Couverture de LHS_167

Article de revue

Histoire de la psychologie animale : la question de l'intelligence animale en France et aux États-Unis au début du XXe siècle 

Pages 223 à 250

Notes

  • [*]
    .  Je tiens à remercier Jacqueline Carroy, Élisabeth Chapuis ainsi que Michel Kail pour m’avoir invitée à la VIe Journée d’études du Groupe d’études pluridisciplinaires de l’histoire de la psychologie (GEPHP), intitulée « Marges et marginalisation dans l’histoire de la psychologie ». Cette journée m’a donné l’opportunité de faire connaître cet épisode de la psychologie française et américaine à un public français. Je suis redevable à des lecteurs anonymes pour leurs commentaires constructifs sur les premières versions de cet article. Je suis aussi reconnaissante au REHSEIS (Laboratoire de recherches épistémologiques et historiques sur les sciences exactes et les institutions scientifiques) pour son appui financier pour la consultation des sources américaines. Enfin, je remercie vivement Gregory Radick pour m’avoir encouragée dans mes recherches sur l’histoire de la primatologie.
  • [1]
    .  Pour plus de détails sur « Clever kluge Hans », cf.voir Boakes Robert Boakes, From Darwin to Behaviourism : Psychology and the Mind of Animals, Cambridge, Cambridge University Press, 1984 (1984), pp. 78-83 et Vinciane Despret, Hans, le cheval qui savait compter, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, 2004.& Despret (2004).
  • [2]
    . Édouard Claparède, « Les Chevaux savants d’Elberfeld, Séance du 13 Mars 1913 », Bulletin de la Société Française de Philosophie, vol. 13, 1913, p. 115-134. Claparède (1913), pp. 115-134.
  • [3]
    . Henri Piéron, « Le Problème des animaux pensants », L’Année psychologique, vol. 20, 1914, p. 218- 228. Piéron (1914), pp. 218-228.
  • [4]
    . Henri Piéron, De l’actinie à l’homme. Études de psychophysiologie comparée, Paris, PUF, 1958 Piéron (1958), pp. 3-4 & p. 26.
  • [5]
    . Un jeune homme prétendait, sans avoir jamais étudié la musique, être capable de composer des morceaux de musique en communiquant avec l’esprit de musiciens défunts. Piéron mit rapidement en évidence la supercherie et fit connaître ses positions contre la télépathie lors du Ve Congrès international de psychologie, à Rome, en 1905. Cf. Françoise Parot, « Psychology Experiments : Spiritism at The Sorbonne», Journal of the History of Behavioral Sciences, vol. 29, 1993, p. 22-28dans Parot (19933)), p. 27. Pour plus de déetails sur l’attitude très virulente de Piéron à l’encontre des phénomènes parapsychologiques, cf. levoir même article, pp. 22-28.
  • [6]
    . Henri Piéron, « Revue générale de psychologie : l’attitude objective dans la psychologie moderne », Scientia, 1915, vol. 17, p. 119-133 Piéron (1915), p. 119.
  • [7]
    . Louis Boutan, « Le pseudo-langage : observations effectuées sur un Anthropoïde, le Gibbon (Hylobates leucogenys - Ogilby) », Actes de la Société Linnéenne de Bordeaux, vol. 67, 1913, p. 5-79Boputan (1913), p. 71.
  • [8]
    . Henri Piéron, Psychologie zoologique, Paris, PUF, 1941, (1941), pp. 3-4 (italiques dans le texte)..
  • [9]
    . Louis  Boutan, « Les deux méthodes de l’enfant », Actes de la Société Linnéenne de Bordeaux, vol. 68, 1914, p. 217-360(1914), p. 220.
  • [10]
    . Henri Piéron, « La psychologie zoologique, science du comportement animal », Journal de psychologie normale et pathologique, vol. 17, 1920, p. 145-167 (1920), p. 145.
  • [11]
    . Louis Boutan, « Les deux méthodes de l’enfant », op. cit., Boutan (1914), p. 221. (Italiques dans le texte).
  • [12]
    .  Le livre principal de Ernst Haeckel, Natürliche Schöpfungsgeschichte (1868) fut traduit en français en 1874.
  • [13]
    . R. Dieuzeide, « Le Professeur Louis Boutan (1859-1934) », Bulletin des Travaux publiés par la Station d’Acquiculture et de Pêche de Castiglione, Alger, Éditions Carbonel, 1934, p. 10-34 Dieuzeide (1934), p. 25.
  • [14]
    . Hippolyte Taine, De l’intelligence, Paris, Hachette, 1870 Taine (1870), p. 373.
  • [15]
    .  Je m’appuie ici sur les travaux de Dominique Ottavi : cf. DominiqueVoir Ottavi, De Darwin à Piaget : pour une histoire de la psychologie de l’enfant, Paris, Éditions CNRS, 2001. (2001).
  • [16]
    . Louis Boutan, « Les deux méthodes de l’enfant », op. cit. Boutan (1914), p. 260.
  • [17]
    Ibidem Boutan (1914), p. 325.
  • [18]
    Ibid., Boutan (1914), p. 219.
  • [19]
    .  Je me permets d’emprunter cette expression à Régine Plas :. cf. RégineVoitr Plas, Naissance d’une science humaine : la psychologie. Les psychologues et le « merveilleux psychique », Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2000.(2000).
  • [20]
    . Henri Marion, « Règles fondamentales de l’enseignement libéral, la méthode active », Revue pédagogique, 1888, vol. 1, p. 2-19. Marion (1888), p. 2-19. Pour plus de déetails cf. Dominique, voir Ottavi, op. cit., (, 2001), p. 71.
  • [21]
    . Pierre Hachet-Souplet, De l’Animal à l’enfant, Paris, Félix Alcan, 1913 (1913), p. 11 et& p. 171.
  • [22]
    . Gustave Le Bon, L’Équitation actuelle et ses principes : recherches expérimentales, Paris, Librairie Firmin-Didot, 1892 Le Bon (1892), p. 139.
  • [23]
    . Louis Boutan, « Les deux méthodes de l’enfant », op. cit., Boutan (1914), p. 256 et& pp. 352-353.
  • [24]
    .  Notons à ce sujet que Boutan n’a pas d’enfants et, qu’il laisse sa femme s’ooccuper librementdu gibbon, et commetelle une mèere avec son bébé jeune enfant. Peu de temps après avoir acquis le singela capture, il note note dans son carnet de voyage : « e: “Ma femme a un poupon, Pépée, le jeune gibbon femelle que nous a procuréee M. Vacles. Ce poupon refuse de quitter ses bras et ne veut prendre le lait et les bananes qui servent à le nourrir que par son intermmédiaire. C’est pour le moment la plus hideuse petite bête que l’on puisse voir… Elle ressemble, avec ses longs bras, à une giganstesque araignée et piaille dès que je veux la caresser. »” , Extrait de Louis Boutan, « Le pseudo-langage : observations effectuées sur un Anthropoïde, le Gibbon (Hylobates leucogenys - Ogilby) », op. cit., (1913), p. 44, note de bas de page 1.
  • [25]
    . Louis Boutan, « Les deux méthodes de l’enfant », op. cit., Boutan (1914), p. 357 (italiques dans le texte)..
  • [26]
    . Yerkes avait exprimé toute son admiration pour le travail de Boutan qui l’avait « toujours impressionné pour son importance extraordinaire », tout en soulignant qu’il « avait toujours regretté qu’un tel travail n’ait jamais reçu plus d’attention des étudiants travaillant sur le comportement animal. » Cf. Letter from R. Yerkes to L. boutan, March 18, 1927, in Yerkes’ Papers, Yale University Archives.
  • [27]
    . John M. O’Donnell, The Origins of Behaviorism : American Psychology, 1870-1920, New York, New York University Press, 1985 O’Donnell (1985), p. 181.
  • [28]
    . Pour plus de détails sur les liens entre Watson et Yerkes, cf. Gregory Radick, The Simian Tongue : The Long Debate about Animal Language, Chicago and London, The University of Chicago Press, 2008 Radick (2000).Radick (2000)
  • [29]
    . John Watson, « Psychology as the behaviorist views it », Psychological Review, vol. 20, 1913, p. 158-177 Watson (1913), p. 177. Traduction personnelle.
  • [30]
    . John C. Burnham, « Yerkes, Robert Mearns », in C. C. Gillispie (ed.), Dictionary of scientific biography, New York, Charles Scribner’s Sons, 1970, vol. XIV, p. 549-551 Burnham (1970), p. 549.
  • [31]
    . Robert H. Wozniak, « Gilbert Van Tassel Hamilton and An introduction to objective psychopathology », in Robert H. Wozniak (ed.), Behaviourism : the Early Years, London, Routledge/ Thoemmes Press, 1994, p. v-xxvii Wozniak (1994), p. xvi.
  • [32]
    .  Letter from R. Yerkes to G. Hamilton, April 8, 1913, in Yerkes’ Papers, Yale University Archives, Box 23, Folder 421.
  • [33]
    .  Letter from R. Yerkes to G. Hamilton, October 23, 1914, in Yerkes’ Papers, Yale University Archives, Box 23, Folder 424.
  • [34]
    .  De manière similaire, Hamilton pense que la connaissance des psychoses dégénératives pourra être éclairée par celle de réactions comportementales observées chez les peuples primitifs.
  • [35]
    .  Letter from G.. Hamilton to R.. Yerkes, October 15, 1912, in Yerkes’ Papers, Yale University Archives, Box 23, Folder 420. Traduction personnelle.
  • [36]
    . Gilbert van Tassel Hamilton, An Introduction to Objective Psychopathology, Saint Louis, The C. V. Mosby Company, 1925 Hamilton (1925) quoted in Robert H. Wozniak , « Gilbert Van Tassel Hamilton and An introduction to objective psychopathology », op. cit.(1994), p. xxi.
  • [37]
    . Robert Boakes, From Darwin to Behaviourism : Psychology and the Mind of Animals , op. cit.,Boakes (1984), p. 154.
  • [38]
    . Gilbert van Tassel Hamilton, An Introduction to Objective Psychopathology, op. cit., Hamilton (1925) quoted in Wozniak (1994), p. xv.
  • [39]
    .  Letter from G.. Hamilton to R.. Yerkes, « Thanksgiving Day », 1932, in Yerkes’ Papers, Yale University Archives, Box 24, Folder 425. Traduction personnelle.
  • [40]
    . Gilbert van Tassel Hamilton, « A Study of Trial and Error Reaction in Mammals », Journal of Animal Behavior, 1911, vol. 1, p. 33-66 Hamilton (1911), p. 56. Traduction personnelle.
  • [41]
    . Robert H. Wozniak , « Gilbert Van Tassel Hamilton and An introduction to objective psychopathology », op. cit.(1994), p. xxiv.
  • [42]
    . Robert Yerkes, The Mental Life of Monkeys and Apes, New York, Henry Holt (reprinted with an introduction by G. M. Haslerud, Delmar-NY, Scholars’ Facsimiles & Reprints, 1979), (1916c), p. 10.
  • [43]
    Ibidem Yerkes (1916c), p. 11.
  • [44]
    Ibid. Yerkes (1916c), p. 11.
  • [45]
    . Robert Yerkes, « Ideational Behavior of Monkeys and Apes », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, vol. 2, issue 11, 1916, p. 639-642 Yerkes (1916b), p. 640.
  • [46]
    Ibidem Yerkes (1916b), p. 642. Traduction personnelle.
  • [47]
    .  Letter from G.. Hamilton to R.. Yerkes, March 18, 1921, in Yerkes’ Papers, Yale University Archives, Box 24, Folder 422. Traduction personnelle.
  • [48]
    . Gilbert van Tassel Hamilton, « A Study of Trial and Error Reaction in Mammals », op. cit., p. 57. Traduction personnelle.
  • [49]
    .  Letter from G.. Hamilton to R.. Yerkes, September 14, 1940, in Yerkes’ Papers, Yale University Archives, Box 24, Folder 425.
  • [50]
    . Stephen Jay Gould, The Mismeasure of Man, London, W. W. Norton & Co., 1981. Édition française : La Mal-mesure de l’homme, tr. fr. J. Chabert & M. Blanc, Paris, Odile Jacob, 1997 Gould (1997), p. 230.
  • [51]
    IbidemStephen Jay Gould, La Mal-mesure de l’homme, (1997), p. 230.
  • [52]
    . Robert Yerkes, The Mental Life of Monkeys and Apes, op. cit.,(1916c), p. 135.
  • [53]
    . Robert Yerkes, « The Binet Version versus the Point Scale Method of Measuring Intelligence », Journal of Applied Pyschology, vol. 1, 1917, p. 111-122,(1917) p. 111. Traduction J. Chabert & M. Blanc.(1997). Traduction J. Cabert & M. Blanc.
  • [54]
    . Robert Yerkes, « Robert Mearns Yerkes, Psychobiologist », in C. Murchison (ed.), A History of Psychology in Autobiography, vol. 2, Worcester, MA, Clark University Press, 1932, p. 393.
  • [55]
    .  Terman sera responsable quelques années plus tard de l’introduction de l’unité de mesure de « Quotient intellectuel » (QI).
  • [56]
    . Robert Yerkes, « The Binet Version versus the Point Scale Method of Measuring Intelligence », op. cit.,(1917), p. 111.
  • [57]
    Ibidem Yerkes (1917), p. 113. Traduction personnelle.
  • [58]
    .  Le NRC est un organe de l’Académie des sciences américaine, créé en 1916 pour répondre à la demande croissante d’un besoin en expertise scientifique et technique lors du premier conflit mondial. Le NRC est administréer de manière conjointe par l’Académie des sciences, l’Académie des sciences de l’ingénieur et l’Institut de médecine.
  • [59]
    . L’examen Alpha inclut huit sortes de tests qui exige principalement la faculté de lire l’anglais. L’examen Bêta inclut sept sortes de tests, consistant en des dessins, des figures, etc.,… et dont les instructions sont données par pantomime. Le troisième test repose sur l’application du test Stanford-Binet ou de l’échelle Yerkes-Bridge de mesure de l’intelligence. Durant le premier conflit mondial, les examens furent appliqués sur 1  750  000 hommes en vue d’identifier les recrues avec un niveau d’intelligence faible, et, inversement, de permettre à l’armée de reconnaître des hommes aptes pour des entraînements spéciaux, comme les officiers.
  • [60]
    . Robert Yerkes, « Foreword », in Carl Brigham, A Study of American Intelligence, Princeton-NJ, Princeton University Press, 1923, p. v-vii(1923), p. v. Traduction personelle.
  • [61]
    . Principales organisations eugénistes dont Yerkes est membre : American Breeder’s Association, Eugenics Research Association, American Eugenics Society, Massachussetts Society for Mental Hygiene and the National Committee for Mental Hygiene.
  • [62]
    . Robert Yerkes, « Foreword », op. cit.(1923), p. vii. Traduction personnelle.
  • [63]
    . Dans son étude, Brigham montre que quatre types de race doivent être pris en considération pour évaluer l’intelligence américaine : le type « nordique », le type « noire », le type « alpin » et le type « méditerranéen ». Les trois derniers types sont rangés de telle manière que la supériorité de la « race nordique » est patente, et, selon Brigham, « le déclin de l’intelligence américaine… [serait] d’autant plus accéléré que les mélanges de races [seraient] de plus en plus généralisés. » Par ailleurs, Brigham est conscient des implications sociales de tels résultats. Il rappelle à ses lecteurs que les Européens du Sud et de l’Ouest, soit, pour le paraphraser, les « races alpines et méditerranéennes » ont constitué jusqu’à 75 % du total de l’immigration aux États-Unis dans les quarante dernières années. C’est une manière implicite de pointer la responsabilité de ce groupe d’immigrants dans l’appauvrissement de l’intelligence américaine. (Extrait de Carl Brigham, A Study of American Intelligence, op. cit.(1923), p. 210.) Traduction personnelle.
  • [64]
    . Daniel Kevles , In the Name of Eugenics : Genetics and the Uses of Human Heredity, New York, Alfred Knopf, 1985. (Édition française : Au nom de l’eugénisme : Génétique et politique dans le monde anglo-saxon, tr. fr. M. Blanc, Paris, PUF, 1995(1995), p. 138.)
  • [65]
    . Cf. Ibidem, Voir p. 139. Traduction M. Blanc. Déjà, en tant que vice-président, Coolidge avait déclaré publiquement : « L’Amérique doit rester américaine. Les lois biologiques montrent que les Nordiques dégénèrent lorsqu’ils se mélangent à d’autres races»
  • [66]
    . Robert Yerkes, The Mental Life of Monkeys and Apes, op. cit.,(1916c), p. 143. Traduction personnelle.
  • [67]
    . Letter from R. Yerkes to G. Hamilton, March 26, 1921, in Yerkes’ Papers, Yale University Archives, Box 24, Folder 422. Traduction personnelle.
  • [68]
    . Letter from R. Yerkes to G. Hamilton, March 6, 1924, in Yerkes’ Papers, Yale University Archives, Box 24, Folder 423.
  • [69]
    . Robert Yerkes, The Chimpanzees : a Laboratory Colony (3rd ed.), New Haven-NJ, Yale University Press, 1945, p. 1. Traduction personnelle.
  • [70]
    Ibidem, Voir p. 3. Traduction personnelle.
  • [71]
    Ibid., p. 3. Traduction personnelle.
  • [72]
    Ibid., Voir p. 10. Traduction personnelle.

1L’histoire de la psychologie animale est un champ de savoirs et de pratiques scientifiques encore peu exploré par les historiens des sciences, cependant fécond, notamment par les liens qu’il établit avec l’histoire de la psychologie. En particulier, la psychologie animale éclaire la manière dont la psychologie, au début du XXe siècle, dessine ses frontières et cherche à construire sa scientificité en évitant certains objets problématiques. Parmi ces derniers, les états mentaux des animaux, et plus particulièrement l’intelligence animale, constituent un objet que la psychologie hésite à faire entrer dans son champ de recherche. C’est cet objet que nous nous proposons d’examiner dans cet article. Nous chercherons à explorer les trajectoires qu’il décrit en nous appuyant principalement sur l’étude comparée des travaux du zoologiste français Louis Boutan (1859-1934) et ceux du psychologue américain Robert Yerkes (1876-1956). Dans les deux cas, nous analyserons les conditions intellectuelles, institutionnelles et politiques qui conduisirent à l’« invention » de l’intelligence animale dans la première moitié du XXe siècle. Cela nous permettra de mettre en évidence les liens souvent fragiles qui se tissèrent entre la psychologie animale et la psychologie humaine. Notamment, nous examinerons les obstacles que rencontra la psychologie animale pour s’affirmer comme discipline autonome et comment elle chercha à se définir avec, mais aussi contre, les nouveaux impératifs de la psychologie. En d’autres termes, nous montrerons comment, au début du XXe siècle, l’intelligence animale fut un objet à l’identité instable, dont nous avons identifié trois facettes. Tout d’abord objet suspect, l’intelligence animale sera repoussée par la psychologie ; ensuite, instrumentalisée, elle servira de support à l’émergence de la psychologie enfantine ; enfin, dans le contexte de l’Amérique de l’entre-deux-guerres, elle finira par s’affranchir et à exister à côté de la psychologie, non sans avoir au passage servi sa cause.

Prologue

Le cas des chevaux « savants » : l’intelligence animale, un objet refusé par la psychologie

2Le 13 mars 1913, à Paris, à la Société française de philosophie, des scientifiques issus de sphères universitaires prestigieuses sont réunis pour discuter d’un objet surprenant : les capacités intellectuelles extraordinaires de chevaux dits « savants ». Ces derniers se sont fait connaître à la fin des années 1910, à Elberfeld, en Allemagne, pour leur facilité à résoudre des problèmes arithmétiques les plus variés ou à épeler des mots. En 1904, c’était un autre cheval, le fameux « kluge Hans » (Hans le malin), qui, à Berlin, avait attiré les foules mais aussi des scientifiques de renom  [1]. Alors, s’agit-il d’une « révolution » quant à l’intelligence des animaux ? Est-ce la révélation de l’existence de leurs pouvoirs télépathiques ? Ou n’est-ce pas simplement une fraude ? De telles interrogations sont soulevées en ce jour de mars 1913, non sans heurt d’ailleurs. Pour le psychologue suisse Édouard Claparède (1873-1940), le cas des chevaux « savants » est « le plus extraordinaire qui n’ait jamais existé dans la psychologie animale  [2] ». Au contraire, pour le philosophe français Henri Piéron (1851-1946), il ne fait aucun doute que le propriétaire des chevaux est habile, mais qu’il s’est abusé lui-même tout autant qu’il a trompé ses interlocuteurs  [3]. Piéron se range rapidement du côté de ceux qui ont montré que les chevaux ont été conditionnés à compter, jusqu’au moment où un changement de posture de leur maître ou d’un spectateur leur donne un signal d’arrêt.

3En se ralliant à ces avis sceptiques, Piéron ne fait que poursuivre sa bataille en faveur d’une psychologie expérimentale. En 1907, après avoir expulsé l’objet « conscience » du champ d’investigation de la psychologie, Piéron a donné à cette dernière un nouvel objet : le « comportement  [4] ». Ce postulat sert un double objectif : affranchir la psychologie de la philosophie (et donc de la psychologie introspective) et l’ancrer dans les sciences naturelles (la physiologie) pour affirmer sa scientificité. Cela entraîne aussi de profonds remaniements. Avant 1907, Piéron s’était déjà attelé à la tâche de bannir de la psychologie différents phénomènes qu’il jugeait non scientifiques. Par exemple, en 1902, en collaboration avec le scientifique roumain immigré en France, Nicolas Vaschide (1874-1907), Piéron avait entrepris des expériences pour remettre en cause l’existence de phénomènes télépathiques  [5]. Lors de l’affaire des chevaux « savants », la position qu’il soutient est plus ambiguë. D’un côté, les animaux ont joué un rôle primordial dans le processus de légitimation de la psychologie en tant que discipline scientifique. Comme l’affirme Piéron, « c’est dans la psychologie animale que s’est posé d’abord le problème d’une psychologie sans conscience  [6] ». De l’autre, et compte tenu du nouveau postulat, il est désormais difficile de considérer comme scientifique l’étude de l’esprit animal et, a fortiori, celle de l’intelligence animale. Après l’épisode des chevaux « savants », Piéron est plus radical. Non seulement la « nouvelle » psychologie doit se démarquer de la philosophie mais aussi elle doit s’affranchir des savoirs profanes. Dans un premier temps donc, l’intelligence animale est mise sur la sellette par les psychologues qui, animés par la quête d’une nouvelle identité professionnelle et la valorisation d’une nouvelle expertise, excluent certains objets qu’ils jugent entachés du sceau de l’imposture et du charlatanisme.

4Cependant, au fur et à mesure que la psychologie s’impose comme une discipline scientifique, des questions héritées de la philosophie, comme celle de la complexité des états mentaux, ressurgissent. La question de l’origine du langage mais aussi celle de l’intelligence animale se trouvent être alors des objets dissidents.

I. Les études comparées de Louis Boutan avec un gibbon et des enfants : l’intelligence animale au service de l’intelligence enfantine

5En 1907, lorsqu’il commence ses études sur les capacités linguistiques et mentales des singes, le zoologiste français Louis Boutan (1859-1934) s’empare d’un sujet controversé. Cela n’est certainement pas en contradiction avec le personnage, qui, bien qu’ayant suivi un parcours universitaire honorable, a toujours affiché une certaine indépendance vis-à-vis du monde académique français.

Études préliminaires sur le langage animal

6Déjà, en 1904, Boutan n’a pas hésité à mettre en sourdine sa carrière académique pour diriger une mission scientifique en Indochine. Délégué par l’Académie des sciences et le ministère des Colonies, il a la mission de poursuivre des recherches en biologie appliquée. Il doit notamment faire des études sur l’amélioration du riz et la culture des huîtres perlières, un sujet attractif pour ce passionné de la mer. Si Boutan est très motivé par ce travail dont il a la charge officielle, il a aussi l’opportunité de s’adonner à d’autres recherches. Parmi ces dernières, la psychologie des singes occupe une place importante.

7En janvier 1907, lors d’une expédition dans le Nord du Laos, Boutan acquiert un gibbon femelle aux joues blanches (Hylobates leucogenys) qu’il baptise Pépée. Les gibbons, animaux souples, armés de longs bras puissants et capables de chanter, ont toujours été une grande attraction des forêts humides de l’Asie du Sud-Est. Boutan est fasciné par la dextérité de ces animaux à marcher debout, leur agilité, et surtout leur chant mélodieux et envoûtant. De retour à Hanoi avec l’animal capturé, il se met en quête de percer le mystère de l’origine de ses vocalisations. La question est alors de savoir si l’animal possède un répertoire de vocalises défini dès la naissance ou s’il apprend à chanter par l’imitation de ses congénères ou d’animaux d’espèces différentes.

8Dans un premier temps, Boutan conclut que le langage de son gibbon est inné et purement émotionnel. Cependant, au cours de ses études, il se heurte à un cas particulier qui remet en cause ses conclusions initiales. Il s’avère que certains oiseaux, dont un merle buffle qu’il a élevé dans sa maison de Hanoi, sont capables d’apprendre quelques mots humains. Boutan va prendre en compte la singularité de ce cas, au point de qualifier ce stade évolutif de « stade merle buffle  [7] ». Il passe alors d’une définition négative : « L’animal ne peut pas parler, il n’est qu’une machine », à une définition plus positive : « Certains animaux sont dotés d’un langage rudimentaire ». Ainsi, en acceptant cette notion de « langage rudimentaire », qu’il étend au concept de « raison rudimentaire », Boutan semble avoir abandonné l’idée de faire du langage une barrière infranchissable entre l’homme et l’animal. Ce tournant vers une pensée évolutionniste est renforcé lorsque, de retour en métropole en 1909, il entreprend des études comparées sur les capacités mentales de son gibbon et celles d’enfants âgés de deux à dix ans. Son but est alors de comprendre comment s’articulent le langage et la pensée abstraite, plus spécifiquement si le langage est nécessaire pour forger une pensée abstraite. Concrètement cela signifie qu’il cherche à savoir si son gibbon et des enfants qui ne parlent pas encore sont capables de résoudre des problèmes, comme l’ouverture d’une boîte à problèmes qui contient de la nourriture et dont l’ouverture est commandée par la manipulation de targettes ou l’activation d’une poire.

Le double enjeu des études comparées

9Pour Boutan, l’enjeu d’études comparées est double. Tout d’abord, elles permettent d’éluder la question de l’existence de la conscience animale, question qui est devenue cruciale au début du XXe siècle pour les réformateurs de la psychologie. Au sujet de la psychologie animale ou « psychologie zoologique », comme on l’appelle en France à cette époque, Piéron a été très affirmatif :

10« Ce que la psychologie étudie, ce sont uniquement les actes et les attitudes des animaux, envisagés dans le complexus des circonstances passées et actuelles qui les enserrent et les conditionnent, c’est leur comportement.  [8] »

11Boutan adhère aux idées de Piéron et, à son instar, il reconnaît « qu’il est impossible à l’homme de pénétrer directement dans la conscience d’un anthropoïde » et que « nous ne pouvons juger de son travail psychologique que par ses manifestations extérieures difficiles à interpréter avec certitude »  [9]. Toujours dans la lignée de Piéron, qui affirme que « la conscience […] ne peut […] être affirmée chez un animal qu’en se fondant sur des signes indirects  [10] », Boutan revendique alors l’idée que :

12« […] indirectement, en nous adressant à l’enfant, en cherchant à le placer dans les mêmes conditions que l’anthropoïde, si nous voyons à un stade bien défini de son développement se répéter les mêmes manœuvres, nous tenons l’un des anneaux de la chaîne. L’enfant diffère de l’homme, mais l’homme ayant été un enfant, l’observateur se trouve mieux outillé pour déterminer les mobiles des actes de l’enfant que pour apprécier ceux qui font agir l’animal.  [11] »

13Par ailleurs, le contexte de l’évolutionnisme conditionne fortement le choix de Boutan de travailler avec des singes et des enfants. Au cours de ses études de sciences naturelles, Boutan a été converti aux théories évolutionnistes, notamment celles du biologiste allemand Ernst Haeckel (1834-1919)  [12]. Boutan a d’ailleurs appliqué ces théories dans sa thèse de 1886 sur l’anatomie et le développement d’une bernique (Fissurella alternata). Décrivant avec minutie les formes présentées par ce mollusque marin du stade embryonnaire au stade adulte, Boutan a montré comment il « répète au cours de son développement les formes caractéristiques des types voisins […] et emprunte tour à tour leur aspect extérieur, avant de reconstituer le type définitif  [13] ». Boutan a donc mis en lumière le parallélisme qui existe, chez cet invertébré, entre le développement de l’individu (ontogenèse) et l’histoire évolutive de son espèce (phylogenèse), et ainsi appliqué la loi de Haeckel : « L’ontogenèse est une courte récapitulation de la phylogenèse ».

14En France, parmi d’autres lecteurs attentifs de Haeckel figure le philosophe Hippolyte Taine (1828-1893) qui, de son côté, a eu recours à la théorie de la récapitulation pour étudier l’évolution de l’esprit. Dans De l’intelligence (1870) et suite à des observations réalisées sur sa petite fille, Taine pose :

15« En général, l’enfant présente à l’état passager des caractères mentaux qui se retrouvent à l’état fixe dans les civilisations primitives, à peu près comme l’embryon humain présente à l’état passager des caractères physiques qui se trouvent à l’état fixe dans des classes d’animaux inférieurs.  [14] »

16Ainsi, à la fin du XIXe siècle, la psychogenèse de l’enfant devient le moyen privilégié d’étude de la psychogenèse de l’espèce humaine : l’esprit enfantin est devenu un objet de recherche  [15]. Non seulement Boutan inscrit ses travaux dans ceux de Taine, mais il s’aventure plus loin : comme incarnation des degrés inférieurs de l’intelligence, l’enfant se trouve proche de l’animal dont l’esprit, de manière similaire, peut devenir un objet d’investigation.

Expérimenter avec un gibbon et des enfants

17En ce qui concerne la partie proprement expérimentale de ses études, Boutan est principalement influencé par les travaux du psychologue américain Edward Thorndike (1874-1949). Comme Thorndike, Boutan a fait des caractéristiques du laboratoire, c’est-à-dire le contrôle et la répétition des expériences, les critères de scientificité de la psychologie animale. En 1909, à son retour d’Indochine, il est nommé professeur de zoologie et de physiologie animale à la Faculté des sciences de Bordeaux. C’est dans un local de l’université qu’il fait aménager son laboratoire de psychologie. Tout y est orchestré pour que le gibbon et les enfants s’exercent avec les boîtes à problèmes sans se savoir observés. Boutan est persuadé que, de cette manière, les enfants et le gibbon, exprimeront des comportements spontanés soit, à ses yeux, des comportements naturels.

18À cette fin, il a imaginé un dispositif photographique ingénieux. Dans le mur séparant le « cabinet noir » de la « chambre du gibbon », Boutan a fait percer deux ouvertures : l’une est fermée par un verre coloré similaire à celui d’une lampe d’une caméra photographique, l’autre est traversée par un obturateur photographique. Grâce à ce dispositif, Boutan peut observer et photographier l’animal à son insu. Des procédures d’espionnage similaires ont été prises pour les enfants. Avant le début de chaque séance expérimentale, Boutan se cache prudemment dans le « cabinet noir » et attend que l’enfant rentre dans la chambre. Quand la séance est finie, il se contente de presser un bouton pour avertir son assistant. (Cf. fig. 1)

Tableau 1

19Par ailleurs, les boîtes à problèmes que Boutan met entre les mains de ses sujets expérimentaux s’inspirent des puzzle-box utilisées par Thorndike. Ce dernier avait pour principe d’enfermer des animaux, principalement des chats et des poussins, dans à ces fameuses boîtes. Poussés par la faim, les animaux apprenaient à ouvrir la boîte, afin d’aller chercher une petite quantité de nourriture placée à l’extérieur, ceci, après une série « d’essais et erreurs ». En mesurant le temps nécessaire à chaque animal pour ouvrir la porte et atteindre la nourriture, Thorndike avait traduit de manière quantitative ces activités « d’intelligence » en traçant point par point le temps mis pour chaque essai successif, créant ainsi une courbe par animal. Après avoir travaillé avec des petits animaux, Thorndike s’était procuré des singes et leur avait imposé plusieurs tâches toujours avec des boîtes à problèmes. Avec les singes, de nouveaux résultats apparurent : les courbes, au lieu de décroître doucement, montraient un processus de « soudaine acquisition », indicatif de la présence d’un raisonnement. Cependant, Thorndike rejeta l’idée que les singes pussent raisonner.

20Boutan se distancie de Thorndike sur ce point : « Thorndike », dit-il, « accorde trop peu à la puissance mentale de l’animal  [16] ». Par ailleurs, il juge les situations expérimentales développées par Thorndike comme inappropriées car elles privent l’animal de l’opportunité de voir de quelle solution il s’agit. Au contraire, Boutan imagine des situations assez simples pour que l’animal puisse comprendre un problème élémentaire, dans lequel, si possible, sa conduite n’aura qu’une seule signification.

21Aussi choisit-il d’utiliser des boîtes de deux types : des boîtes à mécanisme visible, d’autres à mécanisme caché. Le mécanisme de la boîte du premier type consiste en une charnière que l’on peut ouvrir grâce à un bouton (boîte A) ou en déplaçant une ou plusieurs targettes dans différentes directions (boîtes B et D). Dans la boîte de second type (boîte E), le système d’ouverture est caché. On voit seulement partir du couvercle un long tube se terminant par une poire, qu’il suffit de presser pour permettre d’actionner un fil de fer, lui-même relié à un loquet provoquant l’ouverture de la boîte. (Cf. fig. 2)

22Aux yeux de Boutan, le mécanisme caché ne peut pas être découvert à la suite d’un comportement par « essais et erreurs », mais seulement suite à un comportement intentionnel, indicateur d’un raisonnement. La question reste alors de savoir si un enfant qui ne maîtrise pas le langage ou encore le gibbon, seront capables d’ouvrir cette boîte, c’est-à-dire de faire preuve d’un « raisonnement rudimentaire ».

La prudence de Boutan à accorder l’intelligence aux singes

23En mettant à l’épreuve son gibbon avec les différents types de boîtes, Boutan conclut que Pépée est capable d’un « raisonnement embryonnaire ». Selon lui, le fait qu’il a usé, l’un après l’autre, de son pouce puis de ses dents pour essayer d’ouvrir la boîte à mécanisme caché prouve qu’il est capable d’une compréhension comparée et que ses mouvements sont orientés par une idée. En un éclair et non suite à une série de comportements par « essais et erreurs », l’animal a compris le mode d’ouverture de la boîte. Ces résultats remettent donc en cause les explications quasi mécanistes de Thorndike relativement à l’apprentissage soudain de ses singes.

24Cependant, dans ses conclusions, Boutan se met brusquement à douter de ses résultats. Il note en effet :

25« L’enfant paraît avoir compris du premier coup, dans cette dernière expérience, la relation qui existe entre la traction sur la poire et l’ouverture de la boîte, contrairement à ce que nous avons observé chez Pépée et chez les enfants avant qu’ils ne parlent.  [17] »

Tableau 1

26A, B, D : boîtes avec mécanisme visible

27E : boîte avec mécanisme caché

28(Avec l’aimable autorisation de la

29Société Linnéenne de Bordeaux)

30Pourquoi Boutan se dérobe-t-il à accorder la capacité de raisonnement à son singe ? Plusieurs explications peuvent être avancées. Tout d’abord, Boutan est conscient que le fait d’avoir travaillé avec un seul sujet ne peut lui permettre de généraliser ses conclusions  [18]. Par ailleurs, au moment où il fait connaître ses résultats à ses pairs universitaires, la supercherie des chevaux d’Elberfeld a été dévoilée. Il est alors probable que Boutan, ne craignant que son travail soit associé à cette tradition du « merveilleux psychique  [19] », finisse par édulcorer ses conclusions.

31Si les singes sont les « perdants » des études de Boutan, les enfants, eux, en sortent les vainqueurs. À ce propos, rappelons qu’à l’époque où Boutan a entrepris ses études simiennes, d’importantes discussions au sujet de l’éducation sont la priorité du gouvernement de la Troisième République. Nous allons montrer dans quelle mesure le contexte politique influença, voire conditionna le travail de Boutan qui, finalement, participa à l’émergence de la psychologie de l’enfant.

Éduquer les enfants : valoriser la spontanéité ou recourir à un dressage mécanique ?

32À la fin du XIXe siècle, deux programmes d’éducation prédominent en France. D’un côté, les éducateurs réformateurs comme Henri Marion (1846-1896) ou Ferdinand Buisson (1841-1932) défendent les « méthodes actives »  [20]. De telles méthodes, qui s’inspirent en partie des idéaux d’éducation rousseauistes, visent à éveiller les facultés latentes de l’enfant, ses initiatives et à privilégier son activité dans l’apprentissage plutôt qu’une réception passive de l’enseignement. De l’autre côté, l’amateur en psychologie animale, Pierre Hachet-Souplet (1857-1947), revendique la « méthode du dressage » pour éduquer à la fois les animaux et les enfants  [21]. Calquée sur la « théorie psychologique de l’obéissance » de Gustave Le Bon (1841-1931), cette méthode postule que toute éducation doit viser à transformer les actes conscients en actes inconscients. En d’autres termes, cela signifie qu’elle doit renforcer les réflexes innés utiles de l’enfant et, inversement, détruire les nuisibles  [22]. Avec cette méthode, les animaux et les enfants finissent, à la manière d’automates, par développer des réflexes non seulement physiques mais aussi mentaux. Quelle est alors la position de Boutan dans ce débat ?

33Plusieurs facteurs nous conduisent à penser que Boutan prit le parti des éducateurs progressistes. Tout d’abord, il critique ouvertement les méthodes de Hachet-Souplet, tout autant qu’il affirme que les idées de Le Bon sont trop générales  [23]. Par ailleurs, en tant que fils d’un Inspecteur général de l’Instruction publique il est au courant des réformes éducatives de la Troisième République et probablement davantage enclin à y adhérer. Enfin, les idées rousseauistes de Boutan sont révélées par la manière avec laquelle il conceptualise son travail à la fois en termes intellectuels et matériels.

34Comme Rousseau qui exigeait une relation étroite entre le tuteur et son élève, Boutan jouit d’une relation très familière avec son gibbon qu’il traite comme son propre enfant  [24]. De même, il connaît très bien les enfants avec lesquels il travaille. Le petit René, par exemple, est le fils de son assistant de laboratoire et Boutan l’a vu grandir depuis l’âge de deux ans. Comme Rousseau qui a fait du désir un moyen d’attirer l’attention d’un enfant, Boutan use de l’appétit pour une nourriture attractive ou le goût du jeu, selon qu’il s’agit du gibbon ou de l’enfant, pour capter leur attention. Comme Rousseau qui insistait pour encourager le comportement spontané chez les enfants, Boutan a conçu l’architecture de son laboratoire de telle sorte qu’elle permette de piéger le comportement spontané des enfants et du singe.

35Ainsi, les études de Boutan sont orientées davantage autour de l’enfant que de l’animal. Les résultats sont marqués de cette empreinte (presque un biais expérimental) : seul l’enfant qui parle est doué de raison. Comme le résume Boutan :

36« L’enfant qui commence à parler, travaille comme un tout petit homme. L’enfant qui ne parle pas encore, travaille comme un anthropoïde. La différence de méthode de travail de l’enfant qui ne parle pas et de l’enfant qui parle paraît tenir, non à la différence d’âge, mais à la différence représentée par la possession ou la non possession du langage.  [25] »

37La discrimination reposant sur la possession du langage redonne donc à l’enfant le privilège de la raison, et, en conséquence, creuse le fossé entre l’homme et l’animal. Cette insistance sur la psychologie de l’enfant vient étayer les travaux menés à la même époque par Alfred Binet (1857-1911) et Théodore Simon (1873-1961). En 1904, Binet et Simon sont chargés par une commission du ministère de l’Instruction publique d’examiner deux problèmes : le diagnostic des états d’arriération mentale et l’éducation des enfants anormaux. Six mois après la mise en place de cette commission, ils présentent au Congrès international de psychologie de 1905, la première version de l’échelle métrique de l’intelligence, qui vise la quantification des fonctions mentales d’enfants de trois à neuf ans. Ainsi, alors que Binet et Simon s’occupent du « petit » de l’Homo faber, Boutan se consacre à l’infans, « celui qui ne parle pas ». En ce début de siècle, en France, c’est donc bien l’intelligence enfantine qui est au cœur d’interrogations scientifiques et politiques.

II. Les travaux de Robert Yerkes sur le comportement d’idéation des singes : l’intelligence animale, un objet légitimé

38Si Boutan hésite à faire des singes des animaux intelligents, un de ses fervents admirateurs, le psychologue américain Robert Yerkes (1876-1956) affirme quelques années plus tard que les singes sont capables d’articuler des idées, donc de raisonner. Yerkes ira même jusqu’à identifier en Boutan un précurseur de ses recherches sur les capacités mentales des singes  [26]. La comparaison entre les deux scientifiques s’avère alors intéressante dans la mesure où elle permet de mettre en évidence l’influence du contexte intellectuel, social et politique dans les théories et pratiques éthologiques, et plus particulièrement ici, de comparer et contraster l’« invention » de l’intelligence animale, dans des contextes différents : le français et l’américain.

Quelques mots sur Robert Yerkes

39Comme Boutan, Yerkes a une formation en zoologie tout autant qu’il est un évolutionniste convaincu. Cependant, si Boutan se livre à des recherches psychologiques pendant son temps libre, Yerkes passera la majeure partie de sa carrière académique à étudier la vie psychologique et sociale des singes. Tout d’abord, il est intéressant de voir à quel point les

40études menées par Yerkes sur les singes s’inscrivent dans le développement de la psychologie comparée aux États-Unis, au début du XXe siècle. Yerkes n’est pas le seul acteur du monde académique américain à promouvoir cette branche de la psychologie  [27]. En 1909, à l’époque où il est professeur assistant à l’université de Harvard, Yerkes cherche à resserrer ses liens professionnels avec John B. Watson (1878-1958) alors professeur en psychologie comparée à l’université Johns Hopkins. Leur collaboration est fructueuse et les deux scientifiques ont une vision suffisamment commune de leur discipline pour fonder, en 1911, le Journal of Animal Behavior  [28]. Ils contribuent aussi à faire de la souris le modèle standard de la psychologie de laboratoire. Cependant, leurs relations professionnelles se détériorent après l’année 1913.

41Cette année-là, dans un texte devenu un manifeste, Watson proclame que la psychologie ne doit plus saisir le psychisme à travers une démarche introspective mais à travers le comportement (behavior). Cette « nouvelle » psychologie, que Watson qualifie de « behavioriste », est, selon lui, « une branche des sciences naturelles, purement objective et expérimentale, qui a aussi peu besoin de l’instrospection que les sciences de la chimie et de la physique en ont besoin  [29] ». Dans cet élan radical, Watson va jusqu’à bannir de la psychologie l’étude des états mentaux ainsi que leur contenu. La réaction de Yerkes ne se fait pas attendre : prenant le contre-pied de Watson, il affirme l’existence d’une psychologique animale et insiste sur le besoin de reconnaître des liens entre cette dernière et celle de l’homme  [30]. Pour Yerkes, l’étude de l’intelligence animale est légitime et, sur ce point, il rejoint la position de Boutan.

42En pratique, cela signifie que Yerkes initie un nouveau programme de recherche. Il va travailler avec des animaux complexes qu’il va placer dans des situations expérimentales où ils pourront mettre en évidence des capacités d’apprentissage qui ne reposeront plus simplement sur des comportements par « essais et erreurs », mais sur un comportement rationnel. Ces techniques expérimentales, parmi lesquelles figure la « méthode des choix multiples » (que nous détaillerons ultérieurement), Yerkes les a acquises grâce à un de ses anciens étudiants, le psychiatre Gilbert van Tassel Hamilton (1877-1944). Au début de l’année 1913, dans le cadre de ses fonctions de directeur du service de recherche en psychologie à l’Hôpital psychiatrique de Boston, Yerkes a appliqué la méthode des choix multiples avec beaucoup de succès avec ses patients. Ensuite, il est passé à des modèles animaux en pratiquant des tests sur des corbeaux et des cochons. Désormais, il souhaite travailler avec des singes. C’est une gageure car de tels animaux, denrées chères et fragiles, sont difficiles à se procurer en quantité sur le territoire américain.

43C’est Hamilton qui va lui permettre de réaliser son projet. Ce dernier a quitté les bancs de l’université de Boston en 1908, et il vit depuis en Californie, à Montecito, près de Santa Barbara. Là-bas, il est le médecin privé d’un financier philanthrope du nom de Stanley McCormik, qu’il a rencontré à Boston. Ce dernier non seulement accorde à Hamilton des honoraires pour ses services en tant que médecin, mais aussi l’autorise à consacrer une partie de son temps à ses recherches en psychologie  [31]. Mécène généreux, McCormick va jusqu’à subventionner la construction d’un laboratoire de psychologie comparée, incluant une colonie d’une quinzaine de singes  [32]. Pour Yerkes, l’invitation dans cette vaste propriété californienne est inespérée : avant le premier conflit mondial, il avait eu l’intention de se rendre à Ténériffe, dans les îles Canaries, pour rejoindre la station expérimentale créée en 1912 en vue de l’étude des singes anthropomorphes par le psychologue gestaltiste allemand Wolfgang Köhler (1887-1967)  [33]. L’éclatement de la guerre perturbe les plans initiaux de Yerkes et, au début de l’année 1915, bénéficiant d’un congé sabbatique, il finit par répondre positivement à l’invitation insistante de Hamilton. Pendant six mois, dans des conditions matérielles et humaines optimales, Yerkes va être absorbé dans sa première recherche systématique et approfondie sur le comportement des singes.

Théories de l’évolution et théories freudiennes : l’étude comparée d’animaux, d’enfants et de malades mentaux

44Depuis son installation en Californie, Hamilton qui, à l’instar de Yerkes, est un évolutionniste convaincu, étudie le comportement animal dans une perspective phylogénétique. À cette fin, il a mis au point des procédures expérimentales qui permettent des comparaisons entre des espèces différentes. En 1911, il commence à travailler avec des singes, des chats, des chiens et un cheval, mais aussi des sujets humains, parmi lesquels deux ouvriers de la propriété (l’un deux étant jugé déficient mentalement), Joe, son fils de vingt-six mois, et d’autres enfants âgés de dix à quinze ans.

45Les travaux de Hamilton non seulement servent une perspective évolutionniste, mais aussi visent à éclairer des problèmes de psychopathologie. Hamilton a en effet la conviction que l’étude du comportement de mammifères va jeter une lumière sur des comportement anormaux qu’il a eu si souvent l’occasion de diagnostiquer chez ses patients  [34]. Comme il l’écrit en 1912 à Yerkes :

46« Parfois, je peux me dire : “ Le comportement de ce patient expose des tendances réactionnelles bien définies parmi lesquelles je suis capable d’en reconnaître certaines parce que la psychologie animale m’a ouvert les yeux sur leur existence. ”  [35] »

47Plus particulièrement, Hamilton s’intéresse à des comportements qu’affichent de manière caractéristique des sujets mis en difficulté. Ces comportements, qu’il désigne sous le nom de « tendances réactionnelles » (reactive tendencies), décrivent le produit final d’un ensemble de processus inconscients d’un sujet (homme ou animal), lorsqu’il se trouve dans une « situation déroutante » (baffling disadvantage), pour reprendre la terminologie de Hamilton  [36]. Par exemple, une telle situation est celle qui révèle une incapacité à satisfaire des besoins majeurs, comme les pulsions sexuelles, ou encore celle qui met en jeu la confrontation d’un individu à un problème insoluble. Ce sont ces dernières situations qui nous intéressent plus spécifiquement ici. Le lien entre comportement sexuel et capacités cognitives n’est cependant pas anodin. Hamilton a élaboré le concept de « tendances réactionnelles » à partir des théories freudiennes qui ont été introduites aux États-Unis en 1907. Hamilton retient en particulier deux idées de ces théories. La première est le rôle primordial accordé à la sexualité, un thème de recherche récurrent pour Hamilton. La deuxième est l’idée que nos comportements sont le reflet de « processus complexes inconscients  [37] ». Pour Hamilton donc, cet inconscient est révélé à travers les « tendances réactionnelles » qui apparaissent lorsqu’un individu se trouve en situation d’échec. En d’autres termes, cela signifie que la compréhension d’une névrose ou de tout autre trouble mental passe par le décryptage et l’isolement du type de « tendances réactionnelles » exprimées par un sujet malade.

48Cependant, si Hamilton rend hommage à Sigmund Freud pour son « remarquable génie  [38] », il s’en démarque clairement sur plusieurs points. Tout d’abord la perspective comparée. Alors que Freud insiste sur l’ontogénie, Hamilton, au contraire, accorde plus d’importance à la perspective phylogénétique :

49« Beaucoup a été fait pour étudier les pulsions primaires hypothétiques d’un point de vue ontogénique. Nous suivons de telles études avec grand intérêt, mais ceux d’entre nous qui ont quelque connaissance en psychologie comparée croient que de telles pulsions doivent être étudiées d’un point de vue phylogénétique afin d’être sûrs de nos assises.  [39] »

50Par ailleurs le but de Hamilton est de jauger les concepts et les théories forgés par Freud à l’aune d’expérimentations conduites au laboratoire. Ainsi, si Hamilton reconnaît que le champ de la psychopathologie a été « révolutionné par un groupe d’hommes qui ont montré que le comportement était déterminé par un vaste ensemble de tendances réactionnelles », il insiste cependant pour dire que ces dernières doivent être identifiées puis isolées  [40]. Selon lui, seules des expérimentations conduites avec un nombre important d’espèces vivantes peuvent aider à établir un critère objectif pour caractériser et hiérarchiser ces « tendances réactionnelles », qui apparaissent dans des situations hautement subjectives. Grâce à la « méthode des choix multiples » incarnée par l’« appareil à choix multiples », Hamilton va mettre l’épreuve de l’expérimentation les concepts de « tendances réactionnelles » et de « situations déroutantes ».

Pour la défense de la psychologie expérimentale : l’appareil à choix multiples

51L’« appareil à choix multiples » consiste en un compartiment dans lequel le sujet pénètre par une porte à sens unique, et duquel il ne peut s’échapper qu’à travers une des quatre portes qui lui font face et parmi lesquelles il doit identifier la bonne porte. L’ouverture de cette porte est contrôlée par l’expérimentateur. Le sujet est considéré comme entraîné dès qu’il a compris la règle qui lui permet d’identifier la bonne porte et de la pousser sans hésitation.

52Avec Hamilton, et conformément à ses convictions évolutionnistes, différentes espèces animales mais aussi des enfants et des hommes sont successivement introduits dans le compartiment afin d’évaluer leur capacité d’apprentissage. La règle qu’ils doivent saisir est la suivante : une porte ne se retrouve jamais ouverte deux fois de suite. Le sujet doit donc apprendre que la porte qui cède sous sa pression lors d’un essai ne sera jamais celle qui le libérera lors de l’essai suivant. Ce test cherche à mettre en évidence la capacité d’un sujet à détecter la porte impossible à ouvrir, soit sa capacité à réaliser un choix négatif.

53Au final, Hamilton identifie cinq « tendances réactionnelles » : a) activités persistantes répétées sans succès (comme celles qui consistent à retourner vers une porte de sortie incorrecte) ; b) activités désordonnées en alternance avec comportement de type a) (par exemple essayer les portes de sortie de manière aléatoire) ; c) activités stéréotypées marquées par la répétition de la même combinaison, sans élimination des activités qui, manifestement, ne sont pas adaptées (par exemple essayer les portes de sortie selon la même séquence incorrecte, de manière répétée) ; d) comportement par « essais et erreurs », aussi qualifié de comportement « infra- rationnel » (par exemple, essayer chaque porte de sortie de manière systématique, sans avoir reconnu que la porte de l’essai précédent devait être ignorée) ; e) réactions déterminées par un raisonnement  [41]. Pour Hamilton, les quatre premières tendances mettent en jeu des dysfonctionnements d’ajustement de gravité croissante. Il note aussi que des réponses émotionnelles caractéristiques accompagnent ces réactions et qu’elles peuvent perturber la résolution du problème. Ainsi, Hamilton s’efforce d’inscrire la découverte freudienne de l’inconscient dans une perspective comparée, phylogénétique et expérimentale.

54Lorsqu’il arrive à Montecito, Yerkes, qui est familier de la « méthode des choix-multiples », a pour objectif principal de mettre à jour la capacité de certains primates à raisonner, soit, dans ses termes, à montrer un « comportement d’idéation » (ideational behavior). C’est donc la cinquième catégorie de la typologie de Hamilton que Yerkes va tenter de caractériser.

55Comme Hamilton, Yerkes est persuadé que les animaux n’apprennent pas seulement par « essais et erreurs » et, à l’instar de son disciple (et l’on pourrait rajouter de Boutan), il cherche à se démarquer des conclusions quasi mécanistes de Thorndike sur les capacités mentales des singes. Inscrivant ses travaux dans le prolongement de ceux de Hamilton, Yerkes se met donc à travailler avec l’appareil à choix multiples, que Hamilton a amélioré depuis son installation en Californie. L’instrument utilisé à Montecito est beaucoup plus imposant que celui de Boston : les quatre portes ont fait place à neuf portes qui se referment sur des sous-compartiments dans lesquels l’animal peut être emprisonné en cas d’échec. Mais Yerkes radicalise la procédure de Hamilton et s’attache à ce que la solution du problème dépende d’une règle plus précise et plus stricte que celle de Hamilton. Dans la procédure de Yerkes, le sujet expérimental doit percevoir une certaine relation entre les portes qui lui font face, soit apprendre une discrimination basée sur une position  [42]. Par exemple, pour un jeu de portes données, seule celle qui est à l’extrême droite est toujours correcte. Si le sujet l’ouvre, il reçoit une recompense. Dans le cas inverse, il est puni et reste enfermé dans le sous-compartiment pendant quelques minutes  [43]. Selon Yerkes, cela décourage les choix hâtifs, hasardeux et négligents  [44] (cf. fig. 3).

56Durant son séjour californien, Yerkes travaille en particulier avec deux macaques rhésus, du nom de Sobke et Skirrl, et un orang-outan, Julius, âgé de cinq ans. Après avoir soumis ces animaux à une série de quatre problèmes à choix multiples, des résultats concluants apparaissent  [45]. Les courbes d’apprentissage des deux macaques présentent des pentes faibles, tandis que celles de Julius décrivent une chute rapide, ce qui suggère plus qu’un simple renforcement de réponses correctes et montre son habileté à articuler des idées. Après une vérification avec le test d’empilement des boîtes, Yerkes conclut que, contrairement aux deux macaques, « le grand singe est capable de montrer plusieurs formes de comportement d’idéation  [46] » (cf. fig. 4).

Tableau 1

Tableau 1

57Ainsi, en Californie, Hamilton et Yerkes se livrent à des expériences de psychologie animale mais les objectifs qu’ils poursuivent sont différents. De son côté, Hamilton vise à asseoir la psychopathologie sur des fondements scientifiques issus de la psychologie comparée et expérimentale. Déplorant le fait que « les psychanalystes définissent leur base de travail sur des récits qui n’ont qu’une valeur qualitative  [47] », il cherche à doter la psychiatrie de nouveaux critères de scientificité, à savoir la quantification, le contrôle et la répétition. Dans des conditions suffisamment contrôlées, Hamilton a réussi à établir une typologie de cinq tendances réactionnelles qui, à ses yeux, ont valeur d’« entités biologiques  [48] ». C’est une étape cruciale dans la mesure où, au-delà des limites du particulier, elle lui permet d’établir des lois générales indispensables pour que la psychopathologie (et la psychanalyse) accède au statut de science. En combinant une approche expérimentale et une approche clinique, Hamilton pense donc apporter une caution scientifique à ce qu’il appelle globalement la psychiatrie et cherche à en faire une branche de la psychologie comparée  [49].

58Quant à Yerkes, il veut faire du laboratoire le lieu incontournable de la recherche en psychologie comparée. Les primates ont été ses meilleurs alliés dans cette entreprise. En 1945, il pourra s’enorgueillir d’être à la tête de vastes laboratoires dédiés à la recherche en primatologie, respectivement le laboratoire de Yale, à New Haven, dans le Connecticut et une station expérimentale à Orange Park, en Floride.

59Cependant, dans les années 1915, Yerkes n’affiche pas un tel optimisme et, pour paraphraser le paléontologue et historien des sciences Stephen Jay Gould (1941-2002), il est plutôt un « homme frustré  [50] » :

60« C’est un excellent meneur d’hommes et un éloquent promoteur de sa profession, mais la psychologie n’est pas encore parvenue à se défaire de sa réputation de science aimable, si tant est qu’on la considère comme une science.  [51] »

61Quel rôle a joué alors l’intelligence animale dans la trajectoire professionnelle victorieuse de Yerkes ?

Des tests d’intelligence pour les singes au contrôle des recrues et des immigrants

62À la fin de l’année 1915, Yerkes est déjà persuadé que les singes, grâce à leurs ressemblances tant fonctionnelles que structurelles avec l’homme, contribueront à la solution des problèmes posés chez l’homme, et devront, inévitablement, conduire à l’amélioration de la condition humaine  [52]. Cette conviction s’inscrit dans un engagement plus large en faveur d’une biologie et d’une psychologie toutes puissantes ouvrant sur un contrôle quasi absolu de la nature. Yerkes est prêt à offrir son expertise en psychologie pour contribuer à l’amélioration de l’esprit humain. Il déclare :

63« La plupart d’entre nous sont profondément convaincus que l’avenir de l’humanité dépend, dans une très large mesure, du développement de diverses sciences biologiques et sociales. Parmi elles, la physiologie, la psychologie et la sociologie sont prééminentes. […] Nous devons […] nous efforcer d’améliorer sans cesse davantage nos méthodes de mensuration mentale, car, désormais, il n’y a aucune raison de mettre en doute l’importance tant pratique que théorique des études sur le comportement humain. Il nous faut mesurer avec compétence chaque forme, chaque aspect du comportement humain ayant une signification psychologique et sociologique.  [53] »

64Les études sur l’esprit animal qu’il vient d’achever à Montecito et dont il a exposé les résultats à l’Académie des sciences américaine en 1916, sont alors un atout pour promouvoir son expertise en matière de mesure de l’intelligence. À ces travaux s’ajoute une échelle de mesure des activités intellectuelles qu’il a mise au point avec ses collègues de l’hôpital psychiatrique de Boston  [54]. Cette échelle, plus tard appelée le « Yerkes-Bridges Point Scale of Intelligence », se présente comme une révision de celle de Binet-Simon. En 1908, la deuxième version du test français a, en effet, été introduite aux États-Unis par Henry Goddard (1866-1957) puis Lewis Terman (1877-1956)  [55].

65Yerkes est impressionné par le travail de Goddard et Terman, qui, selon lui, « ont fait beaucoup pour adapter l’échelle de Binet aux besoins des Américains et pour l’amender  [56] ». De son côté, il va aussi modifier l’échelle de Binet dans le cadre de l’élaboration de la « Yerkes-Bridges Point Scale of Intelligence ». Là où Binet a insisté sur la diversité remarquable de l’intelligence, là où il a montré que le développement intellectuel progresse selon des étapes variables et peut être influencé, voire modifié par l’environnement et l’éducation, Yerkes affiche un point de vue héréditariste et affirme que « tous les types importants et les classes d’intelligence humaine se fixent de manière définitive dans les trois premières années de la vie  [57] ».

66Mais, plus que les patients de l’hôpital de Boston, c’est le premier conflit mondial qui va donner à Yerkes les moyens de mettre en pratique son expertise en matière de tests d’intelligence humaine. En 1917, alors que le conflit fait rage, Yerkes incite The American Psychological Association, dont il est le directeur, à contribuer à l’effort de guerre. Très rapidement, il est nommé Président du Comité pour l’examen psychologique des recrues (Committee on the Psychological Examination of Recruits) par le Conseil de recherche nationale (National Research Council ou NRC  [58]). On lui donne alors la charge de mettre au point des tests psychologiques pour sélectionner le personnel de l’armée. Sont élaborés les fameux tests Alpha et Bêta et utilisée l’échelle construite par Yerkes et ses collègues de Boston  [59]. Appliqués à une population plus large, ces tests ont montré que l’âge intellectuel moyen des Américains n’était pas de seize ans comme on l’avait cru jusqu’alors, mais de treize ans. Immédiatement, les eugénistes américains incriminent la faiblesse de ce chiffre à des mariages entre personnes faibles d’esprit (de surcroît souvent pauvres), et aussi entre la « race blanche » et les populations noires ou immigrantes. Au début des années 1910, des tests mentaux sont déjà utilisés pour réduire l’immigration aux États-Unis. Dans l’après-guerre, cette procédure ne fait que s’amplifier grâce aux améliorations récentes des tests.

67Yerkes participe à ce mouvement de manière très active et ses conceptions eugénistes ne sont pas étrangères à cette motivation. Il est, en effet, persuadé que l’humanité ne peut que bénéficier de croisements judicieux et intentionnels entre populations sélectionnées. C’est certainement cette pensée qui le conduit, après la première guerre mondiale, à continuer de collaborer avec le NRC, cette fois-ci au sein du Comité chargé des problèmes scientifiques de l’immigration (Committee on Scientific Problems of Human Immigration). Dans la préface de A Study of American Intelligence (1923) de Carl Brigham, Yerkes évoque son « intérêt pour les problèmes pratiques de l’immigration », tout autant qu’il affirme sa conviction que les « informations psychologiques obtenues par l’armée ont une portée importante sur quelques-uns d’entre eux.  [60] » De plus, en tant que membre actif des nombreuses organisations eugénistes  [61], Yerkes considère qu’il est de son devoir civique de mettre en garde ses concitoyens de « ne pas ignorer la menace de la détérioration de la race ou des relations évidentes entre l’immigration et le progrès et de la sécurité nationale.  [62] »

68Estimant que le déclin de l’intelligence américaine est le produit du mélange des races, Yerkes a aussi accéléré la publication du livre de Brigham afin qu’il soit pris en compte lors d’audiences publiques sur l’immigration  [63]. La diligence de Yerkes influença de manière notoire la législation conséquente  [64]. En 1924, la Maison des Représentants et le Sénat américain votèrent, avec une majorité écrasante, la Restriction Immigration Act, rapidement promulguée par le Président américain Calvin Coolidge (1872-1933)  [65]. Très vite les quotas migratoires se stabilisèrent, pénalisant fortement l’entrée des immigrants en provenance de l’Europe de l’Est et du Sud.

69Par ailleurs, le prestige que Yerkes finit par obtenir grâce à ses positions eugénistes lui permet d’appuyer des demandes de financement, en particulier, en vue de l’établissement du laboratoire de primatologie de ses rêves. Dans un rapport de 1916 relatif à sa recherche menée à Montecito, Yerkes avait déjà parlé des bénéfices pour l’homme d’un tel laboratoire.

70« Notre vision est claire, disait-il, — si nous voulons réunir et placer au service de l’humanité la connaissance de la vie des singes, et si nous voulons rendre possible cette collecte de résultats scientifiques qui profiteront à l’amélioration de l’homme, nous devons concentrer nos efforts pour établir une station expérimentale ou un institut de recherche (i.e. un institut de recherche en primatologie).  [66] »

71Cependant, convertir le crédit obtenu pendant les années de guerre et de l’après-guerre prit du temps. Comme il le rapportait à Hamilton en 1921, Yerkes espérait que « des fonds pour faire de la recherche en primatologie [pourraient] être disponibles de telle façon qu’il [pourrait] mettre en place une station expérimentale.  [67] » Ne voulant pas être pénalisé par les difficultés à obtenir un financement public, Yerkes se tourna alors vers des opportunités privées comme celle de Hamilton ou encore de la Señora Rosalia Abreu, qui l’invita à passer l’été 1924 dans sa colonie de primates, à Cuba  [68]. Yerkes eut la chance à ce moment de recevoir une subvention de l’Institution Carnegie de Washington pour pallier les frais de ce séjour. Finalement, en 1929, Yerkes reçut la somme de $500 000 de la Fondation Rockefeller pour poursuivre ses études de primatologie. Ce financement se concrétisa par la construction des laboratoires de biologie des primates à New Haven (Connecticut) et en Floride.

72L’engagement de Yerkes en faveur d’une ingénierie sociale et sa conviction du rôle de la psychologie dans l’organisation scientifique de la société sont révélés, dans leur forme la plus achevée, dans un rapport sur son travail dans les laboratoires, à la fin de la seconde guerre mondiale :

73« La curiosité de l’homme et son désir de contrôler le monde l’incite à étudier le monde vivant. Cette étude, il la conduit en observant la vie se déployer dans la nature ou en essayant de contrôler les conditions expérimentalement… L’étude expérimentale qui s’efforce de solutionner des problèmes, nous apporte, en plus, la compréhension de la nature, des relations, des principes et des conditions d’existence des processus vitaux. Elle accroît notre habileté à contrôler ces phénomènes.  [69] »

74Aux yeux de Yerkes, les singes aidèrent à assouvir cet idéal de contrôle de la vie humaine et leur utilisation était justifiée pour des raisons à la fois rationnelles et éthiques. D’un côté, les singes « ressemblaient beaucoup à l’homme dans ses formes et ses fonctions », tout autant que « chez eux, les processus vitaux étaient moins obscurcis par des influences culturelles. »  [70] D’un autre côté, et contrairement à la situation avec des hommes, il n’y avait « aucune restriction à leur utilisation, qu’elles fussent dictées par nos sentiments, nos traditions ou la loi  [71] ». Pour Yerkes donc, les singes incarnaient la possibilité de régler les problèmes d’adaptation de l’être humain à son environnement. Ce faisant, il développait une position utopique marquée.

75« Nous avons jugé important, concluait-il, de convertir l’animal en un sujet de recherche biologique presque idéal et qui puisse être aussi mis en pratique. Et, à cette intention a été associé le souhait qu’un éventuel succès puisse servir de démonstration efficace montrant la possibilité de re-créer l’homme lui-même, à l’image d’un idéal généralement accepté.  [72] »

76Ainsi, Yerkes permit à la psychologie comparée d’acquérir une reconnaissance institutionnelle. Avec lui, l’intelligence animale devint un objet légitime de la psychologie, marquée au passage par le sceau de l’eugénisme américain.

Conclusion

77Nous avons mis en évidence trois identités de l’intelligence animale au début du XXe siècle : l’intelligence animale, un objet refusé, avec l’exemple des chevaux savants d’Elberfeld ; l’intelligence animale, un objet instrumentalisé, avec les travaux de Boutan ; l’intelligence animale, un objet légitimé, avec les travaux de Yerkes. Cette étude s’inscrit également dans le « Programme fort » de David Bloor, dans la mesure où elle repose sur un traitement symétrique des « gagnants » et des « perdants » de l’histoire. Boutan victime de sa démarche hésitante, a disparu de l’histoire de la pré-primatologie tandis que Yerkes, en imposant les singes comme nouveaux modèles de laboratoire et en sollicitant de manière stratégique des financements, est considéré comme l’une des figures-clés de la primatologie. Au-delà de ces destins scientifiques divergents, ces deux monographies montrent à quel point l’étude du comportement animal s’articule avec la question du contrôle social. Au début du XXe siècle, l’intelligence animale puis humaine devinrent, entre les mains des scientifiques et des politiques, un objet puissant de contribution à la normalisation du vivant. Dans le cadre de la France de la Troisième République, le contrôle de l’intelligence des écoliers grâce aux tests Binet-Simon fut au service d’une idéologie solidariste et hygiéniste. Dans l’Amérique de l’entre-deux-guerres, le contrôle des recrues militaires puis des immigrants s’inscrivit dans une idéologie eugéniste à connotation raciale.


Date de mise en ligne : 01/02/2009.

https://doi.org/10.3917/lhs.167.0223

Notes

  • [*]
    .  Je tiens à remercier Jacqueline Carroy, Élisabeth Chapuis ainsi que Michel Kail pour m’avoir invitée à la VIe Journée d’études du Groupe d’études pluridisciplinaires de l’histoire de la psychologie (GEPHP), intitulée « Marges et marginalisation dans l’histoire de la psychologie ». Cette journée m’a donné l’opportunité de faire connaître cet épisode de la psychologie française et américaine à un public français. Je suis redevable à des lecteurs anonymes pour leurs commentaires constructifs sur les premières versions de cet article. Je suis aussi reconnaissante au REHSEIS (Laboratoire de recherches épistémologiques et historiques sur les sciences exactes et les institutions scientifiques) pour son appui financier pour la consultation des sources américaines. Enfin, je remercie vivement Gregory Radick pour m’avoir encouragée dans mes recherches sur l’histoire de la primatologie.
  • [1]
    .  Pour plus de détails sur « Clever kluge Hans », cf.voir Boakes Robert Boakes, From Darwin to Behaviourism : Psychology and the Mind of Animals, Cambridge, Cambridge University Press, 1984 (1984), pp. 78-83 et Vinciane Despret, Hans, le cheval qui savait compter, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, 2004.& Despret (2004).
  • [2]
    . Édouard Claparède, « Les Chevaux savants d’Elberfeld, Séance du 13 Mars 1913 », Bulletin de la Société Française de Philosophie, vol. 13, 1913, p. 115-134. Claparède (1913), pp. 115-134.
  • [3]
    . Henri Piéron, « Le Problème des animaux pensants », L’Année psychologique, vol. 20, 1914, p. 218- 228. Piéron (1914), pp. 218-228.
  • [4]
    . Henri Piéron, De l’actinie à l’homme. Études de psychophysiologie comparée, Paris, PUF, 1958 Piéron (1958), pp. 3-4 & p. 26.
  • [5]
    . Un jeune homme prétendait, sans avoir jamais étudié la musique, être capable de composer des morceaux de musique en communiquant avec l’esprit de musiciens défunts. Piéron mit rapidement en évidence la supercherie et fit connaître ses positions contre la télépathie lors du Ve Congrès international de psychologie, à Rome, en 1905. Cf. Françoise Parot, « Psychology Experiments : Spiritism at The Sorbonne», Journal of the History of Behavioral Sciences, vol. 29, 1993, p. 22-28dans Parot (19933)), p. 27. Pour plus de déetails sur l’attitude très virulente de Piéron à l’encontre des phénomènes parapsychologiques, cf. levoir même article, pp. 22-28.
  • [6]
    . Henri Piéron, « Revue générale de psychologie : l’attitude objective dans la psychologie moderne », Scientia, 1915, vol. 17, p. 119-133 Piéron (1915), p. 119.
  • [7]
    . Louis Boutan, « Le pseudo-langage : observations effectuées sur un Anthropoïde, le Gibbon (Hylobates leucogenys - Ogilby) », Actes de la Société Linnéenne de Bordeaux, vol. 67, 1913, p. 5-79Boputan (1913), p. 71.
  • [8]
    . Henri Piéron, Psychologie zoologique, Paris, PUF, 1941, (1941), pp. 3-4 (italiques dans le texte)..
  • [9]
    . Louis  Boutan, « Les deux méthodes de l’enfant », Actes de la Société Linnéenne de Bordeaux, vol. 68, 1914, p. 217-360(1914), p. 220.
  • [10]
    . Henri Piéron, « La psychologie zoologique, science du comportement animal », Journal de psychologie normale et pathologique, vol. 17, 1920, p. 145-167 (1920), p. 145.
  • [11]
    . Louis Boutan, « Les deux méthodes de l’enfant », op. cit., Boutan (1914), p. 221. (Italiques dans le texte).
  • [12]
    .  Le livre principal de Ernst Haeckel, Natürliche Schöpfungsgeschichte (1868) fut traduit en français en 1874.
  • [13]
    . R. Dieuzeide, « Le Professeur Louis Boutan (1859-1934) », Bulletin des Travaux publiés par la Station d’Acquiculture et de Pêche de Castiglione, Alger, Éditions Carbonel, 1934, p. 10-34 Dieuzeide (1934), p. 25.
  • [14]
    . Hippolyte Taine, De l’intelligence, Paris, Hachette, 1870 Taine (1870), p. 373.
  • [15]
    .  Je m’appuie ici sur les travaux de Dominique Ottavi : cf. DominiqueVoir Ottavi, De Darwin à Piaget : pour une histoire de la psychologie de l’enfant, Paris, Éditions CNRS, 2001. (2001).
  • [16]
    . Louis Boutan, « Les deux méthodes de l’enfant », op. cit. Boutan (1914), p. 260.
  • [17]
    Ibidem Boutan (1914), p. 325.
  • [18]
    Ibid., Boutan (1914), p. 219.
  • [19]
    .  Je me permets d’emprunter cette expression à Régine Plas :. cf. RégineVoitr Plas, Naissance d’une science humaine : la psychologie. Les psychologues et le « merveilleux psychique », Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2000.(2000).
  • [20]
    . Henri Marion, « Règles fondamentales de l’enseignement libéral, la méthode active », Revue pédagogique, 1888, vol. 1, p. 2-19. Marion (1888), p. 2-19. Pour plus de déetails cf. Dominique, voir Ottavi, op. cit., (, 2001), p. 71.
  • [21]
    . Pierre Hachet-Souplet, De l’Animal à l’enfant, Paris, Félix Alcan, 1913 (1913), p. 11 et& p. 171.
  • [22]
    . Gustave Le Bon, L’Équitation actuelle et ses principes : recherches expérimentales, Paris, Librairie Firmin-Didot, 1892 Le Bon (1892), p. 139.
  • [23]
    . Louis Boutan, « Les deux méthodes de l’enfant », op. cit., Boutan (1914), p. 256 et& pp. 352-353.
  • [24]
    .  Notons à ce sujet que Boutan n’a pas d’enfants et, qu’il laisse sa femme s’ooccuper librementdu gibbon, et commetelle une mèere avec son bébé jeune enfant. Peu de temps après avoir acquis le singela capture, il note note dans son carnet de voyage : « e: “Ma femme a un poupon, Pépée, le jeune gibbon femelle que nous a procuréee M. Vacles. Ce poupon refuse de quitter ses bras et ne veut prendre le lait et les bananes qui servent à le nourrir que par son intermmédiaire. C’est pour le moment la plus hideuse petite bête que l’on puisse voir… Elle ressemble, avec ses longs bras, à une giganstesque araignée et piaille dès que je veux la caresser. »” , Extrait de Louis Boutan, « Le pseudo-langage : observations effectuées sur un Anthropoïde, le Gibbon (Hylobates leucogenys - Ogilby) », op. cit., (1913), p. 44, note de bas de page 1.
  • [25]
    . Louis Boutan, « Les deux méthodes de l’enfant », op. cit., Boutan (1914), p. 357 (italiques dans le texte)..
  • [26]
    . Yerkes avait exprimé toute son admiration pour le travail de Boutan qui l’avait « toujours impressionné pour son importance extraordinaire », tout en soulignant qu’il « avait toujours regretté qu’un tel travail n’ait jamais reçu plus d’attention des étudiants travaillant sur le comportement animal. » Cf. Letter from R. Yerkes to L. boutan, March 18, 1927, in Yerkes’ Papers, Yale University Archives.
  • [27]
    . John M. O’Donnell, The Origins of Behaviorism : American Psychology, 1870-1920, New York, New York University Press, 1985 O’Donnell (1985), p. 181.
  • [28]
    . Pour plus de détails sur les liens entre Watson et Yerkes, cf. Gregory Radick, The Simian Tongue : The Long Debate about Animal Language, Chicago and London, The University of Chicago Press, 2008 Radick (2000).Radick (2000)
  • [29]
    . John Watson, « Psychology as the behaviorist views it », Psychological Review, vol. 20, 1913, p. 158-177 Watson (1913), p. 177. Traduction personnelle.
  • [30]
    . John C. Burnham, « Yerkes, Robert Mearns », in C. C. Gillispie (ed.), Dictionary of scientific biography, New York, Charles Scribner’s Sons, 1970, vol. XIV, p. 549-551 Burnham (1970), p. 549.
  • [31]
    . Robert H. Wozniak, « Gilbert Van Tassel Hamilton and An introduction to objective psychopathology », in Robert H. Wozniak (ed.), Behaviourism : the Early Years, London, Routledge/ Thoemmes Press, 1994, p. v-xxvii Wozniak (1994), p. xvi.
  • [32]
    .  Letter from R. Yerkes to G. Hamilton, April 8, 1913, in Yerkes’ Papers, Yale University Archives, Box 23, Folder 421.
  • [33]
    .  Letter from R. Yerkes to G. Hamilton, October 23, 1914, in Yerkes’ Papers, Yale University Archives, Box 23, Folder 424.
  • [34]
    .  De manière similaire, Hamilton pense que la connaissance des psychoses dégénératives pourra être éclairée par celle de réactions comportementales observées chez les peuples primitifs.
  • [35]
    .  Letter from G.. Hamilton to R.. Yerkes, October 15, 1912, in Yerkes’ Papers, Yale University Archives, Box 23, Folder 420. Traduction personnelle.
  • [36]
    . Gilbert van Tassel Hamilton, An Introduction to Objective Psychopathology, Saint Louis, The C. V. Mosby Company, 1925 Hamilton (1925) quoted in Robert H. Wozniak , « Gilbert Van Tassel Hamilton and An introduction to objective psychopathology », op. cit.(1994), p. xxi.
  • [37]
    . Robert Boakes, From Darwin to Behaviourism : Psychology and the Mind of Animals , op. cit.,Boakes (1984), p. 154.
  • [38]
    . Gilbert van Tassel Hamilton, An Introduction to Objective Psychopathology, op. cit., Hamilton (1925) quoted in Wozniak (1994), p. xv.
  • [39]
    .  Letter from G.. Hamilton to R.. Yerkes, « Thanksgiving Day », 1932, in Yerkes’ Papers, Yale University Archives, Box 24, Folder 425. Traduction personnelle.
  • [40]
    . Gilbert van Tassel Hamilton, « A Study of Trial and Error Reaction in Mammals », Journal of Animal Behavior, 1911, vol. 1, p. 33-66 Hamilton (1911), p. 56. Traduction personnelle.
  • [41]
    . Robert H. Wozniak , « Gilbert Van Tassel Hamilton and An introduction to objective psychopathology », op. cit.(1994), p. xxiv.
  • [42]
    . Robert Yerkes, The Mental Life of Monkeys and Apes, New York, Henry Holt (reprinted with an introduction by G. M. Haslerud, Delmar-NY, Scholars’ Facsimiles & Reprints, 1979), (1916c), p. 10.
  • [43]
    Ibidem Yerkes (1916c), p. 11.
  • [44]
    Ibid. Yerkes (1916c), p. 11.
  • [45]
    . Robert Yerkes, « Ideational Behavior of Monkeys and Apes », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, vol. 2, issue 11, 1916, p. 639-642 Yerkes (1916b), p. 640.
  • [46]
    Ibidem Yerkes (1916b), p. 642. Traduction personnelle.
  • [47]
    .  Letter from G.. Hamilton to R.. Yerkes, March 18, 1921, in Yerkes’ Papers, Yale University Archives, Box 24, Folder 422. Traduction personnelle.
  • [48]
    . Gilbert van Tassel Hamilton, « A Study of Trial and Error Reaction in Mammals », op. cit., p. 57. Traduction personnelle.
  • [49]
    .  Letter from G.. Hamilton to R.. Yerkes, September 14, 1940, in Yerkes’ Papers, Yale University Archives, Box 24, Folder 425.
  • [50]
    . Stephen Jay Gould, The Mismeasure of Man, London, W. W. Norton & Co., 1981. Édition française : La Mal-mesure de l’homme, tr. fr. J. Chabert & M. Blanc, Paris, Odile Jacob, 1997 Gould (1997), p. 230.
  • [51]
    IbidemStephen Jay Gould, La Mal-mesure de l’homme, (1997), p. 230.
  • [52]
    . Robert Yerkes, The Mental Life of Monkeys and Apes, op. cit.,(1916c), p. 135.
  • [53]
    . Robert Yerkes, « The Binet Version versus the Point Scale Method of Measuring Intelligence », Journal of Applied Pyschology, vol. 1, 1917, p. 111-122,(1917) p. 111. Traduction J. Chabert & M. Blanc.(1997). Traduction J. Cabert & M. Blanc.
  • [54]
    . Robert Yerkes, « Robert Mearns Yerkes, Psychobiologist », in C. Murchison (ed.), A History of Psychology in Autobiography, vol. 2, Worcester, MA, Clark University Press, 1932, p. 393.
  • [55]
    .  Terman sera responsable quelques années plus tard de l’introduction de l’unité de mesure de « Quotient intellectuel » (QI).
  • [56]
    . Robert Yerkes, « The Binet Version versus the Point Scale Method of Measuring Intelligence », op. cit.,(1917), p. 111.
  • [57]
    Ibidem Yerkes (1917), p. 113. Traduction personnelle.
  • [58]
    .  Le NRC est un organe de l’Académie des sciences américaine, créé en 1916 pour répondre à la demande croissante d’un besoin en expertise scientifique et technique lors du premier conflit mondial. Le NRC est administréer de manière conjointe par l’Académie des sciences, l’Académie des sciences de l’ingénieur et l’Institut de médecine.
  • [59]
    . L’examen Alpha inclut huit sortes de tests qui exige principalement la faculté de lire l’anglais. L’examen Bêta inclut sept sortes de tests, consistant en des dessins, des figures, etc.,… et dont les instructions sont données par pantomime. Le troisième test repose sur l’application du test Stanford-Binet ou de l’échelle Yerkes-Bridge de mesure de l’intelligence. Durant le premier conflit mondial, les examens furent appliqués sur 1  750  000 hommes en vue d’identifier les recrues avec un niveau d’intelligence faible, et, inversement, de permettre à l’armée de reconnaître des hommes aptes pour des entraînements spéciaux, comme les officiers.
  • [60]
    . Robert Yerkes, « Foreword », in Carl Brigham, A Study of American Intelligence, Princeton-NJ, Princeton University Press, 1923, p. v-vii(1923), p. v. Traduction personelle.
  • [61]
    . Principales organisations eugénistes dont Yerkes est membre : American Breeder’s Association, Eugenics Research Association, American Eugenics Society, Massachussetts Society for Mental Hygiene and the National Committee for Mental Hygiene.
  • [62]
    . Robert Yerkes, « Foreword », op. cit.(1923), p. vii. Traduction personnelle.
  • [63]
    . Dans son étude, Brigham montre que quatre types de race doivent être pris en considération pour évaluer l’intelligence américaine : le type « nordique », le type « noire », le type « alpin » et le type « méditerranéen ». Les trois derniers types sont rangés de telle manière que la supériorité de la « race nordique » est patente, et, selon Brigham, « le déclin de l’intelligence américaine… [serait] d’autant plus accéléré que les mélanges de races [seraient] de plus en plus généralisés. » Par ailleurs, Brigham est conscient des implications sociales de tels résultats. Il rappelle à ses lecteurs que les Européens du Sud et de l’Ouest, soit, pour le paraphraser, les « races alpines et méditerranéennes » ont constitué jusqu’à 75 % du total de l’immigration aux États-Unis dans les quarante dernières années. C’est une manière implicite de pointer la responsabilité de ce groupe d’immigrants dans l’appauvrissement de l’intelligence américaine. (Extrait de Carl Brigham, A Study of American Intelligence, op. cit.(1923), p. 210.) Traduction personnelle.
  • [64]
    . Daniel Kevles , In the Name of Eugenics : Genetics and the Uses of Human Heredity, New York, Alfred Knopf, 1985. (Édition française : Au nom de l’eugénisme : Génétique et politique dans le monde anglo-saxon, tr. fr. M. Blanc, Paris, PUF, 1995(1995), p. 138.)
  • [65]
    . Cf. Ibidem, Voir p. 139. Traduction M. Blanc. Déjà, en tant que vice-président, Coolidge avait déclaré publiquement : « L’Amérique doit rester américaine. Les lois biologiques montrent que les Nordiques dégénèrent lorsqu’ils se mélangent à d’autres races»
  • [66]
    . Robert Yerkes, The Mental Life of Monkeys and Apes, op. cit.,(1916c), p. 143. Traduction personnelle.
  • [67]
    . Letter from R. Yerkes to G. Hamilton, March 26, 1921, in Yerkes’ Papers, Yale University Archives, Box 24, Folder 422. Traduction personnelle.
  • [68]
    . Letter from R. Yerkes to G. Hamilton, March 6, 1924, in Yerkes’ Papers, Yale University Archives, Box 24, Folder 423.
  • [69]
    . Robert Yerkes, The Chimpanzees : a Laboratory Colony (3rd ed.), New Haven-NJ, Yale University Press, 1945, p. 1. Traduction personnelle.
  • [70]
    Ibidem, Voir p. 3. Traduction personnelle.
  • [71]
    Ibid., p. 3. Traduction personnelle.
  • [72]
    Ibid., Voir p. 10. Traduction personnelle.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.168

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions