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Article de revue

L’invention de « l’ouvrier-machine » : esclave aliéné ou pure intelligence au début de l’ère industrielle ?

Pages 27 à 52

Notes

  • [1]
    Centre Georges Chevrier – Sociétés et sensibilités ; Faculté de Droit et de Science politique, 4 boulevard Gabriel, BP 17270 F, 21072 Dijon cedex
  • [2]
    Histoire et mémoires de l’Académie royale des sciences, 1722, H, 44-45, cité par Y. Fonteneau (2014 : 326).
  • [3]
    Voir par exemple l’édition très lue chez Guillaumin en 1843, avec des présentations et éclaircissements par J.-B. Say et A. Blanqui.
  • [4]
    Quoique largement oublié et méconnu, la figure de Lemontey a cependant retenu l’attention depuis longtemps. Cf. notamment Cohen, 1966 ; Frobert, 2001.
  • [5]
    Archives nationales (AN), F7 9786 : Vienne, le 18 janvier 1819 (8 signatures).
  • [6]
    AN, F12 2295 : pétition des fileurs de coton de Paris (13 signatures), s.d.
  • [7]
    L’Artisan, n° 2, 3 octobre 1830.
  • [8]
    AN, F12 4898 : pétition des coupeuses de poils de lapin (13 signatures), Paris, 13 mars 1848.
  • [9]
    Le Censeur, Journal de Lyon, 2 et 3 juin 1848, no 4201 : 4. En ligne sur Numelio, bibliothèque numérique de Lyon (consulté le 12/09/2017) : http://collections.bm-lyon.fr/BML_01PER0030222573?page=4&query[]=barre&withinQuery=parentId:BML_01PER0030222573&hitTotal=3 &hitPageSize=10
  • [10]
    Sur ces conflits et débats, cf. Jarrige, 2009b et 2014.
  • [11]
    L’ouvrage est publié en livraisons en 1845, puis en volume ; cf. aussi le prospectus annonçant la publication.
  • [12]
    L’Atelier, novembre 1847 : 32.
  • [13]
    Sur les lectures socialistes du machinisme naissant, voir Jarrige dir., 2016.
  • [14]
    « Des machines », L’Écho des ouvriers. Publication destinée à l’exposition des besoins des travailleurs et à l’insertion de leurs réclamations, 2, juillet 1844, p. 39-43.
  • [15]
    « Les destructeurs de la famille », L’Atelier, juillet 1848, p. 367.
  • [16]
    Voir les remarques, à partir d’un corpus plus tardif et essentiellement littéraire, d’Isabelle Krzywkowski (Krzywkowski, 2010).

1 D’abord utilisé dans le langage de la guerre et du théâtre pour désigner un dispositif permettant d’obtenir une force, le mot machine et ses usages s’étendent à l’époque moderne pour décrire toute combinaison d’organes ou processus automatique. Mais c’est surtout avec l’industrialisation du tournant des xviiie et xixe siècles, et ses nombreux impacts sociaux, que les usages du mot commencent à proliférer dans une grande diversité d’arènes et de débats. Alors que les machines et automates mécaniques pré-industriels servaient à produire du spectaculaire et à démontrer le pouvoir des puissants, ceux de l’âge industriel visent de plus en plus à accroître l’accumulation des richesses et du profit en modifiant les conditions du travail des hommes (Kunz Westerhoff & Atallah dir., 2011 ; Kang, 2011). Dès lors s’invente peu à peu un vaste débat sur la figure de « l’ouvrier-machine », l’un des premiers avatars du motif récurrent de l’homme-machine – dont le publiciste Pierre-Édouard Lemontey annonce, dès 1801, qu’il sera « timide et sédentaire », « prodigieusement ignorant, crédule et superstitieux » (Lemontey, [1801] 1816 : 180). Cet article propose de revenir sur l’émergence et les usages de l’expression « ouvrier-machine » en France au début de l’âge industriel. Il cherche à explorer les interprétations contradictoires qu’elle suscite dans la première moitié du xixe siècle chez les théoriciens de l’économie politique, des traditionalistes aux penseurs libéraux et socialistes, mais aussi parmi les artisans et ouvriers qui commencent à prendre la plume pour décrire leur condition de travail. De la condamnation morale de l’ouvrier aliéné et esclave des machines dans le nouveau système du machinisme industriel à la célébration de l’ouvrier-machine devenu « pure intelligence » émancipée, tout un spectre de significations s’élabore pour caractériser cette nouvelle figure de l’homme-machine. Les débuts de l’industrialisation furent en effet traversés par d’incessantes critiques et tentatives d’accommodement avec les nouvelles mécaniques du monde industriel. Comment domestiquer le changement technique pour faire de la machine un prolongement du corps et de l’esprit de l’ouvrier plutôt que leur négation ? Quel mécanisme juridique, quelle réforme de l’homme et de la société introduire pour transformer la machine en auxiliaire de la personnalité humaine plutôt qu’en instrument de son abolition ? Comment ces deux catégories d’ouvrier et de machines se croisent-elles et s’entremêlent-elles parallèlement à l’évolution du travail et de ses significations ?

« Des hommes semblables à une machine » : du travail mécanique au rêve de l’ouvrier automate

2 Le thème de l’ouvrier-machine et l’association du travailleur à un artefact mécanique dépend en premier lieu de l’apparition progressive de la notion de travail mécanique élaborée dès l’époque moderne autour de l’évaluation de la force des divers moteurs et agents producteurs (Fonteneau, 2014 ; Vatin, 1993). Yannick Fonteneau a ainsi très bien montré comment l’Académie des sciences – confrontée aux multiples projets de machines qui lui étaient soumis – a précocement élaboré des instruments de mesure pour juger de l’intérêt de substituer un moteur par un autre, d’où sortira l’idée de travail mécanique (Fonteneau, 2011). Dès la seconde moitié du xviie siècle apparaissent ainsi des enquêtes pour mesurer le rendement comparé des hommes et des chevaux, l’évaluation de leur force respective devenant même une obsession pour les ingénieurs et les mécaniciens. Cette quantification du travail par des mesures mécaniques contribue à inventer la notion de travail conçue comme une catégorie abstraite, et la figure de l’ouvrier comme un agent mécanique, au même titre que les animaux et les machines. Ainsi, Amontons calcule-t-il dès 1699 qu’un « moulin à feu » équivaut au travail de 39 chevaux et 234 hommes (Amontons, 1699). Cette obsession pour la quantification accompagne l’apparition d’une rhétorique de la maximisation et de l’optimisation du travail, humain comme machinique, en vue d’obtenir le maximum d’effet au moindre coût. Tandis que les ingénieurs calculent de plus en plus précisément le rendement des machines pour permettre leur exploitation maximum, ils commencent aussi à évaluer la quantité de travail que peut fournir un ouvrier, transformant le corps organique en véritable mécanique contrôlable, à l’inverse donc des travailleurs de chair et de sang jugés paresseux et toujours portés à l’insubordination.

3 Pour les savants du xviiie siècle, comme Fontenelle, l’ouvrier n’est qu’un agent froid, une pure mécanique chargée d’exécuter sans penser, un engrenage dans un vaste tout mécanique : « Les ouvriers n’inventent rien […] ; ce sont des espèces d’automates montés pour une certaine suite de mouvement » note-t-il (cité par Fonteneau, 2014 : 326) [2]. Cette représentation de l’ouvrier comme un simple automate passif est liée au projet technologique des élites savantes du siècle des Lumières qui vise à contrôler le développement des sciences et des techniques pour le bien du royaume. Ce discours accompagne une disqualification massive des ouvriers, simples travailleurs mécaniques aveuglés par la routine et l’ignorance qui doivent être placés sous le contrôle des savants seuls à même de les éclairer. Dans la continuité de la philosophie mécaniste cartésienne et de ses théories de « l’animal machine » s’impose ainsi une nouvelle conception du travail ouvrier comme purement machinal et mécanique :

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Pour fonctionner, le calcul doit supposer les hommes semblables à des machines à la marche réglée, constante et consécutivement les réduire physiquement à cet état. Le travail, après toutes ces réductions, est ce qui reste une fois substitué un ouvrier à un autre, à n’importe quel autre. Interchangeable, ses caractéristiques personnelles n’intéressent plus le mécanicien, et bientôt plus l’entrepreneur : pire, elles sont même nuisibles en ce qu’elles apportent une perturbation dans la prévision (Fonteneau, 2014 : 330).

5 Même si ce projet s’apparente à une pure abstraction aux implications difficiles à saisir, il nourrit sans cesse les discours des savants et des entrepreneurs et il annonce la mise en place progressive de la figure de l’ouvrier-machine, qui surgit au croisement de la diffusion des nouvelles mécaniques et de la division poussée du travail. L’ouvrier-automate est en effet celui qui est pris dans la division du travail, thème qui devient central chez les philosophes et économistes du xviiie siècle comme Adam Smith, qui le théorise dès le début de son ouvrage La Richesse des Nations (1776). Beaucoup lu et très influent au début du xixe siècle, le livre de Smith analyse la spécialisation croissante du travailleur couplée à une intensification des échanges, afin d’accroître les rendements (Smith, 1843 [1776]) [3]. Pour illustrer ce principe de division du travail, Adam Smith prend l’exemple célèbre d’une manufacture d’épingles, probablement emprunté à Duhamel de Montceau, ou bien à l’article « épingle » de l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert (Deleyre & Boucher d’Argis, 1751 : 804-808). Même si des enquêtes ont montré combien Smith exagérait les gains de productivité de l’ouvrier automate et construisait un mythe (Séris, 1994 ; Peaucelle, 2007), il n’en reste pas moins que la division du travail présente pour lui de nombreux avantages, elle prépare la richesse des nations et exerce une très grande influence chez les théoriciens de la nouvelle science économique. Pourtant, elle peut aussi avoir des effets négatifs sur les ouvriers abrutis par la répétition de gestes d’une simplicité toujours plus grande.

6 Avant le xixe siècle, le thème de l’ouvrier-machine demeure circonscrit et limité à quelques débats savants, la machine elle-même reste une préoccupation secondaire, alors que domine une croissance économique « organique » ou « smithienne ». La technologie des Lumières accorde encore peu de place au grand machinisme, elle reste fondée sur l’agencement des composants et l’habileté des artisans et de leurs gestes (Hilaire-Pérez, 2013 ; Halleux, 2009). Commence pourtant à surgir un brouillage croissant des frontières entre les hommes et les machines au service d’un projet d’expansion industrielle. La diffusion du thème de l’ouvrier-machine est en effet contemporaine de l’avènement de la « croissance schumpétérienne » définie par Patrick Verley comme l’augmentation de la production par un développement autonome du progrès technique, un réinvestissement systématique des profits et une rationalisation inédite du travail (Verley, 1997 : 107). Le thème de l’ouvrier-machine surgit aussi avec le projet de domestication d’une main-d’œuvre jugée turbulente et dont l’insubordination inquiète. Chez les Montgolfier à la fin du xviiie siècle, les célèbres papetiers installés à Annonay, comme chez de nombreux autres industriels du siècle suivant, l’objectif est de plus en plus de transformer les ouvriers en dociles automates, en attendant de pouvoir les remplacer par de véritables automates, sous forme de machine à fabriquer le papier (Rosenband, 2000). L’expression « ouvrier-machine » s’impose dans ce contexte chez divers auteurs critiques de l’industrialisme et de la grande industrie du début du xixe siècle, lorsque s’impose peu à peu le débat sur la question des machines et de ses effets, et lorsque le modèle mécaniste envahit les écrits des économistes, savants et hygiénistes qui entendent transformer le corps de l’ouvrier en rouage docile et en auxiliaire du système productif (Le Roux, 2011 ; Jarrige, 2009a).

Les prophéties de malheur de P.-É. Lemontey et la dénonciation morale de « l’ouvrier-machine »

7 Si le siècle des Lumières a préparé le terrain à une redéfinition profonde de la mécanique et de l’ouvrier au travail, c’est au xixe siècle que surgit réellement le thème polémique de « l’ouvrier-machine », en premier lieu sous la plume de publicistes et écrivains dénonçant la déshumanisation qui accompagne la transformation des producteurs en « ouvrier-machine » réduit au rang de « soupape » ou de « levier ». Si l’association de l’ouvrier à une machine devait – au xviiie siècle – accompagner le projet de maîtrise du monde, au xixe siècle elle sert de plus en plus à contester les nouvelles trajectoires perçues comme aliénantes. L’idiome de « l’ouvrier-machine » est l’une des façons de décrire le nouveau monde qui s’invente à l’âge des révolutions, à la fois incertain, ambivalent et terrifiant. Comme l’a souligné le sociologue du travail François Vatin, c’est le publiciste Pierre-Édouard Lemontey (1762-1826), ancien constitutionnel modéré en 1789, membre du Directoire, et grand lecteur d’Adam Smith qu’il cite abondamment, qui est le premier à utiliser puis à diffuser l’expression de « l’ouvrier-machine » au début du xixe siècle, alors même que les grandes machines productives restent encore embryonnaires (Pillon & Vatin, 2003 : 238 ; Vatin 2006). Lemontey s’appuie sur l’observation de l’exemple britannique, à la fois ennemi politique et modèle industriel, « parce que c’est le pays où la division du travail a jusqu’à ce jour rendu plus sensible son influence générale ». Alors que la décennie révolutionnaire s’achève sous la férule des généraux et l’espoir d’un retour à la paix, Lemontey élabore en 1801 un langage inédit pour décrire l’avènement de « l’ouvrier-machine » – expression qu’il utilise abondamment pour dénoncer l’aliénation produite par la division du travail couplée à la mécanisation. Pour Lemontey, le principe de division du travail devient en effet le grand principe qui s’apprête à transformer toute l’Europe. Pour lui, cette quête d’une organisation rationnelle des tâches productives reflète un projet plus global de la modernité : « L’orgueil de soumettre tout au calcul a jeté dans les institutions une profonde sécheresse ». La division du travail devient l’une des manifestations de ce « matérialisme économique qui nous presse de toutes parts ». Soucieux de morale et de principe, Lemontey entend à l’inverse « soustraire la nature humaine à l’empire des chiffres », préserver ce qui peut l’être du vieux monde sans cesse bouleversé par les velléités révolutionnaires :

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Plus la division du travail sera parfaite, et l’application des machines étendue, plus l’intelligence de l’ouvrier se resserrera. Une minute, une seconde, consommeront tout son savoir ; et la minute, la seconde suivante, verront répéter la même chose. Tel homme est destiné à ne représenter toute sa vie qu’un levier ; tel autre une cheville, ou une manivelle. On voit bien que la nature humaine est de trop dans un pareil instrument, et que le mécanicien n’attend que le moment où son art perfectionné pourra y suppléer par un ressort.

9 L’ouvrier-machine devient un type intermédiaire, provisoire, en attendant que la mécanique perfectionnée ne parvienne à se passer intégralement de tout travail humain. L’analyse de Lemontey est volontairement excessive et outrancière, elle relève de la mise en garde et de l’alerte en peignant d’emblée « l’Ouvrier-machine » comme victime d’une « dégradation de ses facultés intellectuelles », qui perd même le langage, jusqu’à descendre « à la classe équivoque de ces polypes où l’on n’aperçoit point de tête, et qui semblent ne vivre que par leurs bras ». L’« ouvrier-machine » devient une classe à part de producteur, un spectre et une menace qui pèsent sur le présent. Il s’oppose à ces ouvriers intelligents et libres que sont « le sauvage », le laboureur des champs ou encore l’artisan qualifié, tous types sociaux caractérisés selon Lemontey par « l’amour de l’indépendance » là où « l’ouvrier-machine » a perdu toute autonomie :

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Le sauvage, qui dispute sa vie aux éléments, et subsiste des produits de sa pêche ou de sa chasse, est un composé de force et de ruse, plein de sens et d’imagination. Le laboureur, que la variété des saisons, des sols, des cultures et des valeurs, force à des combinaisons renaissantes, reste un être pensant malgré ses routines et ses débris d’astrologie. Ces classes d’ouvriers, en qui l’emploi des forces musculaires se réunit à quelques notions de dessin, de calcul ou de chimie, formaient une espèce d’hommes très remarquable.

11 Lemontey annonce à l’inverse que « l’ouvrier-machine sera prodigieusement ignorant, crédule et superstitieux », mais aussi « timide et sédentaire », il sera aussi « pauvre, servile et sans émulation » (Lemontey, [1801] 1816 : 180). Le résultat de cet appauvrissement matériel et moral sera la passivité, car « l’ouvrier-machine » « sera probablement docile, patient, facile à gouverner ; il aura surtout l’esprit de famille, et un attachement d’instinct pour le sol où il végète ». Au-delà de la seule division du travail, ce sont les nouvelles logiques de gouvernement des hommes qui sont condamnées, et la misère croissante qui accompagne les progrès de l’industrie. Outre l’aliénation morale, Lemontey dénonce la paupérisation des travailleurs, l’aggravation des inégalités, la mise au chômage, comme la pression sur les salaires : « Toutes les fois que, dans un atelier, l’action sera parvenue à une telle simplicité qu’un chien puisse y remplacer un homme, soyez sûr que le chien deviendra un ouvrier, et l’homme un mendiant ». Lemontey s’en prend à « la division du travail et l’emploi des machines qui en est la suite », car ils « opèrent une prodigieuse diminution de main-d’œuvre ». Or, demande-t-il, « que deviendront ces bras innombrables que le talent d’un mécanicien aura désoccupés ? ». Contrairement aux affirmations des économistes, l’embauche permise par la « construction des machines » et l’accroissement de la consommation ne permettra pas de compenser le manque. D’ailleurs, ajoute-t-il encore, « voyez l’Angleterre : ses travaux sont immenses […] nulle part la débauche, le suicide et le gibet, ne font une plus grande consommation d’hommes » (Lemontey, 1816 [1801] : 183 et 185). Au-delà de la dégradation morale des ouvriers victimes d’un travail aliéné, c’est le futur des nations et leur survie qui est en cause.

12 Les analyses de Lemontey inaugurent une critique morale de la grande industrie récurrente dans la première moitié du xixe siècle et qui irrigue de nombreux discours [4]. Mais il ne s’agit en aucune façon d’une enquête « sociologique » ou d’un texte prétendant décrire la réalité du travail de l’époque. Lemontey le dit d’ailleurs à plusieurs reprises, il s’agit d’abord d’une fiction, d’un travail de l’imagination : « Je viens de tracer, non pas ce qui existe, mais ce qui est possible », il ajoute d’ailleurs que ni la France ni même l’Angleterre n’ont encore atteint l’état de dégradation qu’il associe à la figure de « l’ouvrier-machine ». Celui-ci est d’abord un spectre, un « avertisseur d’incendie » pour parler comme Benjamin, qui doit conduire à un réveil moral, à une prise de conscience pour éviter la catastrophe. D’ailleurs il reconnaît que la division du travail peut être « féconde et salutaire dans de justes bornes, terrible et destructive dans ses excès », il demande que l’innovation technique soit mise au service de l’amélioration des travaux éprouvant ou malsain plutôt qu’au service de l’accroissement des profits. Pour éviter la réalisation de ses prophéties de malheur, il appelle en bref à de sages régulations pour enrayer le processus.

13 Cette analyse critique de l’ouvrier-machine aliéné exerce une grande influence avant 1848 et provoque rapidement de nombreuses réfutations et débats. Dès 1821, un ancien sous-préfet membre de plusieurs sociétés savantes critique Lemontey :

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Un écrivain aussi philanthrope qu’ingénieux et savant a craint que l’emploi des machines, n’exigeant des ouvriers qui les font agir, ou dirigent leurs effets, qu’un travail simple, machinal et continuellement le même, n’abrutisse ces mêmes individus, qui, n’ayant plus besoin d’intelligence pour faire exécuter par la mécanique des ouvriers qu’ils ne pouvaient confectionner à la main sans y prêter quelque attention, sont exposés à voir se débiliter leurs facultés intellectuelles, qui, de même que nos facultés physiques, s’oblitèrent si elles ne sont pas exercées (Paris, 1821 : 23).

15 Charles Dupin le qualifie de son côté « d’auteur ingénieux » en 1826, et autour de 1840 Eugène Buret, Proudhon ou Auguste Comte le citent pour fonder leurs analyses du travail industriel, comme Karl Marx quelques années plus tard. Pour François Vatin, soucieux de retracer la généalogie intellectuelle de la sociologie du travail, le texte de Lemontey témoignerait d’une erreur d’analyse et de perspective qui n’aurait cessé d’être répétée jusqu’aux sociologies critiques du second xxe siècle, autour de Georges Friedmann et Harry Braverman. La dénonciation de « l’ouvrier-machine » serait le produit d’une pensée conservatrice et réactionnaire idéalisant un monde des métiers artisanal qui aurait été perdu. Les analyses de Lemontey seraient la source d’une rhétorique critique de la « déqualification » récurrente dans la sociologie du travail mais erronée car oublieuse du fait fondamental que le travail n’est jamais « pure exécution », « si exploité, si simplifié soit-il, il exige la mise en œuvre de la volonté du sujet travaillant » (Vatin, 2006).

16 Contre cette dénonciation critique et morale de « l’ouvrier-machine » aliéné, le sociologue du travail contemporain reprend les analyses de l’économiste Jean-Baptiste Say et des technologues comme Pierre-Joseph Christian ou Claude-Lucien Bergery affirmant qu’il est absurde de considérer que l’homme puisse être réduit au rang d’un rouage mécanique. Quand le travail humain est « machinisé », il est en effet préférable de le remplacer par une authentique machine : « du moment que l’homme n’a plus à faire que la fonction d’une cheville ou d’une manivelle, on le décharge de cette fonction toute mécanique et l’on en charge un moteur », notait Say (Say, 1996 : 49-80, 85 ; Vatin, 2006). Mais l’approche généalogique de Vatin néglige la fonction de cette rhétorique de « l’ouvrier-machine » avant 1848. Elle participe, en effet, aux débats incessants qui entourent les transformations industrielles, et accompagne les tentatives pour les dompter et leur donner du sens. Plus qu’une analyse sociologique et descriptive précise du travail ouvrier et de ses mutations, il s’agit d’un discours performatif visant à mobiliser l’opinion et modeler son regard sur les transformations industrielles qui s’annoncent.

Vers un « misérable petit peuple d’hommes-machines » ?

17 Peu nombreuses et peu décisives avant 1815, l’arrivée des machines productives s’accroît progressivement durant la première moitié du xixe siècle, parallèlement à la concentration des ouvriers dans de grandes manufactures concentrées. Elles deviennent plus visibles et suscitent pléthore de discours et de querelles alors que la vapeur devient une source de fierté et de grandeur et ses promoteurs de véritables héros (Berg, 1982 ; MacLeod, 2007). Il faut toutefois rappeler combien, en dehors de quelques régions industrielles anglaises, le système usinier et ses machines restent limités et la division du travail encore très partielle. L’essentiel du travail est toujours réalisé manuellement, en recourant à des outils simples, en bois, fabriqués localement. Les fameuses pompes à feu deviennent les machines à vapeur et s’imposent comme le symbole du grand machinisme. Pourtant, elles tardent à se diffuser et de nombreux travaux ont montré combien la conversion aux bienfaits et avantages du système charbon-vapeur fut lente. Les machines à vapeur furent longtemps concurrencées par la persistance des « moteurs animés », c’est-à-dire le corps des bêtes et des hommes, et surtout les moteurs hydrauliques. En France, ce n’est pas avant 1870 que la puissance des machines à vapeur fixes égale celle des machines hydrauliques. En 1860, celles-ci fournissent encore le double de puissance de la vapeur et l’historien Claude Fohlen avait raison de noter que, sous le Second Empire, « le charbon n’a pas encore gagné la partie » (Leménorel et al., 1993). Même dans un pays aussi précocement industrialisé que la Belgique, la vapeur et son système de machines combinées actionnées par un moteur central ne concerne en 1846 que 1 000 établissements artisanaux et industriels – certes les plus gros – sur les 114 000 que compte alors le pays, alors qu’il existe encore à cette date 2 739 moulins à vent, 2 633 moulins à eau et 1 512 manèges à chevaux en fonctionnement dans le pays (Van Neck, 1979 : 598 sq.). Même en Angleterre, l’importance de la vapeur a été relativisée par de nombreux travaux soulignant combien l’essentiel du travail reste manuel et artisanal (Samuel, 1977).

18 Alors qu’elles sont encore peu nombreuses et assez peu spectaculaires, les machines productives commencent pourtant à pénétrer dans les paysages et les ateliers, notamment dans le secteur textile ou sous la forme de la locomotive, en provoquant leur lot de protestations et de plaintes. Les métiers à tisser et à filer, les mécaniques plus ou moins automatiques pour tondre les draps voient leur nombre s’accroître en suscitant craintes et débats, et même, parfois, de véritables émeutes collectives. Lorsqu’elles sont introduites, les nouvelles machines sont fréquemment désignées comme des « tueuses de bras » ou des « casse-bras ». Les ouvriers, refusant d’abandonner leur corps organique pour devenir des automates mécaniques, les accusent de « couper les bras ». En 1819, dans une pétition adressée au maire de Vienne (Isère), huit maîtres tondeurs dénoncent ainsi « la mécanique plus pernicieuse qu’utile nommée la grande tondeuse » qui annonce, selon eux, « la suppression générale des bras » [5]. À la même époque, des fileurs de coton de Paris rejettent les mécaniques anglaises « qui coupent les bras à tous les ouvriers » [6]. Ces formules auront la vie dure et cela dans des groupes très différents. En 1830, les typographes parisiens voient encore dans les presses mécaniques « des rivales qui viennent nous casser les bras » [7]. Après la révolution de février 1848, les coupeuses de poils de lapin se plaignent à leur tour de la multiplication des mécaniques, « ce qui coupe les bras aux ouvrières » [8]. À Lyon, les ouvriers « ont brisé des métiers de barre qui, disent-ils, leur coupaient souvent les bras » [9]. L’invocation récurrente des « bras » dans les discours populaires renvoie à la perception singulière des formes de la propriété : pour les ouvriers, les bras forment la propriété de base des individus, ils symbolisent à la fois le travail incorporé et les compétences acquises au terme d’un long apprentissage. Alors que les outils du métier étaient le prolongement du corps, les machines de l’ère industrielle deviennent au contraire des éléments d’étrangeté inorganique [10].

19 C’est dans ce contexte d’intenses querelles que peut se comprendre la circulation du thème de l’ouvrier-machine. Il est utilisé pour dénoncer les recompositions du monde du travail qui accompagnent la grande industrie et les nouvelles formes de domination qu’elle fait naître, et qui s’incarne dans le travail des enfants de plus en en plus condamné et repoussé (Bourdelais, 2005 : 91-109). De riches travaux ont montré comment la machine acquiert alors une présence littéraire importante au cours des années 1830-1840, jusqu’à transformer l’imaginaire du romantisme et susciter une nouvelle représentation du monde selon Paul Laforgue (Laforgue, 2003). Chez des auteurs comme Balzac, Hugo ou Vigny, la machine accompagne la vision mélancolique d’un présent insatisfaisant, inaugurant une « mélancolie industrielle » qui irrigue largement les écrits du temps et qui ne se réduit pas à un simple passéisme réactionnaire. On la trouve chez certains penseurs comme l’historien Jules Michelet, qui découvre le gigantisme de l’industrie britannique lors d’un voyage outre-Manche en 1834. Dans les années 1840, il invente le mot « machinisme » auquel il donne d’emblée une signification morale puisqu’il l’utilise pour condamner le système industriel à l’anglaise et les nouveaux rapports sociaux qu’il produit. Dans Le Peuple (1846), il consacre tout un chapitre à décrire la « servitude de l’ouvrier dépendant des machines ». Impressionné par les « êtres d’acier » qui asservissent « l’être de sang et de chair », il affirme néanmoins que l’on continuera de préférer aux « fabrications uniformes des machines les produits variés qui portent l’empreinte de la personnalité humaine » (Michelet, 1974 [1846] : 98 ; Viallaneix, 1979). Mais si la machine est indéniablement un « puissant agent du progrès démocratique » en « mettant à la portée des plus pauvres une foule d’objets d’utilité », elle a aussi son revers terrible : elle crée un « misérable petit peuple d’hommes-machines qui vivent à moitié [et] qui n’engendrent que pour la mort ». Chez Michelet, la dénonciation du machinisme passe par la condamnation de ses effets sur les ouvriers, victimes d’ennui et d’abrutissement :

20

Le cœur bat-il dans cette foule ? Bien peu, son action est comme suspendue ; il semble, pendant ces longues heures, qu’un autre cœur, commun à tous, ait pris la place, cœur métallique, indifférent, impitoyable, et que ce grand bruit assourdissant dans sa régularité, n’en soit que le battement.

21 Le nouveau système des fabriques mécanisées est accusé de transformer peu à peu l’homme en machine sans âme, à mille lieux de l’ancien artisan travaillant dans un atelier ou à domicile : « Le travail solitaire du tisserand était bien moins pénible. Pourquoi ? C’est qu’il pouvait rêver. La machine ne comporte aucune rêverie, nulle distraction (Michelet, 1974 [1846] : 98-99).

22 Cette vision d’un peuple « d’hommes-machines » rejoint la condamnation de Lemontey et divers autres témoignages de l’époque. Dans son récit d’anticipation Le Monde tel qu’il sera, publié en 1846 la même année que l’ouvrage de Michelet, Émile Souvestre décrit par exemple un couple rêvant à l’avenir lorsque surgit un personnage étrange – John Progrès – assis sur une locomotive volante qui leur propose de leur révéler l’« avenir si beau ». Les deux jeunes gens acceptent et sont plongés dans une sorte de sommeil avant de se réveiller en l’an 3000. Ils découvrent alors un monde où le progrès a triomphé dans la République des intérêts-Unis. On se déplace désormais en sous-marin ou en fiacres volants. Tout est automatisé et voué au confort individuel, les progrès des techniques ont créé une « civilisation perfectionnée, dans laquelle tout obéit aux lois suprêmes de la mécanique ». Mais dans ce monde, la multitude voit son sort réduit à celui de nouveaux ilotes. Dans les usines où halètent des « mammouths de cuivre et d’acier », le jeune Maurice découvre « des hommes flétris et hagards » esclaves des machines, eux-mêmes devenus machines. Dans ce monde, les enfants sont précocement arrachés à leur mère pour être confiés à une usine d’allaitement à la vapeur, et les humains sont améliorés grâce aux techniques utilisées dans l’élevage et l’horticulture. Souvestre imagine ainsi la création de danseuses aux jambes immenses ou de forgerons aux bras puissants et surdimensionnés, véritables mutants industriels qui disent le spectre d’une réduction de l’homme à sa seule fonction productive. Dans son récit d’anticipation pessimiste, fruit de ses propres désillusions à l’égard des révolutions et des espérances utopistes des années 1830, l’ancien saint-simonien Souvestre semble anéantir toute frontière entre le monde des machines et celui des hommes (Sylvos, 2012) [11].

23 Dans les années 1830-1840, ce thème de l’ouvrier-machine devient un topos des écrits des réformateurs sociaux et des gens de métier effrayés par les crises à répétition et la misère des grandes villes industrielles. Dans sa célèbre et influente enquête sur la « misère des classes laborieuses en Angleterre et en France », Eugène Buret dénonce ainsi la doctrine des économistes libéraux qui assimilent « le travailleur […] à une chose insensible, à une machine dont on a le droit d’exiger chaque jour plus de précision, plus de travail et plus de produit » ; il condamne la thèse identifiant « l’homme [à] une machine à consommer et à produire ». Le symbole des ravages de cette théorie du « travail-marchandise » apparaît dans la figure particulièrement exploitée de « l’Irlandais qui n’est plus qu’une machine, à laquelle on donne, en guise d’huile, un peu de pommes de terre pour l’entretenir ! » (Buret, 1840, vol. 1 : 10, 31, 32). La division du travail reste au cœur de la critique, c’est elle qui « a pour conséquence immédiate de réduire l’action de l’ouvrier à celle d’une machine, et de déprécier, de matérialiser le travail » (Buret, 1840, vol. 2 : 152).

24 Les artisans urbains qualifiés et alphabétisés se font également l’écho de ce monde prétendument merveilleux à long terme, et parfaitement insensé et effrayant au présent. Dans les discours et écrits ouvriers auxquels il est possible d’accéder, l’expression « ouvrier-machine » semble toutefois assez peu présente. Il s’agit surtout d’une catégorie utilisée par les observateurs sociaux et les enquêteurs extérieurs au monde du travail et soucieux de frapper leurs lecteurs. Lorsque des ouvriers l’utilisent, c’est pour la condamner, pour repousser le spectre de l’exploitation qui semble s’accentuer avec la grande industrie capitaliste. Dans son célèbre Chant des Ouvriers, également rédigé en 1846, Pierre Dupont affirme ainsi : « Nous ne sommes que des machines ». Évoquant l’arrivée en France d’ouvrières écossaises destinées à une filature mécanique récemment installée, les artisans de L’Atelier dénoncent de leur côté la passivité de ces travailleuses exploitées depuis l’enfance, elles ont « l’insouciance et le silence d’une machine qui obéit à un moteur », écrivent-ils. Pour les rédacteurs du journal, dont beaucoup sont imprimeurs-typographes, ces ouvrières-machines préfigurent le projet des « anglomanes » – entendez des industriels copiant le modèle britannique – qui souhaitent « pétrir la nature humaine au point de la réduire à l’état de machine et de l’abaisser au rôle passif d’une brute que l’on commande » (Bensimon, 2011) [12]. Pour ces gens de métier, « l’ouvrier-machine », c’est d’abord et avant tout l’autre, l’étranger aliéné, celui dont il faut se prémunir.

De l’artisan au technicien, l’ouvrier comme pure intelligence mécanique

25 À côté des analyses et dénonciations morales du machinisme aliénant, qui s’incarnent dans la figure repoussoir de « l’ouvrier-machine », apparaissent aussi des pensées soucieuses de reconquérir le monde mécanique en imaginant l’ouvrier en technicien, et la machine en auxiliaire capable de suppléer le corps fini et fragile du travailleur. Chez les technologues et ingénieurs, les machines deviennent ainsi de nouveaux esclaves d’aciers qui doivent émanciper le travailleur en le libérant des tâches éprouvantes. Pour désamorcer les inquiétudes, et pacifier la relation des hommes aux machines de plus en plus dangereuses au quotidien et à l’origine de nombreux accidents, une nouvelle représentation des machines comme prolongement du corps ouvrier se met ainsi en place. Les machines deviennent de quasi-personnes dotées de pouvoirs magiques. Andreas Malm et Alf Hornborg ont récemment examiné comment la machine est devenue un fétiche en Angleterre, une source d’illusions et de myopie sur le monde, nourrie par l’idéologie de la modernité technologique, mais fondée sur de multiples formes de prédations bien réelles à l’égard des milieux naturels et des humains (Hornborg, 2001 ; Malm, 2016). Dans les écrits du chimiste anglais Andrew Ure par exemple, les métiers à filer automatiques et les métiers à tisser mécaniques mus par la vapeur sont conçus comme des quasi-personnes, ils sont dotés de l’élan vital et deviennent des « Hommes d’acier ». L’expression revient également sous la plume de Michelet au début de son histoire inachevée du xixe siècle, lorsqu’il évoque la manufacture de Watt et Boulton « produisant sans mesure ses ouvriers de fer, de cuivre, par lesquels l’Angleterre eut bientôt la force de quatre cents millions d’hommes » (Michelet, [1898] : préface, 10). Une autre métaphore, encore plus fréquente, fait des machines et des outils de nouveaux esclaves chargés d’assister les hommes et de pallier la faiblesse de leur corps. Lors de l’exposition universelle de 1862 à Londres, l’économiste et ancien saint-simonien Michel Chevalier fait ainsi de la machine le prolongement du corps : « les outils sont pour l’homme des organes supplémentaires par lesquels il peut aborder une infinité d’opérations ». Loin d’abrutir le corps et l’esprit, les machines assistent et accroissent ses capacités, rendant possible son émancipation là où le motif de l’ouvrier-machine insistait sur l’abolition de toute autonomie et de toute liberté (Chevalier dir., 1862, cité par Riot-Sarcey, 2016 : 207).

26 La question des machines est traversée par un vaste débat sur sa possible réappropriation. Comment transformer la machine qui menace d’absorber l’homme en instrument de son émancipation ? Le projet des réformateurs sociaux qui inventent la « science sociale » après 1830 vise à imaginer une technologie qui favoriserait l’autonomie et accompagnerait la réalisation de l’humanité présente en chacun. Pour les premiers penseurs dits socialistes, l’avenir doit ainsi permettre l’avènement de l’ouvrier-machine émancipé, façonner un pur technicien qui se consacrera aux tâches intellectuelles, laissant les activités machinales aux artefacts, inaugurant ainsi une autre vision du machinisme et de « l’ouvrier-machine ». Loin de rejeter le monde mécanique, il s’agit de tenter de le reconquérir en définissant les caractéristiques d’une « machine romantique » – alternative à celle des ingénieurs et des économistes – capable de réenchanter le monde et la sphère du travail et de produire un ordre plus démocratique (Tresch, 2012) [13].

27 Ce thème se retrouve sous des formes variables chez Charles Fourier et ses disciples, comme chez Étienne Cabet ou Pierre J. Proudhon. Chez Fourier, c’est la théorie des passions et la distribution passionnelle des travaux qui doit éviter le surgissement de l’ouvrier-machine rivé à une seule tâche aliénante. Grâce à sa « théorie du travail attrayant », Fourier imagine d’accroître les rendements et l’efficacité des travailleurs sans recourir à la parcellisation déshumanisante des tâches ou aux machines, et en assurant l’assouvissement des plaisirs et passions de chacun (Beecher, 1993 : chap. XIV, « Le travail en Harmonie »). Ses disciples retraduiront le langage fouriériste en l’adaptant au cadre de la grande usine, comme dans ce texte de propagande décrivant en détail le quotidien d’un Phalanstère et rédigé peu avant la révolution de Février 1848 par l’ouvrier teinturier Mathieu Briancourt :

28

Ici, comme partout, ajouta notre guide en parcourant avec nous le Séristère, les machines font à peu près toute la portion fatigante de la besogne : la machine fournit la force, l’homme l’intelligence et sa tâche se borne, dans l’industrie manufacturière, à surveiller, à diriger, à ajuster. Vous ne devez donc pas être surpris de voir plusieurs dames enrôlées parmi nos tourneurs et nos scieurs de long, dont les métiers si pénibles autrefois étaient abandonnés aux esclaves. Si vous voyez divers systèmes de ma­chines appliqués à des opérations identiques, c’est afin d’entretenir l’émulation parmi les travailleurs dont chaque groupe donne la préférence à une machine différente de celles dont se servent les groupes rivaux (Briancourt, 1848 : 127-128).

29 Chez le communiste Étienne Cabet, grâce au progrès poussé des machines les ouvriers peuvent également devenir « inventeurs » et « directeurs » de machines. Dans la République icarienne, c’est en effet la collectivité qui est propriétaire des moyens de production. Loin de supprimer l’artisan indépendant, Cabet affirme que c’est la machine qui permet de restaurer l’autonomie artisanale en faisant des ouvriers des « directeurs » de machines. En abolissant la propriété privée, le système communiste doit détruire les relations hiérarchiques incarnées par la figure de l’ingénieur et reconstituer l’autonomie de l’artisan menacée par la concentration croissante du capital. La force du discours icarien qui séduit de nombreux travailleurs à l’époque, et son efficacité propagandiste viennent précisément de sa capacité à animer la machine en la dotant d’attributs quasi magiques (Jarrige, 2006).

30 Mais c’est sans doute Proudhon qui a été le plus loin dans le renversement dialectique du thème de « l’ouvrier-machine ». Là où beaucoup de ses contemporains voyaient dans la division du travail une conséquence inéluctable du machinisme, Proudhon insiste sur l’ambivalence et la complexité du processus. Pour lui, le machinisme permet en effet de rompre avec les effets délétères d’une division excessive du travail en requalifiant le travailleur :

31

L’apparition incessante des machines est l’antithèse, la formule inverse de la division du travail ; c’est la protestation du génie industriel contre le travail parcellaire et homicide. Qu’est-ce en effet qu’une machine ? Une manière de réunir diverses particules de travail que la division avait séparée. Toute machine peut être définie : un résumé de plusieurs opérations, une simplification de ressorts, une condensation du travail, une réduction de frais (Proudhon, 1850 : 151).

32 Dans le même temps, il rejoint pourtant ses contemporains en observant que le changement technique avilit le travail et dégrade le travailleur « en le faisant déchoir du rang d’artisan à celui de manœuvre » (Proudhon, 1850 : 175). Loin de s’enthousiasmer pour le machinisme naissant il explore ses « antinomies » et ambivalences :

33

Les machines nous promettaient un surcroît de richesse ; elles nous ont tenu parole, mais en nous dotant du même coup d’un surcroît de misères. Elles nous promettaient la liberté ; je vais prouver qu’elles nous ont apporté l’esclavage (Proudhon, 1850 : 172).

34 Pour Proudhon, en effet, « le salariat est issu en droite ligne de l’emploi des machines ». Dans le même temps, Proudhon affirme pourtant la vision optimiste de l’accroissement du bien-être général qu’on doit à terme attendre des machines. Pour lui, la machine est « le symbole de la liberté humaine, l’insigne de notre domination sur la nature, l’attribut de notre puissance, l’expression de notre droit, l’emblème de notre personnalité » (Proudhon, 1850 : 155).

35 Dans les années 1840, les travailleurs adaptent progressivement leurs discours à l’économie politique libérale et socialiste qui tente d’imaginer un machinisme bénéfique à tous :

36

[…] nous regardons les machines comme un grand progrès pour l’humanité [écrivent ainsi des travailleurs anonymes dans un périodique éphémère en 1844] ; nous les croyons appelées à régénérer le monde, mais à la condition d’être exploitées au profit de tous et non de quelques-uns. Elles doivent appartenir aux ouvriers, entre les mains intelligentes desquels ce seront des outils plus productifs qu’entre les mains des seuls capitalistes. Pour cela, nous l’avons dit, il faut recourir à l’association [14].

37 La mention des « mains intelligentes » doit être soulignée, elle révèle combien l’espoir d’approprier les techniques aux savoirs pratiques des artisans demeurait grand à l’époque. En 1848, après les journées de Juin et alors que la répression se déploie contre tous les socialistes et les démocrates soucieux d’émanciper les classes populaires, les rédacteurs de L’Atelier énoncent leur définition du socialisme comme libre reconquête des machines par l’association des producteurs :

38

Nous voulons que par l’association libre et volontaire, l’ouvrier arrive à la propriété des instruments de travail, à la propriété de ces machines qui font son désespoir et sa ruine, qu’il brise dans ses jours de colère ; de ces machines auxquelles il est attaché et qui le rendent plus misérable que le serf du Moyen Âge attaché à la glèbe nous voulons rendre à l’ouvrier la propriété de lui-même, la propriété la plus sacrée comme l’appelle M. Thiers, dont la misère le dépouille au profit des hauts barons de l’industrie [15].

39 Pour les ouvriers qui prennent la plume pour dire leur condition, la définition de la machine et de ses impacts demeure longtemps incertaine, et certains tentent de sauver l’objet technique, signe du progrès humain, en montrant comment il peut créer un ouvrier d’élite. Joseph Benoît évoque ainsi les effets positifs produits par la mécanique Jacquard à Lyon : « […] cette simple machine changea presque subitement les habitudes et le caractère des ouvriers, et en fit des hommes pensant et raisonnant, agissant et discutant leurs intérêts d’abord, et les intérêts généraux ensuite » (Joseph, 1855 : 14). Là où l’ancien artisan était un être aliéné, c’est la machine qui a permis de lui redonner une dignité.

La machine, le prolétaire et les mutations du langage du travail

40 Au fond, le débat sur « l’ouvrier-machine » et l’émergence de cette figure critique tient aux incertitudes et ambivalences qui accompagnent les mutations sociales de la première moitié du xixe siècle et aux floues de la catégorie même d’ouvrier, tiraillé entre le monde des gens de métier en crise, celui des travailleurs à domicile plus ou moins indépendant et la figure montante du prolétaire rivé à l’usine. L’« ouvrier-machine » apparaît comme l’autre nom du prolétaire, et l’expression vise à conjurer son avènement. L’apparition du discours de l’ouvrier-machine dans la première moitié du xixe siècle participe de l’émergence d’un nouvel idiome pour décrire le travailleur. Comme la figure de l’ouvrier-machine, le mot « prolétaire » apparaît au tout début du xixe siècle avec une consonance nettement misérabiliste pour décrire la couche inférieure du peuple, « celle qui ne possède rien et n’a pour vivre que son travail », celle aussi qui est la plus dépendante du fonctionnement des machines. « Mon Dieu, ayez pitié du pauvre prolétaire », se lamente ainsi Lamennais. Pour les écrivains sociaux de l’époque, la condition ouvrière est une malédiction qu’il faut abolir en poursuivant l’œuvre d’émancipation de la Révolution de 1789. Classe résiduelle, produit de l’aveuglement et de l’obscurantisme des classes dirigeantes, le prolétariat peut et doit disparaître dans une évolution heureuse qui donnera à tous cette part de propriété individuelle sans laquelle il n’est pas de citoyenneté. Les socialistes de l’époque romantique, comme les saint-simoniens ou les disciples de Fourier, utilisent plus volontiers le terme de « producteurs », afin de mettre l’accent sur l’aspect positif de la classe ouvrière créatrice de la richesse sociale, alors que le « prolétariat » est synonyme de misère et de frustration. Mais après 1840 le mot prolétaire circule de plus en plus. Le changement de terminologie n’est pas fortuit. Il correspond à l’évolution interne du monde ouvrier et à la crise des anciens « métiers ». Lorsque l’ouvrier typographe et philosophe socialiste Pierre Leroux fonde en 1846 sa Revue sociale, il choisit comme sous-titre « Solution pacifique du problème du prolétariat ».

41 Dans le manifeste communiste, comme dans les Grundrisse ou Le Capital, Marx est l’héritier de ces débats et contribue à fixer le nouveau langage du travail. En 1848, il reprend d’ailleurs abondamment la rhétorique de l’ouvrier-machine qui circulait dans les années 1840 lorsqu’il écrit qu’avec l’industrie moderne l’ouvrier « n’est plus qu’un accessoire de la machine » et que les masses prolétaires sont « chaque jour et à chaque heure asservis par la machine » (Marx & Engels, 1998 : 82-83). Chez Marx la définition du prolétariat repose sur trois aspects essentiels : il est d’abord le produit de l’organisation industrielle du travail et il n’existe que dans et par la grande industrie ; mais le prolétariat est aussi le producteur de la plus-value qui permet la reproduction élargie du capital, et à ce titre il est la source de tout le développement économique et technologique ; enfin, la condition prolétarienne se caractérise par l’insécurité fondamentale. Cette insécurité n’est pas liée aux seuls aléas de la conjoncture, mais au mode de production capitaliste lui-même qui a besoin de l’existence d’une armée de réserve industrielle pour fonctionner. Les prolétaires sont donc « la classe des ouvriers modernes qui ne vivent que tant qu’ils trouvent du travail et qui n’en trouvent que tant que leur travail augmente le capital. Ces ouvriers, obligés de se vendre par portions successives, sont une marchandise comme tout autre article du commerce et sont donc exposés de la même manière à tous les aléas de la concurrence, à toutes les fluctuations du marché. L’extension du machinisme et la division du travail ont fait perdre au travail des prolétaires tout caractère indépendant et par suite tout attrait » (Marx et Engels, 1998 : 82).

42 Comme l’« ouvrier-machine » dont il est l’une des manifestations dans l’ordre productif, le prolétariat est d’abord une catégorie politique et un instrument rhétorique qui accompagne les profondes recompositions du langage du travail durant la première moitié du xixe siècle (Sewell, 1983). Il recouvre évidemment une réalité sociologique beaucoup plus floue et complexe alors que la classe ouvrière du xixe siècle demeure plurielle et diverse, sa physionomie variant selon les périodes et les territoires. Les nouveaux prolétaires d’usines que Friedrich Engels observe à Manchester dans les années 1840 demeurent toujours une petite minorité peu représentative (Stedman Jones, 1996). Les statistiques montrent clairement que le prolétariat véritable est numériquement peu important en France jusqu’à la fin du xixe siècle, et « l’ouvrier-machine » tant dénoncé ne se retrouve évidemment jamais à l’état pur. Une grande partie des ouvriers sont des paysans à mi-temps et la frontière demeure longtemps poreuse entre l’artisan dépendant, le salarié, le petit patron et le chef d’atelier.

43  

44 Cette brève exploration du langage de l’ouvrier-machine et de ses fonctions à l’aube de l’âge industriel montre combien le thème du brouillage et de l’hybridité homme-machine est consubstantiel au capitalisme industriel dès ses débuts. La figure de l’ouvrier-machine renvoie à une représentation abstraite de l’expérience du travail, il s’agit d’ailleurs d’une expression qui semble peu utilisée par les acteurs du terrain, qu’ils soient ouvriers, fabricants, techniciens, contremaîtres ou autres praticiens de la mécanique. Elle n’aidait en effet pas à décrire la réalité effective du travail et de son organisation, et ce n’était d’ailleurs pas sa fonction. La catégorie de « l’ouvrier-machine » est d’abord un instrument politique dans la grande querelle du machinisme et de l’industrialisme qui naît dans la première moitié du xixe siècle. Plus qu’une catégorie heuristique, « l’ouvrier-machine » est une figure politico-morale utilisée pour dénoncer les nouveaux rapports sociaux qui s’instituent avec l’industrialisation. Cette figure de « l’ouvrier-machine » aura comme on sait la vie dure jusqu’à devenir une allégorie très fréquente du travail moderne au xxe siècle, sans cesse réactivée à chaque phase nouvelle du processus d’automatisation du travail [16]. L’ouvrier-machine annonce-t-il un homme perfectionné ou au contraire un homme devenu obsolète ? Loin d’apparaître subitement aujourd’hui, ces questions sont contemporaines des débuts de l’industrialisation, avec leur prolifération de procédés mécaniques, de nouvelles médiations techniques et de conflits sociopolitiques. Elles ont également modelé et accompagné les premiers pas des sciences sociales autour de 1830, dont l’une des tâches essentielles a précisément été d’accommoder les bouleversements techniques en vue d’instaurer une société pacifiée et ordonnée, harmonieuse ou émancipée, où les hommes et les machines trouveraient un terrain de réconciliation.

Bibliographie

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  • Peaucelle Jean-Louis, 2007. Adam Smith et la division du travail. La naissance d’une idée fausse, Paris, L’Harmattan.
  • Pillon Thierry, Vatin François, 2003. Traité de sociologie du travail, Toulouse, Octarès.
  • Proudhon Pierre-Joseph, 1850 [1846]. Système des contradictions économiques ou philosophie de la misère, t. I, Paris, Garnier Frères.
  • Riot-Sarcey Michèle, 2016. Le Procès de la liberté. Une histoire souterraine du xixe siècle en France, Paris, La Découverte.
  • Rosenband Leonard N., 2000. Papermaking in Eighteenth-Century France. Management, Labor and Revolution at the Montgolfier Mill, 1761-1805, Baltimore, The Johns Hopkins University Press.
  • Trad. française : La Fabrication du papier dans la France des Lumières. Les Montgolfier et leurs ouvriers, 1761-1805, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005.
  • Samuel Raphael, 1977. « Workshop of the World: Steam Power and Hand Technology in mid-Victorian Britain », History Workshop Journal, 3, p. 6-72.
  • Say Jean-Baptiste, 1996. Cours d’économie politique et autres écrits, Paris, Flammarion.
  • Séris Jean-Pierre, 1994. Qu’est-ce que la division du travail ? Ferguson, Paris, Librairie philosophique J. Vrin.
  • Sewell William H., 1983. Gens de métier et révolutions. Le langage du travail de l’ancien régime à 1848, Paris, Aubier Montaigne.
  • Smith Adam, 1843 [1776]. Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, trad. du comte G. Garnier ; édité, revu et corrigé par J.-B. Say et A. Blanqui, Paris, Guillaumin.
  • Stedman Jones Gareth, 1996. « Voir sans entendre. Engels, Manchester et l’observation sociale en 1844 », Genèses, 22, p. 4-17.
  • Sylvos Françoise, 2012. « Émile Souvestre ou la réclame telle qu’elle sera », Romantisme, 155 (1), p. 71-89.
  • Tresch John, 2012. The Romantic Machine. Utopian Science and Technology after Napoleon, Chicago – London, The University of Chicago Press.
  • Van Neck Anne, 1979. Les Débuts de la machine à vapeur dans l’industrie Belge, 1800-1850, Bruxelles, Académie royale de Belgique (Histoire quantitative et développement de la Belgique II. La révolution industrielle II, 2).
  • Vatin François, 1993. Le Travail, économie et physique, 1780-1830, Paris, PUF.
  • — 2006. « Pierre-Édouard Lemontey, l’invention de la sociologie du travail et la question salariale », Revue du MAUSS, 27 (1), p. 398-420.
  • Verley Patrick, 1997. L’Échelle du monde. Essai sur l’industrialisation de l’Occident, Paris, Gallimard.
  • Viallaneix Paul, 1979. « Michelet, machines, machinisme », Romantisme, 23 (9), p. 3-15.

Notes

  • [1]
    Centre Georges Chevrier – Sociétés et sensibilités ; Faculté de Droit et de Science politique, 4 boulevard Gabriel, BP 17270 F, 21072 Dijon cedex
  • [2]
    Histoire et mémoires de l’Académie royale des sciences, 1722, H, 44-45, cité par Y. Fonteneau (2014 : 326).
  • [3]
    Voir par exemple l’édition très lue chez Guillaumin en 1843, avec des présentations et éclaircissements par J.-B. Say et A. Blanqui.
  • [4]
    Quoique largement oublié et méconnu, la figure de Lemontey a cependant retenu l’attention depuis longtemps. Cf. notamment Cohen, 1966 ; Frobert, 2001.
  • [5]
    Archives nationales (AN), F7 9786 : Vienne, le 18 janvier 1819 (8 signatures).
  • [6]
    AN, F12 2295 : pétition des fileurs de coton de Paris (13 signatures), s.d.
  • [7]
    L’Artisan, n° 2, 3 octobre 1830.
  • [8]
    AN, F12 4898 : pétition des coupeuses de poils de lapin (13 signatures), Paris, 13 mars 1848.
  • [9]
    Le Censeur, Journal de Lyon, 2 et 3 juin 1848, no 4201 : 4. En ligne sur Numelio, bibliothèque numérique de Lyon (consulté le 12/09/2017) : http://collections.bm-lyon.fr/BML_01PER0030222573?page=4&query[]=barre&withinQuery=parentId:BML_01PER0030222573&hitTotal=3 &hitPageSize=10
  • [10]
    Sur ces conflits et débats, cf. Jarrige, 2009b et 2014.
  • [11]
    L’ouvrage est publié en livraisons en 1845, puis en volume ; cf. aussi le prospectus annonçant la publication.
  • [12]
    L’Atelier, novembre 1847 : 32.
  • [13]
    Sur les lectures socialistes du machinisme naissant, voir Jarrige dir., 2016.
  • [14]
    « Des machines », L’Écho des ouvriers. Publication destinée à l’exposition des besoins des travailleurs et à l’insertion de leurs réclamations, 2, juillet 1844, p. 39-43.
  • [15]
    « Les destructeurs de la famille », L’Atelier, juillet 1848, p. 367.
  • [16]
    Voir les remarques, à partir d’un corpus plus tardif et essentiellement littéraire, d’Isabelle Krzywkowski (Krzywkowski, 2010).
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