Notes
-
[1]
. Dans l’article « Psychologie des peuples, région, race, et milieu social. Problèmes scientifiques et enjeux disciplinaires d’une théorie de l’histoire autour d’Henri Berr et de la Revue de synthèse historique (1890-1925) » publié dans l’ouvrage collectif sur Henri Berr et la culture du XXe, Laurent Mucchielli écrit à juste titre : « Passé les années 1910, l’expression [psychologie des peuples] connaîtra d’ailleurs un progressif oubli avant de reparaître à la veille de la deuxième guerre mondiale du fait des efforts d’Abel Miroglio qui fonde en 1938 l’Institut havrais de sociologie économique et de psychologie des peuples » (p. 101). Il a en outre analysé « l’échec du programme de géographie psychologique » élaboré par Henri Berr avant la première guerre mondiale dans La découverte du social. Naissance de la sociologie en France (1870-1914) (p. 439).
-
[2]
. Pierre Singaravélou, « Georges Hardy », in Jean Ferreux, François Pouillon et Lucette Valensi (dir.), Dictionnaire critique des orientalistes français, Paris, Karthala, 2008.
-
[3]
. Georges Hardy a été notamment directeur du service de l’enseignement en AOF de 1911 a 1918, directeur de l’Instruction publique, des Beaux-arts et des Antiquités au Maroc.
-
[4]
. Il s’agit d’un corpus de 60 mémoires d’étudiants de 2e année de l’École coloniale en 1930-1931. Ces travaux universitaires constituent la fabrique et l’inventaire de stéréotypes et de conventions rhétoriques du discours colonial ; il convient toutefois de les appréhender avec prudence puisque les étudiants écrivent en partie — sans forcément y croire — ce que les enseignants attendent d’eux.
-
[5]
. Georges Hardy, Les Éléments de l’histoire coloniale, La Renaissance du livre, 1921, p. 67.
-
[6]
. Georges Hardy, Mon frère le loup. Plaidoyer pour une science vivante, éditions du Bulletin de l’enseignement public du Maroc, octobre-novembre 1925, Librairie Larose, 1925.
-
[7]
. Dans La psychologie politique et la défense sociale, Gustave Le Bon consacre le livre V aux « erreurs de psychologie politique en matière de colonisation » : les indigènes n’ont pas été « francisés » « parce que jamais jusqu’ici un peuple n’a pu changer sa constitution mentale, pour adopter celle d’un autre » (édité par Les Amis de Gustave Le Bon, p. 204).
-
[8]
. Georges Hardy, Mon frère le loup. Plaidoyer pour une science vivante, op. cit., p. 12.
-
[9]
. Ibidem, p. 2.
-
[10]
. Georges Hardy, Les Éléments de l’histoire coloniale, op. cit., p. 86.
-
[11]
. Paul Giran, Psychologie du peuple annamite : le caractère national, l’évolution historique, intellectuelle, sociale et politique, préface d’E. Aymonier, directeur de l’École coloniale, Paris, Ernest Leroux, 1904.
-
[12]
. Emmanuelle Sibeud, Une science impériale pour l’Afrique ?, Paris, éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2002, p. 100.
-
[13]
. Jules Brévié, Islamisme contre « Naturisme » au Soudan. Essai de psychologie politique, Paris, Ernest Leroux, 1923, p. 313. L’ouvrage de Jules Brévié, alors directeur des Affaires politiques et administratives du gouvernement général de l’Afrique occidentale française, est préfacé par Maurice Delafosse, ancien gouverneur des colonies et professeur à l’École coloniale.
-
[14]
. Camille Auphelle, La psychologie du tirailleur annamite d’après Hiên le Maboul, roman d’Émile Nolly, mémoire de psychologie coloniale, CAOM, archives de l’École coloniale, carton 3, École 1, 1931.
-
[15]
. Dans Ergaste ou la vocation coloniale, Hardy évoque à nouveau le thème de la supériorité de la psychologie sur les autres disciplines : « Et puis, une question domine tous ces problèmes de géographie, d’ethnographie, de droit coutumier, de linguistique : c’est celle de la psychologie indigène » (Larose, 1929, p. 100).
-
[16]
. Georges Hardy, Mon frère le loup. Plaidoyer pour une science vivante, op. cit., p. 35.
-
[17]
. Ibidem, p. 27.
-
[18]
. Ibidem : « De même pour les différences dans l’espace : elles ne retiennent guère l’attention, on n’y cherche que le vêtement accidentel de l’Homme abstrait, on ferme les yeux sur leur importance et leur durée. Pour un ethnographe sûr de son métier, la foire de la Barrière du Trône et le tam-tam chez les Khassonkés, c’est tout un » (p. 23).
-
[19]
. L’évolutionnisme confirmerait l’unité de l’homme en établissant une seule échelle de l’évolution.
-
[20]
. Georges Hardy, Mon frère le loup. Plaidoyer pour une science vivante, op. cit., p. 42.
-
[21]
. Dans son ouvrage Les Éléments de l’histoire coloniale, publié en 1921, Georges Hardy écrit : « M. Lévy-Brühl qui, dans ses “ fonctions mentales des sociétés inférieures ”, a analysé minutieusement la mentalité prélogique et donné la clé de toute une série de mystères psychologiques. Pour tous les coloniaux cultivés, cet ouvrage a été une véritable révélation, et il serait bien à souhaiter qu’il fît école » (p. 69).
-
[22]
. Georges Hardy, Ergaste ou la vocation coloniale, op. cit., p. 100.
-
[23]
. Georges Hardy, Mon frère le loup. Plaidoyer pour une science vivante, op. cit., p. 17.
-
[24]
. Maurice Delafosse, L’âme nègre, Payot, 1923.
-
[25]
. Georges Hardy, Mon frère le loup. Plaidoyer pour une science vivante, op. cit., p. 13.
-
[26]
. Laurent Mucchielli, « Sociologie et psychologie en France, l’appel à un territoire commun. Vers une psychologie collective (1890-1940) », Revue de synthèse, n° 3-4, 1994, p. 445-483.
-
[27]
. Il existe toutefois des liens entre ces deux psychologies : E. Boutmy, fondateur de l’École libre des sciences politiques a invité L. Lévy-Bruhl à donner un cours sur l’histoire des idées et des théories politiques allemandes à l’origine d’un ouvrage intitulé L’Allemagne depuis Leibniz. Essai sur le développement de la conscience nationale en Allemagne (1890). Les travaux de Lévy-Bruhl sur la pensée primitive constituent en outre une référence citée à l’occasion par Georges Hardy. D’autre part, Marcel Mauss a souligné la dimension littéraire de l’œuvre scientifique dans son Manuel d’Ethnographie : « La sociologie et l’ethnologie descriptive exigent qu’on soit à la fois chartiste, historien, statisticien… et aussi romancier capable d’évoquer la vie d’une société tout entière ».
-
[28]
. Il faut y ajouter un élève malgache, Édouard Andriantsalama en 1900-1901.
-
[29]
. Ces évaluations administratives méritent en soi une analyse lexicographique : l’hypocrisie se décline par exemple à travers de nombreux comportements : « une nature dissimulée », « sournois », un « tempérament sensuel », « intriguant », « insinuant », « pénétré de mentalité chinoise », etc.
-
[30]
. Gérard Noiriel, Sur la crise de l’histoire, folio Gallimard, 2005, p. 306-312.
-
[31]
. Cela a donné lieu à des publications : M. Besson, par exemple, publie un article sur « Rabelais et les débuts de la colonisation française » dans La Grande Revue en avril 1933. Le sociologue René Maunier fait référence au modèle rabelaisien de la colonisation outre-mer en Dipsodie dans le Tiers livre de Pantagruel (Sociologie coloniale, t. 2, p. 192-193).
-
[32]
. « Chronique de l’École coloniale », Outre-Mer, 5e année, n° 2-3, avril-septembre 1933, p. 237.
-
[33]
. « Chronique de l’École coloniale », Outre-Mer, 6e année, n° 3, septembre 1934, p. 295.
-
[34]
. « Chronique de l’École coloniale », Outre-Mer, 3e année, n° 4, décembre 1931, p. 494.
-
[35]
. Georges Hardy, « Histoire coloniale et psychologie ethnique », Revue de l’histoire des colonies françaises, t. 18, 1925.
-
[36]
. Camille Auphelle, op. cit.
-
[37]
. Georges Hardy, Mon frère le loup. Plaidoyer pour une science vivante, op. cit., p. 36.
-
[38]
. Georges Hardy, « Notre programme », Outre-Mer. Revue générale de colonisation de l’École coloniale , 1re année, n° 1, mars 1929, p. 7.
-
[39]
. Ibidem, p. 8.
-
[40]
. Georges Hardy, « Psychologie avant tout », Outre-Mer. Revue générale de colonisation, 6e année, n° 1, mars 1934, p. 18.
-
[41]
. Les autres auteurs étudiés sont Francis Carco, Claude Farrère, Eugène Fromentin, Maurice Le Glay, Pierre Loti, Pierre Mille, etc.
-
[42]
. Georges Hardy, Ergaste ou la vocation coloniale, op. cit., p. 102.
-
[43]
. Après l’exotisme de Loti, le roman colonial de Marius-Ary Leblond publié en 1926, Philoxène, ou de la littérature coloniale d’Eugène Pujarniscle et Histoire de la littérature coloniale en France de Roland Lebel édités en 1931.
-
[44]
. Marius-Ary Leblond, La Société française sous la Troisième République d’après les romanciers contemporains, Paris, Alcan, 1905. Ils écrivent dès 1909 dans L’idéal du XIXe siècle : « De Chateaubriand à Loti l’exotisme s’est fait de plus en plus scientifique, précis, réaliste, aigu et impérieux » (p. 12).
-
[45]
. Georges Athénas et Aimé Merlo (Marius-Ary Leblond) soulignent l’importance de leur séjour à la Réunion et en Algérie. Dans son Histoire de la littérature coloniale en France, Roland Lebel considère que le roman colonial doit être produit « soit par un Français né aux colonies ou y ayant passé sa jeunesse, soit par un colonial ayant vécu assez longtemps là-bas pour s’assimiler l’âme du pays, soit enfin par un de nos sujets indigènes, s’exprimant en français, bien entendu » (p. 85).
-
[46]
. Marius-Ary Leblond, Après l’exotisme de Loti, le roman colonial, op. cit., p. 9.
-
[47]
. Ibidem, p. 59.
-
[48]
. Eugène Pujarniscle, Philoxène, ou de la littérature coloniale, Firmin Didot, 1931, p. 16 et 14.
-
[49]
. Ibidem, p. 15.
-
[50]
. Ibidem, p. 103. L’un des seuls auteurs à échapper à cette vision hagiographique des romanciers coloniaux est Louis Malleret qui stigmatise les « préjugés » des auteurs européens dans L’Exotisme indochinois dans la littérature française publié en 1934 chez Larose (p. 45).
-
[51]
. Georges Hardy, « Congrès de la société indigène », Outre-Mer, n° 4, décembre 1931, p. 473. Dès 1913, Hardy a accueilli des contributions « indigènes » dans le Bulletin de l’enseignement de l’Afrique occidentale.
-
[52]
. Anne Piriou, « Indigénisme et changement social : le cas de la revue Outre-Mer (1929-1937) », in Anne Piriou et Emmanuelle Sibeud (éds.), L’Africanisme en questions, École des hautes études en sciences sociales, 1997.
-
[53]
. Roland Lebel, Histoire de la littérature coloniale en France, Larose, 1931, p. 79.
-
[54]
. Eugène Pujarniscle, op. cit., p. 7.
-
[55]
. Marius-Ary Leblond, L’Empire de la France (1944), cité par Henri Copin dans L’Indochine dans la littérature française, L’Harmattan, 1996, p. 29.
-
[56]
. Pierre Jourda, L’Exotisme dans la littérature française depuis Chateaubriand, tome 2, Du romantisme à 1939, Genève, Slatkine Reprints, 1970 [1939], p. 218. Il considère que « l’exotisme prend une forme presque scientifique » au moment où le naturalisme est exporté aux colonies (p. 223).
-
[57]
. Ibidem, p. 222.
-
[58]
. Georges Hardy, Mon frère le loup. Plaidoyer pour une science vivante, op. cit., p. 26.
-
[59]
. Georges Hardy, L’Âme marocaine d’après la littérature française, Larose, 1926, p. 154.
-
[60]
. Louis Brunot, « Les caractères essentiels de la mentalité marocaine », Bulletin de l’enseignement public du Maroc, 53, 1923, p. 36.
-
[61]
. Eugène Pujarniscle, op. cit., p. 101.
-
[62]
. Georges Hardy, L’Âme marocaine…, op. cit., p. 154.
-
[63]
. M. Dubié, La psychologie des indigènes dans l’œuvre d’André Demaison. Diato, roman de l’homme noir qui eut trois femmes et en mourut, mémoire de psychologie coloniale, École coloniale, 1931.
-
[64]
. Auguste Ladurantie, La psychologie des indigènes dans l’œuvre de Delafosse, mémoire de psychologie coloniale, 1931.
-
[65]
. Jean Grivaux, Le sens esthétique des noirs d’Afrique, mémoire de psychologie coloniale, 1931.
-
[66]
. Jacques Boissier, La psychologie des indigènes dans La Randonnée de Samba Diouf des frères Tharaud, mémoire de psychologie coloniale, 1931.
-
[67]
. Macdonel, Psychologie du Bambara, mémoire de psychologie coloniale, 1932.
-
[68]
. Albert Joly, Psychologie de l’île. Rapports de la psychologie et de la géographie, mémoire de psychologie coloniale, 1931.
-
[69]
. Gérard Dulphy, Psychologie de la femme cambodgienne, mémoire de psychologie coloniale, 1931.
-
[70]
. Charles Mouzon, La psychologie du polynésien, mémoire de psychologie coloniale, 1931.
-
[71]
. Dès 1921, Hardy écrit dans les Éléments de l’histoire coloniale : « La crédulité, la spontanéité, la brutalité, l’incapacité de raisonnement, qui constituent les traits essentiels d’une âme collective, sont aussi les manifestations ordinaires de l’âme primitive » (p. 84).
-
[72]
. Georges Hardy, « La foule dans les sociétés primitives », in G. Bohn (dir.), La Foule, Paris, F. Alcan, 1934, p. 24.
-
[73]
. Ibidem, p. 46.
-
[74]
. Pierre Larrieu, La gaîté chez les Noirs, mémoire de psychologie coloniale, École coloniale, 1931.
-
[75]
. Marius-Ary Leblond, Après l’exotisme de Loti, Le roman colonial, V. Rasmussen, 1926, p. 7.
-
[76]
. Eugène Pujarniscle, op. cit., p. 82.
-
[77]
. Ibidem, p. 84.
-
[78]
. Ibid., p. 82.
-
[79]
. Auguste Ladurantie, La psychologie des indigènes dans l’œuvre de Delafosse, mémoire de psychologie coloniale, École coloniale, 1931.
-
[80]
. Cf. Maurice Delafosse, L’âme nègre, Payot, 1923 ; Jean-Loup Amselle et Emmanuelle Sibeud (éds.), Maurice Delafosse. Entre orientalisme et ethnographie : l’itinéraire d’un africaniste (1870-1926), Paris, Maisonneuve & Larose, 1998.
-
[81]
. L’influence des travaux de Maurice Delafosse s’avère souvent superficielle dans la mesure où l’affirmation de l’égalité des races est souvent contredite dans une même copie par une série de stéréotypes racistes.
-
[82]
. Jean Grivaux, Le sens esthétique des noirs d’Afrique, op. cit.
-
[83]
. Pierre Larrieu, La gaîté chez les Noirs, op. cit. Georges Hardy écrit dans sa Géographie psychologique : « Retenons que ce qui domine dans le concept de race ainsi entendu, c’est l’esprit et l’ensemble des habitudes, non la nature physique » (p. 162).
-
[84]
. Eugène Pujarniscle, op. cit., p. 22. L’auteur assigne comme fonction à la littérature d’appréhender le moral et le physique : « Sous les Tropiques, la nature morale revêt, comme la nature physique, des aspects originaux. Saisir et définir ces aspects sera la tâche capitale de l’écrivain colonial. » (p. 61) et « La raison d’être de l’exotisme, c’est la recherche d’une réalité qui — au point de vue physique comme au point de vue psychologique — diffère de la réalité métropolitaine » (p. 80).
-
[85]
. Maurice Galy, La forêt dense. Son influence psychologique sur l’individu, mémoire de psychologie coloniale, École coloniale, 1931.
-
[86]
. Ibidem.
-
[87]
. Auguste Ladurantie, La psychologie des indigènes dans l’œuvre de Delafosse, op. cit.
-
[88]
. Jean Grivaux, Le sens esthétique des Noirs d’Afrique, op. cit.
-
[89]
. Gérard Dulphy, La psychologie de la femme cambodgienne, op. cit.
-
[90]
. Paul Vidal de la Blache, Tableau géographique de la France, Hachette, 1905, p. 194.
-
[91]
. Camille Vallaux, Les sciences géographiques, F. Alcan, 1925, p. 329.
-
[92]
. Charles Blondel, Introduction à la psychologie collective, Armand Colin, 1928, p. 203.
-
[93]
. Georges Hardy, La géographie psychologique, Gallimard, 1939, p. 153. Il a écrit auparavant de nombreux articles sur cette question : « Histoire coloniale et psychologie ethnique », Revue de l’histoire des colonies françaises, 1925 ; « Le Marocain », Annales de géographie, 15 juillet 1927 ; « La pénétration saharienne et la psychologie du nomade saharien », Revue de l’histoire des colonies françaises, 1929 ; « Psychologie et colonisation », Le Monde nouveau, 1929 ; « L’âme des villes », La Nouvelle revue des jeunes, 1929 ; « Sur la psychologie de quelques métiers marocains », Outre-Mer, 1929 ; « L’âme africaine », La revue des vivants, 1930 ; « De la gaieté chez les Noirs d’Afrique », Outre-Mer, 1930 ; « La foule dans les sociétés dites primitives », 1932 ; « Psychologie avant tout », Outre-Mer, 1934 ; « Pour une étude de la mimique », La Revue africaine, 1936 ; « Le Noir d’Afrique et la civilisation européenne », Revue de Paris, 1937 ; « Note sur la signification psychologique du costume », Revue africaine, 1938.
-
[94]
. Georges Hardy, La géographie psychologique, op. cit., p. 154. Hardy poursuit sa typologie avec les habitants des steppes et des oasis : « La steppe semi-désertique n’a-t-elle pas modelé, en dehors de tout fonds ethnique, la personnalité du pasteur nomade, pillard et guerrier, coupeur de routes, à la fois avide et chevaleresque, cependant que, dans l’ombre de l’oasis, le cultivateur sédentaire, laborieux, soigneux, mais tremblant, alarmiste, prompt aux paniques, développait en soi la ruse et la duplicité pour tenir tête à ses farouches associés ? »
-
[95]
. En raison du discrédit de l’épithète « coloniale » à partir du milieu des années 1930 : L’École coloniale devient en 1934 l’École nationale de la France d’Outre-Mer, Charles Robequain, professeur de géographie coloniale, est nommé en 1937 à la chaire de Géographie de la France d’Outre-Mer et des Régions tropicales de l’université de Paris, etc.
-
[96]
. Georges Hardy, La géographie psychologique, op. cit., p. 14.
-
[97]
. Ibidem, p. 30.
-
[98]
. Ibid., p. 14.
-
[99]
. Laurent Mucchielli, « Psychologie des peuples, région, race, et milieu social. Problèmes scientifiques et enjeux disciplinaires d’une théorie de l’histoire autour d’Henri Berr et de la Revue de synthèse historique (1890-1925) », in Agnès Biard, Dominique Bourel et Éric Brian (éds), Henri Berr et la culture du XXe, A. Michel, 1997. L’ouvrage de Philippe Claret, La personnalité collective des nations. Théories anglo-saxonnes et conceptions françaises du caractère national (Bruxelles, Bruylant, 1998) retrace une partie de l’histoire intellectuelle de la psychologie collective.
-
[100]
. François Walter, Les figures paysagères de la nation. Territoire et paysage en Europe, Paris, éditions de l’EHESS, 2004, p. 119.
-
[101]
. Au concours d’entrée de 1931, l’épreuve de géographie générale porte sur « Les déserts à la surface du globe. Étude de géographie physique et humaine ». Le concours d’admission au stage de l’École coloniale la même année comporte la dissertation suivante : « Étudiez, pour une région de votre choix, l’influence du milieu physique sur la vie des hommes ». Cf. « Chronique de l’École coloniale », Outre-Mer, 3e année, n° 4, décembre 1931, p. 494.
-
[102]
. Albert Joly, Psychologie de l’île. Rapports de la psychologie et de la géographie, mémoire de psychologie coloniale, École coloniale, 1931.
-
[103]
. Albert Demangeon, « La géographie psychologique », Annales de Géographie, XLIX, 1940, p. 134-135.
-
[104]
. Dans La géographie psychologique, Georges Hardy écrit : « Sans doute un géographe de profession, soucieux de son avenir, eût-il hésité à le publier. Il y a là bien des affirmations qui, à plusieurs reprises, ont été condamnées comme des hérésies ou du moins qu’on prendra peut-être pour de simples fantaisies » (p. 7) et « Les géographes qui tiennent à leur réputation s’en détournent à l’ordinaire comme d’un péché, ou ne lui réservent que de discrètes, timides et fortuites concessions » (p. 12).
-
[105]
. Ibidem, p. 154.
-
[106]
. Ibid., p. 157.
-
[107]
. Ibid., p. 159.
-
[108]
. Albert Demangeon, Compte rendu de La géographie psychologique dans les Annales de géographie, XLIX, 1940, p. 134-137.
-
[109]
. Pierre Singaravélou, « René Maunier », in Jean Ferreux, François Pouillon et Lucette Valensi (éds.), op. cit.
-
[110]
. René Maunier, Psychologie des expansions, 2e tome de la Sociologie coloniale, Domat-Montchrestien, 1936, p. 13.
-
[111]
. Marcel Mauss appelle de ses vœux une « éthologie collective » dans un article intitulé « Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie », Journal de psychologie normale et pathologique, 1924. Durkheim lui-même a suivi les cours de T. Ribot et a effectué en 1886 un stage au laboratoire de psychologie de Wundt à Leipzig.
-
[112]
. René Maunier, op. cit., p. 12-15.
-
[113]
. Ibidem, p. 14.
-
[114]
. Georges Hardy a rédigé des ouvrages théoriques sur la géographie, l’histoire, la littérature et la psychologie coloniales tandis que René Maunier s’est intéressé à l’économie, la législation, la sociologie et l’ethnologie coloniales. En guise de passage obligé, il a aussi sacrifié à l’histoire en publiant en 1941 une synthèse intitulée Des comptoirs aux Empires. Histoire universelle des colonies. L’Académie des sciences coloniales a pu réunir les initiateurs de l’approche psychologique : G. Hardy (depuis 1928), R. Maunier (1932) et M. Leblond (1930) sont membres titulaires de l’Académie des sciences coloniales tandis que E. Pujarniscle (1925) est correspondant.
-
[115]
. René Maunier, op. cit., p. 18.
-
[116]
. Ibidem, p. 21.
-
[117]
. Thierry Paquot a souligné le caractère novateur de la sociologie de l’espace de Maunier dans la préface de la réédition de sa thèse soutenue en 1909 (René Maunier, L’origine et la fonction économique des villes. Étude de morphologie sociale, Paris, L’Harmattan, 2004) tandis qu’Alain Mahé a analysé l’apport de ses travaux sur les échanges rituels en Afrique du Nord et sur l’anthropologie juridique (Alain Mahé, « Un disciple méconnu de Marcel Mauss : René Maunier », Revue internationale des sciences sociales, 105, 1996, p. 237-264 ; « Les échanges rituels de dons : de l’analyse de René Maunier à celle de Pierre Bourdieu en passant par celle de Marcel Mauss et celle de Claude Lévi-Strauss », Droit et culture, n° 31, 1996, p. 267-292 ; Alain Mahé et Daniel Cefaï, « Trois perspectives de sociologie juridique : Mauss, Davy et Maunier », L’Année sociologique, 1998, p. 209-228).
-
[118]
. Ce clivage se retrouve dans d’autres disciplines comme la géographie : la « géographie des colonies » des vidaliens s’oppose à la « géographie coloniale » des héritiers de Marcel Dubois.
-
[119]
. Claude Singer, L’Université libérée, l’université épurée (1943-1947), Les Belles lettres, 1997, p. 24.
-
[120]
. Claude Singer, dans L’Université libérée, l’université épurée (1943-1947), écrit : « Ainsi est-il indiscutable qu’à Paris, Bernard Faÿ, Maurice Lœper et René Maunier étaient en relations étroites et suivies avec les occupants » (p. 272). Maunier participe notamment à un petit déjeuner organisé par Otto Abetz en octobre 1941 (p. 304).
-
[121]
. Patrick Weil, « Georges Mauco : un itinéraire camouflé, ethnoracisme pratique et antisémitisme fielleux », in Pierre-André Taguieff (dir.), L'antisémitisme de plume, 1940-1944, études et documents, Berg International Éditeurs, 1999.
-
[122]
. André Siegfried, « La défense sanitaire de l’Occident », Les Cahiers du Musée social, n° 1, 1943. Siegfried participe notamment à un repas en compagnie d’Otto Abetz et Karl Epting à l’Institut allemand en février 1941 (Claude Singer, p. 322).
-
[123]
. Sur cette question, l’intuition de Wolf Lepenies mériterait de plus amples investigations : « Il arrive souvent que les tentatives des sociologues de se rapprocher de la littérature ou d’exploiter les tensions entre la création littéraire et les sciences sociales représentent les signes avant-coureurs d’une dérive totalitaire » (Les trois cultures. Entre science et littérature l’avènement de la sociologie, Paris, Maison des sciences de l’homme, 1990, p. 13).
-
[124]
. Abel Miroglio, La psychologie des peuples, PUF, « Que-sais je ? », 1958, p. 84.
-
[125]
. Ibidem, p. 121.
-
[126]
. Paul Claval, « Géographie et psychologie des peuples », Revue de psychologie des peuples, vol. 21, 1966, p. 386-401.
-
[127]
. Maximilien Sorre, « Géographie psychologique », livre VI, chapitre II du Traité de psychologie appliquée, sous la direction de Henri Piéron, PUF, 1955, p. 25.
-
[128]
. Ibidem, p. 40.
-
[129]
. Ibid., p. 35.
-
[130]
. Mariella Villasante Cervello, « La négritude : une forme de racisme héritée de la colonisation française ? Réflexions sur l’idéologie négro-africaine en Mauritanie », in Marc Ferro (dir.), Le livre noir du colonialisme, Robert Laffont, 2003 ; Michel Kail et Geneviève Vermes (dir.), La psychologie des peuples et ses derives, Paris, CNDP, 1999.
-
[131]
. Peaux noires, masques blancs (1952) de Frantz Fanon ; Psychologie de la colonisation (1950) d’Octave Mannoni ; Une Tempête (1969) d’Aimé Césaire et Caliban without Prospero (1974) de Max Dorsinville.
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[132]
. Par histoire disciplinaire, j’entends ici les histoires de la psychologie : il existe toutefois quelques travaux sur la psychologie des peuples dont l’ouvrage collectif dirigé par Michel Kail et Geneviève Vermès (dir.), op. cit.
1Véritable objet non identifié des sciences sociales, la « psychologie coloniale » est sans doute la science coloniale la moins connue, la seule à ne pas avoir donné lieu à une institutionnalisation universitaire. S’agissait-il simplement d’une psychologie des peuples, à savoir des populations colonisées, ou cette psychologie présentait-elle une spécificité autre que son objet d’étude ?
2Tenter de reconstituer cette science éphémère de l’entre-deux-guerres, considéré souvent comme une période de basses eaux par les historiens de la psychologie des peuples [1], renvoie à la figure de son fondateur auto-proclamé : Georges Hardy (1884-1972) [2]. Normalien, agrégé d’histoire et géographie, haut fonctionnaire colonial [3]. Georges Hardy a été notamment directeur du service de l’enseignement en AOF de 1911 à 1918, directeur de l’Instruction publique, des Beaux-arts et des Antiquités au Maroc de 1920 à 1926, directeur de l’École coloniale de 1926 à 1932 puis recteur d’Alger de 1932 à 1937 et de 1940 à 1943.
3, Georges Hardy a écrit plusieurs ouvrages théoriques qui entendent fonder la psychologie coloniale qu’il introduit à l’École coloniale à partir de 1927. Nous disposons de ce fait d’une source précieuse : les mémoires de psychologie coloniale rédigés au début des années 1930 [4] qui offrent un point de vue sur la réception et l’adaptation de ces savoirs psychologiques par les étudiants, futurs administrateurs et magistrats coloniaux.
4Pourquoi cette « psychologie coloniale » a-t-elle été totalement « oubliée » par l’histoire disciplinaire ? Parce que c’est une « science des marges » : la psychologie coloniale oscille entre savoirs universitaires et science des amateurs, entre discours scientifique et discours littéraire, entre psychologie, géographie, sociologie et ethnologie. C’est une psychologie des confins du monde occidental, parce qu’elle se consacre à l’étude des populations des colonies, avec pour finalité, l’élaboration d’une politique coloniale d’association. En outre, cette science nouvelle, confinée dans les marges du champ universitaire au sein de l’École coloniale, est une discipline paradoxale : une psychologie sans psychologue dont les tenants sont géographes — comme Georges Hardy ou Maximilien Sorre —, sociologues tels René Maunier et Max Bonnafous, philosophe, à l’instar d’Abel Miroglio, administrateurs comme Louis Brunot, Paul Giran ou Robert Delavignette, et surtout — nous le verrons — romanciers. On observe en effet une étonnante convergence dans les années 1920-1930 entre le projet de la psychologie coloniale et le programme du roman colonial, dans les objectifs et les méthodes, qui aboutit à la construction d’un même discours psychologique sur les sociétés coloniales.
Une science de l’âme collective au service de la politique d’association
5Georges Hardy formule le projet de la « psychologie coloniale » dès 1921. Dans Les Éléments de l’histoire coloniale, il fait le constat que de nombreux coloniaux sont de « remarquables psychologues » qui « connaissent l’indigène comme un bon cavalier sa monture [5] ». Quatre ans plus tard, dans un « manifeste » intitulé Mon frère le loup sous-titré Plaidoyer pour une science vivante [6], il affirme que cette discipline nouvelle doit avant tout servir un projet politique : trouver le moyen d’établir une paix durable entre les peuples quelques années après la fin de la Grande guerre. La psychologie serait la condition d’une véritable compréhension internationale. Georges Hardy est, toutefois, avant tout préoccupé par les problèmes coloniaux. Comme Gustave Le Bon, quinze ans plus tôt [7], il impute à des « erreurs de psychologie », les errements de la politique d’assimilation des indigènes menée par la France. Hardy invite les colonisateurs à faire « table rase de leur propre mentalité [8] », à rompre avec la « science pure [9] » et à s’adapter à la psychologie indigène pour promouvoir une politique d’association. La science des âmes constitue un outil de gouvernement colonial des groupes comme des individus :
6« Jouer de cette psychologie, tourner en notre faveur le sentiment des collectivités indigènes ou rompre l’unité de l’âme collective en intéressant isolément et diversement les individus à notre œuvre : tel est, en général, le principal mérite de ceux que nous appelons les grands coloniaux. [10] »
7Dès 1904, dans un ouvrage intitulé Psychologie du peuple annamite, un ancien élève de l’École coloniale, administrateur civil en Indochine, Paul Giran, milite en faveur de la politique d’association :
8« C’est pour avoir considéré comme semblables à nous des peuples dont la civilisation, les mœurs, la religion, la mentalité en un mot, différait profondément de la nôtre, pour avoir voulu leur appliquer nos lois, nos institutions, leur imposer notre religion ou notre morale, que nous avons compromis dans bien des cas nos entreprises coloniales. [11] »
9La même année, Adolphe Cureau joint sa contribution à la psychologie indigène en publiant son « Essai sur la psychologie des races nègres de l’Afrique équatoriale » dans la Revue générale des sciences pures et appliquées : ces travaux sont bien reçus par les savants coloniaux et régulièrement cités par les étudiants de l’École coloniale « mais dédaignés ailleurs parce qu’[ils] se fondent sur une conception simpliste de psychologie comparée [12] ».
10Cette politique est recommandée dans la plupart des études de psychologie indigène de l’entre-deux-guerres. Dans Islamisme contre Naturisme au Soudan français, sous-titré Essai de psychologie politique coloniale, l’administrateur colonial Jules Brévié affirme que la politique coloniale découle du fonctionnement de l’âme indigène :
11« Gardons-nous d’arracher l’indigène de son milieu. Déduisons les lois morales de ses représentations collectives familières ; respectons les vieilles traditions et les coutumes auxquelles s’attachent encore tant d’intérêts. [13] »
12Les mémoires de psychologie des étudiants de l’École coloniale traduisent naturellement cet engagement en faveur de l’association : un étudiant écrit en 1931 qu’« il est intéressant et nécessaire d’approfondir la mentalité des indigènes des pays que nous avons à gouverner. Ceci, tant pour éviter les fautes que pour adapter notre politique coloniale à la psychologie de chacun des peuples qui sont sous notre domination [14] ».
13Pour réaliser ces objectifs politiques — la paix internationale et la politique coloniale d’association —, Georges Hardy préconise le développement d’une nouvelle discipline, qu’il définit comme la science sociale ultime, une science de l’âme collective [15]. Les sciences de l’homme ne doivent plus être des « fins » mais des « moyens » utiles à la future discipline reine :
14« La psychologie doit devenir la fin suprême de toute activité intellectuelle et les autres sciences morales ne peuvent être que ses servantes. Mais, par psychologie, il est clair que nous entendons — au lieu de cette science constructive qui se préoccupe de chercher les traits de l’Homme universel — une discipline plus modeste, toute d’observation, soucieuse de saisir les faits dans leur complexité et de découvrir dans leur précision les visages multiples de l’humanité. [16] »
15 C’est selon ses termes « une histoire et une géographie des âmes [17] » qui doit revivifier les sciences de l’homme engourdies par l’idéologie du désintéressement, les pesanteurs de l’érudition et mettre en relief les différences, contrairement à la science abstraite de l’homme universel [18] produit de l’évolutionnisme [19] et du matérialisme historique. Il stigmatise les « raisonnements par analogie » en vertu desquels « nos législateurs ont appliqué aux indigènes de certaines colonies le même traitement qu’aux Français de France [20] ». S’inspirant des travaux de J. Frazer et M. Lévy-Bruhl [21], il souhaite comprendre non seulement ce qu’un peuple pense, mais « comment il pense [22] » : « Raison de blanc n’est pas raison de noir [23] ». En outre, on peut penser que Hardy a été très influencé — bien qu’il ne les cite pas — par les travaux de son ami Maurice Delafosse, administrateur et ethnologue enseignant à l’École coloniale qu’il a rencontré en AOF en 1912 [24].
16Ce différencialisme constitue le fondement intellectuel de son projet politique inspiré par la légende de François d’Assise : la reconnaissance mutuelle des différences ethniques et culturelles irréductibles qui séparent les peuples garantirait la stabilité et la collaboration entre les peuples. À
17l’image du loup féroce, qui, sermonné par le saint italien, se fait végétarien et devient « mon frère le loup » à côté de « ma sœur la brebis » [25], les hommes découvrent leur fraternité en prenant conscience de leur différence psychologique. Comment Hardy a-t-il procédé pour créer cette discipline, pour la fonder épistémologiquement et institutionnellement ?
Psychologie et littérature à l’École coloniale
18Au moment où la psychologie sociale est l’objet d’âpres débats entre sociologues durkheimiens (M. Halbwachs, M. Mauss, L. Lévy-Bruhl ) et des psychologues (C. Blondel et G. Dumas) [26], Hardy, à contre-courant, renoue avec la psychologie littéraire et descriptive. Cette tradition, illustrée notamment par H. Taine et par son ami E. Boutmy [27], considère que l’activité spirituelle d’un peuple, son « âme collective » — produite par le milieu physique qui l’environne — acquiert sa propre logique et détermine tous les phénomènes sociaux.
19Hardy publie en 1926 son premier ouvrage de psychologie coloniale intitulé L’âme marocaine d’après la littérature française où il examine « les œuvres [romanesques] à la lumière de la vérité psychologique », et devient l’année suivante directeur de l’École coloniale jusqu’en 1933. Dès sa nomination, il rend le concours d’entrée plus sélectif et réforme les programmes en développant de nouvelles disciplines dont la psychologie coloniale.
20Avant d’enseigner cette nouvelle discipline, les enseignants de l’École avaient mis en pratique dès 1885 des rudiments de psychologie dans leur évaluation du « caractère » des étudiants « indigènes ». Les 97 élèves indochinois [28] passés par l’École coloniale de 1885 à 1911 sont évalués dans les rapports administratifs qui soulignent la récurrence de trois traits psychologiques spécifiques : la douceur, l’hypocrisie [29], et l’« intelligence moyenne » ou « médiocre » caractérisent plus de la moitié des étudiants asiatiques. Il est vrai que, plus généralement, les catégories du jugement universitaire sont, au tournant du siècle, très influencées par le psychologisme ambiant [30].
21En 1927, Georges Hardy introduit des cours de « psychologie et morale appliquées à la colonisation » fondés sur l’étude de la littérature française à laquelle les enseignants de l’École coloniale attachent beaucoup d’importance : la composition de littérature française sur les auteurs au programme doit révéler les dispositions du candidat à embrasser la vie coloniale. La littérature française offre un répertoire d’exemples de mentalités et de bonnes pratiques coloniales [31]. Au concours d’admission de 1934, le programme associe littérature coloniale, romans exotiques et d’aventures : l’Anthologie coloniale de Marius-Ary Leblond, Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre, Plain Tales from the Hills de Kipling et Treasure Island de Stevenson côtoient La première légende des siècles de Victor Hugo, les Pensées de Pascal et l’Encyclopédie de Diderot [32]. Littérature et psychologie dominent l’épreuve : les candidats planchent en définitive le 1er juin 1934 sur « D’après les textes réunis dans l’Anthologie coloniale de Marius-Ary Leblond, déterminer ce que nos colonies ont fourni à l’inspiration littéraire dans les cinquante dernières années et dans quelle mesure on peut parler de la formation d’une littérature coloniale [33] ». En 1931, ils ont traité « Dans quelle mesure la politique contribue-t-elle à l’intérêt psychologique et à l’intérêt dramatique de la tragédie de Mithridate ? [34] ».
22Ainsi, la littérature, et en particulier le roman colonial, constitue selon Georges Hardy la principale source de la psychologie coloniale. Parce que le roman colonial est « moins lié que les autres genres par des règles et des traditions, […] il renonce aux vieilles formules du roman dit exotique, […] il s’attache à nous mettre brusquement, directement, en contact avec des âmes diverses ; il accueille, comme toutes normales, comme aisément admissibles, les différences de pensées ». Les romanciers coloniaux, en développant les moyens de la psychologie littéraire, « tireront de l’ornière » les savants :
23« Leurs romans sont des études généralement exactes et précises de psychologie coloniale et ethnique. Leur principal souci n’est plus de promener, de dépayser, d’enchanter ou d’étonner les yeux, mais de faire comprendre des âmes étrangères ou transformées, de rompre l’uniformité conventionnelle du type humain, de nous mettre en garde contre les raisonnements par analogie. [35] »
24Hardy et ses étudiants justifient la pertinence des sources littéraires en insistant sur la connaissance du terrain colonial par les romanciers contrairement aux psychologues de cabinet. À défaut de pouvoir effectuer une étude de terrain, les élèves administrateurs adoptent cette méthode « beaucoup plus pratique » : « il suffit, pour en tirer une notion très exacte de la réalité, de faire la part de l’imagination de l’auteur [36] ». Les universitaires sont désormais sommés de se conformer à ce nouveau paradigme : « Pourquoi les sciences morales et sociales refuseraient-elles de suivre le mouvement ? […] Comment oseraient-elles préférer une indépendance stérile à cette entreprise collective de psychologie [37] ». Dans le texte programmatique de Outre-mer, revue scientifique de l’École coloniale qu’il fonde en 1929, Hardy entend « réserver une large place à l’étude ethnique et psychologique des sociétés pupilles [38] » et « garder un étroit contact avec les réalités, c’est-à-dire, avant tout, avec la vie et l’âme des populations coloniales [39] ». Dans l’article « Psychologie avant tout », Hardy affirme la vocation de la psychologie à couronner toutes les sciences humaines tout en traçant les grandes lignes de son programme scientifique : établir patiemment des « monographies psychologiques [40] » dont les étudiants de l’École coloniale sont chargés.
25En 1930-1931, les étudiants de l’École coloniale consacrent plus d’un tiers de leur mémoire de psychologie coloniale à l’étude d’une œuvre littéraire, le plus souvent à un roman colonial. En tête, les romans des frères Tharaud qui inspirent directement six mémoires dont quatre sont consacrés à la psychologie du Noir dans La randonnée de Samba Diouf. Les romanciers Robert Randau et André Demaison suscitent chacun deux mémoires. Plus surprenant, des hommes de lettres non coloniaux font l’objet de trois mémoires ; deux étudiants analysent la psychologie collective dans l’œuvre de Jules Romains, un élève explore la psychologie du marinier dans le poème du Rhône de Mistral [41].
26Pour les deux tiers restants, le roman colonial constitue la principale source scientifique des étudiants, et les références universitaires — au premier rang desquelles figurent Maurice Delafosse et Georges Hardy — demeurent minoritaires. Aussi, Georges Hardy invite-t-il les romanciers à se concentrer sur la description psychologique des indigènes dans Ergaste ou la vocation coloniale, une œuvre de vulgarisation à destination des adolescents et des étudiants :
27« Qu’ils nous donnent, sous la forme qu’ils voudront, des descriptions d’âmes indigènes, aussi variées que possible, et ils auront bien mérité de l’œuvre colonisatrice. [42] »
Le programme psychologique du roman colonial
28Dans les années 1920, on observe une convergence entre deux projets : le programme de la psychologie coloniale tel qu’il est conçu par Hardy et celui du roman colonial défini par les manifestes de la littérature coloniale rédigés par Marius-Ary Leblond, Eugène Pujarniscle et Roland Lebel [43].
29Marius-Ary Leblond, pseudonyme de deux cousins réunionnais, Georges Athénas et Aimé Merlo, prix Goncourt en 1909, théoriciens du roman colonial, propagandistes de l’œuvre impériale, définissent la littérature comme une science [44] qui doit s’appuyer sur la connaissance du terrain décrit [45]. Inspirés par la théorie du roman expérimental et « la sociologie pratique » de Zola, les auteurs pensent que la littérature coloniale française doit être réaliste et avant tout se fonder sur la psychologie :
30« La véritable littérature coloniale, écrivent-ils, doit aller jusqu’à l’âme. [46] »
31Le terme de « psychologie », omniprésent dans leur manifeste — apparaît une quinzaine de fois —, constitue le principal critère d’évaluation littéraire. Les auteurs saluent la « conception psychologique si intelligente des nations » de Paul Claudel, « la psychologie aisée, incisive, intuitive de l’âme maori » de Paul Gauguin dans Noa-Noa, et soulignent les qualités psychologiques de Victor Segalen dans Les Immémoriaux, « ce roman de l’âme tahitienne ». Tandis que la psychologie coloniale préconise le recours à la fiction comme source scientifique, les théoriciens du roman colonial déconseillent l’usage des « intrigues de feuilleton ». Les faits relatés doivent être authentiques. Ils concluent par ces mots éloquents : « Les aventures ne doivent pas plus s’inventer que la psychologie ! [47] »
32Conformément au traité de littérature coloniale rédigé par Eugène Pujarniscle, « l’écrivain colonial doit être en même temps peintre et psychologue », le romancier doit décrire fidèlement le « milieu physique et le milieu moral qui constituent la colonie » [48], le « caractère psychologique » distinguant selon lui « la littérature coloniale de la littérature simplement exotique » qui se caractérise par une « psychologie convenue [49] ». Le roman colonial constitue une introduction « sérieuse » et « documentée » à la « géographie morale » de l’Empire.
33Et contrairement aux psychologues coloniaux, le romancier Pujarniscle n’hésite pas à se référer dans son manifeste aux grands psychologues universitaires comme Théodule Ribot. Pujarniscle revendique à la fois objectivité scientifique et esprit critique en stigmatisant le « préjugé de race ». Les psychologues amateurs que sont les romanciers ont, de ce point de vue, moins d’a priori que les universitaires :
34« C’est un fait qu’en Indochine, ceux qui ont parlé de l’indigène avec le plus d’objectivité, sont des gens qui ont travaillé avec lui : administrateurs des services civils comme Boissière, officiers comme Nolly ou Pouvourville, contrôleurs des Douanes, comme Marquet — tandis que ceux qui sont venus dans la Colonie, avec la mission spéciale de l’étudier, n’y ont à peu près rien compris. [50] »
35Pour atteindre « l’âme collective », Pujarniscle recommande le métissage en vue de faciliter la co-écriture de romans psychologiques avec les « indigènes » tandis que Hardy suggère d’encourager la collaboration scientifique des « indigènes cultivés [51] ». Ces propositions complémentaires participent de l’indigénophilie de l’entre-deux-guerres qui voit dans le discours autochtone un gage d’authenticité et une nouvelle source de légitimité scientifique [52].
36Dans l’Histoire de la littérature coloniale en France publiée en 1931, Roland Lebel, affirme que le roman constitue « une forme de connaissance, ou mieux une méthode de connaissance du pays et des habitants ». Les écrivains coloniaux parviennent selon lui à concilier érudition et imagination : ils « édifient leurs romans sur des documents solides et étendent la portée de leur œuvre en l’ouvrant à des considérations non seulement psychologiques mais ethniques et sociales [53] ». La littérature coloniale représente le principal moyen de propagation d’une conscience impériale fondée sur la connaissance de la psychologie des populations colonisées. Les autres théoriciens du roman colonial s’accordent sur la vocation impériale de la littérature. Pujarniscle considère d’ailleurs que l’œuvre du romancier possède « plus de force persuasive » que les « lourds volumes » composés par « l’économiste, le géographe et l’archéologue [54] ». Source d’information pour les métropolitains, le roman colonial devient même pour Marius-Ary Leblond une source d’inspiration pour les colonisateurs et les colonisés :
37« Arche de sapience et de conseil pour les Administrateurs, pour les Colons et pour les Indigènes, la littérature coloniale est leur table d’harmonie. [55] »
38Dans son essai sur l’exotisme publié en 1939, Pierre Jourda réaffirme le caractère presque scientifique de la littérature coloniale :
39« Son apport psychologique, sa valeur documentaire sont sans prix. [56] »
40Les romanciers coloniaux « veulent instruire plus qu’amuser. La description colorée du décor le cède à l’étude des âmes ; la sensibilité s’exerce moins que ne se déploie l’intelligence. On transporte à la colonie les méthodes naturalistes : le livre colonial devient objectif et documentaire ; l’observation exacte l’emporte sur l’analyse sentimentale [57] ».
41Jourda finit même par regretter cet excès de réalisme qui affaiblit la portée littéraire des œuvres coloniales.
Une méthodologie commune aux romanciers et aux psychologues coloniaux
42Romanciers et psychologues coloniaux s’accordent sur la définition d’une science psychologique narrative et classificatrice et non expérimentale et analytique ; ils construisent et utilisent une méthodologie commune, revendiquent une approche intuitive, descriptive et sympathique. Ils appliquent les principes de justification traditionnels de la science coloniale de l’entre-deux-guerres : relativisme, différencialisme, essentialisme et déterminisme mésologique.
43Georges Hardy dans son manifeste Mon frère le loup récuse les méthodes scientifiques à la mode : l’évolutionnisme, l’érudition désintéressée et le matérialisme historique. Il souligne le caractère décisif de l’intuition du psychologue, même si « les doctrinaires de la méthodologie dénoncent un procédé de littérature, une hérésie, un crime de lèse-science [58] ». Les études psychologiques nécessitent selon lui des qualités littéraires de romancier plus que des « acquis scientifiques », « un don, fait de patience, de sensibilité, de divination, […] que les praticiens dénomment couramment le sens de l’indigène ». Aussi, dans son ouvrage sur L’âme marocaine, encourage-t-il les romanciers qu’il dénomme les « amateurs d’âmes », à pratiquer la psychologie. Les romanciers coloniaux définissent eux aussi la psychologie comme une science intuitive : Pujarniscle considère que le « don d’intuition » « supplée à tout », parfois même à la connaissance du terrain.
44Pour les savants comme pour les romanciers, la première règle est d’observer et de décrire. Décrire, oui, mais avec bienveillance. L’approche « sympathique » répond à la devise de l’École coloniale : « Connaître pour aimer ». Hardy considère qu’il faut « compter sur la sympathie plus encore que sur le froid jugement pour aboutir à quelque exactitude [59] ». Son collègue Louis Brunot, affirme que :
45« Seule, une sensibilité sympathique aux indigènes peut vibrer en harmonie avec l’âme marocaine et sentir ce qu’elle est ; en effet, on sent l’âme d’un peuple plus qu’on ne la comprend ; la froide analyse, si subtile qu’elle soit, conduit à ces monstrueuses absurdités ou à ces erreurs psychologiques colossales dont les Allemands ont donné maints exemples à propos de la guerre. [60] »
46Le romancier Pujarniscle circonscrit la notion de « sympathie », qui reste vague chez les universitaires à la « sympathie intellectuelle » :
47« Par sympathie nous entendons cet effort qui nous fait sortir de nous-même, nous transporte à l’intérieur d’une autre âme de façon que nous coïncidions avec elle. [61] »
48À terme, l’avenir de la psychologie coloniale réside selon lui dans une collaboration étroite avec les « indigènes », avec qui on doit envisager d’écrire des romans psychologiques. Georges Hardy, dans L’âme marocaine, en appelle explicitement à une convergence entre le roman et la psychologie coloniale :
49« Il serait fort désirable, d’une part, que la littérature proprement dite s’inspirât de quelque souci scientifique, d’autre part, que la littérature scientifique ne perdît jamais de vue l’objet psychologique. [62] »
50La psychologie coloniale décrit, classifie, généralise, essentialise. La psychologie des Marocains étudiée par Georges Hardy et Louis Brunot est à cet égard exemplaire : il existerait selon eux une âme marocaine uniforme en dépit des distinctions ethniques (entre Berbères, Arabes, Juifs,
51Noirs), des différences professionnelles (le marchand, le marabout, l’artisan, etc.) et des variations régionales. On retrouve cette même essentialisation de l’âme indigène dans les mémoires de psychologie des étudiants de l’École coloniale.
52L’essentialisme se traduit par l’utilisation d’un syntagme simple et efficace, la proposition prédicative qui affirme d’une façon absolue et définitive : « Le noir est… » « sensitif », « indolent », « paresseux », « physique », « insouciant et désintéressé », « rêveur », « artiste », « bavard », « incapable d’agencer les idées », « le noir est coquet et il n’aime rien tant que s’arroser de grands flacons de parfum acquis très cher chez les colporteurs ». Cette structure attributive est en outre verrouillée par l’adverbe « essentiellement ». Les populations subsahariennes sont les plus stigmatisées : « le noir est essentiellement curieux », « le noir est un être essentiellement affectif » [63], « essentiellement affectif et sensuel [64] », « la création artistique du noir est essentiellement subjective », « leur nature essentiellement fugace » [65], « l’Africain est essentiellement instable [66] », « le caractère essentiellement matérialiste du Bambara [67] ». Ce schéma est élargi aux autres groupes étudiés par les élèves de « Colo » : « L’insulaire, si longtemps isolé des autres hommes est par essence même un conservateur [68] », « la vie familiale des femmes cambodgiennes est essentiellement paresseuse [69] », la douceur est « une attitude essentielle de l’âme polynésienne [70] ». Ce mode d’articulation et d’accréditation des stéréotypes est validé par les enseignants de l’École : l’essentialisation, au-delà d’une convention rhétorique, constitue le soubassement épistémologique de la psychologie coloniale.
53Georges Hardy explique le principe de cet essentialisme dans une conférence de 1934 sur « La Foule dans les sociétés dites primitives », la psychologie coloniale est une psychologie des foules [71] :
54« L’état de foule est, chez nous, accidentel ; chez les sociétés primitives, il est beaucoup plus ordinaire, et l’on peut même avancer que, chez les plus frustes d’entre elles, il correspond à un phénomène permanent. Autrement dit, la psychologie collective tend à se confondre ici avec la psychologie des foules. [72] »
55On retrouve chez Hardy les stéréotypes qui gouvernent les mémoires des étudiants de l’École coloniale :
56« La mentalité des primitifs est avant tout une mentalité de foule. Par là s’expliqueraient plus aisément des traits aussi accusés que l’infirmité générale du jugement et du raisonnement, l’incapacité conceptuelle, l’absence d’inventions cohérentes, la force d’inhibition du groupement, le recours permanent à une causalité surnaturelle, l’instabilité, etc. [73] »
57Cette essentialisation se justifie spécialement dans les colonies :
« Dans les sociétés dites primitives, l’individu n’a pas de valeur propre : les institutions et les mœurs tendent à l’absorber dans la collectivité […] la guerre est l’atmosphère même de sa vie. »
59Les élèves de l’École coloniale ont retenu la leçon : « c’est surtout dans les foules qu’il faut chercher les manifestations de la gaîté noire, car l’âme du Noir est une âme essentiellement collective [74] » considère l’un d’entre eux.
60Dans l’entre-deux-guerres s’affirme une convergence entre la littérature coloniale en quête de scientificité et la psychologie coloniale à la recherche d’une légitimité littéraire. Les théoriciens du roman colonial, Leblond et Pujarniscle, défendent l’objectivité de leur littérature qui fait revivre la psychologie « en faisant âme rase — à la fois d’auteur et d’Européen [75] » et en évitant de « mêler à nos appréciations psychologiques des considérations morales [76] ». Pujarniscle déplore que les universitaires se livrent à des jugements de valeur :
61« En ce qui concerne les indigènes nous ne pouvons nous borner à dire : […] “ Ils ne sont pas comme nous ” sans ajouter : “ Ils ont tort — ou raison — d’être ainsi ”. [77] »
62Les romanciers considèrent que les savants métropolitains présupposent à tort que « la psychologie indigène est très simple, et d’un accès facile [78] ». On retrouve cette même attention, tout au moins de principe, à la complexité de la psychologie indigène chez les étudiants de l’École coloniale, qui stigmatisent ostensiblement le raisonnement par analogie. Dans son mémoire, Auguste Ladurantie concède que :
63« Faire suffisamment abstraction de sa propre mentalité et dépeindre les Noirs tels qu’ils sont au lieu de les représenter seulement comme nous les voyons avec nos concepts d’hommes blancs, est un art difficile. [79] »
64S’inspirant des travaux de Maurice Delafosse [80], les élèves administrateurs adoptent en partie l’argumentaire du relativisme culturel. Delafosse affirmait dans ses cours l’égalité des races quant à leurs possibilités mais expliquait leur différence par l’histoire et le milieu géographique [81]. L’étudiant Jean Grivaux résume parfaitement cette méthode culturaliste à la fois compréhensive et différencialiste :
65« Pour bien le comprendre, le blanc doit se livrer à une sorte de gymnastique intellectuelle afin d’essayer de se mettre à la place du noir. [82] »
66Les psychologues coloniaux postulent que l’indigène n’est pas inférieur à l’homme blanc mais plutôt différent. Cette psychologie différencialiste refuse l’explication par la race et actualise la conception de « races psychologiques » élaborée par Le Bon. Ainsi, on substitue l’âme à la race. Un étudiant travaillant sur la « gaîté » chez les Noirs écrit :
67« La joie du Noir n’a pas les mêmes origines que la nôtre […]. Il ne convient pas de découvrir ces causes mystérieuses dans la « Race ». Le problème doit être tout psychologique […] Sans doute y-a-t-il à la base l’influence de ces pays d’horizon dégagé, de belle lumière. [83] »
L’invention de la « géographie psychologique »
68Le milieu constitue le principal déterminant de la psychologie coloniale. Les sources littéraires auxquelles s’abreuvent les étudiants alimentent cet intérêt pour l’environnement. Les romanciers coloniaux privilégient ce facteur d’explication à l’instar d’Eugène Pujarniscle :
69« La nature tropicale agit trop puissamment sur les âmes pour qu’on puisse comprendre celles-ci sans s’occuper de celle-là. Il est permis de croire au libre arbitre sous un climat tempéré. Sous les climats extrêmes le déterminisme est le vrai. [84] »
70Le roman colonial s’inscrit dans la continuité du naturalisme : Zola, dans Le Roman expérimental, refuse de décrire l’homme abstrait et privilégie « l’étude de l’homme naturel, soumis aux lois physico-chimiques et déterminé par les influences du milieu ».
71Cette naturalisation de la psychologie, non par la physiologie à la manière de la psychologie expérimentale mais par le milieu physique, renouvelle la théorie déterministe du physique déterminant le moral en substituant le milieu à la race. Tous les étudiants accordent en effet un caractère décisif à l’explication mésologique. Les Noirs ne sont pas physiologiquement différents des populations européennes mais soumis à un processus de développement différé en raison du milieu qui les environne.
72« Tous les milieux influent sur la psychologie des individus. Ils ont d’autant plus d’action qu’ils sont plus puissants. [85] »
73Les Noirs doivent faire face à un environnement moins maîtrisé et autrement plus menaçant que le milieu « tempéré » européen :
74« Ils portent donc nettement l’empreinte psychologique des différents milieux dans lesquels ils vivent. [86] »
75Le milieu isole les populations « primitives » du « monde civilisé » :
76« Ce sont encore des “ attardés ” et la mentalité négro-africaine est très primitive. Cela tient au milieu dans lequel ils ont évolué jusqu’à présent. L’ignorance des Noirs est considérable, mais elle n’est qu’une résultante du milieu et des phénomènes historiques. [87] »
77Les étudiants répertorient l’âme dans tous ses états : l’âme rêveuse des habitants du désert et de la côte, l’âme ombrageuse du pillard touareg, l’âme instable des populations de la forêt dense, l’âme généreuse de l’homme de la savane, l’âme rude du montagnard, l’âme ouverte des riverains des fleuves…, etc. Chaque zone climatique ou bio-géographique détermine un certain type de dominante psychologique. Une conception binaire — très répandue dans les discours essentialistes — oppose systématiquement les habitants de la forêt à ceux de la savane :
78« L’autre différence psychologique provient du milieu. C’est celle qui existe entre les habitants de la forêt et ceux de la savane. Tous les voyageurs l’ont remarqué. Le noir de la forêt abattu par l’hostilité de la nature devient plus renfermé, plus troublé, moins accueillant que le noir de la savane qui conserve intactes sa gaieté et sa sensualité. [88] »
79Cette opposition structure aussi le mémoire de l’étudiant Pierre Larrieu sur La gaîté chez les Noirs. La forêt entrave les hommes, les isole et les assombrit : ils deviennent méfiants, querelleurs et de mauvaise foi tandis que « l’existence large et libre » des peuples habitant les savanes encourage la joie, l’exubérance et l’hospitalité. Selon un autre étudiant, Gérard Dulphy, la chaleur tropicale expliquerait l’extrême faiblesse de caractère de la femme cambodgienne, apathique et fataliste [89].
80Dans les années 1920, géographes et psychologues défrichent un espace de discussion commun. À la suite de Vidal de la Blache, fondateur de l’École française de géographie, n’hésitant pas à étudier la personnalité géographique de la France et ses « vieilles races de montagnes [90] », Jean Bruhnes et André Siegfried soulignent la complémentarité des deux disciplines. Le géographe Camille Vallaux affirme ainsi en 1925 :
81« L’élément géographique pénètre dans les sciences de l’homme dès que celles-ci groupent les individus et cherchent à synthétiser leurs caractères physiques et moraux : il y a donc des géographies de l’anthropologie, de la préhistoire, de l’histoire, de la psychologie collective et, à plus forte raison, de la sociologie. [91] »
82Charles Blondel, professeur de psychologie à l’université de Strasbourg, conteste l’existence d’une âme des peuples mais admet la dimension géographique des phénomènes psychologiques :
83« Une des conditions les plus essentielles de la fécondité et du succès de la psychologie collective est la détermination d’“ aires collectives ”, suffisamment distinctes dans le temps et dans l’espace par leurs particularités mentales. [92] »
84À la fin des années 1930, Georges Hardy synthétise ses travaux sur les relations entre l’âme collective et le milieu environnant dans La géographie psychologique :
85« Il y aurait donc une psychologie spéciale […] aux différents types de régions, à ce qu’on pourrait appeler les cadres naturels. [93] »
86Ainsi, la forêt dense correspond au « sauvage par excellence, inquiet, défiant, instable, foncièrement individualiste, rebelle au groupement, impatient de toute autorité » tandis qu’à l’opposé la savane et le delta ont favorisé « la communauté d’efforts, l’accoutumance à la discipline, le souci d’organisation, l’altruisme » [94]. Georges Hardy, au milieu des années 1930, délaisse le terme de psychologie coloniale et lui préfère celui de « géographie psychologique [95] », qui lui permet de formaliser sa méthodologie et de privilégier le principe de justification aux dépens des facteurs ethniques mis en avant par la psychologie des peuples et la psychologie ethnique. Dès 1925 il entendait fonder une « géographie des âmes » mais il ne publie son manifeste intitulé La géographie psychologique qu’en 1939 : c’est un « plaidoyer » en faveur d’une « alliance de la géographie et de la psychologie ». La géographie psychologique « a pour objet de déterminer la localisation des phénomènes de psychologie collective à la surface de la planète et, le cas échéant, la part de ces phénomènes dans les rapports de l’homme et de la nature [96] ».
87Tout en pérennisant le statut du roman comme source essentielle de la psychologie des peuples, des régions et des villes, Hardy propose d’observer et de classifier les « habitudes » des populations, réparties en cinq catégories de « faits d’expression » : les habitudes corporelles, matérielles, morales, sociales et psychiques doivent informer les enquêtes de psychologie collective [97]. « La géographie psychologique possède, sous des noms divers, d’appréciables titres de noblesse » : de Hérodote à Taine en passant par Tacite, Ibn Khaldoun, Montesquieu, Renan… tous les plus grands penseurs auraient fait sans le savoir de la géographie psychologique [98]. Georges Hardy tente de légitimer sa discipline en construisant une généalogie. Il prend soin toutefois de ne pas citer ses prédécesseurs universitaires — Henri Berr et Pierre Foncin — qui ont tenté, au tournant du siècle, d’instituer une science de l’âme des villes et de la psychologie régionale [99]. Il n’évoque pas non plus, Willy Hellpach, professeur de psychologie à l’université de Heidelberg, qui, au même moment, introduit le concept de géopsyché. Dans son ouvrage publié en 1935, Geopsyche. Die Menschenseele unterm Einflu? von Wetter und Klima, Boden und Landschaft, Hellpach étudie l’influence de la climatologie, du sol et du paysage sur la psychologie des groupes. Le rapport à l’environnement détermine les dispositions à coloniser : ainsi, la race nordique, très attachée à son climat — contrairement aux mongoloïdes —, a colonisé le monde entier à contrecœur et à contre-courant de leur nature [100].
88La géographie psychologique influence une grande partie des enseignements de l’École coloniale — ethnographie, psychologie, géographie [101] —, et extrêmement rares sont les étudiants qui osent exposer un point de vue alternatif, et a fortiori critique. Dans son mémoire intitulé Psychologie de l’île. Rapports de la psychologie et de la géographie, Albert Joly remonte aux origines de cette « théorie vieille comme le monde ». Aristote, Hippocrate, Montesquieu, Vidal de La Blache et Brunhes ont beau avoir illustré brillamment cette hypothèse de l’influence du milieu sur l’individu, l’étudiant s’inscrit en faux :
89« Mais la psychologie d’un individu où d’un groupe d’individus n’est pas jaillie du sol où s’est fixée leur race comme jaillit l’eau d’une source. Le cadre naturel n’est pas la cause de la psychologie ; il n’est que la possibilité d’une certaine psychologie. [102] »
90L’étudiant prend à son compte le possibilisme vidalien et l’adapte à la psychologie : il n’existe pas, selon lui, de « psychologie en soi », de « psychologie préétablie qu’un groupe d’êtres ait dû nécessairement adopter sous l’influence de circonstances naturelles ». Les comportements des individus face à un même cadre naturel varient énormément. Il raille les tentatives de naturalisation de la psychologie collective qui tend à faire de l’insulaire — qu’il étudie dans son mémoire — « la somme algébrique des angles d’articulation de ses rivages et du poids de sa pêche ». Albert Joly souhaite qu’on restitue la « dignité active » de l’homme dans les études de psychologie coloniale : l’influence de l’homme se substitue progressivement à l’influence du milieu. Les correcteurs du mémoire reconnaissent les qualités de l’auteur en lui décernant un 16/20 mais lui reprochent de ruiner une théorie sans rien mettre à la place : « vous nous renvoyez, non sans brutalité, à l’individuel. C’est trop commode ».
91La géographie psychologique est très vertement critiquée par Albert Demangeon en 1940, chef de file de la géographie vidalienne dans l’entre-deux-guerres. Demangeon moque la modestie du Recteur Hardy, « Christophe Colomb » des sciences humaines qui prétend « découvrir » une nouvelle discipline, ignorée par les universitaires « étourdis et superficiels » [103]. Demangeon affirme que la géographie psychologique de Hardy emprunte entièrement son contenu et sa méthode à la géographie humaine et à l’ethnologie, sans rien y ajouter. Il usurpe la dénomination de « géographie » alors qu’il pratique tout simplement une « psychologie des peuples » traditionnelle. Demangeon reproche à Hardy de ne pas commenter les nombreuses photographies provenant uniquement du Maghreb — reliquat iconographique de la « psychologie coloniale » — qui illustrent son ouvrage. Cette « science mal définie » ne servirait que les intérêts de son « inventeur » qui tente vainement de copier le programme de la nouvelle géographie humaine tel qu’il a été défini par les vidaliens. Georges Hardy avait pressenti ces critiques dans son introduction : son brillant parcours universitaire et le soutien du géographe Deffontaines qui publie ses travaux dans la prestigieuse collection « géographie humaine » ne suffisent à le légitimer auprès des géographes universitaires [104].
92Si Demangeon souligne les travers de Georges Hardy, il ne perçoit pas le caractère novateur de son œuvre, notamment son projet de psychologie de la ville et de la région, l’utilisation qu’il fait de la notion d’« aire psychologique », entendue comme l’« aire d’extension d’un phénomène » [105]. Il considère par exemple que la diffusion des vêtements européens dans les milieux indigènes peut constituer un mode approximatif d’évaluation du processus d’européanisation. Hardy imagine « une géographie du mysticisme, de la probité, du bon sens, de la coopération, du jeu de hasard ou de la gaieté [106] ». Il propose de dresser une carte de l’embonpoint dans le monde, de « concevoir une géographie du sourire », une géographie « des peuples couchés, des peuples assis, des peuples accroupis » ; ce qui en fait un précurseur de la géographie culturelle. Il envisage sérieusement l’étude d’« une psychologie du pain et de la choucroute, du macaroni, de l’olive, du riz, du rôti saignant, du méchoui ». Il invente la géographie des odeurs : « On reconnaîtrait, les yeux bandés, un village lorrain à la forte odeur de ses fumiers, un souk marocain à son parfum de menthe fraîche ». Il entend enfin étudier les interactions entre la physionomie, les gestes, les attitudes et les mentalités collectives : « les yeux et les visages sont les registres où s’inscrit tout ce que l’homme voudrait cacher au fond de soi [107] ». Le géographe Albert Demangeon considère que Hardy « brouille les genres [108] » : on dirait aujourd’hui qu’il encourage l’interdisciplinarité.
93La « psychologie des expansions » de René Maunier [109]
94Dans les années 1930, à côté de cette psychologie coloniale comprise comme l’étude de l’âme des indigènes et accessoirement des colons, se dé-veloppe une psychologie des « empires ». En 1936, René Maunier (1887-1951), élève de Marcel Mauss, professeur de législation, d’économie et de sociologie coloniales à la Sorbonne depuis 1926, publie, au terme d’une carrière coloniale, la Psychologie des expansions : cette « psychologie des colonies » s’applique à l’étude des empires considérés comme des « êtres moraux [110] ». Il analyse les impulsions et les répulsions collectives — les « croyances » impériales — qui promeuvent ou entravent la colonisation. Maunier a découvert le monde colonial à travers son séjour au Caire où il est professeur à l’école khédiviale de droit et directeur de la statistique au ministère égyptien de la Justice (1911-1919). Reçu premier à l’agrégation de droit en 1919, il enseigne une année à Bordeaux et décide de partir à la faculté de droit d’Alger, où il crée l’enseignement de sociologie algérienne (1921-1926).
95Comme son maître Marcel Mauss, René Maunier plaide en faveur d’une alliance entre la sociologie et la psychologie, illustrée au même moment par des Durkheimiens comme M. Halbwachs et L. Lévy-Bruhl [111]. Maunier s’oppose au « matérialisme colonial » qui tend à réduire le fait colonial à un phénomène d’exploitation et d’oppression et adopte une approche « psycho-sociologique » de la domination : il convient d’analyser les « états d’âme collectifs » qui caractérisent les groupements humains, les nations et les États [112]. Ces « états d’esprit » déterminent les comportements collectifs ainsi que les « représentations » d’un groupe par les populations voisines ou lointaines. La colonisation et les résistances qu’elle suscite sont des faits sociaux qui résultent de déterminants psychologiques : des impulsions et des répulsions d’ordre intellectuel et sentimental. Comme tous les faits sociaux, les phénomènes coloniaux sont constitués par des « pratiques » et des « croyances » :
96« Les phénomènes coloniaux sont les pratiques et les croyances des Empires ; ils sont ce que l’on doit réaliser, ils sont aussi ce que l’on croit réaliser : ils sont des effets, ou bien des projets ; ils sont des assurances ou des espérances ; ils sont ce qui se fait, ils sont ce qui se veut ; ils sont, par conséquent, ainsi que tous les faits sociaux, vécus et rêvés. [113] »
97La « psychologie des colonies » se situe au cœur du programme scientifique de René Maunier qu’il dénomme la « colonistique » : une science ultime, synthétique des colonies associant l’économie, la sociologie et la psychologie, « trop négligée » jusqu’ici. En effet, la « science coloniale » doit comprendre l’étude de la mise en valeur des colonies, autrement dit « l’exploitation des choses », l’analyse des contacts entre colonisateurs et colonisés, c’est-à-dire « l’association des hommes » et enfin l’étude des croyances, des sentiments et des idées qui animent les pratiques d’expansion et de résistance.
98Georges Hardy et René Maunier tentent tous deux de fonder une science sociale coloniale en cultivant l’interdisciplinarité tout en s’ignorant l’un l’autre [114]. Toutefois Maunier critique l’approche littéraire théorisée par Hardy. La littérature coloniale est « trop souvent » utilisée comme une source privilégiée :
99« Comment les maîtres sont jugés par les sujets, comment les maîtres sont sentis par les sujets ; c’est, trop souvent, dans le roman qu’il faut chercher réponse à ces questions. [115] »
100Les sources littéraires nécessitent selon lui un effort d’historicisation et de contextualisation. Les romanciers ne sont que les interprètes d’une « âme collective » complexe et changeante qui est souvent « non d’aujourd’hui, mais bien d’hier ou de demain ». L’œuvre littéraire reflète avant tout le point de vue du groupe social et politique dont son auteur est issu :
101« Je ne cherche pas comment tel “ penseur ” aura pu juger du fait colonial. Il ne me chaut pas. Mais les auteurs ne sont pour moi qu’un témoignage, à critiquer, des opinions des groupements, soit dominants, soit dominés, soit étrangers. [116] »
102Cette approche critique de l’exégèse littéraire paraît bien éloignée des préoccupations de Georges Hardy. La psychologie de Maunier se défend d’être une « histoire des doctrines ». Il préfère les sources « indigènes » — les « traditions » (croyances, légendes, coutumes, littérature savante et populaire) et les « monuments » (architecture, artisanat, vestiges archéologiques). Contrairement à Hardy, il s’inspire des universitaires anglo-saxons tels Frederic Bartlett, professeur de psychologie expérimentale à Cambridge de 1931 à 1951, auteur notamment de Psychology and primitive culture en 1923 et Herbert Adolphus Miller, professeur de sociologie à l’université d’État de l’Ohio, auteur de Races, nations and classes. The psychology of domination and freedom en 1924. Maunier, dont l’œuvre a été récemment réhabilitée [117], tente de définir une approche globale et objective permettant d’analyser les contacts et interactions entre colonisateurs et colonisés en les soumettant aux mêmes critères d’analyse : c’est pourquoi il préfère intituler cette discipline « psychologie des colonies » ou « psychologie de l’expansion » plutôt que « psychologie coloniale » [118].
Dérive idéologique et héritage épistémologique de la psychologie coloniale
103Que devient la psychologie coloniale après la parution de La géographie psychologique de Georges Hardy en 1939 ? L’image de cette psychologie semble souffrir d’une dérive de ses praticiens vers la collaboration à partir de 1940. Georges Hardy lui-même, recteur de l’université d’Alger depuis le 20 décembre 1940, préside une organisation pétainiste, le comité de propagande de la Légion française des combattants en Afrique du Nord et révoque 870 enseignants dont 464 juifs [119]. En 1944, il est à son tour révoqué sans pension avec interdiction absolue d’enseigner ; il est réintégré en 1949 et aussitôt admis à la retraite. Son ancien chargé de conférences de psychologie coloniale à l’École coloniale, Max Bonnafous est nommé préfet de Constantine en 1941 puis ministre de l’Agriculture et du ravitaillement de Pétain de septembre 1942 à janvier 1944. Les sympathies vichystes de René Maunier [120] mettent un terme à sa carrière à la Libération. On peut évoquer, sous l’Occupation, la radicalisation de Georges Mauco, l’inventeur de la « géographie psychanalytique » : le psychanalyste Georges Mauco a soutenu en 1932 une thèse de géographie sur Les étrangers en France. Leur rôle dans l’activité économique sous la direction d’Albert Demangeon où il prône une « sélection ethnique » des immigrants non selon un critère biologique mais psychanalytique. Les « Juifs », les « Arméniens » et les « Arabes » ne sont pas assimilables parce que les parents façonnent l’inconscient des enfants dès leur plus jeune âge ! Futur collaborateur de Françoise Dolto, Georges Mauco fréquente les milieux pro-nazis et participe activement au comité de rédaction de L’Ethnie française [121]. Les années d’Occupation voient aussi André Siegfried, qui, dans l’entre-deux-guerres, a tenté à sa façon de combiner géographie et psychologie des peuples, s’engager dans la défense vigoureuse des intérêts de la « race blanche » [122].
104En outre, de nombreux romanciers coloniaux, promoteurs de cette psychologie coloniale chère à Hardy, Leblond et Pujarniscle, soutiennent la révolution nationale du Maréchal Pétain à l’instar d’André Demaison, référence obligée des étudiants de l’École coloniale devenu directeur-général de Radio-Vichy, et de Jean Ajalbert, mis à l’index de l’Académie Goncourt par la Comité national des écrivains en octobre 1945. On constate donc une corrélation entre le psychologisme ambiant, la littérature coloniale et l’engagement vichyste. Ces liens — qui restent à étudier [123] — frappent d’un certain discrédit la psychologie coloniale à la Libération. Si l’enseignement inspiré par Hardy se poursuit, après la guerre à l’École nationale de la France d’outre-mer dans le cadre du cours de « littérature et psychologie d’outre-mer », la psychologie coloniale semble totalement oubliée.
105À l’exception notable d’Abel Miroglio (1895-1978), normalien et agrégé de philosophie, qui s’inspire précisément de l’œuvre de Georges Hardy pour développer sa propre conception de la psychologie des peuples. Comme son illustre prédécesseur, Miroglio demeure en marge du champ universitaire ; il prend la suite de Jean-Paul Sartre au Lycée du Havre et il y crée, avec le soutien d’André Siegfried, en 1937, l’Institut havrais de sociologie économique et de psychologie des peuples. Dans le premier numéro de la Revue de psychologie des peuples, en 1946, André Siegfried illustre cette école « géopsychologique » en publiant un article sur « La psychologie des Latins » conformée — explique-t-il — par la géographie et le milieu méditerranéen. Miroglio privilégie la description des traits psychologiques et apparaît comme un des rares psychologues à reconnaître l’apport scientifique des romanciers et de la psychologie coloniale :
106« Si nous tournons maintenant nos regards vers ce que l’on a longtemps appelé la « psychologie coloniale », façon abrégée de désigner la psychologie des colonisés, que constatons-nous ? Les œuvres sont nombreuses et il est aisé d’en faire un classement hiérarchique par ordre de valeur. Au plus bas degré il y a toutes celles de la gent littéraire à la recherche de couleurs, de sensations et d’exotisme ; plus haut il y a les hommes de lettres qui ont été vraiment curieux d’autres choses que de leur propre dépaysement, qui ont voulu aller au-delà de l’impression, découvrir les traits d’une âme très étrangère et qui ont eu la perspicacité nécessaire pour y parvenir (André Chevrillon, les frères Tharaud, par exemple). [124] »
107Abel Miroglio, comme Georges Hardy, assigne une finalité pratique à la psychologie des peuples :
108« La psychologie des peuples peut être au service des actions diplomatiques bienfaisantes, de l’économie, de la prospérité, des plus hauts intérêts de la paix. [125] »
109Aussi requiert-il l’enseignement de la psychologie des peuples dans les universités françaises.
110Autre continuateur de l’œuvre de Georges Hardy, son éditeur, le géographe Pierre Deffontaines, cofondateur avec Leroi-Gourhan en 1948 de la Revue de géographie humaine et d’ethnologie, qui s’est inspiré de la géographie psychologique pour développer le concept de « personnages types » d’une région ou d’un pays. Paul Claval, pionnier de la géographie culturelle en France, reprend à son compte l’attention accordée par Hardy aux mentalités et aux représentations collectives. Dans un article de 1966, intitulé « Géographie et psychologie des peuples », il explique en quoi les paysages et les milieux peuvent informer les mentalités collectives [126]. Claval est une exception puisque les géographes vidaliens continuent à ignorer les travaux de Hardy à l’image de Maximilien Sorre, ancien enseignant de géographie coloniale à Bordeaux, qui publie en 1955 la partie intitulée Géographie psychologique du traité de psychologie appliquée dirigé par Henri Piéron. Maximilien Sorre stigmatise l’approche littéraire entachée de préjugés et propose de lui substituer une approche quantitative. Néanmoins, il n’échappe pas aux stéréotypes coloniaux. Dans le même ouvrage, il décrit — en s’inspirant des travaux de Guy Lasserre, alors maître de conférences de géographie coloniale à Bordeaux — la psychologie de l’Indien de la Guadeloupe victime de son « masochisme » : « L’Indien est effacé et craintif, il se laisse facilement dominer. […] On réfléchit ici à cette incroyable acceptation du système des castes, à cette résignation millénaire des çudras », la caste des serviteurs [127]. Maximilien Sorre souligne l’absence de déterminisme « automatique » entre le milieu géographique et la psychologie des peuples. Suivant les époques et les circonstances, le cadre naturel peut induire des dispositions contradictoires : l’insularité, qui favorise l’isolement, le repli et le conservatisme, invite au voyage maritime, à la découverte et à l’expansion [128]. Mais si « l’homme blanc est doté du pouvoir de remodeler rationnellement le milieu naturel » et par conséquent d’échapper au déterminisme, les populations colonisées, quant à elles, subissent pleinement les affres de l’environnement [129].
Entre science et littérature : la circulation des savoirs psychologiques
111Si le terme de psychologie coloniale a disparu après la deuxième guerre mondiale, son héritage méthodologique, ses principes de justification opèrent encore aux marges de la psychologie et de la géographie universitaires. Cette psychologie coloniale n’est pas simplement une autre désignation de la psychologie des peuples. Elle a accordé — nous l’avons vu — un crédit particulier à l’explication par le milieu et à la création littéraire. Du début des années 1920 à la fin des années 1930, le principe de justification des savoirs, produits notamment par Georges Hardy, est psychologique puis mésologique et se traduit par la création de deux disciplines éphémères : la psychologie coloniale et la géographie psychologique.
112Un régime de complémentarité original entre le roman et la psychologie coloniale s’est instauré dans les années 1920-1930. Des savoirs et des méthodes semblables circulent entre culture savante et romans populaires, entre psychologie de terrain des amateurs et psychologie de cabinet des universitaires. Ainsi, plus qu’une influence unilatérale du savoir « légitime » sur la culture « populaire » se dessinent des interactions entre les différentes sources de ce discours psychologique. En schématisant, on peut considérer, par exemple, que le romancier et administrateur colonial d’origine guyanaise René Maran introduit le thème de l’« âme noire », notion développée ensuite par les savants de l’École coloniale (Delafosse et Hardy), et reprise par Senghor — futur enseignant de « Colo » à partir de 1944 — qui invente en 1932 le concept de « négritude », à l’origine d’un renouveau des littératures africaines [130]. À partir des années 1950, des écrivains mettent la psychologie au service de la décolonisation en utilisant souvent les personnages de La Tempête de Shakespeare, Prospero et Caliban, comme archétypes du colonisateur et du colonisé [131].
113Cette proximité et cette concurrence entre littérature et psychologie dans la première moitié du XXe siècle explique-t-elle en partie le basculement de la majorité des psychologues universitaires français en faveur d’une stratégie d’imitation des sciences naturelles aux dépens du paradigme littéraire ? Au cours de la première partie du siècle, le processus de différenciation des modes de production des savoirs, qui tend à distinguer clairement le discours littéraire du discours scientifique, marginalise inéluctablement la psychologie coloniale. L’histoire disciplinaire reflète logiquement la vision des vainqueurs et élude bien souvent l’importance des psychologies littéraires jusqu’au milieu du XXe siècle [132]. La psychologie coloniale se situe aux marges, voire aux frontières de la discipline, dans la mesure où elle se positionne en regard de la littérature coloniale, de la géographie vidalienne et de la sociologie durkheimienne plus qu’en fonction de la psychologie expérimentale.
Notes
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[1]
. Dans l’article « Psychologie des peuples, région, race, et milieu social. Problèmes scientifiques et enjeux disciplinaires d’une théorie de l’histoire autour d’Henri Berr et de la Revue de synthèse historique (1890-1925) » publié dans l’ouvrage collectif sur Henri Berr et la culture du XXe, Laurent Mucchielli écrit à juste titre : « Passé les années 1910, l’expression [psychologie des peuples] connaîtra d’ailleurs un progressif oubli avant de reparaître à la veille de la deuxième guerre mondiale du fait des efforts d’Abel Miroglio qui fonde en 1938 l’Institut havrais de sociologie économique et de psychologie des peuples » (p. 101). Il a en outre analysé « l’échec du programme de géographie psychologique » élaboré par Henri Berr avant la première guerre mondiale dans La découverte du social. Naissance de la sociologie en France (1870-1914) (p. 439).
-
[2]
. Pierre Singaravélou, « Georges Hardy », in Jean Ferreux, François Pouillon et Lucette Valensi (dir.), Dictionnaire critique des orientalistes français, Paris, Karthala, 2008.
-
[3]
. Georges Hardy a été notamment directeur du service de l’enseignement en AOF de 1911 a 1918, directeur de l’Instruction publique, des Beaux-arts et des Antiquités au Maroc.
-
[4]
. Il s’agit d’un corpus de 60 mémoires d’étudiants de 2e année de l’École coloniale en 1930-1931. Ces travaux universitaires constituent la fabrique et l’inventaire de stéréotypes et de conventions rhétoriques du discours colonial ; il convient toutefois de les appréhender avec prudence puisque les étudiants écrivent en partie — sans forcément y croire — ce que les enseignants attendent d’eux.
-
[5]
. Georges Hardy, Les Éléments de l’histoire coloniale, La Renaissance du livre, 1921, p. 67.
-
[6]
. Georges Hardy, Mon frère le loup. Plaidoyer pour une science vivante, éditions du Bulletin de l’enseignement public du Maroc, octobre-novembre 1925, Librairie Larose, 1925.
-
[7]
. Dans La psychologie politique et la défense sociale, Gustave Le Bon consacre le livre V aux « erreurs de psychologie politique en matière de colonisation » : les indigènes n’ont pas été « francisés » « parce que jamais jusqu’ici un peuple n’a pu changer sa constitution mentale, pour adopter celle d’un autre » (édité par Les Amis de Gustave Le Bon, p. 204).
-
[8]
. Georges Hardy, Mon frère le loup. Plaidoyer pour une science vivante, op. cit., p. 12.
-
[9]
. Ibidem, p. 2.
-
[10]
. Georges Hardy, Les Éléments de l’histoire coloniale, op. cit., p. 86.
-
[11]
. Paul Giran, Psychologie du peuple annamite : le caractère national, l’évolution historique, intellectuelle, sociale et politique, préface d’E. Aymonier, directeur de l’École coloniale, Paris, Ernest Leroux, 1904.
-
[12]
. Emmanuelle Sibeud, Une science impériale pour l’Afrique ?, Paris, éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2002, p. 100.
-
[13]
. Jules Brévié, Islamisme contre « Naturisme » au Soudan. Essai de psychologie politique, Paris, Ernest Leroux, 1923, p. 313. L’ouvrage de Jules Brévié, alors directeur des Affaires politiques et administratives du gouvernement général de l’Afrique occidentale française, est préfacé par Maurice Delafosse, ancien gouverneur des colonies et professeur à l’École coloniale.
-
[14]
. Camille Auphelle, La psychologie du tirailleur annamite d’après Hiên le Maboul, roman d’Émile Nolly, mémoire de psychologie coloniale, CAOM, archives de l’École coloniale, carton 3, École 1, 1931.
-
[15]
. Dans Ergaste ou la vocation coloniale, Hardy évoque à nouveau le thème de la supériorité de la psychologie sur les autres disciplines : « Et puis, une question domine tous ces problèmes de géographie, d’ethnographie, de droit coutumier, de linguistique : c’est celle de la psychologie indigène » (Larose, 1929, p. 100).
-
[16]
. Georges Hardy, Mon frère le loup. Plaidoyer pour une science vivante, op. cit., p. 35.
-
[17]
. Ibidem, p. 27.
-
[18]
. Ibidem : « De même pour les différences dans l’espace : elles ne retiennent guère l’attention, on n’y cherche que le vêtement accidentel de l’Homme abstrait, on ferme les yeux sur leur importance et leur durée. Pour un ethnographe sûr de son métier, la foire de la Barrière du Trône et le tam-tam chez les Khassonkés, c’est tout un » (p. 23).
-
[19]
. L’évolutionnisme confirmerait l’unité de l’homme en établissant une seule échelle de l’évolution.
-
[20]
. Georges Hardy, Mon frère le loup. Plaidoyer pour une science vivante, op. cit., p. 42.
-
[21]
. Dans son ouvrage Les Éléments de l’histoire coloniale, publié en 1921, Georges Hardy écrit : « M. Lévy-Brühl qui, dans ses “ fonctions mentales des sociétés inférieures ”, a analysé minutieusement la mentalité prélogique et donné la clé de toute une série de mystères psychologiques. Pour tous les coloniaux cultivés, cet ouvrage a été une véritable révélation, et il serait bien à souhaiter qu’il fît école » (p. 69).
-
[22]
. Georges Hardy, Ergaste ou la vocation coloniale, op. cit., p. 100.
-
[23]
. Georges Hardy, Mon frère le loup. Plaidoyer pour une science vivante, op. cit., p. 17.
-
[24]
. Maurice Delafosse, L’âme nègre, Payot, 1923.
-
[25]
. Georges Hardy, Mon frère le loup. Plaidoyer pour une science vivante, op. cit., p. 13.
-
[26]
. Laurent Mucchielli, « Sociologie et psychologie en France, l’appel à un territoire commun. Vers une psychologie collective (1890-1940) », Revue de synthèse, n° 3-4, 1994, p. 445-483.
-
[27]
. Il existe toutefois des liens entre ces deux psychologies : E. Boutmy, fondateur de l’École libre des sciences politiques a invité L. Lévy-Bruhl à donner un cours sur l’histoire des idées et des théories politiques allemandes à l’origine d’un ouvrage intitulé L’Allemagne depuis Leibniz. Essai sur le développement de la conscience nationale en Allemagne (1890). Les travaux de Lévy-Bruhl sur la pensée primitive constituent en outre une référence citée à l’occasion par Georges Hardy. D’autre part, Marcel Mauss a souligné la dimension littéraire de l’œuvre scientifique dans son Manuel d’Ethnographie : « La sociologie et l’ethnologie descriptive exigent qu’on soit à la fois chartiste, historien, statisticien… et aussi romancier capable d’évoquer la vie d’une société tout entière ».
-
[28]
. Il faut y ajouter un élève malgache, Édouard Andriantsalama en 1900-1901.
-
[29]
. Ces évaluations administratives méritent en soi une analyse lexicographique : l’hypocrisie se décline par exemple à travers de nombreux comportements : « une nature dissimulée », « sournois », un « tempérament sensuel », « intriguant », « insinuant », « pénétré de mentalité chinoise », etc.
-
[30]
. Gérard Noiriel, Sur la crise de l’histoire, folio Gallimard, 2005, p. 306-312.
-
[31]
. Cela a donné lieu à des publications : M. Besson, par exemple, publie un article sur « Rabelais et les débuts de la colonisation française » dans La Grande Revue en avril 1933. Le sociologue René Maunier fait référence au modèle rabelaisien de la colonisation outre-mer en Dipsodie dans le Tiers livre de Pantagruel (Sociologie coloniale, t. 2, p. 192-193).
-
[32]
. « Chronique de l’École coloniale », Outre-Mer, 5e année, n° 2-3, avril-septembre 1933, p. 237.
-
[33]
. « Chronique de l’École coloniale », Outre-Mer, 6e année, n° 3, septembre 1934, p. 295.
-
[34]
. « Chronique de l’École coloniale », Outre-Mer, 3e année, n° 4, décembre 1931, p. 494.
-
[35]
. Georges Hardy, « Histoire coloniale et psychologie ethnique », Revue de l’histoire des colonies françaises, t. 18, 1925.
-
[36]
. Camille Auphelle, op. cit.
-
[37]
. Georges Hardy, Mon frère le loup. Plaidoyer pour une science vivante, op. cit., p. 36.
-
[38]
. Georges Hardy, « Notre programme », Outre-Mer. Revue générale de colonisation de l’École coloniale , 1re année, n° 1, mars 1929, p. 7.
-
[39]
. Ibidem, p. 8.
-
[40]
. Georges Hardy, « Psychologie avant tout », Outre-Mer. Revue générale de colonisation, 6e année, n° 1, mars 1934, p. 18.
-
[41]
. Les autres auteurs étudiés sont Francis Carco, Claude Farrère, Eugène Fromentin, Maurice Le Glay, Pierre Loti, Pierre Mille, etc.
-
[42]
. Georges Hardy, Ergaste ou la vocation coloniale, op. cit., p. 102.
-
[43]
. Après l’exotisme de Loti, le roman colonial de Marius-Ary Leblond publié en 1926, Philoxène, ou de la littérature coloniale d’Eugène Pujarniscle et Histoire de la littérature coloniale en France de Roland Lebel édités en 1931.
-
[44]
. Marius-Ary Leblond, La Société française sous la Troisième République d’après les romanciers contemporains, Paris, Alcan, 1905. Ils écrivent dès 1909 dans L’idéal du XIXe siècle : « De Chateaubriand à Loti l’exotisme s’est fait de plus en plus scientifique, précis, réaliste, aigu et impérieux » (p. 12).
-
[45]
. Georges Athénas et Aimé Merlo (Marius-Ary Leblond) soulignent l’importance de leur séjour à la Réunion et en Algérie. Dans son Histoire de la littérature coloniale en France, Roland Lebel considère que le roman colonial doit être produit « soit par un Français né aux colonies ou y ayant passé sa jeunesse, soit par un colonial ayant vécu assez longtemps là-bas pour s’assimiler l’âme du pays, soit enfin par un de nos sujets indigènes, s’exprimant en français, bien entendu » (p. 85).
-
[46]
. Marius-Ary Leblond, Après l’exotisme de Loti, le roman colonial, op. cit., p. 9.
-
[47]
. Ibidem, p. 59.
-
[48]
. Eugène Pujarniscle, Philoxène, ou de la littérature coloniale, Firmin Didot, 1931, p. 16 et 14.
-
[49]
. Ibidem, p. 15.
-
[50]
. Ibidem, p. 103. L’un des seuls auteurs à échapper à cette vision hagiographique des romanciers coloniaux est Louis Malleret qui stigmatise les « préjugés » des auteurs européens dans L’Exotisme indochinois dans la littérature française publié en 1934 chez Larose (p. 45).
-
[51]
. Georges Hardy, « Congrès de la société indigène », Outre-Mer, n° 4, décembre 1931, p. 473. Dès 1913, Hardy a accueilli des contributions « indigènes » dans le Bulletin de l’enseignement de l’Afrique occidentale.
-
[52]
. Anne Piriou, « Indigénisme et changement social : le cas de la revue Outre-Mer (1929-1937) », in Anne Piriou et Emmanuelle Sibeud (éds.), L’Africanisme en questions, École des hautes études en sciences sociales, 1997.
-
[53]
. Roland Lebel, Histoire de la littérature coloniale en France, Larose, 1931, p. 79.
-
[54]
. Eugène Pujarniscle, op. cit., p. 7.
-
[55]
. Marius-Ary Leblond, L’Empire de la France (1944), cité par Henri Copin dans L’Indochine dans la littérature française, L’Harmattan, 1996, p. 29.
-
[56]
. Pierre Jourda, L’Exotisme dans la littérature française depuis Chateaubriand, tome 2, Du romantisme à 1939, Genève, Slatkine Reprints, 1970 [1939], p. 218. Il considère que « l’exotisme prend une forme presque scientifique » au moment où le naturalisme est exporté aux colonies (p. 223).
-
[57]
. Ibidem, p. 222.
-
[58]
. Georges Hardy, Mon frère le loup. Plaidoyer pour une science vivante, op. cit., p. 26.
-
[59]
. Georges Hardy, L’Âme marocaine d’après la littérature française, Larose, 1926, p. 154.
-
[60]
. Louis Brunot, « Les caractères essentiels de la mentalité marocaine », Bulletin de l’enseignement public du Maroc, 53, 1923, p. 36.
-
[61]
. Eugène Pujarniscle, op. cit., p. 101.
-
[62]
. Georges Hardy, L’Âme marocaine…, op. cit., p. 154.
-
[63]
. M. Dubié, La psychologie des indigènes dans l’œuvre d’André Demaison. Diato, roman de l’homme noir qui eut trois femmes et en mourut, mémoire de psychologie coloniale, École coloniale, 1931.
-
[64]
. Auguste Ladurantie, La psychologie des indigènes dans l’œuvre de Delafosse, mémoire de psychologie coloniale, 1931.
-
[65]
. Jean Grivaux, Le sens esthétique des noirs d’Afrique, mémoire de psychologie coloniale, 1931.
-
[66]
. Jacques Boissier, La psychologie des indigènes dans La Randonnée de Samba Diouf des frères Tharaud, mémoire de psychologie coloniale, 1931.
-
[67]
. Macdonel, Psychologie du Bambara, mémoire de psychologie coloniale, 1932.
-
[68]
. Albert Joly, Psychologie de l’île. Rapports de la psychologie et de la géographie, mémoire de psychologie coloniale, 1931.
-
[69]
. Gérard Dulphy, Psychologie de la femme cambodgienne, mémoire de psychologie coloniale, 1931.
-
[70]
. Charles Mouzon, La psychologie du polynésien, mémoire de psychologie coloniale, 1931.
-
[71]
. Dès 1921, Hardy écrit dans les Éléments de l’histoire coloniale : « La crédulité, la spontanéité, la brutalité, l’incapacité de raisonnement, qui constituent les traits essentiels d’une âme collective, sont aussi les manifestations ordinaires de l’âme primitive » (p. 84).
-
[72]
. Georges Hardy, « La foule dans les sociétés primitives », in G. Bohn (dir.), La Foule, Paris, F. Alcan, 1934, p. 24.
-
[73]
. Ibidem, p. 46.
-
[74]
. Pierre Larrieu, La gaîté chez les Noirs, mémoire de psychologie coloniale, École coloniale, 1931.
-
[75]
. Marius-Ary Leblond, Après l’exotisme de Loti, Le roman colonial, V. Rasmussen, 1926, p. 7.
-
[76]
. Eugène Pujarniscle, op. cit., p. 82.
-
[77]
. Ibidem, p. 84.
-
[78]
. Ibid., p. 82.
-
[79]
. Auguste Ladurantie, La psychologie des indigènes dans l’œuvre de Delafosse, mémoire de psychologie coloniale, École coloniale, 1931.
-
[80]
. Cf. Maurice Delafosse, L’âme nègre, Payot, 1923 ; Jean-Loup Amselle et Emmanuelle Sibeud (éds.), Maurice Delafosse. Entre orientalisme et ethnographie : l’itinéraire d’un africaniste (1870-1926), Paris, Maisonneuve & Larose, 1998.
-
[81]
. L’influence des travaux de Maurice Delafosse s’avère souvent superficielle dans la mesure où l’affirmation de l’égalité des races est souvent contredite dans une même copie par une série de stéréotypes racistes.
-
[82]
. Jean Grivaux, Le sens esthétique des noirs d’Afrique, op. cit.
-
[83]
. Pierre Larrieu, La gaîté chez les Noirs, op. cit. Georges Hardy écrit dans sa Géographie psychologique : « Retenons que ce qui domine dans le concept de race ainsi entendu, c’est l’esprit et l’ensemble des habitudes, non la nature physique » (p. 162).
-
[84]
. Eugène Pujarniscle, op. cit., p. 22. L’auteur assigne comme fonction à la littérature d’appréhender le moral et le physique : « Sous les Tropiques, la nature morale revêt, comme la nature physique, des aspects originaux. Saisir et définir ces aspects sera la tâche capitale de l’écrivain colonial. » (p. 61) et « La raison d’être de l’exotisme, c’est la recherche d’une réalité qui — au point de vue physique comme au point de vue psychologique — diffère de la réalité métropolitaine » (p. 80).
-
[85]
. Maurice Galy, La forêt dense. Son influence psychologique sur l’individu, mémoire de psychologie coloniale, École coloniale, 1931.
-
[86]
. Ibidem.
-
[87]
. Auguste Ladurantie, La psychologie des indigènes dans l’œuvre de Delafosse, op. cit.
-
[88]
. Jean Grivaux, Le sens esthétique des Noirs d’Afrique, op. cit.
-
[89]
. Gérard Dulphy, La psychologie de la femme cambodgienne, op. cit.
-
[90]
. Paul Vidal de la Blache, Tableau géographique de la France, Hachette, 1905, p. 194.
-
[91]
. Camille Vallaux, Les sciences géographiques, F. Alcan, 1925, p. 329.
-
[92]
. Charles Blondel, Introduction à la psychologie collective, Armand Colin, 1928, p. 203.
-
[93]
. Georges Hardy, La géographie psychologique, Gallimard, 1939, p. 153. Il a écrit auparavant de nombreux articles sur cette question : « Histoire coloniale et psychologie ethnique », Revue de l’histoire des colonies françaises, 1925 ; « Le Marocain », Annales de géographie, 15 juillet 1927 ; « La pénétration saharienne et la psychologie du nomade saharien », Revue de l’histoire des colonies françaises, 1929 ; « Psychologie et colonisation », Le Monde nouveau, 1929 ; « L’âme des villes », La Nouvelle revue des jeunes, 1929 ; « Sur la psychologie de quelques métiers marocains », Outre-Mer, 1929 ; « L’âme africaine », La revue des vivants, 1930 ; « De la gaieté chez les Noirs d’Afrique », Outre-Mer, 1930 ; « La foule dans les sociétés dites primitives », 1932 ; « Psychologie avant tout », Outre-Mer, 1934 ; « Pour une étude de la mimique », La Revue africaine, 1936 ; « Le Noir d’Afrique et la civilisation européenne », Revue de Paris, 1937 ; « Note sur la signification psychologique du costume », Revue africaine, 1938.
-
[94]
. Georges Hardy, La géographie psychologique, op. cit., p. 154. Hardy poursuit sa typologie avec les habitants des steppes et des oasis : « La steppe semi-désertique n’a-t-elle pas modelé, en dehors de tout fonds ethnique, la personnalité du pasteur nomade, pillard et guerrier, coupeur de routes, à la fois avide et chevaleresque, cependant que, dans l’ombre de l’oasis, le cultivateur sédentaire, laborieux, soigneux, mais tremblant, alarmiste, prompt aux paniques, développait en soi la ruse et la duplicité pour tenir tête à ses farouches associés ? »
-
[95]
. En raison du discrédit de l’épithète « coloniale » à partir du milieu des années 1930 : L’École coloniale devient en 1934 l’École nationale de la France d’Outre-Mer, Charles Robequain, professeur de géographie coloniale, est nommé en 1937 à la chaire de Géographie de la France d’Outre-Mer et des Régions tropicales de l’université de Paris, etc.
-
[96]
. Georges Hardy, La géographie psychologique, op. cit., p. 14.
-
[97]
. Ibidem, p. 30.
-
[98]
. Ibid., p. 14.
-
[99]
. Laurent Mucchielli, « Psychologie des peuples, région, race, et milieu social. Problèmes scientifiques et enjeux disciplinaires d’une théorie de l’histoire autour d’Henri Berr et de la Revue de synthèse historique (1890-1925) », in Agnès Biard, Dominique Bourel et Éric Brian (éds), Henri Berr et la culture du XXe, A. Michel, 1997. L’ouvrage de Philippe Claret, La personnalité collective des nations. Théories anglo-saxonnes et conceptions françaises du caractère national (Bruxelles, Bruylant, 1998) retrace une partie de l’histoire intellectuelle de la psychologie collective.
-
[100]
. François Walter, Les figures paysagères de la nation. Territoire et paysage en Europe, Paris, éditions de l’EHESS, 2004, p. 119.
-
[101]
. Au concours d’entrée de 1931, l’épreuve de géographie générale porte sur « Les déserts à la surface du globe. Étude de géographie physique et humaine ». Le concours d’admission au stage de l’École coloniale la même année comporte la dissertation suivante : « Étudiez, pour une région de votre choix, l’influence du milieu physique sur la vie des hommes ». Cf. « Chronique de l’École coloniale », Outre-Mer, 3e année, n° 4, décembre 1931, p. 494.
-
[102]
. Albert Joly, Psychologie de l’île. Rapports de la psychologie et de la géographie, mémoire de psychologie coloniale, École coloniale, 1931.
-
[103]
. Albert Demangeon, « La géographie psychologique », Annales de Géographie, XLIX, 1940, p. 134-135.
-
[104]
. Dans La géographie psychologique, Georges Hardy écrit : « Sans doute un géographe de profession, soucieux de son avenir, eût-il hésité à le publier. Il y a là bien des affirmations qui, à plusieurs reprises, ont été condamnées comme des hérésies ou du moins qu’on prendra peut-être pour de simples fantaisies » (p. 7) et « Les géographes qui tiennent à leur réputation s’en détournent à l’ordinaire comme d’un péché, ou ne lui réservent que de discrètes, timides et fortuites concessions » (p. 12).
-
[105]
. Ibidem, p. 154.
-
[106]
. Ibid., p. 157.
-
[107]
. Ibid., p. 159.
-
[108]
. Albert Demangeon, Compte rendu de La géographie psychologique dans les Annales de géographie, XLIX, 1940, p. 134-137.
-
[109]
. Pierre Singaravélou, « René Maunier », in Jean Ferreux, François Pouillon et Lucette Valensi (éds.), op. cit.
-
[110]
. René Maunier, Psychologie des expansions, 2e tome de la Sociologie coloniale, Domat-Montchrestien, 1936, p. 13.
-
[111]
. Marcel Mauss appelle de ses vœux une « éthologie collective » dans un article intitulé « Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie », Journal de psychologie normale et pathologique, 1924. Durkheim lui-même a suivi les cours de T. Ribot et a effectué en 1886 un stage au laboratoire de psychologie de Wundt à Leipzig.
-
[112]
. René Maunier, op. cit., p. 12-15.
-
[113]
. Ibidem, p. 14.
-
[114]
. Georges Hardy a rédigé des ouvrages théoriques sur la géographie, l’histoire, la littérature et la psychologie coloniales tandis que René Maunier s’est intéressé à l’économie, la législation, la sociologie et l’ethnologie coloniales. En guise de passage obligé, il a aussi sacrifié à l’histoire en publiant en 1941 une synthèse intitulée Des comptoirs aux Empires. Histoire universelle des colonies. L’Académie des sciences coloniales a pu réunir les initiateurs de l’approche psychologique : G. Hardy (depuis 1928), R. Maunier (1932) et M. Leblond (1930) sont membres titulaires de l’Académie des sciences coloniales tandis que E. Pujarniscle (1925) est correspondant.
-
[115]
. René Maunier, op. cit., p. 18.
-
[116]
. Ibidem, p. 21.
-
[117]
. Thierry Paquot a souligné le caractère novateur de la sociologie de l’espace de Maunier dans la préface de la réédition de sa thèse soutenue en 1909 (René Maunier, L’origine et la fonction économique des villes. Étude de morphologie sociale, Paris, L’Harmattan, 2004) tandis qu’Alain Mahé a analysé l’apport de ses travaux sur les échanges rituels en Afrique du Nord et sur l’anthropologie juridique (Alain Mahé, « Un disciple méconnu de Marcel Mauss : René Maunier », Revue internationale des sciences sociales, 105, 1996, p. 237-264 ; « Les échanges rituels de dons : de l’analyse de René Maunier à celle de Pierre Bourdieu en passant par celle de Marcel Mauss et celle de Claude Lévi-Strauss », Droit et culture, n° 31, 1996, p. 267-292 ; Alain Mahé et Daniel Cefaï, « Trois perspectives de sociologie juridique : Mauss, Davy et Maunier », L’Année sociologique, 1998, p. 209-228).
-
[118]
. Ce clivage se retrouve dans d’autres disciplines comme la géographie : la « géographie des colonies » des vidaliens s’oppose à la « géographie coloniale » des héritiers de Marcel Dubois.
-
[119]
. Claude Singer, L’Université libérée, l’université épurée (1943-1947), Les Belles lettres, 1997, p. 24.
-
[120]
. Claude Singer, dans L’Université libérée, l’université épurée (1943-1947), écrit : « Ainsi est-il indiscutable qu’à Paris, Bernard Faÿ, Maurice Lœper et René Maunier étaient en relations étroites et suivies avec les occupants » (p. 272). Maunier participe notamment à un petit déjeuner organisé par Otto Abetz en octobre 1941 (p. 304).
-
[121]
. Patrick Weil, « Georges Mauco : un itinéraire camouflé, ethnoracisme pratique et antisémitisme fielleux », in Pierre-André Taguieff (dir.), L'antisémitisme de plume, 1940-1944, études et documents, Berg International Éditeurs, 1999.
-
[122]
. André Siegfried, « La défense sanitaire de l’Occident », Les Cahiers du Musée social, n° 1, 1943. Siegfried participe notamment à un repas en compagnie d’Otto Abetz et Karl Epting à l’Institut allemand en février 1941 (Claude Singer, p. 322).
-
[123]
. Sur cette question, l’intuition de Wolf Lepenies mériterait de plus amples investigations : « Il arrive souvent que les tentatives des sociologues de se rapprocher de la littérature ou d’exploiter les tensions entre la création littéraire et les sciences sociales représentent les signes avant-coureurs d’une dérive totalitaire » (Les trois cultures. Entre science et littérature l’avènement de la sociologie, Paris, Maison des sciences de l’homme, 1990, p. 13).
-
[124]
. Abel Miroglio, La psychologie des peuples, PUF, « Que-sais je ? », 1958, p. 84.
-
[125]
. Ibidem, p. 121.
-
[126]
. Paul Claval, « Géographie et psychologie des peuples », Revue de psychologie des peuples, vol. 21, 1966, p. 386-401.
-
[127]
. Maximilien Sorre, « Géographie psychologique », livre VI, chapitre II du Traité de psychologie appliquée, sous la direction de Henri Piéron, PUF, 1955, p. 25.
-
[128]
. Ibidem, p. 40.
-
[129]
. Ibid., p. 35.
-
[130]
. Mariella Villasante Cervello, « La négritude : une forme de racisme héritée de la colonisation française ? Réflexions sur l’idéologie négro-africaine en Mauritanie », in Marc Ferro (dir.), Le livre noir du colonialisme, Robert Laffont, 2003 ; Michel Kail et Geneviève Vermes (dir.), La psychologie des peuples et ses derives, Paris, CNDP, 1999.
-
[131]
. Peaux noires, masques blancs (1952) de Frantz Fanon ; Psychologie de la colonisation (1950) d’Octave Mannoni ; Une Tempête (1969) d’Aimé Césaire et Caliban without Prospero (1974) de Max Dorsinville.
-
[132]
. Par histoire disciplinaire, j’entends ici les histoires de la psychologie : il existe toutefois quelques travaux sur la psychologie des peuples dont l’ouvrage collectif dirigé par Michel Kail et Geneviève Vermès (dir.), op. cit.