Notes
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[1]
ANSEM, Recommandations de bonnes pratiques professionnelles, juillet 2008, p. 17.
http://www.anesm.sante.gouv.fr/IMG/pdf/reco_bientraitance.pdf -
[2]
Winnicott Donald, De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1969, p. 377 : « Grâce aux soins qu’il reçoit de sa mère, chaque enfant est en mesure d’avoir une existence personnelle et commence donc à édifier ce qu’on pourrait appeler le sentiment d’une continuité d’être. C’est sur la base de cette continuité que le potentiel inné devient graduellement un enfant qui a son individualité. Si les soins maternels ne sont pas suffisamment bons, l’enfant ne parvient pas à exister vraiment, puisqu’il n’a pas de sentiment de continuité d’être ; la personnalité s’édifie alors sur la base de réactions aux empiétements de l’environnement. »
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[3]
Ricœur Paul, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 224 : « Bornons-nous à souligner la part que prennent les sentiments – qui sont en dernier ressort des affections – dans la sollicitude. Ce que la souffrance de l’autre, autant que l’injonction morale issue de l’autre, descelle dans le soi, ce sont des sentiments spontanément dirigés vers autrui. C’est cette union intime entre la visée éthique de la sollicitude et la chair affective des sentiments qui m’a paru justifier le choix du terme ‘‘sollicitude”. »
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[4]
Adorno Theodor, « Éduquer avec Auschwitz » in Modèles critiques, Paris, Payot, 1984 : « On sent très vite ce qu’ont de faux des engagements exigés uniquement pour produire quelque chose – même le bien – s’ils ne sont pas ressentis profondément par les hommes eux-mêmes. Il est étonnant de voir la rapidité avec laquelle réagissent les hommes les plus naïfs et les plus stupides lorsqu’il s’agit de déceler les failles du meilleur. Ou bien ces soi-disant engagements servent de laissez-passer – on les accepte pour être reconnu comme bon citoyen –, ou bien ils suscitent haine et ressentiment, psychologiquement le contraire de ce à quoi ils sont censés servir. Ils signifient l’hétéronomie, la dépendance à l’égard de commandements ou de normes qui n’ont pas à se justifier devant la raison de l’individu lui-même. Ce que la psychologie appelle le sur-moi, la conscience, est remplacé, au nom de l’engagement, par les autorités extérieures, qui n’engagent à rien, et sont interchangeables, comme on a très bien pu le voir après l’effondrement du IIIe Reich. Le fait justement d’être prêt à jouer le jeu du pouvoir et à s’incliner extérieurement devant le plus fort qu’on érige en norme, constitue la mentalité de ces bourreaux qui ne doit plus exister. C’est pourquoi se recommander de l’engagement est si néfaste. Les hommes qui l’acceptent plus ou moins volontairement se trouvent dans une sorte de constant état de manque de commandements. La seule véritable force contre le principe d’Auschwitz serait l’autonomie, si je puis me permettre d’utiliser l’expression kantienne, la force de réfléchir, de se déterminer soi-même, de ne pas jouer le jeu. »
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[5]
La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (Journal officiel, n° 54, 05/03/2002, p. 4118).
1Au sens général, la vulnérabilité est la probabilité de voir sa situation ou ses conditions de vie se dégrader ou s’enfoncer, quel que soit le niveau de richesse, face aux fluctuations de la vie. Notre objectif est d’inviter à considérer l’intérêt qu’il y a à raisonner en termes de vulnérabilité dans la sphère du soin en lieu et place de l’anormalité biologique ou psychique pour rendre compte des phénomènes contemporains de fragilisation et de mise à la marge de certains individus et ainsi comprendre les formes d’intervention qu’ils appellent.
2Cette entreprise ne va pourtant pas de soi tant, d’une part, la référence à l’anormalité biologique s’est imposée depuis plus de vingt ans comme modalité quasi exclusive de mise en scène et d’explication des situations médicales, et tant, d’autre part, la notion de vulnérabilité a été, quant à elle, confinée à des états de fragilité révélée, bien souvent incarnés en des individus particuliers. Pourtant, la vulnérabilité mérite une attention soutenue, et ce parce qu’elle se présente comme une notion potentielle – étymologiquement « qui peut être blessé » – qui oblige à interroger tant les conditions de possibilité de cette potentialité – le risque structurel d’être blessé – que les conditions de réalisation de celle-ci – le fait d’être effectivement blessé.
Vulnérabilité et gériatrie : généalogie du concept
3Le terme de vulnérabilité – vulnerability – a percé, conjointement dans la littérature psychiatrique, pédiatrique et psychanalytique d’une part et gériatrique d’autre part sous son synonyme de fragilité – frailty, fragility, fragilization – au début des années 1970. Il a commencé à se diffuser à partir des années 1980 dans les articles en anglais, avec ses corrélats de résilience – resiliency – puis s’est répandu massivement dans les années 1990, dans une traduction en français proche du sens originel.
4Le substantif frailty – fragilité, faiblesse, frêleté – apparaît dans la littérature médicale gériatrique américaine et canadienne au milieu des années 1980 pour caractériser d’abord un « état physiologique » du sujet âgé mais aussi comme descripteur d’un « état social d’isolement ». La fragilité, « concept évolutif », ne constitue pas une « entité clinique bien définie » avec une « signification scientifique précise ». Cela rend difficile le repérage des personnes qui en sont affectées, et la détection des facteurs de risques de poly-pathologies qui la caractérisent, et conduit les auteurs à parler de syndrome. Les significations que les médecins ont données au terme de fragilité sont tirées du langage ordinaire : i.e. ce qui peut être brisé ou détruit facilement, est susceptible de s’affaiblir ou de mourir rapidement, sujet aux maladies ou aux infirmités ; manquant de force ou d’endurance; délicat, anémié, fluet, menu ou frêle – weak, tenuous, thin, and slight. Le choix initial du terme procède ainsi d’une reprise du sens propre et imagé et renvoie d’une part à la fragilité des objets, des os, de la vie humaine, et résulte d’autre part d’une transposition du sens physiologique de « constitution » ou de santé fragile, de l’enfant chétif au vieillard usé. Dans les années 1980 les auteurs anglo-saxons européens ainsi que les francophones en ont d’ailleurs fait une sorte d’épithète – équivalent du participe passé adjectivé français de dépendant – tiré quant à lui du vocabulaire des politiques sociales.
5Dans les années 1980 la traduction de frailty par dépendance en français semble être une bonne transposition. La fragilité dans le grand âge s’oppose alors aussi à la « bonne santé ». Mais à partir du milieu des années 1990 leur équivalence se défait, quand la notion de frailty devient une notion clé dans le secteur médico-social pour désigner à la fois l’état ou le point d’arrivée et le processus de transformation, bref quand frailty désigne à la fois un être et un devenir recouvrant sous son vocable « fragility » and « fragilization ». Les spécialistes l’utilisent alors dans une perspective séméiologique à la fois descriptive et statique, dynamique et prédictive pour caractériser à la fois un état et un processus particulier au décours du vieillissement pathologique du sujet âgé. Elle est selon eux un moyen terme instable entre bonne santé et maladie, et désigne un équilibre homéostatique menacé par n’importe quel événement de vie. Si ces notions renvoient dans la littérature internationale à des registres d’expertise médicale – fragilité –, psychologiques et sociologiques – vulnérabilité – articulés autour des notions de sujet/malade/patient/usager et d’environnement, c’est que la préoccupation des gériatres de devenir les spécialistes de la prise en charge globale des patients âgés a pris le dessus. Comme la dépendance dans le langage des gérontologues, le substantif de fragilité constitue donc une notion nosographique et clinique centrale pour légitimer leur spécialité de gériatres qui cherchent une définition opérationnelle, afin de devenir des experts-ressources pour les patients et les acteurs médicaux en donnant aux décideurs des politiques sanitaires une idée des besoins de cette population, et trouver des financements pour leur recherche, qui permettent aux praticiens de cibler leurs interventions sur les personnes âgées et aux chercheurs des moyens de poursuivre leurs recherches.
6Depuis le milieu des années 1990 – et en dépit du fait que cette définition de la fragilité du sujet âgé et de son environnement ou des processus de fragilisation ne soit ni stable ni homogène –, le terme et la notion sont désormais communs à toutes les disciplines qui s’intéressent au vieillissement et aux populations âgées en s’appuyant sur ce qui n’est plus seulement une pathologie gériatrique mais un paradigme commun aux sciences de la vie et aux sciences humaines et sociales. Dans les deux champs, l’acception de base d’état instable et incertain qui vient faire fonds sur une fragilité physique ou sociale d’une part, et de processus graduel – fragilisation – ou brutal – accident de santé ou de la vie – d’autre part, s’est affirmée de la même façon, avec la même préoccupation d’expertise au service de l’action sanitaire. La préoccupation d’objectiver et de quantifier la notion pour qu’elle constitue un index de mesure devient centrale dans les sciences médicales mais aussi dans le travail d’expertise sanitaire et statistique du secteur des sciences humaines et sociales, puisque l’association entre risque médical et risque social, qui impliquerait de protéger davantage les personnes âgées fragiles par avance dans une optique de prévention sanitaire et sociale se fait jour dans les réflexions en termes de programmes de santé publique et de travail social, notamment en France avec la réflexion autour du « risque de dépendance ».
7Depuis les années 2000, l’utilisation de l’adjectif fragile, qualificatif distinct de celui de dépendant mais importé et articulé à ce dernier dans les sciences humaines et sociales également, va de pair avec la nouvelle association entre fragilité biologique et vulnérabilité génétique dans les programmes anglo-américains et francophones de recherche gériatrique. Qu’elle soit médicale, psychologique ou sociologique, la définition reste ainsi étroitement liée au double registre métaphorique organiciste – vulnérabilité – et mécaniciste – fragilité – de l’étymologie de ces termes. C’est un état de faiblesse rendant le coping – l’adaptation, la réaction, la résistance – peu efficace face à un stress physique ou psychique. La vision pluridisciplinaire endogamique – entre disciplines médicales – s’est élargie aux facteurs sociaux de risques, voire aux sciences humaines et sociales en utilisant par ailleurs des méthodes d’appréciation de la fragilité perçues par la représentation qu’en ont les personnes elles-mêmes : cette fragilité est alors ressentie non seulement comme un stigmate mais aussi comme une ressource.
8Enfin la diffusion du terme, entendu comme effet d’un processus graduel – dégradation – de l’état général ou brutal – accident de santé – dans la littérature gériatrique est contemporaine de celle, équivoque elle aussi, de résilience en psychologie; il lui est désormais opposé comme antonyme dans les écrits cliniques et psychologiques. Alors qu’elle s’appliquait précédemment, de façon limitée, aux patients, jeunes ou âgés, ayant eu à faire face à des accidents de santé ou de vie, son usage a donc été étendu aux vieillards dépendants.
La vulnérabilité et ses ressources analytiques
9Pour peu que l’on accepte le dépassement de la réduction ontologique, fréquente quand cette thématique est abordée et que l’on ouvre la réflexion à une approche élargie, pour peu que l’on se refuse à prendre pour centre l’être ou la catégorie vulnérabilisé, la vulnérabilité offre alors des ressources analytiques réelles En d’autres termes, elle présente un intérêt soutenu à condition de ne pas limiter son usage aux univers des vulnérabilisés ou de ceux qui n’ont pas accès à des biens ou des services sanitaires et sociaux, de ne pas enfermer l’analyse dans un statut particulier de fragilité avérée ou dans une essentialisation de l’exposition au risque, donc de ne pas en faire une des propriétés essentielles de l’individu ou du groupe en question et de ne pas en faire un état intermédiaire entre intégration et exclusion.
10Il convient ici d’insister sur sa dimension structurelle et sur son rapport aux transformations d’ensemble du système social. L’accent est alors mis sur la nature spécifique de certains types de liens sociaux qui fragilisent ou qui maintiennent dans la fragilité. Raisonner en termes de vulnérabilité plutôt qu’en termes d’exclusion, c’est souligner le lien intrinsèque qui unit un mode d’organisation et de représentation des rapports sanitaires et les déficits qu’il génère. La vulnérabilité est un concept sans contraire, marquant le fait que l’on ne pense plus dès lors en termes de fractures entre eux et nous, mais davantage en termes de potentialité commune à chacun, d’être atteint du fait même de la logique intrinsèque de déploiement de ce type de rapports sanitaires. Ainsi, la vulnérabilité est-elle à saisir dans la relation entre un groupe ou un individu ayant des caractéristiques particulières – notamment un déficit de protection pour se garder de la potentialité à être blessé – et un contexte médical qui valorise la capacité à agir à partir de soi. Autrement dit, parler de vulnérabilité en soi n’a pas de sens dans la mesure où des individus singuliers sont vulnérables dans certaines conditions sanitaires et sociales et dans celles-ci seulement.
11Une forte convergence des analyses des sociétés contemporaines est aujourd’hui observable : celle de l’hypothèse d’une modification structurelle du soin et de l’émergence d’un nouveau modèle biomédical marqué par un individualisme normatif et par une conception de la santé exacerbant les dimensions du risque et de la confiance. Ce modèle biomédical se caractérise par une déstabilisation des repères sanitaires et sociaux augmentant l’incertitude des membres sur leur identité – anomalies ou particularités génétiques, affections acquises, dégradation « physiologique » (âge, dénutrition, surcharge, sédentarité, etc.).
12L’individu se voit dans une telle configuration, en effet, contraint de reconceptualiser continuellement son rapport au monde et d’élaborer les conditions propices à l’instauration d’une reconnaissance mutuelle avec ses contemporains. Ce modèle se marque aussi par une modification du statut des institutions médicales qui ne se caractérisent plus tant par leur fonction instituante assignant des conduites et imposant de l’extérieur des normes de comportement et d’action, que par leur statut de contenant que les individus remplissent significativement et normativement, et ce par le fait même qu’ils poursuivent leur quête de réalisation de soi.
13Si la production du médical repose davantage sur les épaules des individus par l’entremise des interactions qu’ils choisissent de nouer et des entreprises dans lesquelles ils décident de s’engager, leur capacité à se tenir debout par eux-mêmes et à tenir toutes les promesses attendues d’eux devient centrale dans le soin. L’intégration, plus un processus qu’un état, devient en conséquence le résultat de la participation des individus à la production du biomédical. Toutefois, le prix à payer dans ce report de charge sur le malade, est non seulement l’obligation de jouer le jeu de la responsabilité, sauf à devoir assumer une position de hors-jeu, mais aussi la dissolution du tiers médiateur. Il faut ainsi concevoir combien la déstructuration des institutions médicales vulnérabilise les individus en les renvoyant à eux seuls pour structurer leur existence. Les relations soignés-soignants prennent en effet une dimension immédiate et placent en leur cœur une exigence d’authenticité pour les individus.
14Ce contexte sociétal d’incertitude et de report de responsabilité sur les individus produit structurellement un univers de vulnérabilité pour tous dans la mesure où l’institution biomédicale n’est plus tant à concevoir comme un univers de contrôle normatif des conduites de ses membres, que comme un contexte d’épreuves et d’évaluations permanentes auxquelles doivent faire face les individus. La vulnérabilité est ainsi à entendre comme endogène aux caractéristiques du système biomédical, en interaction avec les propriétés du système et celles des individus qui en sont membres. Mais ceux qui ne peuvent, en raison d’un déficit personnel, des singularités de leur trajectoire biographique et/ou de leur position dans la structure médicale, participer de manière active à la production continue de la vie collective, se voient alors fortement fragilisés. Aussi faut-il concevoir le fait que la subjectivité devienne et une question individuelle et une question médicale.
15D’une part, les enjeux collectifs deviennent des épreuves individuelles devant les exigences requises par une telle logique d’autogestion de soi et de participation à la constitution de l’entreprise biomédicale. Une crise de la subjectivation naît de ce report de responsabilité de la biomédecine sur l’individu en raison de la difficulté à être sujet dans une politique de santé publique qui demande justement à chacun de ses membres d’y être à partir de lui-même. L’affaiblissement de la socialisation et de l’intégration par conformité fragilise en effet les individus qui n’ont les moyens ni de s’auto-instituer et de s’autogérer, ni de participer de manière active à la production de la vie collective. Un premier niveau de lecture de la vulnérabilité émerge donc de cette obligation de se tenir debout de l’intérieur sans autre support que soi et le rapport auto-entretenu aux autres. La vulnérabilité est donc ici à entendre, au plan des individus, comme le résultat d’une impossibilité vécue – ou d’une incapacité ressentie – à ne pouvoir pleinement devenir « individus » au sens moderne du terme.
16D’autre part, les épreuves individuelles deviennent des enjeux collectifs. La subjectivation, en tant qu’institution et gouvernement de soi, n’apparaît pas seulement comme un enjeu de réalisation individuelle, elle constitue en même temps les soubassements d’une nouvelle question médicale en raison du caractère vital de la réalisation de la norme d’individuation en tant que condition de la production du soin. Un deuxième niveau de lecture de la vulnérabilité naît donc de la nécessité de l’aboutissement de la subjectivité de chacun pour que s’institue le soin. Une production inaboutie des individus en tant qu’individus individués vulnérabilise en conséquence l’être-ensemble car elle fragilise l’intégration et la cohésion sociale. La vulnérabilité est ici à entendre, au plan de la biomédecine, comme le résultat de la non-atteinte, par certains individus, du statut d’acteur normatif capable de peser sur la production des normes médicales. Les individus « anormaux » biologiquement apparaissent comme des individus peu dotés en ressources leur permettant de se conformer aux nouvelles normes de l’individuation, comme des individus incertains en panne de réalisation de soi.
La question du biomédical
17Les réalisations de cette vulnérabilité se thématisent logiquement sous la forme de la blessure : puisque la potentialité à être blessé est commune en raison du caractère structurel de la vulnérabilité, celui qui est atteint l’est donc en raison de ses particularités singulières – parce qu’il est moins vigilant, moins prudent, moins prévoyant, plus faible ou moins protégé. Est ainsi blessé celui qui n’est pas en mesure de faire face avec ses propres ressources aux exigences de la propriété de soi – promotion de la santé, gestion de la maladie chronique, dépistage, vaccination, etc.
18Le contexte sociétal d’épreuves et de sélectivité – notamment la prévention – identifie a posteriori comme faible celui qui a moins réussi les épreuves sanitaires de politiques de santé publique. Le rapport à l’intégration à l’être-en-société renvoie chacun à ses potentialités mais aussi à ses doutes et à ses craintes, à ses possibles défaillances passagères comme à ses éventuelles insuffisances. La souffrance qui en résulte est en fait la souffrance d’être une personne limitée, inaboutie par rapport aux possibilités médicales qui lui sont offertes de se réaliser. L’appréhension sanitaire de la souffrance se fait dès lors sur la base d’une individualisation des problèmes de santé publique à laquelle la société offre une réponse d’une double nature. Tout d’abord, elle valorise et promeut activement pour les vulnérables non blessés une nouvelle culture du bien-être et du bien-conduire-son-existence afin de renforcer leur capacité à gérer leur trajectoire future. Cette culture de la prise en charge de soi permettant à chacun d’assumer la gestion de ses incomplétudes individuelles s’apparente à une mise au travail du capital humain dans toutes ses dimensions, qui se donne notamment à voir dans l’ouverture de fenêtres importantes dans l’espace public mettant en scène un langage de l’intériorité dans l’insistance sur le soin de soi comme conditions de maintien et de ressourcement de soi, et dans la promotion du bien agir – alimentation, santé, protection, etc. – comme modalités de prise en charge de son existence et de son devenir. Ensuite, elle met en œuvre pour les vulnérables blessés une forme de thérapeutique allégée afin de contenir les effets de cette souffrance qui affecte les individus dans leur être psychique par leur être social. Cette modalité d’intervention proche de l’écoute, relevant plus de l’accompagnement – la relation d’aide pour les infirmiers – que de la solidarité, se traduit par la mise à disposition d’appuis qui allègent l’épreuve afin de permettre de la supporter, voire de la surmonter, par son propre effort. Le développement de ces dispositifs d’accompagnement se manifeste notamment par la création ou le développement des unités médico-psychologiques au sein des services d’urgences. Il se marque également par l’importance prise par l’accompagnement au sein des soins infirmiers comme forme de régulation des vulnérabilités individuelles. Cette logique du bas seuil n’est pas centrée sur le soin, elle vise simplement la constitution d’un espace de réconfort et de première protection afin de permettre l’énonciation de la souffrance. Ces dispositifs mêlent disponibilité à autrui et grande accessibilité par leur logique d’intervention de proximité.
La vulnérabilité ou la « bientraitance » ?
19« Bientraitance » ne figure pas dans les dictionnaires. « Bientraitance » a été créé pour ne pas limiter un certain art du soin, de l’assistance et de l’accompagnement à une simple suite de bonnes pratiques et de techniques, ni au plus difficile évitement des maltraitances (ANESM, « Recommandations sur la bientraitance », 2008).
20La « bientraitance » concerne le soin, la compensation des déficiences, l’accompagnement de cette personne en situation de dépendance, qui ne peut vivre sans l’aide d’autrui, qui ne peut exercer par elle-même ses droits de citoyen. Le mot « bientraitance » a d’abord été utilisé en puériculture pour le soin de ces personnes particulièrement dépendantes que sont les nourrissons; elle ne se limite pas à une action professionnelle de qualité : on ne peut admettre qu’une action professionnelle ne soit pas de qualité !
21Il ne faut donc pas confondre la « bientraitance » avec les mots voisins : alors que la « bientraitance » concerne encore plus la personne en perte d’autonomie décisionnelle, celle qui a des difficultés à faire connaître ses souhaits et ses choix, la bienfaisance caractérise une action bénévole et volontaire. La bienveillance définit une action faite pour le bien d’autrui, mais la bienveillance a un petit air de supériorité qui révèle déjà une emprise sur l’autre. Pouvons-nous alors trouver une définition propre pour le concept de « bientraitance », définition qui éviterait ces obstacles et serait compréhensible par tous les intervenants ? Bien traiter, c’est reconnaître et se donner un certain nombre d’objectifs. Nul ne peut se dire, ni être toujours parfaitement bien traitant. Émettre des règles absolues de la « bientraitance », ce serait mettre toutes les équipes en échec. Ce serait laisser d’un côté pérorer des théoriciens de la « bientraitance », repus de l’autosatisfaction de celui qui ne connaît pas les réalités contemporaines du travail réel des personnels paramédicaux, de l’autre culpabiliser ceux qui quotidiennement font de leur mieux pour assister les personnes en situation de dépendance et prendre soin d’elles, mais qui sont conscients des limites que leur imposent cette dépendance.
22Toute situation de dépendance définitive est une violence, une maltraitance de fait. Le rôle des intervenants, quand ils ne peuvent faire disparaître cette violence qu’impose la nature, est d’accompagner la personne, de lui permettre d’utiliser ses capacités restantes, de lui assurer ses choix et souhaits, son confort de vie, d’atténuer ses douleurs, mais encore plus d’éviter ou d’atténuer ses souffrances. Aussi la « bientraitance » doit-elle être l’art d’éviter à la personne placée, par la maladie, en situation de dépendance, de ne plus se sentir pour autant en « situation d’indignité ».
23Comment parvenir alors aux objectifs de la « bientraitance » ? Dans La bientraitance : définitions et repères pour la mise en œuvre, publié en juillet 2008 par l’Agence nationale de l’Évaluation et de la Qualité des Établissements et Services sociaux et médico-sociaux (ANESM), il existe de nombreuses nuances et précisions destinées à éviter que la notion soit dépouillée de sa complexité et de sa richesse. La notion de « bientraitance » ne concerne pas que son champ d’application et n’est pas séparable de la société dans laquelle elle est pensée et utilisée. Elle se pense notamment en lien avec le droit international – Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948), Déclaration des Droits de l’enfant (1959), Déclaration des droits des personnes handicapées (1975) essentiellement – et avec le droit français – depuis le Préambule de la Constitution de 1946 jusqu’à la loi de 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées et la loi de 2007 réformant la protection de l’enfance. L’objectif d’une telle notion est de soutenir la réflexion, de promouvoir une démarche, une culture, une dynamique, et non de lister une série de mesures normatives. En ce sens, un « nous sommes bientraitants » devient une démarche d’amélioration, de réflexion et d’ajustement sur sa démarche soignante. Chaque service de gériatrie et chaque professionnel se situent à un moment donné dans cette démarche de certification : l’essentiel consiste à juger de la dynamique, de la mise en place de cette culture du doute, du questionnement, de l’évaluation, depuis des aspects organisationnels jusqu’à des aspects individuels. La « bientraitance » n’est donc pas un ensemble de principes ou de schémas éthiques : l’ANESM précise que cette « absence de détails et d’illustrations concrètes est due […] au fait que la bientraitance est une recherche et doit être réinventée, à partir de certains fondamentaux, par chaque établissement et service » [1]. La notion de « bientraitance » s’inscrit alors dans la continuité de nombreuses réflexions, notamment les travaux de Donald Winnicott [2] – ce qui se joue psychiquement dans la relation soignante –, ceux de Paul Ricœur [3] – la notion de sollicitude et les relations entre une institution/personne détenant le pouvoir et une personne en situation de vulnérabilité – ceux de Theodor Adorno [4] – la reconnaissance des personnes vulnérables et celle des professionnels afin d’éviter les mécanismes psychologiques collectifs qui ont conduit au phénomène des camps de concentration. « Parce que la bientraitance est l’interprétation concrète et momentanée d’une série d’exigences, elle se définit dans le croisement et la rencontre des perspectives de toutes les parties en présence », l’ANESM propose de classer ces exigences et objectifs dans cinq dimensions incontournables :
- une culture du respect de la personne et de son histoire, de sa dignité, et de sa singularité ;
- une manière d’être des professionnels au-delà d’une série d’actes ;
- une valorisation de l’expression des usagers ;
- un aller-retour permanent entre penser et agir ;
- une démarche continue d’adaptation à une situation donnée,
24et fournit quelques repères pour la mise en œuvre de ces dimensions à travers quatre grandes parties :
- l’usager coauteur de son parcours (donner une réalité à la liberté de choix ; l’accompagnement de l’autonomie ; la communication individuelle et collective ; un projet d’accueil et d’accompagnement défini et évalué).
- la qualité du lien entre professionnels et usagers (le respect de la singularité, fondement de l’intervention ; la vigilance concernant la sécurité physique et le sentiment de sécurité des usagers ; un cadre institutionnel stable).
- l’enrichissement des structures et des accompagnements par toutes les contributions internes et externes pertinentes (travailler avec l’entourage et respecter les relations de l’usager avec ses proches ; l’articulation avec les ressources extérieures ; la promotion de l’expression et de l’échange des perspectives ; l’ouverture à l’évaluation et à la recherche).
- le soutien aux professionnels dans leur démarche de « bientraitance » (une promotion de la parole de tous les professionnels ; une prise de recul encouragée et accompagnée; un projet d’établissement ou de service construit, évalué et réactualisé avec le concours des professionnels et garant de la « bientraitance »).
25La « bientraitance » telle qu’elle est ici définie apparaît comme une démarche ouverte, totalement en cohérence et en harmonie avec l’ensemble des approches contemporaines soignantes. Tous les fondamentaux et repères évoqués ci-dessus rejoignent les démarches d’amélioration des pratiques et d’adaptation soignantes aux particularités de ces personnes. Chacun des points déclinés est une étape dans ce travail de concrétisation de valeurs et de principes, permettant d’être de plus en plus ajusté à la personne vulnérable., i.e. mettre en place une organisation soignante cherchant à compenser ses altérations cognitives, prendre en compte ses désirs et non-désirs, et développer la communication non verbale et des outils spécifiques permettant de recueillir son avis et son ressenti, lui apporter soutien pour continuer à vivre en continuité avec ses valeurs et ses relations – ses altérations causées par la démence peuvent notamment l’empêcher de continuer à organiser concrètement sa vie en conformité avec ses valeurs.
26« Bientraitance », objectif de « bientraitance » ou simple recherche de qualité ? En suivant ces principes on peut espérer améliorer ses pratiques et évoluer vers un objectif de « bientraitance » : devons-nous vraiment utiliser le mot « bientraitance » ? On doit toujours craindre que ce soit au moment où un professionnel ou une équipe se proclament eux-mêmes « bientraitants » que commence la maltraitance. Se voir bien traitant permet d’ignorer la violence que représente la situation de dépendance, la mise sous l’emprise d’autres personnes. Comment peut-on prétendre « bien traiter » quelqu’un qui se trouve dans une situation qu’elle ressent comme une maltraitance envers elle ? S’il y a « bientraitance », c’est aux autres de le reconnaître. La « bientraitance » ne peut être qu’un objectif : nous pouvons définir des bonnes pratiques, des qualifications, des compétences, une déontologie, une conscience professionnelle qui aboutissent à une qualité mesurable, mais jamais idéale. Aujourd’hui, la relation traditionnelle médecin-patient persiste, mais se trouve enrichie d’éléments nouveaux. La loi du 4 mars 2002 [5] se fonde sur les approches historiques, médicales, philosophiques et juridiques, de respect de la personne et du concept d’autonomie, fondement de la prise de décision éclairée. Le patient est alors un sujet pensant et libre. La loi concrétise ici la volonté des professionnels de santé affichée depuis 40 ans de sortir du paternalisme issu d’une tradition médicale où le médecin ordonnait et le patient obéissait ou subissait. En effet, l’article (L.1110-5) précise : « les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort ». La pratique d’une « bientraitance », est-ce alors, pour le médecin, être responsable, « répondre de » ? La tentation est grande, ici, de réduire la relation médecin-malade à celle d’un échange de produits ou de services. Mais pouvons-nous évaluer objectivement notre propre vie et notre propre mort ? Cette situation s’explique dans le cadre d’une logique de gestion : il s’agit d’une auto-prise en charge par l’individu de son problème de santé. L’émergence d’un patient, acteur de sa propre médicalisation, s’inscrit dans le cadre d’un marché de soins. Finalement la tension entre les principes d’autonomie du patient et de bienfaisance du médecin peut trouver dans la protection des droits et des devoirs des uns et des autres un point d’équilibre acceptable. Mais le droit – instrument ou outil technique – peut-il trancher l’opposition éventuelle entre consensus et conflit ? De quels droits parlons-nous ?
27La « bientraitance » est un concept générique. Il peut être considéré comme antinomique de la notion de vulnérabilité, considérée dans sa dimension sociale et relationnelle. La « bientraitance » est tributaire d’un contexte relationnel : elle ne signifie pas absence de facteurs de maltraitance, un état, mais un processus. Elle peut être apparentée au concept de qualité de vie et contient comme ce dernier concept, des aspects objectivables et des aspects subjectifs.
La vulnérabilité et la philosophie du soin
28Dans les nombreuses tentatives de définition des « personnes vulnérables » ou des « situations vulnérables » que produisent les organisations qui les prennent en charge, la vulnérabilité renvoie à la fois à des caractéristiques sanitaires et à des situations sociales. Dans cette perspective, ces caractéristiques physiques et ces situations sociales appellent, en contrepartie, un devoir d’assistance, de protection, de prise en charge. De ce fait, la notion de vulnérabilité ne devient-elle pas une catégorie pratique, une catégorie de l’action plus qu’une catégorie d’analyse ? Les nombreuses tentatives de déploiement de la notion ou de déplacement de son approche, des dommages vers les facteurs de vulnérabilité, voire vers les capacités des acteurs ne témoignent-elles pas de la difficulté qu’il y a à faire de cette notion un concept d’analyse suffisamment précis pour être efficace ?
29La santé publique est ainsi en passe de devenir un élément constitutif de la question médicale contemporaine – sous la forme d’une préoccupation sociale pour les problèmes de subjectivation des individus – reconfigurant les rapports entre psychique et social. Les subjectivités à l’épreuve et la lutte pour la reconnaissance qu’elles engagent deviennent des enjeux centraux pour la société à partir du moment où elles sont thématisées comme une souffrance intrinsèquement liée à la vulnérabilité avérée.
30La philosophie de la vulnérabilité appelle un questionnement sur la représentation que chacun a de l’être humain et de celle du corps social, une interrogation des pratiques sociales, une réflexion sur les conditions du lien social. Quand les sciences humaines et sociales fusionnent – intentionnellement ou par ignorance – avec le modèle biomédical des sciences médicales, les « fragiles », et les « vulnérables » sont renvoyés avec commisération et distance à leur inexistence sociale supposée. Dans les mécanismes de cette biopolitique, il va s’agir d’abord de prévisions sanitaires. Il faut non seulement évaluer les risques dans un univers incertain mais surtout prévenir les effets induits et anticiper sur les conséquences probabilisées, en fonction de facteurs de vulnérabilité biologique qui deviennent des indicateurs de bonne ou mauvaise adaptation – la fameuse qualité de vie. Il s’agit aussi d’estimations statistiques : estimer la possibilité de réalisation du risque en fonction de facteurs qui rentrent dans des indicateurs globaux, de mesures globales – combien de vieillards susceptibles de devenir déments, d’adolescents d’avoir des conduites à risques, etc.
31À l’asymétrie redoutable soigné/soignant vient alors s’opposer la condition de l’être-avec – la rencontre malade/professionnel de santé – à partir de ce que nous avons en commun, la vulnérabilité : vulnérables l’un à l’autre, vulnérables l’un par l’autre, vulnérables l’un pour l’autre.
Bibliographie
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Notes
-
[1]
ANSEM, Recommandations de bonnes pratiques professionnelles, juillet 2008, p. 17.
http://www.anesm.sante.gouv.fr/IMG/pdf/reco_bientraitance.pdf -
[2]
Winnicott Donald, De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1969, p. 377 : « Grâce aux soins qu’il reçoit de sa mère, chaque enfant est en mesure d’avoir une existence personnelle et commence donc à édifier ce qu’on pourrait appeler le sentiment d’une continuité d’être. C’est sur la base de cette continuité que le potentiel inné devient graduellement un enfant qui a son individualité. Si les soins maternels ne sont pas suffisamment bons, l’enfant ne parvient pas à exister vraiment, puisqu’il n’a pas de sentiment de continuité d’être ; la personnalité s’édifie alors sur la base de réactions aux empiétements de l’environnement. »
-
[3]
Ricœur Paul, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 224 : « Bornons-nous à souligner la part que prennent les sentiments – qui sont en dernier ressort des affections – dans la sollicitude. Ce que la souffrance de l’autre, autant que l’injonction morale issue de l’autre, descelle dans le soi, ce sont des sentiments spontanément dirigés vers autrui. C’est cette union intime entre la visée éthique de la sollicitude et la chair affective des sentiments qui m’a paru justifier le choix du terme ‘‘sollicitude”. »
-
[4]
Adorno Theodor, « Éduquer avec Auschwitz » in Modèles critiques, Paris, Payot, 1984 : « On sent très vite ce qu’ont de faux des engagements exigés uniquement pour produire quelque chose – même le bien – s’ils ne sont pas ressentis profondément par les hommes eux-mêmes. Il est étonnant de voir la rapidité avec laquelle réagissent les hommes les plus naïfs et les plus stupides lorsqu’il s’agit de déceler les failles du meilleur. Ou bien ces soi-disant engagements servent de laissez-passer – on les accepte pour être reconnu comme bon citoyen –, ou bien ils suscitent haine et ressentiment, psychologiquement le contraire de ce à quoi ils sont censés servir. Ils signifient l’hétéronomie, la dépendance à l’égard de commandements ou de normes qui n’ont pas à se justifier devant la raison de l’individu lui-même. Ce que la psychologie appelle le sur-moi, la conscience, est remplacé, au nom de l’engagement, par les autorités extérieures, qui n’engagent à rien, et sont interchangeables, comme on a très bien pu le voir après l’effondrement du IIIe Reich. Le fait justement d’être prêt à jouer le jeu du pouvoir et à s’incliner extérieurement devant le plus fort qu’on érige en norme, constitue la mentalité de ces bourreaux qui ne doit plus exister. C’est pourquoi se recommander de l’engagement est si néfaste. Les hommes qui l’acceptent plus ou moins volontairement se trouvent dans une sorte de constant état de manque de commandements. La seule véritable force contre le principe d’Auschwitz serait l’autonomie, si je puis me permettre d’utiliser l’expression kantienne, la force de réfléchir, de se déterminer soi-même, de ne pas jouer le jeu. »
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[5]
La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (Journal officiel, n° 54, 05/03/2002, p. 4118).