Notes
-
[1]
Centre de Recherche Risques et Vulnérabilités ; Université de Caen Normandie, Esplanade de la Paix, CS 14032, 14302 Caen Cedex.
-
[2]
Cf. également Pierre, 1989 ; Serna, 2016 ; Traïni, 2010.
-
[3]
Voir aussi le statut du cheval comme possible nourriture (Leteux, 2005).
-
[4]
Entretien que j’ai réalisé en 2016 avec un responsable d’entreprise funéraire pour animaux.
-
[5]
Ibid.
-
[6]
Ibid.
-
[7]
Témoignage d’une responsable d’une entreprise funéraire pour animaux, publié dans « Organiser les obsèques de son animal de compagnie, c’est possible », Blog des chats heureux [En ligne]. Mis en ligne le 30/10/2015 (consulté le 20/11/2015). URL : http://www.blog-chats-heureux.fr/actualites/organiser-les-obseques-de-son-animal-de-compagnie-cest-possible/
-
[8]
Le Point, avec AFP, 2013.
-
[9]
Le Point, avec AFP, 2013.
-
[10]
Les tarifs, en 2019, sont compris, pour les habitants de Caen, entre 68 et 80 euros selon le poids de l’animal. La durée de la concession de quatre ans est renouvelable au tarif unique de 68 euros. En fait, les personnes sont reçues par les employés du service des espaces verts dont dépend la forêt. Après une aide pour remplir les documents administratifs avec les propriétaires, les animaux sont maintenus au froid et les agents enterrent l’animal couvert de chaux sans présence des propriétaires. Voir le site : https://caen.fr/animaux-en-ville (consulté le 22/07/2020).
-
[11]
Entretien que j’ai réalisé en 2016 avec un agent municipal responsable des espaces verts et du cimetière.
-
[12]
Ibid.
-
[13]
Ibid.
-
[14]
Ibid.
-
[15]
Ibid.
-
[16]
Cf. également Veyrié 2011 ; 2014.
-
[17]
Entretien que j’ai réalisé en 2017 avec une femme âgée de 60 ans au sujet de la présence d’animaux dans le cimetière.
-
[18]
Entretien que j’ai réalisé en 2016 avec une femme âgée de 75 ans possédant un terrain.
1Engager une réflexion sur les cimetières pour les animaux de compagnie et les micro-rites funéraires attenants intègre nos travaux de recherche réalisés depuis quelques années sur le deuil dans sa dimension subjective, intime et sociale, mais aussi dans la confrontation de l’être à l’avoir (Veyrié, 2012). Nous développons une socio-anthropologie de la mort, mise en œuvre par Louis-Vincent Thomas (1994 [1975] ; 1978), qui s’attache à rappeler que la crainte du pouvoir égalisant de la mort est présente à différents niveaux de notre société néo-libérale et démocratique. Le deuil, comme une expérience intime de l’absence radicale de l’être cher, est soumis aux enveloppes formelles de cette société qui valorise des comportements performants à toute épreuve. Or, il n’est pas une épreuve quantifiable. Il s’abat sur les personnes. Il contredit alors cette logique et sa temporalité est aujourd’hui entravée par des attentes sociales qui ne laissent pas aux individus une réelle prise sur leur vie. Une fois les rites funéraires passés, qui nécessitent le maintien d’un symbolisme pour aider les vivants dans leur peine, les personnes sont seules face à leur deuil subjectif. Mais qu’en est-il quand il s’agit de la perte des animaux de compagnie ?
2Nous pensons que les individus s’attachent aux animaux parce qu’ils sont des témoins et des soutiens fidèles au fil d’une vie qui est fragmentée. Quand ils meurent, les êtres humains peuvent-ils exprimer leur peine ? La place accordée aux animaux dans la vie est-elle la même après leur mort ? Peut-on alors parler de deuil ? Cette manifestation de la peine et de l’attachement peut-elle éclairer notre rapport à la mort des humains ? Afin d’y répondre, nous proposons d’étudier cette perte à partir d’espaces singuliers : les cimetières pour les animaux de compagnie. En premier lieu, nous évoquerons la construction d’une sensibilité des humains envers ces animaux, notamment grâce à des lois mises en œuvre et la constitution d’un mouvement de la protection animale dès le xixe siècle. De ce fait, c’est la place accordée à la dépouille des animaux que nous souhaitons analyser. Ensuite, nous comparerons deux cimetières qui leur sont réservés – celui fondateur d’Asnières-sur-Seine et celui de Grimbosq en Normandie. Nous avons visité ces lieux et dans la perspective d’une démarche qualitative, quelques témoignages de « propriétaires » d’animaux et de professionnels qui prennent en charge la dépouille des animaux seront utilisés. Que signifie ce choix aujourd’hui ?
Place de l’animal, sensibilité et rapport à la mort
3Aujourd’hui, les animaux de compagnie sont très présents dans nombre de pays occidentaux. En France, Jean-Pierre Digard souligne que, de 1960 à 2014, ils sont passés de 30 à 62 millions (Digard, 2018 : 17). La relation de l’homme envers l’animal s’est modifiée par une distinction progressive entre l’animal domestique et l’animal de compagnie. Certains animaux ne sont plus considérés comme des bêtes de somme vivant à proximité des hommes et ils deviennent ainsi des compagnons dans la vie affective des individus. Comme le rappelle Daniel Roche, le cheval, souvent perçu comme un animal à la fois proche de l’homme et digne, était auparavant exploité :
C’est pour nous l’occasion de rappeler que le cheval est partout dans le développement de l’industrie, dans les moulins, dans les mines, dans les brasseries et animant les mécaniques de manufacture, et que son emploi est encore longtemps valable économiquement. Au total, à la fin du xviiie siècle, il fournit vraisemblablement plus du tiers de la totalité de l’énergie dont dispose chaque habitant de l’Europe occidentale.
5Éric Baratay, pour sa part, écrit qu’au xixe siècle, les chiens sont utilisés comme des animaux de trait,
qui doivent tirer de lourdes charrettes, jusqu’à une centaine de kilos, sur dix à quarante kilomètres, souvent par une attache bricolée (une courroie, voire une ficelle liée au collier) avec laquelle ils se compressent le cou et la tranchée, subissent une forte gêne respiratoire, souffrent et fatiguent. […] Car, dans la plupart des milieux, ces chiens sont considérés comme des valeurs négligeables, faciles à obtenir ou à remplacer gratuitement du fait de leur prolifération […], et de l’errance. Acheter un chien est pour beaucoup le « comble de la bêtise humaine » !
7En France, la Société protectrice animale (SPA) est créée en 1845. C’est la loi du 2 juillet 1850 (dite de Grammont) qui a instauré une punition envers les personnes qui exercent de mauvais traitements sur les animaux quand ces actes sont commis en public (une amende, voire un à cinq jours de prison). Toutefois, cette loi visait à arrêter l’exposition des mauvais traitements insupportables pour certains en vue d’« éduquer » une partie de la population aux mœurs « brutales ». Comme le démontre Maurice Agulhon,
bien au contraire, on avait en vue quasi exclusivement, en tout cas principalement, les animaux domestiques, menacés par la violence de leurs maîtres, et l’on espérait qu’en réfrénant cette violence mineure, on aiderait à réfréner la violence majeure des humains entre eux. La protection des animaux voulait être une pédagogie […]. C’était un problème de relation à l’humanité, et non de relation à la nature.
9Dans son développement de 1850 à 1914, la SPA a lutté pour l’exécution de la loi, sa connaissance dans l’opinion et « contre l’indifférence quasi-permanente des pouvoirs publics » comme le démontre Éric Pierre (2007) [2].
10La défense de la cause animale s’est prolongée aux xxe et xxie siècles de différentes manières. Dans la loi française, l’animal n’a pas de personnalité juridique ; il est considéré comme des biens meubles. Toutefois, la loi no 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature reconnaît à l’animal domestique la nature d’« être sensible ». Le Code pénal (articles R651-1, R653-1, R654-1) prévoit aussi des sanctions contre les actes de cruauté, les sévices et les mauvais traitements envers les animaux domestiques et apprivoisés. Dans le Code civil (article 515-14), les animaux sont définis comme des êtres vivants doués de sensibilité depuis février 2015. Malgré cela, comme le souligne Florence Burgat :
Après n’avoir visé que les animaux domestiques violentés en public, la législation française a étendu son champ aux animaux apprivoisés et tenus en captivité. Quelle que soit son espèce […], l’animal demeure un bien saisissable. L’animal n’est individualisé que lorsqu’il se trouve inclus dans une relation avec l’homme, que celle-ci soit d’ordre économique ou affectif ; ce qui semble indiquer que les animaux sont dépourvus d’individualité intrinsèque et qu’ils ne peuvent en acquérir une que par une relation avec l’homme.
12Dans cette relation humaine, quelque part contrainte, une place à la sensibilité envers eux fait jour de manière plus affirmée.
13Si, peu à peu, les animaux sont considérés comme sensibles, alors les hommes peuvent l’être aussi envers eux. Comme le souligne Claude Fischler (2001 [1990] : 133), ce sont dans les sociétés les plus riches, les plus nourries, que la sensibilité a été développée, tout comme un intérêt pour le désir et la souffrance des individus et des animaux. Les animaux de compagnie partagent la vie quotidienne des hommes, sont introduits très souvent à leur domicile. Ils deviennent des compagnons patients, fidèles, qui communiquent d’une manière différente :
Aujourd’hui, le chien s’est complètement métamorphosé. Il n’est plus qu’un artefact de luxe ou d’agrément dans une société devenue assez prospère pour ne plus avoir à compter sur sa force de travail. Membre à part entière de la famille, il a cessé d’être un animal domestique pour entrer dans le cénacle des animaux de compagnie.
15La possession d’animaux de compagnie n’est pas un phénomène totalement nouveau, mais elle est devenue une « passion populaire » (Digard, 1999 : 24). Les individus dévoilent des sentiments passionnés et leur accordent un statut singulier dans leur quotidien.
16Aujourd’hui, les animaux de compagnie permettent effectivement à l’homme de conserver un rapport sensible à la vie dans une société où l’accélération (Rosa, 2013) est prégnante. L’animal, y compris en temps de crise sociale, est un soutien pour les individus, un refuge permanent. Il devient source de « bien-être », voire de soins (Michalon, 2014). Ce besoin de « posséder » des animaux de compagnie, notamment dans les sociétés occidentales, révèle en fait notre rapport à la vie et à la mort. Bien qu’apprivoisé, l’animal de compagnie est un double de l’homme, un être qui aide l’enfant dans son apprentissage de la vie et un représentant de la Nature que l’homme ne sait plus protéger. C’est un garde-fou. Il traverse une partie de la vie de certains hommes qui sont peinés et fragilisés devant et après sa mort. La disparition de l’animal de compagnie révèle qu’il était « co-configurateur du monde humain » (Brohm, 2008 : 125).
17Cette peine est quelquefois perçue comme le témoignage d’un anthropomorphisme et donc superflue en comparaison avec les souffrances de l’humanité. Cet engouement des hommes pour les animaux de compagnie et leur affliction après leur mort semblent aussi montrer qu’ils sont indifférents au destin, bien différent, des animaux d’élevage. Ces animaux nourrissent l’homme et, au travers d’une industrialisation de masse, sont réduits à des choses dans les derniers instants de leur vie, notamment dans la mort à l’abattoir (Rémy, 2004). Comme le souligne Sébastien Mouret, il y a une banalisation de la mort « par un traitement de masse des animaux considérés comme des “choses” dont la mort est anonyme » (Mouret, 2012 : 24). Élisabeth de Fontenay précise que cette logique de rentabilité conduit même au gaspillage des animaux puisque, dans certaines situations, ils sont tués « pour rien : pour que nous ne les mangions pas » (Fontenay, 2008 : 24) [3]. Jocelyne Porcher, pour sa part, démontre que, du fait d’une gestion de leurs cadavres, une souffrance humaine au travail est présente (Porcher, 2011 : 83) ! La mort des animaux, notamment dans les rues, s’est transformée, aujourd’hui, en une mort bien plus cachée.
18S’agit-il d’un comportement dichotomique entre des personnes qui développeraient une sensibilité envers leurs animaux de compagnie et qui pourraient, toutefois, être des consommateurs de viande sans interroger les conditions d’élevage et de mort de l’animal ? Corinne Pelluchon explique que cette sensiblerie des humains envers leur animal de compagnie – au travers d’un « amour fusionnel » – et leur indifférence envers les animaux d’élevage abattus forment un seul et même processus :
Parmi les multiples manifestations de cette impuissance à penser la différence qui rend la sensibilité malade et ne saurait engendrer la compassion, on peut mentionner le fait d’imposer à son animal de compagnie le statut d’un enfant ou de l’obliger à adopter les modes de vie humains, en l’habillant, en le parfumant. Cette manière de choyer son chat ou son chien au point de ne pas les laisser vivre à leur manière et de les obliger à occuper une place qui n’est pas la leur est d’autant plus choquante qu’elle va de pair avec une indifférence totale à l’égard des animaux d’élevage.
20Jean-Pierre Digard (1999 : 99), pour sa part, pense que c’est la passion envers les animaux de compagnie qui est une forme de rédemption de cette indifférence.
21Nous pensons qu’il s’agit effectivement d’un seul et même processus, témoignant alors de la logique d’une société mortifère qui, comme le dénonce Louis-Vincent Thomas (1978), évince la mort tout en la révélant autrement par la résurgence de certaines violences. En fonction de ce contexte, comment l’après-mort des animaux de compagnie s’organise-t-elle ?
Dépouille des animaux et devenir : quelle réalité ?
22Historiquement, le devenir des animaux morts est pris en considération, tout d’abord, pour des raisons liées à l’hygiène. Damien Baldin rappelle, à ce sujet, que :
[l’]expulsion des cimetières des centres-villes à partir du xviiie siècle avait révélé la crainte des effets nocifs de la décomposition des corps humains. Cette même crainte se manifeste face aux tueries et à l’exposition des carcasses d’animaux. Elle se retrouve dans le discours qui critique l’insalubrité des villes et les cadavres d’animaux jonchant l’espace public.
24Les carcasses d’animaux sont autant une source de préoccupations hygiénistes que les chiens et les autres animaux errants évoqués précédemment. Les animaux sont jetés dans les ordures, les fossés ou dans la Seine. C’est un « spectacle » qui devient insoutenable pour une certaine élite. Si la loi de Grammont a permis une avancée quant au sort des animaux maltraités en public, il faut, en effet, attendre la loi du 21 juin 1898, presque cinquante ans plus tard, pour préciser que les animaux domestiques pourront être enterrés dans une fosse située autant que possible à cent mètres des habitations et être recouverts d’une couche de terre d’au moins un mètre d’épaisseur. En fonction de ce contexte, un premier cimetière pour animaux sera autorisé, situé à Asnières-sur-Seine.
25Aujourd’hui, en France, les propriétaires d’un animal de compagnie ont, en fait, plusieurs possibilités, notamment l’enterrement dans un terrain privé soumis à une réglementation ou dans un cimetière pour animaux. Un article de loi (L226-2) issu du Code rural précise que les animaux morts peuvent être enterrés chez soi sous certaines conditions : être propriétaire du terrain, vérifier que le poids de l’animal mort ne dépasse pas les quarante kilogrammes, enterrer l’animal à trente-cinq mètres des habitations et des points d’eau, l’envelopper dans un linge ou dans une boîte – mais pas dans un sac plastique –, creuser un trou d’au moins un mètre pour qu’il ne soit pas déterré par d’autres animaux et recouvrir l’animal de chaux vive. S’il dépasse les quarante kilogrammes, il faudra appeler l’équarrisseur pour qu’il retire l’animal dans les quarante-huit heures sous rémunération. Il devient donc de plus en plus difficile d’enterrer des animaux, surtout pour les personnes qui vivent en ville. Les espaces autour des maisons ne suffisent pas toujours et, de plus, peuvent être soumis à un contrôle. Les personnes qui vivent en appartement n’ont pas la possibilité d’enterrer leurs animaux, sauf dans un cimetière réservé à cet effet. Notons aussi qu’il est interdit de jeter les poissons d’aquarium dans les WC sous peine d’amende, bien que les contrôles soient relativement difficiles…
26Les propriétaires d’animaux peuvent également demander une incinération. Celle-ci est prise en charge par deux corps de métiers : un groupement de vétérinaires et les entreprises funéraires pour animaux. Deux options sont envisageables : l’incinération individuelle, qui réduit l’animal concerné en cendres, ou l’incinération collective, un peu moins chère, qui réunit plusieurs cendres d’animaux. Une différence de prix est relevée entre les différents prestataires (80 à 300 euros pour une incinération individuelle d’un chat ou d’un chien et environ 300 euros pour le cercueil, l’urne, la prise en charge globale de l’après-mort).
27Les contacts avec ces professionnels constituent les premiers échanges avec les propriétaires des animaux. Il y a, en effet, une prise en charge des personnes qui sont fragilisées par cette mort. Ainsi, les entreprises peuvent récupérer le cadavre de l’animal chez les vétérinaires ou au domicile des personnes. Le responsable d’une entreprise spécialisée dans l’incinération-crémation et le transport d’animaux morts (qui pratique de bas prix) explique la nature de ce travail et la réalité de certaines situations :
Des fois, il faut récupérer les animaux morts au milieu de la salle à manger […]. Il faut mettre les gens en confiance […]. Il y a des gens tristes, un cadavre de chat ou de chien au milieu de la pièce […]. Des gens qui ne veulent pas qu’on prenne l’animal, mais qui le veulent aussi. On ne reste pas cinq minutes chez les gens en général [4].
29Il évoque que les bas prix pratiqués sont un choix, que ce travail – qui nécessite des professionnels sensibles envers les animaux et solides face à la redondance de la mort – participe à une prise en charge humaine et sociale. Dans d’autres situations, notamment si les propriétaires ont déjà pratiqué un enterrement, ils peuvent ultérieurement faire appel à une entreprise pour une réduction des restes en cendres :
Les gens, poursuit-il, qui enterraient les animaux mettaient de la chaux vive, tandis que là, maintenant, déjà pour trouver de la chaux vive, ce n’est pas évident, ils ont tendance à faire un trou et à y mettre l’animal ; les prédateurs le déterrent, les renards, les rats… Après, on se retrouve avec des gens qui nous disent « J’ai mon chien qui est déterré, est-ce qu’on peut le faire incinérer ? » [5]
31Les personnes ont la possibilité de choisir l’incinération individuelle et de se recueillir auprès de la dépouille animale :
Ils viennent de plus en plus directement parce qu’ils peuvent assister à l’incinération individuelle, comme pour les humains. Donc, déjà, cela les rassure. Et puis, c’est une bonne chose, ils partent confiants, sans se poser de questions […]. En individuel, il y a beaucoup de gens qui y assistent. […] Les personnes peuvent rester un petit peu avec l’animal avant l’incinération. Un peu pareil que les humains, sauf que c’est moins encadré, il n’y a pas de cercueil par rapport aux incinérateurs qui ne supportent pas le bois. […] On met un drap sur l’animal tout simplement. Après, on ne fait pas de cérémonie, on essaye de rester quand même dans les normes. On respecte, mais si les personnes veulent faire une cérémonie, elles le font chez elles. Ici, c’est plus un centre d’incinération, où on fait incinérer le chien avec tout le respect que l’on doit aux gens et aux animaux [6].
33D’autres entreprises funéraires proposent un accompagnement total des personnes quel que soit leur choix (enterrement dans un terrain privé ; cimetière pour animaux ; dispersion des cendres). Une responsable de société d’obsèques pour animaux de compagnie témoigne de cet accompagnement :
Le jour J., on prépare avec beaucoup de soin l’animal, on le rend « décent ». Il est primordial que les familles puissent revoir une dernière fois leur fidèle compagnon dans des conditions dignes. Puis vient le moment de la cérémonie de recueillement avant inhumation ou incinération : un moment où la personne va se recueillir auprès de son animal, lui parler, lui dire à quel point il a compté pour lui. Ce recueillement a lieu soit au cimetière avant l’enterrement ou l’incinération, soit à domicile avant l’enterrement privé [7].
35Dans ces pratiques, la vue de l’incinération est souvent perçue par les professionnels comme traumatisante pour les individus. Quant aux cendres, elles peuvent être dispersées ou ramenées chez soi à l’inverse des cendres humaines qui, depuis la loi de 2008, ne peuvent plus l’être aussi librement. Ainsi, une dame âgée de 67 ans m’a confié que, depuis la mort de sa chatte âgée de dix ans, elle n’avait pas encore souhaité disperser les cendres, les conservant depuis deux ans dans l’appartement et la boîte fournie par l’entreprise funéraire : « Plus tard, peut-être ».
36Nous allons désormais interroger les situations où l’animal est enterré et ou ses cendres peuvent être enfouies dans des cimetières. Quel est le projet de départ de ces lieux ? Comment les individus peuvent-ils organiser cette après-mort ? Quelles manifestations de leur affliction peuvent-ils vivre dans ces lieux ?
Des cimetières pour les animaux : micro-rites funéraires, attachement et représentations
37Il existe, en France, une vingtaine de cimetières pour animaux associatifs, privés ou publics. Précédemment, le premier cimetière, celui d’Asnières, a été évoqué faisant suite à la loi de 1898. Il est créé en 1899 sous l’égide de deux « amis des bêtes », Georges Harmois, avocat, et Marguerite Durand, journaliste. Ils ont fondé la Société française anonyme du cimetière pour chiens et autres animaux domestiques, puis ont racheté la moitié de l’Île des Ravageurs à Asnières. Le cimetière est situé dans le parc Robinson. Il accueille des animaux de compagnie – des chiens, des chats – mais aussi des chevaux, des poules, des lions, des singes et autres. La loi de 1898 a permis que l’autorisation pour cette création soit donnée par le Préfet.
38Cette préoccupation envers les animaux est indissociable de la manière dont le deuil pour les humains est considéré en cette fin de xixe siècle. La mort est alors qualifiée de « romantique » avec un deuil qui s’exprime – peine, chagrin, recueillement, visites et promenades dans les cimetières, actes pour la conservation des cimetières dans la cité –, comme le démontre Philippe Ariès (1977). Michel Vovelle (1983), pour sa part, évoque que cette préoccupation concerne en fait la bourgeoisie. Laurent Lasne, dans son étude sur le cimetière d’Asnières, écrit que :
[de] telles pratiques funèbres, outre leur dimension affective, révèlent surtout une surprenante ardeur à reconnaître aux animaux une histoire propre, à les soustraire à l’anonymat tentaculaire de la matière.
40De ce fait, le cimetière accueillera, certes, des animaux anonymes – la poule Cocotte, le mouton Faust, Kiki la guenon, le chien anonyme venu mourir devant le cimetière –, mais aussi des animaux sauveteurs, des animaux célèbres et des animaux de vedettes ou de personnages historiques : Moustache le chien héros de l’armée napoléonienne, Drac le chien de la Princesse Élisabeth de Roumanie, Dick le chien des tranchées, le cheval de Marguerite Durand, Rintintin la vedette de série télévisée, Troy Town le cheval de course, etc.
41En 1899, ce cimetière – qui présente une architecture singulière, notamment le portail de style Art Nouveau conçu par Eugène Petit – expose des règles de fonctionnement : « Ni cérémonie, ni décoration ayant l’air de pasticher les inhumations humaines » (Lasne, 1988 : 78). Pour les personnes les plus démunies, une fosse commune est créée. Un siècle plus tard, ce cimetière est racheté par la mairie d’Asnières après une fermeture en 1987 pour déficit. Il est classé comme site par la Commission des Hauts-de-Seine compte tenu d’un intérêt pittoresque, artistique et légendaire, à la demande du ministre de l’Équipement. Sa gestion est alors confiée à une société indépendante. En 1997, la mairie reprend la gestion du cimetière.
42Historiquement, il est l’apanage d’une population aisée. Comme le souligne Katharine MacDonogh, les animaux sont quelquefois choyés, y compris par les princes, parce qu’ils restent fidèles au fil des années :
Si depuis la Renaissance les princes endeuillés glorifient la loyauté et le dévouement de leurs bêtes défuntes, c’est précisément parce que les membres de leur cour et de leur famille sont à peu près dépourvus de ces qualités intemporelles.
44De ce fait, penser à l’après-mort des animaux ne traverse pas toute la population. À ce sujet, comme l’évoque Florence Burgat (2004 : 1037), dans certaines classes sociales plus aisées aux xviiie et xixe siècles, les tombeaux d’animaux témoignent d’un phénomène marginal. Malgré tout, au cimetière d’Asnières, plus de 90 000 animaux sont, aujourd’hui, enterrés dans ce lieu. Précisons que les tarifs sont fixés à 140 euros pour le plus petit emplacement (0,50 m2) à l’année. L’inhumation coûte 70 euros et l’exhumation 120 euros. Les tombes, malgré le règlement de départ, sont devenues des mausolées, des petits caveaux souvent proches des tombes humaines, mais plus chargées en objets et épitaphes. Qu’en est-il, aujourd’hui, des comportements liés à ces animaux enterrés ?
45Des personnes expriment leurs sentiments envers leurs animaux :
« C’est presque des enfants pour nous, ils nous donnent tant d’amour et de joie », explique une vieille dame venue de Saint-Denis pour fleurir la tombe de ses deux chats, Coquin et Coquine. Au moins une fois par mois, « j’apporte des fleurs, je nettoie la tombe, ça n’efface pas la peine mais ça console un peu. » « Ça me fait du bien », témoigne aussi Miranda, retraitée, en déposant des pensées sur la tombe de son caniche et de ses chats. Elle leur « rend visite » deux fois par an [8].
47Voici également quelques épitaphes, que nous avons relevées lors d’une visite au cimetière, qui sont souvent considérées comme une manifestation d’anthropomorphisme :
« Déçue par les humains, jamais par mon chien », « Nous n’irons plus au bois où tu courais joyeux. Je te dépose là mon ami merveilleux », « À mes plus sûrs amis et mes plus fidèles compagnons », « À mon garçon chéri », « Vous êtes partis trop tôt mes tendres petits amis. Votre présence m’a aidé à vivre. Votre maman », « Tu étais ce que j’eus de plus beau dans ma vie. Ton départ m’a broyée ».
49Au sujet de ces épitaphes du cimetière d’Asnières, Louis-Vincent Thomas écrit qu’elles témoignent que « l’animal fait partie de la famille et se trouve ainsi humanisé » (Thomas, 1994 [1975] : 94). Ce comportement n’est d’ailleurs pas dénué d’une spontanéité singulière :
De nombreuses sépultures sont couvertes de fleurs, de joujoux prisés par les toutous, voire de sculptures ou de portraits à l’effigie des bêtes. Le cheval Masserau a ainsi droit à une tombe en forme de fer à cheval. Les balles préférées d’Arry sont déposées délicatement sur sa tombe [9].
51Les tombes d’enfants ne sont pas couvertes de jouets. Bérénice Gaillemin met en évidence que la liberté exprimée à partir des décorations témoignerait d’une « sensibilité extériorisée sans gêne » (Gaillemin, 2009 : 502) dans un lieu différent dans lequel les conventions, les normes et les jugements seraient suspendus. Entre les règles des lieux et la spontanéité des propriétaires d’animaux, ces petits actes, perçus par certains comme superflus, sont des analyseurs d’un rapport à la mort. Certaines personnes n’affichent d’ailleurs pas toujours leur visite au cimetière, s’autorisant aussi des pratiques rituelles différentes de celles des cimetières pour les hommes :
Au contact des visiteurs et en s’attachant aux conversations qui naissent, dans les allées, entre les concessionnaires, on remarque encore une différence avec les cimetières pour les humains […]. Passer les portes revient à s’immerger dans un lieu privilégié et protégé. Ce n’est pas une ville des morts comparable aux cimetières des hommes caractérisés par leurs allées froides et grises, mais au contraire, pour certains, un lieu bien vivant générateur de liens, d’investissements artistiques et personnels, qui permet, au-delà de la mort de l’animal chéri, de se réconcilier avec la vie et les vivants.
53Nous avons visité ce cimetière en 2017. Force est de constater qu’il était moins entretenu ; les objets et les tombes avaient vieilli. Serait-il soumis à une perte d’intérêt tout comme les cimetières pour les êtres humains ? Toutefois, la même année, une courte présentation vidéo est diffusée. Elle montre le cimetière avec des personnes qui viennent se recueillir sur les tombes de leurs animaux depuis longtemps (Pangaïa Productions, 2017).
54Un autre cimetière, municipal depuis sa création en 1981, présente un projet différent que celui d’Asnières. Il s’agit d’un petit cimetière dit de Grimbosq parce qu’il se trouve dans la forêt du même nom localisé dans le département du Calvados à quinze kilomètres de la ville de Caen. Pour s’y rendre, il faut prendre une petite route à la lisière la forêt. En fait, il se fond dans la nature ; les emplacements sont volontairement peu couverts d’objets. Les petites tombes sont discrètes avec des petits écriteaux, des rondins en branche pour les délimiter, aucun granit ou sapinette qui risquerait une profusion en forêt. Dans ce lieu, l’inhumation des petits animaux domestiques (lapin, chat, chien, souris, cochon d’Inde) est autorisée. D’une capacité de 1 000 emplacements, c’est la ville de Caen qui gère le dépôt des animaux dans ses services. Les consignes sont précises :
Aucun public n’est autorisé à assister à l’enterrement de l’animal. Les animaux sont à déposer au jardin des plantes (accueil) avant le lundi soir pour être enterrés dans la semaine suivante. Une plaque mentionnant le numéro d’emplacement, le nom de l’animal et votre nom de famille est posée par le service espaces verts sur un piquet de bois que vous devez impérativement laisser en place [10].
56Les épitaphes révèlent là aussi un anthropomorphisme quelquefois élégant : « Malgré ton dévouement tu m’as quitté. Mais dans nos cœurs restera toujours l’image de ta personnalité, de ta gentillesse, de ta bonté, de ton amitié avec les enfants ». Comme le souligne un des agents interrogés dans le cadre de notre recherche, « il y a un règlement du cimetière ; on n’est pas sévère. On voit l’attachement à l’animal […]. On essaye de rester dans le milieu naturel » [11]. Les agents confirment une certaine spontanéité des propriétaires malgré les règles. Si les propriétaires ne sont pas autorisés à assister à l’enterrement ou à l’incinération des cendres, les agents municipaux travaillant dans la forêt sont souvent à l’écoute lors des visites : « On est en forêt, les gens sont plus ouverts à la parole qu’en ville […]. Ils parlent de leur vie, de tout » [12].
57De plus, la visite des propriétaires varie selon les situations et les âges :
Ce sont souvent des personnes âgées ou des jeunes pour faire plaisir aux enfants […], des personnes qui n’iront qu’une ou deux fois, et les autres très attachées qui viendront plus souvent. Oui, on a des enfants, pas forcément des petits. En général, quand il y a des enfants assez jeunes, les parents viennent seuls mais après, ils envisagent de venir avec les enfants. Souvent le premier ou le deuxième week-end, ils viennent [13].
59Pour certains, il y a des visites plus régulières :
On a des personnes qui viennent toutes les semaines ; une personne vient en vélo tous les deux jours […]. On a des gens très attachés à leurs animaux avec quelquefois plusieurs animaux [14].
61Un exemple est donné, celui d’un homme qui a fait enterrer son animal et qui montrait beaucoup d’attachement post mortem. Cette personne a, par la suite, déménagé et demandé, au bout des quatre ans, à récupérer les petits ossements qui lui seront remis dans une boîte scellée. D’autres personnes cherchent un lieu pour les cendres :
Cela nous arrive d’enterrer les cendres. L’animal a été incinéré et la personne, qui pensait pouvoir le garder sur la cheminée, ou autres, ne supporte pas à un moment et préfère avoir un lieu pour se recueillir [15].
63Au travers de ces organisations, pratiques et témoignages, ces cimetières officiels présentent des espaces dans un cadre où spontanéité, créativité et affliction peuvent trouver une réelle place. Cela n’empêche pas que des cimetières dits « virtuels », c’est-à-dire des pages sur des sites consacrés aux animaux, soient mis en place par des individus ou des entreprises funéraires. Ils permettent également de présenter une photo, quelques lignes et un fleurissement virtuel des animaux. Les personnes peuvent s’épancher assez librement sur Internet, évoquant notamment le souvenir de la rencontre ou de la naissance de l’animal, ainsi qu’un besoin d’associer la famille et les autres petits animaux. Dans certains témoignages, surtout au Québec, le deuil de l’animal est même évoqué directement (Veyrié, 2018) [16]. Ces récits sont publiés à la vue de tous, au même titre que certains témoignages liés à la perte d’êtres humains sur des sites consacrés à cet égard (Bourdeloie, 2018). Dans la possibilité toutefois de se recueillir sur un lieu physique, une femme âgée d’une soixantaine d’années nous a expliqué les raisons du choix d’inhumer des animaux de la famille de ses parents dans le cimetière de Grimbosq :
C’était important pour mes parents, pour nous aussi et pour nos gamins […]. Je pense que ce qui a plu à mes parents, et à nous aussi, c’est le côté nature. Ce cimetière des animaux, c’est ce que je souhaiterais pour moi ; on est enterré sous les arbres [17].
65Elle regrette le côté trop uniformisé des cimetières humains français constitués de tombes en marbre et qui ne sont pas vraiment des parcs.
66Il existe d’autres espaces moins officiels que les cimetières précédemment évoqués : il s’agit des espaces privés sur les terrains de propriétaires d’animaux. Ce sont, pour les individus, de « petits cimetières » dans lesquels un ou plusieurs animaux sont enterrés, leur permettant ainsi de les visiter. Ainsi, une femme âgée de 75 ans m’a expliqué comment, pendant des années, avec l’aide de sa famille, elle a enterré, sur sa vaste propriété, des chiens et des chats notamment, afin de ne pas les abandonner en pleine nature, ceci pour éviter qu’ils ne soient mangés par des animaux sauvages, ce qui aurait été insupportable à ses yeux. Ils sont enterrés dans un trou, puis recouverts de lourdes pierres et de quelques fleurs. Elle précise qu’elle se rend régulièrement dans cet espace, qui prend rapidement le nom de « cimetières des animaux », pour vérifier que « rien n’ait bougé ». Elle s’y recueille aussi, plusieurs de ses animaux y étant réunis, donc plusieurs temps où ces derniers étaient les témoins de sa vie. Elle explique que, souvent, elle s’y est rendue avec d’autres chiens vivants. Si les humains ont quelquefois besoin de ces petits espaces réels, qui nécessitent de se déplacer, il est pertinent de se demander comment les animaux vivants le comprennent. Ainsi, un jour, une de ces jeunes chiennes, qu’elle qualifie de très fine dans sa compréhension des êtres humains, a refusé d’entrer dans ce lieu. Elle semblait effrayée parce qu’elle avait compris que ses semblables y figuraient [18], et donc peut-être elle plus tard. Elle est restée hors de la clôture attendant le retour de sa propriétaire. Dans cette perspective,
ne pas tenir compte de la place des animaux dans la construction de la subjectivité par les animaux, c’est se priver d’éléments de compréhension importants de nos conduites. Car les animaux nous éduquent.
68Dans toutes ces situations, on assiste à l’expression de micro-rites funéraires, c’est-à-dire de petits rites qui ne sont pas fédérés, qui ne comportent pas tout à fait le respect de toutes les étapes et de la temporalité propres aux rites de passage liés à la mort, mais qui participent à l’articulation à la vie (Thomas, 1985). Ils sont peut-être beaucoup moins soumis à une société de consommation qu’il n’y paraît. Ils témoignent d’une spontanéité singulière, d’une nécessité de considérer d’autres êtres vivants comme des compagnons de joie et de tristesse. L’animal accompagnateur dans le passage des humains décédés vers d’autres mondes permettrait à nouveau de protéger les humains d’une société soumise à une uniformisation des relations humaines. Qu’en est-il des représentations et des frontières animal/humain face à cette mort et à l’éventuel deuil de l’animal de compagnie ?
69Un rejet social est présent à cause d’une crainte de comportements où l’humain n’existerait plus, obnubilé par l’animal de compagnie :
Beaucoup de visiteurs sont d’ailleurs peu respectueux face à cet amour et à ce traitement considérés hors normes. La vue des tombes provoque rires et railleries tant on se moque facilement de ces gens bizarres aux idées jugées saugrenues.
71Éric Baratay précise les difficultés à évoquer le deuil de l’animal parce que sa définition est réservée à la perte des êtres humains :
Le départ crée un vide, annonce la fin d’une époque, ouvre un temps de nostalgie, laisse dans un état de désarroi. D’une durée et d’une intensité variables selon les individus, le deuil actuel suit les mêmes étapes que l’humain […], mais s’ajoute la difficulté ou l’impossibilité de le vivre ouvertement, de le dire à son entourage, car le rejet social est (encore ?) important.
73Jean-Christophe Vincent pour sa part, souligne que l’inhumation autorisée et officielle des animaux de compagnie peut paraître accessoire par rapport à une mort refoulée tant dans le déroulement du mourir que dans celui du deuil (Vincent, 2001 : 38).
Conclusion
74L’animal de compagnie, choyé et aimé, introduit au domicile dans la vie intime des individus, est toutefois, à sa mort, perçu socialement comme un être qui ne nécessite pas ou plus trop d’attentions. La perte de l’animal de compagnie qui provoquerait un deuil, surtout en France, est inimaginable pour certains, comme si elle détrônait l’être humain dans l’intentionnalité de ses rituels funéraires, comme si elle pouvait mettre en danger les frontières entre le deuil des êtres humains et la peine envers la mort des animaux. Mais que nous apprennent finalement ces différents propriétaires d’animaux qui composent avec spontanéité des micro-rites, sans trop les évoquer ? À partir de ces micro-rites qui peuvent paraître anodins, la question est bien de savoir si l’animal demeure un analyseur de notre société, y compris dans sa mort. Les individus semblent tenir à investir ces espaces, à plus ou moins longue durée, physiquement et virtuellement, afin de ne pas oublier l’animal, en particulier en ville où la gestion du cadavre est plus complexe. Les attentions à son égard à partir des cimetières étudiés, souvent considérées comme des manifestations d’anthropomorphisme, révèlent peut-être une porosité entre le deuil des humains et celui des animaux, mais aussi le besoin d’avoir un espace-temps réservé à leur souvenir.
Bibliographie
Références bibliographiques
- Agulhon Maurice, 1981. « Le sang des bêtes. Le problème de la protection des animaux en France au xixe siècle », Romantisme, 31, p. 81-110.
- Ariès Philippe, 1977. L’Homme devant la mort, Paris, Éditions du Seuil.
- Baldin Damien, 2014. Histoire des animaux domestiques (xixe-xxe siècle), Paris, Éditions du Seuil.
- Baratay Éric, 2012. Le Point de vue animal. Une autre version de l’histoire, Paris, Éditions du Seuil.
- Blanchard Christophe, 2014. Les Maîtres expliqués à leurs chiens. Essai de sociologie canine, Paris, Zones.
- Brohm Jean-Marie, 2008. Figures de la mort. Perspectives critiques, Paris, Beauchesne.
- Bourdeloie Hélène, 2018. « Vivre avec les morts au temps du numérique. Recompositions, troubles et tensions », Semen. Revue de sémio-linguistique des textes et discours, 45, p. 25-52.
- Burgat Florence, 2004. « Des morts sans sujets. Récupérations symboliques de la mort animale », in F. Lenoir & J.-P. de Tonnac (dir.), La Mort et l’Immortalité. Encyclopédie des savoirs et des croyances, Paris, Bayard, p. 1031-1041.
- —, 2018. Être le bien d’un autre, Paris, Éditions Payot et Rivages.
- Digard Jean-Pierre, 1999. Les Français et leurs animaux, Paris, Fayard.
- —, 2018. L’Animalisme est un anti-humanisme, Paris, CNRS éditions.
- Fontenay Élisabeth (de), 2008. Sans offenser le genre humain. Réflexions sur la cause animale, Paris, Albin Michel.
- Fischler Claude, 2001 [1990]. L’Homnivore. Le goût, la cuisine et le corps, Paris, O. Jacob.
- Gaillemin Bérénice, 2009. « Vivre et construire la mort des animaux. Le cimetière d’Asnières », Ethnologie française [En ligne],39 (3), p. 495-507. Mis en ligne le 05/06/2009 (consulté le 15/07/2020). URL : https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2009-3-page-495.htm ; DOI : 10.3917/ethn.093.0495
- Lasne Laurent, 1988. L’Île aux chiens. Le cimetière pour animaux. Asnières, 1899. Naissance et histoire, Bois-Colombes, A. Val-Arno.
- Le Point, avec AFP, 2013. « Le cimetière d’Asnières, lieu de repos éternel pour Fripon et Rintintin », Le Point [En ligne]. Mis en ligne le 27/10/2013 (consulté le 25/11/2015). URL : http://www.lepoint.fr/societe/le-cimetiere-d-asnieres-lieu-de-repos-eternel-pour-fripon-et-rintintin-27-10-2013-1748438_23.php
- Leteux Sylvain, 2005. « L’hippophagie en France : la difficile acceptation d’une viande honteuse », Terrains et Travaux. Revue de sciences sociales [En ligne], 2005, p. 143-158. Mis en ligne le 10/06/2009 (consulté le 13/07/2020). URL : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00394174
- MacDonogh Katharine, 2011. Histoire des animaux de cour, trad. de l’anglais par D. Momont, Paris, Payot.
- Michalon Jérôme, 2014. Panser avec les animaux. Sociologie du soin par le contact animalier, Paris, Mines ParisTech.
- Mouret Sébastien, 2012. Élever et tuer des animaux, Paris, PUF.
- Pangaïa Productions, 2017. « [Vidéo] Les Âmes de l’Île des Ravageurs », www.pangaia.fr [En ligne], 6 min 20. Mis en ligne le 13/02/2017 (consulté le 10/09/2020). URL : https://vimeo.com/203825698 ou https://pangaia.fr/portfolio/ile-des-ravageurs/
- Pelluchon Corinne, 2011. Éléments pour une éthique de la vulnérabilité. Les hommes, les animaux, la nature, Paris, Cerf.
- Pierre Éric, 1989. « Une société sous la Monarchie de Juillet : la SPA. Formation, idéologie, sociologie », in A. Couret & F. Oge (dir.), Études. Semaine internationale de l’animal, mai 1987, Toulouse. Vol. 3 : Histoire et animal, Toulouse, Presses de l’Institut d’études politiques, p. 315-331.
- —, 2007. « Réformer les relations entre les hommes et les animaux : fonctions et usages de la loi Grammont en France (1850-1914) », Déviance et société [En ligne], 31 (1), p. 65-76. Consulté le 13/07/2020. URL : https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2007-1-page-65.htm ; DOI : 10.3917/ds.311.0065
- Porcher Jocelyne, 2011. Vivre avec les animaux. Une utopie pour le xxie siècle, Paris, La Découverte.
- Rémy Catherine, 2004. « L’espace de la mise à mort de l’animal. Ethnographie d’un abattoir », Espaces et sociétés [En ligne], 118 (3), p. 223-249. Mis en ligne le 01/12/2006 (consulté le 13/07/2020). URL : https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2004-3-page-223.htm ; DOI : 10.3917/esp.118.0223
- Roche Daniel, 2010. « Les chevaux au 18e siècle. Économie, utilité, distinction », Dix-huitième siècle [En ligne], 42 (1), p. 232-246. Mis en ligne le 30/07/2010 (consulté le 13/07/2020). URL : https://www.cairn.info/revue-dix-huitieme-siecle-2010-1-page-232.htm ; DOI : 10.3917/dhs.042.0232
- Rosa Harmut, 2013. Accélération. Une critique sociale du temps, trad. de l’allemand par D. Renault, Paris, La Découverte.
- Serna Pierre, 2016. L’Animal en République. 1789-1802, genèse du droit des bêtes, Toulouse, Anacharsis.
- Thomas Louis-Vincent, 1978. Mort et pouvoir, Paris, Payot.
- —, 1985. Rites de mort. Pour la paix des vivants, Paris, Fayard.
- —, 1994 [1975]. Anthropologie de la mort, Paris, Payot.
- Traïni Christophe, 2010. La Cause animale, 1820-1980. Essai de sociologie historique, Paris, PUF.
- Veyrié Nadia, 2011. « Des rituels funéraires pour les animaux ? Ou quand l’animal questionne l’altérité », Le Sociographe, hors-série no 4, p. 145-157.
- —, 2012. Deuils et héritages. Confrontation à la perte du proche, préface de Roland Gori, Lormont, Le Bord de l’eau.
- —, 2014. « De la mort industrielle “donnée” à l’animal domestique à la perte des animaux de compagnie. Quelles sont les conséquences d’une société mortifère ? », Études sur la mort [En ligne], 145 (1), p. 47-59. Mis en ligne le 16/09/2014 (consulté le 15/07/2020). URL : https://www.cairn.info/revue-etudes-sur-la-mort-2014-1-page-47.htm ; DOI : 10.3917/eslm.145.0047
- —, 2018. « Cimetières virtuels pour les animaux de compagnie : les traces d’un deuil ? », Semen. Revue de sémio-linguistique des textes et discours, 45, p. 149-163.
- Vincent Jean-Christophe, 2001. « Le rapport de l’animal de compagnie à travers le traitement de sa mort (France, xxe siècle) », in L. Bodson (dir.), La Sépulture des animaux : concepts, usages et pratiques à travers le temps et l’espace. Contribution à l’étude de l’animalité. Journée d’étude, Université de Liège, 18 mars 2000, Liège, Université de Liège (Colloques d’histoire des connaissances zoologiques 12), p. 37-54.
- Vovelle Michel, 1983. La Mort et l’Occident. De 1300 à nos jours, Paris, Gallimard.
Notes
-
[1]
Centre de Recherche Risques et Vulnérabilités ; Université de Caen Normandie, Esplanade de la Paix, CS 14032, 14302 Caen Cedex.
-
[2]
Cf. également Pierre, 1989 ; Serna, 2016 ; Traïni, 2010.
-
[3]
Voir aussi le statut du cheval comme possible nourriture (Leteux, 2005).
-
[4]
Entretien que j’ai réalisé en 2016 avec un responsable d’entreprise funéraire pour animaux.
-
[5]
Ibid.
-
[6]
Ibid.
-
[7]
Témoignage d’une responsable d’une entreprise funéraire pour animaux, publié dans « Organiser les obsèques de son animal de compagnie, c’est possible », Blog des chats heureux [En ligne]. Mis en ligne le 30/10/2015 (consulté le 20/11/2015). URL : http://www.blog-chats-heureux.fr/actualites/organiser-les-obseques-de-son-animal-de-compagnie-cest-possible/
-
[8]
Le Point, avec AFP, 2013.
-
[9]
Le Point, avec AFP, 2013.
-
[10]
Les tarifs, en 2019, sont compris, pour les habitants de Caen, entre 68 et 80 euros selon le poids de l’animal. La durée de la concession de quatre ans est renouvelable au tarif unique de 68 euros. En fait, les personnes sont reçues par les employés du service des espaces verts dont dépend la forêt. Après une aide pour remplir les documents administratifs avec les propriétaires, les animaux sont maintenus au froid et les agents enterrent l’animal couvert de chaux sans présence des propriétaires. Voir le site : https://caen.fr/animaux-en-ville (consulté le 22/07/2020).
-
[11]
Entretien que j’ai réalisé en 2016 avec un agent municipal responsable des espaces verts et du cimetière.
-
[12]
Ibid.
-
[13]
Ibid.
-
[14]
Ibid.
-
[15]
Ibid.
-
[16]
Cf. également Veyrié 2011 ; 2014.
-
[17]
Entretien que j’ai réalisé en 2017 avec une femme âgée de 60 ans au sujet de la présence d’animaux dans le cimetière.
-
[18]
Entretien que j’ai réalisé en 2016 avec une femme âgée de 75 ans possédant un terrain.