Notes
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[1]
Detroit Free Press, 22/12/2011, « Detroit’s debt crisis even worse than thought, state’s review reveals ».
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[2]
Départ de la population blanche et aisée vers les banlieues des villes américaines à partir des années 1950.
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[3]
Il y eut des précédents notamment en 2009.
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[4]
« They can lay off as many people as they want, they can cut programs, the can make economic decisions and screw districts and they can disregard collective bargaining, agreements between unions and the districts or the City. »
-
[5]
Detroit Free Press, 15/06/2012, « Bing needs to fight crisis at people’s level ».
-
[6]
Terme récent – inventé à partir du cas de Détroit – caractérisant des photos et des vidéos de quartiers ou de bâtiments en ruine dans les villes en déclin.
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[7]
« Conscious practices oriented toward a use value economy. »
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[8]
« A wide range of economic activities taking place – from urban gardening to cooperative childcare – that do not involve the exchange of money. »
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[9]
« The results of this component of our survey point to fairly broad disenchantment with the capitalist system. »
-
[10]
New York Times, 23 février 2012, « Delusious about the Detroit Bailout » par Steven Rattner.
-
[11]
Dans cet article, et sauf mention contraire, la seule ville de Detroit sera étudiée (713 000 habitants selon le dernier recensement effectué en 2010 par le US Census Bureau).
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[12]
« The closing, downsizing, and relocation of plants and sometimes whole industries. »
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[13]
« The rusting of the Rust Belt began neither with the much-touted stagflation and oil crisis of the 1970s, nor with the rise of global economic competition and the influx of car or steel imports. It began, unheralded, in the 1950s. »
-
[14]
« Before the introduction of automated engine production at Ford’s Cleveland plant, it took 117 workers to produce 154 engine blocks per hour ; after automation the same output required a mere 41 workers. »
-
[15]
« The nation’s poster city for urban dystopia » ; The « poster child of urban decay ».
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[16]
Metropolitan Statistical Area d’environ 10 000 km2.
-
[17]
Le taux de chômage officieux serait en fait plus proche de 50 %.
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[18]
Par exemple les Pick-up et les SUV (Sport Utility Vehicle).
-
[19]
New York Times, 23 février 2012, « Delusious about the Detroit Bailout » by Steven Rattner.
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[20]
Mesure qui avait été mise en œuvre en 2008 pour attirer des réalisateurs à Detroit et dynamiser l’industrie du cinéma.
-
[21]
Fondé en 1885, le DIA est l’un des plus anciens et des plus prestigieux musées de Detroit.
-
[22]
Detroit Performance Dashboard, http://www.detroitmi.gov/DetroitPerformanceDashboard.aspx.
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[23]
Organisation à but non lucratif fondée en 1995 pour honorer l’héritage de James et Grace Boggs, militants et théoriciens de la reconstruction des villes.
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[24]
« Exactly even for people that have cars you have to make a decision, if you’re gonna feed yourself or if you’re gonna put gas in your car. »
-
[25]
Un jardin communautaire est un jardin ouvert au public, géré collectivement par ses membres. Ces parcelles aménagées en jardins d’agrément ou en jardins potagers sont le résultat d’une appropriation spontanée par des citoyens, de parcelles urbaines inusitées. Les jardins communautaires ont été le signe d’un réinvestissement d’espaces publics délaissés, non pas par le privé, mais par des communautés d’habitants qui ont créé un nouveau mode de propriété publique.
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[26]
As John Gallagher puts is, « […] since dealing with the dysfunctional city bureaucracy requires a degree of tenacity and patience beyond most of us, many people have simply squatted on the vacant properties, fencing them off or planting them as gardens » (p. 30).
-
[27]
« Not so much because of a sudden ideological conversion but as a result of the impossibility of living by the rules of the market. »
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[28]
« Thus, the notion of reconstructing everyday life around autonomous practices that do not rely on banks or governments became more realistic than the traditional pattern of economic behavior. »
-
[29]
« Work people do for themselves rather than going to the market to pay for goods and services ».
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[30]
« In that sense it’s really personal to me because it’s a way for me to ground myself and center myself and work on doing it, because it’s very part of my culture, of my lifestyle and part also of my beliefs, of living close to the earth, and being self reliant. »
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[31]
« The reason why we have this community bike shop is to show individuals how to fix and maintain their own bikes, so they can get to places like job interviews, to get their prescriptions, to see their family, to go grocery shopping, so it’s really important for us to be able to help people to fix and maintain their own power of means of transportation and in that sense I think it’s directly related to what we’re doing, helping people to become more self reliant. »
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[32]
« The performance of acts and services for others that are worth something in the market, without receiving financial compensation ».
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[33]
« Exchanging goods or services – bartering or the like — without using money as the medium of exchange ».
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[34]
Littéralement « se débarasser des ruines ».
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[35]
« Resilience » en anglais.
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[36]
« It’s (systemic and chronic inequities) a huge problem and so the way that we intend to address these problems around our food system is using our growing food as a way to win ourselves off the system we that we have been depending on, create economic resilience. So it’s not just about feeding ourselves, but becoming economically reliant as well. »
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[37]
« Detroit it’s New Orleans without the hurricane. »
-
[38]
France Info, 26/10/2010, Detroit, de « Ground Zero » a Green City.
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[39]
Detroit, aujourd’hui la 15e ville du pays, fut un jour la 4e.
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[40]
« People say :’Don’t move me, move other people in my area. I’m still here. You can’t close down parts of the city ».
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[41]
« He can’t afford to light it all, clean the streets, dump the trash, he can’t do it with the amount of money that the City of Detroit has ».
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[42]
« Literally he (Mayor Bing)’s going to have to shut down miles of the City in order to be able to have nice developed areas. »
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[43]
« People heard first off that land is going to be shrunken, houses are going to be moved and the way they approached it was, people were very defensive about what was going to happen, instead of engaged. »
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[44]
« And frankly every time there’s a new mayor there’s a new opportunity to do a new plan. And people are tired ! They just get tired of this. »
1En avril 2012, la ville de Detroit, au bord de la faillite, est sur le point de passer sous le joug d’un gestionnaire de crise (emergency manager) envoyé par l’État du Michigan. Sorte de père fouettard doté des pleins pouvoirs et censé corriger la mauvaise gestion des deniers publics, il intervient en cas de banqueroute de la municipalité. Il est autorisé à prendre n’importe quelle décision concernant les finances et la fiscalité de la ville, sans nécessité de consultation. Pour parfaire à l’humiliation publique et à la mise sous tutelle de l’administration urbaine, ce potentat est dépêché du Michigan, État dirigé depuis 2011 par le Gouverneur républicain Rick Snyder, alors même que Detroit est une ville démocrate. Certes, cela fait de nombreuses années que Detroit connaît des problèmes financiers structurels, à tel point que la dette de la ville s’élèverait en 2010 à 262 millions de dollars et le déficit à 156 millions de dollars [1]. L’effondrement de l’assiette fiscale de la ville dû à l’hémorragie démographique et notamment au white flight [2] ; les difficultés chroniques de l’industrie automobile ; les problèmes de corruption des administrations précédentes, constituent quelques-unes des causes expliquant cet état financier critique. Ce n’est pas la première fois que l’État du Michigan doit prendre le relais [3]. Mais cette fois-ci, grâce à un Consent Agreement, compromis trouvé entre la Ville et l’État, le maire de Detroit, David Bing, et le conseil municipal restent au pouvoir, avec certaines limites toutefois. À la place d’un gestionnaire de crise, un conseil financier de neuf membres, choisis par l’État et la Ville, sera chargé d’émettre collégialement des recommandations et d’examiner les questions fiscales.
2Dans un autre contexte, celui de l’Europe en crise, les pays membres refusent de s’entraider à moins que l’un d’entre eux ne soit au bord de la faillite. Et si sauvetage financier il y a, alors il est conditionné à l’abandon de la souveraineté politique du pays renfloué (Économistes atterrés, 2011). Si l’État du Michigan vient au secours de la ville de Detroit, c’est bien au prix de sa souveraineté politique et de celle de l’ensemble de ses acteurs. Comme le rappelle un de nos enquêtés à propos du nouveau conseil financier mis en place, « Ils peuvent licencier autant de personnes qu’ils veulent, ils peuvent cesser des programmes, ils peuvent prendre des décisions économiques qui désavantagent des quartiers, ils peuvent faire fi des négociations collectives, des accords entre les syndicats et les quartiers ou la ville » [4]. Ainsi, sans souveraineté financière et fiscale, le pouvoir politique de la municipalité Detroit est impuissant. D’autant que même le Consent Agreement appliqué, le sort de Detroit et le règlement de sa dette restent incertains. Comme l’éditorialiste du Detroit Free Press, Jeff Gerritt l’écrit : « Nous attendons une réponse et, comme le bus, elle n’arrive jamais [5]. » Il suffit d’avoir attendu le bus une fois à Detroit pour comprendre toute l’ironie et le désespoir sous-entendus dans ce constat.
3Attendre un bus qui ne vient jamais en dit beaucoup sur ce que la ville est aujourd’hui devenue. Detroit donne désormais une sensation de vide urbain, qui prend forme dans des rues désertes, des maisons isolées et des prairies urbaines (urban prairies) (Gallagher, 2010) peuplées de faisans et de chiens errants. Dans les années 1940, Detroit était pourtant l’une des villes du pays à croître le plus rapidement, abritant aussi la main-d’œuvre la mieux payée des États-Unis. Depuis 1950, Detroit a perdu plus d’un million d’habitants et des centaines de milliers d’emplois, et aujourd’hui la ville est touchée par un chômage anormalement élevé, une pauvreté massive – plus d’un tiers des habitants vit sous le seuil de pauvreté –, la ruine d’une proportion démesurée de ses bâtiments et un isolement racial vis-à-vis de ses banlieues. De vastes zones de la ville, des maisons, des usines, des magasins sont abandonnés, condamnés ou brûlés, donnant au paysage urbain un air apocalyptique (Sugrue, 2005). La singularité de Detroit – son caractère anomal dans un pays comme les Etats-Unis – implique que ces faits et ces chiffres doivent être rappelés, et ce paysage, décrit. Mais au-delà de toute tentation misérabiliste et de ruin porn [6] dont la ville a beaucoup fait les frais, c’est vers les solutions possibles pour une sortie de crise que l’action doit s’orienter. C’est notamment la société civile qui se mobilise pour éviter la totale déliquescence de sa ville.
4Nous voulons explorer, dans le contexte urbain de Detroit, le lien entre la crise économique et l’apparition ou le renforcement de pratiques économiques alternatives mises en place par la société civile. Nous empruntons le terme de « pratiques économiques alternatives » au groupe de chercheurs réunis récemment autour de Manuel Castells pour faire le point sur la naissance de nouvelles cultures économiques post-crise, correspondant à l’adaptation spontanée des modes de vie des gens aux contraintes et aux opportunités émanant de la crise (Castells et al., 2012). Il faut comprendre les pratiques économiques alternatives comme des « pratiques conscientes orientées vers une économie fondée sur la valeur d’usage » [7] (ibid., p. 213) ou, plus simplement, comme « un large éventail d’activités économiques – des potagers urbains au baby-sitting coopératif – qui n’impliquent pas d’échange monétaire [8] » (ibid., p. 230). Castells et son équipe tiennent à distinguer les pratiques économiques alternatives qui cherchent délibérément à créer de nouveaux modes de vie, de celles qui traversent le quotidien des gens par nécessité ou par persistance de formes sociales non-marchandes (ibid.) : nous considérerons ces deux formes. Afin de démontrer l’impact de la crise économique de 2008 sur ces pratiques, ils ont bien compris qu’il s’agit de voir s’il y a une pénétration de plus en plus fréquente de ces pratiques dans le quotidien des gens – de tous les gens et pas seulement de ceux qui y sont déjà sensibilisés – en réponse à la crise, témoignant alors d’un « large désenchantement à l’égard du système capitaliste » [9](ibid., p. 236). À Detroit, ces pratiques sont, par exemple, l’agriculture urbaine communautaire ; les banques alimentaires ; les organismes de réparation, de recyclage ou de nettoyage du bâti ; les projets éducatifs ; les espaces de partage des nouvelles technologies etc. Ces pratiques, proposées par des individus ou des groupes d’individus, hors de toute institution, participent de plus en plus à Detroit à la création de nouvelles solidarités et au renforcement des communautés à l’échelle du quartier. Dans la ville a émergé un réseau dynamique d’organisations communautaires à but non lucratif, révélant à la fois une diversité de moyens modestes pour faire face à la crise économique, et un ensemble de pratiques permettant de penser la possibilité d’un mode de vie alternatif, voire anticapitaliste. Si on constate l’importance relative des pratiques économiques alternatives à Detroit, il nous faut identifier les formes qu’elles prennent ainsi que les problèmes créés par la situation de crise auxquels elles prétendent répondre.
5Or, avant d’y répondre, il nous faut déjà savoir ce qu’on entend par crise, notamment dans le contexte de Detroit. Il y a des champs de la crise, tout comme il y a des temporalités de la crise. S’il y a des champs de la crise à Detroit, c’est qu’elle y est multiforme : elle est économique si on évoque le chômage ; financière en termes de dette publique ; politique par la faible légitimité de la municipalité ; immobilière parce que la crise des subprimes sévit depuis 2007 ; urbaine parce que les maisons s’effondrent, que les feux de signalisation ne fonctionnent plus, que le taux de criminalité est anormalement élevé. Mais si la « crise » est devenue un sujet d’actualité quotidien dans les médias, notamment depuis 2008, cela fait plusieurs décennies que le terme de crise est convoqué à Detroit (Sugrue, 2005 ; Staszak, 1999) pour analyser le système complexe de problèmes qui la touche. En termes de temporalités, il y a d’abord, sur le temps long, la crise économique liée à la désindustrialisation de la ville, à partir des années 1950 jusqu’à aujourd’hui (Sugrue, 2005). Les chocs pétroliers des années 1970 et l’arrivée des voitures japonaises sur le marché américain dans les années 1990 ne sont autres que les épisodes marquants de ce long déclin. Mais il y a désormais la crise économique de 2008, crise financière mondiale aux douloureuses conséquences chaque jour révélées, qui met un terme au mythe d’un marché qui s’auto-régulerait (Castells et al., 2012). L’un des résultats de cette crise est le creusement de la dette publique – l’argent public ayant été largement utilisé pour renflouer les banques ou les entreprises en faillite [10] –, suivi de coupes budgétaires et de la mise en place d’une politique d’austérité.
6Mais lorsqu’un système ne reproduit pas sa logique automatiquement – dont l’état de crise rend compte –, on remarque d’une part la tentative de restaurer l’état initial de ce système, d’autre part la tentative de fonder un nouveau système, basé sur un nouvel assemblage d’intérêts et de valeurs. De manière similaire et de façon schématique, dans le champ de la cindynique, après un choc, on peut avoir trois états : la disparition définitive, le maintien du système et la bifurcation qui correspond à un changement radical, structurel, du système (Reghezza et al., 2012). À ces différents états peuvent correspondre différents modèles de résilience. Ainsi, dans un second mouvement de notre réflexion, nous nous demanderons si les pratiques économiques alternatives repérées comme réponses de la société civile face à la crise, peuvent ouvrir une voie de réflexion et de mise en pratique de nouveaux modèles urbains proposant de rendre Detroit résiliente. Quels modèles urbains ces pratiques économiques alternatives – qui abordent la crise par sa matérialité et son quotidien – proposent-elles pour Detroit ?
7Ces réflexions sont basées sur une trentaine d’entretiens menés récemment, en mai 2012, avec des leaders et des membres d’organisations communautaires, des citoyens, des professeurs et des journalistes, en particulier dans l’East Side de Detroit, l’un des quartiers le plus durement touché par la crise. C’est à l’échelle du quartier que cette étude a été menée, avec une attention non moins importante pour le cadre métropolitain. Ce quartier, l’East Side, ou plus précisément la partie dite « Genesis/Messiah » du nom des deux églises majeures de ce territoire, est connu à Detroit pour être un quartier particulièrement défavorisé, habité par une population quasi exclusivement noire, abritant une forte densité d’organisations communautaires à but non lucratif. Les entretiens menés font entendre majoritairement la voix d’acteurs agissant en faveur d’une transformation culturelle et économique du système actuel, c’est-à-dire d’une population instigatrice d’une transformation culturelle (culturally transformative) (Castells et al., 2012).
D’une crise économique à une crise urbaine généralisée
L’étape initiale de la désindustrialisation
8C’est d’abord par le processus de désindustrialisation que la crise économique est advenue à Detroit [11], alors victime d’une mutation mondiale du secteur secondaire et de son corollaire, l’avènement de l’économie des services. Cette crise initiale de désindustrialisation consiste en « la fermeture, la réduction des effectifs, et la relocalisation des usines, et parfois d’industries entières [12] », (Sugrue, 2005, p. 127). Capitale nationale de l’industrie automobile – la première usine Ford est fondée par Henry Ford en 1903 à Dearborn, dans la banlieue de Detroit –, company town, siège des Big There (Ford, Chrysler et General Motors), c’est surtout l’effondrement de l’industrie automobile qui a été spectaculaire à Detroit, entraînant dans son sillage le départ des industries connexes (aciéries, outillage etc.).
9La thèse prévaut désormais que la désindustrialisation de Detroit a commencé dès les années 1950 : « La détérioration de la Rust Belt n’a commencé ni avec la stagflation, tant évoquée, et les chocs pétroliers des années 1970, ni avec l’avènement de la concurrence économique mondiale et l’afflux des importations de voitures ou d’acier. Elle a commencé, sans tambour ni trompette, dans les années 1950 [13] » (Sugrue, 2005, p. 6). L’industrie automobile a commencé dès ce moment-là à réduire ses effectifs, à fermer ses usines et à les déplacer dans d’autres régions du pays : déjà entre 1947 et 1963, Detroit a perdu 134 000 emplois dans le secteur industriel, et l’usine Packard de Detroit a fermé ses portes dès 1956 (ibid.). Parmi les causes proposées pour expliquer ce déclin, l’introduction de l’automatisation est évoquée en premier lieu : « Avant l’introduction de la production automatisée des moteurs à l’usine Ford de Cleveland, il fallait 117 ouvriers pour produire 154 bloc-moteurs par heure ; après l’automatisation de la production, cela ne nécessitait plus que 41 ouvriers » [14](ibid., p. 130), soit trois fois moins de main-d’œuvre nécessaire et une productivité par conséquent multipliée par trois. Non seulement fallait-il moins d’ouvriers pour produire la même chose, mais ceux qui restaient acceptaient de travailler davantage, en faisant des heures supplémentaires. Dans les années 1950, l’ouvrier automobile travaillait en moyenne 6 heures supplémentaires chaque semaine.
L’augmentation de la productivité liée à l’automatisation dans l’industrie automobile : l’exemple de l’usine Ford de Cleveland
L’augmentation de la productivité liée à l’automatisation dans l’industrie automobile : l’exemple de l’usine Ford de Cleveland
10Les coûts salariaux élevés et des syndicats forts constituent aussi un facteur explicatif, notamment à Detroit, célèbre pour la présence du puissant syndicat des United Auto Workers (UAW). Enfin, le gouvernement fédéral, en déplaçant l’industrie militaire vers la Sun Belt, a participé au processus de désindustrialisation de la Rust Belt par la relocalisation – à l’époque encore sur le territoire national. Ce fut alors le signe d’un déclin majeur et à long terme de l’emploi industriel à Detroit et dans les grandes villes industrielles du Nord-Est et du Midwest des États-Unis, soit la Rust Belt. Alors que l’emploi industriel a seulement diminué aux États-Unis de 1,4 % entre 1969 et 1996, il a chuté de 33 % dans la Rust Belt (ibid., p. 126). Si les mutations industrielles répondent à des logiques mondiales, les effets de la désindustrialisation ont été régionaux : le destin de Detroit a pu se retrouver dans des villes de la Rust Belt au destin similaire comme Pittsburgh, Cleveland, Buffalo, St. Louis etc.
11Les conséquences de la désindustrialisation sont directement aux origines de la crise urbaine que subit Detroit. Elle passe par l’inexorable perte d’emplois de 1950 à aujourd’hui, qui a touché en priorité la population noire de la ville (Sugrue, 2005) ; par la perte de population qui s’ensuivit – la population restante étant la plus pauvre et majoritairement noire – et par la réduction de moitié de l’assiette fiscale de Detroit, liée au départ des entreprises et de la population.
12La détérioration du parc de logements a aussi été particulièrement précoce : seulement 15 ans après la Seconde Guerre Mondiale, le paysage de Detroit était dominé par des usines en décomposition, entourées de magasins et de restaurants aux portes et fenêtres condamnées. En 1961, le centre-ville avait déjà un taux de vacance de 22 % (ibid.). L’impôt sur la propriété est au cœur du financement urbain depuis 200 ans aux États-Unis et parmi les impôts, c’est celui qui rapporte le plus aux collectivités locales, soit environ 30 % de leurs ressources en moyenne (Body-Gendrot, 1997). Il faut donc noter les conséquences fiscales majeures liées à la détérioration et à l’abandon du parc immobilier à Detroit, sans compter la baisse des taxes sur les revenus des individus, liée au départ massif des habitants.
Detroit aujourd’hui ou l’incarnation de la crise urbaine
13« Effigie nationale de la dystopie urbaine » ou « tête d’affiche de la décadence urbaine » [15] (Gallagher, 2010) ; autant de tentatives pour nommer l’état de crise urbaine généralisée de Detroit. En 1950, « crise urbaine » signifiait raréfaction des populations des centres-villes au bénéfice des banlieues, augmentation du chiffre des populations minoritaires dans les villes et de celui des zones de taudis ainsi que crise des valeurs immobilières. En 1970, il évoquait, outre les problèmes sociaux (racisme, misère et délabrement des logements), le chaos politique et l’interruption des investissements immobiliers dans les centres-villes. Après avoir été associée aux difficultés d’ordre économique des quartiers d’affaires des centres-villes, l’expression englobe l’ensemble des conflits politiques et sociaux de la société dans sa globalité (Ghorra-Gobin, 1993). Dans l’Amérique postindustrielle actuelle, le concept de crise urbaine est utilisé pour décrire l’état de nombreux quartiers défavorisés des centres-villes américains : « Bed-Stuy » et le South Bronx à New York, Newark dans le New Jersey, West Baltimore etc. Tous ces territoires ont en commun d’abriter une population dont une large proportion se situe sous le seuil de pauvreté, de regrouper en priorité les populations immigrées ou racialement minoritaires et d’avoir un bâti détérioré (Sugrue, 2005 ; Staszak, 1999). La résidence en centre-ville, la race, le chômage et la pauvreté sont devenus les caractéristiques indissociables de cette crise urbaine. À Detroit en particulier, la crise urbaine s’est exprimée à travers une perte de population démesurée, faisant d’elle une ville qui rétrécit, une shrinking city. Cela pousse certains auteurs à parler davantage de déclin urbain que de crise urbaine (Fol et Cunningham-Sabot, 2010). En 1960, on recensait à Detroit une population de 1,8 million d’habitants ; en 2000, il n’y en avait que 951 000 et en 2010, 713 000. La ville a perdu plus de la moitié de sa population en un demi-siècle. En revanche, entre 1960 et 2000, la population métropolitaine de Detroit (ville et banlieue) [16] est passée de 3,9 millions d’habitants en 1960 à 4,3 millions d’habitants en 2010, suggérant qu’au moins une partie des gens qui ont quitté la ville se sont installés dans les banlieues très aisées de Detroit telles que Grosse Pointe, Ferndale ou Bloomfield Hills.
Detroit, Shrinking City
Detroit, Shrinking City
La crise de 2008 à Detroit
14L’effondrement de l’économie du pays en 2008 a provoqué la faillite de General Motors et Chrysler. Entre janvier 2008 et juillet 2009, le taux de chômage à Detroit a presque doublé, passant de 14,8 % à 28,9 % [17] (Popelard, 2009). Les Big Three auraient perdu 300 000 emplois depuis 2008 ; fermé des dizaines d’usines et supprimé l’assurance-maladie pour leurs employés à la retraite, afin de faire face à la morosité du marché automobile américain. Les constructeurs américains paient le prix de leur stratégie : dans les années 1990, afin de résister à l’afflux de voitures japonaises sur le marché américain, ils ont développé le secteur des 4 × 4 légers [18]. Mais aujourd’hui, avec l’augmentation du prix du pétrole, les consommateurs sont à la recherche de voitures qui consomment moins de carburant. En juillet 2008, les ventes d’automobiles aux États-Unis ont atteint leur plus bas niveau depuis seize ans. Et alors que le gouvernement renfloue les Big Three avec 80 milliards de dollars, l’argent du gouvernement fédéral ne profite pas à l’intérêt général – ni à la ville, ni aux habitants [19]. La litanie des crises pousse nombre de travailleurs à tenter leur chance ailleurs : depuis novembre 2007, 82 000 d’entre eux ont quitté le Michigan, dont 18 000 pour le seul mois de novembre 2008 (Popelard, 2009). Entre les deux recensements les plus récents (2000-2010), Detroit a perdu 25 % de sa population, indiquant une aggravation du déclin démographique. La ville continue à décroître et les prévisions pour Detroit voient sa population passer en dessous de la barre des 700 000 habitants.
15Dans le même temps, la crise immobilière a particulièrement affecté la ville. Le contexte était celui d’un marché immobilier déjà très déprimé, ayant à disposition un énorme stock de logements vacants, mal entretenus et menacés par des incendies criminels. En 2006, 22,2 % des habitations étaient vacantes – contre 11,6 % aux États-Unis –, soit au total près d’un quart du parc de logement. La crise des subprimes a accentué nettement cette tendance. Depuis son commencement, 67 000 propriétés ont été abandonnées par leurs propriétaires qui y ont été contraints, dont 65 % restent encore inoccupées. Detroit est la plus touchée des 100 plus grandes villes américaines. De ce fait, elle a obtenu de l’État fédéral une aide de 47 millions de dollars au titre du Housing and Recovery Act voté en juillet 2008. 30 % de cette somme seront alloués à la démolition des maisons en ruine (Popelard, 2009). Les maisons saisies sont vendues pour un prix minimum de 500 $. En 2010, le taux de vacance résidentielle à Detroit était proche de 28 %.
16Comme la perte d’emploi dans l’industrie automobile en atteste, les habitants de Detroit sont en première ligne des changements macro-économiques qui affectent l’économie. Comment la société civile réagit-elle face à cette crise multiple ?
Les pratiques économiques alternatives, réponses de la société civile à la crise ?
La politique d’austérité urbaine : le cas des services
17À Detroit, les routes sont pleines de nids de poule ; les feux de signalisation clignotent à l’orange, et il y a un bus toutes les heures. La carcasse d’une maison brûlée ou abandonnée peut rester indéfiniment à sa place. Aux États-Unis, les améliorations apportées aux rues et à l’éclairage public sont financées par l’impôt sur la propriété du quartier : la qualité du service est donc fonction de la richesse des habitants (Body-Gendrot, 1997). Les déchets ne sont pas ramassés aussi fréquemment dans le centre des affaires que dans les quartiers pauvres. Ce système de financement fiscal des services urbains laisse Detroit dans un état critique. Un cercle vicieux, enraciné dans la crise économique et dans l’hémorragie démographique et fiscale, a directement conduit à l’appauvrissement de la municipalité, aux coupes budgétaires et à la pénurie de services subséquente. Ici, la politique d’austérité s’applique à l’échelle locale de la municipalité urbaine, nous permettant de parler de politique d’austérité urbaine. Divers exemples récents témoignent de cette politique qui vise à réduire la dette faramineuse de la ville par des coupes budgétaires affectant le quotidien des habitants. En mai 2011, la municipalité a éliminé une subvention de 25 millions de dollars consacrée au cinéma [20] ; une subvention de 10 millions de dollars dédiée au Detroit Institute of Arts [21] ; 34 stations de police de l’État du Michigan et 20 millions de dollars alloués au système de transport en commun par bus. Le temps de réaction de la police est désormais en augmentation et la chance d’avoir un bus à l’heure a diminué depuis 2009, selon les données officielles de la ville [22]. Face à l’échec de la municipalité à honorer son engagement envers les habitants à fournir un minimum de services publics et d’aide sociale (welfare), une partie de la société civile – notamment les organisations communautaires à but non lucratif – s’est mobilisée.
La mise en place de pratiques économiques alternatives : une nécessité face à la crise ?
18Les organisations à but non lucratif, appartenant à la sphère associative, ont fleuri à Detroit comme dans beaucoup de quartiers en crise urbaine aux États-Unis : associations de quartier, sociétés de développement communautaire et autres types d’organisations. Ce sont majoritairement elles, face à la paralysie de la municipalité urbaine criblée de dettes, qui permettent et encouragent l’existence de pratiques économiques alternatives. Un soulèvement bottom up de la société civile existe depuis longtemps à Detroit, qui a une tradition de lutte pour ses droits – notamment via les syndicats –, mais a été renforcée avec la crise. La plupart d’entre elles – et par conséquent de leurs pratiques – datent d’avant la crise de 2008, comme cette soupe populaire de l’East Side, la Capuchin Soup Kitchen, qui existe depuis une autre crise, la Grande Dépression de 1929 ou comme le Boggs Center [23], fondé en 1995. Mais la crise de 2008 a renforcé l’utilité de ces organisations, a poussé à la fondation de nouvelles organisations de ce type et a incité les habitants à y avoir davantage recours. Cela se traduit notamment par une augmentation de la fréquentation des soupes populaires, attestée par nos enquêtés et par un engouement pour la production autonome de denrées alimentaires (jardins potagers). Comme le rappelle un de nos enquêtés, « même pour les gens qui ont une voiture, il faut prendre une décision : se nourrir ou mettre de l’essence dans sa voiture [24] », montrant bien que les habitants se tournent vers les pratiques économiques alternatives – en l’occurrence ici vers les jardins communautaires [25] urbains – avant tout par nécessité. Il semble que ce n’est pas seulement un engagement idéologique, mais avant tout un moyen de faire face aux défis quotidiens apportés par la crise et de réagir à une ville devenue dysfonctionnelle. Tout simplement, « […] puisque traiter avec la bureaucratie dysfonctionnelle de la ville exige un degré de ténacité et de patience au-delà des capacités de la plupart d’entre nous, beaucoup de gens ont tout simplement squatté des terrains vacants, en y mettant une clôture ou en y plantant des jardins [26] » (Gallagher, 2010, p. 30), évoquant aussi le caractère spontané et parfois illégal de ces pratiques. Castells rappelle aussi que pour beaucoup de gens qui avaient accepté une existence nourrie par le rêve de la consommation, la crise a tout à la fois perturbé leur vie et permis d’entrevoir une vie différente, « non pas tant à cause d’une soudaine conversion idéologique, mais en raison de l’impossibilité de vivre selon les règles du marché [27] » (2012, p. 211). Cela a permis pour certains une inversion des normes puisque « l’idée de reconstruire la vie quotidienne autour de pratiques autonomes qui ne reposent pas sur les banques ou les gouvernements est devenue plus réaliste que le modèle traditionnel de comportement économique » [28] (ibid.).
Catégoriser les pratiques économiques alternatives
19Dans leur étude sur les pratiques économiques alternatives, Castells et son équipe ont mis au point une catégorisation permettant de les distinguer (2012) : pertinente pour le cas de Detroit, nous la reprenons ici. Les pratiques économiques alternatives se déclinent sous la forme de l’autosuffisance ; de l’altruisme ; de l’échange et de la coopération. L’autosuffisance consiste en un « travail que les gens font par eux-mêmes, plutôt que d’acheter des biens et des services [29] »(ibid., p. 231). Il peut s’agir de pratiques telles que l’agriculture communautaire urbaine (Earthworks Urban Farms, Georgia Street Community Garden, Rising Pheasant Farms etc. dans l’East Side ; Greening Detroit à l’échelle de la ville) ; la réparation de maisons délabrées (Blightbusters ; Warm Training Center) ou de vélos (bike shops) ; le recyclage ou la récupération d’objets usagés (Heidelberg Project et Mount Elliot Makerspace), etc. L’un de nos enquêtés, manager d’une ferme urbaine alternative exprime bien ce désir d’autosuffisance, ou d’autonomie :
« En ce sens, c’est vraiment personnel pour moi ; parce que c’est une façon pour moi de m’ancrer, de me centrer et de travailler à ça ; parce que ça fait vraiment partie de ma culture, de mon mode de vie et aussi de mes croyances, de vivre près de la terre, et d’être autonome [30]. »
21Ou encore :
« La raison pour laquelle nous avons cet atelier de vélo communautaire est de montrer aux gens comment réparer et entretenir leurs propres vélos : pour qu’ils puissent se rendre à leurs entretiens d’embauche, pour aller chercher leurs ordonnances, pour voir leur famille, pour aller faire des courses. C’est vraiment important pour nous d’être en mesure d’aider les gens à réparer et entretenir leur propre moyen de transport, et en ce sens je pense que c’est directement lié à ce que nous faisons, aider les gens à devenir plus autonomes [31]. »
23L’altruisme consiste en « l’accomplissement d’actes et de services pour autrui, qui ont une valeur sur le marché, sans recevoir de compensation financière » [32] (ibid., p. 231), comme c’est le cas des banques alimentaires ou des soupes populaires, nombreuses à Detroit (par exemple Capuchin Soup Kitchen dans l’East Side). Enfin, l’échange et la coopération consistent en « l’échange de biens ou de services – le troc ou autre – sans utiliser l’argent comme moyen d’échange » [33](ibid., p. 231) comme c’est pratiqué par exemple dans l’East Side au sein du Georgia Street Community Garden, où les voisins échangent du miel produit sur place contre des services de bricolage ou d’informatique.
24Pour étoffer cette catégorisation, nous pouvons développer quelques exemples, notamment les initiatives d’agriculture urbaine, initiatives très populaires en ce moment à Detroit et qui sont le plus fréquemment relatées par les médias étrangers. Actuellement, selon l’organisation Greening Detroit, 1 600 jardins communautaires ont été recensés dans la ville (Gallagher, 2010), chiffre conséquent même si ce chiffre est très mouvant puisqu’un jardin peut naître ou disparaître très rapidement. À titre de comparaison, il y aurait en 2009 environ 490 jardins communautaires à New York pour un peu plus de 8 millions d’habitants. Les organisations communautaires qui y participent sont nombreuses et dessinent un paysage idéologique varié (problématiques à consonances plus ou moins sociales, raciales, écologiques etc.) constitué de réseaux associatifs – Greening Detroit, Detroit Black Security Food Network, Detroit Food Policy Council etc. – et de fermes urbaines – Earthworks Urban Farm et D-Town Farm pour les plus connues. Ces initiatives abordent différents problèmes selon les champs de la société envisagés. Sur le plan économique, elles visent toutes à remédier à la présence ténue de supermarchés, qui s’est effilochée au fur et à mesure que les gens ont quitté la ville – Detroit est parfois qualifiée de désert alimentaire (food desert) (Cummins et Macintyre, 2002) – et à la difficile accessibilité aux produits frais, en fournissant des produits abordables pour la population la plus pauvre (notamment via des banques alimentaires). D’un point de vue spatial, elles abordent le problème de l’espace vacant en aménageant et en occupant les friches – dont les organisations ne sont souvent pas propriétaires ou qu’elles n’ont pas le droit d’utiliser comme jardin communautaire ou ferme urbaine. Sur le plan social, elles s’attachent à créer des liens communautaires et à favoriser les interactions sociales à l’échelle du block, du quartier, de la ville. Un autre exemple intéressant concerne les initiatives immobilières qui essaient de faire face à la dégradation du bâti. Certaines organisations comme Blightbusters [34] ou Warm Training Center nettoient des rues ou des quartiers en détruisant des maisons vides et délabrées, qui ont tendance à attirer des squatters, des dealers et qui constituent une menace de sécurité pour les enfants qui jouent dedans. Certains d’entre eux utilisent ce qu’ils appellent la « déconstruction » : il s’agit du démantèlement organisé des maisons délabrées, qui sont ensuite revendues en pièces détachées, permettant de recycler des matériaux.
25Ces propositions à court terme, qui prennent racine dans les problèmes quotidiens, peuvent-elles ouvrir une voie pour penser des nouveaux modèles urbains pour Detroit, voire amorcer une réflexion sur une éventuelle résilience pour la ville ?
De nouveaux modèles urbains pour rendre Detroit résiliente ?
Définitions et enjeux d’utilisation du concept de résilience dans le cas de Detroit
26La notion de résilience est de plus en plus utilisée dans les sciences du risque. Le risque (hazard) résulte de l’exposition d’un enjeu (element at risk) à un aléa (extreme event), c’est-à-dire une source de danger. Lorsque la menace devient réalité, le choc produit des dommages matériels, des perturbations ou des dysfonctionnements. Ces dommages étant rarement irréversibles, il y a ensuite la plupart du temps redressement (recover), reconstruction (rebuilt), renouvellement (renew), retour à l’équilibre, à la normale, etc. Autant de situations que l’on associe a la notion de résilience, qui étymologiquement, renvoie à l’idée de rebond (rebound) (Djament-Tran et al., 2012). La résilience est « la capacité d’un système à intégrer dans son fonctionnement une perturbation sans pour autant changer sa structure qualitative » (Aschan-Leygonie, 2000). Adaptée à la géographie, la résilience doit donc désigner la capacité des systèmes (sociaux, spatiaux, économiques, etc.) à se reproduire : elle n’implique pas la continuité sans changement mais la capacité d’un enjeu à se maintenir, voire à intégrer, la perturbation à son fonctionnement (Djament-Tran et al., 2012).
27On a déjà beaucoup fait remarquer que la résilience est un « concept nomade », c’est-à-dire un concept transdisciplinaire, dont le sens évolue en franchissant les limites disciplinaires (Stengers, 1987). La résilience est à l’origine un concept physique, transféré dans les sciences sociales, en particulier en psychologie et en économie, après un détour par l’écologie. La résilience au sens physique mesure la capacité d’un objet à retrouver son état initial après un choc ou une pression continue. En écologie, un écosystème dit résilient est capable d’absorber les effets d’une perturbation. Plus récemment, Rob Hopkins, le leader du mouvement Transition Town a utilisé le concept de résilience pour aborder la question de la dépendance au pétrole, le définissant comme le degré de capacité d’un lieu à absorber un choc (dans ce cas la fin de l’essence abondante et pas chère) sans s’effondrer (Hopkins, 2008). En économie, la résilience est très similaire à ce qu’elle signifie en science écologique : c’est l’aptitude d’un système économique à revenir à son état d’équilibre avant la perturbation.
28Mais la question qui se pose ici est celle de la pertinence de l’utilisation du concept de résilience pour le cas de la ville de Detroit. A priori, Detroit n’a pas subi d’aléa au sens d’un phénomène ou d’une manifestation naturelle relativement brutal(e) affectant une zone donnée, ni de catastrophe. Pourtant, aussi bien le terme de résilience, que la comparaison avec des lieux ayant subi des catastrophes, y sont constamment convoqués. L’un de nos enquêtés a utilisé, à plusieurs reprises, le terme de résilience [35], ou plutôt de résilience économique :
« C’est – les inégalités chroniques et systémiques – un énorme problème et la manière dont nous comptons aborder les problèmes liés à notre système alimentaire est d’utiliser la nourriture qu’on fait pousser comme un moyen de nous extraire du système dont nous avons dépendu, de créer une résilience économique. Donc il ne s’agit pas seulement de se nourrir, mais aussi de devenir économiquement autosuffisant [36]. »
30Ici, l’enquêté fait référence au sens de résilience en économie, impliquant la durabilité et la persistance de l’activité économique (Djament-Tran et al., 2012). Mais aussi, dans des expressions courantes employées par les habitants, la référence à la catastrophe est sans cesse convoquée, comme s’il y avait à Detroit un rapport analogique à la catastrophe. Detroit est par exemple souvent comparée à la Nouvelle-Orléans : « Detroit, c’est la Nouvelle-Orléans sans l’ouragan [37]. » Si l’on en pousse le sens jusqu’au bout, cette phrase est à comprendre comme « Detroit n’a pas eu besoin d’un ouragan pour ressembler à la Nouvelle-Orléans post-Katrina ». Ou encore, si on reste dans le schéma classique de l’analogie, « X est à Detroit ce que Katrina est à la Nouvelle-Orléans ». Si c’est une analogie entre Detroit et la Nouvelle-Orléans alors il faut trouver le comparé de « Katrina » dans le cadre de Detroit. Nous nous retrouvons alors devant une équation à une inconnue. C’est ce X qui nous intéresse : s’agit-il de la crise économique ? de la désindustrialisation ? du déclin urbain ? L’enjeu de cette résolution est de comprendre avant tout quel « aléa » a frappé Detroit, afin de pouvoir penser une quelconque résilience. Hors du registre de la catastrophe naturelle, on repère aussi des analogies avec des attaques terroristes. D’où cette tirade du révérend démocrate Jesse Jackson, le 29 septembre 2010 : « Detroit, Michigan, c’est Ground Zero » [38]. Ici, Detroit est comparée au site du World Trade Center post-attentats du 11 septembre, soit à un lieu de destruction absolue. À nouveau, il faut trouver le comparé, ce qui à Detroit, serait l’équivalent du 11 septembre à New York. À Detroit, l’aléa n’est pas aussi spectaculaire et circonscrit que Katrina, malgré des conséquences sociales, économiques, paysagères non pas similaires mais tout au moins comparables. Il s’agit d’un aléa qui s’apparente le plus vraisemblablement à la crise économique donc un aléa latent, flou, à la temporalité vague. Le problème à Detroit c’est qu’il n’y a pas de temps T de la catastrophe, contrairement à l’ouragan Katrina ou aux attentats du 11 septembre. De la même façon, sans temps arrêté de la catastrophe il n’y a pas d’état initial fixé. En effet, dans une perspective de résilience pour Detroit, quel état « normal » ou d’« équilibre » rechercher ? Est-ce celui de l’âge d’or de Detroit, de la croissance liée à l’industrie automobile ? On comprend aisément que, si l’on choisit cette norme, la résilience ne peut être qu’un mirage pour Detroit, cet état étant impossible à retrouver dans le contexte actuel.
31Notre angle d’approche est donc de savoir dans quelle mesure les organismes communautaires à but non lucratif peuvent proposer comme modèles de résilience pour Detroit. La diversité des modèles de résilience permet plusieurs options. Résilience morphologique ? Résilience culturelle ? Économique via la réorganisation de l’activité économique dans le système mondial ? Transformation de l’organisation des réseaux et services ? Sociale via la transformation des rapports sociaux et le règlement de la question de la ségrégation ? Politique via la transformation des rapports politiques et la refondation du rapport entre citoyens et gouvernement local ? (Hernandez, 2012).
Résiliences et modèles urbains
32Aux États-Unis, certains évoquent un « optimisme de la catastrophe » (Rozario, 2005) en se basant sur les retours d’expérience de l’incendie de Chicago de 1871 et du tremblement de terre de San Francisco en 1906. Héritage de la culture pionnière et du protestantisme – la rédemption et le triomphe après les épreuves, signe d’une élection divine – la résilience est considérée aux États-Unis comme un rite de passage et une mesure de valeur (Hernandez, 2012). C’est comme si la résilience était nécessaire au système urbain en tant que la ville se renouvelle par des cycles de destructions créatrices. La résilience passerait alors par la reconstruction d’une ville plus grande et plus riche (Bigger, Richer). Les dangers de table rase ou de maintien des logiques de domination ont en d’ailleurs été montrés (Djament-Tran et al., 2012). À Detroit, la crise dure depuis trop longtemps pour qu’on puisse parler d’« optimisme ». En revanche on pourrait dire qu’il y a une rémanence de la logique de croissance, qui fut celle de Detroit dans la première moitié du xxe siècle, alors que la ville est depuis plusieurs décennies en décroissance – aussi bien économique que démographique. Detroit a construit son identité sur une puissante croissance industrielle, économique et démographique ; maintenant, c’est une shrinking city qui incarne la crise urbaine aux États-Unis. Difficile pour Detroit de faire face à ce déclassement [39], qui continue à faire des dépenses somptuaires : un nouveau pont vers le Canada, la reconstruction et l’élargissement de l’Autoroute 94, un nouvel hôpital en centre-ville de 500 millions de dollars. Quiconque a été à Detroit sait que la ville est largement suréquipée et qu’elle n’arrive même pas à entretenir ce qui existe déjà. Il semble que le gouvernement urbain a une vision de comeback pour Detroit, cherchant à recréer un semblant de gloire d’antan par le biais d’investissements majeurs. Cette vision correspond à une certaine conception de la résilience, celle de la capacité d’un système a maintenir son intégrité et surtout a revenir a un état qui peut être l’état antérieur, l’état d’équilibre, la normale, lorsqu’il est soumis a une perturbation ; sens qui découle très directement de l’écologie et des travaux de C. S. Holling (Holling, 1973). Ici, la norme ou l’équilibre pour beaucoup à Detroit c’est l’âge d’or d’une ville économiquement florissante ; même si l’idée n’est pas forcément de revenir à cet état antérieur par les mêmes moyens. Or Detroit doit repenser son cadre économique et urbain dans son ensemble, voire inverser son modèle économique afin de l’adapter aux problématiques contemporaines.
33Mais il y a néanmoins chez certains cette idée que la crise urbaine est une opportunité pour faire de Detroit une ville meilleure, tout en changeant radicalement de modèle. En effet, le déclassement de Detroit peut être considéré comme une opportunité par les organisations communautaires à but non lucratif, pour tester des modèles urbains alternatifs. Dans ce sens, Detroit peut être vu comme un laboratoire de pratiques alternatives : débarrassée de fait de ses lieux de consommations comme les malls et les supermarchés, pourquoi ne pas en faire une occasion de repenser la ville américaine ? Cela ne veut pas dire qu’il y a négation des coûts sociaux du déclin, ou transformation d’une crise en opportunité, mais plutôt qu’on prend acte de la situation, qu’on estime l’ampleur des dégâts afin d’y apporter des réponses. C’est notamment le point de vue des organisations communautaires engagées dans des pratiques économiques alternatives. Quels modèles proposent-ils ?
Une ville plus petite, plus dense, plus compacte ?
34Le rétrécissement pourrait être l’occasion de voir la petitesse (small) comme une échelle appropriée pour une ville. Une ville plus petite est généralement une ville plus abordable, avec des réseaux communautaires denses, des temps de déplacement plus courts et un lieu où les nouvelles idées peuvent être testées à une échelle gérable, avec des résultats rapides. Les logiques de solidarité de quartier qui émergent en ce moment correspondent à ce modèle. Cependant, au même moment, la municipalité parle de réduire le territoire urbain (downsizing) : la question est donc actuellement extrêmement controversée. L’une de nos enquêtées évoque ce débat, entre les habitants qui disent : « Ne me déplacez pas, faites venir des gens dans mon quartier. Je suis bien ici. Vous ne pouvez pas fermer des parties de la ville [40] », et les impératifs du cabinet du Maire : « Il ne peut pas se permettre de tout éclairer, de nettoyer les rues, de ramasser les ordures, il ne peut pas le faire avec l’argent dont la ville de Detroit dispose [41] […]. Il va vraiment devoir fermer la ville sur des kilomètres pour avoir des quartiers agréables et bien développés [42]. » Aujourd’hui, le Maire encourage les gens à quitter leur quartier en y réduisant les services : certains quartiers ne sont plus éclairés afin d’inciter les habitants à le quitter. La mairie ne coupe pas l’électricité du jour au lendemain, mais arrête de lutter contre la dégradation en ne remplaçant plus les lampadaires cassés. Ce genre de mesures a rendu les habitants sceptiques face à toute initiative de planification urbaine comme le projet Detroit Works en cours. Rendre la ville plus compacte, c’est la rendre plus durable – la densité permettant une économie d’espace et de ressources – mais c’est aussi, pour la municipalité de Detroit, faire des économies sur les dépenses liées aux services. La fin justifie-t-elle les moyens, ou plus précisément, une meilleure redistribution des services est-elle justifiée par un déplacement de population effectué à force d’expropriations ou par des procédés plus insidieux, en laissant une population vivre dans le noir, parmi ses déchets ?
Une ville plus environnementale, plus écologique, plus durable ?
35À l’instar des jardins communautaires, le modèle environnemental est peut-être le plus convoqué dès lors qu’on évoque le futur de Detroit (Gallagher, 2010). Des projets de jardins potagers, de coulées vertes (greenways), de pistes cyclables sont sans cesse en chantier et mobilisent une grande partie des organisations communautaires. Les principaux détracteurs de ce modèle rappellent que les initiatives environnementales ne permettent pas la croissance économique, la création d’emplois et donc le maintien de la population – sans même parler de regain. Certaines organisations développent des formations aux green jobs (métiers de l’environnement) afin de créer une passerelle entre environnement et économie, bien que celle-ci reste ténue. Dans ce modèle risque d’émerger une contradiction entre résilience écologique et résilience économique.
Une ville plus citoyenne, avec un fonctionnement participatif ?
36L’implication des citoyens dans les décisions est nécessaire a la cicatrisation urbaine. Pour qu’il y ait vraiment résilience, l’idée que l’on fait société doit exister, il faut qu’il y ait refonte de la citadinité. Or à Detroit on a souvent constaté des processus de décision à sens unique dont les habitants sont quasiment otages. Prenons l’exemple de Detroit Works, projet de planification urbaine proposé par la municipalité à propos duquel les habitants ont été rapidement sceptiques, comme le relate une de nos enquêtées : « Les gens ont tout de suite entendu que l’espace allait être rétréci, que les maisons allaient être déplacées et à cause de cette approche, les gens étaient sur la défensive par rapport au futur, au lieu d’être engagés [43] ». D’où la refonte en 2012 de Detroit Works avec un processus plus participatif, mis en place à travers des sessions régulières de discussion avec les habitants dans la ville, divisée en cinq zones. Autre entrave à la participation, la défiance des habitants de Detroit face aux pouvoirs publics, dont les promesses se sont systématiquement révélées fausses. Chaque plan urbain apparaît comme le recommencement d’une velléité avortée, comme le rappelle une enquêtée : « Et honnêtement, à chaque fois qu’il y a un nouveau maire, c’est une nouvelle opportunité pour faire un nouveau plan. Et les gens sont fatigués ! Ils sont juste fatigués de ça [44] ». Diane E. Davis a particulièrement bien montré avec l’exemple de l’investissement contestataire des résidants de Mexico City dans le processus de planification et de reconstruction de leur ville après le tremblement de terre de 1985, comment la résilience a également à voir avec le rétablissement de la légitimité du pouvoir, ce qui suppose pour les autorités de comprendre et de répondre aux priorités que les citoyens demandent pour leur ville. Autrement dit, il ne s’agit pas pour la ville reconstruite d’être la plus juste dans l’absolu, mais d’apparaître comme la plus conforme aux attentes des résidents (Hernandez, 2012).
Conclusion
37Les pratiques économiques alternatives à Detroit prennent la forme de pratiques locales, aux moyens modestes, à la limite de la légalité, mises en place par des organisations communautaires à but non lucratif par nécessité face à la crise. Émanant de courants différents – plus ou moins orientés vers des problématiques raciales, spatiales, écologiques, technologiques etc. – et abordant par là-même de nombreux champs de la vie quotidienne, elles répondent aux conséquences de la crise économique et urbaine qui touche Detroit. D’abord, à l’échelle individuelle, à la pauvreté des habitants ; ensuite, à l’échelle de la ville, à l’impossibilité de la municipalité à assurer un certain nombre de services urbains comme le transport, le ramassage des ordures, le démantèlement des maisons en ruine etc. Elles remplissent alors un vide laissé par la municipalité de Detroit. Si la société civile à l’échelle locale est capable d’être réactive et innovante, elle ne se heurte pas moins à l’ampleur du problème : il ne s’agit pas de sauver un quartier en crise urbaine, mais une ville en crise urbaine, abritant de surcroît 700 000 habitants. Un problème de compatibilité entre la modestie des moyens et l’échelle du problème demeure. De même, les acteurs de ces pratiques, les organisations communautaires à but non lucratif proposent des solutions à court terme, dont il faut étudier la viabilité à long terme. Elles se situent aussi, par définition, dans un espace de pouvoir alternatif et sont dépendantes de financements de sociétés philanthropiques – donc dans une position fragile. En mettant en place ces pratiques, elles donnent néanmoins des pistes matérielles pour penser le futur de Detroit selon de nouveaux modèles urbains, qui ont tous en commun une volonté d’inversion du modèle traditionnel, fondé sur la croissance et les investissements de capitaux. Elles abordent ainsi la question de la résilience, qui se heurte néanmoins à des questions de temporalité, non seulement à cause de la difficulté d’identifier l’aléa à Detroit, mais aussi de fixer des seuils qui définiront l’état de résilience. En outre, la résilience est un construit discursif, qui permet de qualifier a posteriori une situation en lui conférant une dimension positive. La catastrophe peut être présentée comme l’occasion d’une « nécessaire » purification de la « mauvaise » ville pour que puisse émerger la bonne ville après la catastrophe. Si l’on voit bien l’intérêt politique – la résilience devient la propriété désirable d’un système vers lequel la gestion doit tendre –, la pertinence opérationnelle de la notion devient moins évidente (Djament-Tran et al., 2012). Faut-il donc appeler à une réflexion sur la résilience de Detroit ou se garder des « dangers » qu’elle comporte ?
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Mots-clés éditeurs : résilience urbaine, Detroit, pratiques économiques alternatives, crise économique, organisations communautaires
Date de mise en ligne : 07/01/2013
https://doi.org/10.3917/lig.764.0119Notes
-
[1]
Detroit Free Press, 22/12/2011, « Detroit’s debt crisis even worse than thought, state’s review reveals ».
-
[2]
Départ de la population blanche et aisée vers les banlieues des villes américaines à partir des années 1950.
-
[3]
Il y eut des précédents notamment en 2009.
-
[4]
« They can lay off as many people as they want, they can cut programs, the can make economic decisions and screw districts and they can disregard collective bargaining, agreements between unions and the districts or the City. »
-
[5]
Detroit Free Press, 15/06/2012, « Bing needs to fight crisis at people’s level ».
-
[6]
Terme récent – inventé à partir du cas de Détroit – caractérisant des photos et des vidéos de quartiers ou de bâtiments en ruine dans les villes en déclin.
-
[7]
« Conscious practices oriented toward a use value economy. »
-
[8]
« A wide range of economic activities taking place – from urban gardening to cooperative childcare – that do not involve the exchange of money. »
-
[9]
« The results of this component of our survey point to fairly broad disenchantment with the capitalist system. »
-
[10]
New York Times, 23 février 2012, « Delusious about the Detroit Bailout » par Steven Rattner.
-
[11]
Dans cet article, et sauf mention contraire, la seule ville de Detroit sera étudiée (713 000 habitants selon le dernier recensement effectué en 2010 par le US Census Bureau).
-
[12]
« The closing, downsizing, and relocation of plants and sometimes whole industries. »
-
[13]
« The rusting of the Rust Belt began neither with the much-touted stagflation and oil crisis of the 1970s, nor with the rise of global economic competition and the influx of car or steel imports. It began, unheralded, in the 1950s. »
-
[14]
« Before the introduction of automated engine production at Ford’s Cleveland plant, it took 117 workers to produce 154 engine blocks per hour ; after automation the same output required a mere 41 workers. »
-
[15]
« The nation’s poster city for urban dystopia » ; The « poster child of urban decay ».
-
[16]
Metropolitan Statistical Area d’environ 10 000 km2.
-
[17]
Le taux de chômage officieux serait en fait plus proche de 50 %.
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[18]
Par exemple les Pick-up et les SUV (Sport Utility Vehicle).
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[19]
New York Times, 23 février 2012, « Delusious about the Detroit Bailout » by Steven Rattner.
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[20]
Mesure qui avait été mise en œuvre en 2008 pour attirer des réalisateurs à Detroit et dynamiser l’industrie du cinéma.
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[21]
Fondé en 1885, le DIA est l’un des plus anciens et des plus prestigieux musées de Detroit.
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[22]
Detroit Performance Dashboard, http://www.detroitmi.gov/DetroitPerformanceDashboard.aspx.
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[23]
Organisation à but non lucratif fondée en 1995 pour honorer l’héritage de James et Grace Boggs, militants et théoriciens de la reconstruction des villes.
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[24]
« Exactly even for people that have cars you have to make a decision, if you’re gonna feed yourself or if you’re gonna put gas in your car. »
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[25]
Un jardin communautaire est un jardin ouvert au public, géré collectivement par ses membres. Ces parcelles aménagées en jardins d’agrément ou en jardins potagers sont le résultat d’une appropriation spontanée par des citoyens, de parcelles urbaines inusitées. Les jardins communautaires ont été le signe d’un réinvestissement d’espaces publics délaissés, non pas par le privé, mais par des communautés d’habitants qui ont créé un nouveau mode de propriété publique.
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[26]
As John Gallagher puts is, « […] since dealing with the dysfunctional city bureaucracy requires a degree of tenacity and patience beyond most of us, many people have simply squatted on the vacant properties, fencing them off or planting them as gardens » (p. 30).
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[27]
« Not so much because of a sudden ideological conversion but as a result of the impossibility of living by the rules of the market. »
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[28]
« Thus, the notion of reconstructing everyday life around autonomous practices that do not rely on banks or governments became more realistic than the traditional pattern of economic behavior. »
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[29]
« Work people do for themselves rather than going to the market to pay for goods and services ».
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[30]
« In that sense it’s really personal to me because it’s a way for me to ground myself and center myself and work on doing it, because it’s very part of my culture, of my lifestyle and part also of my beliefs, of living close to the earth, and being self reliant. »
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[31]
« The reason why we have this community bike shop is to show individuals how to fix and maintain their own bikes, so they can get to places like job interviews, to get their prescriptions, to see their family, to go grocery shopping, so it’s really important for us to be able to help people to fix and maintain their own power of means of transportation and in that sense I think it’s directly related to what we’re doing, helping people to become more self reliant. »
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[32]
« The performance of acts and services for others that are worth something in the market, without receiving financial compensation ».
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[33]
« Exchanging goods or services – bartering or the like — without using money as the medium of exchange ».
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[34]
Littéralement « se débarasser des ruines ».
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[35]
« Resilience » en anglais.
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[36]
« It’s (systemic and chronic inequities) a huge problem and so the way that we intend to address these problems around our food system is using our growing food as a way to win ourselves off the system we that we have been depending on, create economic resilience. So it’s not just about feeding ourselves, but becoming economically reliant as well. »
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[37]
« Detroit it’s New Orleans without the hurricane. »
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[38]
France Info, 26/10/2010, Detroit, de « Ground Zero » a Green City.
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[39]
Detroit, aujourd’hui la 15e ville du pays, fut un jour la 4e.
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[40]
« People say :’Don’t move me, move other people in my area. I’m still here. You can’t close down parts of the city ».
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[41]
« He can’t afford to light it all, clean the streets, dump the trash, he can’t do it with the amount of money that the City of Detroit has ».
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[42]
« Literally he (Mayor Bing)’s going to have to shut down miles of the City in order to be able to have nice developed areas. »
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[43]
« People heard first off that land is going to be shrunken, houses are going to be moved and the way they approached it was, people were very defensive about what was going to happen, instead of engaged. »
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[44]
« And frankly every time there’s a new mayor there’s a new opportunity to do a new plan. And people are tired ! They just get tired of this. »