plein ; en 2010, 306 enfants pour 207 places d’équivalent temps plein. Entre 2005 et 2010, le nombre d’enfants accueillis a augmenté de 17 % alors que le nombre de places en équivalent temps plein n’a lui augmenté que de 6 %.
12La durée moyenne de présence des enfants et des adolescents à l’hôpital de jour diminue de manière statistiquement significative entre 2005 et 2010, passant de cinq demi-journées à quatre (p < 0,01).
13L’accueil dans ces dispositifs est organisé en fonction de l’âge des enfants : hôpitaux de jour pour « petits » (moins de sept ans), « moyens » (sept à 11 ans) et adolescents (plus de 12 ans). La répartition des enfants en fonction de leur âge n’évolue pas de manière statistiquement significative entre 2005 et 2010 (31 % ; 38,7 % ; 30,3 % versus 27,8 % ; 45,1 % ; 27,1 % ; p > 0,05).
Les diagnostics
14En 2005 comme en 2010, les troubles envahissants du développement constituent la principale catégorie diagnostique dans notre population : 55,4 % versus 61,8 % (p = 0,07).
15Entre 2005 et 2010, nous observons une diminution des troubles de la personnalité et du comportement (28,1 % versus 11,4 % ; p < 0,01), une augmentation des troubles du comportement et troubles émotionnels apparaissant habituellement durant l’enfance ou l’adolescence (2,3 % versus 10,1 % ; p < 0,01).
16En 2005 comme en 2010, les principales pathologies associées que nous avons retrouvées sont les pathologies somatiques (au premier rang desquelles l’épilepsie et les pathologies liées à la grossesse), le retard mental, les troubles spécifiques du développement et les pathologies génétiques. Elles s’élèvent à 18,2 % en 2005 et 25,4 % en 2010 (p = 0,058).
La scolarisation
17Entre 2005 et 2010 (tableau 1) :
- le pourcentage d’enfants non scolarisés reste stable (6,5 % versus 6,9 % ; non significatif). Les principaux motifs retrouvés pour cette absence de scolarisation sont les troubles du comportement sévères et un niveau cognitif trop bas ;
- le nombre d’enfants scolarisés en interne à l’hôpital de jour diminue de 31 à 9,2 % (p < 0,01). La durée d’enseignement est comparable (5,0 ± 3,2 heures versus 3,9 ± 2,5 heures ; différence non significative) ;
- le nombre d’enfants bénéficiant d’une scolarité externe est comparable (25,3 % versus 21,0 % ; différence non significative) ; le temps passé à l’école est en moyenne de 5,93 demi-journées (± 2,23) en 2005 et 6,20 (± 2,05) en 2010, avec une augmentation non significative ;
- le nombre d’enfants bénéficiant d’une scolarité mixte augmente de 37,2 à 53,1 % (p < 0,01). La durée d’enseignement au sein de l’hôpital de jour diminue significativement de 2,8 ± 1,5 à 1,9 ± 1,1 heures (p < 0,01), alors que le temps passé à l’école augmente, mais de façon non significative (4,12 ± 1,72 demi-journées en 2005 versus 4,42 ± 1,44 demi-journées en 2010).
Type de scolarisation des enfants accueillis dans les hôpitaux de jour de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de Haute-Garonne en 2005 et 2010a,b
Type de scolarisation des enfants accueillis dans les hôpitaux de jour de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de Haute-Garonne en 2005 et 2010a,b
HJ : hôpital de jour ; EMS : établissement médicosocial ; NS : non significatif.a Les durées de scolarité en interne (à l’hôpital de jour) sont exprimées en moyenne en heures ± écart type.
b Les durées de scolarité en externe (à l’école ordinaire) sont exprimées en moyenne en demi-journées ± écart type.
18En 2005 comme en 2010 :
- les enfants scolarisés en externe passent plus de temps à l’école que ceux en scolarisation mixte (p < 0,05) ;
- la durée d’enseignement en interne augmente si l’enfant est scolarisé en interne par rapport à une scolarité mixte (p < 0,01).
Mode de scolarisation
19Les enfants peuvent être scolarisés en milieu ordinaire, sous la forme d’une inclusion individuelle (scolarisation en classe ordinaire) ou d’une inclusion collective (en CLIS), ou en unité localisée pour l’inclusion scolaire [ULIS] en 2010, appelée unité d’intégration pédagogique [UPI] en 2005) (tableau 2).
Mode de scolarisation des enfants accueillis en hôpital de jour de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de Haute-Garonne en 2005 et 2010, parmi les enfants bénéficiant d’une scolarité externe ou mixte
Mode de scolarisation des enfants accueillis en hôpital de jour de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de Haute-Garonne en 2005 et 2010, parmi les enfants bénéficiant d’une scolarité externe ou mixte
SEGPA : section d’enseignement général et professionnel adapté ; CLIS : classe d’intégration scolaire ; UPI/ULIS : unité d’intégration pédagogique/unité localisée pour l’inclusion scolaire.20Entre 2005 et 2010, nous relevons donc une augmentation du nombre d’enfants scolarisés en milieu ordinaire (scolarisation externe ou mixte) : elle passe de 58,6 à 73,8 %, (p < 0,05). En 2005 comme en 2010, ces enfants sont majoritairement scolarisés en inclusion individuelle (83,0 % versus 73,3 % ; p < 0,05), en maternelle et en primaire davantage qu’en secondaire (39,6 % ; 27,3 % ; 13,0 % versus 26,7 % ; 35,1 % ; 8,4 % ; p < 0,05).
21En 2005, 20,1 % des enfants bénéficiaient donc d’une scolarisation collective (en CLIS pour 14,9 %, en UPI pour 2,6 %), et 29,8 % en 2010 (dont 20,4 % en CLIS et 6,2 % en ULIS).
Relation entre le mode de scolarité et la pathologie
22En 2005 comme en 2010, il existe une relation statistiquement significative entre le type de scolarisation et le diagnostic principal (p < 0,05) (tableau 3).
Relation entre les pathologies et la scolarité en 2005 et 2010, puis entre l’âge et la scolarité en 2010, en pourcentagesa
Relation entre les pathologies et la scolarité en 2005 et 2010, puis entre l’âge et la scolarité en 2010, en pourcentagesa
HJ : hôpital de jour ; EMS : établissement médicosocial.a Significativité des résultats.
23Entre 2005 et 2010, on retrouve de manière statistiquement significative :
- une diminution du nombre d’enfants souffrant d’un TED scolarisés uniquement en interne à l’hôpital de jour (32,9 % en 2005 pour 8,6 % en 2010 ; p = 0,034), au profit d’une augmentation de la scolarité mixte (35,9 % versus 56,9 % ; p = 0,006) ;
- une diminution du nombre d’enfants présentant un trouble de la personnalité scolarisés en externe (respectivement 32,9 à 8,6 % ; p = 0,034), au profit d’une scolarité mixte (41,1 à 62,9 % ; p = 0,006).
24En 2005, la scolarisation en interne passe de 31,0 % pour l’ensemble de la population étudiée, à 50 % pour les enfants qui présentent une comorbité (p = 0,001) ; la scolarisation mixte diminue également quand il existe une comorbidité (37,2 à 15 % ; p = 0,002).
25En 2010, l’absence de scolarité passe de 6,9 % en population générale à 15,4 % si l’enfant présente une comorbidité (p = 0,004).
26Entre 2005 et 2010, la scolarisation interne diminue de 50 à 21,5 % (p = 0,002) ; au profit de la scolarisation mixte qui augmente de 15 à 47,7 % (p = 0,001) chez les enfants porteurs d’une comorbidité, comme dans la population de notre étude.
Relation entre le mode de scolarité et l’âge
27Le type de scolarité est statistiquement corrélé à l’âge (tableau 4) :
- les enfants de trois à six ans, comme ceux de sept à 11 ans, bénéficient principalement d’une scolarité mixte ou externe : respectivement, 87,3 et 83,2 %. Cent pour cent des moins de sept ans sont scolarisés en individuel, 59,8 % des 7 à 11 ans ;
- les adolescents ne sont scolarisés qu’à 51,8 % en milieu ordinaire, dont 65,1 % en individuel (p < 0,05) et 44,6 % ont une scolarisation en interne.
Relation entre la scolarité et l’âge en 2010, en pourcentages
Relation entre la scolarité et l’âge en 2010, en pourcentages
28L’absence de scolarité n’est pas distribuée de manière statistiquement significative en fonction de l’âge.
La présence d’un auxiliaire de vie scolaire pour les enfants en scolarité ordinaire
29Le projet de loi créant le statut d’assistant d’éducation et d’auxiliaires de vie scolaire (AVS) a été adopté en avril 2003, complété par deux circulaires en juin 2003. À partir de septembre 2005, les AVS individuels accompagnent les élèves avec handicap dans leur scolarité. Ainsi, lors du premier volet de notre étude, en 2005, les AVS n’intervenaient pas.
30En 2010, 109 enfants (58 %) bénéficient d’un AVS (n = 188), 34,6 % des enfants en scolarité externe versus 67,7 % en scolarité mixte, relation statistiquement significative (p = 0,001).
31Leur répartition est également corrélée à l’âge : 48,6 % des moins de sept ans, 45,0 % des sept à 11 ans et seulement 6,4 % des adolescents (p < 0,05). Parmi les AVS, 93,6 % sont attribués à des enfants de maternelle ou de primaire.
Le parcours individualisé
32L’enfant bénéficie d’un projet éducatif individuel d’intégration (PEII) dans 86,7 % des cas en 2005 et d’un PPS dans 85,5 % des cas en 2010 (différence non significative). La participation des soignants aux équipes éducatives est très importante, avant et après la loi : 93,83 % en 2005 et 94,25 % en 2010.
33Les modifications du temps de scolarisation en cours d’année permettent d’évaluer la « souplesse » et la capacité d’ajustement du dispositif de scolarisation : en 2005, pour 73,2 % des enfants (n = 209), le temps de scolarisation n’a pas été modifié ; en 2010, cette absence de modification concerne 77,8 % des enfants (n = 279). La différence n’est pas statistiquement significative et ces modifications n’ont pas de lien statistiquement significatif avec le type de scolarité de l’enfant (p = 0,80 en 2005 et p = 0,335 en 2010).
Projet de scolarisation pour l’année à venir
34Quel que soit le mode de scolarisation initial, nous retrouvons un projet d’ajustement de la scolarité pour l’année à venir pour 36,9 % des enfants en 2010 et pour 31,9 % en 2005.
35Entre 2005 et 2010, les projets de modifications de scolarité l’année suivante pour les enfants non scolarisés augmentent de manière significative (29,4 % versus 81 %) : pour la majorité d’entre eux, est envisagée une scolarisation en hôpital de jour ou en établissement médicosocial. Il en est de même pour les enfants scolarisés en interne (25,3 à 71,4 %) : ils seront majoritairement scolarisés dans un établissement médicosocial pour la rentrée suivante. Avant la rentrée 2005, les enfants ne pouvaient bénéficier à la fois d’un accompagnement en établissement médicosocial et en hôpital de jour, l’assurance maladie refusant la double prise en charge. Même si ce frein à la personnalisation des projets persiste encore en 2010, il s’est assoupli, ce qui explique cette différence très significative.
36Entre 2005 et 2010, l’accès à la scolarisation en milieu ordinaire augmente significativement pour les enfants en scolarisation mixte (de 2,8 à 7,4 % ; p < 0,05) ; les interruptions de scolarisation diminuent significativement pour ces mêmes enfants, passant de 15,5 à 2,6 % (p < 0,05).
37L’accès à la scolarisation dans les dispositifs médicosociaux augmente de manière statistiquement significative entre 2005 et 2010 pour les enfants en scolarisation externe (de 0 à 25 %).
Discussion
38Nous avons choisi d’étudier la population des enfants accueillis en hôpital de jour de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de la Haute-Garonne. L’exhaustivité de la participation à cette étude est exceptionnelle : toutes les unités d’hôpitaux de jour du département ont participé et ont transmis les informations demandées pour la totalité des enfants accueillis, tant en 2005 qu’en 2010. Le nombre d’enfants accueillis en hôpital de jour augmente de 17 % entre 2005 et 2010, alors que le nombre de places d’équivalent temps plein n’augmente que de 6 %. Cela s’explique par la diminution du temps moyen de soin entre 2005 et 2010, passant de cinq à quatre demi-journées. On notera que cette durée d’interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées est conforme à la recommandation de bonne pratique concernant l’enfant et l’adolescent avec autisme et autres troubles envahissants du développement, publiée par la Haute Autorité de santé (HAS) en mars 2012.
39Les auteurs qui ont beaucoup étudié les soins en hôpital de jour insistent sur l’intérêt des institutions thérapeutiques à temps partiel pour les pathologies psychiatriques lourdes [5]. Ce type de fonctionnement, plus souple, serait bénéfique pour l’enfant, permettant en particulier de maintenir son inclusion sociale et notamment scolaire [6]. Ainsi, du fait de la volonté des associations de parents et des politiques de scolariser les enfants avec handicap et, d’autre part, de la forte demande de soins en hôpital de jour, les établissements offrent de plus en plus de prises en charge limitées à quelques demi-journées par semaine. Notre étude confirme cette tendance à favoriser le « temps partagé », tendance qui était déjà amorcée avant la loi de 2005.
40Les enfants accueillis en hôpital de jour ne représentent que 4 % de l’ensemble de la population d’enfants et d’adolescents pris en charge par le secteur public de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de la Haute-Garonne. On peut émettre l’hypothèse que ce sont les enfants présentant les troubles psychiques les plus sévères. Il serait intéressant d’étendre cette étude aux enfants bénéficiant de soins en Centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP), Centre médicopsychologique (CMP), en établissement médicosocial ou en libéral.
41L’évolution des diagnostics entre 2005 et 2010, concernant les troubles de la personnalité et les troubles émotionnels de l’enfance, pourrait s’expliquer en partie par une modification d’utilisation des classifications : avec la généralisation du Recueil d’information médicalisé pour la psychiatrie (RIM-Psy), il semble que les équipes de pédopsychiatrie passeraient progressivement – au moins pour le relevé informatisé de leur activité – de l’utilisation de la CFTMEA avec transcodage dans un second temps en CIM-10 à l’utilisation directe de la CIM-10.
42Dans notre étude, la répartition des enfants en fonction de leur classe d’âge est différemment distribuée par rapport à la répartition des enfants scolarisés en population générale :
- la forte proportion d’enfants de trois à six ans accueillis en hôpital de jour par rapport aux enfants scolarisés pourrait s’expliquer par une volonté de dépistage et de soins précoces pour ces enfants, qui est en accord avec les recommandations actuelles sur l’autisme [13]. Notons que l’accueil d’un nombre croissant de jeunes enfants dans les hôpitaux de jour faisait déjà partie des orientations préconisées par la circulaire de 1992, dont le bien-fondé a été confirmé par les données ultérieures de la littérature internationale, reprises dans la recommandation de la HAS ;
- le moindre pourcentage d’adolescents accueillis en hôpital de jour (27,1 % en 2010) peut s’expliquer par d’autres types d’accueil que l’hôpital de jour, en CATTP et en établissements médicosociaux (ITEP, IME, SESSAD).
43Entre 2005 et 2010, le pourcentage d’enfants qui ne sont pas du tout scolarisés n’évolue pas et n’est pas corrélé à l’âge. La principale raison évoquée dans notre enquête est l’existence de troubles du comportement trop importants. Or, moins l’enfant est habitué à des situations sociales ordinaires, plus il risque de développer des manifestations vécues comme gênantes lorsqu’il est confronté à ces mêmes situations [16]. On peut également faire l’hypothèse que parmi ces enfants déscolarisés, certains le sont de manière transitoire, en lien avec une entrée dans la maladie ou avec une période de décompensation. En effet, dans notre enquête de 2010, 81 % des enfants déscolarisés sont considérés comme devant avoir accès à une scolarisation l’année suivante (pour 53 % en interne, pour 12 % en externe, pour 29 % dans le médicosocial et pour 6 % en formation professionnelle).
44Il est important d’aider les enseignants à mieux tolérer et analyser les perturbations de ces enfants et à assouplir leurs mouvements défensifs à leur égard. Le projet pédagogique doit être adapté en fonction des possibilités réelles d’apprentissage, par des aménagements individualisés, notamment la présence d’un accompagnement humain en classe (AVS), qui intègre les notions d’instabilité émotionnelle de l’enfant [9].
45Dans notre étude, la présence d’un AVS est d’ailleurs corrélée à une augmentation de la scolarité en milieu externe et est souvent mieux tolérée par l’élève en maternelle et en primaire. La deuxième limite reste le trop faible nombre de postes créés : dans notre enquête, une attribution d’AVS avait été notifiée pour six enfants par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) sans que sa présence soit effective. De plus, on constate une rotation importante des personnels, dommageable aux besoins de continuité de ces élèves, d’une année à l’autre et parfois en cours d’année scolaire. Des médecins des différentes équipes ayant participé à notre étude s’interrogeaient sur les bénéfices que les enfants en situation de handicap psychique pouvaient tirer de la présence d’un AVS et du risque de sur-isolement que cela pouvait faire vivre à l’enfant envers ses pairs ou l’enseignant. L’évaluation qualitative de la présence d’un AVS semble indispensable pour permettre une attribution individualisée de cette aide et apporter à ces professionnels la formation adéquate.
46Entre 2005 et 2010, la scolarisation en interne à l’hôpital de jour diminue au profit d’une scolarisation mixte, de plus en plus d’enfants étant scolarisés en milieu ordinaire. Il s’agit probablement d’une amélioration de la scolarisation grâce à la loi de 2005, en lien avec le recours aux AVS, une meilleure tolérance de l’école et des liens de meilleure qualité entre les différents intervenants.
47La scolarité interne au sein de l’hôpital de jour reste néanmoins un outil fondamental, car elle permet la continuité des apprentissages scolaires malgré la maladie de l’enfant. Mais elle est parfois trop assimilée au soin, au détriment de sa dimension pédagogique différenciée. En cours d’année, il est important d’ajuster les scolarités interne et externe en fonction de l’évolution de l’enfant.
48Pour faciliter la socialisation et la scolarisation de ces enfants, il est souhaitable de définir comme priorité la scolarité externe ou mixte.
49La scolarisation individuelle en milieu ordinaire est une des priorités de la loi de 2005 ; l’absence d’évolution depuis ces cinq dernières années (près de 75 % des enfants en scolarité ordinaire) indique qu’il s’agit d’une préoccupation ancienne. Ces chiffres peuvent être comparés aux chiffres nationaux : 68,6 % de scolarisation individuelle des enfants quel que soit le handicap (rapport de l’Insee [7]) ; 85,4 % de scolarisation individuelle pour le handicap psychique (ceci inclut les enfants suivis en ambulatoire, en CATTP ou en hôpital de jour) d’après l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) [15].
50Les enfants de moins de sept ans sont scolarisés en milieu ordinaire à 87,3 % et la totalité d’entre eux bénéficie d’une scolarisation individuelle, avec le soutien d’un AVS pour 76,8 % d’entre eux. En école maternelle, l’inclusion collective est exceptionnelle, même s’il existe en France quelques CLIS en préélémentaire. Cette donnée nous interroge sur l’intérêt pédagogique et social que pourrait avoir une inclusion collective avec décloisonnement en milieu ordinaire pour les enfants de niveau maternelle.
51Le groupe des adolescents est significativement moins scolarisé en milieu scolaire ordinaire : 51,8 % ; et en secondaire, 44,6 % des jeunes sont scolarisés uniquement en interne. Cette baisse des effectifs inclus entre primaire et secondaire concorde avec le rapport de l’IGAS, sans qu’une analyse de la trajectoire de ces adolescents n’ait pu être réalisée.
52Le bouleversement de l’adolescence peut expliquer une majoration des troubles du comportement et une moindre disponibilité aux apprentissages. L’adolescence est aussi une période où émergent de nouvelles pathologies psychiatriques, parfois de manière aiguë, entraînant souvent une interruption de la scolarité, au moins transitoire.
53Nous remarquons également que les AVS sont très peu représentés auprès de cette population adolescente : 6,4 %. La raison le plus souvent évoquée est la stigmatisation de la part des pairs en lien avec la présence d’un AVS.
54Enfin, nous ne pouvons pas évaluer le niveau des acquis du primaire pour ces adolescents avec handicap psychique, qui présentent souvent des troubles des apprentissages. Des études de cohorte pourraient permettre d’évaluer qualitativement l’apport pédagogique d’une scolarité en milieu ordinaire.
55Les liens de partenariat entre l’hôpital de jour, les établissements médicosociaux et l’école sont très importants, comme le montre dans notre étude la participation régulière aux réunions d’équipes éducatives des différents soignants : temps de réévaluation du dispositif soins-école, sensibilisation des soignants sur la socialisation de l’enfant et des enseignants sur leurs difficultés. Il semble que des liens non formalisés jouent également un rôle majeur, avec notamment dans ce domaine un rôle important de l’enseignant spécialisé de l’hôpital de jour et du référent de scolarité. Ces liens entre les divers intervenants auprès de l’enfant permettent une scolarisation de meilleure qualité [10].
56Quel que soit le mode de scolarisation initial, nous retrouvons dans l’enquête de 2010 un projet de modification de la scolarité pour l’année à venir pour 36,9 % des enfants. Parmi eux, 49 % intégreront un établissement médicosocial. Ces résultats mettent en évidence des transitions plus souples entre le milieu sanitaire et le milieu médicosocial. La loi de 2005 semble avoir permis une ouverture entre les deux types d’établissement ; aujourd’hui, un enfant peut être scolarisé à la fois à l’hôpital de jour, en IME et en milieu ordinaire, ce qui n’était pas le cas avant la loi de 2005.
Conclusion
57La nouvelle conception du handicap est venue bouleverser la représentation du malade mental à la fois pour les institutions soignantes et pédagogiques. Actuellement, les soignants doivent prendre en compte dans leur pratique quotidienne les notions du handicap et du désavantage social et intégrer une nouvelle instance, la MDPH [3].
58Notre étude a mis en évidence une dynamique de scolarisation en milieu ordinaire qui était déjà satisfaisante et prometteuse en 2004-2005, mais qui s’est améliorée suite à la loi du 11 février 2005 : diminution de la scolarité en interne au profit d’une scolarité mixte, majoritairement selon des modalités individuelles.
59Nous avons également repéré des groupes à risque de difficultés de scolarisation en milieu ordinaire : les adolescents et les enfants avec comorbidités.
60D’un autre côté, nous confirmons que certains facteurs favorisent cette scolarisation : le PPS, les AVS et les liens développés entre les différents intervenants. L’effort de la part de l’Éducation nationale de privilégier les moyens d’inclusion individuelle en classe ordinaire vient ainsi compléter le projet de soins, mais cette inclusion ne doit pas être faite au détriment d’interventions thérapeutiques et éducatives individualisées et suffisantes [11].
61Dans la population générale, la prise en considération du handicap n’est pas aussi avancée que chez les professionnels du soin et de l’enseignement. La stigmatisation du handicap est encore importante et la réussite de la scolarisation de l’enfant avec handicap nécessite une préparation faite d’informations au sein des écoles et aux parents d’élèves ordinaires [12].
62Liens d’intérêts : les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.
Remerciements
Les auteurs remercient l’ensemble des médecins et équipes pluriprofessionnelles des hôpitaux de jour du département de la Haute-Garonne, qui ont participé à l’enquête en 2005 puis en 2010 : le secteur 31i01 du CHU de Toulouse, le secteur 31i02 du centre hospitalier Gérard-Marchant et le secteur 31i03 de la Guidance infantile (ARSEAA).Bibliographie
Références
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Mots-clés éditeurs : intégration scolaire, département Haute-Garonne, scolarisation, hôpital de jour, handicap psychique, enfant, enquête rétrospective
Mise en ligne 23/09/2013
https://doi.org/10.1684/ipe.2013.1095