Notes
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[*]
Henri Tcheng est vice-président télécom, média, utilities et énergie de BearingPoint. Jean-Michel Huet est senior manager dans le même cabinet. Les auteurs sont passés par différentes structures de conseil : Arthur Andersen, PricewaterhouseCoopers ou IBM Business Consulting Services.
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[1]
Dans les incontournables : pour le guide, Jean-Baptiste Hugot, Le Guide des cabinets de conseil en management, Les Editions du management - L’Expansion, 2007 (7e édition) ; pour l’explication de la fonction, Patrice Stern et Patricia Tutoy, Le Métier de consultant : principes, méthodes et outils, Editions d’organisation, 2007 (5e édition) ; pour l’analyse sociologique, Michel Villette, Sociologie du conseil en management, La Découverte, 2003 ; enfin, pour le film (que tout consultant jugera caricatural), Jean-Marc Moutout, Violence des échanges en milieu tempéré, Les films du losange, 2002.
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[2]
Le 30 mai 2005, la Cour suprême américaine a finalement innocenté Andersen dans l’affaire Enron, trop tard pour faire renaître le réseau disparu en 2001 alors qu’il employait 80000 personnes dans 105 pays.
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[3]
G. Ringland et A. Shaukat, « Trois scénarios pour l’avenir du conseil », L’Expansion Management Review, mars 2005.
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[4]
« Toute opération à but lucratif de fourniture de main-d’œuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application des dispositions de la loi, de règlement ou de convention ou accord collectif de travail » (article L. 125-1 du code du travail français).
1Guides ou annuaires, ouvrages sur les rouages du métier ou la sociologie des consultants... et même un film [1] ! Le conseil inspire une riche littérature. Plus de 750000 personnes y travaillent en France : ingénierie, études marketing et d’opinion, conseil en recrutement, en management, informatique, en relations publiques, en évolution professionnelle, etc., qui réalisent un chiffre d’affaires de 100 milliards d’euros. Le conseil en management, qui nous intéresse ici, représente 5 % de ce marché (5 milliards d’euros, pour un total mondial estimé à 130 milliards de dollars). En France, les 300 principaux cabinets de conseil en management emploient plus de 25 000 personnes, auxquelles il convient d’ajouter environ 20000 indépendants. Hors ces cas, l’offre reste assez concentrée : les huit principaux cabinets de conseil en France (Accenture, IBM BCS, Capgemini pour sa partie conseil, BearingPoint, McKinsey, Ineum, Cegos et AT Kearney) représentent plus de la moitié du chiffre d’affaires. Ces quelques entreprises jouissent d’une grande notoriété auprès des professionnels et d’une bonne image de marque tant auprès des étudiants des grandes écoles que des responsables et dirigeants d’entreprise. Après une décennie mouvementée, quels sont aujourd’hui et pour les prochaines années les enjeux de ce métier ?
Les hauts et les bas de l’activité
2Les cabinets d’audit anglo-saxons ont été dès les années 20 pionniers dans le domaine du conseil, en accompagnement de leur mission de commissariat aux comptes. Aujourd’hui encore, plus de la moitié des grands cabinets en sont partiellement ou totalement issus, une séparation franche entre les activités d’audit et celles de conseil ayant eu lieu dans les années 2000, même si des branches de conseil repoussent depuis trois ans sous le nom d’advisory dans les grands réseaux d’audit (voir figure page suivante).
Les points forts
Le métier connaît une évolution qui s’appuie sur les changements touchant la relation avec les clients, l’indépendance des cabinets, l’internationalisation et l’innovation.
Entre processus d’industrialisation et quête d’un positionnement parmi les prestations intellectuelles, les cabinets ont plusieurs défis à relever et des partenariats à consolider.
3Finance, stratégie, informatique. Longtemps, le recours à des consultants a été le fait des directions générales. De la sorte se sont développés les grands cabinets de stratégie qui, avant la Seconde Guerre mondiale avec le taylorisme puis à partir des années 50, se sont fondés sur les approches scientifiques et procédurales des organisations, développant leurs « boîtes à outils » en même temps que les universitaires américains développaient leurs théories de management. En France, ce sont surtout des cabinets de « conseillers », axés sur les questions d’organisation, qui ont fait, dès les années 30, les premiers beaux jours du conseil. La Cegos et Bossard Consulting ont fait partie de ces pionniers.
Petite histoire des « big »
Petite histoire des « big »
En gras, les cabinets de conseil actuels issus des « big » de l’audit en France.4Après la finance, la stratégie, l’organisation scientifique, c’est l’informatisation qui, à partir des années 70 aux Etats-Unis et 80 en France, va constituer un terreau fertile pour les cabinets, entraînant un accroissement significatif de leurs effectifs. Des acteurs issus de l’audit ou des « pure players » (IT services aux Etats-Unis, SSII en France) vont alors profiter des grandes vagues successives du reengineering, développement des ERP, Internet, passage à l’an 2000, passage à l’euro et mondialisation des systèmes d’information (SI).
5Croissance et crise. L’activité de conseil surréagit à la croissance économique et plus précisément au niveau d’investissement des sociétés. Les périodes de crise dans les pays développés sont subies de plein fouet par ce secteur, souvent avec un décalage de un à deux ans. Ce fut le cas lors de la crise pétrolière de 1974, qui a vu le taux de croissance de l’activité passer de 18 % par an à 2 % (en 1976). Parfois le choc peut se ressentir la même année, comme en 1979 avec une croissance quasi nulle, ou en 1991 au moment de la guerre du Golfe avec une croissance passant de 18 % à un taux nul. La crise de 2001 a été particulièrement ressentie : le secteur a connu la décroissance deux années de suite, ce qui ne s’était jamais vu. Dans ce dernier épisode, la coïncidence avec la fin d’importantes missions liées au passage à l’euro et au « bug de l’an 2000 » avait amplifié le phénomène.
6Inversement, en période de croissance économique, le marché du conseil devient vite euphorique avec des taux de croissance à deux chiffres comme avant 1975, entre 1983 et 1990 (avec un record historique à 33 % pour les pays de l’OCDE en 1984), entre 1994 et 2000 et, dans une moindre mesure, depuis 2004 (voir figure ci-dessous). D’aucuns évoquent une « théorie du 2 », la plupart des années très mauvaises se terminant par ce chiffre au cours des dernières décennies. Mais cette règle pourrait bien être battue en brèche. Le départ à la retraite de la génération des baby-boomers dans les pays développés pourrait en effet modifier la donne de la demande de conseil. La question n’est pas anodine, car la croissance des cabinets de conseil est le levier clé de la promotion d’associés au sein des structures. Cette perspective est un élément structurant de la dynamique d’expansion des cabinets de conseil et de motivation interne.
Une grande diversité
Un marché très sensible à la conjoncture
Un marché très sensible à la conjoncture
Taux de croissance de l’économie et du conseil dans les pays de l’OCDE7Conséquence de cette déjà longue histoire, aujourd’hui coexistent plusieurs types de cabinet, différents par leur taille mais aussi par leur positionnement dans la typologie des prestations, entre les questions de stratégie (fusion-acquisition, marché, organisation…), de conduite du changement (formation, communication…), de marketing (lancement d’offres, commercialisation, distribution…), d’amélioration des processus (CRM, finance, RH…), de mise en place de systèmes d’information (du schéma directeur à l’intégration). Nous proposons une classification selon deux critères (voir figure page suivante) : la capacité de conceptualisation, c’est-à-dire la capacité à apporter des conseils intégrant une compréhension globale de l’entreprise, du marché, de son écosystème ; et la capacité d’intégration, ou possibilité d’accompagner ses clients dans la mise en œuvre de solutions complexes, souvent informatiques dans le marché actuel. Quatre catégories de cabinets peuvent ainsi être distinguées :
- les cabinets de stratégie, essentiellement tournés vers des missions de type due diligence, organisation, développement et excellence opérationnelle, nécessitant une grande connaissance des enjeux sectoriels et métiers, un back-office de connaissance du marché solide et un niveau d’accès du type direction générale. Ils sont généralement de taille moyenne et pratiquent des tarifs élevés (plus de 3 000 euros par jour) ;
- les cabinets en management, au périmètre d’intervention plus large, de la stratégie opérationnelle au déploiement de grands systèmes d’information, s’appuyant sur des méthodologies éprouvées, des équipes projets plus conséquentes. Ces cabinets sont souvent parmi les majors du secteur avec des effectifs significatifs et des tarifs journaliers autour de 1500 euros ;
- les cabinets spécialisés, de taille plus modeste et développant une expertise fonctionnelle (RH, logistique, CRM…) ou sectorielle (banque, télécoms, énergie) poussée qui fonde leur spécificité. Leur positionnement est variable, les prix pratiqués aussi (plus de 2 000 euros par jour pour du coaching, moins de 500 euros pour des profils techniques) ;
- les cabinets d’intégration de systèmes informatiques, qui sont focalisés sur les déploiements de systèmes, traitent des projets de taille significative (plusieurs centaines de consultants), à forte dimension technique (développement informatique, test d’équipement, outsourcing, tierce maintenance applicative) avec une industrialisation poussée des missions et des tarifs journaliers de 500 à 700 euros.
Un métier en évolution
8Derrière cette vision du marché, le fait marquant de la décennie écoulée, dont les conséquences pèseront sur la prochaine, réside dans l’évolution du métier. Quatre grands changements la structurent : l’évolution de la relation cabinet-clients dans l’acte d’achat ; l’indépendance des cabinets et leur éthique ; le renforcement de l’internationalisation ; l’innovation intellectuelle.
9La relation cabinet-clients. La nature de la relation des cabinets de conseil avec leurs clients a changé depuis les années 80. Les évolutions concernent deux dimensions importantes : les modalités d’achat et l’internalisation.
Classification des cabinets de conseil(*)
Classification des cabinets de conseil(*)
(*) Exemples dans le domaine RH/organisation.10Tout d’abord, le conseil s’est progressivement « commoditisé » au sens où il est devenu un achat de prestation intellectuelle soumis à des référencements, des négociarions de prix, des appels d’offres. Si le phénomène n’est pas nouveau, il s’est généralisé, souvent d’ailleurs avec l’aide de… cabinets de conseil assistant les entreprises dans l’organisation de leur fonction achats. Il a contribué à l’assainissement du marché en clarifiant les règles du jeu, et permis d’accroître la concurrence. Par ailleurs, cette évolution a aussi poussé à une certaine réorganisation du marché en réduisant les sollicitations de free lances, ces derniers devant à présent passer par les structures de portage de nature diverses.
11Il reste cependant à construire une vraie relation de partenariat dans de nombreuses entreprises, car l’acte d’achat de conseil n’est pas neutre. Les consultants peuvent avoir accès à des données confidentielles, et la relation intuitu personae demeure déterminante. Les entreprises et les cabinets ont encore un effort d’explication et d’échange à faire pour améliorer la relation « client-fournisseur » de la prestation de conseil.
12Par ailleurs, avec des contingents importants de jeunes recrues dans les cabinets, réalisant pour certains une sorte de troisième cycle en trois-quatre ans de conseil, les entreprises clientes ont dès les années 90 accru fortement leurs embauches. En parallèle, les structures de « conseil interne » se sont développées dans des groupes internationaux. Le fait que d’anciens consultants se retrouvent dans de grandes entreprises favorise une utilisation plus mature du conseil dans ces entreprises. Un phénomène intéressant de balancier s’observe également depuis peu : d’anciens consultants passés par l’entreprise reviennent dans les cabinets de conseil. Ce double mouvement représente une dynamique nouvelle, renforcée par les réseaux d’anciens du conseil.
13Les structures de conseil interne posent d’autres questions. Elles peuvent être une solution pertinente et moins onéreuse mais sans avoir les atouts que possèdent les cabinets externes : accès à un réseau international, renouvellement des méthodologies et des expertises fréquent et, surtout, regard extérieur, se traduisant par une plus grande capacité à faire passer des messages… voire une certaine liberté de parole.
14L’indépendance des cabinets. La question de l’indépendance est stratégique (et à elle seule illustre la nature particulière de l’achat de conseil). L’entreprise cliente doit avoir une très grande confiance dans le conseil auquel elle fait appel car elle ouvre souvent ses portes sur des sujets confidentiels et, par ailleurs, requiert un avis externe qui se veut neutre. Le début des années 2000 a été marqué par le problème de la « double indépendance » des cabinets de conseil.
15Tout d’abord, il s’agit de l’indépendance des cabinets de conseil vis-à-vis des auditeurs et des avocats. L’affaire Enron [2] a ébranlé la profession tout entière et entraîné une recomposition profonde du marché avec, en particulier, la séparation des réseaux d’audit et de conseil des fameux Big Five de l’époque (Pricewater-houseCoopers, Ernst & Young, Deloitte, KPMG et Andersen). Cette séparation est aujourd’hui avérée même si réapparaissent des branches conseil au sein des cabinets d’audit (advisory), mais normalement les activités ne doivent pas se recouper (un client de certification de comptes ne peut être un client d’une activité de conseil).
16L’autre débat concerne l’indépendance des cabinets de conseil vis-à-vis des grands acteurs de l’informatique (constructeurs, éditeurs, outsourceurs). La vague de concentration (Capgemini et Ernst & Young ; IBM et PwC Consulting, EDS et AT Kearney) qu’a connue le secteur était accompagnée du message de fond suivant : les clients voulaient une solution « de bout en bout », de la recommandation stratégique à la mise en œuvre. Ce discours, porté par IBM BCS, Accenture et Capgemini, a fait long feu. Le retour en grâce de l’indépendance est somme toute logique. Quelle valeur donner, en effet, à une recommandation proposée par une société offrant par ailleurs des prestations relevant de cette recommandation ? Les constructeurs, outsourceurs et autres éditeurs, ne pouvant influer directement sur les cabinets de conseil, ont préféré depuis tisser un tissu d’alliances avec eux plutôt que de tenter un contrôle capitalistique.
17Dans le même esprit, la valeur des cabinets réside essentiellement dans ses consultants. Le refus de Hewlett Packard d’acquérir PwC Consulting pour 18 milliards de dollars était aussi motivé par le risque de voir partir, en quelques mois, toutes les personnes clés de l’entreprise rachetée, phénomène qu’a connu IBM deux ans plus tard. De même, la relative facilité de nouvelles marques à s’imposer sur ces marchés montre l’importance de la confiance envers les équipes, qui demeure plus forte que l’effet de marque.
18Les questions relatives à l’éthique des cabinets, vu les dossiers traités, n’en demeurent pas moins un sujet important et de nombreuses réflexions sont en cours afin d’étudier les moyens de renforcer la déontologie et les règles de gouvernance de la profession. Certaines vont même jusqu’à envisager d’ici à 2020 une logique de licence professionnelle ou d’autorisation [3].
19L’avancée de l’internationalisation. L’internationalisation du secteur n’est pas nouvelle mais elle a pris une ampleur inédite avec l’arrivée sur le marché de nouveaux acteurs issus des pays émergents tels que l’Inde, mais aussi avec la capacité des grands réseaux à envoyer leurs consultants dans tous les pays du monde. La dimension internationale est un argument commercial significatif car elle permet notamment la mise en œuvre d’une organisation du travail à l’échelle mondiale. Les cabinets de conseil réinventent le 3x8 en jouant sur le décalage horaire entre les Etats-Unis, l’Europe et le Japon, par exemple. A contrario, un cabinet purement national peut souffrir d’une décote auprès de ses clients, souvent de grands groupes internationaux ou intéressés par les comparaisons internationales.
20Certains cabinets sont aussi menacés par des acteurs low cost des pays émergents. Cette concurrence touche certes les sociétés orientés IT et les outsourceurs (via ce qu’on appelle l’offshoring, entraînant une délocalisation de services vers les pays à bas salaire), mais elle peut aussi concerner les cabinets de stratégie sur une partie importante de leur activité (recherche de données, production de documents…). La figure ci-contre illustre ce phénomène : les cabinets de stratégie (le « think ») et ceux qui sont liés aux services informatiques (le « run ») sont très sensibles à la concurrence des pays émergents tandis que les cabinets de conseil en management (le « build »), qui fondent une partie de leur succès sur la proximité avec le client, le sont moins. Ce phénomène, en partie contre-intuitif, est à intégrer à toute réflexion sur la reconfiguration du marché.
21L’innovation intellectuelle. La dernière dimension de l’évolution du métier de conseil est celle de l’innovation intellectuelle. Sur ce point, plusieurs articles ont sonné l’alarme : du côté des grands cabinets, la décennie 2000 aura été pauvre. Alors que par le passé ces cabinets avaient été le fer de lance de l’innovation en management, ces dernières années ce sont davantage les universités voire quelques gourous indépendants qui ont été les apporteurs d’idées. Certains auteurs y voient le début d’une polarisation avec des cabinets devenant des usines à produire (des « slides », des gestions de projet…) et des professeurs émérites ou des gourous spécialistes du coaching pour les grandes idées.
22La période 2001-2003, première phase de recul de l’activité de conseil dans les pays développés, a été peu propice à l’investissement des cabinets dans le champ des idées. Cependant, l’activité reprenant depuis 2004, la tendance est en train de s’inverser. Les grands cabinets ont besoin (pour leur développement, leur image, pour la valeur ajoutée qu’ils apportent) de revenir à la pointe de l’innovation dans les domaines de la gestion, de la stratégie ou des systèmes d’information. Les grands réseaux reprennent cette partie que l’on pourrait qualifier de « R&D » de leur activité à travers la production de livres, articles, la mise en place d’observatoires, de séminaires, etc. La différence majeure avec les années précédentes est qu’ils s’associent de plus en plus systématiquement avec le monde académique voire, dans certains cas, avec les laboratoires de R&D de clients ou partenaires, comme l’avait fait dans le passé Arthur D. Little.
Un modèle économique en mutation
23Du fait de ces quatre changements, le modèle économique des cabinets a sensiblement évolué ces dernières années. La « commoditisation » du conseil, la concentration du marché et la crise des années 2000 ont entraîné une baisse des tarifs, inhabituelle pour le secteur - aujourd’hui terminée en France, les taux repartant à la hausse. Plus fondamentalement, trois grandes tendances caractérisent cette évolution :
- une frontière de plus en plus flou entre le modèle du forfait (un prix fixé à l’avance et associé à des livrables) et celui de la régie (un prix à la journée et une facturation correspondant au volume de jours consommés) qui pose plusieurs problèmes : risque de confondre conseil et intérim de luxe, avec en France un risque de « délit de marchandage » [4] ; capacité de capitalisation plus faible des cabinets ; apport plus limité pour le client en termes de méthodologie ;
- un partage du risque différent entre le client et le cabinet. Le développement de la régie va dans le sens d’un risque davantage porté par l’entreprise. A contrario, le développement de success fees (indexation des honoraires sur la réussite du projet) va dans le sens d’un partenariat plus soutenu ;
- un renforcement des logiques de contrat cadre avec des taux négociés à l’avance (taux fixes, plafonds ou planchers selon les cas) permettant de mieux codifier les échanges. La plupart de ces contrats sont assez classiques, et le champ des possibles peut encore largement être exploré. Car de nombreux modèles alternatifs existent. Pour prendre exemple sur la profession d’avocat : taux et facturation à l’heure, « droit à tirer » sur un volume de prestations diverses non définies à l’avance…
L’enjeu de la proximité des clients
L’enjeu de la proximité des clients
Le point de vue d’un client
? Pour les missions « curatives », la direction du groupe sollicite des cabinets lorsque l’entreprise ne possède pas en interne les ressources et l’expertise nécessaires pour mener le projet elle-même. Aussi, elle attend de l’équipe de consultants une disponibilité immédiate, une expertise aiguë et démontrée dans le domaine concerné, la proposition et la mise en place de solutions quick win, à gains immédiats.
Le prix est bien sûr un critère pris en compte, mais le mode de rémunération est prioritaire : si le cabinet de conseil a confiance dans sa capacité à mettre en œuvre rapidement ses recommandations, alors il doit pouvoir proposer une partie de ses honoraires sous la forme de success fees, à hauteur de 50 %. Ainsi, le Groupe Yves Rocher s’assure de la pertinence des solutions proposées. Si le cabinet consulté refuse cette « variabilité », la direction l’élimine de la liste de ses prestataires potentiels pour ce type de consultation.
? Pour les missions « préventives », les attentes sont différentes. La direction cherche un cabinet capable de provoquer et de faire réfléchir les équipes internes qui relèveront elles-mêmes ce défi technologique ou stratégique. Le cabinet engagé devra donc mettre en place des méthodes d’animation et d’évaluation du processus de réflexion, les décisions étant toujours prises par le client. Le Groupe Yves Rocher attend des consultants qu’ils endossent le rôle d’organisateur, d’agitateur et de facilitateur. Le consultant doit, surtout dans la phase de réalisation, se montrer transparent. L’effet « tunnel » est mal perçu : mieux vaut un livrable partiel sur une base fréquente, ponctué par des « go » et des « no go » réguliers.
Le recours à des ressources externes concerne certes les projets IT, pour lesquels la direction générale fait appel à des consultants en plus des collaborateurs internes, considérant que ces prestataires externes sont à même d’être au courant des nouveautés technologiques. Le recours à des ressources externes peut également concerner le secteur de la mode et du textile sur des questions de communication et de packaging. En effet, le Groupe Yves Rocher considère que la diversité des missions menées chez d’autres clients enrichit leur expérience dans le domaine. Le coût de la flexibilité peut aller parfois à rencontre de l’utilisation de consultants comme c’est le cas dans le domaine de la PAO (publication assistée par ordinateur) étant donné le prix élevé des prestations « externes » ainsi que leur moindre réactivité.
Le processus de choix du cabinet maintient une concurrence entre les cabinets jusqu’à la négociation finale. Dans tous les cas, le Groupe Yves Rocher veut que les « vendeurs » de la mission soient les consultants sur le terrain et attend un engagement de ses cabinets en la matière.
Stéphane Bianchi,
DG du Groupe Yves Rocher
24En soi, les modèles économiques n’ont pas changé radicalement mais ces évolutions illustrent un glissement au sein du métier entre un processus d’industrialisation et la recherche d’un positionnement par rapport aux autres prestations intellectuelles. Les cabinets vont devoir relever trois défis majeurs, qui peuvent être abordés à travers le prisme de trois partenariats.
25• Partenariat avec les clients. Tous les grands réseaux de conseil ont un positionnement qu’ils qualifient d’unique en matière d’indépendance et de partenariat à long terme avec leur client… Derrière le discours, les cabinets doivent consolider cette dimension. Cela passe par une phase d’explication peut-être plus fine sur les différentes natures de contrat, le partage du risque, les modalités d’intervention. Cela nécessite de la souplesse du côté des cabinets mais aussi des entreprises. Des formats innovants inspirés d’autres professions peuvent être utilisés et moduler la relation client-fournisseur. Dans certains cas, il est possible d’aller très loin. Par exemple, les logiques « build-operate-transfer » peuvent être mobilisées pour construire une nouvelle entité (build), la faire fonctionner pendant un temps (operate) puis la redonner en gestion à l’entreprise (transfer). Les modèles de conseil ont donc encore de sérieuses marges d’évolution.
26• Partenariat avec les consultants. Du recrutement à l’après-conseil, 80 % des consultants passent moins de cinq ans dans un même cabinet, il y a donc une vraie logique d’accompagnement avant (durant les études, au moment du recrutement), pendant, comme dans toute entreprise, mais aussi après en gérant le départ et en suivant ces anciens consultants (certains cabinets sont en pointe dans la gestion de leurs « anciens »). Là encore, les cabinets peuvent proposer à l’avenir des parcours originaux à leurs consultants et par là même à leurs clients. Pourquoi ne pas imaginer des passerelles permettant à certains cadres opérationnels de grands groupes de faire un passage de trois-quatre ans en cabinet à la place d’un MBA de dix-huit mois ? Et réciproquement pour les consultants.
27• Partenariat avec les autres professions intellectuelles. Les cabinets doivent revenir sur le devant de la scène en termes d’apports de fond sur les modes d’organisation, de gestion, les processus, etc. En même temps, les grands laboratoires de recherche, les grandes écoles et universités voire certaines fondations, eux aussi dans la compétition internationale, sont à la recherche de moyens, tandis que des professeurs de grandes écoles font également métier de consultant… Les partenariats entre cabinets et institutions ont aussi un sens en termes de mutualisation des coûts, de lissage dans le temps et de contribution au « débat dans la cité ».
28Ces défis sont ceux des prochaines années. Il sera d’autant plus important de les relever que le marché du conseil ne sera pas stable. D’une part, l’environnement va continuer à évoluer. L’arrivée à la retraite de la génération des baby-boomers, par exemple, pourrait avoir un fort impact sur le monde du conseil à la fois en créant un appel d’air mais aussi en offrant une possibilité de seconde carrière à de jeunes retraités possédant une expertise ou un carnet d’adresses. D’autre part, le modèle de « partnership », dans une logique non pas patrimoniale mais d’usufruit d’un fonds de commerce, est-il encore viable ? Ce modèle repose en effet sur un partage harmonieux des honoraires avec les jeunes générations et contraint donc le secteur à maintenir de forts taux de croissance.
Notes
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[*]
Henri Tcheng est vice-président télécom, média, utilities et énergie de BearingPoint. Jean-Michel Huet est senior manager dans le même cabinet. Les auteurs sont passés par différentes structures de conseil : Arthur Andersen, PricewaterhouseCoopers ou IBM Business Consulting Services.
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[1]
Dans les incontournables : pour le guide, Jean-Baptiste Hugot, Le Guide des cabinets de conseil en management, Les Editions du management - L’Expansion, 2007 (7e édition) ; pour l’explication de la fonction, Patrice Stern et Patricia Tutoy, Le Métier de consultant : principes, méthodes et outils, Editions d’organisation, 2007 (5e édition) ; pour l’analyse sociologique, Michel Villette, Sociologie du conseil en management, La Découverte, 2003 ; enfin, pour le film (que tout consultant jugera caricatural), Jean-Marc Moutout, Violence des échanges en milieu tempéré, Les films du losange, 2002.
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[2]
Le 30 mai 2005, la Cour suprême américaine a finalement innocenté Andersen dans l’affaire Enron, trop tard pour faire renaître le réseau disparu en 2001 alors qu’il employait 80000 personnes dans 105 pays.
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[3]
G. Ringland et A. Shaukat, « Trois scénarios pour l’avenir du conseil », L’Expansion Management Review, mars 2005.
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[4]
« Toute opération à but lucratif de fourniture de main-d’œuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application des dispositions de la loi, de règlement ou de convention ou accord collectif de travail » (article L. 125-1 du code du travail français).