Notes
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Menée en 1975 par Edward Tronick, psychologue du développement américain.
Olivier Bonnot, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au CHU de Nantes, analyse les effets de la dépression du parent sur la construction de l’enfant.
1Comment la dépression d’un parent influe-t-elle sur le tout-petit ?
À lire : Il pleut à la maison, de Céline Lamy (Éditions de Mortagne, 2018).
À lire : Il pleut à la maison, de Céline Lamy (Éditions de Mortagne, 2018).
3Olivier Bonnot : Ce qui compte, pour l’enfant, c’est la qualité du temps que le parent passe avec lui. Si ce dernier est dépressif, le bébé sent qu’il n’est pas vraiment avec lui ou qu’il l’est moins souvent, il y a des ruptures du contact inattendues. Le parent est dans l’échange, puis s’échappe de la relation, puis reprend le contact, etc. Une rupture de contact, en soi, n’est pas grave mais son aspect inattendu perturbe l’enfant. L’expérience still face [1] (« visage impassible ») a montré que, face au visage sans émotion de son parent, le tout-petit s’agite, comme pour lui redonner vie. Si cela ne marche pas, il devient apathique, ce qui n’est pas bon pour son développement, lequel exige qu’il soit curieux, actif, dans l’interaction. S’il ne l’est pas, son développement peut être perturbé, voire entravé.
4Et chez un enfant ou un adolescent ?
5Les conséquences sont moins délétères quand l’enfant comprend ce qui se passe. Mieux vaut lui dire : « Je ne vais pas trop bien ces temps-ci. J’ai des difficultés sans rapport avec toi. Elles n’auront pas de conséquences pour toi, mais elles en ont actuellement pour moi. » L’enfant comprend alors que le parent n’est pas en capacité de s’occuper de lui ou de jouer avec lui mais que cela va passer. Si cet état dure, l’enfant peut s’inquiéter, développer de l’anxiété – ce qui est normal. La dépression d’un parent affecte l’enfant plus âgé, mais pas de la même manière et pas autant que le bébé. Si les pédopsychiatres s’intéressent tant à la dépression du post-partum, c’est parce que les interactions précoces sont l’un des éléments constitutifs de notre personnalité.
6Mieux vaut donc ne pas cacher sa dépression à l’enfant, quitte à perdre un peu de son statut de parent protecteur…
7Que le parent en parle ou non, l’enfant se sentira moins bien protégé car, souvent, il ressent les choses. Mieux vaut lui expliquer (en s’adaptant à son âge, et sans chercher à tout dire), pour qu’il sache que son parent va tout mettre en œuvre pour sortir de cette situation. Sinon, il s’inquiète, se pose des questions et y apporte de mauvaises réponses, comme la culpabilité.
8Cela change-t-il quelque chose, que le parent dépressif soit le père ou la mère ?
9Ce qui compte, c’est la personne qui s’occupe le plus de l’enfant. Cela a longtemps été la mère, c’est moins vrai aujourd’hui. Si le père a un travail moins prenant que sa compagne et qu’il est dépressif, son état affectera plus l’enfant que si c’était sa mère. Si les deux parents sont très présents, la dépression de l’un sera « compensée » par la présence de l’autre, peu importe qu’il s’agisse du père ou de la mère.
10Comment l’adolescent vit-il la dépression de son parent, lui qui voudrait bien se détacher un peu et qui joue parfois un rôle d’aidant ?
11Ce n’est pas une période simple, pour plusieurs raisons. D’abord, la dépression provoque chez les proches des mouvements contradictoires : compassion, mais aussi colère, car on voudrait bien que le dépressif « se reprenne ». L’adolescent n’échappe pas à cette ambivalence, d’autant qu’il l’éprouve déjà naturellement avec des parents en bonne santé (« je les adore/ils m’énervent ») ! La dépression ne « fabrique » donc pas un sentiment particulier chez le jeune, mais elle intensifie les mouvements positifs (il voudrait protéger son parent) et négatifs (il ne le supporte plus). Par ailleurs, comme tout aidant, l’adolescent est traversé de sentiments ambivalents : empathie, mais aussi agacement, culpabilité. Enfin, cette dépression parentale peut faire écho chez lui aux mouvements dépressifs qu’il ressent, lui qui doit faire le deuil de son enfance et aborder une phase de transformation de soi génératrice d’anxiété.
12La vulnérabilité psychique se transmet-elle ?
13Les enfants de parents dépressifs ont en effet plus de risques de l’être. On ne sait pas encore bien comment cela se transmet : il y a probablement une forme de disposition génétique à la dépression, ainsi qu’une part d’épigénétique qui, au-delà du patrimoine génétique, se transmet de génération en génération. Grandir dans un environnement déprimant, auprès d’adultes qui ne sourient jamais et cumulent des difficultés, peut faire s’exprimer une forme de prédisposition à la dépression. Mais il existe quantité d’autres facteurs qui vont dans le sens de cette prédisposition ou, au contraire, la contrarient.
14L’enfant est-il un soutien ou un poids pour le parent dépressif ?
15Difficile de répondre de manière univoque ! D’un côté, le parent sent bien qu’il ne devrait pas « utiliser » son enfant pour aller mieux : ce n’est pas le rôle d’un enfant. De l’autre, l’enfant peut aussi être un ressort, une motivation pour aller mieux. Et, en même temps, s’occuper d’un enfant peut être vécu comme une charge supplémentaire, alors qu’on a déjà du mal à tenir debout soi-même ! Mais un enfant, c’est plutôt solide… Un parent peut donc s’autoriser quelques faiblesses sans que cela ait des conséquences fâcheuses. Bien sûr, il doit essayer de se soigner. Mais je ne connais personne qui ait élevé son enfant de 0 à 18 ans en sifflotant, le sourire aux lèvres !
Il traverse la vie avec une cuirasse
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Menée en 1975 par Edward Tronick, psychologue du développement américain.