L'Autre 2014/2 Volume 15

Couverture de LAUTR_044

Article de revue

Le confiage : mécanismes et enjeux relationnels

Pages 167 à 177

Notes

  • [1]
    Bàjjan : tante paternelle.
figure im1
© Héloïse Marichez-Noufal, septembre 2013, Mit Badr Halawa, Egypte.

1On parle de confiage quand l’enfant n’est pas un descendant direct de la première génération du chef de ménage et/ou de son (ses) épouse (s) (Guillaume et al 1997). C’est une pratique universelle vieille comme le monde, mais dont la fréquence en Afrique de l’Ouest est encore plus importante (Pilon 2003). Ce mode de circulation des enfants très codifiée dans le passé a vu ses règles s’effriter en corrélation avec la déchéance du tissu social africain. En effet, sous la rencontre avec la nouvelle culture venue d’ailleurs, des piliers du système culturel des pays africains se sont fortement fragilisés avec des modèles de substitution qui tardent à s’imposer. Cette situation a vu la société africaine groupale d’antan, se transformer vers une société individuelle (Collomb 1970). Ce contexte nouveau a mis en position de fragilité des groupes auparavant surprotégés à cause probablement de leur manque de productivité, entre autres les enfants et les personnes âgées. Le vieillard était dépositaire de la sagesse et de la science, en référence à la phrase d’Amadou Hampaté Bâ : « En Afrique un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle ». Les enfants pouvaient se voir investir d’un pouvoir surnaturel, par exemple une personne âgée réincarnée (Rabain 1979). Le nouvel élan apporté par le monde modèle occidental a tenté de remplacer cette part de surnaturel par une science pragmatique. La société groupale a été substituée par une société de production où le faible est exposé, transformé en un fardeau parfois lourd.

2Porcelli (2011a, 2011b) a noté l’intérêt faible apporté par les psychologues pour ce thème. L’école de Dakar n’en est pas en reste, ce répertoire est absent du riche répertoire local. Ceci est peut-être lié à la grande valeur que véhiculait le confiage, en tant que facteur qui participe à la pérennisation du groupe (Lallemand 1993).

3La multiplication dans les dernières décennies d’incidents qui ont trait au confiage, à savoir la scolarisation, le travail des enfants, les orphelins du VIH SIDA (Pilon 2003), rapportées par les ONG de l’enfance nous a interpelés dans la recherche des processus psychopathologiques qui sont susceptibles d’agir dans les situations de confiage.

4L’objectif de cet article est d’étudier les liens relationnels en jeu dans le confiage et ses éventuelles répercussions sur la vie de l’enfant.

Méthodologie

5Il s’agit d’une étude qualitative concernant cinq patients suivis dans le cadre de notre consultation en l’hôpital psychiatrique. Ces personnes reçues ont spontanément rapporté une notion de confiage dont ils ont fait état, personnellement ou à travers leur accompagnant. Le confiage était alors indexé comme étant en quelque sorte la cause des souffrances que vivaient ce groupe et/ou cette personne. Ce contexte nous a alors poussés à chercher des hypothèses entre le confiage et cet état de souffrance. Pour ce faire nous avons utilisé une méthode d’entretien non dirigée où les informations apparaissaient en faveur du déroulement du processus en cours. Nous avons rarement interrompu les consultants pour poser des questions. Cette technique permet de travailler à temps t dans le présent. Cependant, cette technique présente l’inconvénient de passer à côté d’informations nécessaires au diagnostic. Mais elle offrait une meilleure sécurité du cadre et également une meilleure qualité relationnelle.

Observations

Observation 1 : Bana

6Bana est âgée de 15 ans et vient par la référence d’une sage-femme. Elle présenterait des troubles du comportement et une inhibition psychomotrice. Elle fut confiée dès l’âge de trois ans. Bana retourne chez ses parents depuis 3 ans, période à laquelle les troubles ont commencé. Elle a alors présenté un changement de comportement avec inhibition psychomotrice qui n’a pas attiré l’attention, car prise pour un accroissement de sa timidité. Seule sa mère s’est inquiétée de cette situation, mais s’est contentée des réassurances de la bàjjan[1]. En effet, elle était surtout habitée par la crainte de s’immiscer et de troubler dans la relation fraternelle. Les répercussions de cet état s’aggravèrent alors avec le temps, notamment sur la scolarité de Bana. Elle a ainsi continué de suivre à distance sa fille. C’est dans ce contexte qu’elle a profité de la venue de Bana en vacance pour la garder, devant d’abord des conduites de fugues qui ont majoré les troubles du comportement. Ensuite Bana fut surprise en plein acte sexuel avec une personne ivre, mal fréquentable. Impuissante, sa maman usa d’une bastonnade au décours de laquelle Bana révèla à avoir été sexuellement abusé par un voisin quand elle vivait encore chez sa bàjjan. La mère décide dès lors de changer de stratégie qui consistait à suivre les praticiens traditionnels qui avaient toujours évoqué un syndrome de possession par un Djinn. Elle aurait cependant perdu beaucoup d’argent.

7Bana est indifférente durant toute la consultation sauf dans des moments où elle laisse transparaître une pseudo béatitude liée à une question qui la concernait directement ; elle s’est exprimée de manière très détachée émotionnellement.

Commentaires

8On note ici un isolement de Bana, devant une attitude maternelle très attentive, mais observatrice par peur de s’immiscer dans une relation fraternelle. On assista alors à une escalade des signes d’appels qui allèrent de l’échec scolaire aux tentatives de fugues, en passant par l’une inhibition psychomotrice et l’isolement social. Le confiage s’accompagne souvent d’une attitude de détachement (Rabain 1979) qui est requise, consacré par le terme : yax yi laa la laaj (traduction littérale : on ne te réclame que ses os ; c’est-à-dire : tu ne me rendras que sa dépouille). Rendre souvent visite à l’enfant confié serait un manque de confiance envers la personne qui l’a accueilli.

9Derrière les appels de détresse de Bana se cachait un abus sexuel. Les rapports sexuels avec la personne ivre traduisent une situation où l’on peut deviner la participation cette fois-ci active de Bana. Ce geste s’apparente à la notion d’identification à l’agresseur mis en évidence par Ferenczi (1935). C’est une réaction autoplastique (se modifiant elle-même), la personne s’altère pour ne pas perdre le lien avec l’objet agresseur. L’enfant est alors confus à la fois victime et coupable, résultat d’un clivage important. Cette situation aggravée par le silence de l’adulte et le déni de la réalité qui entoure l’abus (Press 2005).

10D’autre part, on note un sentiment de culpabilité chez la mère. Cette notion rapportée par Gebber cité par les Ortigues (1993 : 11) : « Toute mère se sent coupable de la maladie de l’enfant. Cette culpabilité serait amplifiée en Afrique par les croyances et les traditions. La maladie signe au vu et au su de tous que les règles du clan n’ont pas été respectées. Ainsi les petits malades renvoient à leur mère une mauvaise image d’elle-même. Les mères ont honte. L’indifférence apparente, puis la sollicitude dès que le petit malade s’achemine vers la guérison, peuvent ainsi s’expliquer. »

11La mère est narcissiquement atteinte car de son attitude dépend le futur de l’enfant. « Quand l’enfant réussit c’est l’œuvre de tous, et quand il échoue c’est l’œuvre de sa mère » ou « liggéeyu ndey anu doom » (traduction littérale : plus la femme est brave, plus l’enfant a les chances de réussir. »

Observation 2 : Djama 23 ans

12Djama nous est référée par un collègue généraliste pour dyspnée réactionnelle à des évènements de vie. Elle en situe le début à l’âge de cinq ans. Djama rapporte aussi une insomnie et une inappétence.

13Elle nous fait part de sa biographie très chargée avec notamment un confiage à sa bàjjan, puis à sa sœur. Elle qualifie son enfance de difficile, car victime de plusieurs maltraitances.

14Elle vit maintenant en famille, ou elle rapporte une vie rythmée par des humeurs négatives et un manque de compassion de la part de quelques membres de sa famille notamment sa mère et ses sœurs. Son père serait moins présent. Cette situation fait qu’elle s’isole et ne participe que faiblement aux activités de la maison, préférant mener sa vie en dehors. Elle est souvent en proie à des céphalées en rapport avec des vécus frustrants.

15Actuellement elle est mariée et mère d’un enfant de quelques mois. Sa vie conjugale est instable avec nombreux conflits et des soupçons d’infidélité envers son mari.

Commentaires

16Djama présente de troubles somatiques en lien avec son vécu angoissant.

17La vie avec une partie de la famille est conflictuelle, aggravée par la présence de clivages. D’un côté on retrouve un clan formé par sa mère et de ses sœurs, en opposition avec son père peu présent et dont le manque de soutien à Djama fait que l’équilibre de la balance relationnelle n’a pu s’établir. Son clivage psychique comme moyen de défense acquis semble entrer en écho avec celui de la maison, divisée en plusieurs clans sans aucun échange affectif réel.

18Le mariage fut alors un bon prétexte pour se refaire une nouvelle vie loin de ce tumulte familial. Ce mariage qui était censé lui offrir le bonheur que le monde lui refusait depuis son enfance s’est vite tourné en un déjà vécu ; les conflits ont repris, seuls les signifiants ont changé.

Observation 3 : Ramatoulaye

19Ramatoulaye 14 ans, nous est référée par un infirmier pour des crises épileptiformes.

20Elle est accompagnée de sa bàjjan avec qui elle partage la chambre. Elle est confiée depuis l’âge de cinq ans à une autre bàjjan, grande sœur de la première, qui n’avait pas d’enfant. Ramatoulaye partage ce statut avec Modou un autre enfant confié qui est de deux années son cadet. Elle est silencieuse lors du premier entretien, laissant beaucoup de place à sa bàjjan qui répond à presque toutes les questions. Elles habitent dans une des îles de Dakar. Les crises en questions sont apparues a deux reprises, une à la maison, une autre à l’école. Elles sont toujours précédées de période de stress. On note une aura à type de pleurs, de hoquet, de vertiges. Elle a alors l’impression d’être possédée avec absence totale de maîtrise sur ce phénomène. L’accès dure une dizaine de minutes, suivi d’un mutisme de quelques heures. Puis elle devient instable, irritable, insolente, en rupture avec son caractère mature habituel qui fait d’elle un enfant modèle. Ces qualités sont très louées par sa bàjjan qui banalise par ailleurs cette attitude : « Un enfant doit être comme ça s’il veut réussir dans la vie. »

21C’est au tour de la tante de s’épancher sur les difficultés quotidiennes telles que la lourdeur de la vie sur cette île. « Les lingères sont hors de portée, ce qui nous oblige souvent à faire notre propre linge, les sources de distractions sont réduites, uniquement la plage, tout devient calme dès le crépuscule. Cette vie semble faite pour les enfants qui s’y épanouissent mieux… »

22La sérénité de Ramatoulaye a d’emblée été frappante, en rupture avec le désarroi manifesté par sa bàjjan.

Commentaires

23Il existe une interaction complexe entre Ramatoulaye et les membres de sa famille. La relation fusionnelle s’est révélée entre elle et sa bajjàn, au cours des entretiens ; celle-ci a alors occupé toute la place et s’est aussi accaparée la problématique de Ramatoulaye qui semblait quant à elle insouciante. Par contre l’éducation de type rigide dont elle a bénéficié lui offre un champ d’action réduit. Ses « caprices » ne s’extériorisent que lors des périodes critiques où le mauvais s’empare de sa personnalité agréable, ce qui constitue des moments de dissociations dont elle ne garde pas de souvenirs.

24Cette île semble être promue aux enfants qui seuls ont le droit de s’épanouir, de la quitter pour aller à l’école. Ramatoulaye aussi peut se rendre chez ses parents biologiques les week-ends. Pour ce qui est des adultes, la mer les garde jalousement pour elle, ceci de façon presque constante.

25Comme la maison, la mer n’est pas très contenante, les enfants peuvent s’échapper et pas les adultes.

Observation 4 : Gnagna

26Gnagna, âgée de 12 ans, nous est amenée en consultation par une sagefemme. En effet elle aurait été saisie par la tante maternelle dans le but de vérifier sa virginité, devant une suspicion d’abus sexuel.

27Gnagna visiblement inhibée, se montre dans une apparence normale avec des réponses correctes et courtes. La sage-femme ayant constaté un hymen absent depuis fort longtemps a quand même pris la peine de donner une réponse affirmative à la demande. Gnagna revenait tout juste d’une fugue d’un peu plus d’un mois dans un village éloigné d’une centaine de kilomètres de Dakar. La famille d’accueil a eu du mal à lui soutirer des informations, tant elle a tout fait pour ne plus jamais quitter cette zone enclavée dont on ne sait toujours pas comment elle a fait pour y accéder.

28De cette entrevue il s’est révélé que Gnagna était confiée à sa tante maternelle qui vivait en promiscuité avec son mari et un autre enfant orphelin du même âge. Ils partagent la vie dans une chambre en location. Les parents de Gnagna ont divorcé, son père vit dans le même quartier et sa mère, qui avait hérité de sa garde a dû s’en séparer, ne pouvant pas se permettre de l’amener dans son nouveau ménage. Les parents ne communiquent plus depuis leur séparation, Gnagna se chargeant d’être leur interlocuteur si nécessaire. Ses études sont chaotiques avec de multiples redoublements.

Commentaires

29Gnagna a évolué dans un cadre de vie chaotique, elle est laissée à elle-même dans les bras d’une tutrice qui la garde « par défaut ». Les conséquences sont graves : activités sexuelles précoces, échecs scolaires. L’absence du cadre sécurisant à son développement fait défaut. La fugue vers nulle part, un village lointain, où elle tente de redevenir une fillette normale, en témoigne. Gnagna était dans une tentative de refaire son confiage, consciente de l’échec de celui dont elle avait été l’objet. Elle tentait de s’approprier les attributs parentaux, c’est-à-dire de trouver les moyens de se mettre elle-même en sécurité.

Observation 5 : Babacar

30Babacar a 28 ans et revient dans notre service après une première fréquentation éclair d’il y a un an et demi. Il venait de faire l’expérience d’une autre consultation dans une structure psychiatrique de Dakar. Les plaintes sont identiques malgré plusieurs médications, mais l’expression est toute autre : « ma foi en la religion a diminué et je veux une aide pour la retrouver. » Auparavant, il se plaignait : d’« idées obscènes envers Allah et/ou son prophète. » Pour la seconde plainte a remplacé la première.

31Depuis un an et demi, il parcourt le pays avec son père à la recherche d’un thérapeute traditionnel. Il poursuit son discours : « la vue de la mer et des étoiles ne m’émoie plus, ce qui est encore une preuve de la perte de ma foi. »

32On note par ailleurs que la foi occupe une large place chez son père, fervent pratiquant de la religion musulmane.

33Babacar rapporte qu’il a été confié à sa grand-mère maternelle dès son jeune âge dans le but « d’y mourir », étant maladif. Il aurait survécu par miracle puis guérit à l’âge de trois ans. Ce n’est qu’à l’âge de dix ans qu’il retourna chez son père dans le but d’assurer sa scolarisation. Babacar échoua à son examen de passage en cycle secondaire à cause de « terribles angoisses qui l’envahissaient, liées à la nostalgie de sa grand-mère » ; ceci malgré toute la rigueur que lui imposait son père. Il partit l’année suivante à l’intérieur du pays chez son homonyme ou il passa deux années avant de retourner chez sa grand-mère et de s’enrôler dans le secteur informel.

34Babacar en marge de ses activités professionnelles, fréquente souvent la mosquée et offre gratuitement ses services. Ce qui fait de lui une personne très estimée dans son quartier et lui offre une responsabilité dans l’entretien de la mosquée.

35Sur le plan clinique, Babacar rapporte une insomnie, une inappétence, des idées péjoratives et des ruminations anxieuses.

36Le début de ces troubles survint dans un moment où il engagea dans un projet de mariage. Pour ce fait, il avait contracté un prêt à la banque. Mais la visite, pendant la nuit, de l’ange de la mort, lui donna l’impression d’une mort imminente. Il vécut alors un mois particulier où il veilla à rester pur en permanence. Au décours de cette période, il résilia son prêt et rompit ses fiançailles.

37Après deux années d’accalmies, c’est lors d’un rapport sexuel que ses troubles réapparurent.

38Ce tableau dure depuis deux ans.

Commentaires

39Babacar est un habitué des faits. Il étale des problèmes de santé depuis trois ans et consulte aussi bien les médecins que les thérapeutes traditionnels. Cependant le fait de le revoir entre deux visites espacées d’une année et demie nous montre qu’il garde la même perturbation émotionnelle profonde, mais que le signifiant a changé ; de « idées obscènes envers Allah ou son prophète. » À « ma foi en la religion a diminué et je veux une aide pour la retrouver. »

40Babacar est ambivalent avec une haine envers son père qu’il accuse de ne pas lui avoir apporté de l’aide quand il en avait besoin, et une admiration quand son objet perdu se trouve être l’objet détenu par son père : la foi en l’islam. Il lui en veut de ne pas avoir pu l’assister, cause pour laquelle ce père ne pouvait pas être à l’origine de son succès dans la vie. Ce rôle revenait d’office à son sauveur (sa grand-mère).

41Babacar est dépossédé de son moi, c’est ce que Press (2005) nomme confusion topique qui est en même temps une confusion identitaire. Ces personnalités formées uniquement de ça et de surmoi, qui plus est, constitue un surmoi d’emprunt, ici celui de son père muni de sa foi inébranlable. Ce mode d’être est à l’origine de la dépression que présente Babacar.

42Un autre point tout aussi important à souligner représente la fonction de la sexualité et de l’union chez Babacar. Ses deux principales rechutes ont lien à ces signifiants. Il pourrait s’agir d’une violente répression contre toute idée de reproduire l’erreur parentale.

Discussion

Qui est confié

43Le sexe féminin a été plus représenté dans notre échantillon. Thérèse Agoussou (1995) parlait déjà d’une plus grande exposition des filles aux maltraitances. Cette maltraitance est très présente dans nos observations.

44Cela peut nous permettre de poser des hypothèses sur l’incidence du genre dans la pratique du confiage.

45Une inégalité de genre a toujours prévalu dans nos sociétés traditionnelles. Les hommes étaient prisés à cause du rendement aux travaux champêtres (Diop 1985), ce qui faisait d’eux un investissement dans le long terme et un garant de la pérennité de la lignée.

46La femme quant à elle, est prédestinée au séy (traduction littérale : quitter la maison familiale par le biais du mariage) dont la finalité est le seey (traduction littérale : se fondre dans la famille d’accueil).

47Elle est utile pour les tâches domestiques. Ce type de soutien a été rapporté comme motif de confiage par certains auteurs (Pilon 2005, Rabain 1979).

48Le confiage du garçon avait plutôt lieu vers l’âge de cinq ans (Diop 1985), où la nécessité de forger son caractère d’endurance à toute épreuve et le besoin de lui assurer une bonne éducation religieuse, imposait un confiage chez le marabout, Jurut du yërëm (traduction littérale : l’étranger n’a pas pitié).

49Ce type de confiage est plutôt guidé par le besoin d’aider l’enfant à mieux se bâtir.

50Ce qui nous permet d’évoquer que le garçon est destiné à revenir à la maison, ce qui n’est pas le cas pour la fille ou tout au plus elle ne ferait qu’un transit pour ensuite se marier et repartir.

51Un des problèmes objectivés est la difficulté de retour de confiage. Il a été pour la plupart conflictuel dans notre série. Cette situation a alors créé à la longue une situation de séparation ; la personne confiée présentant une difficulté d’adaptation qui le pousse à l’isolement et à la solitude.

52Une absence de parole a souvent accompagné cette notion de confiage. Ce vide langagier n’est pas sans rappeler le trauma, situation où le langage est extirpé de la relation. Ce non-sens a été mal vécu par la plupart de nos consultantes. Ce manque de mots pour des maux a souvent retourné la responsabilité sur le ou les parents : accusés de trahison, de défaillance à une protection qui leur revenait d’office. Un coup dur est alors porté sur l’image symbolique parentale. L’enfant perd confiance en lui et se lance dans une quête de dépendance qui l’éloigne de son autonomie. Ce qui laisse la porte ouverte à une mésestime de soi, un manque de confiance et des difficultés relationnelles (Corneau 2007).

53La limite ténue entre le confiage et la maltraitance nous interpelle. En effet, beaucoup de nos consultants ont rapporté cette notion de maltraitance. Ce qui nous pose à discuter cette affirmation : le confiage est-il potentiellement traumatique ? Si oui, cet acte se déroule dans le cercle restreint familial et semble autorisé par le cadre sociétal. L’enfant a le droit d’être maltraité à condition que le bourreau porte le masque d’un identifiant familial car la bajjàn est souvent la personne à qui l’on confie.

Celui qu’on confie

54Ce sont des femmes qui accueillent souvent les enfants confiés.

55La femme n’est pas la chef de famille, mais détient une fonction importante. Les hommes souvent absents, occupés ailleurs, ce sont les femmes qui passent le plus de temps à la maison. Elles seraient même la chef de la chambre conjugale, tandis que les hommes le sont en dehors.

56Ce sont souvent à cause de leur statut que le confiage se fait, à savoir la stérilité ou le nombre d’enfants restreint. Parfois ce sont des ressources familiales qui font défaut à la famille d’origine de l’enfant, comme l’éducation, la sécurité. Parfois il s’agit de renforcer un lien familial préexistant.

57Les autres formes de confiage répondent à un réajustement face à de nouveaux contextes qui imposent une nouvelle configuration et redistribution familiale (Delanauy 2009, Diop 2010). Le confiage n’a pas échappé au nouveau contexte socio-économique. De nouvelles situations telles que l’accroissement de l’urbanisation, les nouvelles formes de production et la pauvreté ont eu raison du système traditionnel de circulation des enfants et rendent le confiage de plus en plus difficiles pour les enfants, car ne répondant plus au système de régulation culturelle d’antan (Collignon 1995, Agossou 1995). Ce qui ouvre la voie à des abus, situations d’exploitation, de maltraitance, de négligence ou d’abandon (Delanauy 2009, Diop 2010).

58C’est ainsi que d’autres personnes héritent du confiage comme les grands-parents (aînés), d’autres membres de la famille, surtout ceux qui ont financièrement réussi ou qui sont capables de garantir la sécurité de l’enfant. Dans ce critère entrent en jeu des personnes étrangères à la famille.

Le confiage à la bàjjan

59La bàjjan est considérée comme un père féminin : baay-bu-jigeen (traduction littérale : le père féminin) (Diop 1985). Aux yeux de l’enfant, elle incarne la bisexualité psychique. C’est la première personne qui d’office à droit au confiage dans la société wolof, surtout si elle n’a pas d’enfant. En effet, elle a droit de regard et de critique sur l’éducation de ses neveux et nièces. Elle a le droit de retirer l’enfant de sa famille en cas d’incident, grossesse hors mariage par exemple.

60Cette place privilégiée lui est offerte dès la naissance de l’enfant où c’est elle qui apporte le mbootu (traduction littérale : pagne pour porter l’enfant sur le dos). C’est elle qui tient aussi l’enfant sur ses genoux au moment de l’imposition du nom, de même qu’elle effectue le premier rasage (Diop 1985).

61Ainsi confier son enfant à sa bàjjan constitue un acte naturel dans les sociétés traditionnelles vu les motifs sus-cités, d’autant plus qu’au niveau hiérarchique elle est plus importante pour l’enfant que son père et sa mère pris séparément.

62Le seul système capable d’accompagner ce confiage est l’alliance parentale et/ou l’approbation du groupe social, pour permettre ce cadre qui va accompagner le confiage avec beaucoup de sécurité.

63Nos exemples ont révélé l’impact qu’un système défaillant peut avoir sur le développement de l’individu, même si un parent tente tant bien que mal d’assurer une présence raisonnable.

64La triade père – mère – enfant (schéma 1) rencontre le tuteur (schéma 2) qui modifie le système et se prend la place d’un des parents (schéma 3). Le nouveau triangle ainsi formé crée deux éléments hors système, l’autre parent et le conjoint du tuteur. Il se forme dès lors un système à l’équilibre instable.

Schéma 1

Jeu relationnel avant le confiage

Schéma 1

Jeu relationnel avant le confiage

Schéma 2

Le jeu relationnel en début de confiage

Schéma 2

Le jeu relationnel en début de confiage

L’enfant est confié soit à un tuteur étranger à la famille, mais le plus souvent le tuteur est un parent du père ou de la mère de l’enfant (Reveyrand-Coulon 1999).
Schéma 3

Le triangle du jeu relationnel pendant le confiage

Schéma 3

Le triangle du jeu relationnel pendant le confiage

Schéma 4

Le pouvoir se penche du côté paternel

Schéma 4

Le pouvoir se penche du côté paternel

Schéma 5

Le pouvoir se penche du côté maternel

Schéma 5

Le pouvoir se penche du côté maternel

65Le père actif devient le parent fort dans ce jeu relationnel (schéma 4), aidé en cela par l’alliance constituée avec le tuteur avec qui il est en lien. De même que la mère active occupe cette même position (schéma 5).

66L’enfant se situe alors au centre de ce jeu relationnel, incapable de s’y dérober. Les intérêts ayant peu de chance de se croiser, père, mère et tuteurs s’engagent dans un bateau à cap multiple que constitue l’enfant ; une forte tendance conflictuelle se dessine, avérée ou voilée.

67Tout converge alors vers l’enfant. Il représente l’entité qui donne corps à ce jeu relationnel.

68

« Quand deux éléphants se battent, ce sont les herbes qui en pâtissent. ».
(proverbe populaire)

Conclusion

69Au décours de notre étude, on peut avancer que le confiage marque de façon indélébile la personne. Elle fait entrer en jeu des mécanismes relationnels intrafamiliaux souvent difficiles à gérer par les protagonistes. A l’origine, ce régulateur social qui vient en aide à une bàjjan en difficulté : pas assez ou pas d’enfants a une tendance déséquilibrante qui se fait souvent au détriment de l’enfant. Rendu impuissant, il par la suite un enfant en situation de vulnérabilité sociale (Porcelli 2011a, Lallemand 1993, Reveyrand-Coulon 1999).

70Nos résultats découlent d’un constat apparu fortuitement et qui serait surement passé inaperçu nul été l’insistance des concernés à en parler. Ceci couplé à la particularité de notre service qui accueille les personnes en situation de souffrance psychique constitue un biais quant à la généralisation de nos hypothèses. Mais toujours est-il qu’il semble nécessaire que cette étude soit complétée par d’autres observations sur des populations cliniques et non cliniques.

71Il semble nécessaire pour tout clinicien de veiller à aménager un cadre relationnel propice à la révélation de traumatismes anciens, notamment infantiles dont la réception ouvre une porte à un meilleur prise en charge de leurs préoccupations.

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Mots-clés éditeurs : déséquilibre relationnel, confiage, wolof, bàjjan, Dakar, enfant

Date de mise en ligne : 12/12/2014

https://doi.org/10.3917/lautr.044.0167

Notes

  • [1]
    Bàjjan : tante paternelle.

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