1La taille critique, la courbe d’expérience, les stratégies génériques, l’avantage concurrentiel, les pôles de compétences, la destruction créatrice, etc., sont autant de concepts stratégiques qui ont été développés par quelques auteurs de référence (Bruce Henderson, Michael Porter, Derek Abell, Gary Hamel...), et quelques universités et cabinets de consultants tout aussi célèbres (Harvard, BCG, Me Kinsey...), chacun à une époque précise de l’évolution de l’économie occidentale. Aujourd’hui, mondialisation et globalisation aidant, que peut-on observer? Peut-on toujours se servir des outils historiques ? Et de la même manière ?
2L’histoire de la stratégie montre que chacun de ces outils a été conçu et utilisé dans un contexte macroéconomique auquel il cherchait à répondre. Qu’en est-il aujourd’hui? Dans quel contexte et à quels défis sont confrontées les entreprises ?
3Tout d’abord, l’environnement évolue à une vitesse vertigineuse ; tel portefeuille d’activités, choisi pour sa capacité à répartir le risque d’investissement et à maximiser la production de résultats, se révèle être très déséquilibré et dangereux quelque temps après avoir été construit… Tous les marchés voient leur « fertilité » remise en cause, et ce, dans des laps de temps très courts.
La fin des stratégies tranquilles
4Trois forces agissent sur les entreprises et entraînent des changements profonds.
- La mutation technologique est l’une des premières forces qui façonnent le monde de demain. Puissance sans cesse en augmentation et développement sans précédent des moyens de communication créent des ruptures qui sont à la fois déstabilisatrices et propices à de nouvelles formes d’activité. De la téléphonie mobile à la fusion de la télévision et de l’informatique, des biotechnologies au génome humain, autant de ruptures qui réinventent en permanence notre environnement et sont autant de défis pour le dirigeant et l’investisseur.
- La globalisation et la mondialisation des marchés sont à l’origine de flux d’échanges qui désorganisent certains marchés établis depuis des décennies. Le changement de périmètre du business couplé à l’apparition de nouveaux acteurs perturbe significativement les modèles établis. C’est un choc économique qui entraîne une remise en cause sociale comme des événements récents viennent de nous le démontrer. C’est aussi un changement de logique qui fait que clients et concurrents sont devenus très difficiles à saisir et qu’il y a lieu de se préparer à des remises en causes rapides.
- Le comportement des consommateurs, et tout particulièrement le passage de la notion de besoin à celle d’usage, enfin, est pour l’Occident un changement radical. Nous vivions depuis des décennies sur un modèle de pyramide des besoins issue des travaux de Maslow qui n’a plus de réel sens. Comment imaginer que la grande masse des consommateurs a des besoins alors que, par exemple, une grande partie des vêtements est mise au rebut par effet de mode et non par usure. Cette mutation extraordinaire impose de remettre en cause une partie significative des outils mis à la disposition des dirigeants pour optimiser leur allocation de ressource.
Les points forts
- Plutôt que d’entrer dans la banalisation des produits et la guerre des prix, l’entreprise a intérêt à proposer une valeur client attractive et reconnaissable en faisant appel à des critères de choix plus sophistiqués.
- L’allocation performante des ressources pour répondre à cette promesse passe par l’alignement et la cohérence de trois processus : concevoir et vendre, produire et délivrer l’offre, soutenir l’ensemble.
- Enfin, ceux-ci doivent s’appuyer sur un système de management approprié. L’ensemble ainsi formé a toutes les chances de constituer un business model gagnant.
5Un jeu concurrentiel devenu compliqué. Les nouveaux entrants viennent de « nulle part » et déstabilisent en très peu de temps des business que l’on croyait très solides. Qui aurait pu penser que Barnes & Nobles serait mis en danger par Amazon? Comment pouvait-on imaginer qu’une firme comme Siemens abandonnerait son activité mobile au profit du taïwanais BenQ ? Et que dire de la reprise de Marionnaud par un investisseur chinois ? Il n’est pas aisé d’asseoir durablement un avantage fondé sur une meilleure organisation, une meilleure maîtrise des processus du métier. Cela devient un prérequis que de bien faire. Seules les entreprises très « professionnelles » résistent. Cela est nécessaire mais non suffisant pour garantir la croissance. Et, dans le même temps, notre société occidentale prend conscience que la croissance lui est devenue indispensable et que, sans elle, son adaptation nécessaire au monde qui vient sera douloureuse voire insupportable.
6L’afflux des capitaux intermédiés a contraint les entrepreneurs à favoriser la création de valeur au détriment des autres paramètres de performance. A la dictature de l’argent s’ajoute le terrorisme de l’urgence. Toute action doit immédiatement porter des fruits; le long terme n’est possible que dans la mesure où il s’appuie sur un court terme performant.
Evolution de l’offre de produits
Evolution de l’offre de produits
7Le client consommateur est de plus en plus infidèle… malgré tous les investissements pour le fidéliser. Il est confronté à un hyperchoix et n’a pas trouvé de meilleure solution que de zapper en permanence. Le « bon plan » est devenu un mode d’achat.
8L’entreprise doit réfléchir différemment. De toute évidence l’époque de la stratégie forte et tranquille est révolue. L’avantage concurrentiel n’a plus de sens dans la mesure où le concurrent peut être au fil du temps un allié et un ennemi; parfois simultanément.
9Une spirale fatale de destruction de valeur. Les marchés évoluent globalement (voir figure « Evolution de l’offre de produits », page précédente) de la configuration 1, répartition classique (courbe en cloche) des valorisations des produits par le consommateur, qui voyait une grande partie des volumes écoulés en gamme moyenne, vers la configuration 2 qui témoigne d’un comportement nouveau. Devant la complexité extrême de l’offre qui résulte d’un « hyperchoix », le consommateur adapte son comportement et se dirige naturellement vers le produit le moins cher, le premier prix.
10Les marchés avaient classiquement une répartition « gaussienne » de l’offre : un peu de premier prix avec une faible valeur perçue, une masse centrale de produits de milieu de gamme avec des prix moyens et quelques produits haut de gamme vendus bien plus cher.
11Aujourd’hui, les consommateurs (ou les clients B to B!), par leur comportement, tirent, dans un premier temps, par le prix, les marchés vers le bas ; la valeur perçue suit rapidement…
12La conséquence inéluctable de cette tendance du marché est la course au prix de revient, qui trouve des leviers naturels dans la chasse aux coûts et dans les délocalisations. La chasse aux coûts n’a jamais été seule une solution porteuse d’avenir et les délocalisations aboutissent toujours à l’émergence de nouveaux entrants très performants au niveau du prix de revient - conséquence de l’emploi de main-d’œuvre très bon marché. Ces nouveaux entrants étendent très vite leur offre vers des produits plus sophistiqués comme, par exemple, Samsung, LG, Asus…
13On peut raisonnablement s’interroger sur le sens que peut encore avoir la lutte contre l’inflation alors que pour certains produits il faudrait plutôt parler de déflation.
14On entre dans une spirale fatale de destruction de valeur. Dans le temps et quel que soit le produit, on assiste à une banalisation de l’usage et à une baisse constante de la valeur attribuée par le consommateur à son achat. Il s’agit bien d’un appauvrissement qui touche des secteurs entiers avec, comme corollaire, une baisse des revenus liés au travail.
15Devant ce phénomène très inquiétant, il est urgent de repenser le paradigme d’allocation de ressources. Le temps n’est plus où on pouvait à la fois baisser les prix en s’appuyant sur des gains de productivité constants et continuer à délivrer du pouvoir d’achat, moteur de la croissance future.
De l’avantage concurrentiel à l’avantage client
16Face à un hyperchoix très difficile à décrypter, le consommateur va naturellement vers l’offre la plus économique, ce qui correspond à un jugement rapide et facile selon le critère le plus simple et le plus objectif. Ce n’est plus la largeur et la profondeur de l’offre qui incitent le consommateur à acheter mais la clarté de cette offre et celle des attributs qui sont affectés à chacune des propositions qui lui sont faites. Le secteur du vin en est un exemple malheureux. La politique des AOC est d’une telle complexité, faite par des spécialistes pour des spécialistes, que le consommateur ne retrouve pas les signes de qualité et la constance qu’il est en droit d’attendre. D’autres vins « du nouveau monde » ont eu la possibilité de s’affranchir de ces contraintes et de répondre mieux avec des propositions de valeur plus claires. Coca-Cola a des difficultés à maintenir sa proposition de valeur alors que Pepsi-Cola a multiplié ses propositions dans le secteur de la boisson et en tire de meilleurs résultats.
17Positionner l’offre : la valeur et l’usage. L’entreprise doit prendre conscience aujourd’hui que positionner un produit ou une gamme de produits au sein d’une offre trop complexe sans véritablement proposer au consommateur une valeur facilement reconnaissable contribue à enclencher voire accélérer la spirale de destruction de valeur. Le hard discount a complètement basé son succès sur ce mécanisme et on en mesure la réussite. Nous ne pensons pas que les réponses qui sont données par les hypermarchés soient de nature à freiner ce développement.
18L’observation attentive du comportement du consommateur conduit à identifier deux axes permettant de positionner des offres, pour une catégorie de produits, des offres discriminées représentant des propositions de valeur différemment appréciées par le consommateur :
- Le premier axe représente la valeur attribuée par le client au moment de son achat, valeur qui varie en fonction des circonstances. Exemple : une eau de source premier prix, une eau de marque et une eau parfumée à la pêche. On constate en permanence que la valeur attribuée par le consommateur n’est pas dépendante de son niveau de revenu pour une catégorie de produit donnée mais exclusivement du comportement qu’il va avoir vis-à-vis de son acte d’achat.
- Le deuxième axe représente l’usage que projette de faire le client du produit qu’il a acheté. Exemple : le consommateur « voyage » d’un usage basique (j’ai soif, je veux de l’eau pour me désaltérer) à un usage qui le valorise (je suis un connaisseur averti et je propose à mes hôtes une eau rare, provenant des glaciers du pôle…) en passant par un usage plus qualitatif (l’eau à laquelle il attribue des bienfaits pour son organisme). C’est souvent sur cet axe que se construisent les propositions de valeur qui vont donner « envie » au consommateur de consacrer une plus grande part de ses ressources à son achat.
19Il est courant de constater un rapport de 1 à 10 entre le prix qu’est prêt à payer le consommateur pour une offre qui lui procure plaisir et valorisation et celui qu’il consentira à débourser pour un produit premier prix satisfaisant un besoin basique. Il est aussi classique de voir les offres existantes sur un marché migrer vers la banalisation et l’achat économique. Il faut aussi noter que la concurrence est d’autant plus forte que l’écart, entre l’offre économique et l’offre valorisée est faible.
20Un produit de grande consommation : le café. Prenons l’exemple du marché du café moulu (voir figure ci-dessus). Pendant de longues années les propositions de valorisation faites au consommateur consistaient à lui proposer différentes variétés de café croisées avec des terroirs. En bas de l’offre, correspondant à un achat économique et à un usage banal, on trouvait la variété robusta sans terroir d’origine et en haut de l’offre la variété arabica récoltée sur un coteau particulier de Papouasie ou d’Ethiopie. Au fil du temps l’écart entre le produit le moins cher et le produit le plus cher s’est sensiblement réduit. C’est le moment qu’a choisi Nestlé pour introduire une nouvelle « valeur client » : la capsule Nespresso.
Matrice des offres appliquée au café
Matrice des offres appliquée au café
21Ce n’est plus le café qui fait la valeur mais plutôt l’usage très pratique et la valorisation que propose Nespresso avec un café réservé à des connaisseurs et vendu dans des boutiques qui n’ont plus aucun code alimentaire et font plutôt référence aux produits de luxe. On est ainsi passé d’une offre banalisée, le café standard, à une offre plus qualitative, le café de marque arabica d’origine, pour finir par une offre valorisante, la capsule Nespresso.
22Une analyse fine a permis à la Maison du Café de détecter un « trou » dans les différentes offres existantes. En effet l’offre valorisante était chère et réservée à un circuit de boutiques exclusives à Nespresso. La Maison du Café a pensé qu’il y avait une place entre l’offre de café de marque et la capsule Nespresso. C’est ainsi qu’elle a proposé une offre de capsule Senseo presque équivalente à la capsule Nespresso et vendue en grande distribution. La valorisation attachée à l’offre s’appuyait toujours sur la capsule mais abandonnait la distribution exclusive. Le succès a été immédiat parce que la « valeur client » proposée était pertinente. On peut imaginer une nouvelle banalisation à terme et de nouvelles innovations susceptibles d’apporter de nouvelles échelles de valeur dans les années qui viennent. L’imagination des hommes est, il faut l’espérer, sans limite.
23Les produits « business to business » aussi. Ce type de réflexion s’applique aussi aux produits « business to business » à partir d’une matrice qui tient compte des spécificités de ce type d’achat.
- Le premier axe représente la valeur attribuée par le client au moment de son achat, valeur qui varie en fonction des circonstances. Exemple : du papier standard pour copie, du papier facilitant la reproduction couleur et du papier avec un grain valorisant l’entreprise qui l’utilise. On constate que la valeur attribuée par l’entreprise n’est pas dépendante de sa « richesse » mais, pour une catégorie de produit donnée, exclusivement de sa stratégie.
- Le deuxième axe représente l’usage que l’entreprise projette de faire du produit qu’elle a acheté. Exemple : l’entreprise réalise un achat standard qui doit répondre à un cahier des charges précis, l’entreprise réalise un achat qui améliore un de ses sous-processus ou l’entreprise réalise un achat qui améliore la valeur de sa propre offre. C’est souvent sur cet axe que se construisent les propositions de valeur qui vont convaincre l’entreprise d’affecter une plus grande valeur à son achat.
Matrice des offres appliquée aux bâches de protection pour le BTP
Matrice des offres appliquée aux bâches de protection pour le BTP
24On s’est déplacé sur les deux axes et on a fait de la bâche un produit radicalement différent qui est devenu une source de valeur importante. L’entreprise qui a conduit cette démarche est passée d’une rentabilité quasi inexistante à un résultat de 20 %.
25Il est clair les produits les moins chers qui correspondent à des usages basiques seront l’occasion pour les entreprises de se battre sur les prix de revient; on entrera facilement dans une guerre des prix. En revanche, l’entreprise qui cherchera à positionner son offre en faisant appel à des critères de choix plus sophistiqués de la part du consommateur aura des chances de dérouler un modèle économique plus « attractif », pour autant qu’elle aura été capable de bien se faire comprendre de son client et d’avoir effectivement bien fait vibrer, chez lui, la bonne corde sensible.
26Examiner globalement l’offre que propose l’entreprise, dans un secteur donné, en utilisant cette nouvelle forme de positionnement de la « valeur client » permet souvent de « détecter des vides dans la matrice », comme on l’a vu pour le café, et donc d’innover par une nouvelle proposition ; un marché très actif est un marché où le consommateur trouve une offre « étirée ». Cela est aussi vrai pour le vin de Champagne, pour les voyages en avion que pour des chevilles de fixation destinées aux bricoleurs.
27Il s’agit là de propositions de valeur différentes proposées au consommateur; nous lui donnerons le nom de « customer value proposition » pour les lecteurs anglo-saxons.
De la «valeur client» à l’alignement des processus
28Malheureusement il ne suffit pas de proposer une valeur originale, attractive et facilement reconnaissable; encore faut-il allouer les ressources adéquates pour arriver à la délivrer de manière satisfaisante au client et avec un niveau de résultat convenable.
Les offres de Compaq et de ses concurrents
Les offres de Compaq et de ses concurrents
29Il faut une double pertinence :
- pertinence de l’offre qui est sanctionnée par le client, réceptif à la « valeur client »;
- pertinence des ressources affectées par l’entreprise qui est sanctionnée par la performance économique.
30A la fin des années 90, Dell et Sony construisent des offres de natures très différentes, offres reposant chacune sur une organisation opérationnelle spécifique. Dell délivre une offre à bas coût à partir d’un process très performant (produit sur mesure, « intégré » à la demande, payé en partie avant d’être fabriqué…). Sony, en revanche, se place sur une offre à coût élevé avec une réelle valorisation (prix élevé), perçue par une partie des clients cibles qui apprécient particulièrement un design sophistiqué et la robustesse du produit. Compaq qui « n’invente » plus de nouvelle valeur, ni auprès du consommateur, ni dans son prix de revient, perd le leadership.
31Il y a chez Sony et chez Dell deux formes d’harmonies différentes. Deux « valeur client » ainsi que deux systèmes d’allocation de ressources, deux conceptions des opérations, deux processus alignés différemment. Actuellement Asus, qui jusque-là fabriquait des cartes, cherche à s’introduire en concurrençant Sony par une « valeur client » proche sur le plan du produit et accessible à un coût plus faible via son réseau de distribution, initialement construit pour distribuer ses cartes.
32Une allocation de ressources spécifique. A chaque « valeur client » doit correspondre une allocation de ressources particulière centrée sur certains processus précis de l’entreprise (processus client comme processus support). Dans le cas de Sony, les allocations de ressources ont été renforcées sur le marketing et la vente; en ce qui concerne Dell, les allocations de ressources ont concerné principalement la relation avec le consommateur client et l’organisation de la supply chain. Pour Asus, on alloue prioritairement les ressources au design et à la politique de distribution.
33Pour la Maison du Café, le projet Senseo a supposé un partenariat avec Phillips pour produire les machines nécessaires à l’utilisation de ses capsules. On voit dans cet exemple le choix de « déléguer » une partie du process de production à un acteur mieux placé pour délivrer l’offre à des conditions économiques qui permettent d’atteindre la double pertinence citée plus haut.
34L’entreprise choisit d’allouer des ressources en capitaux mais également des ressources en compétences. En fait, il s’agit pour elle de construire le processus global qui lui permettra de capturer le maximum de la valeur qu’elle aura su convaincre le consommateur de payer. Une fois que la « valeur client » est claire et attrayante, encore faut-il imaginer le système qui va délivrer cette valeur de manière sûre et économiquement efficace.
35Les trois processus de l’entreprise. Pour simplifier, il faut considérer l’entreprise comme l’addition de trois processus.
361. Un processus chargé de concevoir l’offre et de la vendre aux clients sélectionnés par l’entreprise. Ce processus est aujourd’hui central et source de la valeur que l’entreprise choisit de construire. Il est à dessiner entreprise par entreprise et doit réunir l’ensemble des compétences qui permettent de concevoir l’offre et de la vendre au client qui en est destinataire. Les ressources sont propres à l’entreprise et peuvent être enrichies par des « sourcings » appropriés. L’entreprise devra veiller à bien contrôler ce qui aura été déterminé comme étant les compétences clés.
372. Un processus chargé de produire et délivrer l’offre promise par l’entreprise à ses clients. De plus en plus souvent, ce deuxième processus est découplé du premier. L’entreprise peut très bien allouer fortement ses ressources au premier et « sourcer » le deuxième. On va trouver cette situation dans le secteur de la mode et dans de nombreux autres secteurs où la valeur se constitue principalement à partir de la spécificité de l’offre. A contrario on rencontre des entreprises qui doivent allouer massivement leurs ressources au processus de production et de livraison, en investissant très peu sur l’amont. Ce type de situation se constate dans toutes les activités qui ne sont pas « délocalisables », comme le secteur des transports et de la logistique. Malheureusement, pour beaucoup d’autres secteurs de production, les délocalisations sont l’aboutissement inexorable quelle que soit l’importance des ressources allouées.
383. Un processus support qui soutient les deux autres. Dans tous les cas, celui-ci va s’adapter au dimensionnement des deux premiers. Il est lui aussi engagé dans un processus de performance qui conduit à l’externalisation de certaines de ses tâches. Ces trois processus sont irrigués par un système d’information qui devient le véritable centre nerveux de l’entreprise. Son importance est de plus en plus forte et son architecture de plus en plus complexe. Le choix et le dimensionnement sont des enjeux stratégiques prioritaires.
Condition sine qua non : un management approprié
39Une « valeur client » claire et des « processus alignés » ne suffisent toujours pas. Encore faut-il que cette « belle machine » tourne sans faillir.
40S’il faut délivrer la valeur pertinente au client, au consommateur, il faut également délivrer les valeurs attendues aux différents autres partenaires de l’entreprise que sont les actionnaires, les salariés, et tous les autres…
41Il convient donc d’élaborer des règles de fonctionnement, des règles d’animation de cette « machine » : il faut construire un système de management, de pilotage : fixer des objectifs, des règles de répartition des résultats (entreprise, actionnaires, salariés, etc.).
42L’exemple Southwest Airlines. Dans cette compagnie américaine, c’est non seulement une offre très pertinente et reconnaissable, des processus bien réglés et sans défaut mais également un ensemble de règles de management qui font que, lorsque les résultats sont là, on sait clairement ce qui va en être fait. Si les actionnaires de l’entreprise sont heureux depuis de nombreuses années, les salariés le sont également car leurs primes d’intéressement sont élevées et leur fonds de pension est bien abondé. Il y a chez Southwest Airlines un alignement, une cohérence, qui permet de délivrer l’offre promise. Un exemple : Southwest a identifié que les services à l’escale et particulièrement le nettoyage constituent les principaux facteurs de retard. Il n’est pas rare de voir l’équipage compléter l’action du personnel spécialisé afin de terminer le ménage au plus vite. La contrepartie, pour l’équipage, est un système de garde d’enfant proposé par Southwest à son personnel navigant. Résultat, la compagnie a l’une des meilleures ponctualités du monde.
43Cinq éléments qui « huilent » la machine:
- La culture va être en première ligne face à la logique de déconstruction des processus. L’entreprise était plus lisible quand l’ensemble des processus était sous son contrôle. La déconstruction entraîne des modifications culturelles qui vont nécessiter beaucoup plus de temps pour obtenir l’application intrinsèque des décisions prises. La conduite du changement devra prendre en compte cette dimension et construire le plan approprié afin de ne pas créer des blocages trop importants.
- Les compétences seront aussi à regarder de près. Dans quelle mesure la « délégation » d’un processus ne va-t-elle pas mettre en danger un autre processus avec qui il partageait cette compétence ? Ne risque-t-on pas de perdre une compétence clé sans retour? Cette gestion des compétences devient une des grandes préoccupations de l’équipe de direction. En l’oubliant elle peut mettre en danger l’entreprise et par suite elle-même ! Cela supposera d’apporter les formations appropriées, de construire l’image permettant d’attirer les talents nécessaires au projet.
- L’organisation sera forcément impactée. On peut presque avancer sans risque que tout changement significatif d’allocation de ressources entraînera de facto des changements d’organisation. Il faudra simplement retenir que chaque processus doit avoir un responsable clairement identifié. Pour la Maison du Café, il a fallu apprendre à gérer un partenariat avec une entreprise qui avait manifestement une culture très différente.
- La gouvernance et son corollaire le reporting devront être « customisés » chaque fois que l’allocation de ressources sera significativement changée, en se souvenant que tout ce qui se mesure se « manage ».
- Le leadership, enfin, va permettre de mettre en œuvre une chaîne d’action et une chaîne de réaction pour déployer les changements et ajuster les adaptations nécessaires. Il est courant de rencontrer des équipes de direction qui, après analyse, décident des changements profonds sans envisager que cela implique un changement de leur part!
Les cinq dimensions incontournables du management
Les cinq dimensions incontournables du management
La valeur client, socle du modèle
44Positionner une offre dans le marché, dessiner les processus qui assurent à la fois la valeur de l’offre et la performance économique de l’entreprise et, enfin, choisir un système de contrôle et de management, c’est construire le business model.
45L’entreprise qui saura trouver la valeur client pertinente, puis élaborer ses processus pour tenir cette promesse et, enfin, se doter d’un système de management approprié, le tout mis en œuvre par une équipe leader, a toutes les chances d’avoir un business model gagnant. C’est en fait le principal enjeu. On peut dire que chacun des maillons est plus ou moins facile à adapter, mais finalement adaptable. La difficulté vient de la nécessité d’« aligner » les trois en même temps. C’est la cohérence entre les trois maillons qui va faire que la performance visée sera atteinte. C’est parce que l’alignement des trois éléments du business model sera parfait en un temps t et capable de s’adapter très rapidement à un changement impactant un ou plusieurs de ses maillons que sa pérennité sera assurée.
46Rendre chacun des maillons performants, les rendre cohérents entre eux et être capable de les adapter très rapidement sans perdre la cohérence, tel est le défi qu’affrontent les dirigeants des entreprises aujourd’hui. La méthode de réflexion proposée n’est qu’un moyen destiné à faciliter leur tâche de plus en plus complexe.
Le modèle d’affaires gagnant
Le modèle d’affaires gagnant
47Une règle ne doit cependant jamais être oubliée : la vraie source de valeur est et restera le client consommateur final, et nous ne pouvons que conseiller aux dirigeants de se rapprocher de lui.