1Comment fabrique-t-on un créateur d’entreprise ? La capacité à fonder sa propre affaire relève-t-elle d’un talent inné, comme les biographes de nombreux capitaines d’industrie veulent nous le faire croire, ou peut-on l’acquérir? Si oui, où, avec qui et de quelle façon ? Ces questions sont au cœur du second volet de notre dossier sur l’entrepreneuriat, piloté comme le premier par Alain Fayolle, Patrick Sénicourt et Emile-Michel Hernandez, de l’Académie de l’entrepreneuriat. Elles sont d’autant plus cruciales que jamais les Français, réputés plutôt frileux en la matière, n’ont autant manifesté leur fibre entrepreneuriale. La France a créé, record absolu, quelque 224 000 entreprises nouvelles en 2004 ! Du jamais vu depuis que ces statistiques existent. Si on ajoute à ce chiffre les réactivations de sociétés restées en sommeil ou les reprises de firmes existantes, on obtient le chiffre de 320 000. Autant d’individus qui ont abandonné un statut parfois confortable pour monter leur propre projet. Signe des temps : seulement un créateur sur trois est un ancien demandeur d’emploi, contre un sur deux il y a cinq ans. On ne crée donc pas uniquement par nécessité ou faute de mieux.
2Qu’il naisse de plus en plus d’entreprises est une bonne nouvelle, mais encore faut-il que les jeunes pousses survivent et se développent. Actuellement, environ quatre sur dix disparaissent dans les cinq ans suivant leur création. Une mortalité infantile qu’on ne peut prévenir que par une meilleure formation des créateurs et par un accompagnement réellement adapté. Formation et accompagnement dont il est bien difficile, pourtant, de cerner les contours.
3Quelles que soient les compétences techniques nécessaires à la création et à la conduite d’entreprise, qui peuvent s’acquérir à tout âge, elles ne suffisent pas, estiment les auteurs de ce dossier. On a beau connaître son métier et son marché, sur le bout du doigt, savoir construire un business plan ou élaborer un pacte d’actionnaires, l’acte d’entreprendre est avant tout une affaire de comportement, d’état d’esprit. Vision, générosité, capacité de leadership, résistance au stress et à l’échec, confiance en soi, goût du risque, envie de réussir, attitude saine vis-à-vis de l’argent sont autant de traits communs aux entrepreneurs. Or en la matière, soulignent en préambule Alain Fayolle, Patrick Sénicourt et Emile-Michel Hernandez, la France présente de graves handicaps : notre culture nous porte plutôt à la sécurité qu’à la prise de risque, plutôt à l’égalitarisme qu’à la compétition. Nos enfants traumatisés par le chômage de leurs aînés ne rêvent que d’entrer dans la fonction publique. Apprendre à être entreprenant est d’autant plus crucial pour nos candidats à la création que le contexte culturel dans lequel ils baignent depuis toujours n’est pas naturellement favorable.
4Nos institutions éducatives peuvent-elles relever le défi ? A priori, elles ont été conçues pour transmettre des connaissances bien établies, des méthodes de résolution des problèmes, des boîtes à outils supposées opérationnelles. Or rien n’est plus contingent et singulier que l’univers de la création d’entreprise, rien n’est plus dangereux pour l’avenir d’un créateur que la croyance aveugle dans les « one best way » et les « bonnes pratiques ». Chaque histoire de création est unique.
5Au-delà de la sensibilisation et du développement des « vocations », accompagner les porteurs de projets bien au-delà de l’acte de création est l’autre enjeu majeur. A ce stade, les formateurs ont davantage le statut de coach, de miroir, de mentor ou de consultant que celui d’enseignant. Le partage d’expérience et la qualité du feed-back comptant bien plus que les savoirs académiques. Tant il est vrai, comme le soulignent plusieurs de nos auteurs, qu’on n’apprend vraiment à entreprendre… qu’en entreprenant. Si la notion de « formation-action » a un sens, c’est bien dans ce contexte précis.