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Article de revue

Addictions : définitions et principes thérapeutiques

Pages 611 à 620

Introduction

1L’addictologie est une discipline émergente. Issue de la psychiatrie, de la santé publique et des autres spécialités médicales, elle s’impose comme une spécialité autonome. Initialement les approches étaient centrées sur les produits : alcool, drogue, tabac, médicaments. Leur parenté clinique, neurobiologique et thérapeutique et les addictions sans drogue ont fait émerger le concept global d’addiction. Ce terme est issu du bas latin, addictere, une sanction de l’ancien régime, la contrainte par corps pour réparation. Les évolutions récentes précisent les définitions cliniques et les stratégies thérapeutiques. Elles permettent une meilleure compréhension des troubles et des réponses thérapeutiques adaptées.

Les substances psychoactives

2En 1968, les drogues étaient définies par l’OMS selon leurs potentialités à entraîner :

  • une tolérance à des doses de plus en plus élevées ;
  • une accoutumance avec une nécessité d’augmenter les doses pour retrouver les effets recherchés ;
  • une dépendance physique avec syndrome de sevrage à l’arrêt ;
  • une dépendance psychique avec nécessité d’en reprendre pour retrouver les effets ou calmer le malaise psychique lié à la privation.
En 1970, Delay et Deniker, à la suite de leur classification des psychotropes, proposent une classification des drogues avec les psycholeptiques qui dépriment le fonctionnement psychique, les psychoanaleptiques qui le stimulent et les psychodysleptiques qui en modifient le fonctionnement.

3Depuis 1987 et la publication du DSM-III-R, les classifications internationales des troubles mentaux, DSM-IV-TR et CIM-10, dénomment les substances objet d’abus substances psychoactives. Elles sont définies par leur capacité à engendrer une intoxication ou ivresse, un sevrage, un abus ou usage nocif ou une dépendance (tableau 1).

Tableau 1

Diagnostics selon les différentes classes de substances

Tableau 1
Substance psychoactive Dépendance Abus Intoxication Sevrage Alcool XXXX Amphétamines XXXX Caféine X Cannabis XXX Cocaïne XXXX Hallucinogènes XXX Nicotine XXX Opiacés XXXX Phencyclidine XXX Sédatifs, Hypnotiques, Anxiolytiques XXXX Solvants volatils XXX Autres XXXX

Diagnostics selon les différentes classes de substances

4Les drogues illicites, comme le cannabis ou la cocaïne, sont interdites à la consommation, même dans un cadre privé, sous peine de sanction judiciaire. À l’inverse, l’usage des substances licites n’est sanctionné que dans certaines situations, l’ivresse publique, l’alcool au volant ou en milieu professionnel, le tabac dans les lieux publics… Si la distinction entre drogues illicites et substances licites reste actuelle sur le plan légal, elle concerne moins le clinicien qui s’intéresse aux usages pathologiques.

5La distinction entre drogues dures et drogues douces, issues des années 1970, est sans définition scientifique claire. Elle voit ses limites avec les usages actuels de l’alcool par certains adolescents ou la teneur élevée en principe actif du cannabis. Cela amène à des dérives sémantiques comme les concepts d’usage dur de l’alcool ou du cannabis.

Des repères cliniques

6Les classifications actuelles ont fait apparaître, depuis 1987, la catégorie diagnostique des troubles liés aux substances. Ces troubles sont des pathologies au même titre que les troubles anxieux, de l’humeur ou schizophréniques. La communauté scientifique internationale identifie trois types de comportements de consommation de substances psychoactives qui sont : l’usage, l’abus (ou utilisation nocive pour la santé ou usage nocif) et la dépendance.

L’usage simple ou occasionnel

7L’usage est une consommation de substances psychoactives qui n’entraîne ni complications pour la santé, ni troubles du comportement ayant des conséquences nocives pour les autres [16]. L’usage simple ne provoque pas de dommages et n’est pas considéré comme pathologique. C’est pour cette raison qu’il n’est pas répertorié dans les classifications internationales. Il garde un caractère circonstanciel, occasionnel, sans attrait spécifique pour la substance ou la communauté des consommateurs.

8Ce mode de consommation est souvent mis en avant par les consommateurs réguliers qui, dans un mécanisme de déni ou de banalisation, sous-estiment leur niveau d’intoxication et ses conséquences psychologiques, physiques et sociales. Cela est particulièrement caractéristique avec le cannabis et la cocaïne.

9Certaines formes d’usage ne sont pas dénuées de risques. Dans certaines circonstances ou situations, une consommation apparemment socialement réglée, sans répondre aux critères de l’abus ou de la dépendance, est susceptible d’entraîner des dommages. C’est l’usage à risques, un concept essentiellement français non repris dans les classifications internationales. Ce risque peut être lié au contexte, aux modalités ou aux quantités consommées.

L’abus ou usage nocif

10L’abus du DSM-IV-TR (annexe 1) ou l’usage nocif de la CIM-10 se caractérise par une consommation répétée induisant des dommages dans les domaines somatiques, psychoaffectifs ou sociaux, soit pour le sujet lui-même, soit pour son environnement sans atteindre le niveau de dépendance. Le caractère pathologique de ce mode de consommation est donc simultanément défini par la répétition de la consommation et par l’existence de dommages induits. De la même façon que pour l’usage, il n’est pas fait référence au caractère licite ou illicite des produits. Dans ces définitions l’accent est mis sur le fait que les dommages ne sont pas uniquement d’ordre sanitaire, mais qu’ils concernent également le bien être général, la vie relationnelle, la situation professionnelle et financière, les relations à l’ordre et à la société.

La dépendance

11Classiquement les médecins définissaient la dépendance par la perte de la liberté de s’abstenir ou la perte de contrôle [6]. Sur le plan critériologique, le DSM-IV-TR [2] pose ce diagnostic avec la présence d’au moins trois critères parmi sept (annexe 2). La dépendance est avec ou sans dépendance physique selon l’existence des deux premiers critères, une tolérance ou un syndrome de sevrage à l’arrêt les autres critères sont socio-comportementaux. Il n’y a plus d’opposition entre dépendance psychologique et dépendance physique, mais un diagnostic psychiatrique de dépendance avec ou sans dépendance physique. Cette nouvelle définition renouvelle la notion d’une dépendance en insistant plus sur la perte de contrôle.

12Sur un plan plus clinique, la dépendance à une substance est une psychopathologie évolutive débutant à l’adolescence ou à l’âge l’adulte jeune. Extensive, elle envahit progressivement l’ensemble de la vie psychique. Ce trouble au long cours est sous-tendu par un attrait majeur pour les produits, une ambivalence face à l’abstinence et une faiblesse de motivation thérapeutique.

13Les premières demandes de soins sont tardives et apparaissent lors des complications ou de la décompensation du trouble. L’évolution est émaillée de rechutes.

14Il n’y a pas de corrélation entre le diagnostic de dépendance et le niveau de consommation de substances. L’épidémiologie des consommations définit des niveaux d’intoxication : expérimentation, l’année, répété, régulier, quotidien. Ces évaluations quantitatives ne permettent pas de poser de diagnostic clinique. Quelques études menées chez les consommateurs montrent que le critère de niveau de consommation est un indicateur de dépendance à la fois peu sensible et peu spécifique.

Les addictions

15À partir des travaux de Peele [19] et des approches cognitivo-comportementales, Goodman [7] définit l’addiction comme « un processus dans lequel est réalisé un comportement qui peut avoir pour fonction de procurer du plaisir et de soulager un malaise intérieur et qui se caractérise par l’échec répété de son contrôle et sa persistance en dépit de conséquences négatives ». Il propose des critères inspirés du DSM (annexe 3). Volkow et collaborateurs [23] définissent l’addiction comme « un trouble caractérisé par un processus récurrent comprenant l’intoxication répétée puis l’installation progressive d’une dépendance s’accompagnant de signes de sevrage et d’un besoin compulsif de consommer ou craving ». Le caractère chronique et l’installation d’un état émotionnel négatif lorsque l’accès au produit est impossible et l’évolution par rechutes sont caractéristiques [10].

16En résumé l’addiction se caractérise par l’impossibilité répétée de contrôler un comportement qui est poursuivi en dépit de la connaissance de ses conséquences négatives. Ce comportement vise à produire du plaisir ou à écarter une sensation de malaise interne [21]. Les caractéristiques du syndrome de dépendance comportent des caractères cliniques très proches de ceux du syndrome addictif. Les termes d’addiction et de dépendance sont donc pratiquement équivalents [1], le terme d’addictions permettant d’élargir le concept de dépendance à une substance aux toxicomanies sans drogue ou addiction comportementales telles le jeu pathologique, la kleptomanie, la boulimie et les addictions sexuelles.

La neurobiologie du système de récompense

17Le système mésocorticolimbique, ou système de récompense, est la principale cible neurobiologique des phénomènes addictifs. Ce système assure la gestion des émotions, des plaisirs et des désirs. Dès le plus jeune âge, il est programmé en fonction des expériences de plaisir et de déplaisir et apprend à identifier précocement ce qui est bon ou mauvais. C’est lui qui permet d’analyser et de répondre aux différentes émotions positives ou négatives [15].

18Le circuit mésolimbique se compose d’un ensemble de neurones dopaminergiques issus de l’aire tegmentale ventrale, dans le tronc cérébral, et qui projettent, via le faisceau médian, vers les structures limbiques que sont l’hippocampe, l’amygdale et le noyau accumbens. Ce circuit est impliqué dans les effets de renforcement, la mémoire et les réponses conditionnées liées aux conséquences motivationnelles et émotionnelles du manque et du besoin, d’affection et de relation mais aussi de drogues.

19Le circuit mésocortical se projette de l’aire tegmentale ventrale vers les cortex préfrontal, orbito-frontal et cingulaire antérieur. Ce système serait impliqué dans les conséquences cognitives de l’imprégnation émotionnelle et en ce qui concerne la prise de drogues, dans la recherche compulsive de ces drogues [21]. Ces deux systèmes fonctionnent en parallèle, interagissant à la fois entre eux mais également avec d’autres aires par le biais de projections neuronales. C’est en agissant sur les voies neuroanatomiques de ce système et en forçant les neurones dopaminergiques, directement ou indirectement, que les différentes substances rendent les individus dépendants [22]. La régulation de l’activité dopaminergique est un phénomène complexe dans lequel interviennent plusieurs systèmes neurotransmetteurs notamment les systèmes glutamatergiques, GABAergiques, opioïdes et cannabinoïdes [9].

20La dopamine est le neurotransmetteur clé du système de récompense. Les récompenses naturelles (aliments, boissons, activité sexuelle) mais également les drogues addictives modifient la transmission synaptique dopaminergique en stimulant la libération de dopamine par les neurones de l’aire tegmentale ventrale dans le noyau accumbens [8].

21Physiologiquement, le système dopaminergique mésocorticolimbique est finement régulé par des neuromédiateurs endogènes agissant sur des récepteurs spécifiques. Cette neuromodulation permet d’adapter subtilement la sécrétion dopaminergique aux différentes situations qui vont stimuler le circuit de récompense. La prise chronique de drogues entraîne, directement ou indirectement, une activation anormale et répétée du système dopaminergique mésocorticolimbique. L’activation neuronale dopaminergique provoquée par les plaisirs naturels ne dure que quelques instants, alors qu’elle est beaucoup plus longue lorsqu’elle est provoquée par la prise de drogues. De plus, à l’opposé des récompenses naturelles qui sont soumises à un phénomène d’habituation, chaque nouvelle prise de drogues entraîne une libération dopaminergique [21]. Afin de compenser cette surstimulation répétée, des mécanismes de compensation, appelés mécanismes opposants, sont activés [11]. Ce phénomène, dit de plasticité synaptique, se traduit tout d’abord par une modification du nombre et du fonctionnement des récepteurs dopaminergiques des neurones du circuit de récompense.

Facteurs de vulnérabilité, comorbidités psychiatriques et prévention

22Classiquement, est distingué l’alcoolisme d’entraînement, névrotique et dipsomaniaque [6] ou les toxicomanies socioculturelles et psychopathologiques. Les concepts d’alcoolisme primaire ou secondaire à des désordres psychologiques et de dépression primaire ou secondaire à un alcoolisme conditionnent des prises en charge séquentielles, traiter le premier trouble pour que le second s’améliore, ou clivées entre les centres spécialisés en alcoologie et les consultations de secteur.

23Les classifications actuelles avec la catégorie diagnostique des troubles liés aux substances considèrent la dépendance comme un trouble autonome sans préjuger d’une comorbidité étiologique. Le passage d’un mode de consommation à l’autre renvoie à des facteurs de vulnérabilité :

  • biologique, la capacité des substances à activer le système de récompense, leur puissance d’action, leur modalité d’absorption et la rapidité de l’effet, une vulnérabilité génétique en lien avec les gènes codant les récepteurs dopaminergiques et autres ;
  • psychologique, toutes les personnalités pathologiques, en particulier borderline, antisociales et anxieuses, et toutes les psychopathologies évolutives, thymiques, psychotiques, peuvent se compliquer d’un trouble addictif ; on retrouve fréquemment des dimensions de personnalités comme la recherche de sensation ou de nouveauté ; les familles pathologiques sont largement exposées ;
  • sociale, avec l’accès aux produits et l’image des produits dans les familles et chez les pairs ;
  • l’adolescence et la précocité des consommations ;
  • une souplesse affective et relationnelle et des référents adultes structurants sont des facteurs de protection.
Ces troubles sont des pathologies au même titre que les troubles anxieux, de l’humeur ou schizophréniques. Cette approche catégorielle permet d’éclaircir les concepts de comorbidités en distinguant :
  • les troubles induits par les substances, survenant au cours ou au décours immédiat de l’intoxication avec des liens de causalité acquis, par exemple les états dépressifs induits par l’alcool ;
  • les comorbidités avec des liens de causalité non établis, mais une forte co-occurrence amène des interrogations spécifiques, par exemple le cannabis et les troubles schizophréniques.
Les psychopathologies associées sont des facteurs de vulnérabilité, de renforcement ou d’aggravation de la dépendance. Les grandes comorbidités psychiatriques, schizophrénie et maladies bipolaires, posent la question du système de soins le plus adapté, spécialisé en addictologie ou en santé mentale, et de leur articulation, prises en charge parallèles, hospitalisation psychiatrique et extrahospitalier addictologique, travail en réseau. Les recommandations sont des prises en charge parallèles et intégrées dans une même structure ou en lien très cohérent.

24La prévention des addictions s’articule avec cette vision clinique et étiopathogénique en distinguant :

  • la prévention primaire ou prise en charge des facteurs de vulnérabilité et plus spécifiquement des enfants et adolescents en souffrance ;
  • la prévention secondaire avec le repérage et la prise en charge précoce des sujets et famille dans un contexte de faible motivation aux soins ;
  • la prévention tertiaire ou prévention des complications appelée en addictologie politique réduction des risques.

Les approches thérapeutiques en addictologie

25Le traitement des addictions s’inscrit dans un cadre de soins au long cours. L’objectif est l’arrêt du comportement addictif avec l’interruption de l’intoxication et le maintien de l’abstinence par la prévention des rechutes à long terme. La phase de sevrage ne représente qu’une étape dans la démarche thérapeutique. L’objectif principal est le maintien dans les soins. Le suivi est essentiellement ambulatoire. La proposition classique d’une prise en charge débutant par l’hospitalisation puis la post-cure est obsolète. Le suivi en consultations permet une réduction puis un arrêt de la consommation. Les hospitalisations sont rares. Leur objectif est soit un sevrage préparé, soit le traitement des complications souvent dans l’urgence avec de nombreuses rechutes à la sortie.

26La prise en charge est globale associant approches médicamenteuses, psychologiques, somatiques et sociales. Il s’agit d’accompagner le patient dans une démarche de changement qui modifie profondément les différents champs de la vie quotidienne et de la personnalité. Elle débute par, entre autre, une évaluation pour adapter au mieux les stratégies de soins. Les différentes modalités thérapeutiques partagent les mêmes objectifs, leurs différences sont plutôt liées aux aspects culturels sociaux et toxiques qui les différencient effectivement et relèvent souvent du choix des patients [5]. Ce projet est multidisciplinaire, offrant une gamme diversifiée de soins, adaptable en fonction de la clinique, articulé dans un cadre de soins cohérent et pertinent. L’identification d’un référent unique est utile.

Les traitements médicamenteux

27Les thérapeutiques médicamenteuses opposent deux stratégies, le traitement du sevrage et post-sevrage et les traitements substitutifs.

La stratégie de sevrage et post-sevrage

28Le principe est l’arrêt de toute consommation avec dans un second temps les mesures thérapeutiques du post-sevrage. Les traitements du sevrage sont essentiellement symptomatiques, associant anxiolytiques et antalgiques. Les benzodiazépines posent le problème spécifique des risques de dépendances secondaires. Leur utilité ne doit pas en limiter la prescription, particulièrement lorsque la dispensation est contrôlée en hospitalisation ou en centre de soins spécialisés. Leur danger est une prescription avec dispensation pharmaceutique sans contrôle.

29Dans le cadre du sevrage opiacé hospitalier, les adrénergiques, clonidine ou guanfacine, sont recommandés sous contrôle de la tension artérielle. L’hospitalisation peut être nécessaire, les règles ont peu évolué avec toujours la nécessité d’un environnement fermé, limitant les contacts extérieurs, les visites et les permissions. Ce cadre institutionnel s’ouvre au fur et à mesure de l’évolution du patient. Les périodes les plus aiguës du sevrage peuvent nécessiter une augmentation importante des chimiothérapies psychotropes. L’objectif principal de l’hospitalisation est le sevrage et le maintien dans cette cure.

30Le sevrage ne peut s’envisager sans mesures préventives des rechutes, psychologiques et médicamenteuses. La durée de traitement du post-sevrage est de six mois à un an en rapport avec celle de la rémission précoce du DSM-IV. Pour l’alcool, les médicaments autorisés à la prescription sont l’acamprosate, la naltrexone et le disulfiram à manier avec prudence. Ils peuvent être associés. Pour le tabac, le bupropion a fait preuve de son intérêt. Pour les opiacés, la naltrexone, un antimorphinique de longue durée d’action, est le traitement de choix. Elle bloque les effets des opiacés sans engendrer de dépendance. Son utilisation encore trop marginale doit se développer. Il est incongru de ne pas la proposer en relais d’une hospitalisation de sevrage opiacé. La prévention des rechutes de cocaïne est difficile. Les régulateurs de l’humeur et les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine sont peu efficaces. Les anti-psychotiques de seconde génération diminueraient le craving surtout des sujets à double diagnostic. Le topiramate semble avoir une place. Un vaccin est toujours en cours d’étude.

La stratégie substitutive

31Les traitements de substitution sont à réserver aux patients présentant des dépendances opiacées ou tabagiques. Le principe est de proposer un traitement de la même classe que la substance toxique. L’objectif de la cure est différent pour le tabac et les opiacés. La substitution nicotinique est une détoxification sur de nombreux mois à un an. La substitution opiacée vise au maintien du patient dans un cadre de soins pour la prise en charge des troubles de la personnalité [14].

32Les médicaments de substitution sont caractérisés par leur longue durée d’action de façon à éviter l’euphorie liée aux substances et le malaise lié à l’arrêt [18] (annexe 4). Les médicaments substitutifs sont des agonistes purs, la méthadone ou la nicotine, ou des agonistes partiels, la buprénorphine et la varénicline (Champix®), avec un effet plafond et une moindre dépendance, mais d’un maniement plus complexe. Les gommes et les sprays de nicotine présentent des risques de néo-dépendance du fait de leurs effets de pics. Ils sont moins efficaces que les patchs et sont destinés aux patients les moins dépendants ou les moins motivés. Le symptôme clinique qui permet d’adapter la posologie est l’appétence toxicophile ou craving.

33Un patient sous traitement de substitution se présente comme sevré. La déception devant l’absence d’effet euphorisant et l’absence de motivation à s’abstenir de drogue entraînent des mésusages : doses trop élevées, prises pluriquotidiennes, pratiques d’injection pour la buprénorphine. Le respect des cadres d’utilisation et de prescription est essentiel [12].

Le traitement médicamenteux des comorbidités psychiatriques

34Les diagnostics psychiatriques sont difficiles du fait de l’absence de stabilité émotionnelle et de l’évitement des soins. Les ruptures thérapeutiques et rechutes sont fréquentes et le pronostic moindre. Leur traitement réduit les facteurs de renforcement de la dépendance. Sur le plan médicamenteux, ils sont à considérer comme résistants avec des posologies élevées.

35Pour les pathologies schizophréniques, les antipsychotiques de seconde génération sont mieux tolérés et acceptés. Le recours aux produits retard favorise la compliance des sujets les plus désorganisés.

36Les troubles de l’humeur sont fréquents. Selon leur étiologie, le traitement différera :

  • abstinence de drogue par sevrage ou substitution pour les troubles de l’humeur induits par les substances ;
  • traitement antidépresseur pour les troubles de l’humeur induits par le sevrage ;
  • anxiolytiques de préférence non benzodiazépiniques ou antipsychotiques de seconde génération pour les réactions anxieuses et dépressives ;
  • antidépresseurs pour les états dépressifs caractérisés isolés ou récurrents.

Les approches psychothérapiques

Les thérapies cognitivo-comportementales et motivationnelles

37Le but des TCC en addictologie est d’aider les patients à prendre conscience du caractère pathologique ou dysfonctionel des stratégies cognitives qui les amènent à consommer. Le thérapeute apprend au patient à identifier puis modifier les enchaînements cognitifs-émotionnels-comportementaux afin de mettre en place des réponses adaptées aux situations à hauts risques [4]. La première étape est l’identification des situations ou des cognitions aboutissant à la prise de substances, puis d’aider le patient à développer selon les cas des stratégies d’évitement ou des stratégies de coping pour y faire face [3].

38L’entretien motivationnel est un mode d’intervention brève défini comme « une méthode centrée sur le patient et utilisée pour augmenter la motivation intrinsèque au changement par l’exploration et la résolution de l’ambivalence » [17]. La motivation au changement vient du patient lui-même. La relation thérapeutique se conçoit comme un partenariat et non une relation patient-expert. Les principes de l’intervention du thérapeute sont l’empathie envers le patient, le soutien des divergences et le renforcement du sentiment d’efficacité personnelle.

39L’entretien motivationnel s’appuie sur le modèle transthéorique du changement pour lequel un sujet présentant un comportement de dépendance passe à travers différents stades ordonnés de façon chronologique [20]. L’objectif du thérapeute évolue en fonction du stade dans lequel se situe le patient (tableau 2). Son caractère pragmatique et son efficacité validée scientifiquement en ont fait un outil largement employé en addictologie, en particulier dans la prise en charge du fumeur.

Tableau 2

Les étapes de changement motivationnel

Tableau 2
Étapes de changement Attitude du sujet Objectifs du thérapeute Pré-contemplation Pas d’intention de modifier le comportement, soit par déni, soit par manque d’information et/ou inexactitude des informations reçues ou des croyances Semer le doute, faire prendre conscience des risques encourus et des problèmes liés au comportement Contemplation Apparition de l’intention de modifier son comportement Discuter les avantages et inconvénients du changement et du maintien du comportement Préparation Décision de modifier son comportement à court terme Aider le patient à déterminer les actions à entreprendre pour modifier le comportement Action Modification du comportement Aider à déterminer les actions à entreprendre pour modifier le comportement Maintien Absence de retour au comportement de dépendance Mise en place de stratégies de prévention de la rechute Rechute Retour au comportement de dépendance Valoriser les succès passés et aider à entamer de nouveau les étapes précédentes

Les étapes de changement motivationnel

Les thérapies d’inspiration analytique

40Les thérapies d’inspiration analytiques gardent une place prédominante. Les pathologies de la dépendance renvoient à des personnalités par la dépendance affective. Les vécus d’abandon, les rejets affectifs précoces, les difficultés relationnelles et à construire une vie affective sont constantes lors des dépendances sévères. Les prises en charge sont difficiles à mettre en œuvre, surtout pour les sujets les plus désorganisés avec le besoin d’un cadre assoupli.

Les approches systémiques

41Les approches familiales systémiques sont utiles chez les adolescents et lors des pathologies familiales. Elles facilitent les prises en charge individuelles. Le protocole est parfois en être assoupli pour répondre à la demande de soins des plus souffrants ou des plus capables à s’engager dans un processus de soins. Les entretiens parentaux sont parfois la seule alternative possible.

Les approches institutionnelles

42Le travail de psychiatrie institutionnelle mené par les équipes de soins, médicales, infirmières et psychologiques est le quotidien des centres de soins spécialisés. Le patient évolue dans un espace thérapeutique. Il développe avec le centre une relation de type transférentiel marqué habituellement par la dépendance indispensable en cas de dépendance grave.

La prise en charge socio-éducative

43La prise en charge de l’addiction implique une modification en profondeur du mode de vie du patient, consistant en l’élaboration d’un autre mode de relation à soi et aux autres et caractérisé par l’autonomie et la responsabilisation. L’intervention sociale agit en complémentarité des approches médicale et psychologique et favorise la resocialisation et la réinsertion. Accompagnant le patient dans ses démarches, son quotidien, le but est de réinvestir les liens sociaux, développer les compétences sociales et relationnelles en vue d’une autonomisation et une responsabilisation dans ses choix et décisions [5].

Conclusion

44Les pathologies addictives sont d’authentiques troubles psychopathologiques. Leurs prises en charge sont longues et complexes, émaillées de rechutes et nécessitent des intervenants multiples. Le dispositif de soins est en forte évolution, y compris dans le volet médico-judiciaire [13]. Dans le registre médico-social, les Centres de soins spécialisés et toxicomanie et le Centre de cure ambulatoire en addictologie deviennent des Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA), des structures de proximité intégrant médecins, infirmiers, psychologues, assistants et éducateurs sociaux. Le dispositif sanitaire voit la création d’unités de consultations hospitalières, d’Équipes de liaison et de soins en addictologie (Elsa), de services d’hospitalisation de recours à vocation territoriale ou hospitalo-universitaire. La place des psychiatres est centrale tant par leur apport théorique et clinique que pour la prise en charge des patients présentant des dépendances sévères ou associées à des comorbidités psychiatriques. Ils doivent se positionner à côté des autres acteurs de ce champ par un travail en réseau et s’articuler au mieux en terme d’organisation des soins.


Annexe 1 - Abus de substance (DSM-IV-TR)

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  1. Mode d’utilisation inadéquat d’une substance caractérisé par la présence d’au moins une des manifestations suivantes au cours d’une période de 12 mois :
    1. incapacité de remplir des obligations majeures au travail, à l’école ou à la maison
    2. dans des situations où cela peut être physiquement dangereux
    3. problèmes judiciaires répétés liés
    4. des problèmes interpersonnels ou sociaux, persistants ou récurrents
  2. Les symptômes n’ont jamais atteint, pour cette classe de substance, les critères de dépendance à une substance

Annexe 2 - Dépendance à une substance (DSM-IV-TR)

46Mode d’utilisation entraînant une détresse ou un dysfonctionnement significatif avec trois ou plus des manifestations suivantes, sur la même période de 12 mois.

  1. Existence d’une tolérance, définie par :
    • besoin de quantités majorées pour obtenir l’effet désiré ;
    • effet nettement diminué en cas d’usage continu.
  2. Existence d’un syndrome de sevrage :
    • syndrome de sevrage caractéristique de la substance ;
    • prise de substance pour éviter les symptômes de sevrage ;
    • quantité supérieure ou sur un laps de temps plus long que prévu ;
    • désir persistant ou efforts infructueux pour contrôler l’utilisation ;
    • temps considérable pour se procurer la substance, la consommer, ou récupérer de ses effets ;
    • d’importantes activités sociales abandonnées ou réduites ;
    • poursuite de l’utilisation malgré des problèmes physiques, psychologiques déterminé par la substance.

Annexe 3 - Critères d’addiction de Goodman (1990)

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  1. Échecs répétés de résister à l’impulsion d’entreprendre un comportement spécifique
  2. Sentiment de tension augmentant avant de débuter le comportement
  3. Sentiment de plaisir ou de soulagement en entreprenant le comportement
  4. Sentiment de perte de contrôle pendant la réalisation du comportement
    Au moins cinq des neufs items suivants :
    • fréquentes préoccupations liées au comportement ou aux activités préparatoires à sa réalisation ;
    • fréquence du comportement plus importante ou sur une période de temps plus longue que celle envisagée ;
    • efforts répétés pour réduire, contrôler ou arrêter le comportement ;
    • importante perte de temps passé à préparer le comportement, le réaliser ou récupérer de ses effets ;
    • réalisation fréquente du comportement lorsque des obligations occupationnelles, académiques, domestiques ou sociales doivent être accomplies ;
    • d’importantes activités sociales, occupationnelles ou de loisirs sont abandonnées ou réduites en raison du comportement ;
    • poursuite du comportement malgré la connaissance de l’exacerbation des problèmes sociaux, psychologiques ou physiques persistants ou récurrents déterminés par ce comportement ;
    • tolérance : besoin d’augmenter l’intensité ou la fréquence du comportement pour obtenir l’effet désiré ou effet diminué si le comportement est poursuivi avec la même intensité ;
    • agitation ou irritabilité si le comportement ne peut être poursuivi.
  5. Certains symptômes de ce trouble ont persisté au moins un mois, ou sont survenus de façon répétée sur une période prolongée.

Annexe 4 - Critères des médicaments de substitution (Montastruc 2003)

48Critère 1 : avoir les mêmes propriétés pharmacodynamiques que le produit à substituer.

49Critère 2 : avoir une durée d’action longue minimum de 24 heures, ne nécessite pas plusieurs prises par jour pour éviter les fluctuations d’effets et en particulier les symptômes de manque.

50Critère 3 : générer peu d’euphorie et avoir peu d’effet renforçateur pour le produit lui-même et les autres drogues.

51Critère 4 : s’administrer par voie orale ou sublinguale et ne pas comporter d’attrait particulier pour les autres voies, en particulier intraveineuse.

52Critère 5 : avoir une AMM dans cette indication, établie à partir d’un dossier d’enregistrement comportant à la fois des données d’activité thérapeutique, essais cliniques comparatifs, et sécurité clinique.

53Critère 6 : être compatible avec une qualité de vie sociale satisfaisante.

Références

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Mots-clés éditeurs : substances psychoactives, addiction, traitements, addictologie, dépendance

Date de mise en ligne : 15/11/2012

https://doi.org/10.1684/ipe.2009.0517

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