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Article de revue

Hyperactivité et troubles des conduites : des diagnostics controversés

Pages 409 à 415

Introduction

1Les troubles du comportement chez l’enfant et le trouble déficit d’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H) se situent au cœur de polémiques alimentées par les nombreuses zones d’ombres et d’incertitudes que la recherche (génétique, imagerie cérébrale, pharmacologie épidémiologie) peinent à éclaircir. En effet, l’étiologie, le pronostic, la thérapeutique et la définition même du TDA/H sont objets à débats. La perplexité qui entoure l’état des connaissances médicales n’est pas propre à cette catégorie diagnostique mais caractérise un grand nombre d’entités dont l’approche tend à être renouvelée par les neurosciences. Ainsi, une forte tendance incline à appréhender plus largement les psychopathologies (dépression, troubles bipolaires, autisme, troubles obsessionnels compulsifs par exemple) comme des neuropathologies [5], c’est-à-dire selon un modèle naturaliste.

2Malgré les débats et les incertitudes médicales, il est fait un usage social de plus en plus étendu des catégories ainsi produites. Réclamé par les patients et/ou les parents, le diagnostic de TDA/H est souvent associé à l’espoir de pouvoir faire reconnaître officiellement une « maladie authentique » et d’accéder à une qualité de vie meilleure grâce au médicament utilisé dans son traitement. Parallèlement, la reconnaissance de la nature neurobiologique et/ou génétique du trouble confère au diagnostic (même si celui-ci demeure clinique), la capacité à atténuer le sentiment de stigmatisation et de dévalorisation chez les parents. Depuis une trentaine d’années, en effet, les discours issus des neurosciences et de la génétique renouvellent la manière dont il est possible de rendre compte de problèmes de comportement très divers comme l’agitation, l’impulsivité et le manque d’attention chez l’enfant en opposant aux comportements en question des causes, et non des raisons et motifs inconscients qui impliquent la responsabilité parentale. Les hypothèses proposant l’origine neurologique et génétique de tels comportements constituent ainsi l’appui à diverses revendications de la part de parents ne supportant plus d’être culpabilisés par une attention unique portée sur les aspects éducatifs et relationnels. Ainsi, approches relationnelles et approches comportementales polarisent deux registres de lectures possibles des difficultés évoquées. Organisées en associations et mieux informées, les familles tentent de faire reconnaître un diagnostic qu’ils ont souvent élaboré elles-mêmes et mettent en place des modalités d’accès aux soins spécifiques dans lesquelles diverses médiations interviennent [6].

3L’objectif de cet article est double : premièrement, il entend décrire les pratiques du diagnostic en les rapportant, d’une part, au processus collectif de sa construction et, d’autre part, au processus spécifique de sélection des patients à l’entrée de l’hôpital dans lequel a été réalisée notre enquête ethnographique. Deuxièmement, il propose de s’interroger sur l’espoir, porté à la fois par les parents et les praticiens spécialistes du TDA/H, que le diagnostic atténue le sentiment de stigmatisation dont souffrent les parents et les enfants.

Méthode

4L’enquête sociologique sur laquelle s’appuie cet article a été conduite dans le service d’un centre hospitalo-universitaire (CHU) dont la spécialité est de prescrire des traitements médicamenteux à des enfants identifiés comme porteurs du TDA/H en référence à la quatrième version du manuel statistique et diagnostique des troubles mentaux (DSM-IV) édité par l’Association américaine de psychiatrie [1]. Cette enquête fut l’occasion d’observer la pratique quotidienne de différents praticiens sur une période prolongée (trois années), et de réaliser des entretiens avec des parents et des cliniciens. Nous avons également eu toute liberté de consulter les dossiers médicaux des patients. Plus globalement, cette enquête fut l’occasion de décrire les actions et interactions des acteurs impliqués dans le signalement, le diagnostic et la prise en charge des enfants.

Une définition élargie de l’hyperactivité et des troubles de l’attention

5Le fait que les praticiens rencontrés dans ce service adossent leur décision médicale sur les critères diagnostiques du DSM-IV et travaillent à partir des hypothèses neurocognitives n’est pas sans influencer les pratiques observées. Comparée à la dixième version de la classification internationale des maladies (CIM-10) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [10], le DSM est plus inclusif. Comme le soulignait Philippe Mazet en 2003 : « l’algorithme [de la CIM-10] est différent, avec une définition plus étroite » [8]. Dans la notice du DSM-IV, on retrouve ce commentaire : « Alors que l’algorithme diagnostique du DSM-IV requiert soit six symptômes d’inattention, soit six symptômes d’hyperactivité/impulsivité [puisqu’elle distingue différents sous-types], les critères diagnostiques pour la recherche de la CIM-10 exigent au moins six symptômes d’inattention, au moins trois d’hyperactivité et au moins un d’impulsivité » [1]. Les critères diagnostiques du DSM-IV sont donc plus larges. Une enquête parue en 2004 est assez illustrative de ce point de vue. Comparant les taux de prévalence du TDA/H en Grande Bretagne obtenus selon les critères des deux classifications, les chercheurs démontrent que la CIM-10 donne une estimation du TDA/H située entre 1 et 2 % des enfants en âge d’aller à l’école tandis qu’environ 3 à 9 % rencontreraient le diagnostic selon les critères du DSM-IV [14].

6Il est nécessaire de souligner certaines particularités propres au cadre de l’enquête : tout d’abord, nous l’avons évoqué, cette enquête porte sur une catégorie située au cœur de tensions concernant son étiologie, sa qualification, ses modalités de traitement, son pronostic, ses frontières avec d’autres catégories (troubles des apprentissages, trouble anxieux, trouble des conduites, trouble oppositionnel notamment) et un contexte polémique concernant sa reconnaissance sociale. Sachant cela, le processus d’élaboration collective du diagnostic tend à devenir plus conflictuel que s’agissant de maladies mieux établies. Plus que d’autres, peut-être, ce contexte favorise l’activisme médical et le militantisme sociopolitique de la part de collectifs de parents qui ont pris une place importante depuis les années 1990. En France, l’association de parents d’enfants hyperactifs HyperSupers occupe une place centrale dans ce processus. L’accès aux informations médicales, facilité grâce aux médias et à Internet, contribue de surcroît à rendre la relation entre le médecin et son patient moins asymétrique que par le passé et à offrir la possibilité aux patients de mieux s’orienter dans l’offre de soin. Les parents arrivent ainsi souvent face aux cliniciens avec une connaissance (certes relative) du trouble dont ils pensent que leur enfant est atteint.

7Une autre particularité tient aux règles régissant la prescription du méthylphénidate en France. La première prescription est hospitalière (délivrée sur ordonnance sécurisée valide une année), elle implique donc que les parents viennent initialement à l’hôpital pour l’obtenir. Sachant que le délai d’attente de rendez-vous dans ce service est d’une année en moyenne, on peut supposer – et tel est le cas – que ceux qui arrivent sont particulièrement demandeurs et que l’instauration du diagnostic n’est en fait que la réponse attendue de parents qui ont déjà élaboré leur propre diagnostic. De ce fait, presque tous les patients accueillis dans ce service reçoivent le diagnostic de TDA/H.

Un processus social à décrire : l’élaboration du diagnostic de TDA/H

8Pour comprendre comment est réalisé le diagnostic dans les conditions empiriques singulières qui ont été celles de notre enquête, nous avons circonscrit l’analyse, d’une part, au processus de sélection des patients à l’entrée de l’hôpital et, d’autre part, au processus de construction sociale de la définition du problème car, entre les premiers signes de difficultés et la rencontre avec un des spécialistes, interviennent divers « filtres prédiagnostiques » tout au long du parcours des familles.

9L’accès à la consultation dans le service de psychopathologie de ce CHU est, en effet, soumis à l’acceptation d’un dossier composé généralement d’une lettre dans laquelle les parents exposent les motifs de la demande de soin et d’une recommandation de la part d’un professionnel de santé (médecins, psychologue) et/ou une lettre de l’enseignant. Ce que montrent ces lettres est que le vécu des familles, la manière dont ils interprètent et présentent les difficultés de leur enfant, subissent une mise en forme normative correspondant à la définition médicale du trouble. Les entretiens réalisés avec les parents en témoignent : entre les premiers signes de difficultés et l’annonce du diagnostic, la définition change plusieurs fois de registre dans le sens d’une mise en adéquation de la demande à la terminologie médicale. Ce processus fait intervenir diverses médiations contribuant à façonner la demande de soin.

10Dans une très grande majorité de cas, c’est l’école qui joue le rôle de révélateur des comportements perturbateurs, ce qui confère aux enseignants mais aussi aux médecins scolaires, psychologues scolaires – notamment au sein du réseau d’aides spécialisés aux enfants en difficulté – RASED – un rôle déterminant dans le signalement et la définition du problème. Les difficultés scolaires (comportements perturbateurs, problèmes dans l’acquisition des connaissances) constituent le motif majeur de la demande de soin. C’est qu’en effet, l’insertion scolaire et sociale de l’enfant est souvent menacée par les attitudes de rejet que son comportement suscite et les risques d’échec scolaire consécutifs au retard pris dans le domaine des apprentissages. Dans ce sens, les enseignants fondent l’espoir qu’une prise en charge adaptée les aide à travailler dans de meilleures conditions. Le signalement fait intervenir encore d’autres acteurs et médiations parmi lesquels les médecins généralistes et les orthophonistes.

11Les entretiens réalisés avec les parents indiquent que leur expérience est structurée par plusieurs thématiques : le sentiment que les psychothérapies, ajustements éducatifs et rééducations entrepris jusqu’à lors, n’apportent pas les bénéfices escomptés, les propos culpabilisants des professionnels (et de l’entourage), et le fait que les parents ne soient pas ou peu associés au soin. Dans une grande majorité des cas, la situation ne s’arrange pas du jour au lendemain ce qui implique que la temporalité est une dimension centrale dans la redéfinition de la situation et, par la suite, de la prise en charge comme le montre le témoignage de cette mère sur le forum de l’association:

12

« Mon fils a vu plusieurs psys auparavant. Ils ne m’ont jamais dit ce qui n’allait pas. Les semaines passent et les mots dans le cahier, tout va mal… Les problèmes s’accentuent. »

13Une autre explique à propos de son fils :

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« Il a consulté une psychologue en cabinet privé, au cours de son année de C.P mais il n’y a eu aucune amélioration. Il était à deux doigts de se faire virer. Les punitions, c’était quasiment tous les jours aussi. Alors bon, on ne pouvait pas continuer comme ça. Même la mairie nous menaçait de l’exclure de la cantine. Au sport, c’était pareil, il était suspendu de match parce qu’il faisait n’importe quoi. »

15À mesure que les difficultés s’amplifient, que le comportement de l’enfant retentit de plus en plus lourdement sur son entourage et viennent compromettre sa scolarité et son insertion sociale, une certaine méfiance émerge sur la définition de la situation et les moyens mis en œuvre. Malgré les ajustements effectués de la part des parents (rééducation orthophonique, soutien scolaire, mesures éducatives plus strictes, changement de régime alimentaire, activité sportives, homéopathie, etc.) l’école continue à alerter les parents du maintien de certains comportements indésirables, voire d’une dégradation globale des performances scolaires et du comportement en classe. Quelles que soient les raisons de cette dégradation, les parents mentionnent de manière régulière le double sentiment de frustration et d’incompréhension de la part de l’entourage comme le montre cette mère : « Ça faisait plusieurs années que j’avais lu des choses sur Internet concernant le THADA (elle emploie l’ancienne terminologie), mais ce diagnostic a toujours été rejeté par mon entourage. C’était même devenu un sujet de tensions familiales. » L’incompréhension semble également se trouver du côté des professionnels comme l’explique le père d’un garçon alors âgé de dix ans : « Notre généraliste nous disait “ça va passer, il faut qu’il trouve sa place au sein de la fratrie”. » C’est l’hétérogénéité qui caractérise le mieux les discours professionnels. Citons par exemple les conseils prodigués par un psychologue à une famille, « il faut que vous soyez plus fermes avec lui », ou les propos d’un spécialiste concluant plus radicalement que l’enfant « n’a rien du tout ». Revisitant leur parcours, les parents peuvent ainsi estimer que tel ou tel psychothérapeute ou médecin « n’y connaît rien », qu’« il ne maîtrise pas sont sujet », qu’il « n’a pas entendu » ou « n’a pas compris » leur problème. La polyphonie des conseils prodigués et l’hétérogénéité des discours profanes et professionnels renforcent l’impression, chez les parents, d’un parcours pénible et souvent décrit comme un « parcours du combattant ».

16Pour être plus précis, ajoutons que certains parents peuvent opérer une « naturalisation spontanée » des problèmes de leur enfant, pour reprendre une expression de Pierre-Henri Castel [3] c’est-à-dire poser le TDA/H comme premier registre interprétatif. Dans ces cas, les parcours de soin semblent moins longs jusqu’au diagnostic. Mais pour une majorité, la situation vient peu à peu, et de manière assez aléatoire, à sortir du registre relationnel pour entrer dans le registre naturaliste par le biais de diverses médiations : au contact d’un nouvel enseignant, d’un orthophoniste « avisé », après la recherche d’informations sur Internet ou bien suite à la lecture d’ouvrages grand public, d’une émission de télévision, etc. C’est également au cours de cette phase de recherche que l’association de parents d’enfants hyperactifs (HyperSupers TDA/H-France) joue un rôle déterminant. On ne saurait, en effet, rendre compte des transformations survenues dans le champ psychiatrique sans les rapporter à diverses transformations ayant affectées la relation médecins-patients et à l’importance grandissante qu’ont pris les usagers dans le système de santé : ces derniers participent aujourd’hui à la définition des problèmes et souhaitent être associés aux décisions les concernant. Regroupés autour de certaines causes spécifiques, ils tendent à infléchir l’orientation des politiques de soin et de la recherche médicale [4]. De manière concomitante, leur influence est accrue par les possibilités décuplées d’accès aux informations médicales. L’intervention de ces différents types de médiations n’est pas sans conséquence sur la manière dont les parcours de soin se dessinent et sur la façon dont s’élabore le diagnostic.

L’association de parents

17HyperSupers TDA/H-France, est une association crée en 2002 constituée autour d’un noyau de revendications communes : que les problèmes de leurs enfants ne soient plus placés sous le registre des interprétations relationnelles, selon eux culpabilisantes, stigmatisantes et source de souffrances, mais soient reconnus comme relevant d’un authentique trouble neurologique. Elle entend ainsi faire connaître le TDA/H, organiser des échanges entre les personnes atteintes de TDA/H et accompagner les familles dans leur démarche d’obtention de diagnostic. Jugeant délétère le délai entre la survenue des premières difficultés et l’apposition du diagnostic, elle vise également à améliorer le dépistage de ce trouble en sensibilisant les acteurs de terrain susceptibles de jouer un rôle dans ce processus. Tout en contestant les pratiques de certains professionnels, cette association a peu à peu tissé des liens de partenariat avec ceux dont elle épouse les points de vue théoriques, étiologiques et thérapeutiques.

18S’inscrivant dans un mouvement bien décrit par les sciences sociales, elle concourt ainsi à la transformation des représentations sur la maladie et à la conception des services dont ils sont les bénéficiaires [2, 4, 13]. L’association de parents d’enfants hyperactifs fait partie d’un système d’acteurs organisés (pouvoirs publics, praticiens, Éducation nationale, firmes pharmaceutiques, enseignants), d’un système d’interrelations où ces différents acteurs légitiment réciproquement leurs actions [6]. C’est au sein de ce système que se diffusent savoirs et discours scientifiques, que des formes de représentations des troubles du comportement tendent à se substituer à d’autres et que se dessinent des parcours de soin.

19De par son rôle médian entre les cliniciens et les familles – et par l’intermédiaire de divers outils (forum de discussion, informations médicales sur le TDA/H, permanences téléphoniques), l’association constitue à la fois un instrument de diffusion des connaissances médicales et d’aiguillage de la demande de soin vers des services ayant eux-mêmes mis en place des modalités de recrutement de leurs patients. Bien que ce fonctionnement ne soit pas exclusif au service dans lequel a été réalisée notre enquête, il convient de tirer toutes les conclusions que ce fonctionnement implique sur la formulation de la demande. L’analyse des lettres de candidature que les familles doivent envoyer pour obtenir un rendez-vous montre ainsi qu’il se produit une mise en forme normative des demandes de soin en amont de la consultation.

20Ce qui est marquant, en effet, c’est que ces demandes se ressemblent toutes et qu’elles sont assez stéréotypées. Les termes que les parents emploient dans ces lettres sont peu variés : « trouble du comportement », « troubles comportementaux », il « est toujours dans la lune », « intégration difficile à l’école », « impulsif », « agitation motrice » sont des expressions qui reviennent souvent. Mais en réalité, ces stéréotypes sont un trompe-l’œil car les motifs et les plaintes des parents se « décompressent » une fois qu’ils se trouvent face aux cliniciens. On se rend compte alors que les plaintes, l’intensité des symptômes et les symptômes eux-mêmes sont d’une extrême hétérogénéité. La caractéristique de la catégorie TDA/H est justement de les unifier compte tenu de la plasticité qui caractérise cette entité. Notons qu’il n’est d’ailleurs pas nécessaire qu’un enfant manifeste un TDA/H caractérisé pour qu’il soit diagnostiqué. Les enfants peuvent, en effet, être traités même lorsqu’ils ne présentent qu’une forme subsyndromique ou subclinique du trouble.

21Une implication directe pour le clinicien est qu’il lui est extrêmement difficile de hiérarchiser les demandes en amont et que, dans la mesure où une année sépare en moyenne la demande des parents et le rendez-vous avec un praticien, la situation peut potentiellement s’aggraver pour les cas les plus sévères.

Stigmatisation/déstigmatisation

22L’expérience des parents d’enfants identifiés comme porteurs du TDA/H est souvent structurée par un sentiment de dévalorisation et de stigmatisation. Ils se plaignent d’être considérés comme de mauvais parents et estiment que leurs habiletés parentales sont sans cesse remises en cause par leur entourage (amis, membres de la famille, enseignants). Ils se plaignent également que leurs enfants soient injustement perçus comme des enfants mal-élevés et volontairement perturbateurs ce qui entraînerait de la part de leurs pairs, et parfois des enseignants, des attitudes de rejet. Dans un cas comme dans l’autre, s’ajoute à la difficulté de gérer les comportements difficiles de leur enfant, celle de se sentir dévalorisé et de faire face à des attitudes négatives. Les parents espèrent ainsi du diagnostic qu’il fixe la définition du problème, mette fin aux conflits noués sur la nature des difficultés et qu’il prouve que leur progéniture est atteinte d’une pathologie authentique pour laquelle personne ne peut être tenu pour responsable. C’est sur la base des effets potentiellement déstigmatisants de l’attribution des difficultés de l’enfant à des causes génétiques que les militants et les familles fondent en partie leurs arguments et leurs espoirs. « Ce n’est pas de ta faute, certains naissent gauchers, eh bien toi tu es hyperactif », dit par exemple une pédopsychiatre à un jeune patient. Autrement dit, la référence à une cause (le TDA/H) aurait la vertu de supprimer les jugements moraux (qu’ils soient accusateurs ou auto-accusateurs) et d’attribuer à la personne reconnue malade des compensations. Mais qu’en est-il lorsque la pathologie en question fait référence à une catégorie aussi controversée que peut l’être le TDA/H ?

23Il semble que les bénéfices déstigmatisants attendus du diagnostic et de la prise en charge sont limités. On peut dire que pour nombre d’entre elles, le sentiment de stigmatisation exprimé avant l’apposition du diagnostic ne disparaît pas mais change de forme ou se déplace. En effet, compte tenu des controverses médicales évoquées et de la méfiance relative à cette catégorie psychiatrique, l’apposition du diagnostic ne parvient pas rassembler les acteurs proches de l’enfant autour d’une définition commune. En d’autres termes, malgré l’expertise médicale, des lectures divergentes sur la nature du problème persistent bien souvent. Cela n’est pas qu’une question d’opinion n’ayant aucune conséquence pratique car ces désaccords peuvent produire des effets concrets sur le déroulement des prises en charge et affecter les possibilités de leur mise en œuvre. La collaboration des enseignants qui est recherchée par les praticiens et les parents est, par exemple, souvent rendue difficile lorsque l’équipe éducative ne reconnaît pas la validité de l’expertise médicale et entend faire valoir un point du vue sur l’enfant jugé meilleur de par leurs contacts prolongés avec lui. De ce fait, à moins que l’enfant ne change d’enseignant, les parents et les cliniciens ne parviendront pas à obtenir la mise en place des aménagements pédagogiques qu’ils réclament. Au lieu d’accéder aux attentes des familles et des praticiens (moins punir, autoriser l’enfant à se lever en classe, attirer son attention lors de la formulation de consignes de travail par exemple), certains enseignants peuvent continuer à considérer l’enfant comme « capricieux » comme un « cancre » ou bien comme la victime d’un contexte familial et/ou social défavorable. Dans le même sens, il arrive qu’un diagnostic ait pu être posé grâce à un enseignant « sensibilisé » mais que ce diagnostic et les ajustements pédagogiques mis alors en place soient remis en question par un nouvel enseignant appliquant à la situation une lecture différente.

24En sociologie, l’expression sick role (« rôle social du malade ») rend habituellement compte des divers bénéfices sociaux et compensations attribués à l’acteur social qu’est le malade : reconnaissance officielle (médicale) de la souffrance, attribution de certains droits, exemption temporaire de ses obligations sociales et de ses responsabilités [11]. Le sick role comprend ainsi le fait qu’une personne ne puisse être tenue pour responsable de sa situation ou considérée comme déviante mais, au contraire, comme la victime d’une affection quelle qu’en soit la nature. Cependant, dans le cas de troubles contestés comme peut l’être le TDA/H qui connaît différents types d’incertitudes, la possibilité qu’un enfant puisse se voir attribuer un sick role, ou bien puisse pleinement être reconnu comme malade est largement déterminée par les représentations de ce trouble, voire des médications employées pour le traiter.

25Il convient ainsi de reconnaître à la catégorie TDA/H des effets stigmatisants étant donné les représentations négatives qui lui sont associées. Dans le cas du TDA/H, les hypothèses génétiques et neurologiques de son étiologie contiennent en outre l’idée de persistance, l’idée que quelque chose de grave ou de relativement sérieux affecte profondément et durablement le comportement et les affects du sujet. La généticisation du trouble inscrit en outre la personne dans une catégorie de sujets « à risque » qu’il importe de surveiller sur une période indéterminée (et tel est bien le cas du TDA/H et de la logique de gestion des risques qui est à l’œuvre). Associer des bases biologiques aux troubles mentaux n’est pas nécessairement suivi des effets positifs pour les patients [12]. On peut noter que l’étiquette de trouble psychiatrique peut, au contraire, véhiculer des représentations négatives comme l’illustre une enquête américaine publiée en 2007 sur la réaction sociale à l’égard d’enfants identifiés comme porteurs d’un trouble psychiatrique. Les résultats obtenus indiquent que les personnes interrogées ont tendance à maintenir une distance sociale entre eux et les enfants diagnostiqués TDA/H ou souffrant d’un épisode dépressif majeur. Une personne interrogée sur cinq souhaite en outre que les membres de sa propre famille évitent tout contact avec les enfants TDA/H (20,47 %) et dépressifs (19,15 %) [7].

26Scepticisme, opposition, déni du diagnostic caractérisent les réactions auxquelles les parents déclarent souvent être confrontés. C’est ainsi qu’une mère explique la situation scolaire de son fils diagnostiqué TDA/H avec un trouble oppositionnel : « L’enseignante lui refuse toute sortie scolaire où nous ne pouvons pas l’accompagner. Elle l’exclut parfois des cours et quand je lui demande de nous donner les leçons « manquées », elle refuse sous prétexte qu’il n’est pas absent pour maladie mais parce qu’il perturbe la classe. J’ai appris hier, par des camarades de mon fils, qu’elle lui parlait de façon très agressive et qu’elle ne répondait jamais à ses questions ».

27De plus, les représentations concernant le médicament peuvent entretenir, elles aussi, des attitudes négatives à l’encontre des parents. Une enquête sur le recours à une médication pour des troubles psychiatriques chez les enfants montre que l’attitude des personnes interrogées est variable en fonction de la nature du problème que l’on entend traiter et des médications employées. Ainsi, l’acceptation est plus forte dans le cas d’idéations suicidaires (57 %) que pour les comportements oppositionnels (34,2 %) et les troubles de l’attention (29,5 %). Le pourcentage de personnes déclarant être « très » ou « assez défavorables » au recours à un quelconque type de médication pour les troubles de l’attention est particulièrement élevé (53 %) [9]. Donner un médicament psychotrope (classé en France comme un stupéfiant), se trouvant au centre de mille controverses, n’est ni une décision facile, ni une idée bien acceptée actuellement. Les parents peuvent être considérés comme des parents donnant des amphétamines à leur enfant et comme étant incapables de le « tenir » sans cette aide.

Conclusion

28Cet article cherchait à souligner certaines attentes dont le diagnostic de TDA/H est le support. En ce sens, l’usage du diagnostic épouse une grande hétérogénéité de situations, qui varient en fonction des motifs de la consultation et des attentes de chacun des acteurs impliqués dans son dépistage et son signalement : qu’il s’agisse d’arrêter de culpabiliser les parents (message porté par l’association de parents), qu’il s’agisse encore d’aider les familles à pacifier les relations à la maison, ou bien de soulager les enseignants. Nous avons montré que la description des problèmes par les parents subie une mise en forme normative à travers l’intervention de « filtres pré-diagnostique » mis en œuvre par divers acteurs et différentes médiations (Internet, enseignants, médecins, association, etc.). Ces filtres contribuent à façonner la demande de soin jusqu’au point où ces dernières prennent une formulation stéréotypée correspondant à la définition médicale du trouble. Le diagnostic se révèle ici dans sa double dimension dynamique et sociale. La récente mobilisation des parents regroupés en association – et des acteurs participant à cette synergie commune – ainsi que les moyens d’informations accrus, facilitent l’accès au diagnostic.

29Nous avons dans un second temps examiné les effets sociaux de la naturalisation du trouble, qui apparaît aux parents comme un moyen d’atténuer le sentiment de culpabilité et d’améliorer leur qualité de vie et celle de leur enfant. Pourtant, il est apparu que l’expertise médicale et l’apposition du diagnostic ne suppriment pas nécessairement le stigmate. Les querelles scientifiques et idéologiques dont les troubles du comportement et le déficit d’attention sont le théâtre, affectent la reconnaissance sociale de la « maladie ». Dans ces circonstances, le diagnostic peut, lui-même, constituer une source de stigmatisation : il peut ainsi confirmer l’existence de difficultés émotionnelles et comportementales, leur permanence (étant donnée leur éventuelle origine génétique) et la possibilité de se considérer comme atteint d’un trouble nécessitant une gestion au long cours.

30Dans certaines situations, la nécessité de prouver la « maladie » et d’inscrire le parcours scolaire de l’enfant dans un cadre médico-administratif implique, comme c’est de plus en plus le cas, la reconnaissance d’une situation de handicap à travers l’émergente notion de handicap psychique. On peut alors se demander quels effets peut avoir cette reconnaissance étant données les connotations négatives encore attachées au terme handicap.

31Conflits d’intérêts: aucun.

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Mots-clés éditeurs : parent, stigmatisation, diagnostic médical, association, enfant, trouble déficitaire de l'attention hyperactivité

Date de mise en ligne : 15/11/2012

https://doi.org/10.1684/ipe.2011.0792

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