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Article de revue

L'espace et les approches américaines de la sécurité nationale (1958-2010)

Pages 85 à 94

Notes

  • [1]
    Elle figure dans un des premiers rapports « Preliminary Design of an Experimental World-Circling Spaceship » de ce qui allait devenir la Rand Corporation mais qui était alors la Douglas Aircraft Company’s Engineering Division.
  • [2]
    Désordre international.
  • [3]
    William Cohen, Directive 3100-10, 9 juillet 1999. Selon lui, l’espace devait être considéré comme « un milieu au même tire que la terre, la mer ou l’air au sein duquel les activités militaires nécessaires aux objectifs nationaux de sécurité nationale seront conduites. La capacité à accéder à l’espace et à l’utiliser est un intérêt national vital car nombre des activités conduites dans ce milieu sont cruciales pour la sécurité nationale et pour le bienêtre économique des États-Unis. » En conséquence, « toute interférence intentionnelle avec les systèmes spatiaux des États-Unis sera vue comme une atteinte à nos droits souverains. Les États-Unis se réserveront alors la possibilité de prendre toute mesure d’auto-défense appropriée, y compris, si telle est la décision des autorités nationales de commandement, l’usage de la force pour répondre à cette atteinte. »
  • [4]
    Le traité ABM/SALT (1972) est le premier traité bilatéral de limitation des armements stratégiques entre les États-Unis et l’Union soviétique.
  • [5]
    US National Space Policy, 31 août 2006. (www.ostp.gov/html/US%20National%20Space%20Policy.pdf).

1Tout juste âgée de cinquante ans, l’histoire de l’occupation humaine de l’espace pourrait se trouver bouleversée au xxie siècle. Non pas tant en raison d’hypothétiques retours sur la Lune ou voyages vers Mars, aujourd’hui reportés mais non annulés, mais plutôt du fait d’un ancrage de plus en plus solide de l’idée d’occuper militairement l’orbite terrestre ou l’espace proche. Depuis quelques années, des projets supposés d’armes spatiales nourrissent la controverse. Un test de destruction d’un de ses satellites par la Chine en janvier 2007, suivi un peu plus d’un an plus tard par un essai jumeau réalisé cette fois-ci par les États-Unis, ont semblé confirmer la crainte selon laquelle une forme d’« arsenalisation » de l’espace s’opérerait sous nos yeux Même si des essais antisatellites ont déjà eu lieu avant d’être abandonnés dans les années soixante-dix, le sujet est revenu sur le devant de la scène. La dernière version officielle de la politique spatiale américaine publiée par la Maison-Blanche, en octobre 2006, a dévoilé des positions radicales quant à la protection des moyens ou des capacités américaines d’agir dans l’espace. Ce texte s’inscrit dans une continuité qu’il amplifie au plan symbolique et à laquelle il donne une finalité politique, celle de la régulation, voire du contrôle de l’activité spatiale internationale. Là réside plus précisément la nouveauté. Jusqu’à présent, ce type d’objectifs n’avait pas fait l’objet d’affichage politique, jamais en tout cas au point de devoir être sérieusement pris en compte dans les discussions internationales. Il s’agit ici d’analyser les raisons de tels changements et d’évaluer les orientations futures nationales et internationales qui s’offrent au nouveau Président américain.

Évolution de l’approche militaire de l’espace

2Très logiquement, l’intérêt politique et militaire pour l’espace et ses utilisations a évolué au gré des enjeux qui ont marqué les grandes périodes stratégiques du xxe siècle. L’histoire de l’espace, très documentée aujourd’hui, fournit de nombreuses preuves de l’intérêt constant témoigné par les autorités aux usages militaires de l’orbite terrestre, aux États-Unis comme en Union soviétique. Cette caractéristique distingue l’espace militaire des grands programmes civils d’exploration ou d’occupation humaine, dont le soutien politique a toujours été plus instable. Si le programme d’exploration de la Lune, Apollo, peut apparaître comme symbolisant l’âge d’or de l’espace aux États-Unis, il masque une réalité faite de calculs de court terme, sans bénéfice du soutien de stratégies scientifiques bien établies. Apollo servait d’abord à proclamer la supériorité du système américain sur son équivalent soviétique, idée remise en cause depuis le lancement de Spoutnik en 1957 par l’URSS. Une fois cette mission remplie, la NASA dut sa survie à l’habileté de stratégies bureaucratiques permanentes, fondées sur des calculs électoraux et sur les jeux de pouvoirs internes à la Beltway de Washington. Elle a également su mobiliser dans l’opinion l’héritage symbolique des pionniers de la « Frontière » américaine, sans doute la meilleure garantie aujourd’hui d’une pérennisation des efforts américains pour explorer l’espace et les planètes. Il demeure que ce travail de construction politique doit être constamment renouvelé et ne garantit pas contre l’incohérence des choix qui ont parfois guidé l’espace civil américain depuis plus de trois décennies et dont le programme de Navette spatiale est un des exemples les plus criants.

3L’histoire de l’espace militaire aux États-Unis est tout autre. Un retour sur ses cinquante ans incite à voir plusieurs périodes, ou plutôt plusieurs « couches » historiques qui ont chacune contribué à consolider l’attrait que l’espace militaire a toujours exercé sur les responsables successifs.

La « couche » stratégique : le lien historique entre espace et stratégie nucléaire (1958-2009)

4Aux États-Unis comme en Union soviétique, l’activité spatiale a dû son essor à une conjonction d’événements d’une portée militaire sans précédent. Sur fond de Guerre froide naissante, deux technologies ardemment soutenues par l’effort de guerre, la mise au point de vecteurs balistiques à longue portée et la mise au point de charges nucléaires capables de destructions massives, débouchaient enfin. Créant les conditions d’une véritable compétition entre les deux superpuissances, la rencontre de ces deux techniques agitait le spectre de l’ultime « attaque surprise », nécessairement dévasta-trice. Le caractère évidemment irrationnel d’une coexistence aussi potentiellement instable va très vite inciter les deux puissances à chercher les moyens d’une meilleure connaissance des capacités (militaires) et des intentions (politiques) adverses. C’est ici qu’il faut chercher le lien qui unit « Espace » et stratégie nucléaire. Ce lien se bâtit très tôt aux États-Unis, autour de l’intérêt qu’il y aurait à placer un objet en orbite autour de la Terre pour photographier les arsenaux balistiques tout en restant hors de portée de défenses anti-aériennes en progrès constant. Cette idée, suggérée dès 1946 [1], est à l’origine de l’intérêt politique américain pour l’espace. Les premières photographies du territoire de l’URSS prises depuis l’espace parvenaient à Dwight Eisenhower en août 1960, soit un peu plus de trois mois après la destruction de l’avion espion U-2 américain par les défenses soviétiques.

5Très vite, les applications spatiales spécialisées dans le renseignement (observation, écoute électronique, détection des tirs de missiles, suivi des campagnes d’essai) ont contribué à rendre praticable une coexistence fondée sur l’idée de « destruction mutuelle assurée » (ou MAD Mutual Assured Destruction en anglais). Ces utilisations de l’espace dites de niveau stratégique sont en quelque sorte devenues le moyen de faire fonctionner le rapport de force nucléaire. Ceci au point de leur confier un rôle pivot dans les traités de limitations des armements nucléaires négociés dès les années soixante-dix avec l’assentiment des parties américaine et soviétique. Ces « moyens techniques nationaux », euphémisme désignant des moyens spatiaux officiellement gardés secrets aux yeux du grand public, devenaient même la condition permettant à chacune des parties d’envisager plus sereinement la perspective de limitations devenues mutuellement vérifiables. Ces programmes aux États-Unis sont alors rapidement devenus un « must » politique que chaque président avec le projet « d’œuvrer pour la paix » se devait de garantir et d’amplifier.
Aujourd’hui ce lien n’est pas rompu et constitue l’essentiel des programmes de satellites militaires et des efforts de Recherche et Développement spatial du Pentagone. Bien sûr, de nombreux prolongements budgétaires existent dans d’autres activités militaires, au premier rang desquelles celle consistant à mettre en place un bouclier stratégique anti-missile. Ce programme se nourrit très largement de perfectionnements acquis au fil des ans dans les techniques d’observation et de discrimination (infrarouge, hyperspectral, etc.) et contribue aussi au renforcement du socle de cette couche « stratégique » toujours très actuelle de l’espace militaire américain.

La couche « opérative et tactique » : l’espace « au service » du champ de bataille (1991-2009)

6Si la fin de la période de Guerre froide à la fin des années quatre-vingt n’a donc pas signifié l’abandon des satellites de niveau « stratégique », les progrès techniques et le nouveau contexte de sécurité ont conduit les autorités militaires à élargir leur usage alors que le rôle des forces armées dans leur ensemble se trouve repensé. L’heure est alors à imaginer des situations nouvelles d’emploi des forces dans un contexte géostratégique « dérégulé » qui promet selon la terminologie de l’époque l’avènement d’une « multipolarité » incontrôlable. [2] Selon les stratèges américains, le rapport de force nucléaire n’est plus l’Alpha et l’Oméga de l’équilibre stratégique mondial. Les États-Unis, s’ils veulent s’arroger le statut de seule puissance dominante, doivent donc s’assurer de leur supériorité militaire conventionnelle face à des adversaires non dotés de l’arme nucléaire mais néanmoins déterminés.

7Miser sur la technologie spatiale correspond au pari que fait alors l’administration Clinton de sa capacité à édicter de nouvelles règles dans les rapports de force internationaux. Il s’agit ici de faire correspondre à la modernisation militaire une démarche de puissance plus fondamentale fondée sur l’avance acquise par les États-Unis dans le domaine de la haute technologie et des technologies de l’information en particulier. Le calcul est simple : l’emploi généralisé des moyens spatiaux confère un bonus au pays technologiquement le plus avancé, financièrement le plus puissant et politiquement le plus influent. En d’autres termes, une activité spatiale soutenue revêt un caractère normatif. Il est frappant de constater que les années qui ont vu les forces armées bénéficier de ces efforts de modernisation spatiale ont également été celles d’un niveau d’activité rarement atteint pour créer de nouvelles normes politiques et industrielles. Il s’agissait alors d’exploiter les capacités américaines les plus avancées en matière d’observation de la terre (libéralisation commerciale en 1994 des satellites à haute résolution) ; de localisation par satellites (décision de diffuser la plus haute précision au grand public sous contrôle gouvernemental prise en 1996) ; ou de conclure des accords commerciaux avec des entreprises de lancement russes, ukrainiennes ou chinoises pour réorganiser l’activité mondiale de lancement. Largement fondé sur la domination américaine dans les technologies de l’information et des réseaux, le projet politique de l’administration Clinton intégrait alors l’effort militaire dans ce projet à vocation plus large. Notons simplement que les autoroutes de l’information chères au vice-président Al. Gore, également le tenant d’un projet civil mondial de « grille globale de l’information » ( Global Information Grid, ou GII) constituaient le pendant à l’effort de révo-lution dans les affaires militaires (RMA) alors à l’œuvre au Pentagone. Il s’agissait notamment, dans les deux cas, de s’appuyer sur l’explosion attendue de futures constellations de satellites de communications à très large bande passante. L’explosion de la « bulle internet » et de l’activité de l’industrie de services qui lui était associée aura finalement raison de ces projets. Elle mettra un net coup d’arrêt à ces rêves de puissance et confortera la remise en cause du bien-fondé, notamment militaire, de cette course en avant.
Néanmoins, cet ensemble d’orientations des années quatre-vingt-dix a contribué à structurer en profondeur un nouveau paysage industriel américain en même temps qu’il a fait évoluer assez largement les concepts d’emploi des applications spatiales.

La couche « sécuritaire » : l’espace au service de la « sécurité » des États-Unis (1999-2009)

8C’est à l’horizon 2010 que ces programmes s’appliqueront vraiment, dessinant un dispositif militaire américain bien différent de celui d’il y a 20 ans. Car cette priorité donnée à la technologie, désormais conçue comme une véritable « valeur refuge » de la sécurité américaine, produit ses effets sur les missions mêmes de « sécurité et de Défense ». Là encore, les technologies spatiales sont au premier plan de ces changements, au point de discerner l’apparition d’une nouvelle « couche » de missions centrée sur la sécurité, en complément de la « couche » de missions strictement dévolues aux combattants.

9En premier lieu, la vitesse acquise dans l’injection de nouvelles technologies, notamment spatiales, dans le dispositif militaire américain va rapidement conduire les stratèges du Pentagone à vouloir tirer parti plus encore de cette avance. Dès 1999, de nombreux spécialistes évoquent l’idée selon laquelle les programmes spatiaux ne doivent pas être de simples « multiplicateurs de force », mais doivent jouer le rôle plus fondamental de « catalyseurs stratégiques » ( Strategic Enablers ). Au-delà du jargon technocratique, l’idée est simple : les futurs systèmes d’armes doivent non seulement utiliser les fonctionnalités offertes par les systèmes spatiaux, mais ils doivent en fait êtres conçus autour de ces fonctionnalités. Le cas du guidage par satellite est cité le plus souvent à travers le fait que, désormais, les futures munitions guidées intègrent dans leur architecture même le lien spatial, impliquant par exemple des conséquences sur la gestion du spectre électromagnétique pour leur permettre de fonctionner, sur leur possible miniaturisation (avec comme corollaire des « concepts d’emploi » modifiés, par exemple), etc.

10Cette tendance traduit bien évidemment la perception générale du caractère polyvalent de tels systèmes d’information. Ils ébauchent en fait de véritables architectures de l’information, utilisables aussi bien à des fins militaires qu’à des fins plus générales, essentiellement orientées vers la sécurité nationale, voire vers le renforcement des positions américaines de pointe en matière économique et industrielle. Sur ce point, l’évolution devient alors indistincte, sur l’exemple des usages de l’Internet, vecteur aussi bien de nouvelles normes de comportement (telles celles édictées par exemple par l’entreprise Google ), que de nouvelles façons de gérer l’art de la guerre avec le projet inquiétant – mais toujours d’actualité – d’attribuer une adresse IP ( Internet Protocole ) à chaque missile ou à chaque munition qui pourrait alors être accessible et contrôlable directement par le réseau. L’idée d’une GII opérant en quelque sorte la jonction entre la RMA et les « autoroutes de l’information » puise aujourd’hui nettement sa source dans les nouveaux besoins de sécurité « post-septembre 2001 ». Loin de disqualifier la technologie de défense, le choc subi s’est au contraire traduit, sous la présidence de George Bush, par un renforcement du mouvement amorcé par l’administration Clinton. Le gonflement simultané des budgets de défense et de sécurité intérieure (avec la création d’un Department for Homeland Security en mars 2003) a créé les conditions d’un nouveau phasage du contexte politique (intérieur et extérieur) avec l’activité spatiale de défense. Le fait est que l’architecture spatiale américaine dépasse aujourd’hui de loin les systèmes spatiaux d’autres pays dans sa capacité à mobiliser en permanence de nombreuses applications pour de nombreuses fonctions étatiques.

11Là encore, il faut prendre soin de rappeler que cette évolution était en germe dès les années quatre-vingt-dix. À la toute fin de l’administration Clinton, William Cohen, alors secrétaire d’État à la défense, faisait un aveu essentiel, et pourtant fort peu noté à l’époque, au sujet du caractère crucial de ces technologies. Dans un texte adressé à ses subordonnés, et constituant la deuxième directive spatiale militaire de l’histoire américaine, Bill Cohen soulignait que les technologies spatiales étaient devenues « un intérêt national vital » pour les États-Unis. [3] L’emploi d’une terminologie finalement très proche de phrases souvent entendues dans le domaine nucléaire n’était probablement pas dû au hasard. Car les autorités américaines, affirmant le caractère central pris par les systèmes spatiaux, aussi bien au plan militaire qu’au plan économique ou industriel, souhaitaient bien signifier qu’il devenait légitime pour tout État souverain de les protéger par tous les moyens.
Prolongement naturel de cette course en avant, une autre vague d’applications spatiales militaires pouvait prendre place, celles destinées au contrôle de l’espace. En 1995, une doctrine dite du « Space Control » était déjà formulée et publiée par le Pentagone. Il devait revenir à l’administration de George W. Bush de la traduire en termes budgétaires et en programmes.

Fig. 1

Le programme de défense antimissile du président Bush

Fig. 1

Le programme de défense antimissile du président Bush

La quatrième époque de l’espace américain ? Vers un espace « Contrôlé » (2000-2009)

12L’arrivée de l’administration Bush s’accommodait a priori fort bien de cette évolution. Ayant fait campagne sur le rejet de l’objectif général prôné par Bill Clinton d’une diplomatie active « d’élargissement et d’engagement » placée au cœur de la politique de sécurité nationale, la nouvelle présidence voit l’inflexion spatiale du Pentagone mieux s’accorder avec sa rhétorique plus traditionnelle fondée sur la puissance militaire.

13Telle qu’elle avait été définie dans les années quatre-vingt-dix, la doctrine du Space Control comprenait des mesures défensives mais aussi potentiellement offensives. Trois grandes catégories d’activités étaient en effet concernées : le renforcement des moyens de surveiller l’espace, la protection passive des satellites en orbite (durcissement des équipements électroniques, capacité de manœuvre), la mise au point d’armes spatiales.

14Ce dernier volet était cependant peu goûté du pouvoir politique démocrate, Bill Clinton ayant même usé de son veto pour contrer les tendances « militaristes » du Congrès républicain dans ce domaine. Ces préventions du pouvoir exécutif allaient bientôt disparaître au profit d’une liberté beaucoup plus grande laissée au Congrès et au Pentagone pour établir les budgets et les doctrines d’emplois nécessaires au développement de ces programmes. Ainsi, un premier document doctrinal de l’Armée de l’Air américaine était publié en septembre 2004 sur les « opérations contre-spatiales » ( Counterspace Operations ) qui détaillait à la fois les projets d’armes spatiales et l’organisation à mettre en place pour leur mise en œuvre. L’abrogation décidée par G. Bush en 2002 du traité ABM [4] limitant le nombre de systèmes antimissiles russes et américains facilitait théoriquement la mise en place de programmes spatiaux aux capacités plus offensives. Très rapidement, certains programmes se mettent en place, avec un cas au moins d’entrée en service accélérée, celui d’un programme de brouillage des satellites opéré depuis le sol, annoncé comme opérationnel dès la fin 2004.

15Ces prolongements ont été officialisés par une nouvelle politique spatiale présidentielle datée d’août 2006 et rendue publique deux mois plus tard [5]. Sans annoncer de réelles nouveautés par rapport au document précédent daté d’octobre 1996, cette directive a frappé par son ton plus « direct », moins soucieux d’établir un consensus sur la marge de manœuvre qu’entendaient se réserver les États-Unis sur la question du contrôle de l’espace. Cette direc-tive a depuis souvent été interprétée à l’aune de cet unilatéralisme militariste dont la politique américaine a semblé affligée ces dernières années.

Le dilemme américain

16Depuis ce texte, quelques événements, doublés d’une réflexion un peu plus active des pays concernés, ont laissé entrevoir toute l’ambiguïté voire, de façon plus prosaïque, toute l’inefficacité d’une sécurité spatiale et globale fondée sur ces seules tendances au militarisme.

17En premier lieu, la destruction par la Chine, en janvier 2007, d’un de ses satellites en fin de vie montrait le caractère irréaliste d’un contrôle unilatéral des moyens spatiaux, aucune contrainte (hormis l’usage d’armes de destruction massive) ne pesant sur la souveraineté nationale dans l’utilisation de l’espace circumterrestre. Mais, plus largement, l’impact de ce « test » par le nombre de débris créés concernait au premier chef les États-Unis, possesseurs du plus grand nombre de satellites en orbite basse dès lors automatiquement menacés par ces débris. La « réplique » américaine non avouée, intervenue en février 2008 avec la destruction d’un satellite militaire américain en perdition présenté comme un danger pour les populations de la planète, n’a en rien réglé le problème. La sécurité des moyens spatiaux dépend sans doute au moins autant d’une bonne coopération internationale qu’elle ne réside dans la mise en place d’armes spatiales. Cette « insuffisance » fondamentale affecte particulièrement les États-Unis, finalement les plus vulnérables dans l’espace. Du strict point de vue militaire, nombre de voix se sont élevées pour souligner le paradoxe selon lequel le développement d’armes spatiales de destruction par impact physique ne ferait qu’augmenter les risques pour l’ensemble de la communauté internationale, États-Unis en tête. À certaines altitudes désormais, la probabilité de collisions non intentionnelles devient non négligeable, ce qu’a encore prouvé la collision accidentelle entre un satellite américain et un satellite russe intervenue en février 2009.

18Cette idée trouve évidemment aujourd’hui un écho particulier avec une présidence Obama désireuse d’apposer sa signature à tout projet permettant de régulariser les relations des États-Unis avec le reste de la communauté internationale. Une fenêtre va-t-elle s’ouvrir pour bâtir de nouvelles relations spatiales internationales ? Après tout, le domaine spatial ne se prête-t-il pas à ce type d’avancées, hautement symboliques, politiquement gratifiantes et finalement (relativement) peu coûteuses pour la sécurité américaine ? Peutêtre, alors même que l’entourage du nouveau président américain va jusqu’à évoquer à mots couverts la perspective d’un nouveau traité prohibant l’usage d’armes dans l’espace. Dès lors, l’ère du « Space Control » fait-elle sens pour les États-Unis et fonde-t-elle réellement une nouvelle période de l’histoire spatiale ? Il est permis d’en douter tant le projet de société correspondant a semblé inscrit dans une période particulière de la vie politique américaine. Il est intéressant de constater que les derniers mois de l’administration Bush ont déjà vu se produire une inflexion de la politique unilatéraliste prônée dans la directive de 2006. Ainsi, des contacts ont été établis pour mieux échanger les informations relatives à la surveillance spatiale. Ces contacts prennent en compte des efforts internationaux en cours pour étoffer les systèmes de surveillance de l’espace, en Europe notamment. De façon plus symbolique, l’idée d’un régime international, d’un « code de bonne conduite » proposé par l’Union européenne en 2008 et prônant une plus grande transparence dans les activités spatiales, n’a pas été déconsidérée par l’administration finissante.
Remarquons simplement que, passé l’effet symbolique de ces avancées, les difficultés demeurent. Citons celles de la quasi-impossibilité à définir la notion même d’arme spatiale, ou plus précisément d’en établir l’emploi après tout accident survenu en orbite. L’espace demeure aujourd’hui un milieu difficile d’accès et d’usage, fondamentalement fragilisant. Pour ceux qui maîtrisent l’envoi et l’utilisation d’objets dans l’espace, maintes possibilités de pannes, d’interférences ou de destructions, intentionnelles ou non, sont par nature possibles. La perspective d’une meilleure sécurité collective, heureusement ouverte par l’avènement d’une nouvelle présidence aux États-Unis et par une prise de conscience plus large des réalités de l’activité spatiale dans le monde, ne se traduira pas par la levée des incertitudes fondamentales qui entourent ces activités. Les autorités américaines le savent, qui demeurent aujourd’hui partagées entre leur désir de consolider à long terme leur prééminence dans l’espace et leur volonté de ne pas en faire un nouveau facteur de faiblesse à plus court terme.

Notes

  • [1]
    Elle figure dans un des premiers rapports « Preliminary Design of an Experimental World-Circling Spaceship » de ce qui allait devenir la Rand Corporation mais qui était alors la Douglas Aircraft Company’s Engineering Division.
  • [2]
    Désordre international.
  • [3]
    William Cohen, Directive 3100-10, 9 juillet 1999. Selon lui, l’espace devait être considéré comme « un milieu au même tire que la terre, la mer ou l’air au sein duquel les activités militaires nécessaires aux objectifs nationaux de sécurité nationale seront conduites. La capacité à accéder à l’espace et à l’utiliser est un intérêt national vital car nombre des activités conduites dans ce milieu sont cruciales pour la sécurité nationale et pour le bienêtre économique des États-Unis. » En conséquence, « toute interférence intentionnelle avec les systèmes spatiaux des États-Unis sera vue comme une atteinte à nos droits souverains. Les États-Unis se réserveront alors la possibilité de prendre toute mesure d’auto-défense appropriée, y compris, si telle est la décision des autorités nationales de commandement, l’usage de la force pour répondre à cette atteinte. »
  • [4]
    Le traité ABM/SALT (1972) est le premier traité bilatéral de limitation des armements stratégiques entre les États-Unis et l’Union soviétique.
  • [5]
    US National Space Policy, 31 août 2006. (www.ostp.gov/html/US%20National%20Space%20Policy.pdf).
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