Cet article s’intéresse aux questions de régulation éthique qui se posent à la recherche expérimentale en sociologie, et plus spécifiquement à la réalisation d’expérimentations de terrain (field experiments). L’objectif est de décrire la manière dont nous avons répondu à des défis de régulation éthique concrets que nous avons rencontrés nous-mêmes dans la pratique de l’expérimentation de terrain en France autour des années 2020.
Pour introduire les enjeux éthiques qui vont nous occuper, il est utile de situer d’abord l’expérimentation de terrain par rapport aux autres méthodes. Au niveau le plus général, l’expérimentation de terrain est une variante de recherche interventionnelle, au même titre que les expérimentations biomédicales ou celles en sciences humaines et sociales (SHS) réalisées en laboratoire. L’expérimentaliste ne se contente pas d’enregistrer des états du monde. Il y intervient aussi. Le fait de pouvoir assigner aléatoirement les individus à cette intervention ou à la condition de contrôle lui offre la possibilité d’interpréter ce qu’il enregistre comme l’effet de sa manipulation. La nature interventionnelle et l’assignation aléatoire des participants constituent ainsi les deux piliers des essais contrôlés randomisés. On n’a pas besoin de souscrire au slogan de la « No causation without manipulation » (Holland, 1986) pour admettre que lorsqu’il y a assignation aléatoire d’une intervention, on est dans de bonnes conditions pour étayer une inférence causale. Une première vertu épistémique de l’expérience de terrain est donc d’habiliter des conclusions sur des liens causaux et non simplement sur des co-occurrences ou corrélations…