Couverture de ANSO_211

Article de revue

Les bureaucraties techniques : science et rationalisations à l’Agence environnementale américaine

Pages 39 à 70

Notes

  • [1]
    Séparation que Max Weber a défendue peut-être davantage politiquement qu’empiriquement (Weber, 2012 ; Eyal, 2019). L’idéal-type wébérien de la bureaucratie n’est pas conçu pour traduire le fonctionnement des bureaucraties en action, qui peut s’écarter de cette rationalité dans la pratique. La sociologie des organisations formelles a par exemple montré que les agents bureaucratiques ritualisent leurs tâches plus qu’ils ne recherchent l’efficacité, qu’ils résistent aux fonctionnels formels (Blau & Scott, 1962), et que leur rationalité est limitée : ils visent des résultats satisfaisants, plus qu’optimaux (Simon, 1960).
  • [2]
    La campagne d’entretiens a ciblé des fonctionnaires de carrière ou des political appointees responsables des services en charge de l’évaluation toxicologique, épidémiologique et économique des risques au sein de l’Agence, ainsi qu’un ensemble de responsables de ses grandes directions (direction des Produits chimiques et des pesticides, de la Recherche et du développement, des Politiques publiques), de la fin des années 1970 au début des années 2000, ainsi que des scientifiques spécialistes des risques environnementaux, dépendant de l’Office of Research and Development de l’Agence, ou de cabinets de conseil privés, de think tanks ou d’universités, tout particulièrement ceux qui ont été membres de comités d’experts mis en place par les Académies scientifiques américaines pour évaluer l’Agence. Les entretiens ont été réalisés dans une perspective d’histoire orale de l’élaboration et de la mise en place de différentes procédures d’évaluation et de décision sur les risques, ainsi que du contexte interne et externe de l’Agence ayant présidé à ces processus d’organisation. Les entretiens ont eu lieu à Washington DC, à Paris ou par téléphone, et ont duré de 35 minutes à deux heures trente. Ils ont tous été enregistrés et intégralement retranscrits.
  • [3]
    Fonds des National Research Council Archives : « Files related to the Committee on Institutional Means for Risk Assessment, 1981-1983 » et « Files related to the Committee on Risk Assessment of Hazardous Air Pollutants, 1992-1994 » (non numérotés) ; la « Milton Russell Special Collection » de la Modern Political Archive au Howard H. Baker Jr. Center for Public Policy et les Special Collections de la Library of the University of Tennessee (box 105-112) ; et les fonds de l’EPA, numérisés (en ligne : https://nepis.epa.gov/, consulté le 16 janvier 2021),  et ceux déposés à la National Archives and Records Administration (College Park, MD, Record Group 412), incluant :
    – « Director’s Correspondence Files » : 01/01/1985-12/31/1986 ARC Identifier 6 863 743/MLR no UD-11W 252, 01/01/1985-12/31/1986 ARC Identifier 6 862 229/MLR no UD-11W 312, 01/01/1987-12/31/1987 ARC Identifier 6 863 742/MLR no UD-11W 251, 03/01/1989-02/28/1990 ARC Identifier 6 863 740/MLR no UD-11W 249, 01/01/1988-02/28/1989 ARC Identifier 6 863 741/MLR no UD-11W 250 ;
    – « Files of the Clean Air Scientific Advisory Committee », 01/01/1976-12/31/1989, ARC Identifier 6 863 730/MLR no UD-11W 233 ;
    – « Interagency Agreement Management Files », 01/01/1983-12/31/1997, ARC Identifier 6 862 252/MLR no UD-11W 338 ;
    – « Correspondence Files », 01/01/1985-12/31/1989, ARC Identifier 6 863 760/MLR no UD-11W 271.
  • [4]
    Le corpus d’articles de presse a été constitué en interrogeant la base ProQuest.
  • [5]
    Comme la pollution chimique de la rivière Cuyahoga, dans l’Ohio, qui causa son incendie en 1969, une affaire environnementale saillante ayant contribué à mettre à l’agenda la création de l’EPA (Adler, 2002).
  • [6]
    Entretien avec le responsable du Cancer Assessment Group, 16 septembre 2016.
  • [7]
    Indus. Union Dept. vs. Amer. Petroleum Inst., 448 US 607 (1980).
  • [8]
    Entretien avec le responsable du Cancer Assessment Group, 16 septembre 2016.
  • [9]
    Elizabeth Anderson, Memorandum to Alvin Alm. Agency Process to Ensure Consistency and Technical Competence in the Agency’s Risk Assessment Program, Washington DC, EPA, « Milton Russell Special Collection » (box 105), 6 février 1984.
  • [10]
    Executive Office, Assembly of Life Sciences, Committee on Institutional Means for Assessment of Risks to Public Health, Risk Assessment and Science Panels, Washington DC, Archives NAS-NRC, 1982, p. 4.
  • [11]
    Entretiens avec William Ruckelshaus, 4 septembre 2013, et avec le directeur de l’Office of Ressources and Policy Management, 11 mars 2013. Voir également Richard Hill, Office of Toxic Substances, Memorandum to John Moore, Assistant Administrator for the OPTS. A Regulatory Decision-Making Nosology, Washington DC, EPA, « Milton Russell Special Collection (box 109) », 12 janvier 1984.
  • [12]
    Ibidem. Voir également Milton Russell, Roger Gale, Memorandum to William Ruckelshaus and Al Alm. Report of the Risk Working Group, Washington DC, EPA, « Milton Russell Special Collection (box 109) », 28 mars 1984.
  • [13]
    Alvin Alm, Memorandum to the General Counsel, Assistant Administrators, and Regional Administrators. My Preferred Approach to Management at EPA, Washington DC, EPA, « Milton Russell Special Collection (box 106) », 18 août 1983.
  • [14]
    Daniel Beardsley, Memorandum to Milton Russell. Application of Risk Concepts, Washington DC, EPA, « Milton Russell Special Collection (box 107) », 10 septembre 1984.
  • [15]
    Milton Russell, Memorandum to Alvin Alm, Options Review Process, Office of Policy, Planning and Evaluation, Washington DC, EPA, « Milton Russell Special Collection (box 106) », 28 mars 1984.
  • [16]
    Ce design d’ensemble sera enseigné à des milliers de personnes à travers l’Agence tout au long des années 1980 et 1990. Voir Anonyme, « Update on risk training activities », Risk Assessment Review: A Bimonthly Publication of the Office of Research and Development and of the Regional Risk, Assessment Network, 7-8, 1992.
  • [17]
    Entretien avec le responsable de l’Office of Policy Planning and Evaluation, 11 mars 2013.
  • [18]
    « Technical analysis of the costs and benefits of a proposed action is not a device for coming up with the “right” or “rational” answer: all such analyses are far too sensitive to subjective values and far too dependent on uncertain data for us to pretend that they are. Risk management, and the technical analysis that contributes to it, is largely the exposition of the information we believe is reliable, the values we wish to apply and the way that these two are linked to produce a set of policies […]. Obviously, not everybody will agree with the values so expressed, but in order for the debate about values to begin and for the democratic processes that ultimately establish values to take place, everyone has to know what the values underlying our decisions really are. » (EPA, 1984 : 35.)
  • [19]
    Andy Pazstor, « EPA Changes stand on formaldehyde for health reasons », Wall Street Journal, 18 novembre 1983. Anonyme, « How EPA faces the arsenic risk », New York Times, 23 juillet 1983.
  • [20]
    Milton Russell, Memorandum to Alvin Alm. Communicating with the Public on Issues of Environmental Risk: Issues and Options, Washington DC, EPA, Office of Policy, Planning and Evaluation, « Milton Russell Special Collection (box 111) », 17 janvier 1984 ; Milton Russell, Memorandum to the Administrator. Equity and the Choice of Risk Measures, EPA, Office of Policy, Planning and Evaluation, Washington DC, EPA, « Milton Russell Special Collection (box 111) », 7 juin 1984.
  • [21]
    Sur la sound science et les campagnes d’influence sur l’expertise de l’EPA conduites sous les mots d’ordre de la transparence de l’information dans les années 1990, voir la trajectoire de Jim Tozzi, ancien fonctionnaire de l’Office of Management and Budget (OMB) au début des années 1980, devenu lobbyiste pour l’industrie du tabac et chimique (Anonyme, 1982 ; Mooney, 2004). Source : entretien avec Jim Tozzi, ancien responsable de l’Office for Information on Regulatory Affairs, OMB, 15 février 2016.
  • [22]
    Entretien avec le Chief of Staff of the EPA Administrator, 21 octobre 2016.
  • [23]
    Entretien avec le responsable de l’Office of Health and Environmental Assessment, 12 octobre 2017.
  • [24]
    Entretiens avec un membre de Resources For the Future, chef de la Risk Characterization Task Force, 24 avril 2012 et 10 octobre 2016.
  • [25]
    Entretien avec le responsable du National Center for Environmental Assessment de l’EPA, 12 octobre 2017.
  • [26]
    Entretien avec un chercheur au National Center for Environmental Assessment de l’EPA, 23 juillet 2015.
  • [27]
    Entretien avec le conseiller scientifique principal de l’EPA, 9 octobre 2017.
  • [28]
    Paul Anastas, Memorandum to ORD Staff. ORD: The Path Forward, Washington DC, EPA, Office of Research and Development, 2010 (en ligne : https://yosemite.epa.gov/sab/sabproduct.nsf/796BB04146A5F14C852576F9004E5E69/$File/Anastas+Path+Forward+3-5-10.pdf, consulté le 18 janvier 2021).

1La rationalité des organisations bureaucratiques reste une question ouverte, que ravive la naissance de bureaucraties techniques dans la période récente. Le terme de « bureaucratie technique » a été imaginé pour caractériser ces agences administratives qui prennent appui sur l’expertise scientifique (Benamouzig & Besançon, 2005). Ce sont des agences : elles ont le plus souvent un rôle d’exécution de politiques publiques, et bénéficient de garanties relatives d’indépendance par rapport au pilotage gouvernemental (Pollitt et al., 2001). Cette distance au politique permet un rapprochement, matériel ou symbolique avec la sphère de la science. En ce sens, ce sont des « organisations-frontières » (Guston, 2001), situées entre gouvernement et science. Elles empruntent à cette dernière son autorité culturelle et associent ses communautés à leur travail. Elles en reprennent les méthodes d’évaluation et de calcul, pour agir au mieux sur des problèmes marqués par la complexité et l’incertitude.

2Les bureaucraties techniques nous invitent à nous demander comment la science participe de la rationalisation et de la légitimation de l’action administrative dans les sociétés contemporaines. Le recours à l’expertise scientifique prolonge-t‑il le mode de rationalité des bureaucraties identifié par Max Weber – celui d’organisations techniquement efficientes sélectionnant et appliquant mécaniquement les moyens permettant d’atteindre des fins prédéfinies – ou le modifie-t‑il substantiellement ?

3Max Weber aurait probablement reconnu dans les bureaucraties techniques son idéal-type de la bureaucratie (Weber, 2013), par exemple en raison de la sélection de leurs agents sur compétence et expertise. Le recours aux experts semble aussi correspondre à l’idéal des organisations cherchant l’efficacité, rationnelles du point de vue de l’adéquation des moyens aux fins. Les experts scientifiques plaidant pour l’ancrage des décisions dans la considération stricte des faits, ils inscrivent cette rationalité instrumentale dans le fonctionnement formel de l’organisation. Cependant, même lorsqu’elles emploient des experts et se reposent sur leurs savoirs pour forger leurs actions, les bureaucraties techniques peuvent faire place à des fonctionnements plus décisionnistes ou participatifs (Habermas, 1990) : des modèles dans lesquels la recherche de l’efficacité technique est modérée, pour permettre de délibérer ou définir collectivement les buts de l’action bureaucratique (Benamouzig & Besançon, 2005 ; Benamouzig, 2015 ; Moffitt, 2014). Les mots d’ordre de transparence et d’ouverture des milieux technocratiques ont d’ailleurs tout autant motivé la création de ces bureaucraties techniques que la recherche d’un gain d’efficacité technique.

4Cet article cherche à mettre au jour la complexité des processus de rationalisation des bureaucraties se légitimant par le recours à la science. S’aidant de la catégorie de rationalité matérielle de Max Weber, il montre comment les bureaucraties rationalisent, par la science, la poursuite de fins plurielles et conflictuelles. Il le fait à partir d’une histoire de la rationalisation formelle de l’Agence de protection de l’environnement américaine (Environmental Protection Agency, EPA), recomposant les formalismes stratégiques successivement conçus pour représenter comment elle évalue et gère les risques. Il met en avant l’importance de la science dans la rationalisation bureaucratique, plus particulièrement des sciences de la décision et de l’expertise formalisatrice de ses praticiens, arbitres de fait des fins dont les bureaucraties et leurs publics négocient la poursuite.

Science, incertitude et modes de rationalisation bureaucratique

La séparation des faits et des fins et la rationalisation formelle-instrumentale des bureaucraties

5Max Weber approchait la bureaucratie comme un mode d’administration qui s’étend à différents mondes (entreprise, université, administration publique, associations…) et que l’on peut saisir à travers divers traits idéaux-typiques (Weber, 1995 [1922] : 294-297) : une organisation dans laquelle l’autorité est distribuée de manière hiérarchique, le travail divisé entre des services différenciés, qui procèdent par application de règles impersonnelles. Le recrutement et l’attribution de positions hiérarchiques dans l’organisation bureaucratique sont appuyés sur la compétence technique et la spécialisation, ou l’expertise.

6Lorsqu’il évoque la bureaucratie, Weber parle d’organisations dont la logique de fonctionnement formel et la cohérence suivent celles de l’action efficiente, de l’ajustement des moyens aux fins. Weber utilise deux termes pour parler de ce mode d’organisation – rationalité formelle ou rationalité instrumentale – qui, pris ensemble, indiquent bien la thèse sociohistorique qu’il défend, celle d’un processus de formalisation croissante de l’action instrumentale : dans la bureaucratie, on pose ce que l’on a déterminé comme étant les moyens les plus efficients d’atteindre une fin donnée dans des règles abstraites et faisant système (Kalberg, 1980 : 1158-1159). Ce mode de rationalisation fait de la bureaucratie une organisation mécanique, programmée (Bittner, 1965 : 240), qui produit des résultats de manière calculable et prévisible (Brubaker, 1984 ; Jaffee, 2000 ; Ritzer, 1992). C’est une organisation dépolitisée, dans laquelle cette calculabilité et prévisibilité des résultats de l’action, est un but en soi (Gouldner, 1954 : 20 ; Swidler, 1973 : 36). La rationalité des bureaucraties est « sans qualité » ; elle définit moins les finalités de l’action, ou les effets et conséquences des décisions visées, que ses modalités (Duran, 2009 : 310-311).

7C’est d’ailleurs en cela que la science est un instrument possible de la bureaucratie. L’ethos professionnel des scientifiques-experts exige de se cantonner à l’établissement des faits et de refuser strictement de rentrer dans des débats en valeurs sur les finalités de la décision. Ces aspects relèvent du politique et doivent rester démarqués de la science (Jasanoff, 1995). Cette démarcation est tout à fait conforme à la rationalité formelle-instrumentale des bureaucraties où « le choix des moyens est fondé sur la connaissance scientifique de leur adéquation aux fins poursuivies » (Molino, 2008 : 232-233). Elle correspond à un souhait de rester neutre quant aux finalités de l’action bureaucratique, qui doivent moins influencer la décision que les faits établis à travers des moyens scientifiques prédéfinis. Ce que Max Weber place dans l’ordre de ces « exigences » (« éthiques, politiques, utilitaires, hédonistiques, de classe ou égalitaires ») qui fondent l’action rationnelle en valeurs (Weber, 1995 [1922] : 131) y est théoriquement étranger.

L’imbrication science-politique et la rationalisation matérielle des bureaucraties

8La séparation des faits et des valeurs, l’utilisation de la science comme moyen politique et moral neutre, restent de l’ordre de l’idéal-type plus que de la description empirique [1]. La sociologie des organisations a en effet montré que dans la « rationalité administrative » (Pfiffner, 1960), les valeurs ne sont pas clairement hiérarchisées ni dissociées proprement des faits. Les options décisionnelles ne sont ni explicites ni tranchées (Lindblom, 1959). Les savoirs formels, tels que les méthodes analytiques pour calculer les risques, les coûts, les bénéfices ou les impacts des décisions, n’imposent pas ces décisions d’autorité, et en dehors de la discussion sur les fins à poursuivre (Lindblom & Cohen, 1979). Ces décisions sont forgées de manière incrémentale, sur la base d’un mélange d’informations analytiques, de savoirs expérientiels et de valeurs.

9La sociologie des risques et de l’expertise a largement documenté cette interpénétration de la science et du politique dans l’action bureaucratique. Le calcul n’exclut pas l’expression de valeurs ou de finalités d’action. Bien au contraire, dans les matières complexes et incertaines pour la gestion desquelles les bureaucraties techniques sont établies (Wynne, 1987 ; Borraz, 2008), l’établissement des faits exige des présupposés ou des hypothèses sur la plausibilité et l’acceptabilité de différents risques (Lowrance, 1976 ; Rowe, 1977), un plan sur lequel le public est profondément divisé (Douglas & Wildavsky, 1983). On se situe dans un domaine intermédiaire entre la science et le choix politique, dit « trans-science » ou « science réglementaire » (Weinberg, 1972). Dans ces zones d’incertitude, experts et bureaucrates ne peuvent que partiellement s’appuyer sur des faits. Des choix quant aux valeurs et aux finalités jouent sur l’interprétation des données de la science, et sur la manière de former les décisions (Callon et al., 2001). Dès lors que ces valeurs et finalités sont révélées et publicisées – ce qui est un cas de figure habituel pour les bureaucraties évoluant dans un contexte politisé, celles dont les actes sont étroitement examinés dans les arènes médiatiques, parlementaires, judiciaires… (Jasanoff, 1990 : 14) – le calcul se politise : il devient objet de controverse et vecteur de mise en cause de la légitimité des experts à décider, et des bureaucraties à agir (Nelkin, 1984).

10Face à la publicisation et à la mise en cause éventuelle de ces choix, la bureaucratie ne peut se protéger qu’en justifiant les fins visées par ses agents dans leurs calculs et leurs actes concrets. La rationalisation formelle-instrumentale, c’est-à-dire la systématisation de la règle consistant à suivre ce que dit la science pour définir ses actions, entre alors nécessairement en tension avec un processus de rationalisation matérielle, c’est-à-dire un processus de reconnaissance et de sélection des valeurs externe à la rationalité formelle de l’organisation, mais pouvant guider et légitimer son action (Brubaker, 1984 ; Raynaud, 1996 ; Lallement, 2013). Cette rationalisation matérielle est tout aussi nécessaire à la légitimation de la bureaucratie que la rationalisation formelle. Ces deux rationalisations fonctionnent comme deux éléments d’un cycle, l’une oscillant avec l’autre. Si la rationalisation formelle-instrumentale d’une bureaucratie est un processus autonome, la rationalisation matérielle est, elle, enclenchée par l’influence d’acteurs affectés par l’organisation et réagissant à l’écart qui existe entre leurs intérêts ou finalités préférentielles, et les conséquences perçues de l’action instrumentale de l’Agence. Elle résulte de controverses ouvertes entre les acteurs qui cherchent à contrôler les finalités de l’action bureaucratique – l’exécutif, partis et élus, industries réglementées, groupes d’intérêt public… En fonction de leur poids dans l’organisation et de leurs liens avec ses membres, ils peuvent instiller des valeurs dans l’organisation (Carpenter, 2010 ; Selznick, 1949). Il faut voir le travail d’organisation des procédures bureaucratiques de prise de décision comme le résultat de ces tentatives d’influence des acteurs externes à la bureaucratie, et comme une forme d’encadrement de l’hétéronomie (Brown, 1978).

11L’histoire des formalismes produits par les réseaux d’experts de la décision sur les risques à l’EPA illustre ces cycles de rationalisations formelle et matérielle. Dans la seconde partie de l’article, ceux-ci sont reconstitués à partir de données historiques, issues d’une campagne d’une quarantaine d’entretiens [2], et de l’exploitation de trois fonds d’archives [3] et de corpus d’articles de presse concernant des controverses environnementales à propos de l’EPA [4]. À partir de ces données, deux histoires ont été recomposées. Les traces du travail de formalisation de l’évaluation des risques, de la gestion du risque, de la communication des risques, de la formulation des problèmes… ont été systématiquement recensées dans les documents programmatiques produits par l’Agence et par ses dirigeants, mais aussi dans les discours et textes produits par l’Agence vers l’extérieur. Échanges de courrier internes, mémos, documents de travail ont également été exploités, pour cerner les dynamiques de cette rationalisation formelle. Les archives et les entretiens ont été utilisés pour reconstituer les controverses environnementales qui ont scandé et infléchi le processus de rationalisation, dans son versant matériel cette fois (Demortain, 2020).

Une agence pour calculer et gérer les risques : une histoire des rationalisations de l’Agence de protection de l’environnement américaine

12L’EPA fut instituée en 1970 par un décret présidentiel de Richard Nixon pour démontrer son engagement sur la question environnementale. Sa création répond à l’une des mobilisations publiques les plus massives d’alors et à la naissance du mouvement environnemental aux États-Unis. Elle incarne l’unité de la question environnementale, rassemblant des missions concernant la pollution de l’air, de l’eau, les déchets, les espèces en danger, les sites pollués, les émissions industrielles de gaz nocifs, les pesticides… dans une vaste administration fédérale. Ses agents (4 000 agents à sa création, aujourd’hui plus de 14 000) incarnent la préservation de la nature américaine, par-delà les États fédérés – un fédéralisme environnemental alors totalement inédit.

13L’EPA est une agence, et non un Department : son dirigeant ne fait pas partie du gouvernement (cabinet) et elle ne fait qu’appliquer des lois. Sa création n’a pas été décidée par le Congrès à travers une loi spécifique, mais par un décret présidentiel ordonnant le regroupement de services appartenant aux ministères des Affaires intérieures, de l’Agriculture ou de la Santé. Les lois que chaque service administre sont très différentes les unes des autres, du point de vue des finalités de l’action, et donc des méthodes de calcul de risque à privilégier. L’une impose à l’Agence d’autoriser les produits chimiques avec une marge raisonnable de sécurité (impliquant des calculs de probabilité, de type niveau de risque en fonction de la dose), une autre d’éliminer tout polluant démontrant une quelconque dangerosité (écartant ces considérations de probabilité). Le bénéfice de l’usage de substances chimiques peut être pris en compte dans la décision sur les pesticides, mais pas dans celui de l’émission de polluants atmosphériques. Chaque politique est négociée par des coalitions parlementaires différentes, et donne lieu à des alliances avec les assujettis à l’action de l’Agence très différents.

14L’histoire de l’Agence montre que la logique consistant à s’appuyer sur la science, et à identifier les faits indiscutables, a été mobilisée très tôt pour la légitimer et l’unifier. Mais la référence aux faits, dans un contexte où ceux-ci sont incertains et effectivement contestés par les assujettis aux actions de l’agence, éveille des controverses sur les finalités implicites de son action. La rationalité formelle de la décision par le risque s’est alors réinventée, à mesure de la reconnaissance de l’irréductibilité aux calculs des fins plus morales et politiques de l’action environnementale générale de l’Agence, et des conflits qui les entourent.

Analyse des dangers, controverse sur le cancer et formalisme de l’évaluation des risques

15La recherche d’une stratégie d’administration intégrée de l’environnement, apte à unifier l’Agence et à l’imposer dans l’ordre administratif fédéral, s’imposa à son premier directeur William Ruckelshaus. Le choix principal de cet avocat de métier fut d’employer une stratégie judiciaire agressive, mobilisant à plein l’expertise des juristes de l’Agence, notamment du legal counsel du directeur (Marcus, 1980). William Ruckelshaus lança tôt une série de poursuites judiciaires d’ampleur contre des grandes entreprises et des municipalités suspectées de pollutions majeures. Il entamait cette entreprise de constitution de la réputation de l’Agence en visant la résolution de pollutions hautement symboliques et visibles [5].

16William Ruckelshaus était en phase avec ce qui était perçu comme l’orientation du Congrès, du Parti républicain et d’une opinion publique en toute vraisemblance mobilisée pour la protection de l’environnement – le Earth Day avait fait descendre dans les rues de Washington un million de personnes en 1970 (Landy et al., 1994). L’Agence naissante devait établir d’entrée sa légitimité comme organisation de mise en œuvre des nouvelles lois environnementales des années 1960 et 1970, passablement précautionnistes. L’une des lois ayant marqué la période, l’amendement Delaney, impliquait d’interdire toute substance chimique montrant des signes de cancérogénicité dans les tests sur animaux. Les dirigeants de la nouvelle Agence se sentaient attendus sur cet agenda de protection des populations contre les dangers chimiques [6], sensible dans des lois adoptées à l’époque sur la qualité de l’eau, de l’air, sur les pesticides ou les sites industriels pollués.

17La stratégie judiciaire fut efficace pour limiter les pollutions visibles et ayant des sources localisées, imputables à un contrevenant bien identifié. Elle fut étendue aux autres problèmes environnementaux montants à l’époque, celui des pollutions chimiques diffuses et des risques d’atteinte chroniques à la santé. Comme pour les pollutions visibles, la stratégie judiciaire consistait à ancrer les demandes d’interdiction de produits chimiques industriels ou de pesticides dans l’affirmation de faits scientifiques indiscutables : ces produits devaient être considérés comme dangereux pour l’homme, et interdits, dès lors qu’ils causaient, par exemple, un début de tumeur chez les rats sur lesquels on les testait (Jasanoff, 1982). Les juristes de l’Agence mobilisaient une partie des connaissances en toxicologie pour établir une stratégie scientifiquement déterministe consistant à décider d’intervenir en fonction des faits. La première rationalisation formelle de l’Agence était donc fondée sur une forme de police des faits expérimentaux où la mesure de la toxicité était le moyen de dériver des décisions.

18Les cancers environnementaux étaient une cause politique d’ampleur aux États-Unis dans cette période (Rushefsky, 1986). Mais prouver la relation cause-effet entre l’exposition à des pesticides et le déclenchement de cancers dans les populations humaines restait un écueil majeur. Pour des associations environnementales et toute une frange de la profession médicale défendant la cause naissante de la santé environnementale, l’EPA avait raison d’avancer des décisions fondées sur des analyses toxicologiques de danger.

19Mais une série d’acteurs approchait l’analyse scientifique de l’EPA avec un autre point de vue. Des médecins et toxicologues se prononcèrent contre la théorie de la cancérogénicité qu’elle défendait : à faible dose du produit chimique en question, pas de cancer. Une simple tumeur chez le rat n’indiquait pas l’existence d’un danger chez l’humain. La détermination de ce risque dépendait des méthodes statistiques d’extrapolation des données expérimentales que l’on employait. En la matière, les positions en médecine, biochimie ou toxicologie pouvaient varier du tout au tout (Mayo & Hollander, 1991).

20La controverse sur l’analyse des dangers des produits chimiques s’enchaînait à l’action de différentes audiences de l’Agence affectées par les décisions d’interdiction de produit que la mesure des dangers légitimait. Des industriels de l’agrochimie, mais aussi l’Office of Science and Technology Policy et le Council on Environmental Quality de la Maison-Blanche, interprétaient le formalisme de l’analyse des dangers comme la marque d’une agence au fond précautionniste. Cette large coalition d’acteurs estimait qu’elle dissimulait cet objectif de protection de la santé des populations à tout prix, dans un discours de stricte conformité aux faits scientifiques, en réalité plus ambigu.

21Les juges ne validèrent pas l’expertise toxicologique de l’Agence sur ces pesticides (McGarity, 1979 ; Jasanoff, 1982). Selon eux, les données, modèles et théories de la cancérogénicité étaient moins certains que ne le prétendait l’Agence. La toxicologie ou la biochimie, l’épidémiologie ne définissent pas des situations tranchées – danger ou absence de danger. L’agence ne pouvait donc instaurer l’analyse des dangers comme une discipline mécanique de considération des faits. Elle devait laisser ses experts qualifier des niveaux de certitude concernant les risques et proposer des mesures ajustées à ces caractérisations. Les décisions des juges sur ces demandes d’interdiction des pesticides annonçaient le jugement de la Cour suprême, quelques années plus tard, requérant des agences de procéder à des évaluations quantitatives des risques [7].

22C’est dans ce contexte qu’émergea en 1976 une stratégie alternative à cette discipline des faits, à l’initiative du chef de la direction des politiques publiques de l’Agence – un économiste de formation, inspiré par les travaux sur la prise de décision que la jeune policy science d’alors affectionnait. Alvin Alm conseilla au directeur de l’Agence de ne pas chercher des faits scientifiques définitifs, mais de mettre en place un processus d’élaboration séquentielle d’une décision, à partir d’une série d’estimations portant sur chacun des paramètres-clés de la décision (Rushefsky, 1986 ; Train, 2003). Alvin Alm combinait sa perspective analytique des coûts et des bénéfices, avec celle des toxicologues estimant les dangers et les expositions de la population au danger, le tout pour forger un processus d’ajustement des décisions à des niveaux de probabilité. Un tout nouveau service central de toxicologie, le Cancer Assessment Group (CAG), fut institué par Alm au sein du département de Recherche de l’Agence [8]. Ses experts toxicologues devaient établir le danger intrinsèque des pesticides, puis la probabilité que ce danger atteigne la population, en fonction du degré d’exposition au pesticide donné. Le calcul de risque synthétique obtenu était ensuite combiné avec des données sur le coût d’une mesure visant à abaisser ce niveau de risque, et les bénéfices. C’est le croisement de ces données qui permet de dégager un espace décisionnel – et, dans ce schéma idéal, de produire une décision crédible et juridiquement défendable, car fondée sur des critères explicités et mesurables.

23Ce schéma était décrit dans la Cancer Assessment Guideline (EPA, 1976). Ce document stratégique pour l’Agence dessine un processus de décision linéaire, partant de la recherche biologique, prolongée par de l’économie et de la policy analysis, pour fabriquer une décision endossable par l’administrateur. Ni politique fixe déterminée en haut de l’organisation ni décision locale dévolue aux services, la technologie de la ligne directrice augure d’une capacité de l’Agence à assembler les éléments analytiques d’une décision, et à coordonner les experts de ces différents éléments. À partir de sa première édition en 1976, cette technologie organisationnelle encore très mécanique fut progressivement déployée à travers l’Agence. Elle symbolisait l’unité de la prise de décision de l’Agence, et permettait d’afficher sa logique à l’extérieur. Instrumentale (elle définit les risques acceptables et soutient les décisions de l’Agence), formelle (traduite dans des règles), fondée sur l’expertise scientifique et légitimée par des règles de raisonnement et une forme d’objectivité mécanique (Porter, 1995), elle devient un écran bureaucratique, point de repère pour les publics de l’Agence, et image formelle opposable aux tribunaux, au Congrès, à la Maison-Blanche ou à tout autre opposant dans l’arène washingtonienne. Elle satisfit, notamment, l’exigence faite par la Cour suprême aux agences de procéder à des calculs de risque quantitatifs pour justifier les normes réglementaires appliquées aux industries (Jasanoff, 1990 : 8 ; McGarity, 1983).

Controverses sur l’évaluation probabiliste des risques et formalisme de la gestion des risques

24Si la Guideline formalise les critères de la décision et les données scientifiques à employer pour les renseigner, cette règle non finie (MacKenzie, 2008) ne dicte pas la décision. Elle place au cœur du processus l’expertise et la capacité de jugement des toxicologues, des biostatisticiens, mais aussi des ingénieurs environnementaux, dont dépend le calcul des risques, et à qui est confiée l’élaboration des hypothèses et des présupposés qui permettent de compenser l’absence de données. Un calcul de probabilité impliquant des choix subjectifs pour certains paramètres qu’on ne peut calibrer avec des données (par exemple savoir quels sont les effets biologiques d’une substance chimique à des doses très faibles et non testées expérimentalement), il ménage des espaces de jugement, et donc une capacité d’ajuster la décision en fonction de l’opportunité politique de se montrer soit plus ferme, soit plus laxiste sur la circulation de produits chimiques dans l’environnement. En l’occurrence, pendant cette première période d’application de la ligne directrice, ce sont bien les experts scientifiques qui détenaient les clés de la décision. Ils inscrivaient dans leurs choix de paramètres et de données le fait qu’il faut, par précaution, estimer qu’un cancer peut être déclenché par une exposition à une dose infime de substance chimique cancérigène. Ils répondaient là à ce qu’ils se représentaient comme une demande de protection à l’égard des risques de cancer, émanant du public, du mouvement environnemental et de la majorité parlementaire.

25Dans le cours du travail de calcul s’immiscent donc les visées de l’action des experts et des bureaucrates qui forment la chaîne de décision, et qui peuvent devenir l’objet de critiques externes. Les visées précautionnistes plus ou moins assumées des toxicologues du CAG, notamment, n’étaient d’abord pas admises par tous les services de l’Agence. Certains calculaient le risque pour une population moyenne, d’autres pour un individu fictif faisant partie des 5 % les plus exposés aux pollutions concernées. Certains considéraient qu’un produit chimique produisant une tumeur chez le rat était cancérigène pour l’homme, d’autres qu’une tumeur n’était pas un critère suffisant pour catégoriser une substance comme dangereuse [9]. Ces choix reflétaient à la fois des paradigmes de pensée médicale, et des stratégies concernant la meilleure politique à afficher pour l’Agence, en fonction du poids accordé à l’un ou l’autre de ses publics (associations environnementales, groupements de citoyens, industriels…). Le service en charge des pesticides, par exemple, s’avérait plus sensible à la défense de l’objectif de développement économique et industriel que le CAG (Powell, 1999). En d’autres termes, la Guideline ne faisait pas de l’EPA une machine à décider. Le calcul de probabilité scientifique n’évacuait pas les choix politiques concernant les fins à poursuivre – point sur lequel les différents services et dirigeants de l’Agence pouvaient s’opposer, et sur lequel, surtout, les relations de l’Agence et de ses audiences devenaient tendues, ce qu’indiquent les échanges lors des auditions publiques sur la ligne directrice (EPA, 1980).

26La pression politique envers le précautionnisme de certains experts de l’Agence augmentait à la fin des années 1970, alors que montait le mot d’ordre de la regulatory reform. Cette politique de modération de l’intervention réglementaire sur les industries était défendue par le Président Carter. Elle répondait à la montée des préoccupations économiques dans l’opinion publique américaine, et à la perception que les nouvelles lois réglementant l’activité industrielle en matière de droits sociaux, de règles environnementales ou de santé au travail des années 1960 et 1970 (Vogel, 1988 ; Harris & Milkis, 1989) étaient devenues « déraisonnables » (Bardach & Kagan, 1980), et entravaient de trop le développement industriel et la liberté marchande.

27Dans le cadre de cette campagne politique, les grandes entreprises de l’agrochimie ou de la pétrochimie instruisaient le procès des agences comme l’EPA, mettant en cause la qualité de l’expertise scientifique qu’elles revendiquaient (Greenwood, 1984). Elles alimentaient le procès d’une agence conservatrice : une agence qui, par politique, adopterait systématiquement les présupposés et les hypothèses les plus précautionneux dans ses calculs de risques pour répondre aux demandes de protection du public, des associations environnementales et de médias alarmistes. L’industrie chimique et pétrolière créa à l’automne 1977 un organisme de lobbying, baptisé American Industrial Health Council (AIHC), pour mener la bataille contre les lignes directrices de l’EPA (Rushefsky, 1986). L’AIHC enrôla différents scientifiques critiques des visions conservatrices de l’EPA, participa intensivement aux auditions organisées par l’EPA sur ses Guidelines, et fit le siège du Congrès et de la Présidence pour promouvoir l’idée de décomposer les agences [10] : il fallait selon lui créer un institut scientifique de haut niveau, disjoint de l’Agence (Boudia & Demortain, 2014). Cet institut produirait pour elle des calculs de risque indiscutables, et empêcherait ainsi les administrateurs politiques des agences de cacher dans le détail des calculs des choix analytiques précautionnistes. Leur proposition s’appuyait sur deux idées : celle de la neutralité de la science, qui ne doit pas répondre de présupposés et de valeurs comme la précaution ou la protection des personnes les plus exposées, mais produire des faits ; celle de la limitation des pouvoirs des administrations fédérales, toujours suspectes d’arbitraire administratif (AIHC, 1979, 1980).

28Les sénateurs approuvèrent l’idée de l’AIHC de faire travailler l’Académie des sciences américaine sur cette proposition. L’Académie des sciences, cependant, ne valida pas l’idée d’une science pure, productrice de faits, distincte de la prise de décision politique. En matière de risque, c’est-à-dire en présence d’incertitudes durables, la science implique nécessairement présupposés et affirmations de valeurs – telles que celle de la protection des populations vulnérables. Confier la science et la décision à deux organismes séparés n’améliorerait donc en rien la légitimité des réglementations adoptées sur la foi de la science, celle-ci étant indissociable de choix politiques, de paramètres de calcul et de méthodes statistiques d’extrapolation (McCray, 1983). Les agences devaient pouvoir continuer d’abriter et le calcul, et la prise de décision politique. Simplement, l’organisation des agences devait être à même d’exposer les présupposés et les valeurs qu’elles appliquaient dans leurs calculs (NRC, 1983).

29La demande politique de l’industrie pétrochimique se traduisit donc en termes procéduraux, dans une nouvelle construction programmatique de l’agence que William Ruckelshaus demanda à ses cadres de dérouler à partir de 1983 [11]. Simplifiant le message des Académies, William Ruckelshaus et Alvin Alm (à présent directeur adjoint de l’agence) conçurent la prise de décision de l’Agence comme la conjonction de deux processus distincts [12] : celui de l’évaluation des risques (le domaine du calcul biologique et épidémiologique) et celui de la gestion des risques, appuyé sur des considérations de coûts et de bénéfices de différentes décisions. Ce deuxième exercice consistait en la prise en considération de l’ensemble des autres éléments concourant à la construction des options décisionnelles – l’efficacité des mesures de protection, leur coût économique pour l’industrie concernée, mais aussi l’opportunité politique d’émettre une norme réglementaire face à des contestations probables en justice [13]. Cet espace était occupé par les économistes, les Policy Analysts, et par les dirigeants politiques de l’agence, décideurs en dernier ressort des mesures réglementaires imposées aux industriels et usagers des substances chimiques. Ces analyses coût-bénéfice devaient moins permettre de calculer ou de prédire les risques pour l’humain, que de les comparer, pour aider à les hiérarchiser (EPA, 1981 ; Beardsley, 1987). Cette démarche formelle était baptisée risk ranking. Pour les économistes mandatés par Ruckelshaus, il s’agissait d’optimiser le système informationnel qu’est l’Agence, pour qu’elle dégage des priorités – des problèmes environnementaux sur lesquels il est légitime, car optimal, d’agir [14]. Alvin Alm s’efforça de le mettre en œuvre dans l’Agence à travers un système de prise de décision collégiale et graduée [15].

30Ce schéma formel (figure 1) a guidé les actions des cadres de l’Agence jusqu’à la période contemporaine. Dans sa logique, il visait à construire un espace de décision, auquel étaient explicitement délégués la considération et l’arbitrage entre des fins (le langage formel utilisé était celui du weighing of policy options), pour mieux en décharger le processus de calcul des risques et ses experts.

Figure 1. Évaluation et gestion des risques : représentation graphique dominante de la mission et du mode opératoire de l’EPA dans les années 1980

Figure 1. Évaluation et gestion des risques :  représentation graphique dominante de la mission  et du mode opératoire de l’EPA dans les années 1980

Figure 1. Évaluation et gestion des risques : représentation graphique dominante de la mission et du mode opératoire de l’EPA dans les années 1980

Source : EPA, 1984.

31L’Agence s’est ainsi recomposée dans les termes d’une rationalité composite, qui ménage des espaces bureaucratiques distincts pour le calcul des risques et la prise de décision – espace où affleurent, sous la bannière de l’analyse des coûts, bénéfices et impacts des réglementations, le développement économique, finalité défendue par les opposants industriels et républicains de l’Agence. Ces procédures seront utilisées pendant des années, pour représenter et légitimer vers l’extérieur, la manière dont l’Agence fonctionne à l’intérieur [16]. Les cadres de l’Agence orchestrent la production d’un rapport phare [17], publié en 1984, qui met au jour les produits de cette rationalisation complexe, formelle et matérielle à la fois :

32

L’analyse technique des coûts et des bénéfices d’une mesure n’est pas un instrument pour définir la bonne solution, ou la solution rationnelle : ce genre d’analyse est trop sensible aux valeurs subjectives, et dépend de données trop incertaines pour prétendre que cela pourrait être le cas. La gestion du risque, et l’analyse technique qui y contribue, revient à exposer l’information que nous tenons pour fiable, les valeurs que l’on souhaite appliquer, et la manière dont l’une et l’autre sont liées pour produire des politiques publiques. Il ne fait aucun doute que les valeurs ainsi exprimées ne feront pas l’unanimité. Mais pour qu’un débat sur les valeurs ait lieu, et que les processus démocratiques par lesquels ces valeurs sont établies se déroulent, tout le monde doit pouvoir connaître les valeurs qui sous-tendent réellement nos décisions [18] [traduction de l’auteur].

33Les organisations non gouvernementales (ONG) environnementales et les défenseurs des causes sanitaires virent autrement la décision de W. Ruckelshaus de mettre en avant la gestion des risques comme principe moteur de l’agence, comme il le fit à partir de ce moment-là de manière systématique dans l’ensemble de ses discours (Ruckelshaus, 1983a). Selon eux, il créait ainsi un procédé décisionnel permettant de justifier de normes environnementales minimales et de déréguler l’environnement. De fait, W. Ruckelshaus avança pendant ce mandat un certain nombre de décisions d’interdiction de produits chimiques, et des limites sévères aux émissions polluantes [19]. Mais il n’en reconnaissait pas moins, devant des publics choisis, que son agence devait équilibrer protection de l’environnement et préservation du développement industriel (Ruckelshaus, 1983b).

34Cette idée d’équilibrage entre environnement et économie était en soi controversée. C’est le formalisme de la communication des risques qui vint protéger l’Agence des critiques possibles en la matière. William Ruckelshaus complétait le répertoire des formalismes de l’Agence par des procédures de dialogue avec les publics locaux. Les économistes qui le conseillaient sur la gestion des risques formalisaient aussi une doctrine et des dispositifs pour la participation du public [20] : des auditions publiques sur des sites pollués notamment, où les scientifiques et administrateurs de l’Agence échangeaient en direct avec un public non sélectionné ; un guide officiel de communication des risques, diffusé aux différents services de l’Agence, qui enjoignait les scientifiques calculant les risques à exposer la logique qui préside aux choix de données, de modèles ou de paramètres qu’ils font. Ces procédures ne furent jamais complètement standardisées. La communication des risques resta une discipline locale, appliquée par les bureaux régionaux de l’Agence, et prenant la forme de principes pour l’organisation des échanges avec les citoyens (Covello & Allen, 1988) – loin du mécanisme décisionnel dominant de la priorisation des risques à partir de données de coûts et de bénéfices des décisions.

Opposition au précautionnisme de l’Agence et caractérisation des risques

35Pour ses opposants républicains et pour l’industrie pétrochimique toujours active, l’Agence, et notamment ses scientifiques, toxicologues ou ingénieurs environnementaux, restaient trop précautionnistes. La mécanique de la décision, selon eux, continuait de produire des décisions trop rigoureuses de limitation de l’exposition aux risques et d’interdiction des produits. Au début des années 1990, ces opposants pensèrent avoir les moyens de délégitimer cette politique de l’Agence. Les avancées de la biochimie et de la toxicologie, notamment en matière de modélisation prédictive des effets des substances chimiques, permettaient de réduire l’incertitude, d’être plus précis dans les calculs de risque, et de se débarrasser des présupposés et des jugements de valeur que faisaient les évaluateurs de risques. Selon l’industrie, si l’Agence embrassait la meilleure science disponible, elle cesserait immédiatement d’exagérer les risques et changerait sa politique environnementaliste.

36L’argument était déjà utilisé au début des années 1990 par plusieurs des adversaires de l’Agence pendant la Présidence de George Bush – période-clé pendant laquelle le Parti républicain commençait à prendre de la distance avec son conservationnisme traditionnel. On voyait l’Office of Management and Budget de la Maison-Blanche empêcher l’EPA de promulguer de nouvelles normes environnementales, et publier de lourds rapports mettant publiquement en cause son précautionnisme et son supposé retard par rapport à la meilleure science (OMB, 1990). Des universitaires et chercheurs décryptaient ses évaluations des risques, pour démontrer à coup d’articles et de tribunes retentissantes dans Science que l’Agence ne détenait en rien l’expertise scientifique nécessaire (Abelson, 1992). Des coalitions d’industriels de la chimie ou du tabac finançaient des recherches de modélisation des risques pour démontrer que des méthodes moins empreintes d’incertitudes existaient. Elles faisaient aussi le siège des comités du Congrès supervisant l’Agence, et communiquaient publiquement sur le besoin de fonder la politique environnementale sur une science robuste, saine et transparente – la « sound science » (Baba et al., 2005) [21]. Le vice-président, Dan Quayle, participait au front, en parrainant des think tanks financés par les industriels, proposant des règles nouvelles sur la manière dont l’Agence devait calculer les risques (Federal Focus, 1991) [22]. Ces actions convergeaient, notamment sur l’affaire du tabagisme passif en 1992 : l’Agence fut publiquement accusée par des sénateurs de dissimuler une croisade anti-tabac liberticide dans des calculs de risque sur les effets indésirables du tabagisme passif.

37Le recours à la science par l’Agence était ainsi l’objet de conflits politiques sur les fins qu’elle poursuivait en pratique à travers ses calculs de risque. Les formalismes de l’Agence furent amendés pour gérer ce conflit. La réponse résida dans le recours à une nouvelle technologie organisationnelle de décision. Elle prit le nom de « caractérisation des risques » (AIHC, 1992 ; NRC, 1996). Cette nouvelle phase décisionnelle est le moment où les calculs des risques produits par les toxicologues, les statisticiens, les ingénieurs sont communiqués aux acteurs susceptibles de s’en servir pour forger une décision. Les calculs et les données sous-jacentes doivent y être présentés de manière transparente, conjointement aux incertitudes résiduelles et aux manques éventuels de données. Les hypothèses, présupposés et diverses ignorances avec lesquels les scientifiques ont composé pour produire une évaluation des risques doivent être mis en discussion de manière ouverte (Callon et al., 2001). Dès lors que l’incertitude inhérente aux calculs est révélée, une place est d’ailleurs faite, en théorie, aux non-experts : les scientifiques, mais aussi les administrateurs politiques, juristes, représentants des parties prenantes, industriels, ONG, associations citoyennes locales, communities, doivent pouvoir être consultés (EPA, 1995).

38Au moment où l’agence était violemment attaquée au Congrès par des sénateurs républicains relayant l’action de l’industrie du tabac, son administrateur adjoint riposta en demandant à un toxicologue et à un économiste de rédiger un mémorandum sur la caractérisation des risques [23] qu’il diffusa à toute l’Agence (EPA, 1992a, 1992b). Celle-ci fut instituée comme étape fondamentale de tout processus de prise de décision de l’Agence. Après une relance du concept par les Académies américaines et plusieurs think tanks (NRC, 1994, 1996 [24]), c’est toute l’Agence qui sera mise en ordre pour caractériser ainsi les risques. Les discours officiels de ses dirigeants opposaient cette nouvelle image formelle aux critiques.

Reformuler les problèmes pour améliorer l’environnement

39Cette rationalisation de l’usage de la science sous pression des intérêts et des enjeux industriels perdura pendant les années 2000 et les deux mandats de George W. Bush. L’Administration républicaine de ces années-là est vue comme l’une de celles qui ont le plus politisé la science et tenté de contrôler les usages que les agences en faisaient (Rich & Merrick, 2007 ; UCS, 2008).

40L’EPA fut rattrapée par un autre type de controverse qui, toutefois, concernait cette fois son incapacité à résoudre les problèmes environnementaux. Trente ans après avoir engagé des ressources scientifiques d’ampleur dans la détermination et l’élimination des risques des substances chimiques, le bilan était maigre. L’Agence n’avait réussi à clore aucune controverse sur l’une ou l’autre des substances chimiques qui étaient à son agenda depuis les années 1980, même celles reconnues comme faisant partie des plus toxiques, comme la dioxine (Kelly, 1995 ; NAS, 2006 ; Preuss & Farland, 1993). Peu de ses décisions d’interdiction furent validées par les tribunaux, la Présidence ou le Congrès. L’efficacité de l’algorithme décisionnel complexe qui avait pris forme au début des années 1980 paraissait limitée pour éliminer les menaces sanitaires et protéger les populations. Dans la suite du mouvement de justice environnementale, au tournant des années 1990-2000, les associations environnementales se prononçaient de plus en plus explicitement contre l’emploi d’instruments scientifiques pour la prise de décision, et notamment contre l’évaluation quantitative des risques (Levenstein & Wooding, 1997 ; O’Brien, 2000 ; Thornton, 2001 [2000]). Selon elles, cette procédure formelle fondée sur des calculs probabilistes conduit à relativiser et perpétuer les risques. Selon ces ONG, l’agence échouait à répondre aux motivations qui devaient être au cœur de son action, notamment celle d’une amélioration tangible de l’état de l’environnement, et de l’impact sanitaire des pollutions pour les populations les plus exposées, en continuant d’appliquer des méthodes réductionnistes de calcul des risques de substances chimiques. L’incapacité de l’EPA à faire approuver l’interdiction de ces substances dangereuses au cours des dernières décennies en était l’illustration la plus claire.

41La réponse formelle à cette nouvelle mise en cause matérielle émergea peu après le début de la Présidence Obama, et de l’arrivée d’un nouvel administrateur démocrate à l’Agence. Peu avant, l’EPA faisait l’objet de ce qui a été décrit comme un véritable « siège » de la part de l’Administration de George W. Bush, des républicains au Congrès, et de l’Office of Management and Budget (McGarity, 2013). L’Administration essayait de nouveau d’agir sur les règles de l’évaluation quantitative des risques, pour rendre l’EPA moins offensive dans ses mesures environnementales (OMB, 2006). En réponse, les défenseurs de l’évaluation des risques au sein de l’Agence, et notamment de l’approche précautionniste qu’elle avait privilégiée depuis les années 1970, cherchèrent le soutien de l’Académie des sciences américaine. Un rapport fut commandité à celle-ci, pour faire la synthèse sur l’évolution des méthodes d’évaluation quantitative des risques et leur futur [25].

42Le groupe d’épidémiologistes, médecins et biochimistes spécialistes de santé environnementale qui fut sélectionné par l’Académie proposa une réforme consistant à remettre la science au service d’objectifs d’amélioration mesurable de l’état de l’environnement et de la santé. Ils prenaient acte de l’impossibilité d’atteindre cet objectif politique par le calcul scientifique des risques. L’instrument de l’évaluation des risques était selon eux inopérant, du fait de la politisation des discussions sur les modèles, les hypothèses de calcul ou les théories biologiques. Ils arguèrent du fait que la notion de « risque » elle-même, au cœur de l’agenda de l’Agence depuis les années 1970, devait être écartée. La notion fait croire à la possibilité de prédire les dangers et d’ajuster les réglementations au plus fin, par rapport à des niveaux de probabilité (Ewald, 1986). L’expérience des années passées montrait au contraire que l’efficience de l’action sur les dangers était inatteignable, vu les incertitudes entourant leur survenue, et les désaccords politiques qui les accompagnent. Il fallait à présent s’assurer que l’Agence améliore l’état de l’environnement dans son ensemble, plutôt que de tenter d’éliminer les sources individuelles de danger comme les substances chimiques. Leur paradigme était systémique et se fondait sur la pensée des écologues de l’Agence (Suter II, 1990, 2009). Ces écologues portaient depuis les années 1980 une démarche d’évaluation plus systémique des risques, dont les dirigeants de l’Agence n’avaient jamais fait une procédure centrale [26]. L’environnement est un ensemble complexe, dans lequel espèces animales, végétales et humaines, milieux (eau, air, sol), sont en interdépendance. Il est vain d’essayer de dégager et d’agir sur des relations de cause à effet, liant un produit chimique à un type de toxicité observé chez l’humain. C’est l’amélioration du tout qu’il faut viser, la santé environnementale découlera naturellement d’un environnement en meilleur état global.

43Les propositions formelles qui s’ensuivirent, formulées dans un rapport qui fit date (NRC, 2009), mobilisaient toujours la science. Elles visaient encore une fois à créer des mécanismes organisationnels pour atteindre cette fin de l’amélioration de l’environnement de manière plus systématique. Ces experts décomposèrent l’algorithme décisionnel idéal du début des années 1980, fondé sur l’évaluation quantitative des risques et suivi d’un calcul coût-bénéfice, pour instituer une nouvelle discipline organisationnelle de « problem formulation, planning and scoping ». Cette technique de formulation du problème devait devenir une étape préalable à tout travail scientifique. Apanage des administrateurs politiques de l’Agence, c’est le moment pendant lequel le niveau souhaité de qualité et de santé environnementales est défini.

44Cette proposition fut déployée à travers l’Agence, à présent sous leadership démocrate, à partir de 2010 (EPA, 2012 ; Goldstein, 2011). L’évaluation des risques devenait une expertise parmi d’autres, ne devant être utilisée que si l’instrument paraissait utile à l’atteinte de l’objectif d’amélioration de l’état de l’environnement [27]. Paul Anastas, chimiste de renom devenu chef du département de la Recherche de l’Agence, marqua ce tournant à son entrée en fonction, appelant l’Agence et ses scientifiques à moins calculer les risques isolés, qu’à penser à l’évaluation des impacts des mesures demandées par l’Agence sur l’état de l’environnement dans son ensemble [28]. La Cancer Assessment Guideline des années 1970 et son algorithme linéaire se trouvaient ainsi renversés au bout de quarante ans. La science n’était plus placée en amont de la décision. Par ce formalisme, elle était replacée au cœur d’un processus décisionnel plus explicitement politique, par lequel on délibère des fins de l’action bureaucratique avant d’engager les moyens scientifiques nécessaires à leur accomplissement.

Conclusion

45L’histoire de la rationalisation organisationnelle de l’Agence de protection de l’environnement américaine montre que les bureaucraties techniques ne s’organisent pas selon une logique instrumentale pure, même lorsqu’elles affichent un recours à la science, aux faits et à la supériorité technique des décisions. Le recours à la science imprègne certes l’organisation de l’EPA. On le voit à l’utilisation discursive et symbolique du registre de la preuve, de l’objectivité et de la meilleure science disponible. Laboratoires de recherche et comités scientifiques jouent un rôle central dans le processus de définition des normes environnementales. Les lignes directrices imposent que ces normes soient proportionnelles à la gravité des problèmes : la décision ne peut être découplée des données et des modèles permettant de prédire là et où les dangers se matérialiseront.

46Mais le contexte d’action des bureaucraties techniques comme l’EPA est marqué par une incertitude simultanément technique et politique. L’incertitude technique concerne la limitation des données et des modèles utilisés dans les calculs de risque, qui ne peuvent être interprétés sans faire des hypothèses sur ces risques. Ces hypothèses, à leur tour, traduisent des valeurs, des visions du monde ou des fins visées dans l’action. Celles-ci sont politiques, contestables et contestées dans un système institutionnel où les actes des bureaucraties sont systématiquement vérifiés, évalués, critiqués par une série de publics. L’histoire de la rationalisation de l’action de l’Agence montre comment des conflits sur les fins que l’action environnementale doit poursuivre imprègnent l’organisation, jusque et y compris dans cette rationalité formellement scientifique.

47Ces conflits entourant les fins de l’action environnementale, et tout particulièrement ce précautionnisme initial qui prend forme dans les discours critiques des groupes industriels attaquant l’Agence, vont contribuer à produire des procédures formelles originales, s’écartant de l’idéal instrumental. Ainsi, l’algorithme de départ est remis en cause par les spécialistes de l’économie environnementale et de l’analyse coût-bénéfice : il est en effet difficile à justifier pour les services de l’Agence qui ne suivent pas cette logique de précaution, que l’algorithme ne soit pas appliqué de manière homogène à travers l’Agence. Les économistes traduisent ce problème comme une question d’optimisation et d’équité de l’intervention administrative, et le résolvent par des tableaux de comparaison des risques, censés aider à objectiver et à hiérarchiser les préférences. Leur technique d’évaluation comparative et de priorisation des risques deviendra la base de la « gestion des risques ». La discipline de la « caractérisation des risques » traduit, dans la rationalité formelle de l’Agence, la mise en cause de ses actions par différentes industries. L’instauration d’un exercice systématique de « formulation des problèmes », préalable politique à tout travail de mesure de ces problèmes et de prédiction des risques, est une tentative de se déprendre de l’influence gagnée par l’industrie, et de redonner de l’espace bureaucratique à l’objectif d’amélioration de l’environnement.

48« Évaluer les risques », « gérer les risques », « caractériser les risques », « formuler les problèmes » sont autant de procédures formelles conçues pour répondre aux conflits que suscite l’orientation normative effective ou perçue de l’Agence, parmi ses publics. Ces procédures relèvent bien d’une rationalité scientifique formelle : elles sont toutes fondées sur la considération systématique d’informations, de données, voire de prévisions fondées sur des modèles. Elles cherchent la réduction de l’incertitude entourant les faits. Par ailleurs, toutes offrent une apparence de méthodisme scientifique et de programmation de l’organisation et de ses règles de fonctionnement. Elles continuent de viser l’efficacité, en ce qu’elles parlent de ce que doit produire l’Agence, des « décisions ». Mais ces formalismes traduisent dans des procédures techniques les conflits de fins qui animent les rapports entre l’Agence et ses différents publics, des ONG locales aux groupes d’intérêts industriels. Les toxicologues, analystes de risque, statisticiens, économistes ou Policy Analysts de l’EPA, inspirés par la science – et on pourrait dire l’art organisationnel – de la fabrication de la décision, formalisent le traitement des conflits entourant les fins de l’action environnementale. Ils codifient ces fins, définissent les informations et les connaissances qui doivent permettre d’évaluer leur atteinte, et ajoutent des règles concernant les droits des uns et des autres à produire et interpréter ces informations. Ils traduisent ainsi des conflits dans un langage formel permettant de produire de la décision. Ces procédures n’évacuent pas totalement les finalités de l’action et le débat en valeurs, sur l’action environnementale, contrairement à ce que Simon signifie avec sa notion de rationalité procédurale (par opposition à rationalité substantielle ; voir Simon, 1976) : la procéduralisation traduit ces valeurs et finalités, et organise leur traitement.

49On peut dériver de cette lecture politique de la rationalisation bureaucratique une réponse aux questions sur lesquelles cet article s’ouvre : faut-il assimiler les bureaucraties techniques à un modèle de rapport science-politique ? L’histoire développée ici montre comment l’organisation bureaucratique s’écarte, par cycles de rationalisation successifs, du modèle technocratique, celui dans lequel l’expert prédomine et prescrit des actes administratifs, autorisé par sa maîtrise indiscutée des faits. L’ouverture de la bureaucratie à la considération de finalités variées, cependant, n’en fait pas une organisation délibérative et participative pour autant. Les différentes demandes matérielles ne se retrouvent pas intégrées au même niveau dans l’identité formelle de l’Agence. La logique de la participation du public et des communities, implicite dans les procédures de communication des risques mises en place par l’Agence dans les années 1980, est par exemple restée marginale dans la politique organisationnelle de l’EPA (Fiorino, 1990). À l’échelle adoptée dans cette recherche – celle des procédures formelles et stratégiques de l’Agence, envisagées sur plusieurs décennies – il apparaît que la rationalisation formelle est effectuée concurremment par différents groupes experts, au nom d’exigences et de fins variées qui prévalent dans les différents réseaux d’audience auprès desquels ils cherchent à légitimer l’Agence. Le travail de rationalisation reflète une configuration politique d’ensemble, un agencement des relations avec les publics dominants de la bureaucratie. Le travail de rationalisation ne change pas totalement de nature selon le contexte politique. Mais il semble que la bureaucratie s’organise en puisant dans un répertoire de formalismes, qui s’institutionnalisent et acquièrent une crédibilité au cours du temps, en fonction de qui domine cette configuration politique. La science dont il est question, lorsqu’on parle de bureaucraties techniques, est incarnée par ce répertoire original et limité de procédures testées au cours du temps.

50Le cas de l’EPA est un cas limite : c’est celui d’une bureaucratie politisée, du fait de la manière dont les agences bureaucratiques américaines sont créées, dirigées et manipulées par une série de Principals aux États-Unis, qui cherchent à la contrôler – l’Administration présidentielle et le Congrès, notamment. C’est d’autant plus le cas que l’environnement est l’objet d’incertitudes techniques, et de polarisation politique forte aux États-Unis. Les agences bureaucratiques américaines sont enserrées dans des jeux de relations étroites avec les groupes d’intérêt privés et publics, qui excèdent tout ce qui peut être observé dans des pays européens où l’administration est davantage autonome par rapport au système politique. Ce degré de politisation est ce qui fait de l’EPA un cas test de la possibilité de la rationalisation formelle de la bureaucratie. Ce cas révèle les tensions que crée la prise en compte des conflits concernant les fins de l’action administrative dans le cours de ses procédures, et dans la recherche de l’adaptation technique des moyens aux fins.

51Dans cette perspective, cette histoire de l’EPA enseigne que la bureaucratie est moins une organisation instrumentale et formelle, qu’une organisation marquée par un travail politique de conception de procédures permettant l’intégration formelle de motifs de décision variés. Ce travail est continu et fait émerger des formalismes qui fonctionnent – ils légitiment bien l’action d’une bureaucratie (Stinchcombe, 2001). Bien qu’il soit motivé par différentes fins ou valeurs, ce travail se déroule dans les termes de la rationalisation formelle, c’est-à-dire dans les termes de la conception d’organisations, du choix et de la systématisation de moyens sous la forme de règles, pour permettre l’atteinte systématique de certaines fins. La bureaucratie, à cette aune, est donc autant une organisation dont la rationalité formelle consiste à gérer, en les procéduralisant, les conflits politiques au sein d’un spectre restreint de fins et de valeurs touchant à la manière de gouverner les sociétés, et ici l’environnement. Des organisations typiques de sociétés marquées par ce que Weber, lui encore et dans des textes là aussi distincts de ses écrits sur la bureaucratie (Weber, 2012 [1921]), appelait la guerre des dieux.

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Mots-clés éditeurs : Rationalité formelle, Rationalité matérielle, Évaluation des risques, Environmental Protection Agency, Décision, Bureaucratie

Date de mise en ligne : 22/03/2021

https://doi.org/10.3917/anso.211.0039

Notes

  • [1]
    Séparation que Max Weber a défendue peut-être davantage politiquement qu’empiriquement (Weber, 2012 ; Eyal, 2019). L’idéal-type wébérien de la bureaucratie n’est pas conçu pour traduire le fonctionnement des bureaucraties en action, qui peut s’écarter de cette rationalité dans la pratique. La sociologie des organisations formelles a par exemple montré que les agents bureaucratiques ritualisent leurs tâches plus qu’ils ne recherchent l’efficacité, qu’ils résistent aux fonctionnels formels (Blau & Scott, 1962), et que leur rationalité est limitée : ils visent des résultats satisfaisants, plus qu’optimaux (Simon, 1960).
  • [2]
    La campagne d’entretiens a ciblé des fonctionnaires de carrière ou des political appointees responsables des services en charge de l’évaluation toxicologique, épidémiologique et économique des risques au sein de l’Agence, ainsi qu’un ensemble de responsables de ses grandes directions (direction des Produits chimiques et des pesticides, de la Recherche et du développement, des Politiques publiques), de la fin des années 1970 au début des années 2000, ainsi que des scientifiques spécialistes des risques environnementaux, dépendant de l’Office of Research and Development de l’Agence, ou de cabinets de conseil privés, de think tanks ou d’universités, tout particulièrement ceux qui ont été membres de comités d’experts mis en place par les Académies scientifiques américaines pour évaluer l’Agence. Les entretiens ont été réalisés dans une perspective d’histoire orale de l’élaboration et de la mise en place de différentes procédures d’évaluation et de décision sur les risques, ainsi que du contexte interne et externe de l’Agence ayant présidé à ces processus d’organisation. Les entretiens ont eu lieu à Washington DC, à Paris ou par téléphone, et ont duré de 35 minutes à deux heures trente. Ils ont tous été enregistrés et intégralement retranscrits.
  • [3]
    Fonds des National Research Council Archives : « Files related to the Committee on Institutional Means for Risk Assessment, 1981-1983 » et « Files related to the Committee on Risk Assessment of Hazardous Air Pollutants, 1992-1994 » (non numérotés) ; la « Milton Russell Special Collection » de la Modern Political Archive au Howard H. Baker Jr. Center for Public Policy et les Special Collections de la Library of the University of Tennessee (box 105-112) ; et les fonds de l’EPA, numérisés (en ligne : https://nepis.epa.gov/, consulté le 16 janvier 2021),  et ceux déposés à la National Archives and Records Administration (College Park, MD, Record Group 412), incluant :
    – « Director’s Correspondence Files » : 01/01/1985-12/31/1986 ARC Identifier 6 863 743/MLR no UD-11W 252, 01/01/1985-12/31/1986 ARC Identifier 6 862 229/MLR no UD-11W 312, 01/01/1987-12/31/1987 ARC Identifier 6 863 742/MLR no UD-11W 251, 03/01/1989-02/28/1990 ARC Identifier 6 863 740/MLR no UD-11W 249, 01/01/1988-02/28/1989 ARC Identifier 6 863 741/MLR no UD-11W 250 ;
    – « Files of the Clean Air Scientific Advisory Committee », 01/01/1976-12/31/1989, ARC Identifier 6 863 730/MLR no UD-11W 233 ;
    – « Interagency Agreement Management Files », 01/01/1983-12/31/1997, ARC Identifier 6 862 252/MLR no UD-11W 338 ;
    – « Correspondence Files », 01/01/1985-12/31/1989, ARC Identifier 6 863 760/MLR no UD-11W 271.
  • [4]
    Le corpus d’articles de presse a été constitué en interrogeant la base ProQuest.
  • [5]
    Comme la pollution chimique de la rivière Cuyahoga, dans l’Ohio, qui causa son incendie en 1969, une affaire environnementale saillante ayant contribué à mettre à l’agenda la création de l’EPA (Adler, 2002).
  • [6]
    Entretien avec le responsable du Cancer Assessment Group, 16 septembre 2016.
  • [7]
    Indus. Union Dept. vs. Amer. Petroleum Inst., 448 US 607 (1980).
  • [8]
    Entretien avec le responsable du Cancer Assessment Group, 16 septembre 2016.
  • [9]
    Elizabeth Anderson, Memorandum to Alvin Alm. Agency Process to Ensure Consistency and Technical Competence in the Agency’s Risk Assessment Program, Washington DC, EPA, « Milton Russell Special Collection » (box 105), 6 février 1984.
  • [10]
    Executive Office, Assembly of Life Sciences, Committee on Institutional Means for Assessment of Risks to Public Health, Risk Assessment and Science Panels, Washington DC, Archives NAS-NRC, 1982, p. 4.
  • [11]
    Entretiens avec William Ruckelshaus, 4 septembre 2013, et avec le directeur de l’Office of Ressources and Policy Management, 11 mars 2013. Voir également Richard Hill, Office of Toxic Substances, Memorandum to John Moore, Assistant Administrator for the OPTS. A Regulatory Decision-Making Nosology, Washington DC, EPA, « Milton Russell Special Collection (box 109) », 12 janvier 1984.
  • [12]
    Ibidem. Voir également Milton Russell, Roger Gale, Memorandum to William Ruckelshaus and Al Alm. Report of the Risk Working Group, Washington DC, EPA, « Milton Russell Special Collection (box 109) », 28 mars 1984.
  • [13]
    Alvin Alm, Memorandum to the General Counsel, Assistant Administrators, and Regional Administrators. My Preferred Approach to Management at EPA, Washington DC, EPA, « Milton Russell Special Collection (box 106) », 18 août 1983.
  • [14]
    Daniel Beardsley, Memorandum to Milton Russell. Application of Risk Concepts, Washington DC, EPA, « Milton Russell Special Collection (box 107) », 10 septembre 1984.
  • [15]
    Milton Russell, Memorandum to Alvin Alm, Options Review Process, Office of Policy, Planning and Evaluation, Washington DC, EPA, « Milton Russell Special Collection (box 106) », 28 mars 1984.
  • [16]
    Ce design d’ensemble sera enseigné à des milliers de personnes à travers l’Agence tout au long des années 1980 et 1990. Voir Anonyme, « Update on risk training activities », Risk Assessment Review: A Bimonthly Publication of the Office of Research and Development and of the Regional Risk, Assessment Network, 7-8, 1992.
  • [17]
    Entretien avec le responsable de l’Office of Policy Planning and Evaluation, 11 mars 2013.
  • [18]
    « Technical analysis of the costs and benefits of a proposed action is not a device for coming up with the “right” or “rational” answer: all such analyses are far too sensitive to subjective values and far too dependent on uncertain data for us to pretend that they are. Risk management, and the technical analysis that contributes to it, is largely the exposition of the information we believe is reliable, the values we wish to apply and the way that these two are linked to produce a set of policies […]. Obviously, not everybody will agree with the values so expressed, but in order for the debate about values to begin and for the democratic processes that ultimately establish values to take place, everyone has to know what the values underlying our decisions really are. » (EPA, 1984 : 35.)
  • [19]
    Andy Pazstor, « EPA Changes stand on formaldehyde for health reasons », Wall Street Journal, 18 novembre 1983. Anonyme, « How EPA faces the arsenic risk », New York Times, 23 juillet 1983.
  • [20]
    Milton Russell, Memorandum to Alvin Alm. Communicating with the Public on Issues of Environmental Risk: Issues and Options, Washington DC, EPA, Office of Policy, Planning and Evaluation, « Milton Russell Special Collection (box 111) », 17 janvier 1984 ; Milton Russell, Memorandum to the Administrator. Equity and the Choice of Risk Measures, EPA, Office of Policy, Planning and Evaluation, Washington DC, EPA, « Milton Russell Special Collection (box 111) », 7 juin 1984.
  • [21]
    Sur la sound science et les campagnes d’influence sur l’expertise de l’EPA conduites sous les mots d’ordre de la transparence de l’information dans les années 1990, voir la trajectoire de Jim Tozzi, ancien fonctionnaire de l’Office of Management and Budget (OMB) au début des années 1980, devenu lobbyiste pour l’industrie du tabac et chimique (Anonyme, 1982 ; Mooney, 2004). Source : entretien avec Jim Tozzi, ancien responsable de l’Office for Information on Regulatory Affairs, OMB, 15 février 2016.
  • [22]
    Entretien avec le Chief of Staff of the EPA Administrator, 21 octobre 2016.
  • [23]
    Entretien avec le responsable de l’Office of Health and Environmental Assessment, 12 octobre 2017.
  • [24]
    Entretiens avec un membre de Resources For the Future, chef de la Risk Characterization Task Force, 24 avril 2012 et 10 octobre 2016.
  • [25]
    Entretien avec le responsable du National Center for Environmental Assessment de l’EPA, 12 octobre 2017.
  • [26]
    Entretien avec un chercheur au National Center for Environmental Assessment de l’EPA, 23 juillet 2015.
  • [27]
    Entretien avec le conseiller scientifique principal de l’EPA, 9 octobre 2017.
  • [28]
    Paul Anastas, Memorandum to ORD Staff. ORD: The Path Forward, Washington DC, EPA, Office of Research and Development, 2010 (en ligne : https://yosemite.epa.gov/sab/sabproduct.nsf/796BB04146A5F14C852576F9004E5E69/$File/Anastas+Path+Forward+3-5-10.pdf, consulté le 18 janvier 2021).

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