Couverture de LIG_773

Article de revue

Étude du plan stratégique de développement durable de la collectivité montréalaise à travers le filtre de l'adaptation aux changements climatiques

Pages 71 à 89

Notes

  • [1]
    « L’adaptation dans le contexte des dimensions humaines du changement climatique réfère généralement à un processus, une action ou un résultat dans un système (foyer, communauté, groupe, secteur, région, pays) dans le but pour le système de faire face avec, de gérer ou de s’ajuster à des conditions changeantes, stress, dangers risques ou opportunités » (Smit et Wandel, 2006).
  • [2]
    Cet organisme, créé en 2001 conjointement par le Gouvernement du Québec, Hydro-Québec et Environnement Canada, a « pour mission l’acquisition et le développement de connaissances sur les changements climatiques et leurs impacts ainsi que sur les vulnérabilités socio-économiques et environnementales, de façon à informer les décideurs sur l’évolution du climat et à les conseiller pour identifier, évaluer, promouvoir et mettre en œuvre des stratégies d’adaptation locales et régionales » (Ouranos, 2010).
  • [3]
    Ce programme s’inscrit dans la mise en œuvre de la mesure n° 5 « Soutenir les municipalités pour la réalisation d’inventaires municipaux d’émissions de GES et de plans de lutte contre les changements climatiques ainsi que pour l’adoption de règlements pour contrer la marche au ralenti inutile des véhicules » du Plan d’action 2006-2012.
  • [4]
    L’étude présentée ici fait partie d’une recherche doctorale (2007-2011) menée entre Montréal et Paris sur l’adaptation aux changements climatiques aussi bien en termes de représentations sociales, d’analyse de politiques municipales que d’approfondissement du concept d’adaptation. La thèse est disponible dans son ensemble à : http://www.theses.fr/2011PA100076.
  • [5]
    L’un fut député libéral en 1989 puis ministre de l’Industrie, du Commerce et de la Technologie dans le cabinet Bourassa de 1989 à 1994 et Président de la Commission de l’économie et du travail jusqu’à sa démission en 1996. L’autre fut député du Parti québécois en 1994, réélu en 1998, président de la commission des affaires sociales (1995-1996), ministre de différents portefeuilles (1996-2000).
  • [6]
    Diagnostic environnemental de l’île de Montréal (2000) et État de la situation en environnement, orientations et interventions proposée (2002).
  • [7]
    Le déluge du Saguenay est une série d’inondations suite à une crue du fleuve Saguenay ; la crise du Verglas plongea Montréal sans électricité durant plusieurs semaines en février suite à des pluies verglaçantes de forte intensité.
  • [8]
    Le Programme de la propreté et de l’entretien 2007-2010, Montréal 2025, la Politique de consultation et de participation, la Charte des droits et de participation, la Politique de développement culturel, la Stratégie de développement économique, la Politique du patrimoine, la Politique de l’arbre, la Politique de protection des milieux naturels, le Plan de transport et le Plan d’urbanisme.
  • [9]
    La nomination de membres du parti Projet Montréal (25 % de votes pour son leader), mouvement politique résolument tourné vers une politique favorable au développement durable par le biais de la mise en place de vastes aménagements en transports en commun, laisse envisager une influence à ce niveau.
  • [10]
    Transfert Environnement est une entreprise conseil en communication et affaires publiques spécialisée en environnement et ingénierie sociale qui offre son expertise pour la formation des décideurs et des gestionnaires au concept et à l’application du développement durable. Parmi les services offerts, on retrouve « Mise en place de comités participatifs ». (http://www.transenvironnement.qc.ca/pdf/TE_DeveloppementDurable.pdf)

Introduction

1Compte tenu de l’évolution des émissions de gaz à effet de serre (GES) issues des activités anthropiques passées, présentes et à venir, les changements climatiques constituent le thème environnemental prégnant de la dernière décennie. Au niveau international, il est un enjeu de négociation entre les pays en développement et les pays riches, notamment à travers les notions de justice et d’équité concernant les émissions historiques de GES (Thomas et Twyman, 2005). Au niveau national, principalement des pays riches, les initiatives portant sur l’élaboration de cadres législatifs et politiques faisant référence aux changements climatiques se sont multipliées. La problématique climatique est également à l’origine de réajustements de nombreuses politiques publiques ou mainstreaming (Bertrand et Larrue, 2007). À l’échelle municipale, le thème a investi le champ du développement durable en vogue depuis Rio (1992) et Johannesburg (2002), considéré comme un cadre d’action potentiel, au moment même où la ville est devenue le milieu de vie de plus de la moitié de l’humanité (Pruitt, 2009). Dans un premier temps, les initiatives locales ont été focalisées sur la réduction des émissions de GES, ou mitigation, principalement dans le secteur de l’énergie (Klein et al., 2005). À cette époque, les changements climatiques n’étaient qu’un scénario hypothétique si des actions efficaces étaient prises immédiatement malgré les hypothèses scientifiques allant dans le sens inverse. L’attention fut donc portée sur des politiques de mitigation, inscrites dans un cadre d’action se réclamant du développement durable. Les enjeux locaux, la complexité des interrelations des impacts et la difficulté de la mise en place de ces politiques furent largement sous-estimés, amenant les parties prenantes à s’intéresser davantage à l’adaptation [1], volet inéluctable porté par les pays en développement au niveau international. Les premiers plans climat intégrant l’adaptation débutèrent en 1997 au Royaume-Uni via l’United Kingdom Climate Impacts Programme (UKCIP), créé dans l’objectif d’inciter les décideurs à planifier des réponses aux impacts attendus des changements climatiques (West and Gawith, 2005). Au niveau du Québec, et dans la lignée des objectifs et des principes de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (1992), le Gouvernement provincial lança son premier Plan d’action en 1995, en visant principalement la stabilisation des émissions de GES par l’adoption de mesures volontaires. En 2000, le Plan d’action québécois 2000-2002 fut amorcé par un comité interministériel sur les changements climatiques (CICC) regroupant 14 ministères et institutions gouvernementales. Un Plan d’action 2006-2012 mis à jour en 2008 porte les mesures d’adaptation les plus tangibles, sept au total, parmi lesquelles le soutien à la programmation du Consortium Ouranos [2], véritable représentant institutionnel et outil de mise en œuvre en termes d’impacts et d’adaptation aux changements climatiques au Québec à travers les projets auxquels il participe en collaboration avec les plus importantes universités de la province. Au niveau local, le programme gouvernemental Climat-Municipalités [3] offre un soutien financier au milieu municipal pour la réalisation ou la mise à jour d’inventaires d’émissions de GES, l’élaboration de plans d’action visant leur réduction ainsi que pour l’élaboration de plans d’adaptation. Enfin, en 2012, le gouvernement du Québec adopta sa stratégie gouvernementale d’adaptation aux changements climatiques 2013-2020.

2Fort de ce contexte, il y a lieu de s’interroger sur la place que prend le thème climatique au regard des enjeux environnementaux urbains et du développement durable. Afin d’y répondre, l’article présente les résultats d’une étude [4] menée sur l’élaboration du Plan Stratégique de développement durable de la collectivité montréalaise (PSDD), adopté en 2005 et actualisé en 2007, en mettant l’accent sur les enjeux générés par l’émergence de la problématique climatique à l’échelle municipale. Plus précisément, l’objectif général de cette étude fut de déceler les logiques d’actions collectives qui influencèrent les points d’origine de la réalisation du PSDD à travers le focus de l’adaptation aux changements climatiques. La détermination des enjeux de pouvoir et des dynamiques collectives ont principalement été examinées via l’analyse stratégique des organisations comme raisonnement d’étude (Crozier et Friedberg, 1977) à partir d’entrevues semi-dirigées (n = 30) réalisées en 2009 et 2010 auprès des principaux acteurs impliqués. Après avoir présenté les événements et les contextes politiques qui ont favorisé la genèse du PSDD, l’article s’attarde sur les conditions de l’élaboration et la démarche participative utilisée ainsi que sur les enjeux des différentes entités impliquées. L’article s’achève sur des éléments de discussion autour de l’émergence du volet adaptation aux changements climatiques dans le paysage de cette politique environnementale municipale montréalaise.

Le plan stratégique de développement durable de la collectivité montréalaise (PSDD), une politique à l’échelle de l’île de Montréal

Les éléments contextuels au PSDD et à sa politique climatique

3Afin de mieux comprendre le PSDD, il est important de resituer le contexte qui en permit l’émergence puis la construction. Les propos recueillis au cours de l’enquête mentionnent que la décision de lancer le PSDD fut prise lors du Sommet de Montréal de juin 2002 par le maire élu en 2001, dont l’élection est issue d’une convergence de facteurs, parmi lesquels deux événements importants en lien avec la politique gouvernementale provinciale. Le premier est la décision du Gouvernement provincial de 2001 de voter une loi obligeant certaines municipalités québécoises à fusionner sans avoir fait appel à un processus de concertation locale, ce qui déclencha un mouvement de contestation à travers le Québec, et notamment sur l’île de Montréal. Le mouvement politique du candidat à l’élection municipale montréalaise émergea à la faveur de cette dynamique, inscrivant dans son programme électoral des actions visant à influencer l’organisation de référendums locaux portant sur une « défusion » des municipalités de l’île de Montréal avec la nouvelle ville de Montréal de 2002. Le deuxième événement est la prise de position du même candidat lors de sa campagne électorale contre le projet du Gouvernement provincial de convertir la rue Notre-Dame (qui traverse Montréal) en autoroute, qui lui permit un rapprochement avec le milieu environnemental montréalais, contestataire au projet et regroupé via le Conseil régional de l’environnement (CRE).

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« Il faut dire aussi que quand Gérald Tremblay a été élu maire de Montréal, durant la campagne électorale, la première campagne il y a huit ans, il y avait un débat autour de la conversion de la rue Notre-Dame en autoroute. Et Gérald Tremblay, a contrario de M. Bourque, qui était le maire sortant, a pris position contre le projet de transformation de Notre-Dame en autoroute, donc il y a eu comme une collaboration entre les groupes environnementaux et le futur maire de Montréal à cette époque. […] ».
(Montréal, 5 mai 2009)

5Une fois élu maire de Montréal, cette collaboration avec le milieu environnemental local se poursuivit par la désignation du directeur du CRE comme chef de la délégation environnement du Sommet de Montréal. Les deux hommes s’étaient par ailleurs côtoyés sur les bancs de l’Assemblée Nationale (1994-1996) [5]. Cette décision permit à l’équipe municipale en place de réfléchir à un programme d’actions sur l’environnement, dimension absente du programme durant la campagne électorale.

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« C’est un concours de circonstances, le fait que les environnementalistes, les écologistes se soient en cours de la campagne électorale rapprochés du candidat, […] le fait qu’il y ait eu cette espèce de conjoncture qui a fait des alliés circonstanciels, après le fait qu’eux avaient… ils se sont présentés à l’époque, là il faut voir le contexte, la fusion des villes, ils se sont présentés avec peu de programmes sinon que de défaire la fusion, ils se retrouvent au pouvoir, ils ne savent pas quoi dire et puis cette espèce de sommet, pour aller chercher des idées et puis en même temps pour se rapprocher des groupes. ».
(Montréal, 5 mai 2009)

7Lors du sommet de Montréal, le PSDD fut désigné projet prioritaire du chantier 2.1 « Gestion intégrée de l’environnement » de l’Axe 2 « Montréal, métropole de développement durable ». Les propos recueillis mentionnent plusieurs éléments qui favorisèrent cet aboutissement, parmi lesquels le fait que les conclusions du chantier 2.1 furent largement inspirées des deux documents [6] préparés par le conseil régional de développement de l’île de Montréal (CRDIM, créé en 1994 et remplacé par la conférence régionale des élus, la CRÉ-Montréal, en 2004). L’autre élément mentionné fut l’influence des réflexions entourant la préparation du sommet de la terre de Johannesburg (septembre 2002) et notamment celles portant sur les Agenda 21 issus du sommet de Rio (1992) qui préconisent une approche participative avec la collectivité.

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« Dans le cadre des activités de ce chantier, on a abordé toutes sortes de thèmes reliés à l’environnement, mais on a convaincu tout le monde pour raisons tactiques et stratégiques d’arriver à une seule résolution, et la résolution c’était que Montréal devait se doter, dans l’esprit des Agenda 21 issus de Rio, d’un plan de développement durable, et c’est à partir de là que Montréal a commencé à développer son plan. […] [La ville de Montréal a] accepté, parce que c’était une des recommandations du sommet de dire, oui, on va faire des choses dans le domaine vert, à travers la création de ce plan de développement durable. Et c’est comme cela qu’on l’avait appelé, plan de développement durable, pour toutes sortes de raisons historiques, mais on voulait, dès le départ, l’orienter selon la méthode et dans l’esprit de ce que l’on appelle les Agenda21 issus de Rio ».
(Montréal, 5 mai 2009)

9Formé à la suite du Sommet de Montréal, le comité tripartite (ville de Montréal, CRE, CRDIM) démarra en 2003 le processus d’élaboration du PSDD. En 2004, deux événements montréalais touchant à une restructuration organisationnelle en influencèrent le cours. Le premier est la transformation du CRDIM en Conférence régionale des élus (CRÉ-Montréal) de Montréal à la suite d’une loi Gouvernementale provinciale qui changea sa structure organisationnelle. Ensuite, le 21 juin de la même année, le Gouvernement provincial autorisa la tenue d’un référendum sur la fusion des 28 municipalités de l’île de Montréal : 15 villes décidèrent de se « défusionner » de la ville de Montréal et depuis, l’île de Montréal comporte 16 municipalités parmi lesquelles la ville de Montréal et ses 19 arrondissements.

10Concernant la problématique des changements climatiques, le PSDD intègre l’orientation 1 qui concerne la problématique des changements climatiques. Sur cet aspect, plusieurs éléments contextuels sont à mettre en avant parmi lesquels des événements météorologiques [7] (déluge du Saguenay, 1996 ; crise du verglas, 1998) et politiques. En particulier, suite à ces événements, 2001 vit la création d’Ouranos par des fonds publics (gouvernements provincial et fédéral, HydroQuébec) afin d’acquérir des connaissances sur les changements climatiques et leurs impacts, d’informer les décideurs sur l’évolution du climat et les conseiller sur les stratégies d’adaptation à mettre en œuvre. La tenue à Montréal en novembre 2005 de la onzième session de la conférence des parties (COP 11) et de la première session de la Conférence des parties au protocole de Kyoto (COP/MOP 1) de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), permit au thème des changements climatiques de s’ancrer dans la politique municipale. Dans ce cadre, Montréal fut également hôte du quatrième sommet des leaders municipaux sur les changements climatiques organisé par l’ICLEI (Conseil international pour les initiatives écologiques locales).

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« On a eu de la chance en 2005 de recevoir le COP11 et la ville, réinscrite à l’ICLEI qui est un organisme de villes qui font du développement durable à travers le monde, on a tenu une séance de trois jours pour parler des enjeux des changements climatiques, autant de la réduction de gaz à effet de serre que d’adaptation ».
(Montréal, 5 mai 2010)

12Afin de donner corps au PSDD en matière de changements climatiques, le comité exécutif de la ville de Montréal vota à l’unanimité la résolution CE05 5020 (figure 1) le 23 novembre 2005, soit cinq jours avant l’ouverture de COP11, mandatant le Service Infrastructures, Transport et Environnement, à travers la Division planification et suivi environnemental de la DEDD, de la responsabilité de gérer la problématique des changements climatiques.

Fig. 1

Résolution CE05 5020 du 23 novembre 2005 (Logé, 2007a)

Fig. 1

Résolution CE05 5020 du 23 novembre 2005 (Logé, 2007a)

13La résolution fixa une réduction de 20 % des émissions corporatives de GES de la ville de Montréal pour la période 2002-2012 et l’adaptation aux changements climatiques fut mentionnée pour une première fois comme préoccupation officielle. Faisant suite à cette résolution, il fut publié l’Inventaire corporatif des émissions de GES 2002-2004 ainsi que le Plan d’action corporatif en 2007 (Logé, 2007a ; Logé, 2007b), ce dernier étant présenté comme « [s’inscrivant] dans les livrables des engagements du PPSDD » (Logé, 2007b ; p. 9).

Le choix d’un fonctionnement tripartite

14Le mandat d’élaborer le PSDD fut donné à la Direction de l’environnement et du développement durable de la ville de Montréal (DEDD) qui s’inspira de l’approche participative avec la collectivité préconisée par les Agenda 21 (Rio, 1992 puis Johannesburg, 2002) pour s’associer avec le CRE et la CRÉ-Montréal (figure 2). Le CRE et la CRÉ-Montréal étant des entités de regroupements d’organismes environnementaux d’une part et des élus de l’île de Montréal d’autre part, ce partenariat tripartite permettait d’atteindre un grand nombre d’acteurs socio-économiques et environnementaux locaux par leurs réseaux respectifs. En 2005, le comité exécutif de la ville de Montréal adopta le premier « Plan stratégique de développement durable de la collectivité montréalaise » (PSDD) en y intégrant 165 partenaires socio-économiques de la collectivité montréalaise. La phase d’élaboration du second PSDD 2010-2015, publiée à la fin 2010, débuta en 2008 sur le même principe tripartite avec le CRE et la CRÉ-Montréal comme partenaires de la DEDD.

Fig. 2

Représentation résumée du processus d’élaboration formel du PSDD de la collectivité montréalaise

Fig. 2

Représentation résumée du processus d’élaboration formel du PSDD de la collectivité montréalaise

15L’élaboration du PSDD 2010-2015 fut basée sur la même formule d’interactions régulières entre les comités à chaque étape d’élaboration (collecte d’informations, élaboration de propositions, phase de validation des propositions).

Une politique climatique qui s’intègre dans un cadre de développement durable

16Le PSDD établit des liens avec d’autres politiques municipales [8] en agissant comme un chapeau développement durable (ville de Montréal, 2007, p. 9). Le PSDD comporte quatre orientations prioritaires parmi lesquelles l’orientation 1 (Améliorer la qualité de l’air et réduire les émissions de gaz à effet de serre) portant sur les changements climatiques via les objectifs suivants :

  • réduire les émissions atmosphériques générées par les industries, les commerces et les institutions sur le territoire montréalais ;
  • réduire les émissions atmosphériques générées par les ménages montréalais ;
  • réduire l’impact des émissions des véhicules légers et lourds à Montréal ;
  • favoriser le développement de transports alternatifs à l’automobile. (ville de Montréal, 2005, p. 16)
L’orientation 1 présente neuf actions nécessitant « l’implication souhaitée des gouvernements supérieurs », à savoir la Communauté Métropolitaine de Montréal (CMM), le Gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada. Plusieurs politiques et plans adoptés par l’administration municipale font référence à l’orientation 1 du PSDD : le Plan d’urbanisme, le Plan de transports, la Politique de l’arbre et Montréal 2025 (ville de Montréal, 2007, p. 9). Concernant l’adaptation aux changements climatiques, il n’y a aucune référence stricto sensu à ce niveau et les termes « adaptation » et « vulnérabilité » sont absents des documents. Néanmoins, on retrouve plusieurs actions (ville de Montréal, 2007, p. 99) dont on peut estimer que les objectifs soient en mesure de réduire la vulnérabilité aux canicules (actions 1.2 ; 2.4 ; 5.2 ; 5.3 ; 5.4), la vulnérabilité aux invasions spécifiques (végétales ou animales) (action 5.5) ou encore la vulnérabilité aux précipitations intenses (action 3.10).

17D’autres actions peuvent néanmoins être définies comme des mesures d’adaptation telles que :

  • l’action 1.1 « Développer des projets résidentiels, commerciaux et industriels faibles en émissions de GES » ;
  • l’action 1.2 « Réduire les émissions de GES des bâtiments existants (ex : isolation, conversion des chaudières au mazout, etc.) » ;
  • l’action 2.4 « Soutenir les projets de verdissements sur les terrains privés et publics » ;
  • l’action 3.10 « Améliorer la qualité des eaux de ruissellement pluvial qui se déversent dans les cours d’eau et diminuer le ruissellement de surface » ;
  • l’action 5.2 « Modifier les surfaces minéralisées au profit d’espaces végétalisés » ;
  • l’action 5.3 « Promouvoir et faciliter les démarches de verdissement (toits verts, rues commerciales, ruelles) » ;
  • l’action 5.4 « Privilégier des concepts d’aménagements urbains et immobiliers qui permettent la plantation d’arbres et de végétaux » ainsi que
  • l’action 5.5 « Accroître le nombre d’arbres plantés en privilégiant les espèces indigènes ».
Ces actions, pouvant être définies comme des « adaptations mitigatives », tombent dans un flou au niveau de leur définition selon l’angle de perspective que l’on peut leur donner, à savoir comme un ajustement des pratiques qui entraînent des réductions de GES et/ou qui renforcent la protection des systèmes aux impacts (Simonet, 2011). Ces subtiles distinctions dans le domaine des changements climatiques, qui ne seront pas développés outre mesure dans cet article, renvoient à la difficulté d’appréhender la définition du concept d’adaptation, prisonnier de ces volets « adaptation-État » et « adaptation-processus » (Simonet, 2009).

Éléments de discussion

Origines et évolution de la Tripartie (2002-2010)

18Concernant les origines du pilotage tripartite (CRE, et DEDD), les entretiens révèlent qu’en 2002 le CRE trouva l’appui du CRÉ-Montréal dans une stratégie d’influence pour que la ville de Montréal adopte une démarche de développement durable, notamment à travers la visibilité et l’échelle du Sommet de Montréal.

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« Avec l’appui du CRDIM, […] on a fait une entente, on a dit il faut convaincre ensemble la ville de Montréal, il faut qu’elle se dote d’un tel plan [de développement durable] c’est comme ça que s’est créé un comité organisateur formé du CRE, du CRDIM et de la ville. […] Le Sommet c’est une grande messe, 300 personnes autour de la table, des caméras et tout, alors personne ne dit non à une proposition ».
(Montréal, 5 mai 2009)

20L’idée de fonctionner à trois provient en partie du fait que chaque organisme avait à sa disposition un réseau fort d’acteurs locaux représentant chacun soit un pilier du développement durable (économie, social et environnement) soit une diversité permettant d’optimiser la diffusion du travail.

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« Pourquoi à trois, parce que la CRÉ amenait peut-être un dialogue avec le privé, l’institution, la ville amenait son dialogue avec les arrondissements et puis le CRE avec la société civile. Alors à trois on arrivait peut-être à proposer des affaires qui pouvaient intéresser tous les partenaires ».
(Montréal, 15 mai 2009)

22Les propos rapportent l’idée d’un PSDD évolutif, plutôt « environnement » avant d’intégrer les composantes sociales et économiques par la suite, qui soit celui de la « collectivité montréalaise » et non le seul apanage de la ville de Montréal afin de le dépolitiser, lui assurer une pérennité au-delà des résultats électoraux futurs et un attrait pour les futurs partenaires socio-économiques.

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« Ce qui est propre au plan, c’est que justement ce n’est pas le plan de la ville de Montréal, c’est le plan de la collectivité montréalaise, cela fait que c’est bien évident que les impacts environnementaux ou les aspects développement durable, ce n’est pas la ville de Montréal toute seule avec sa poignée d’employés qui va faire une différence, il faut engager tous les acteurs de la région, y compris des entreprises, des citoyens. Donc en ayant des partenaires, on espérait avoir cet effet d’ensemble là ».
(Montréal, 16 juin 2009)

24Il est également souligné la volonté d’une efficacité de travail optimale et d’un maintien de l’intégrité écologique du territoire de l’île de Montréal, contournant ainsi les problèmes liés aux fusions-défusions municipales. Les entretiens montrent que l’adoption en 2005 du premier PSDD fut le point de départ d’une appropriation lente du PSDD par la ville de Montréal face à la CRE et la CRÉ-Montréal, notamment grâce à une augmentation des ressources financières et humaines. Alors que la DEDD s’occupait davantage de l’élaboration des phases suivantes et de sa mise en œuvre, le CRE et la CRÉ-Montréal ont œuvré pour organiser un réseau d’échanges et des événements ponctuels permettant aux organismes socio-économiques locaux de partager leurs expériences dans la mise en œuvre (limites, coûts, efficacité, bonnes pratiques). En novembre 2009, après les élections et la confirmation de l’élu responsable du PSDD à la ville de Montréal, le travail d’élaboration d’un nouveau PSDD 2010-2015 a démarré après une phase d’extension 2007-2009. La collégialité tripartite entre le CRE, la CRÉ-Montréal et la DEDD fut confirmée en tant que cadre formel de fonctionnement. Les propos recueillis permettent d’estimer plusieurs éléments contextuels qui ont participé à l’évolution de la phase initiale d’élaboration du PSDD :

  • l’équipe municipale a été reconduite une troisième fois à la faveur des élections de novembre 2009. De ce fait, la future politique municipale concernant le développement durable (2009-2013) se situe dans celle menée à travers le PSDD. Il est possible d’envisager qu’elle se renforce à la vue des changements de postes effectués dans le comité exécutif de la ville suite aux élections de 2009 [9] ;
  • le premier PSDD a soulevé une adhésion importante auprès des partenaires socio-économiques montréalais (plus de 165 organismes affiliés en 2010), entraînant des attentes élevées. Le risque d’atteindre des limites en termes d’engouement et d’adhésion devient élevé, comme, par exemple, le réseau d’échanges et les événements qui ont connu un impact local retentissant et un intérêt croissant chaque année et qui devraient maintenir un haut degré d’intérêt. Ceci pourrait entraîner remise en question de la façon de fonctionner : « On a atteint la capacité du système avec la formule actuelle. Mon désir serait que l’on ait des milliers de partenaires, là, on a un peu plus qu’une centaine, 170 peut-être, mais je pense qu’une ville comme Montréal, on devrait avoir 3 000 partenaires, 10 000 même. On ne peut pas continuer à fonctionner avec une assemblée plénière avec 10 000 partenaires, ça va être difficile, donc il faut se réinventer et là on en est là. Comment est-ce que l’on élargit tout en gardant le contact ? » (Montréal, 16 juin 2009) ;
  • les changements institutionnels internes du CRE et de la CRÉ-Montréal risquent d’affecter la teneur de la collégialité. Concernant le CRE, son directeur présent depuis 2001 et à l’origine de plusieurs des initiatives depuis le sommet de Montréal de 2002 est parti en 2007, remplacé par son adjoint jusqu’en 2010, lui-même parti à ce moment-là. Un troisième directeur est en place depuis et il sera intéressant d’observer l’influence dans la collégialité tripartite responsable de l’élaboration du second PSDD. Concernant la CRÉ-Montréal, son comité Environnement et développement durable n’est officieusement plus fonctionnel depuis trois ans et son mandat se limite désormais au réseau d’échanges et à l’aide d’événements. La perte d’influence de la CRÉ-Montréal sur le PSDD, commencée dès 2004 et son changement organisationnel, semble désormais ne plus passer par son comité environnement à moins de nouvelles ambitions ;
  • le poids des « experts » invités à venir se prononcer sur le contenu du PSDD et les propositions de mesures effectuées par l’équipe DD de la ville de Montréal tend à augmenter. Ces consultations en amont, via le comité de liaison ou des rencontres d’experts sur des thèmes choisis, se situent avant la rencontre des partenaires. L’exemple de la section environnement urbain et santé laisse entrevoir une importance de la direction publique de Montréal accrue dans le processus d’élaboration du PSDD.
« J’ai l’impression que [l’équipe DD de la ville de Montréal] a été de chercher plus de scientifiques pour son comité de travail, des experts dans la matière, pour pouvoir aller plus dans le contenu ».
(Montréal, 15 mai 2009)

25Tous ces points laissent à penser que la phase d’élaboration du deuxième PSDD de la collectivité montréalaise est différente de la première phase. En effet, la ville de Montréal semble s’être approprié le contrôle de la démarche du fait du renforcement de son équipe DD, de la perte d’influence du CRE et de la CRÉ-Montréal ainsi que du recours croissant aux experts thématiques, notamment ceux représentant le domaine de la Santé Publique.

Une démarche « collective » plutôt que participative, bien contrôlée

26Les propos des entretiens menés rapportent que l’élaboration du PSDD incluait une phase de validation auprès du comité des partenaires. Au cours de ce processus, l’équipe de coordination (l’équipe DD de la ville de Montréal) et le comité de liaison furent responsables de la « collecte d’information » concernant les « axes d’intervention » et les « objectifs et actions », c’est-à-dire d’en émettre les propositions d’actions. Il est indiqué que le comité des partenaires fut sollicité dans la phase de validation de ces actions au cours d’ateliers de travail organisé par un consultant privé. Dans le cas de l’adoption de la phase 2010-2015, les entretiens révèlent que Transfert Environnement [10] fut la firme engagée pour l’aide à la réalisation de la concertation avec les partenaires. Un répondant indique que pour l’orientation 1 « Améliorer la qualité de l’air et réduction des émissions de GES », il y avait trois tables lors de la dernière rencontre qui s’est déroulée en 2009, les deux premières consacrées aux « GES » et la troisième avec la problématique « air ». Il est mentionné que les animateurs de table furent désignés par la ville et que la plupart du temps, ce fut les membres de l’équipe DD et du comité de liaison qui en assuraient l’animation.

27

« La première rencontre, il y avait deux ou trois fonctionnaires de la ville de Montréal, évidemment, c’est ceux qui parlaient le plus, mais ils ne voulaient pas prendre la parole pour les restitutions. »
[Montréal, 5 mai 2010]

28Concernant les partenaires, il semble qu’ils aient été invités parmi les partenaires et le réseau développé à travers le réseau d’échanges et ses activités. Comme entendu dès l’origine du PSDD, les citoyens ne furent pas conviés à interagir avec le processus d’élaboration du PSDD. Les répondants mentionnent que les participants présents aux tables avaient le rôle de représenter leur organisme et qu’au cours des ateliers il leur était bien spécifié que leur organisme serait appelés à s’engager.

29

« Il était rappelé aux participants que les organismes qu’ils représentent seront appelés à s’engager sur ces axes d’intervention puisque le Plan stratégique de développement durable est une démarche collective. »
[Montréal, 5 mai 2010]

30Officiellement, les participants semblaient donc en position de défendre les intérêts professionnels de leur organisme et non en position de défendre un intérêt collectif quelconque, ou un intérêt personnel. Les propos recueillis mentionnent qu’au cours des ateliers de travail, les questions étaient du type fermé, le délai relativement court et qu’il était spécifié à l’animateur de s’assurer que tous les participants aient pris la parole et de s’assurer qu’il n’y ait pas de débat sur l’énoncé de l’objectif, mais seulement un tour de table. Les répondants révèlent en fait que le fonctionnement des ateliers était établi afin de présenter puis de cautionner les propositions produites en amont par l’équipe DD et le comité de liaison et non de les discuter. Enfin, les propos rapportent qu’afin de prioriser les actions, les participants des ateliers étaient amenés à trouver un consensus pour déterminer les trois actions à prioriser parmi « l’action vedette » (« l’action la plus significative pour l’atteinte de l’objective »), « l’action partenaires » (« l’action qui interpelle le plus les organismes de la table au niveau de leur implication potentielle ») et « l’action citoyens », (« l’action qui selon eux mettrait davantage à contribution le citoyen »).

31

« Moi j’avais l’impression que l’on allait chercher l’adhésion. Avec des questions et des délais comme ça, c’est que, on ne remet pas en question l’objectif, il n’y avait pas de discussions sur l’objectif. Il y a eu des consultations en septembre sur les orientations, après ça, il y a eu des consultations au mois de mars sur les actions proposées. Il n’y a pas eu de consultations sur les objectifs quantifiés. »
[Montréal, 5 mai 2010]

32Le choix d’adopter une démarche « collective » dans laquelle la dimension participative qui fait appel directement à la population n’existe pas est argumenté par la lourdeur qu’un processus participatif classique exige et de la probable similitude des actions proposées avec celles élaborées par une équipe spécialisée sur ces questions au sein de l’appareil municipal. Néanmoins, les propos ne mentionnent pas le contrôle qu’un tel choix de démarche « collective » amène à la ville de Montréal. En effet, selon les étapes décrites de la phase de validation des actions proposées par les entités responsables de l’élaboration du PSDD, il semble difficile d’apporter des modifications. Cette étape amène à s’interroger sur le bien-fondé et l’intérêt de la démarche de la validation. Pourquoi maintenir une phase de validation auprès des partenaires lorsque la grande majorité des actions sont déjà définies à l’avance ? L’hypothèse soulevée ici est que cette démarche est présente dans un souci éthique de respecter la procédure « participative » telle que les Agenda 21 le préconisent, le PSDD s’étant à l’origine inspiré de ces préceptes. Autrement dit, la phase de validation semble indissociable de l’esprit d’origine dans lequel a été pensé et voulu le PSDD, même si dans son opérationnalisation, la phase de validation semble en réalité une phase de recherche d’appui et de légitimité auprès des organismes partenaires qui se sont engagés dans le PSDD. Par ailleurs, le soutien de ces partenaires ainsi que l’assurance de leurs engagements semblent être négociés et décidés en amont de cette phase de validation, à travers des discussions transversales au processus d’élaboration du PSDD, notamment via les activités parallèles organisées. La phase de validation peut être observée dans ce cas-ci comme une simple forme d’officialisation d’un travail effectué en amont et en coulisse.

Un réseau limité et interchangeable

33L’analyse organisationnelle établie à partir des différents entretiens permet de déceler une partie de la teneur des interactions et des liens institutionnels qui existent entre eux. Ils donnent un aperçu des logiques d’action qui animent ces dynamiques. L’élément principal qui se dégage de cette étude est l’importance de l’outil « réseau » dans l’action publique locale, lequel gagne en influence sur les décisions publiques lorsque maîtrisé, aussi bien par sa taille que par la qualité de ses membres. Concernant le milieu montréalais, ce réseau tissé autour du thème de l’environnement a pris une nouvelle ampleur depuis le Sommet de Montréal de 2002. En fait, nous pouvons même penser que le PSDD fut à l’origine de l’essor d’un réseau environnement dans la collectivité montréalaise relativement influent sur les politiques publiques de manière directe (participation à l’élaboration des politiques publiques) ou indirecte (mobilisation citoyenne). Plusieurs membres du CRE, de la CRÉ-Montréal, de la Direction de l’environnement de la ville de Montréal, de la DSP-Montréal ou d’autres organisations telles qu’Équiterre, une influente ONGE locale, sont inscrits dans un réseau commun autour de l’objet « environnement ». Concrètement, cela prend l’aspect d’implications dans les différents comités de leur organisme respectif. À titre d’exemple, plusieurs des représentants de ces cinq acteurs institutionnels étaient membres du comité d’orientation du CRDIM en 2002, responsables des documents sur l’état de l’environnement de l’Île de Montréal sur lesquels se basèrent les travaux du Sommet de Montréal. Plusieurs de ces personnes devinrent également membres du comité environnement de la CRÉ-Montréal lorsque celle-ci remplaça le CRDIM en 2004. Les propos recueillis montrent l’accumulation de responsabilités de la part de plusieurs de ces membres. Ainsi, le responsable du pôle Environnement urbain et santé de la DSP-Montréal fut également vice-président du comité environnement de la CRÉ-Montréal en 2004. Le responsable de la Direction de l’environnement de la ville de Montréal engagé en 2002 dans le cadre du lancement du PSDD fut membre du comité d’orientation du CRDIM en 2002. Le CRE et Équiterre possèdent plusieurs membres dans plusieurs comités des autres organismes, dont le comité environnement de la CRÉ-Montréal ou le comité directeur du PSDD. Les propos laissent sous-entendre également que la teneur des relations entre ces responsables déborde l’ordre pleinement professionnel, notamment à travers des collaborations ou des projets communs qui se situent en dehors du PSDD. Ceci s’explique et montre à la fois un réseau d’échanges limité, concrétisé par des rencontres ou événements dans le domaine de l’environnement dans lesquels se retrouvent les mêmes personnes. Ces aspects montrent que le réseau professionnel montréalais dans le domaine de l’environnement est limité, même s’il tend à s’élargir du fait de l’attention croissante portée aux enjeux environnementaux ou encore de l’implication croissante d’autres secteurs professionnels dans le domaine de l’environnement. Les cinq acteurs corporatifs présentés dans cette étude restent des portes d’entrée incontournables dès lors que l’on traite des enjeux environnementaux sur Montréal.

Un cadre développement durable axé sur le pilier Environnement

34L’élaboration du PSDD montre une volonté d’introduire dans la politique municipale montréalaise les réflexions menées à Rio (1992) et le mouvement déclenché par l’apparition du concept de développement durable. Les résultats indiquent que l’influence du milieu associatif, via le CRE, et le milieu socio-économique via le CRDIM, fut prépondérante dans l’adoption d’une telle direction par la ville de Montréal. Les motivations de ces deux acteurs semblent avoir été d’ordre militant, c’est-à-dire mues par un souci de participer localement à une réponse face aux enjeux environnementaux à l’échelle globale. Pour autant, les résultats de l’étude indiquent que le thème de l’environnement constitue un enjeu de pouvoir institutionnel fort sur la scène montréalaise. En effet, comme précisé plus haut, les enjeux environnementaux eurent un rôle important dans l’arrivée au pouvoir de l’équipe municipale dirigée par M. Tremblay en 2001, notamment à la faveur d’un rapprochement avec le milieu environnemental montréalais. Aidés par une actualité dominée par la préparation relative à la tenue du Sommet de Johannesburg sur le développement durable (septembre 2002), les enjeux environnementaux devinrent une des préoccupations principales du Sommet de Montréal (juin 2002) qui avait pour but d’établir un échange entre la nouvelle équipe municipale de la ville de Montréal et les acteurs socio-économiques montréalais concernant les projets prioritaires à mettre en œuvre sur le territoire. La décision de se lancer dans un plan de développement durable a permis d’officialiser les relations entre la ville de Montréal, le CRE et le comité environnement du CRDIM (puis celui de la CRÉ-Montréal), formant une entité tripartite responsable de l’élaboration du premier PSDD. Bien qu’ayant l’appellation « développement durable », les répondants s’accordent à dire que l’environnement fut le pilier privilégié face au pilier social et au pilier économique. Outre les acteurs de la tripartie, d’autres acteurs tels que le pôle Environnement urbain et santé de la DSP-Montréal ou Équiterre se sont progressivement affirmés comme acteurs influents sur le contenu du PSDD. Par ailleurs, l’équipe DD, à la faveur d’un renforcement de ressources financières et humaines, a progressivement pris le contrôle de sa gestion qui rentre désormais officiellement, depuis 2005, dans le cadre de ses mandats municipaux. La mise en œuvre du PSDD permit la diffusion du développement durable et la sensibilisation aux enjeux environnementaux à l’intérieur de l’appareil municipal montréalais. La transversalité requise à ce niveau montra les lacunes de la ville de Montréal en termes d’organisation municipale et de sa logique d’organisation établie en « silo ». Les barrières face à l’échange d’informations, par l’imperméabilité institutionnelle entre les structures municipales encouragée notamment par une culture d’appropriation des responsabilités et des dossiers de travail, se sont révélées être d’importantes contraintes. Les conflits, parfois d’ordre personnel entre les responsables de plusieurs dossiers, ont également été soulevés comme une contrainte majeure dans l’opérationnalisation des actions issues du PSDD, notamment lorsqu’elles ont lieu au niveau des élus. Enfin, les résultats de la dernière élection municipale de 2009 laissent entrevoir que les enjeux environnementaux pourraient servir les intérêts de plusieurs partis politiques en devenant le vecteur de plusieurs autres enjeux parmi lesquels l’aménagement du territoire et la mobilité.

L’adaptation aux changements climatiques, un enjeu de pouvoir interne ?

35Plus spécifiquement, c’est la problématique des changements climatiques qui semble servir de vecteur à plusieurs autres enjeux, dont ceux reliés à l’aménagement du territoire, la santé publique ou encore les transports, à travers l’interrogation sur la place de l’automobile à donner dans la mobilité locale. Bien que l’étude n’ait pu récolter des informations par le biais d’entretiens auprès d’acteurs locaux en matière de transports, notamment auprès de la Société de transports de Montréal ou de l’Agence métropolitaine de transport, il semble qu’il ne faille pas omettre l’importance de ces deux acteurs solidement ancrés sur la scène régionale dans ce domaine. D’ailleurs, le Plan de transport adopté en 2008 par le comité exécutif de Montréal témoigne de l’importance des enjeux reliés aux transports et à l’aménagement du territoire. La réorganisation du territoire en termes d’infrastructures de transports, parfois décelée à travers la surenchère proposée par les trois principaux partis politiques qui se présentèrent aux élections municipales montréalaises de 2009, semble être l’enjeu principal derrière lequel se greffe la problématique des changements climatiques à travers d’importantes campagnes de sensibilisation menées par Greenpeace Québec, par Équiterre ou le CRE. La problématique des changements climatiques est donc intégrée à un cadre plus global que représente le concept de développement durable, et ne fait pas l’objet d’une politique municipale disjointe, tel un Plan Climat comme on peut en voir fleurir au niveau des collectivités locales en France (Bertrand et Larrue, 2007).

36L’adaptation aux changements climatiques, fut quant à elle, un enjeu de pouvoir essentiellement repéré dans l’étude à l’intérieur même de la structure municipale montréalaise. Les propos recueillis en lien avec les enjeux de l’équipe DD et ceux de l’équipe de la Division planification et suivi environnemental interrogent sur l’existence d’une certaine « concurrence » entre les deux entités, autour du thème des changements climatiques, et plus particulièrement de l’adaptation aux changements climatiques. En effet, la volonté d’élargir les ressources de la Division laisse supposer une tentative de faire face à l’équipe DD, mieux pourvue, visant notamment l’influence sur la décision publique et la marge de manœuvre opératoire. Les entretiens laissent entendre que l’équipe DD s’est en quelque sorte fait déposséder du thème des changements climatiques et de l’adaptation par la résolution CE05 5020. Par ailleurs, il est indiqué que les changements climatiques, ou encore l’adaptation, pourraient faire l’objet d’un plan d’action à part entière, auquel cas, on peut s’interroger sur l’ampleur d’un débordement du cadre général du PSDD et du thème du développement durable en général. La perception de l’équipe DD à cet égard est évocatrice. En effet, les répondants considèrent la Division planification et suivi environnemental comme un bras technique ou un outil de gestion. Les propos sous-entendent que l’idée d’élaborer un plan d’adaptation par la Division pourrait être perçue comme illégitime aux yeux de l’équipe DD. En ce sens, l’adaptation aux changements climatiques peut être perçue comme un enjeu de pouvoir interne à la Direction de l’environnement de la ville de Montréal. Pour certains répondants, le thème de l’adaptation a également été le vecteur d’une ascension professionnelle. Enfin, les répondants mentionnent que la Division fait également face à la concurrence des consultants privés pour tout ce qui est inventaire des émissions de GES et élaboration de plans d’adaptation. La floraison du nombre de consultants à cet égard au Québec dû à l’émergence d’un marché de l’adaptation en plein développement pourrait tenter la ville de Montréal de s’offrir leurs services et ainsi amputer le mandat de la Division. À cet égard, l’adaptation aux changements climatiques peut se révéler comme étant un enjeu de pouvoir entre la ville de Montréal à travers sa Division planification et suivi environnemental et les consultants privés.

Conclusion

37Le cas d’étude du Plan stratégique de développement durable de la collectivité montréalaise interroge à plusieurs niveaux. En premier lieu, la volonté de la ville de Montréal de se doter d’un plan de développement durable est cohérente avec la floraison de telles politiques publiques urbaines dans la lignée des sommets de Rio (1992) et de Johannesburg (2002). À travers cette apparente dynamique, chaque collectivité s’inspire de sa propre culture et de son propre système organisationnel pour élaborer et mettre en œuvre ces approches. Ainsi, alors que la dimension communautaire est prégnante au Royaume-Uni, c’est l’approche écosystémique qui domine en Scandinavie et celle plus pragmatique en Allemagne (Émélianoff, 2004). Peut-on et comment qualifier la spécificité montréalaise à la lumière de cette étude ? En premier lieu, nous noterons que la dimension environnement fut la porte d’entrée à la mise en place d’une politique se réclamant du développement durable. En optant pour une approche « collective » prenant l’aspect d’une simple forme d’officialisation d’un travail effectué en amont et en coulisse, la ville de Montréal a-t-elle galvaudé le pilier social de la politique de développement durable ? Concernant le pilier économique, peut-on penser qu’il est difficilement conciliable avec l’actuel PSDD comme l’ont suggéré plusieurs entretiens en faisant référence aux fortes influences du milieu économique montréalais ? Ces deux points nous amènent à réfléchir sur les formes de démocratie locale, dont les milieux urbains sont, par leur complexité, de véritables laboratoires (Bherer et Quesnel, 2006). Cela nous amène également à nous interroger sur la longévité d’un tel cadre de développement durable : celui-ci continuera dans le futur à être celui des principaux enjeux environnementaux parmi lesquels la Biodiversité et les Changements climatiques ? Finira-t-il par perdre de l’importance au profit de politiques municipales plus spécialisées telles qu’un Plan Climat peut l’être, notamment par le fait d’avoir une opérationnalisation moins floue (Hamman, 2009) ? En allant plus loin dans ces réflexions, on peut aller jusqu’à nous interroger sur la longévité du vocable « ville viable », puisque tout comme le développement durable, l’expression est de plus en plus considérée comme obscure et renvoie à une multitude d’autres questionnements aussi bien reliés à l’imaginaire collectif et aux transformations sociales qu’elle renvoie (Rudolf, 2008).

38Enfin, concernant plus précisément l’adaptation aux changements climatiques, Montréal n’échappe pas au mouvement de mise en place de politiques publiques municipales portant sur le thème auquel nous assistons depuis quelques années (Bertrand et Larrue, 2007). Néanmoins, Montréal se distingue par une élaboration de sa politique portée par le bas, porté par un réseau d’acteurs locaux réunis autour de la dimension « environnement ». Certes, les signaux venant de structures gouvernementales supérieures ou venant de conjonctures internationales telles que le Sommet de Johannesburg ou le Sommet de Montréal eurent leur lot d’influences. Mais à travers la mise en place de sa politique de développement durable, Montréal montre l’ampleur de ses ressources locales à porter un projet à saveur environnementale jusqu’à son institutionnalisation, attitude déjà adoptée dès qu’il s’agit de penser une problématique environnementale en termes de solutions (Guay, 1994 ; Simard et Lepage, 2004). À défaut d’avoir élaboré une politique d’adaptation aux changements climatiques à part entière, Montréal a préféré fournir un cadre d’action large, à l’intérieur duquel l’adaptation peut s’épanouir. Toute la question reste donc de savoir si cette politique d’adaptation, inscrite à l’agenda informel local, sera élaborée par les services administratifs centraux légitimés pour le faire, à savoir la Division planification et suivi environnemental. Celle-ci, aurait alors le choix de construire sa politique municipale dans une approche Top-Down, alimentée par un acteur comme Ouranos. Elle pourrait également s’inspirer d’une analyse de vulnérabilité de sa population et de son territoire en s’appuyant sur la collectivité montréalaise dans une approche Bottom-Up. Quel que soit son choix, l’élaboration de la prochaine politique municipale montréalaise qui prendra en compte l’adaptation aux changements climatiques devrait constituer un enjeu organisationnel local.

Bibliographie

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : Montréal, développement durable, politique municipale, adaptation, changements climatiques

Mise en ligne 11/10/2013

https://doi.org/10.3917/lig.773.0071

Notes

  • [1]
    « L’adaptation dans le contexte des dimensions humaines du changement climatique réfère généralement à un processus, une action ou un résultat dans un système (foyer, communauté, groupe, secteur, région, pays) dans le but pour le système de faire face avec, de gérer ou de s’ajuster à des conditions changeantes, stress, dangers risques ou opportunités » (Smit et Wandel, 2006).
  • [2]
    Cet organisme, créé en 2001 conjointement par le Gouvernement du Québec, Hydro-Québec et Environnement Canada, a « pour mission l’acquisition et le développement de connaissances sur les changements climatiques et leurs impacts ainsi que sur les vulnérabilités socio-économiques et environnementales, de façon à informer les décideurs sur l’évolution du climat et à les conseiller pour identifier, évaluer, promouvoir et mettre en œuvre des stratégies d’adaptation locales et régionales » (Ouranos, 2010).
  • [3]
    Ce programme s’inscrit dans la mise en œuvre de la mesure n° 5 « Soutenir les municipalités pour la réalisation d’inventaires municipaux d’émissions de GES et de plans de lutte contre les changements climatiques ainsi que pour l’adoption de règlements pour contrer la marche au ralenti inutile des véhicules » du Plan d’action 2006-2012.
  • [4]
    L’étude présentée ici fait partie d’une recherche doctorale (2007-2011) menée entre Montréal et Paris sur l’adaptation aux changements climatiques aussi bien en termes de représentations sociales, d’analyse de politiques municipales que d’approfondissement du concept d’adaptation. La thèse est disponible dans son ensemble à : http://www.theses.fr/2011PA100076.
  • [5]
    L’un fut député libéral en 1989 puis ministre de l’Industrie, du Commerce et de la Technologie dans le cabinet Bourassa de 1989 à 1994 et Président de la Commission de l’économie et du travail jusqu’à sa démission en 1996. L’autre fut député du Parti québécois en 1994, réélu en 1998, président de la commission des affaires sociales (1995-1996), ministre de différents portefeuilles (1996-2000).
  • [6]
    Diagnostic environnemental de l’île de Montréal (2000) et État de la situation en environnement, orientations et interventions proposée (2002).
  • [7]
    Le déluge du Saguenay est une série d’inondations suite à une crue du fleuve Saguenay ; la crise du Verglas plongea Montréal sans électricité durant plusieurs semaines en février suite à des pluies verglaçantes de forte intensité.
  • [8]
    Le Programme de la propreté et de l’entretien 2007-2010, Montréal 2025, la Politique de consultation et de participation, la Charte des droits et de participation, la Politique de développement culturel, la Stratégie de développement économique, la Politique du patrimoine, la Politique de l’arbre, la Politique de protection des milieux naturels, le Plan de transport et le Plan d’urbanisme.
  • [9]
    La nomination de membres du parti Projet Montréal (25 % de votes pour son leader), mouvement politique résolument tourné vers une politique favorable au développement durable par le biais de la mise en place de vastes aménagements en transports en commun, laisse envisager une influence à ce niveau.
  • [10]
    Transfert Environnement est une entreprise conseil en communication et affaires publiques spécialisée en environnement et ingénierie sociale qui offre son expertise pour la formation des décideurs et des gestionnaires au concept et à l’application du développement durable. Parmi les services offerts, on retrouve « Mise en place de comités participatifs ». (http://www.transenvironnement.qc.ca/pdf/TE_DeveloppementDurable.pdf)
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