1Que ferions-nous aujourd’hui sans l’Internet ? L’Internet a pris une place aussi essentielle que le téléphone, la télévision ou la radio. Son architecture offre davantage de possibilités que les outils précédemment cités tout en les intégrant et prend une place croissante dans la vie de tous les jours que cela soit pour la vie privée ou professionnelle. Quelque 40 ans après les premiers pas de l’Internet (Arpanet) à UCLA (University of California in Los Angeles) et 20 ans après l’invention du WorldWideWeb (www) en Suisse au Centre européen de la recherche nucléaire (Cern), le taux de pénétration de l’Internet ne cesse de croître dans tous les pays du monde pour atteindre 1,7 milliard d’internautes en janvier 2010 [21], soit 1/4 de la population mondiale. La plupart des pays occidentaux ont un taux de pénétration situé entre 64,8 % (France) et 92,5 % (Suède) [21].
2L’un des principaux attraits du Web ces dernières années est sans conteste le réseautage social. En effet, la fréquentation des sites Internet de réseaux sociaux (ex : Facebook, MySpace, Twitter, etc.) ne cesse de croître [7]. Alors que le site de réseautage Facebook.com affichait en août 2008 son centième million d’usagers, on en compte plus de 500 millions en septembre 2010 [8].
3Si la recherche d’information est la principale activité sur le Web [19], il en va de même en santé, y compris en santé mentale [10]. Les internautes ne se réfèrent plus seulement au savoir du psychiatre mais cherchent également ce type d’information sur les sites Web dédiés à la santé mais aussi (et de plus en plus) sur les sites sociaux [12]. C’est ainsi que de nombreuses personnes s’informent et communiquent sur ces sites après un événement traumatique, que ces derniers soient des victimes, des proches ou encore des professionnels [18]. Cependant les informations personnelles diffusées sur des sites comme Facebook ou Twitter ne sont pas sans poser de problèmes de confidentialité [25]. Toutefois, la popularité de ces sites pourrait être utilisée après un événement traumatique de masse (ex : un attentat) en terme de santé publique. Les avenues de demain seront également abordées afin de tenter de comprendre ce que le Web et les sites sociaux pourront apporter dans le champ psychotraumatique.
Qualité de l’information en santé disponible sur l’Internet
4Les internautes utilisent le réseau des réseaux ainsi que les sites sociaux pour tous les aspects de la vie, y compris la santé. C’est ainsi que 61 % des adultes américains (74 % ont eu accès au Web en 2009) [12] ont cherché de l’information sur leur santé ou celle de leurs proches sur l’Internet en 2009. Environ 22 % des recherches d’informations en santé concernent la santé mentale [13]. Aussi, les personnes présentant une chronicisation des troubles seraient les plus à même de chercher de l’information sur l’Internet [4].
5Si la diffusion d’une information pertinente en santé est bénéfique en terme de prévention primaire ou secondaire, de nombreuses études font état du nombre élevé d’informations non pertinentes en santé diffusées sur l’Internet. Par exemple, 42 % des sites Web sur les troubles anxieux et le traumatisme psychique diffusent une information erronée ou incomplète, voire dangereuse pour le patient dans 6 % des cas [3]. Si ces chiffres peuvent être inquiétants, on peut imaginer que les informations disponibles sur les forums (doctissimo.fr) et sites sociaux (facebook.com) laissés par le tout-venant ont un risque plus fort d’être moins pertinentes que celles disponibles sur les sites Web spécialisées. Les internautes cherchent en effet de l’information en santé sur les sites Web mais aussi dans les blogs et forums. C’est ainsi que 39 % des Américains qui cherchent de l’information en santé sur le Web utilisent des sites sociaux comme Facebook ou MySpace et, pour 12 % d’entre eux, Twitter [12]. Il semble que les internautes cherchent de plus en plus d’informations précises au sein des sites sociaux auprès de personnes qui ont vécu la même chose qu’eux plutôt que des informations génériques sur les sites Internet de santé [32]. C’est en se comparant au niveau des symptômes et des traitements à d’autres alter ego que ces derniers trouvent l’information désirée et non plus seulement auprès d’un expert comme le psychiatre.
6Cela est à prendre en considération lorsque l’on sait que l’information en santé trouvée sur l’Internet a influencé 58 % des internautes américains en 2006 dans leur décision (consultation, traitement) et que trois quarts d’entre eux ne vérifient pas la source de ces informations. Les internautes définiraient la crédibilité des informations seulement en fonction de l’aspect visuel (professionnel ou officiel) du site, du langage utilisé et de la facilité de navigation du site Internet [10].
7On peut s’interroger par exemple sur la qualité de l’information que le site Web très populaire Yahoo ! Answers diffuse (answers.yahoo.com). De nombreuses personnes posent des questions de toute nature (y compris de santé mentale) sur ce site et attendent que d’autres internautes répondent. Toute personne qui pense savoir quelque chose au sujet du trouble de stress post-traumatique par exemple va proposer sa réponse. Les autres internautes voteront ensuite quelle réponse leur semble la plus pertinente. C’est ainsi que 7 715 questions sur le trouble de stress post-traumatique ont été posées via Yahoo ! Answers en date de mars 2010.
Échanger sur ses troubles de santé mentale via l’Internet
8Il devient aujourd’hui courant d’utiliser l’Internet comme moyen d’expression afin de partager ses idées ou ses émotions avec d’autres internautes. On ne peut qu’observer un besoin croissant de s’exprimer via ce médium au travers du succès des forums de discussion en ligne ou des blogs [29]. Les sites sociaux comme Facebook, Twitter, YouTube, MySpace et Second Life sont également devenus des endroits où on se renseigne et échange sur ses troubles de santé mentale mais également où on peut obtenir du soutien. Aussi, 100 000 membres animent 150 groupes de discussion sur le site de psychologie psychcentral.com.
9Il semble en être de même pour les personnes ayant vécu un événement traumatique. En effet, de nombreuses victimes créent des journaux en ligne (blogs) où elles expriment leurs émotions (ex : ptsdcombat.blogspot.com), d’autres créent des groupes de discussion (ex : le groupe Coping with combat PTSD sur facebook.com) ou des forums spécialisés où elles échangent avec des personnes qui ont vécu le même type d’événement (ex : vivantessantementale.blogspot.com ; inceste.arevi.org ; etc.). Ainsi a-t-on pu observer une multiplication de blogs et de forums à la suite de la fusillade du collège Dawson (Montréal, Québec, Canada) en 2006 [15].
10Il est, en effet, intéressant d’observer que la plupart des maladies mentales sont présentes sur Facebook avec plus de 500 groupes de discussion pour chacune d’entre elles. Le TSPT n’échappe pas à la règle. Ainsi, en avril 2010, un groupe de discussion sur Facebook nommé « PTSD » (Post-Traumatic Stress Disorder) était composé de 3 727 membres. De même, si on compte plus de 500 groupes de discussion sur Facebook, il y a 9 680 entrées sur MySpace, plus de 500 messages sur Twitter et 5 010 entrées sur YouTube au sujet du TSPT en avril 2010. Il existe même des groupes de soutien dans le monde virtuel de Second Life (secondlife.com). Entre juillet 2009 et mars 2010 (8 mois), le nombre de membres des 10 premiers groupes sur le TSPT disponibles sur Facebook a fait un bond de 953,9 % (tableau 1). En avril 2010, 21 005 personnes représentaient les 10 premiers groupes sur le TSPT disponibles sur Facebook.
11Les gens ont, en effet, besoin de parler (ou d’écrire) sur ce qui les touche. C’est ainsi que selon Thelwall et Stuart [31], une forte croissance de création de blogs serait observée après chaque événement traumatique majeur comme les attentats de Londres (Royaume-Uni) ou l’ouragan Katherina (États-Unis).
12Toutefois, si on pouvait compter 18 millions d’utilisateurs de Twitter en 2009, 60 % des utilisateurs de ce site abandonnent leur compte après un mois d’utilisation [37]. De même, 45 % des 120 000 blogs qui sont créés quotidiennement disparaissent dans les trois mois qui suivent et seulement 13 % sont mis à jour sur une base hebdomadaire [29]. Aussi, seulement 6 % des personnes qui consultent les forums et groupes de discussion sur les sites sociaux écrivent sur leur santé [12].
Évolution de la fréquentation des groupes de discussion sur le TSPT sur le site Facebook.com
Évolution de la fréquentation des groupes de discussion sur le TSPT sur le site Facebook.com
Les professionnels en santé mentale et les médias sociaux
13Les sites sociaux sont également utilisés par les professionnels en santé mentale en tant qu’outil professionnel. En effet, il devient courant que des psychiatres, psychologues ou chercheurs créent une page « professionnelle » sur Facebook ou sur Twitter afin d’accroître leur visibilité sur l’Internet. Il en va de même pour les organismes ou associations (ex : Institut universitaire en santé mentale Douglas) afin d’accroître leur visibilité et de diffuser de l’information aisément. Des outils spécifiques sont même développés pour les chercheurs. Ainsi, il existe maintenant un programme qui relie la base de données PubMed (U.S. National Library of Medicine, National Institutes of Health) à la page personnelle Facebook du chercheur [1] qui le désire. Ainsi, la liste des publications sera constamment mise à jour en fonction des données disponibles sur la base de données internationale PubMed.
14Non seulement, il est maintenant possible de contacter un professionnel, d’être au courant de ses dernières recherches ou actualités, de consulter ses publications mais celui-ci pourra également facilement se connecter avec d’autres chercheurs qui œuvrent dans le même champ de recherche. Aussi, des sites sociaux uniquement pour les professionnels deviennent progressivement disponibles. Par exemple, le site Internet Linkedin permet aux professionnels de se connecter entre eux afin de créer des réseaux virtuels ou de consolider des liens internationaux entre chercheurs. Le site Web researchgate est, quant à lui, plus spécifiquement dédié aux scientifiques et permet donc de voir les intérêts de recherche de chaque chercheur, de consulter leurs publications ou de faire parti d’un groupe de discussion attenant à un domaine de recherche. Enfin, des sites sociaux très spécialisés voient le jour comme le site trauma-ptsd.com. Ce site réunit des chercheurs qui travaillent sur le traumatisme psychique afin de favoriser les réseaux entre chercheurs qui travaillent sur le même thème.
15Les sites sociaux et forums peuvent également servir de lieu commun de réflexion. En effet, il est possible d’y réunir aisément des experts du monde entier sur invitation et de les faire travailler pendant un temps donné sur un problème complexe. Ainsi, une expérience a été menée récemment [34] lors d’un forum sur l’Internet qui a réuni les contributions et discussions d’experts sur le lien thérapeutique pendant deux semaines, à l’issue de quoi une liste de préconisations, résultat d’un consensus, a été publiée. L’Internet peut donc également faciliter la faisabilité de certaines recherches et favoriser la coopération entre chercheurs.
Problèmes de protection de la vie privée sur les sites de réseaux sociaux
16Le gouvernement canadien a fait plier le géant Facebook. La commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Jennifer Stoddart, a demandé à Facebook de protéger la vie privée des Canadiens inscrits sur ce site web. La société américaine a non seulement décidé de tenir compte des demandes du Canada, mais l’a étendu à ses 500 millions d’utilisateurs. Elle devra donc maintenant avertir plus clairement ses usagers lorsqu’ils donnent accès à leurs données personnelles [14].
17Les usagers de Facebook donnent, en effet, régulièrement accès à leurs données privées par le biais de jeux de type « Es-tu aussi cool qu’Obama ? ». Le simple fait d’utiliser ces jeux ou questionnaires permet aux programmeurs d’avoir accès aux données sensibles des usagers de Facebook. Environ 950 000 personnes dans 180 pays travaillent sur des applications de ce type [14] et ont donc accès à des millions de données. N’importe qui ou n’importe quelle institution ou groupe (politique, secte, pharmaceutique, etc.) peut donc se cacher derrière un jeu populaire sur Facebook et accéder aux données privées avec le consentement des usagers. Cet échange de données personnelles contre quelques minutes de jeux semble être un nouveau « deal » dont l’internaute ne semble pas toujours bien prendre conscience (figure 1).
Requête pour accéder aux données privées de l’utilisateur de Facebook lors du téléchargement d’une application
Requête pour accéder aux données privées de l’utilisateur de Facebook lors du téléchargement d’une application
18C’est un fait : les internautes ne protègent pas leurs données privées. On observe une naïveté de la plupart des internautes vis-à-vis des informations privées qu’ils divulguent sur l’Internet, ceux-ci croyant que ce médium leur permet l’anonymat. La multiplication et l’essor exponentiel des sites sociaux viennent accroître le fait que les internautes disséminent de l’information privée un peu partout. Il est intéressant d’observer que nous acceptons sur l’Internet ce que nous n’accepterions probablement pas dans la vie réelle. Qui accepterait de donner les photos de ses enfants (FlickR), des informations sur sa santé (GoogleHealth), de faire lire toutes nos correspondances par un robot (Gmail) ou encore de parler de ses problèmes à n’importe qui (Facebook) ? Sur l’Internet, nous le faisons tous les jours sans nous soucier de qui lira toutes ces informations sur notre vie privée.
19Cet étalage de données privées peut devenir inquiétant si on considère que l’Internet est non seulement un endroit où on apprend et échange mais également où on se confie et reçoit du soutien. En effet, l’Internet devient progressivement un complément ou une alternative en matière de santé mentale. Au lieu de se référer au savoir du médecin, on va chercher de l’information sur l’Internet. Au bureau du psychiatre, certains pourraient préférer échanger sur des forums avec d’autres personnes qui vivent la même chose qu’eux. Cependant, toute information n’est pas bonne à prendre sur le web et le manque de prise de conscience de l’accès à la vie privée que nous pouvons donner pourrait être préjudiciable.
20Si la question de l’anonymat et de la sécurité des données peut être importante en temps normal, elle devient cruciale pour les personnes écrivant sur leurs troubles de santé mentale. Les gens diffusent, en effet, beaucoup d’informations privées sur leur santé sur des sites sociaux comme Facebook [6].
21Ce déni de dons de sa vie privée semble s’accroître. Alors que les internautes prenaient des pseudonymes afin de préserver leur anonymat, de plus en plus de personnes écrivent dans des groupes de discussion sur Facebook tout en signant automatiquement chaque billet de leur nom avec un accès direct à leur page personnelle Facebook. Ce manque d’anonymat peut poser problème lorsqu’il s’agit de personnes parlant de leurs troubles mentaux ou encore lorsqu’il s’agit de professionnels de santé. Les professionnels de santé doivent, en effet, faire attention à l’accessibilité de leurs pages personnelles sur les sites de réseaux sociaux [33]. La croissance de l’usage des sites sociaux peut donc amener à de nouvelles questions d’éthique et de déontologie. Des patients peuvent en effet accéder à la page personnelle de leur psychiatre ou de leur psychologue et lui demander de devenir « amis » sur Facebook.
22Il n’est plus nécessaire aujourd’hui de faire partie des services de renseignements pour accéder aux informations personnelles d’une personne. En effet, si 53 % des adultes américains « se googlent » [11], les employeurs [16] cherchent de l’information et recrutent maintenant via Facebook. Si les patients peuvent être tentés de recueillir des informations sur leur psychothérapeute, on peut se demander qui pourrait profiter des « confidences publiques » que peuvent faire des personnes sur Facebook lors d’un deuil, d’un épuisement professionnel ou après un événement traumatique ? Les curieux ? Les voisins ? Les sectes ? De même, googler devient obsolète vis-à-vis des sites spécialisés comme pipl.com, ces derniers donnant toujours plus d’informations au fur et à mesure que nous (ou les institutions) en distribuons sur l’Internet. Les algorithmes devenant de plus en plus « intelligents », un site Web peut même trouver les pseudonymes utilisés par une personne ainsi que l’identité de ses proches (peekyou.com). Et demain ?
23Mais est-ce toujours aussi simple ? À quoi sert d’être sur Facebook si on s’arrange pour y être transparent ? Est-ce facile de refuser d’être sur de tels sites quand tout le monde y est ? Peut-on faire attention à toutes ses données à l’heure où les factures, les dossiers de santé, le paiement des impôts deviennent électroniques ? La pression sociale n’est pas facile à être surmontée. L’Internet peut encore beaucoup apporter en santé mentale, il faut néanmoins faire davantage attention, ou tout du moins, être conscient du problème sans diaboliser l’Internet.
Le rôle des sites sociaux après un désastre : exemple du tremblement de terre en Haïti
24Le 12 janvier 2010, la capitale d’Haïti, Port-au-Prince, a subi un terrible tremblement de terre d’une magnitude de 7.0 avec un afterchoc de 5.9 qui a détruit la grande majorité de la ville de 2 millions d’habitants [28]. C’était le plus important tremblement de terre au pays depuis deux siècles [22]. Seulement deux jours après le désastre, on a dénombré 45 000 morts mais on en compte aujourd’hui plus de 200 000. Plusieurs millions de personnes étaient dans la rue et beaucoup ont été blessés. Les communications (radio, TV, téléphone sans fil) ont été inexistantes pendant plusieurs jours après la catastrophe. Les familles et amis à l’étranger ont alors été sans nouvelle de leurs proches. L’État haïtien ne disposait plus d’infrastructure nécessaire pouvant venir en aide à la population puisque des hôpitaux ainsi que des ministères (dont le palais présidentiel) s’étaient effondrés.
25Alors que les téléphones fixes, cellulaires, la radio et la télévision ne fonctionnaient plus, un seul moyen de communication semblait avoir résisté : l’Internet. Cet outil de communication, dont l’ancêtre (Arpanet) avait été créé il y a 40 ans afin de continuer à communiquer en cas d’attaque nucléaire [36], a été le seul lien entre les familles et amis hors d’Haïti et les survivants de Port-au-Prince [9]. Son architecture décentralisée (ex : serveur dans d’autres zones géographiques) a permis de continuer a fonctionner malgré une catastrophe majeure touchant les principaux centres de communication [23]. À Port-au-Prince, les liaisons sous-marine par fibre optique ou par satellite sont restées opérationnelles. Seuls deux des 20 réseaux haïtiens ont été indisponibles au moment du tremblement de terre [26].
26À l’extérieur d’Haïti, le Web s’est également mobilisé en terme d’information et de dons comme Google.com (google.com/haitiearthquake). Des informations sur les bâtiments (hôpitaux, hôtels, rues, etc.) ont par exemple été regroupées sur une carte (news.geocommons.com/haitiquake). Une page sur Facebook « Disaster relief on Facebook » a également été créée afin de permettre de centraliser les aides (facebook.com/DisasterRelief).
27En 2006, le taux de pénétration d’Internet dans la population Haïtienne était de seulement 6 % comparativement à la moyenne mondiale de 25,6 % et 74,2 % de l’Amérique du Nord [20, 21]. Malgré le faible nombre de personnes ayant accès à l’Internet dans ce pays, c’est ce médium qui a permis de faire le lien entre les survivants du séisme et les familles à l’étranger.
28Les premières photos ou informations provenant de la zone où s’est produit le séisme ne sont pas venues d’un photographe professionnel ou d’un journaliste mais des Haïtiens eux-mêmes via FlickR, Facebook ou Twitter.
29Les sites Web classiques semblent avoir connu davantage de problèmes puisque ces sites sont administrés par un ou des webmasters qui peuvent avoir survécu ou non au séisme par exemple. Les sites Internet des quotidiens en ont été une illustration. Ainsi, on pouvait voir des sites Internet de journaux quotidiens haïtiens fonctionner (ex : http://metropolehaiti.com), d’autres être hors réseau (ex : http://www.haiti-info.com) et d’autres encore être comme figés depuis le tremblement de terre sans webmaster pour faire des mises à jour d’information (http://www.haitiprogres.com). Des sites d’informations comme http://metropolehaiti.com ont également permis de connaître les zones sinistrées, l’état des secours et ont diffusé de l’information sur les sites web permettant de prendre connaissance de qui est blessé ou décédé.
30De nombreux Haïtiens ont fait appel à des forums de discussion (http://www.lenouvelliste.com/discussions/) pour afficher des témoignages ou donner des preuves de survie (http://www.lenouvelliste.com). Certains ont été des parents ou amis à l’étranger s’inquiétant pour leur famille, d’autres ont demandé de l’aide et de la solidarité pour venir en aide à des endroits bien précis de la ville où ils savaient qu’il y avait eu des effondrements.
31Des Haïtiens de Port-au-Prince ont également communiqué avec l’extérieur par les médias sociaux comme Twitter ou Facebook. C’est par exemple le cas de l’animateur de radio Carel Pedre de Radio 1 Haïti qui donne ses commentaires sur la situation minute par minute sur Twitter [27] et Facebook.
32Le site Koneksyon (http://koneksyon.com), qui est un forum qui a permis de se renseigner sur ses proches, a été mis en place par deux Haïtiens le 13 janvier, soit quelques heures après le séisme. Des listes de personnes disparues ou de personnes en vie circulaient également sur l’Internet comme celle de la croix rouge internationale (http://www.familylinks.icrc.org) ou encore celles disponibles sur Facebook. Ces initiatives ont permis à certaines familles de vérifier si leurs proches étaient encore vivants comme illustré figure 2. Beaucoup de ces sites se sont créés ou ont été utilisés (ainsi que les posts de Facebook et Twitter) dès les premières heures après le séisme.
Page Facebook de Team Haïti Connect
Page Facebook de Team Haïti Connect
33De même, alors que les communications téléphoniques étaient coupées à Port-au-Prince, l’Internet a permis à de nombreuses personnes de téléphoner (ex : skype.com) [27].
L’Internet et la santé publique
34L’Internet peut servir comme moyen de gestion des secours ou pour définir la carte des zones sinistrées alors qu’il n’y a plus de moyens de communication (téléphone fixe, radio, télévision). Sur le site Web d’information quotidien haïtien Le Nouvelliste, le forum en ligne a permis de définir quelles étaient les zones sinistrées ou épargnées de la ville afin de développer les secours vers ces zones ou dans un but informatif pour les familles et amis se trouvant à l’étranger.
35L’Internet peut également faciliter la diffusion de messages de santé publique, et pourrait permettre d’effectuer ensuite un triage (ex : trouble de stress post-traumatique) via des sites Internet diffusant des questionnaires de pré-diagnostic en ligne, ou encore d’orienter les survivants vers les lieux où aller pour se faire soigner (localisation des hôpitaux de campagne, bateaux hôpitaux, antennes d’ONG comme la Croix-Rouge).
De l’utilité des sites Internet en santé mentale après une catastrophe
36Si l’Internet n’est pas providentiel, il ne démontre pas moins son utilité lors d’événements traumatiques de masse comme un attentat ou une catastrophe naturelle. Il faut développer des outils afin de mieux répondre aux besoins des survivants à de tels événements.
37Une fois que les besoins primaires sont satisfaits, vient le temps de s’occuper de santé mentale. Le tremblement de terre en Haïti laissera chez certains des cicatrices comme des deuils difficiles ou encore un trouble de stress post-traumatique. L’Internet pourra encore jouer un rôle en terme de prévention secondaire et d’orientation (info-trauma.org) ou encore offrir des interventions en ligne comme des psychothérapies là où il n’y a plus d’infrastructure permettant de tels services.
38Dans un endroit où la plupart ont failli mourir, ou ont vu des corps se décomposer dans les rues, il y a en ce moment des personnes qui présentent des troubles de santé mentaux comme de l’anxiété ou des troubles de stress post-traumatique. En effet, on observe une prévalence élevée, de 24 à 63 %, du trouble de stress post-traumatique après un séisme [2, 5, 24, 35].
39De même, le nombre d’immigrants haïtiens risque fortement d’augmenter. Alors que la prévalence de dépression et de trouble post-traumatique chez les immigrants haïtiens est déjà élevée en temps normal, il est à redouter un fort taux de troubles de santé mentale auxquels il faudra faire face autant en Haïti que dans les pays d’accueil.
40En Haïti, le problème de prise en charge des troubles mentaux tels que le trouble de stress post-traumatique se pose. Alors que Port-au-Prince est en ruine, les services de santé mentale risquent de ne pouvoir faire face à la demande massive de prise en charge de personnes présentant un trouble de stress post-traumatique ou une dépression réactionnelle suite à la perte de proches. L’Internet pourrait, là encore, apporter un soutien aux services de psychiatrie haïtiens. Ainsi, il pourrait être possible de donner une information sur les troubles ainsi que des conseils pour les proches de personnes atteintes de ces troubles, de faire du triage et de l’orientation vers les services adaptés en fonction de la présence et de la sévérité des symptômes. Des psychothérapies en lignes (prenant en compte la dimension interculturelle) pourraient également être proposées afin de répondre au plus grand nombre. Des formations universitaires en ligne pourraient être proposées aux psychologues et psychiatres locaux qui ne connaissent pas le trouble de stress post-traumatique afin d’améliorer sa prise en charge.
Conclusion : et demain ?
41L’Internet est en constant changement. L’ordinateur n’est déjà plus le seul mode d’entrée sur l’Internet. Nous assistons progressivement à une véritable migration de l’Internet vers différents supports mobiles (BlackBerry®, iPhone®, iPad®), modifiant l’utilisation d’Internet. En effet, les téléphones mobiles servent également maintenant à surfer sur l’Internet et le cloud computing (disque dur et applications en ligne) permet de consulter ses données (personnelles ou professionnelles) sur n’importe quel support n’importe où. L’utilisation des sites sociaux s’en trouve également modifiée. Les groupes de discussions en santé mentale sur les sites sociaux étant en croissance constante, les utilisateurs de Facebook peuvent par exemple trouver du réconfort ou des conseils au moment même où ils se trouvent face à une difficulté comme, par exemple, emprunter un chemin où une victime aura été agressée.
42De même, le rapport d’un patient à son psychiatre risque d’évoluer. Ainsi, il existe maintenant des médecins généralistes dont le premier contact avant toute consultation s’effectue par Twitter [17]. Est-ce que ce pas sera franchi par des professionnels en santé mentale ? Quelles questions d’éthique se poseront demain face à ces nouvelles pratiques ? L’avenir proche nous le dira.
43Les professionnels de santé mentale, pour ou contre l’Internet en santé mentale, doivent s’interroger sur ce phénomène. Est-ce qu’il sera possible demain d’ignorer toutes ces applications de l’Internet dans notre pratique ? Il ne faut pas oublier que les jeunes d’aujourd’hui sont les adultes de demain et que les adultes de tout âge tendent aujourd’hui à rejoindre les usages et sites sociaux jusqu’alors fréquentés par les plus jeunes [30]. Vu la croissance du nombre de groupes de discussion en santé mentale sur les sites sociaux à la place ou en complément d’une démarche psychothérapeutique, cette pratique risque de progressivement s’éloigner de la marginalité pour devenir courante.
44Si tout devient possible, tout n’est pas forcément souhaitable. Ainsi, le rôle des sites sociaux en rapport avec la santé mentale sera progressivement interrogé et les applications positives et négatives de celui-ci dégagées mais difficilement ignorées.
45Conflits d’intérêts : aucun.
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Mots-clés éditeurs : facebook, internet, twitter, groupe de discussion, santé publique, sante mentale, trouble de stress post traumatique, éthique, information médicale, recherche
Date de mise en ligne : 15/11/2012.
https://doi.org/10.1684/ipe.2010.0688