Notes
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[1]
Unité de recherche SHERPA http://www.sherpa-recherche.com/fr/sherpa/sherpa/, notamment le projet What if the walls could talk about us ? qui est réalisé dans une coopération entre le SHERPA et le Musée des Beaux-Arts à Montréal.
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[2]
Les associations les Francas et AIFOMEJ et le Musée des Augustins.
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[3]
Le nom a été changé pour maintenir l’anonymat.
1Dans un contexte où le contact entre différents groupes culturels peut être marqué par l’appréhension, la peur, ou même un certain rejet de « l’autre culturel », les processus liés à l’appréhension de la différence culturelle peuvent s’avérer difficiles, notamment pour les enfants qui font partie de minorités et vivent dans des quartiers défavorisés. Le manque de maitrise de codes culturels et de connaissances concernant le patrimoine peut accentuer une mise à l’écart de ces enfants, ainsi que la survenue de difficultés à établir des liens entre l’espace du familier à la maison et les espaces culturels de la ville. Ceci est notamment le cas quand les enfants appartiennent à des minorités exposés à un regard dévalorisant, car un tel regard peut impacter l’estime de soi et la construction identitaire (Cyrulnik 2002). La médiation artistique semble être un outil intéressant pour favoriser la construction de liens entre les différents « univers culturels » auxquels les enfants sont exposés dans la famille, à l’école et dans les lieux culturels de la ville, permettant ainsi de valoriser leurs appartenances plurielles (Rousseau et al. 2004).
La recherche-action « Et si les murs parlaient de nous »
2La recherche-action présentée ici explore les possibilités de favoriser la résilience et la capacité des enfants de s’adapter aux environnements culturellement complexes par une intervention de médiation artistique et culturelle. Elle s’inspire des recherches-actions par l’équipe SHERPA à Montréal qui nous a également supervisées ponctuellement sur notre projet. [1] Pour adapter notre recherche-action aux réalités locales, nous avons mis en place un partenariat avec le Musée des Augustins et deux associations de quartier à Toulouse, [2] l’objectif étant de favoriser des processus d’interculturation permettant de mobiliser, de mettre en lien, d’intégrer et de transformer des représentations culturelles (Guerraoui 2009, Rousseau et al. 2004).
3Quatre groupes d’environ 10 enfants, âgés entre 6 et 11 ans, ont participé à l’action, avec deux groupes (enfants de 9 à 10 ans) issus du quartier Saint Michel et deux groupes (enfants de 6 à 9 ans et enfants de 9 à 11 ans) du quartier Empalot. Accompagnés par les intervenants des associations de leur quartier et d’une médiatrice artistique du musée des Augustins, chaque groupe a participé à un cycle de cinq séances, avec des séances alternant les sorties au musée et le travail d’appropriation et de création dans les locaux des associations partenaires de leur quartier. Chaque cycle était clôturé par une restitution, sous forme d’exposition d’une partie des productions à l’école des enfants.
Méthode
4Pour amorcer une réponse à notre question de recherche (y a-t-il processus d’interculturation ? Sous quelle forme et à quelles conditions ?), nous avons mis en place une méthodologie qualitative combinant l’observation participante lors des ateliers et la mise en place de focus-groups avec les animateurs des ateliers après la clôture des interventions. Les données ont été analysées suivant une démarche de codage inspirée par la théorie ancrée.
Premiers résultats
5Dans les groupes des deux quartiers, nous avons pu observer un processus d’appropriation créative du patrimoine à travers de l’exploration du « monde du musée » et l’appropriation de techniques de création lors des ateliers. Ceci n’a pas seulement amené les enfants à intégrer des connaissances et un savoir-faire technique, mais aussi à créer des liens entre l’univers culturel qu’ils étaient en train de découvrir, et leur environnement habituel (la famille, l’espace scolaire et périscolaire, le quartier). Toutefois, nous avons pu constater que la forme de ce processus, et les obstacles rencontrés par les enfants pouvaient être variables, en fonction de leur position subjective et relationnelle (estime de soi, confiance), et en fonction de leurs expériences antérieures (familiarité avec les lieux culturels du centre-ville, expérience de visites au musée en famille).
6Pour les enfants pour lesquels le musée représentait un lieu peu familier et qui n’avaient pas la possibilité de s’appuyer sur des expériences d’exploration d’univers culturels semblables dans le cadre familial, un processus d’appropriation ludique de l’univers culturel du musée était possible, mais il semblait dépendre de certaines conditions. En premier lieu, nous avons pu constater l’importance de personnes jouant le rôle d’initiateurs. Ce rôle implique tout d’abord un savoir, voire une familiarité avec l’espace culturel que l’enfant découvre. En outre, il est caractérisé par une disponibilité émotionnelle et relationnelle, une bienveillance et une disposition à répondre aux questions des enfants. En absence de personnes incarnant cette fonction, les enfants peu familiers avec l’espace culturel du musée perdaient rapidement l’intérêt et semblaient dissipés. L’engagement des enfants semblait particulièrement important quand les enfants pouvaient s’identifier à l’initiateur, en se mettant progressivement dans le rôle d’acteur et créateur.
7Sadek [3] a 10 ans et il est en CM1, il paraît peu confiant en lui et en rapport difficile aux tâches scolaires. Lors du premier atelier, les enfants sont amenés à créer un monstre d’argile. Au début de l’atelier, Sadek se met à l’écart et reste silencieux, exprimant désintérêt, lassitude, retrait et dépréciation. Néanmoins il accepte de participer et commence sa création. Il n’aime pas son monstre et constate : « le mien est le plus moche ! » La médiatrice s’approche, regarde, et répond : « c’est un compliment pour un monstre… ! » Ce commentaire qui recadre sa perception lui permet de continuer son travail, d’y intégrer des éléments des monstres vues au musée, mais aussi des figures imaginaires, et surtout un être très fragile : dans le ventre du monstre il y a un bébé…
8Le rôle d’initiateur pouvait d’ailleurs être incarné par différentes personnes. L’initiatrice principale était la médiatrice artistique du musée, mais par des moments ce rôle était également joué par les animateurs accompagnant les enfants ou par la stagiaire psychologue qui faisait l’observation participante. Dans un processus d’identification avec les initiateurs les enfants ont commencé, progressivement, d’expérimenter eux-mêmes le rôle d’initiateur - en expliquant ou montrant ce qu’ils avaient appris aux autres enfants du groupe, aux enfants qui n’avaient pas participé à l’action ou encore, lors de l’exposition, à leurs parents. Dans un des groupes, les enfants se sont tellement identifiés aux initiateurs qu’ils ont spontanément décidé de se faire des badges de « médiateur » pour définir le rôle qu’ils allaient occuper auprès de leurs camarades et des parents venus à l’exposition de fin de cycle.
9Le deuxième élément facilitant l’appropriation créative des espaces culturels peu familiers était une certaine « ritualisation » dans l’organisation des visites et des ateliers. Les moments d’ouverture et de clôture, de mise en lien entre les différentes séances d’atelier semblaient jouer le rôle d’un cadre contenant, rassurant les enfants et facilitant les mouvements d’exploration tout en contenant l’excitation suscitée par les sorties.
10La dimension relationnelle de ce cadre et des processus de transmission d’un savoir est apparue lors d’une visite où les enfants avaient un matériel de médiation (une « mallette » avec des audio-guides), mais exploraient le musée sans l’accompagnement de la médiatrice. Lors de cette sortie, les enfants ont entamé la visite à toute vitesse, ce qui a laissé peu de place pour l’exploration active, le questionnement et la mise en lien des nouveaux savoirs avec les connaissances et expériences des enfants. Les enfants sortaient beaucoup plus dispersés de cette visite, et disaient après coup que « la visite était très longue », ce qui contrastait avec l’expérience rapporté par l’autre groupe de la même école qui avait été beaucoup plus centré sur l’atelier et qui regrettait qu’ils aient eu « si peu de temps ».
11Un troisième facteur important pour la mise en lien de différents univers culturels était l’échange verbal, avec la proposition d’explications à travers la narration et le récit. Pour certains d’entre les enfants, la visite du musée était la première occasion de découvrir cet espace, ce qui a soulevé beaucoup de questions : Pourquoi cette toute-présence de symboles religieux dans un musée ? Pourquoi l’exposition de corps nus dans les œuvres ? Avec la disponibilité de la médiatrice, et l’organisation d’un temps avant d’entrer dans le musée pendant lequel elle a pu expliquer l’histoire du musée, son passé de monastère et aborder la question de la représentation du corps nu dans l’art, les enfants ont pu explorer ce lieu sans être pris dans l’incompréhension ou le sentiment de transgresser des interdits religieux en rentrant dans un lieu sacré d’une religion qui n’était pas forcément celle de leurs parents.
12Au-delà du processus groupal d’exploration et d’appropriation, nous avons pu observer des processus individuels qui engageaient les enfants dans un remaniement qui permettait de changer, par moments, les facettes qu’ils ont pu montrer d’eux-mêmes, ou le regard qu’ils portaient sur leurs compétences. Les créations originales des enfants témoignent de ce qu’ils ont appris, mais leur caractère unique nous montre aussi la créativité des processus de mise en lien de représentations familières et moins familières.
Bibliographie
Bibliographie
- Cyrulnik B. Un merveilleux malheur. Paris : Odile Jacob ; 2002.
- Guerraoui Z. De l’acculturation à l’interculturation : réflexions épistémologiques. L’autre. Cliniques, Cultures et Sociétés 2009 ; 10(2) : 95-100.
- Rousseau, C. et al. Creative expression workshops for immigrant and refugee children. Journal of the AmericanAcademy of Child and Adolescent Psychiatry ; 43(2) : 235-238.
- Ungar M. Resilience across cultures. British Journal of Social Work 2008 ; 38 (2) : 218-235.
Mots-clés éditeurs : activité culturelle, environnement social, espace transitionnel, art, enfant, activité créatrice, relation interculturelle, médiation artistique
Mise en ligne 08/07/2019
https://doi.org/10.3917/lautr.058.0090Notes
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Unité de recherche SHERPA http://www.sherpa-recherche.com/fr/sherpa/sherpa/, notamment le projet What if the walls could talk about us ? qui est réalisé dans une coopération entre le SHERPA et le Musée des Beaux-Arts à Montréal.
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Les associations les Francas et AIFOMEJ et le Musée des Augustins.
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Le nom a été changé pour maintenir l’anonymat.