Notes
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[1]
C’est à dessein que nous n’avons pas inclus les travaux sur les réseaux, ceux-ci dessinant un ensemble de recherches bien distinct du néo-institutionnalisme sociologique. Comme son titre l’indique, la revue de littérature que nous proposons ici est une revue portant de manière essentielle sur cet institutionnalisme-là (appelé également « Organizational institutionalism »), une approche particulière certes, mais qui est (a été longtemps) dominante sur le marché académique de la sociologie des organisations.
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[2]
Par exemple, les articles de Meyer et Rowan (1977) et de DiMaggio et Powell (1983) font partie des articles de sociologie les plus cités, tous sous-champs sociologiques confondus, selon Google scholar, avec des citations s’élevant respectivement à 17 612 et 27 326 (dernière consultation : 12 novembre 2014).
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[3]
Il n’est pas possible, dans ces quelques pages, de revenir sur l’ensemble des développements du néo-institutionnalisme au cours des bientôt quarante années d’existence (si l’on retient comme date de naissance l’année 1977, qui a vu la publication de l’article de Meyer et Rowan). Nous renvoyons le lecteur vers les très nombreux ouvrages (en particulier, Scott, 2001) et articles (en particulier, Greenwood et al., 2008) de synthèse.
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[4]
Il est tentant de faire le parallèle entre ces développements récents du néo- institutionnalisme sociologique et ceux de l’institutionnalisme historique, qui visent également à penser le changement, sans l’expliquer nécessairement par des chocs exogènes ou par des changements de l’environnement et sans renoncer à accorder une place importante à l’analyse des structures (Mahoney, Thelen, 2010 ; Thelen, 2003).
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[5]
D’autres voies ont été explorées en sociologie des organisations pour tenter de penser les liens entre agency et structure. On pense évidemment, de façon immédiate, aux travaux privilégiant les analyses de réseau, qui ont connu un impressionnant développement au cours des dernières décennies et ont conduit à un renouvellement très conséquent de certaines questions classiques de la sociologie des organisations, telles que la domination, l’autorité, le contrôle, les relations entre professions et organisations, etc. (pour des présentations – différenciées – de l’état de l’art dans ce domaine, voir, par exemple, Joel Podolny et Karen Page (1998) ; Laurel Smith-Doer et W. Powell (2003) ; Emmanuel Lazega, Lise Mounier et Tom Snijders (2008) ; Lazega (2014)). Nous ne traiterons pas de cette littérature ici, non seulement pour des questions de faisabilité, étant donné sa profusion et sa diversité, mais surtout parce que ces travaux ne dialoguent pas frontalement – ou à la marge – avec le néo-institutionnalisme, et réciproquement. La trajectoire de W. Powell, fondateur du néo-institutionnalisme et auteur majeur dans l’analyse de réseaux, nous paraît significative, qui présente, sur son site internet même, ses travaux sur les réseaux et ceux sur les institutions comme deux domaines de recherche distincts (http://woodypowell.com/research-interests).
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[6]
Au moins depuis 1995 (Fligstein, McAdam, 1995), comme le suggèrent D. McAdam et W. Richard Scott (2005).
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[7]
Il la manifeste aussi par sa capacité à dépasser les spécialisations par domaine d’étude et les cloisonnements disciplinaires, en faisant ici dialoguer la sociologie et la science politique – ou, plus précisément, une partie de la science politique américaine, ce qui, aux États-Unis, sans doute encore plus qu’en France, est une gageure aujourd’hui.
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[8]
L’ouvrage The Emergence of Organizations and Markets, dirigé par John Padgett et W. Powell, paru la même année (2012), est sans aucun doute un autre ouvrage récent très marquant pour la sociologie des organisations. Toutefois, nous n’y ferons que peu référence dans cette revue de littérature, pour des raisons qui ont à voir avec celles évoquées dans la note 5. En effet, alors que l’ouvrage de Fligstein et McAdam puise l’une de ses principales inspirations dans le néo-institutionnalisme, tout en proposant des voies pour dépasser ses apories, celui dirigé par Padgett et Powell n’entend pas s’attaquer directement aux fondements du néo-institutionnalisme ou contribuer à les renouveler. Ainsi, dans leur complexe introduction, les deux auteurs se contentent de mentionner, dans une note de bas de page, que l’économie comme le néo-institutionnalisme se sont peu intéressés à la genèse des organisations et des institutions. D’ailleurs, sur son site internet, Powell ne classe pas ce livre parmi ses travaux sur les institutions.
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[9]
De ce point de vue, il est plus délicat de parler de champ dans le cadre de la théorie de la « population ecology », en ce qu’elle ne se pose guère la question de savoir si cette population s’est instituée comme réalité intersubjective pour les acteurs qui l’habitent ; en outre, la population, dans cette théorie, désigne un ensemble d’organisations similaires, prises « à plat » pour ainsi dire, indépendamment des structures de relations dans lesquelles elles se trouvent, en réalité, encastrées et qui les lient entre elles.
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[10]
C’est ainsi que Powell et DiMaggio (1997) ont aimablement qualifié la première génération d’auteurs qui s’était intéressée aux fonctionnements et dysfonctionnements des bureaucraties.
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[11]
Une variable étudiée notamment dans le cas de l’industrie de l’édition académique aux États-Unis (Thornton, 2002).
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[12]
La sociologie de l’action publique, sans réfléchir nécessairement en termes de champs (sous-systèmes chez Paul Sabatier, secteur chez Bruno Jobert et Pierre Muller), avait déjà contribué à souligner cette importance des « liens entre écologies », même si elle ne l’a pas toujours spécifiée comme Fligstein et McAdam le font.
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[13]
Voir, entre autres exemples récents, l’étude de Terence C. Halliday et Bruce G. Carruthers (2009) sur la régulation internationale des faillites.
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[14]
Ce qui ne signifie pas que ces deux œuvres soient cependant semblables. Bien au contraire, elles se différencient sur de nombreux points, et certains aspects couverts par l’une ne le sont pas par l’autre ; et vice versa.
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[15]
À cette occasion, on ne pourra guère s’empêcher de se rappeler le vif débat auquel la parution de L’Acteur et le Système a donné lieu, quand certains illustres chercheurs en science politique estimaient trop réductrice une conception de l’État comme simple juxtaposition de systèmes d’action concrets (Leca, Jobert, 1980).
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[16]
Mais on relèvera, au même moment, qu’au-delà de l’utilisation de termes identiques, l’action stratégique, placée au cœur des deux systèmes d’analyse, n’est pas définie exactement de la même façon dans les deux ouvrages. Nous allons y revenir.
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[17]
La définition des logiques institutionnelles de Roger Friedland et Robert Alford (1991, p. 248) est restée influente : « material practices and symbolic constructions which constitute [a field’s] organizing principles and which are available to organizations and individuals to elaborate ». Mentionnons aussi celle de Patricia Thornton et William Ocasio (1999, p. 804), fréquemment usitée et qui s’en inspire : « the socially constructed, historical patterns of material practices, assumptions, values, beliefs, and rules by which individuals produce and reproduce their material subsistence, organize time and space, and provide meaning to their social reality. »
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[18]
Il conviendrait de distinguer temps long et temps court, distinction qui permet d’affiner les propositions émises par ces recherches, en ce que certaines typifications élémentaires et essentielles peuvent cependant se travailler sur le long cours ; c’est ce qu’ont contribué à contester les mouvements pour les droits civiques ou les mouvements féministes : la perception racialisée ou genrée du monde, cadre a priori de l’expérience, qui pendant longtemps n’a guère été réfléchi.
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[19]
Changement institutionnel entendu comme une transformation significative de la structure sociale d’un champ et des règles institutionnelles à partir desquelles celui-ci se structure, et au travers desquelles les acteurs pensent et par lesquelles ils calent leurs attentes et leurs interactions.
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[20]
L’un des premiers textes à s’inscrire dans cette perspective a été écrit par DiMaggio (1988), pourtant défenseur par ailleurs (DiMaggio, Powell, 1983 ; Powell, DiMaggio, 1997) d’une ligne « dure » du néo-institutionnalisme.
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[21]
Notons toutefois que, d’un point de vue empirique, les effets de l’action humaine ont été beaucoup plus investigués, dans ces travaux, dans des situations de transformations sociales que dans celles de reproduction de l’ordre social et de ses inégalités.
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[22]
Il entend par action stratégique (strategic agency), la poursuite planifiée de fins fondées sur une évaluation rationnelle des moyens disponibles et des conditions stratégiques qui pèsent sur l’action.
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[23]
Pour une synthèse, voir Marc Schneiberg et Michael Lounsbury (2008).
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[24]
Ainsi, W. Richard Scott, auteur « historique » et majeur du néo-institutionnalisme, a pu reconnaître que la dimension conflictuelle de la vie sociale avait eu tendance à être sous-explorée et négligée par ce courant (Dacin, Goodstein, Scott, 2002 ; McAdam, Scott, 2005 ; voir aussi Hall, Taylor, 1997).
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[25]
Elizabeth Berman (2012) montre cependant, dans un article fort original, que trop souvent ces entrepreneurs apparaissent comme des deus ex machina (ce que critiquent également Walter W. Powell et Jeannette A. Colyvas (2008)) et qu’il peut se réaliser, comme dans le cas qu’elle étudie, des changements de logiques institutionnelles sans que l’on puisse clairement identifier d’intentionnalité stratégique au principe de ces dynamiques sociales. Elle soutient en effet que les acteurs sont constamment en train d’expérimenter de nouvelles pratiques fondées sur d’autres logiques institutionnelles et que, quand il existe une logique dominante, les innovations fondées sur des logiques alternatives ont du mal à trouver les ressources nécessaires pour s’institutionnaliser et se diffuser (et non parce qu’elles seraient moins légitimes). Mais quand l’environnement commence à changer et à favoriser l’épanouissement de nouvelles pratiques fondées sur des logiques alternatives, ces logiques peuvent devenir dominantes en l’absence d’un projet cohérent qui tenterait de les promouvoir.
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[26]
On pourra se référer, pour ce faire, aux synthèses de Pierre-Paul Zalio (2009) et Henri Bergeron, Patrick Castel et Etienne Nouguez (2013).
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[27]
Ce point a été particulièrement développé dans l’article de Bergeron, Castel et Nouguez (2013).
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[28]
Dans un article précédent, Fligstein en dénombre sept (2001).
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[29]
J. Colyvas et Stefan Jonsson (2011) ont démontré qu’il était heuristique de distinguer la diffusion et l’institutionnalisation, car les deux processus ne vont pas toujours de pair.
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[30]
Cela rejoint un point fait par Mahoney et Thelen, dans leur modèle du changement appliqué dans un cadre d’institutionnalisme historique : les acteurs chargés de l’application des règles doivent décider comment et quand elles doivent être mises œuvre, et ceci implique des possibilités pour le changement – soit par un décalage, soit par une interprétation et une mise en application extensive (Mahoney, Thelen, 2010, p. 13).
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[31]
Dans le cas du drug court, les auteurs notent une certaine plasticité des logiques institutionnelles. Ainsi, bien que la logique de la « punition criminelle », lorsqu’elle est mobilisée dans les arguments, tende à aggraver la sentence finale, il n’en est pas toujours ainsi : elle peut être mobilisée parfois pour alléger cette sentence. De manière réciproque, l’invocation d’une logique de réhabilitation, si elle tend à être favorable aux personnes inculpées, peut parfois être mobilisée pour alourdir la sanction pénale.
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[32]
Friedberg (1992), pour conceptualiser et caractériser ce qu’il appelle « ordre local », propose quatre dimensions : « le degré de formalisation de la régulation, le degré de conscience qu’en ont les participants, le degré de finalisation de la régulation et enfin le degré explicite de délégation de la régulation » (p. 531).
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[33]
Les « [i]ncumbents are those actors who wield disproportionate influence within a field », tandis que les challengers « occupy less privileged niches within the field and ordinarily wield little influence over its operation. » (Fligstein, McAdam, 2012, p. 13).
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[34]
En prenant cependant soin de s’en distinguer sur certains points et dimensions.
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[35]
Pour être plus précis, il convient d’insister sur le fait que la logique d’adoption de normes et de pratiques institutionnelles est différente pour les « early adopters » qui le font souvent pour résoudre des problèmes techniques et spécifiques que celles des « followers » qui les adoptent selon une logique de convenance institutionnelle (Tolbert, Zucker, 1983).
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[36]
Relevons cependant que la théorie de la dépendance aux ressources s’est, elle, ostensiblement intéressée aux phénomènes de pouvoir inter-organisationnels (Pfeffer, Salancik, 1978).
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[37]
Notons que la prise en compte des structures de relations de pouvoir dans l’explication des processus de déstabilisation des institutions (conceptualisées le plus souvent sous forme d’alliances) est, en revanche beaucoup plus fréquente, dans la littérature, que ne l’est l’identification du rôle des structures horizontales (de pouvoir) dans la possibilité d’affirmation du pouvoir vertical des institutions sur les croyances et les comportements des acteurs.
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[38]
Dans des conditions de grande certitude, affirme Beckert (1999), les pratiques institutionnalisées seront d’autant plus résistantes aux activités de déstabilisation de l’action stratégique qu’elles sont hautement légitimes et qu’elles sont soutenues par des acteurs puissants. Autrement dit, si l’on interprète un peu la pensée de Beckert, la reproduction n’est pas assurée seulement par l’« enactment » de cadres a priori (cognitifs) de l’expérience, et la réalisation de pratiques routinisées jouissant d’une forte légitimité sociale, mais également parce que les règles institutionnelles sont soutenues par une structure de relations de pouvoir. Rien ne vient, cependant, au-delà de l’affirmation de cette hypothèse (même s’il précise le caractère ambivalent du pouvoir comme force de stabilité institutionnelle ou au contraire comme ressource permettant le changement) et l’on n’a guère de définition précise du pouvoir, de ses fondements et des liens (parfois conflictuels) qui lient le couple légitimité/pouvoir. On pourra également lire avec profit le travail de l’anthropologue Ferguson (1994) qui montre combien la persistance d’une institution (et de son pouvoir d’orientation des conduites) est dépendante de la structure des relations d’interdépendance existant dans un groupe social.
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[39]
Il est intéressant de noter, à la suite de Lawrence (2008), que l’usage de la force, y compris de la force physique, n’est guère étudié pour expliquer le changement institutionnel dans la littérature sur les organisations, bien qu’il soit fréquent, tant d’un point de vue historique que synchronique (prisons, forces de police, répression de manifestation, hospitalisation, etc.).
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[40]
Lawrence est l’un des auteurs qui définit le plus clairement la notion de pouvoir qu’il mobilise dans ses travaux (notamment comme un phénomène relationnel et non comme attribut. Pour plus de détails, voir Lawrence, 2008).
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[41]
Cette question, en cela, mérite avant tout une réponse empirique, tout comme celle, d’ailleurs, de l’intérêt et des motivations des acteurs.
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[42]
Pour ce qui est de l’innovation organisationnelle, nous l’avons vu en introduction, d’autres voies, en parallèle, ont été explorées, qui doivent plus à l’analyse de réseaux – éventuellement couplée à la sociologie des sciences – qu’au néo-institutionnalisme (Stark, 2009 ; Padgett, Powell, 2012).
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[43]
Des travaux historiques récents travaillent la distinction idéal-typique établie entre le prêtre et le prophète par Weber et discutent en particulier cette notion de charisme, tentant d’explorer comment l’institution religieuse et certains de ses membres apparemment plus marginaux contribuent à construire le prophète (Belayche, Mimouni, 2009 ; Vauchez, 2012).
Introduction : vie et mort du néo-institutionnalisme
1 Les textes séminaux du néo-institutionnalisme se concentrent non sur la façon dont se forment dans l’interaction et dans l’action des normes sociales et des croyances, mais sur la manière dont des normes, des croyances, des règles, etc., une fois institutionnalisées, vont constituer un environnement, qu’ils appellent environnement institutionnel, et comment les normes et schèmes issus de ce dernier informent la perception de la réalité sociale (Zucker, 1977 ; Meyer, Rowan, 1977 ; DiMaggio, Powell, 1983 ; Powell, DiMaggio, 1997 ; Scott, 2001). Ce dernier définit, dans cette optique, les exigences normatives, mais surtout cognitives auxquelles les organisations doivent se conformer pour être reconnues légitimes (Scott, Meyer, 1991). Le néo-institutionnalisme sociologique tente de mettre fin à l’opposition entre institution et culture, en les faisant s’interpénétrer, et
reflète « un tournant cognitiviste » [...] consistant à s’écarter de conceptions qui associent la culture aux normes, aux attitudes affectives et aux valeurs, pour se rapprocher d’une conception qui considère la culture comme un réseau d’habitudes, de symboles et de scénarios qui fournissent des modèles de comportement. (Hall, Taylor, 1997, p. 483).
3 Contre une tradition de recherche qui met l’accent sur les contraintes techniques, les échanges économiques, les flux d’information et de ressources, en un mot sur les exigences de l’activité des organisations (perspective rationaliste), le néo-institutionnalisme de la première heure entend défendre que la prévalence de certaines formes organisationnelles doit être attribuée aussi, voire surtout, à l’existence de mythes rationnels largement répandus dans la société (ou certains de ses segments), contenus dans l’environnement institutionnel. Ces mythes sont tenus pour acquis et ne font plus guère l’objet d’une réflexion et d’une évaluation de leurs conséquences et de leur efficacité. L’organisation rationnelle est un mythe moderne : elle est vue comme un moyen de coordonner efficacement l’action et de gérer des structures complexes. Avec le néo-institutionnalisme, c’est la conformité qui devient un puissant coordonnateur, en ce qu’elle facilite les transactions avec les autres organisations, ne serait-ce que parce que le partage de cadres cognitifs ou de significations permet de stabiliser les attentes et d’interpréter le comportement d’autrui (Fligstein, 2001).
4 Pour John W. Meyer et Brian Rowan et pour Paul J. DiMaggio et Walter W. Powell, si, comme l’a écrit Max Weber, l’ordre rationnel est devenu une cage de fer dans laquelle l’humanité serait désormais enfermée pour de nombreux siècles, ce n’est pas – ou plus – par une quête de plus grande efficacité, comme l’avançait le grand sociologue, mais par la nécessité de se conformer à l’environnement légitime. Cette référence critique à l’égard d’un des pères fondateurs de la sociologie, et de la sociologie des organisations en particulier, fait sans doute partie des multiples raisons qui expliquent l’immense retentissement [2] de ces textes. Ces derniers ont même donné naissance à un courant de recherche majeur, si ce n’est dominant, dans la sociologie des organisations à partir de la fin des années 1970 (Powell, DiMaggio, 1991) [3].
5 Mais, à partir des années 1990 (et, dès 1988, par DiMaggio lui-même), des critiques ont été émises à l’encontre de certaines perspectives privilégiées jusque-là par le néo-institutionnalisme. Une partie de ces critiques a été formulée par des chercheurs se revendiquant du néo-institutionnalisme, tandis que d’autres, plus sensibles à un institutionnalisme inspiré par Philip Selznick et Alvin W. Gouldner, appelaient à un rapprochement de ces deux traditions (e.g. Stinchcombe, 1997 ; Hirsch, Lounsbury, 1997 ; Hirsch, 1997). Selon ces critiques, parce qu’il avait mis l’accent sur la conformité des formes organisationnelles aux prescriptions institutionnelles, sur les mécanismes d’isomorphisme dans les phénomènes de diffusion, sur le caractère non réfléchi des comportements conformes aux scripts institutionnels “tenus pour acquis” (“taken-for-granted”), le néo- institutionnalisme se montrait efficace (ou semblait l’être du moins) à expliquer la reproduction de l’ordre social, son homogénéité, mais beaucoup moins à saisir le changement et, derrière l’apparence d’une homogénéisation croissante des champs institutionnalisés, la persistance d’une certaine diversité sociale (Dacin, Goodstein, Scott, 2002 ; Seo, Creed, 2002 ; Greenwood, Suddaby, 2006). Comment, avec les outils conceptuels du néo-institutionnalisme, penser la création organisationnelle et institutionnelle ? Comment expliquer que certaines formes organisationnelles s’imposent plutôt que d’autres quand il existe différentes alternatives disponibles ? Comment rendre compte des processus de diffusion sélective ? Comment décrire le déclin d’institutions, les phénomènes de « désinstitutionnalisation » (“deinstitutionalization”) et le changement institutionnel ? Autant de questions qui ont émergé à partir de la fin des années 1990 et pour lesquelles il a été fait le constat que, non seulement le néo-institutionnalisme s’y était peu intéressé jusque-là, mais surtout que certains de ses énoncés théoriques et orientations méthodologiques privilégiés l’avaient imparfaitement équipé pour les traiter.
6 La revue de littérature que nous allons présenter s’attache aux travaux des quinze à vingt dernières années qui ont cherché à concevoir une capacité d’action stratégique sans nier la contrainte qu’exercent les institutions. Dit autrement et plus prosaïquement, élaborer une approche théorique capable de penser simultanément le changement et l’ordre social, voici une ambition qui est à nouveau à l’agenda de la recherche en sociologie des organisations d’inspiration institutionnaliste [4] , [5]. Dans cette revue, nous accorderons une attention particulière au dernier livre de Neil Fligstein et Doug McAdam, A Theory of Fields (2012), livre dont les contours sont depuis longtemps en gestation [6] et qui entend apporter des réponses et réflexions concernant ces questions, dans un ensemble théorique et méthodologique ambitieux ; cet ouvrage manifeste en effet sa singularité, dans la production contemporaine, par sa volonté de proposer une synthèse à large juridiction [7] , [8].
7 Nous procèderons en deux temps. Dans un premier temps, nous présenterons les critiques émises dans la littérature vis-à-vis du néo-institutionnalisme et les développements récents, qui ont tenté, d’une part, d’introduire davantage d’ambiguïté, d’hétérogénéité et d’asymétries relationnelles dans l’appréhension des champs organisationnels et, d’autre part, de s’intéresser davantage au rôle des acteurs, et notamment aux entrepreneurs institutionnels. Dans un second temps, nous revenons sur ces développements et identifions quelques-unes des difficultés que posent le néo-institutionnalisme et ses développements contemporains, en particulier l’absence de précision sur les ressorts sociologiques du pouvoir et de la réflexivité des acteurs de changement.
I- Les récents développements : un ordre institutionnel moins intégré et plus dynamique
1. Le niveau mésologique comme producteur d’ordre
8 Nombreuses sont les théories sociologiques des organisations qui ont fait du champ le niveau d’analyse pertinent, bien qu’il existe de nombreuses manières de le sérier. La théorie de dépendance aux ressources ou la théorie de la contingence structurelle, par exemple, sont intéressées par les relations qui existent entre organisations dans un champ, et surtout par les relations qui lient les organisations à leur environnement (économique, technologique, etc.). Le néo- institutionnalisme, on le sait, a également placé les notions de champ et d’environnement (institutionnel) au cœur de ses analyses, en particulier parce que la reproduction institutionnelle, qui les intéresse tant, se réalise à ce niveau. Pour les premiers travaux néo-institutionnalistes, un champ n’est pas une population (Scott, Meyer, 1991) en ce qu’il n’est pas seulement un concept construit par l’analyste, mais une réalité sociale, intersubjective, existant aussi bien pour l’observateur que pour les observés [9]. Se distinguant du « vieil institutionnalisme » [10], pour lequel c’est l’environnement local qui importe (Powell, DiMaggio, 1997), le champ des auteurs néo-institutionnalistes se conçoit à un niveau d’ordre supérieur et regroupe les fournisseurs, les consommateurs ou leurs représentants, les professions, les agences gouvernementales, les producteurs du service ou du produit, etc. qui appartiennent et se disent appartenir à « un secteur reconnu de l’activité institutionnelle » (Powell, DiMaggio, 1997). Ces champs, selon ces auteurs, sont très « institutionnalisés » (Meyer, Rowan, 1977) et « hautement structurés » (DiMaggio, Powell, 1983).
9 On peut toutefois reprocher aux auteurs néo-institutionnalistes de la première génération de n’avoir pas su tirer les conséquences logiques qui découlent de leur concept de champ institutionnalisé et à fort degré de structuration, laquelle implique des organisations en relation d’interdépendance, parties prenantes de réseaux plus ou moins stables, ou prises dans des relations de hiérarchie, bénéficiant d’un accès inégal aux capitaux et ressources, etc. Or cette structuration sociale particulière, qui leur sert à caractériser le concept de champ, en le distinguant notamment de celui de population, n’est guère convoquée dans l’explication des processus d’homogénéisation, lesquels renvoient, plus volontiers, à un phénomène mécanique et unilatéral de reproduction d’ordre micrologique d’entités (normes, pratiques, structures formelles d’organisation, etc.) disponibles dans l’environnement institutionnel situé à un niveau macrologique. La texture structurale du champ, supposée plutôt qu’objectivée dans ces recherches, n’agit guère, dans l’analyse néo-institutionnaliste orthodoxe, comme ordre mésologique de médiation institutionnelle (Friedberg, 1997).
10 Des travaux plus récents accordent, toutefois, une attention plus prononcée à la structure des champs, ou à celle des organisations qui les composent, dans l’explication de la formation, de la stabilité mais surtout du changement institutionnel : ainsi des travaux comme ceux de Royston Greenwood et Roy Suddaby (2006) et de Hayagreeva Rao, Philippe Monin et Rodolphe Durand (2003), qui se penchent sur la façon dont des acteurs dominants, placés au centre d’un champ, sont susceptibles d’initier le changement ou ceux, au contraire, qui font de l’occupation d’une position à la périphérie, en marge d’un champ, une ressource essentielle d’induction des processus de changement auxquels participent des acteurs tendanciellement moins encastrés. Ces approches contrastent avec le néo-institutionnalisme des premiers écrits qui tendait à privilégier, comme l’institutionnalisme historique (Hall, Taylor, 1997), des explications externalistes, invoquant la survenue de « choc exogène » (Mahoney, Thelen, 2010) ou de « jolt » (Meyer, 1982) pour expliquer le changement. Pareil intérêt pour la structure relationnelle se réalise également dans l’analyse de processus de diffusion d’innovations ou de pratiques institutionnelles (Greenwood, Raynard, Kodeih et al., 2011) : quand les premiers travaux du néo-institutionnalisme s’intéressent aux processus d’homogénéisation des normes, formes et pratiques institutionnelles, il s’agit au contraire, dans ces récentes recherches, de rendre compte d’une diffusion sélective de pratiques ou d’innovations, plus volontiers adoptées en certains points d’un champ ou en certains lieux au sein des organisations. Matthew Kraatz et Edward J. Zajack (1996) établissaient déjà que l’adoption de formes et de pratiques non légitimes d’un point de vue institutionnel pouvait être préférée par certains acteurs organisationnels et que toutes les organisations ne se conformaient pas aux normes institutionnelles dominantes. Ils peinaient toutefois à expliciter les déterminants de ce qu’on peut lire comme des stratégies différentes. Christine Oliver (1991) énumère également les stratégies de réponses organisationnelles aux pressions de l’environnement, de l’acceptation à la manipulation. Elle soutient, pour expliquer cette variété de comportements stratégiques, des hypothèses liées aux différences en termes de ressources organisationnelles, de niveau de conflictualité des normes institutionnelles et de degré de réflexivité (conscience) vis-à-vis de ces exigences institutionnelles. Mais peu d’hypothèses élaborées concernant la structure des champs ou des organisations sont formulées (Pache, Santos, 2010).
11 Des travaux plus récents tentent de former des hypothèses de ce genre pour répondre à ces questions d’importance : ils s’intéressent ainsi à la réponse (qui est une façon de considérer le rôle actif des organisations, que le terme de diffusion tend à effacer) qu’apportent les organisations aux prescriptions institutionnelles, souvent mul- tiples, voire contradictoires (« institutionnal complexity ») (Greenwood et al., 2011). Plusieurs types de caractéristiques de la structure des champs (fragmentation, degré de formalisation et de rationalisation, centralisation) et des organisations (position dans le champ, structure organisationnelle, type de propriété et gouvernance [11], identité) permettent de rendre compte de la variété des réponses organisationnelles aux prescriptions institutionnelles (Greenwood et al., 2011). Pour ce qui est des caractéristiques du champ, Thomas D’Aunno et ses collègues (2000), par exemple, dans le cas de l’étude de changements organisationnels touchant les hôpitaux américains, s’intéressent notamment, pour expliquer les comportements « déviants », au degré de proximité qu’entretiennent ces déviants avec les organisations avec lesquelles elles sont en compétition. En ce qui concerne les caractéristiques des organisations, Shazad M. Ansari, Peer C. Fiss et Edward J. Zajac (2010), recommandent de prendre en compte, entre autres facteurs, la structure des relations de pouvoir interne aux organisations, afin de comprendre l’inégale appropriation (plus ou moins fidèle, et plus ou moins extensive) d’innovations ou de pratiques institutionnelles dans un champ.
12 Le dernier livre de Fligstein et MacAdam, A Theory of Fields, est remarquable de ce point de vue. On notera, à titre d’illustration, l’insistance sur le rôle de l’État et des autorités de régulation dans l’émergence, la stabilité, le changement et le rétablissement de l’ordre social dans les champs (point de « dépérissement de l’État » dans pareille approche). Mais il est également notable, en ce qu’il conçoit le « social » comme un ensemble de « champs stratégiques d’action » (“strategic action fields”), de dimensions fort variables (du petit service d’une entreprise ou d’une administration jusqu’aux relations internationales ou secteurs économiques particuliers), organisés autour d’enjeux spécifiques et liés à d’autres champs (stratégiques), dont, quasi inévitablement, des champs étatiques. D’une part, il insiste, en poursuivant des lignes déjà tracées par Andrew Abbott (2005) sans pour autant le citer, sur le caractère décisif des relations d’interdépendance entre champs (relations horizontales et verticales – hiérarchiques, et parfois comparées par analogie à une structuration en forme de poupées russes), plus ou moins distants les uns des autres, dans l’explication de la stabilité et du changement social [12]. D’autre part, il s’inscrit dans des tentatives récentes de réinvestir un niveau d’analyse méso-sociologique, refusant de faire de ce dernier la simple déclinaison ou le seul homologue de l’ordre macrosociologique, pour le considérer plus volontiers comme un lieu de médiation (de reproduction ou au contraire, de diffraction) des institutions [13] ; un espace, en somme, auquel il faut reconnaître un certain degré d’autonomie dans la structuration des relations sociales et dans l’organisation de la vie collective.
13 Tous ces récents travaux ont le souci et le mérite de faire de la structure des champs et des organisations une des variables explicatives essentielles de toute une série de phénomènes sociaux qui occupent le sociologue (création, diffusion, stabilité et changement institutionnels), en insistant non seulement sur la nature politique et la densité relationnelle des champs (stratégiques) mais en restituant également leur topographie plus accidentée, contrastant avec celle restée singulièrement plate des premiers travaux néo-institutionnalistes. De ce point de vue, il est difficile de ne pas faire l’analogie, au moment où celui-ci vient de disparaître, avec les travaux de Michel Crozier, et à ceux qu’il a menés avec Erhard Friedberg (Crozier, Friedberg, 1977), ou encore à ceux du seul Friedberg (1997). On ne peut ici évoquer l’ensemble des développements qui entretiennent un air de famille avec ces projets théoriques différents, qu’il s’agisse de l’ouvrage de Fligstein et MacAdam [14] ou de ceux des nombreux autres travaux récents que nous allons ici évoquer. Mais on peut toutefois, à titre d’illustration significative, signaler que de nombreux auteurs, dont Fligstein et McAdam, comme Crozier et Friedberg, se représentent l’État, non pas comme une entité unifiée et homogène, mais comme un enchevêtrement – parfois enchâssement – de champs d’action stratégique [15]. D’une manière plus générale, on notera que l’analyse menée par ces « nouveaux néo-institutionnalistes », dans un mouvement récursif historique qui correspond à ceux décrits par Abbott dans The Chaos of discipline (2001), entretient un singulier rapport d’affinité avec l’entreprise de déconstruction de l’organisation et des champs – dé-essentialisation – qu’a menée Friedberg dans Le Pouvoir et la règle lorsqu’il élabore ses concepts d’ordre local et d’action organisée et collective [16].
2. Complexité institutionnelle
14 Cette conception d’une structuration en champs et en sous champs, encastrés les uns dans les autres comme des poupées russes, affirme un monde social moins intégré que ne le laissaient percevoir les travaux des premiers néo-institutionnalistes ; on a affaire au contraire à une multitude de champs, parcourus par de nombreuses logiques institutionnelles [17] (Friedland, Alford, 1991 ; Stryker, 2000 ; Thornton, Ocasio, 2008), espaces d’intermédiation entre le local et le sociétal, qui, à l’image des « ordres locaux » de Friedberg (1997), fractionnent « la belle ordonnance des cadres », et génèrent « des discontinuités entre les échelles d’observations » (Friedberg, 1998, p. 512), même s’il reste quelques chercheurs pour former l’hypothèse d’une « culture monde » au principe de processus d’homogénéisation transnationaux (Boli, Thomas, 1997 ; Meyer, Boli, Thomas et al, 1997). De nombreux travaux voient dans cette densité et diversité des normes et logiques institutionnelles une ressource autant qu’une condition d’agency, et plus fondamentalement de changement institutionnel (Kraatz, Block, 2008). Ils font ainsi valoir quatre ordres d’arguments principaux qui ont tous trait aux caractéristiques variables des institutions : a) ils remarquent, pour commencer, que les institutions qui pèsent sur une situation sociale ou un champ singulier peuvent être multiples, ambiguës (caractère fondamental des institutions selon James Mahonney et Kathleen Thelen (2010)), contradictoires et/ou « équivoques » (Weick, 1995), ce qui, pour peu que l’on accepte que la culture soit une boîte à outils (Swindler, 1986), constitue une opportunité pour l’innovation (Clemens, Cook, 1999), pour une appropriation sélective des normes institutionnelles (Edelman, 1992 ; Rao, Monin, Durand, 2003) ou encore pour nourrir des stratégies de non conformité/résistance aux pressions de l’environnement (Olivier, 1991). Dans tous les cas, le caractère ambigu, flou ou contradictoire des institutions est un facteur d’agency, ce que des « vieux » institutionnalistes comme Gouldner (1954) n’aurait guère contesté ; b) ils font également valoir que toutes les institutions ne sont pas également passibles d’une activité réflexive (compétence d’agency, qui, nous le verrons, est considérée comme une compétence clé des acteurs du changement) : si l’on accepte qu’il n’existe guère plus de différence entre culture et institution, comme le suggèrent Meyer et de nombreux néo-institutionnalistes (Powell, DiMaggio, 1997), on est bien obligé d’admettre que certaines catégories élémentaires de la pensée (des typifications culturelles ou catégories essentielles) sont moins susceptibles d’un travail réflexif, et sont in fine moins plastiques, que ne peuvent l’être les règles du jeu organisant un marché de biens industriels, des règles internes, même décennales, présidant au fonctionnement d’un syndicat, ou même les règles constitutionnelles d’une démocratie parlementaire [18]. William H. Sewell (1992), tout comme Elisabeth S. Clemens et James M. Cook (1999, p. 447 sq.), approfondit et raffine cette hypothèse, lorsqu’il distingue les structures selon leur variable profondeur (“depth”) et selon le fait qu’elles sous-tendent ou non de conséquentes relations de pouvoir. La profondeur d’une structure se jauge ainsi à l’aune de son niveau relatif d’évidence pour les acteurs (“taken-for-granted”) et au fait qu’elle imprègne plus ou moins d’autres structures plus « superficielles » ; c) d’autres auteurs, comme Clemens et Cook (1999), insistent sur la plus ou moins grande « mutabilité » des institutions : ils distinguent ainsi des systèmes institutionnels qui exigent (“must”), ceux qui interdisent (“must not”) et ceux qui suggèrent (“may”), lesquels sont donc plus ou moins favorables à la reproduction et, réciproquement, à l’innovation ; d) enfin, d’autres auteurs, moins nombreux, comme Rao, Monin et Durand (2003), s’inspirant en particulier de John D. Skrentny (1996), font astucieusement remarquer que les logiques/normes institutionnelles qui valorisent l’autonomie individuelle, la créativité et la liberté sont plus propices à la mutation (endogène) que celles qui ne le font pas : les innovateurs peuvent en effet revendiquer des changements en arguant qu’il s’agit là d’une simple reproduction/renforcement des logiques traditionnelles.
15 On retiendra que la « prise en charge » du pluralisme institutionnel par la théorie institutionnaliste n’est en rien anodine : non content d’autoriser « un retour de l’agency », elle contribue également à déplacer le centre de gravité des interrogations privilégiées, en ce que la question de la stabilité de l’ordre social devient au moins aussi centrale et problématique que celle du changement (Kraatz, Block, 2008).
3. L’agency et les entrepreneurs de changement
16 Sans qu’il s’agisse là de la seule façon de classer ces travaux, un excursus non exhaustif de la littérature de sociologie des organisations, de sociologie des mouvements sociaux et de sociologie économique qui s’intéresse en particulier à la question du changement social, et en particulier du changement institutionnel [19], conduit à dégager au moins deux points focaux. Il existe, d’une part, des travaux qui se penchent plus volontiers (c’est-à-dire de manière non exclusive) sur les conditions structurelles favorables au changement : chocs exogènes, transformations conjointes d’écologies liées, mécanismes incrémentaux d’ordre endogène, structures d’opportunités, fenêtres d’opportunité politique, structures réticulaires singulières, etc. Il y a, d’autre part, les recherches qui s’intéressent en particulier au rôle d’acteurs (ou de collectifs), qualifiés à l’occasion d’entrepreneurs, entrepreneurs institutionnels, brokers, médiateurs, traducteurs, marginaux-sécants, entrepreneurs de politiques publiques, entrepreneurs de cause, ou encore, et justement, d’acteurs socialement compétents (“socially skilled actors”)…
17 Sans nier la nécessité de s’intéresser aux institutions et sans que cela signifie un retour à l’idée d’un acteur autonome, libre de toutes contraintes et pouvant réaliser sans obstacle ses stratégies et maximiser ses intérêts, de nombreux travaux ont défendu la nécessité de réintroduire l’analyse de l’action humaine pour rendre compte des transformations, mais aussi de la reproduction des ordres sociaux [20].
18 Pour ces auteurs, la reproduction des institutions ne doit pas être tenue pour acquise et même les technologies, les structures, les pratiques ou les règles fortement institutionnalisées nécessitent d’être soutenues et reproduites par le travail actif d’individus et d’organisations [21]. Thomas B. Lawrence et Roy Suddaby (2006), dans un article à la fois de synthèse et programmatique, ont appelé « travail institutionnel », le travail de création, modification et reproduction des institutions (Oliver (1992) s’intéresse, elle, en particulier, au travail de désinstitutionnalisation). Pour ces auteurs, si l’on a longtemps privilégié l’analyse des façons par lesquelles les institutions influent sur l’action, il est temps de s’intéresser à ce que fait l’action aux institutions. L’agency – terme difficilement traduisible en français – renvoie à la mise en évidence de cette « efficacité de l’action humaine » (Sewell, 1992, p. 2) ou à cette idée que, dans de nombreuses situations, les individus « font la différence » (Beckert, 1999, p. 778). Elle peut se manifester dans des actions individuelles, dans des actions collectives ou même, par extension, dans des organisations, quand celles-ci réagissent différemment aux mêmes contraintes environnementales (Olivier, 1991 ; 1992 ; Suchman, 1995 ; Pache, Santos, 2010 ; Greenwood, Raynard, Kodeih et al., 2011).
19 Différentes perspectives, complémentaires, ont été tracées pour rendre compte de cette agency. Pour la clarté de l’exposé, nous avons distingué trois grands groupes d’explications, mais il est fréquent que, dans les travaux, elles se combinent.
3.1 Mouvements sociaux et organisations
20 L’agency peut s’observer dans des contextes institutionnels a priori moins favorables que des champs fragmentés, caractérisés par des institutions multiples et contradictoires et/ou un éclatement des structures de gouvernance. À partir des années 1990, c’est ce qu’ont cherché à montrer certains auteurs, issus du champ de la sociologie économique et des organisations. Jens Beckert (1999), par exemple, afin d’introduire l’action stratégique [22] dans la théorie néo-institutionnaliste, insiste sur la notion d’incertitude. L’incertitude caractérise, selon lui, les situations dans lesquelles les acteurs ne sont pas capables de fonder leurs stratégies en fonction de leurs préférences prioritaires, parce que la complexité de la situation et les contraintes informationnelles ne leur permettent pas d’évaluer les probabilités d’occurrence des conséquences de leurs choix. Il estime ainsi que l’action stratégique n’est possible que si les structures institutionnelles sont stables parce que pareille situation autorise les acteurs à faire des évaluations des conséquences de l’action : nous pouvons décider ce que nous voulons faire parce que nous pouvons imaginer ce que les autres vont faire. Retournant l’argument néo-institutionnaliste, il soutient ainsi que l’action stratégique – qui bouscule les règles institutionnelles – se réalise dans des situations caractérisées précisément par un haut degré de certitude institutionnelle. D’autres auteurs, moins intéressés par l’action individuelle que par l’action collective (Lawrence, 2008), poursuivent cette voie en tirant quelques enseignements de la théorie des mouvements sociaux américaine, à savoir celle qui relève du paradigme de la “contentious politics” (e.g. Davis, Thompson, 1994 ; Rao, Morrill, Zald, 2000 ; McAdam, Scott, 2005) [23]. Ces auteurs ont notamment retenu de cette littérature, qui avait mis en évidence des processus de changements sociaux considérables (le mouvement pour les droits civils, l’émancipation sociale des femmes, le mouvement identitaire en faveur des homosexuels, etc.), que les conflits entre groupes aux intérêts divergents [24], les structures d’opportunités politiques et les processus de framing (collectifs) pouvaient être à l’origine de la déstabilisation d’institutions jusque-là dominantes, voire de leur « désinstitutionnalisation », et qu’ils avaient été négligés jusque-là par le néo-institutionnalisme (McAdam, Scott, 2005). Les stratégies des associations et des mouvements contesta- taires à l’intérieur des entreprises et leurs effets sur les transformations de ces entreprises ont été des terrains de recherche particulièrement étudiés (Rao, 1998 ; de Bakker, Den Hond, King et al., 2013 ; Davis, Morrill, Rao et al., 2008 ; Briscoe, Safford, 2008), tandis que le concept de framing a, quant à lui, fait l’objet d’une attention privilégiée par les sociologues des organisations. Rappelons que, dans la sociologie des mouvements sociaux, les frames d’action collective sont des métaphores, des symboles, des signes cognitifs (“cognitive cues”) qui éclairent les enjeux d’une certaine façon et suggèrent les manières possibles d’y répondre (Snow, Rochford, Worden et al., 1986 ; Benford, Snow, 2000). Ils impliquent la création et la manipulation stratégique d’interprétations du monde, en s’appuyant généralement sur des répertoires d’action et des artefacts culturels disponibles. Cette activité de framing affecte la façon dont les acteurs perçoivent leurs intérêts, leurs identités et les possibilités de changement. Or, si les théoriciens des organisations avaient souligné l’importance de l’adéquation cognitive et culturelle à l’environnement, ils avaient jusque-là négligé ces processus de framing, ce qui avait nui à leur capacité à penser le changement (McAdam, Scott, 2005). Michael Lounsbury, Marc Ventresca et Paul Hirsch (2003) élaborent ainsi le concept de « field frame » – les frames étant conçus comme plus plastiques et plus passibles d’une manipulation stratégique que ne le sont les logiques institutionnelles – afin de comprendre la façon dont les luttes politiques influencent, non pas seulement les systèmes de significations culturelles, comme dans les études sur les mouvements sociaux, mais également de vastes processus socio-économiques, tels que l’émergence d’une nouvelle industrie (ici le recyclage).
3.2 Entrepreneuriat institutionnel
21 Une autre voie a été explorée pour tracer l’agency : elle s’est intéressée aux « entrepreneurs institutionnels », terme introduit par DiMaggio (1988). On s’est alors intéressé au travail politique et organisationnel (Kraatz, Block, 2008 ; Kraatz, 2009 ; Lawrence, Suddaby, 2006 ; Rao, 1998), aux capacités ou compétences spécifiques – comme la réflexivité (Fligstein, 1997 ; Beckert, 1999) – et aux positions particulières d’individus ou de collectifs, qui jouaient un rôle primordial dans le maintien de l’ordre social ou dans sa remise en cause [25].
22 Nous voudrions ici souligner deux points saillants qui ressortent de l’examen de cette trop vaste littérature pour en faire une synthèse fidèle en quelques lignes [26]. De nombreuses recherches ont d’abord mis en évidence l’importance du travail (politique) de « bricolage », de « médiation » ou de « recombinaison » auquel se livraient les entrepreneurs de changement, en mêlant habilement et de façon nouvelle des éléments anciens du champ avec des éléments nouveaux, pour faciliter l’acceptation d’une innovation ou d’une réforme (Granovetter, 1994 ; Rao, Monin, Durand, 2005 ; Stark, 1996 ; Castel, Friedberg, 2010 ; Padgett, Powell, 2012). Un second point saillant de cette littérature est la redécouverte, à la suite d’auteurs comme Everett Hughes (1949), Robert Park (1928), M. Tushman (1977), Crozier et Friedberg (1977) mais sans qu’ils soient nécessairement cités, que la position frontalière entre plusieurs entités sociales pouvait offrir des ressources cognitives et matérielles propices à l’initiation du changement (Padgett, Ansell, 1993 ; Burt, 1995 ; Greenwood, Suddaby, 2006 ; Lawrence, Suddaby, 2006) [27].
23 Tout en s’interrogeant fort heureusement sur les conditions structurelles favorables au changement, Rao (Rao, 1998 ; Rao, Monin, Durand, 2003) et Fligstein (Fligstein, 1997 ; 2001 ; Fligstein, McAdam, 2011 ; 2012) mettent l’accent dans leurs travaux sur l’entrepreneuriat institutionnel. Leurs réflexions empruntent certains éléments à la théorie des mouvements sociaux, et en particulier le fait que les entrepreneurs sont des individus particulièrement « doués » (“skilful” pour Rao (p. 948) et “socially skilled” pour Fligstein) pour recourir à des frames efficaces à susciter la mobilisation. Deux notions fondamentalement liées, celle d’« action stratégique » et celle de « compétences sociales » (“social skills”), composent le cœur des fondements micrologiques (“micro-foundations”) de la théorie de Fligstein et McAdam (2011 ; 2012). L’action stratégique, définie comme
the attempt by social actors to create and sustain social worlds by securing the cooperation of others (Fligstein, McAdam, 2012, p. 17),
25 est décisive pour comprendre les mécanismes qui ont trait à l’émergence, la stabilité et le changement institutionnel. Or, avancent Fligstein et McAdam, certains acteurs, individuels ou collectifs, seraient plus doués « cognitivement » que d’autres pour susciter cette coopération et feraient montre d’une plus grande dextérité dans le maniement de toutes sortes de tactiques pour y parvenir [28]. Ils seraient capables d’imaginer des arrangements institutionnels qu’ils estimeraient plus efficients ou plus appropriés et dont l’« enactment » servirait avantageusement les buts qu’ils chérissent, que ces buts soient plus volontiers individuels ou qu’ils servent plus manifestement des besoins plus collectifs ou « existentiels », comme la « création collective de sens » (“collective meaning making”) (Fligstein, McAdam, 2012, p. 56).
3.3 Les institutions en pratique(s)
26 Le néo-institutionnalisme a été travaillé et discuté par un autre ensemble de travaux qui, malgré leurs différences, se rejoignent dans l’intérêt qu’ils portent à l’étude du lien entre les pratiques des acteurs, au niveau local, et les institutions. Dans quelle mesure celles-ci structurent-elles celles-là ? Et quels sont les mécanismes à l’œuvre ? De quelle marge de manœuvre et/ou d’interprétation les acteurs disposent-ils dans la mise en conformité de leurs pratiques avec ces institutions ? Quelle part donner à la créativité (collective) ? Par exemple, dans les études de diffusion d’innovations techniques ou managériales, il s’agit de s’interroger sur d’autres mécanismes que le mimétisme (irréfléchi) pour comprendre cette diffusion, mais aussi et surtout de voir le travail d’appropriation à l’œuvre au niveau local, c’est-à-dire : identifier quels groupes y participent précisément, quels groupes promeuvent l’innovation et quels groupes y résistent, et comprendre pourquoi (Kellogg, 2009 ; Hallett, 2010 ; Castel, Friedberg, 2010) ; déceler les conflits qui se déroulent au cours du processus de diffusion/appropriation (Lawrence, Suddaby, 2006) ; mesurer si l’appropriation est partielle ou totale (Ansari, Fiss, Zajac, 2010 ; Pache, Santos, 2010) ; décrire, finalement, ce que ce processus d’appropriation fait à l’innovation, en quoi il la transforme (Ansari, Fiss, Zajac, 2010 ; Katz, 1999 ; Castel, Friedberg, 2010). On le comprend, ce qui est encore questionné dans tous ces travaux, mais sous un angle et à un niveau d’observation un peu différents des travaux présentés aux deux paragraphes précédents, c’est le caractère « tenu pour acquis » (“taken-for-granted”) des institutions et, ce qui investigué, c’est la capacité des acteurs à réfléchir les institutions ou, pour reprendre une expression utilisée dans plusieurs textes, à les « habiter » (“inhabited institutions”), c’est-à-dire à voir les implications concrètes et pas seulement « cérémonielles » (Meyer, Rowan, 1977) ou « symboliques » des pressions institutionnelles (Scully, Creed, 1997 ; Hallett, Ventresca, 2006a ; Binder, 2007 ; Hallett, 2010). Pour qu’une innovation, une loi ou une réforme, au-delà de sa seule diffusion, s’institutionnalise [29], puis se maintienne, il faut que des acteurs s’en emparent et, éventuellement, ce faisant, modifient sa substance [30]. Une telle perspective permet d’appréhender la diversité du social, y compris dans des champs où dominent des institutions ou des logiques institutionnelles.
27 Rappelons que les néo-institutionnalistes de la première heure ne s’accordaient pas tous sur le fait qu’il existe une forte adéquation entre les pratiques locales et les institutions des organisations dans lesquelles elles se déploient. Au contraire, certains, comme Meyer et Rowan (1977) ou encore Nils Brunsson (1989), ont avancé que les phénomènes de « découplage » étaient fréquents, voire la règle plus que l’exception : dans cette perspective, les organisations se conformaient de façon symbolique aux prescriptions institutionnelles, en adaptant les traits de leur structure formelle notamment, mais sans que cela n’affecte les pratiques locales. Toutefois, quel que soit le point de vue défendu concernant le plus ou moins grand degré de cohérence entre les institutions et les pratiques d’un champ, le néo-institutionnalisme des années 1980/1990 a étudié les phénomènes de diffusion ou d’institutionnalisation au niveau macroso- ciologique (la domination de logiques institutionnelles par exemple) ou au niveau des organisations d’un champ donné, sans guère se préoccuper de leurs conséquences sur les pratiques locales (Hirsch, Lounsbury, 1997 ; Hallett, 2010). L’ouvrage de Scott et de ses collègues sur le changement institutionnel dans le système de santé américain depuis 1945 est exemplaire d’une telle perspective (Scott, Ruef, Mendel et al., 2000). Ces auteurs démontrent l’émergence puis la prégnance de la logique institutionnelle dite du marché au sein de ce champ (sans toutefois que les logiques « professionnelles » d’une part et « d’implication fédérale » d’autre part aient totalement disparu) et documentent les évolutions qui en découlent concernant les types d’organisations qui peuplent le système et leur hiérarchie symbolique, ainsi que les transformations de leurs caractéristiques formelles, mais ne distillent aucune donnée ni aucune analyse sur les (éventuelles) transformations des pratiques médicales ou des patients, par exemple.
28 Critiquant ces lacunes, depuis le tournant des années 2000, des théoriciens des organisations jugent essentiel de s’intéresser aux pra- tiques concrètes des acteurs dans un contexte institutionnel donné, pour saisir l’influence réelle de ces institutions. Des textes théoriques et programmatiques ont été produits sur le sujet (Powell, Colyvas, 2008 ; Hallett, Ventresca, 2006a ; Kraatz, Block, 2008 ; Ansari, Fiss, Zajac, 2010), mais une grande partie de ces réflexions se développent à partir d’études de cas ethnographiques et fréquemment monographiques (un ou deux terrains d’enquête). Elles consistent moins dans le déploiement de nouvelles perspectives théoriques que dans la relecture à nouveau frais d’auteurs classiques comme les interactionnistes Hughes, Blumer ou Strauss (Bechky, 2011 ; Binder, 2007 ; Barley, 2008) ou les « vieux » institutionnalistes Gouldner (Hallett, Ventresca, 2006a ; Hallett, Ventresca, 2006b ; Hallett, 2010) et Selznick (Hirsch, Lounsbury, 1997 ; Zbaracki, 1998 ; Kraatz, Block, 2008 ; Kraatz, 2009).
29 Arrêtons-nous sur cinq études de cas significatives qui s’ins- crivent dans ce type de questionnement. Trois études portent sur des réformes managériales : la réforme du temps de travail des internes dans les hôpitaux (Kellogg, 2009), la mise en place de standards et de procédures d’accountability dans les écoles (Hallett, 2010) et le Total Quality Management dans cinq organisations (Zbaracki, 1998). Dans ces études, les auteurs s’interrogent sur les conditions d’ancrage des réformes dans les organisations. En d’autres termes, et c’est la problématique explicite de Hallett (2010), à quelles conditions et par quels processus un (re)couplage ou un découplage (partiel ou complet) entre institutions et pratiques locales peut-il s’opérer et quels sont les effets de tels processus ? Les études s’attachent à décrire les processus de mobilisation, d’alliances et de conflits entre les groupes à l’intérieur des organisations pour promouvoir ou contrecarrer la réforme. L’analyse de Zbaracki (1998) est particulièrement originale, dans la mesure où il montre que, même si une partie du succès du TQM est rhétorique, il ne peut pas être pour autant tenu pour purement symbolique et déconnecté de préoccupations d’efficacité : les promoteurs dans les organisations y croient (ou ont “de bonnes raisons” d’y croire, aurait dit Raymond Boudon) et font tout un travail de persuasion, qui non seulement est difficile, pensé pour contourner les résistances, mais encore qui se traduit par des productions très matérielles et offre des opportunités à des structures institutionnelles de promotion du TQM (comme la création d’experts du TQM par exemple).
30 Les deux autres cas sont consacrés à l’étude de décisions dans des organisations où travaillent des professionnels, à savoir un centre de néonatologie (Heimer, 1999) et un tribunal dédié aux affaires de toxicomanie (“drug courts”) (McPherson, Sauder, 2013). Dans les deux cas, les chercheurs posent le constat, à la suite de leurs observations, que les acteurs se débattent avec des institutions différentes – et donc des logiques de décision – qui coexistent et qui ne sont pas toujours compatibles entre elles, voire qui sont « rivales » (Heimer, 1999) : la logique professionnelle, la logique légale, la logique familiale, dans le premier cas ; la logique de la réhabilitation, la logique de la sanction criminelle, la logique de l’efficacité économique et la logique de l’accountability vis-à-vis de la communauté, dans le second cas. Or, les études montrent toutes deux la capacité des acteurs à mobiliser ces institutions avec une marge de discrétion : les institutions, quoique contraignantes, ne s’imposent pas mécaniquement aux acteurs [31]. Mais aussi, de façon intéressante, elles montrent que certains acteurs, du fait de leur position dans l’organisation, sont plus aptes à le faire que d’autres, disposent de plus de marges de manœuvre par rapport à ces institutions. C’est le cas des médecins dans le service de néonatologie, dont dépend fortement la mise en œuvre effective des différentes législations, cette implication étant très indexée sur l’intérêt qu’ils voient dans la législation ; c’est ce qui explique en grande partie que certaines lois en néonatalogie sont bien mises en œuvre, quand d’autres ont peu ou pas d’effets sur les pratiques. C’est aussi le cas des agents de probation des « drug courts », qui, plus que les autres participants aux processus décisionnels, se montrent aptes à mobiliser différents registres d’argumentation, qui renvoient à des logiques institutionnelles variées, et à « détourner » (“hijack”) à leur profit des logiques institutionnelles défendues traditionnellement par d’autres professionnels, comme celle de la réhabilitation (qui est tendanciellement défendue par les professionnels de santé). Au final, les deux textes font l’analogie entre leur analyse des institutions et la célèbre analyse d’Ann Swindler sur la culture comme « boîte à outils » (Swindler, 1986) : les institutions, quoique contraignantes, ne sont pas déterminantes et offrent des opportunités d’agir.
II- Apories et défis théoriques
1. Sous-conceptualisation de l’ordre social mésologique
31 Les différents travaux que nous avons recensés mettent l’accent sur le niveau mésologique de l’ordre social, quoique thématisé de manières différentes, et nous avons souligné les avantages d’une telle démarche. On peut toutefois regretter qu’ils pêchent par une sous-conceptualisation de cet ordre mésologique.
32 Ceux qui s’intéressent aux pratiques locales dans les organisations ont une conception appauvrie de l’organisation en tant qu’ordre ou système politique, alors que la sociologie des organisations, depuis Weber, puis par des auteurs s’inscrivant dans le « vieil » institutionnalisme (Gouldner, Selznick, Blau, Crozier, Friedberg, …), a montré à quel point c’était une dimension essentielle pour comprendre la dynamique des organisations. Une partie des travaux que nous avons présentés réduisent même l’analyse des réponses organisationnelles aux pressions institutionnelles aux décisions de leurs dirigeants (par exemple Binder, 2007 ; Kennedy, Fiss, 2009). D’autres rendent davantage compte des interactions et des négociations entre les différents acteurs à l’intérieur des organisations, interactions qui pèsent sur la façon dont les institutions se manifestent concrètement (« how they are actualized on the ground » (McPherson, Sauder, 2013, p. 167)). Mais ils ne définissent guère autour de quels enjeux se sont stabilisées ces relations entre les acteurs dans ces organisations et, partant, ne parviennent pas à déterminer en quoi les institutions contribuent à structurer ces jeux et, réciproquement, comment ces jeux influent sur la façon dont sont mobilisées, dans les organisations considérées, les institutions ou les innovations du champ. Bref, et nous y allons y revenir plus loin, ils n’expliquent pas parfaitement en quoi le niveau mésologique « médiatise » (Edelman, 1992) ou « filtre » (Selznick, 1949 ; Greenwood, Raynard, Kodeih et al., 2011) l’influence des institutions. Paradoxalement, même ceux qui revendiquent une parenté avec le « vieil institutionnalisme », comme les tenants d’une analyse des « institutions habitées » (Hallett, Ventresca, 2006a ; Hallett, 2010) par exemple, sont passibles de pareille critique. Pour ne prendre qu’un exemple qui nous paraît significatif : dans leur étude pourtant très riche d’un tribunal dédié au traitement de la toxicomanie (voir plus haut), Chad McPherson et Michael Sauder (2013) isolent l’analyse des décisions prises au sujet d’usagers de drogue de l’ordre systémique et durable de ce tribunal. Ils font comme si elles étaient des jeux « à un coup », alors que les acquis des études organisationnelles classiques de la décision ont montré la nécessité de les contextualiser, et notamment de voir en quoi chacune d’elles s’insérait dans des jeux politiques qui dépassaient l’enjeu de la seule décision sous étude (Allison, 1971 ; Friedberg, 2000).
33 Les travaux qui s’intéressent aux processus de reproduction ou de transformations des champs ne sont guère plus diserts sur les opérations de délimitation et de figuration (modélisation) de cet ordre méso. Et cela, faute de plus amples clarifications, peut constituer une forme d’écueil méthodologique. Contre toute attente, en effet, alors que ces auteurs mettent au cœur de leur explication les dynamiques de champ, il manque au lecteur quelques outils conceptuels et méthodologiques précis permettant de représenter et se représenter – en d’autres termes, de caractériser – la structuration et les dynamiques sociales qui animent ces champs. Un grand nombre d’autres perspectives, d’obédience théorique au demeurant fort variée, qui insistent sur le rôle de la structure des relations sociales dans la formation et l’inclinaison de l’action des acteurs individuels et collectifs, lesquels se trouvent encastrés dans pareilles structures, et qui se situent souvent à une échelle d’analyse mésologique, ont pris pourtant soin de développer des modes et méthodologies de formalisation/figuration de ces relations : de l’analyse structurale d’obédience quantitativiste d’un Ronald Burt, à la suite des travaux de James Coleman (avec Elihu Katz et Herbert Menzel) et d’un Emmanuel Lazega, en passant par les travaux de Pierre Bourdieu jusqu’aux recherches plus qualitatives de M. Crozier et E. Friedberg, autant d’approches qui spécifient plus conséquemment les mé- thodes d’objectivation des relations sociales qui existent entre acteurs (collectifs) dans l’espace social concerné par leur analyse. Tel n’est pas le cas des études que nous avons recensées.
34 Illustrons notre propos en revenant à nouveau sur le livre A Theory of Fieds (Fligstein, McAdam, 2012). Alors que les fondations microsociologiques de la théorie des deux auteurs , d’une part, et les relations entre champs, d’autre part, font l’objet d’amples et profonds développements, dont des chapitres spécifiques (respectivement les chapitres 2 et 3), les outils pour explorer, saisir et objectiver la structure interne des champs font, eux, l’objet de beaucoup moins de précisions. Les champs, nous disent-ils, fonctionnent, de manière idéal-typique, sur le mode de la coercition, de la concurrence ou de la coopération, ils se caractérisent par plus ou moins de hiérarchie, plus ou moins de coalition/coopération (pp. 14-16). Mais ils détaillent et décrivent trop peu ces modèles idéal-typiques pour qu’on les juge suffisamment spécifiques et réellement heuristiques. Dans le même ordre d’idée, il n’est pas sûr qu’il puisse exister des « unorganized strategic action fields » (p. 175), comme ils le postulent. Nous inspirant des réflexions de Friedberg (1997), nous sommes tentés d’affirmer que la dichotomie entre champ organisé et champ inorganisé est peu opérante, qu’il vaut mieux considérer tout champ d’action stratégique comme fondamentalement organisé, et reconnaître que le degré de formalisation/institutionnalisation de l’organisation/structuration des champs est susceptible de varier selon des dimensions qu’il convient justement de préciser [32] ; précisions que l’ouvrage n’apporte guère.
35 Autre élément fréquent de caractérisation des champs dans cette littérature, les champs sont censément composés de deux grands types d’acteurs. Dans une partie de la littérature, ces deux types d’acteurs renvoient aux positions de dominants et de dominés contestataires dans les champs : ils sont souvent qualifiés d’incumbents et de challengers (Fligstein, McAdam, 2011 ; 2012) [33], ou encore d’institutional operators et de renegades (Kondra, Hinings, 1998). De façon quelque peu différente, Beckert (1999) oppose les managers, qui maintiennent les règles institutionnelles, et les entrepreneurs, qui les brisent (“destroy”) et Rao, Monin et Durand (2003) distinguent les chefs cuisiniers, défenseurs de l’orthodoxie culinaire, et les activistes, issus de cette même élite, mais agissant en émancipateurs. Une rapide épreuve de confrontation de ces perspectives duales avec quelques cas empiriques amène à douter de leur caractère parfaitement opérant et pousse à se demander si pareille typologie suffit à épuiser la diversité de la composition des champs, et partant, permet de saisir le grain fin des dynamiques relationnelles qui unissent et opposent ces acteurs-types. Ne peut-il pas exister des acteurs qui ne ressortissent pas clairement de ces catégories et qui sont pourtant partie prenante du champ et y jouent un rôle crucial ? L’exemple des transformations qu’a connues le secteur de la cancérologie française montre que certains acteurs peuvent être difficilement qualifiés d’incumbents ou de challengers ; au contraire, certains doivent être considérés tout à fois centraux et marginaux, selon les enjeux considérés, et il faut également accepter que cette position intermédiaire, comme nous le verrons plus loin, contribue précisément à leur assurer la maîtrise des ressources essentielles pour agir (Castel, Friedberg, 2010). En outre, s’il existe de nombreux cas où les acteurs peuvent être classés dans l’une des catégories-types, particulièrement inclusives, de Fligstein et McAdam, le destin typique que semblent leur forger les deux auteurs est loin de chaque fois se réaliser. Dans certains cas, ce sont précisément les incumbents qui sont des entrepreneurs du changement (Greenwood, Suddaby, 2006), tandis que les Internal Governance Units peuvent échapper à leurs missions de stabilisation des règles et de reproduction de la structure élémentaire du champ (dominants/dominés) ou aux relations de dépendance qu’elles sont censées nouer avec les acteurs forts : il n’est, en effet, guère difficile de trouver des cas empiriques dans lesquels on les voit transformer les règles institutionnelles, à image d’UNCITRAL dans la régulation internationale des faillites (Halliday, Carruthers, 2009).
2. L’écueil tautologique des compétences des entrepreneurs du changement
36 La question des entrepreneurs du changement institutionnel (et réciproquement, du statu quo), comme nous l’avons vu, a mobilisé l’attention de nombreux auteurs. Dans la littérature, ces acteurs, outre le fait d’occuper une position singulière dans l’espace social (le plus souvent : frontalière ; plus rarement : centrale), sont réputés posséder deux qualités essentielles à la conduite du changement institutionnel : a) la réflexivité (Sewell, 1992 ; Giddens, 1984 ; Fligstein, McAdam, 2011 ; 2012 ; Mutch, 2007 ; Beckert, 1999) ; Beckert (1999) établit ainsi que l’entrepreneur est, dans une veine schumpétérienne, un acteur qui fait montre de capacités à exercer un regard réflexif sur les pratiques institutionnalisées et peut concevoir des modes alternatifs d’accomplissement des objectifs ; b) et le pouvoir (un nombre important de recherches qui s’intéressent à l’agency, a minima, mentionnent cette qualité). Pourtant, cette littérature n’est guère loquace quand il s’agit de spécifier les mécanismes de la genèse et des sources du pouvoir et des dispositions réflexives, ainsi que des déterminants sociaux de leur inégale distribution dans l’espace social.
a) Sociologiser la réflexivité
37 Un exemple que nous avons déjà abondamment commenté mérite d’être ici convoqué : l’ampleur de son propos théorique et la manière de traiter ces questions le rendent exemplaire et particulièrement significatif. À la suite des travaux de Fligstein (1997 ; 2001), Fligstein et McAdam (2011 ; 2012) établissent l’existence d’acteurs « socialement compétents » (“socially skilled actors”), qui joueraient un rôle considérable dans le travail de déstabilisation (“contention”), puis de changement de l’ordre institutionnel des champs stratégiques. Si les deux auteurs n’utilisent pas spécifiquement le terme, leur acteur « socialement compétent » peut être considéré comme un acteur réflexif, ainsi que l’indique l’extrait suivant :
successful deployment of social skill will depend on the actor recognizing her or his social position, being able to take the perspective of other actors […], and finding a set of actions that « make sense » given their position. (Fligstein, McAdam, 2012, p. 48).
39 Ces acteurs « doués socialement » sont ainsi capables de réfléchir les institutions (au sens de règles) par lesquelles ils pensent et grâce auxquelles (ou sous la contrainte desquelles) ils agissent et de se projeter, par empathie, comme s’ils étaient à la place des autres acteurs du champ, qu’ils soient des alliés potentiels ou de sérieux concurrents. Ce sont ces qualités que les entrepreneurs, que Shih-Chang Hung et Richard Whittington (2011) étudient, mobilisent pour transformer et professionnaliser l’industrie informatique taïwanaise. Comme de nombreux auteurs qui se sont intéressés au changement institutionnel (en particulier, Sewell (1992), Beckert (1999) et Hirsch et Lounsbury (1997)), Fligstein et McAdam mobilisent certains développements d’Anthony Giddens [34] (1984 ; 1994), lequel insiste certes sur le rôle des routines et des habitudes dans la stabilité de la vie sociale, mais affirme que les agents sont également capables de choix délibérés. C’est même là un trait de la modernité, celui de confronter les individus à un complexe de choix divers. Suivant Giddens, ils avancent que les activités routinisées et les habitudes rendent possibles la vie sociale et les interactions, mais que ces pratiques routinisées peuvent faire l’objet, de manière sélective et partielle, d’un examen réflexif, voire d’une manipulation stratégique (Kitchener, 2002). Mais ils sont peu diserts sur les conditions qui rendent possibles cette réflexivité sélective et partielle. Beckert (1999) n’est pas plus convaincant quand il mobilise la distinction fameuse établie par Schumpeter entre manager et entrepreneur, faisant valoir qu’ils n’auraient pas chacun les mêmes motivations : les entrepreneurs aiment et peuvent avoir une position réflexive, là où les managers fondent leur action sur les routines, l’imitation et l’adaptation.
40 Quelques perspectives ont pourtant tenté d’explorer certaines des conditions sociales favorisant l’apprentissage et la culture de dispositions réflexives. Sans prétendre épuiser l’ensemble des pistes possibles, on peut attirer l’attention sur les réflexions de Sewell (1992), lequel est parvenu à spécifier une condition essentielle : la transposition des schèmes, scripts et cadres a priori de l’expérience dans des champs pour lesquels ils n’ont pas été formés ; contrairement à Bourdieu qui faisait de cette transposabilité un des mécanismes de la reproduction sociale, Sewell la considère au contraire comme un ressort du changement. Mais ce n’est pas là la seule façon d’explorer les déterminants sociaux de la réflexivité : d’autres auteurs insistent plus volontiers, comme nous l’avons vu plus haut, sur le rôle de la position qu’occupent les acteurs dans l’espace social, et en particulier, sur les « vertus » de la position frontalière : ceux qui se situent entre peuvent voir ce que d’autres, placés dedans, ne peuvent (que) percevoir. On pourrait enfin avancer l’hypothèse que la réflexivité est non le produit d’une disposition particulière appliquée à un champ qui lui est étranger, ni le résultat de l’occupation d’une position singulière dans l’espace social, mais plus volontiers (ou : aussi) une conséquence du caractère multiple, ambigu et souvent contradictoire des institutions (Friedland, Alford, 1991 ; Clemens, Cook, 1999), comme nous l’avons vu plus haut. Toutefois, si ces dernières théories contribuent à spécifier certaines conditions propices à la formation et à l’entretien d’une compétence réflexive – ce qui n’est pas rien –, elles ne précisent que certaines conditions, sans les intégrer dans une théorie plus systématique. En particulier, ni Sewell ni ceux qui soulignent l’ambiguïté, la multiplicité etc. des institutions, n’étudient si (et si oui, pourquoi) certains acteurs sont plus aptes à transposer des schémas que d’autres ou à jouer de l’ambiguïté ou de la contradiction des institutions.
b) Sous-théorisation du pouvoir
41 Sur le deuxième point, on le sait, les premiers travaux néo- institutionnalistes ont longtemps eu une conception assez fruste du pouvoir, quand bien même était-il traité : ils se sont principalement intéressés à ce que Lawrence (2008) a nommé le « contrôle institutionnel », c’est-à-dire un pouvoir systémique, qui s’exprime sous la forme de, ou s’apparente souvent à, la discipline foucaldienne, et se réalise tendanciellement de manière top-down : on désigne ici le pouvoir de conformation, contribuant à la réalisation d’isomorphismes, qu’exercent les institutions, indépendamment d’une quelconque volonté stratégique (c’est-à-dire intéressée), sur les croyances et les comportements des agents [35]. Quand une norme ou une pratique est institutionnalisée, l’influence sociale, la sanction ou encore l’incitation ne sont pas nécessaires à sa reproduction (Zucker, 1977). Dans la plupart des travaux institutionnalistes de la première heure, le pouvoir n’apparaît pas explicitement, mais se révèle dans le respect, que réalisent les acteurs organisationnels, des règles et des normes institutionnelles (Meyer, Rowan, 1977 ; DiMaggio, Powell, 1983). Le « retour de l’acteur » dans la théorie institutionnaliste, quelques années plus tard, signe l’épanouissement d’une attention nouvelle [36] – explicite – au pouvoir que certains acteurs, de manière cette fois plus manifestement bottom-up, mobilisent pour créer, transformer ou maintenir les institutions, mais également, le pouvoir qu’ils peuvent opposer, pour résister, aux forces du contrôle social (« la résistance » selon Lawrence, 2008 ; voir également, Beckert, 1999 ; Oliver, 1991 ; Lawrence, Suddaby, 2006 ; Kellogg, 2009 ; Hallett, 2010). Plus rares (Bergeron, 1999 ; Castel, Friedberg, 2010) sont les travaux qui montrent empiriquement et sur la base d’une définition élaborée du pouvoir, comment des structures relationnelles liant, de manière horizontale pour ainsi dire, de nombreux acteurs entre eux (individuels ou collectifs) contribuent à rendre possible l’expression du contrôle/pouvoir institutionnel [37], même si quelques auteurs, dont Sewell (1992), comme nous l’avons vu, mais aussi Beckert (1999) [38] évoquent, plus qu’ils n’en font le cœur de leurs analyses, cette hypothèse [39].
42 Le livre de Fligstein et McAdam est significatif, une fois encore, de cet intérêt renouvelé pour le pouvoir des acteurs et leur capacité, non pas simplement à être agis par les institutions, mais à également les agir (voir l’« institutional agency » de Lawrence (2008)). On leur saura gré, ainsi, de rappeler l’importance, chère à Crozier et Friedberg, du pouvoir aux spécialistes de l’organisation, après une longue période durant laquelle le concept paraissait s’être quelque peu effacé d’analyses marquées par le « cognitive turn » et le schème théorique du premier néo-institutionnalisme. C’est même là un apport essentiel du livre, celui qui consiste à habilement tenir ensemble les dimensions instrumentale et cognitive (donc normative) de l’action. Ceci dit, les deux auteurs laissent en suspens de nombreuses questions d’importance. Souvent la coercition et les sanctions sont nécessaires pour contraindre les autres à coopérer, mais bien souvent également, nous disent-ils, la mobilisation se réalise sur d’autres bases et, en l’espèce, par (grâce à) la possession de « social skills », cette puissante capacité à induire de la coopération. On est cependant fondé en raison à se demander sur le contrôle de quelles ressources les acteurs s’appuient pour former et diriger pareille action collective. Comment, d’un point de vue méthodologique, déterminer quelles ressources sont pertinentes en fonction du champ étudié ? Ce contrôle des ressources est-il, en outre, sélectivement lié à des positions sociales (au sens topographique) ? Est-il plutôt le fait d’acteurs dotés de dispositions particulières ? Ou encore serait-il le propre d’acteurs placés en certains endroits d’une structure de relations sociales ? Autant de questions qui mériteraient une réponse plus élaborée qu’elle ne l’est dans l’ouvrage [40]. Là encore, Sewell (1992) a proposé un cadre nous semble-t-il intéressant, puisque, s’opposant ici à Giddens, il attire l’attention sur les ressources – inégalement distribuées – comme composantes des structures (et pas seulement les effets des structures exclusivement de nature virtuelle comme chez Giddens – les « règles »). Dans un autre article (Sewell, 1996), il ajoute une troisième composante, encore plus explicite :
Modes of power regulate action – by specifying what schemas are legitimate, by determining which persons and groups have access to which resources, and by adjudicating conflicts that arise in the course of action. (Sewell, 1996, p. 842).
44 Toutefois, Sewell, s’il avance que les ressources sont polysémiques, qu’elles peuvent être interprétées différemment selon les schémas que mobilisent les acteurs pour les saisir et selon les intérêts qu’ils défendent, ne précise pas deux dimensions pourtant essentielles du pouvoir (et des ressources), que Fligstein et McAdam semblent également ignorer : non seulement la pertinence des (res)sources du pouvoir dépend des spécificités du contexte d’action à l’étude [41] mais le pouvoir est lui-même relatif, en ce qu’il dépend aussi des ressources maîtrisées par les autres joueurs. Faute de pareilles précisions, on entretient une vision substantive – et non relationnelle – du pouvoir, dont les « vieux institutionnalistes » ont pourtant démontré les apories.
Conclusion : un mouvement récursif vers le vieil institutionnalisme ?
45 Au terme de ce rapide excursus en territoire néo-institutionnaliste, on ne peut se départir d’un sentiment de déjà-vu : ceux qui connaissent ce que Powell et DiMaggio (1991, 1997) ont eux-mêmes qualifié de « vieil institutionnalisme » et les travaux de ses auteurs emblématiques (Gouldner, Selznick, Blau, Crozier, Friedberg, etc.) n’auront pas manqué de noter le mouvement de retour vers des intuitions et des conclusions qui ont été au cœur de la sociologie des organisations, tant en France qu’aux États-Unis, dans les années 1950-1970. Schématiquement, ce mouvement récursif paraît se réaliser dans deux directions principales :
46 a) Ces travaux se sont d’abord efforcés de restituer la profondeur et le relief d’une topologie des champs institutionnels restée longtemps désespérément plate : ces travaux insistent ainsi sur la structure des champs, et la dimension foncièrement politique de leur gouvernance, et des évolutions qui concourent à les transformer. Dans ce dessein, ils pointent l’importance des relations que nouent les organisations entre elles et avec leur environnement immédiat, et identifient, même sommairement, des hiérarchies et structures de domination qui caractérisent la texture des champs. C’est certainement l’analyse de la diffusion des institutions [42] qui s’est trouvée le plus significativement impactée par ces évolutions conceptuelles : point de processus d’homogénéisation uniformes et homogènes, désormais, mais des appropriations sélectives et intéressées, que seule une analyse structurelle, voire structurale (bien que nous n’abordions pas ce point ici) permet d’expliquer. Si les champs ne sont plus lisses et plats, l’environnement institutionnel de ces champs n’est lui-même guère plus homogène et intégré, mais, selon les promoteurs de ces récents travaux, peuplé d’institutions diverses aux sens parfois généraux, ambigus, voire contradictoires, diversité et pluri-vocalité qui constituent autant de prises et d’opportunités pour le changement.
47 b) Tentant de conserver les acquis réalisés jusqu’alors, en particulier ceux liés au tournant cognitiviste, les travaux récents dits aujourd’hui de l’« organizational institutionalism » (Greenwood et al., 2008) ont également contribué à réintroduire de l’agence et à souligner le caractère stratégique et réflexif de certains entrepreneurs institutionnels, parvenant à jouer des ambiguïtés de l’environnement. Ils les ont également dotés de compétences sociales et de pouvoir. Plus généralement ces auteurs poussent à s’intéresser au « travail institutionnel » de création mais aussi de maintien d’institutions qui ne sauraient « tenir » toutes seules. Et ils poussent l’effort de déconstruction analytique jusqu’à constituer l’organisation elle-même comme un champ, et invitent à révéler les interactions collectives et individuelles et les structures relationnelles qui marquent leur fonctionnement interne. Des conclusions, en somme, que n’auraient guère contesté les tenants du « vieil » institutionnalisme.
48 Concernant le premier point, toutefois, on critiquera, comme on l’a vu, l’indigence de certains travaux quand il s’agit de spécifier la méthodologie d’objectivation de ces structures de champs. Pour ce qui a trait à la deuxième direction, on regrettera, dans beaucoup de ces travaux, l’absence de précision sociologique concernant les ressorts des compétences sociales (réflexivité et pouvoir) dont jouiraient les entrepreneurs de changement institutionnel. Or, pareille absence de précision fait courir le risque d’une tautologie, en ce que le raisonnement revient à affirmer que les acteurs qui contribuent au changement ou qui parviennent à maintenir le statu quo sont ceux qui sont doués pour imposer le changement ou le statu quo. Fligstein et McAdam, dans leur ouvrage, significatif des mouvements et déplacements que nous avons décrits, avancent pour leur part que cette capacité à initier l’action collective est « an individual capacity » (Fligstein, McAdam, 2012, p. 17), « a property of individuals » (p. 202), « that is distributed (perhaps normally) across the population » (p. 17). Nous posons au contraire l’hypothèse que ces capacités sont sélectivement distribuées dans l’espace social. Nous faisons, en effet, le pari que l’on peut davantage « sociologiser » les conditions de possibilité d’une action entrepreneuriale, et se garder de succomber trop vite aux tentations de la singularisation psychologisante : celles qui pensent l’entrepreneur ou le prophète comme un individu charismatique [43] (Max Weber), comme un innovateur créatif (Joseph Schumpeter), ou comme un socially skilled actor (Fligstein, puis Fligstein et McAdam). À n’en point douter, une piste de recherche à explorer.
Bibliographie
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Notes
-
[1]
C’est à dessein que nous n’avons pas inclus les travaux sur les réseaux, ceux-ci dessinant un ensemble de recherches bien distinct du néo-institutionnalisme sociologique. Comme son titre l’indique, la revue de littérature que nous proposons ici est une revue portant de manière essentielle sur cet institutionnalisme-là (appelé également « Organizational institutionalism »), une approche particulière certes, mais qui est (a été longtemps) dominante sur le marché académique de la sociologie des organisations.
-
[2]
Par exemple, les articles de Meyer et Rowan (1977) et de DiMaggio et Powell (1983) font partie des articles de sociologie les plus cités, tous sous-champs sociologiques confondus, selon Google scholar, avec des citations s’élevant respectivement à 17 612 et 27 326 (dernière consultation : 12 novembre 2014).
-
[3]
Il n’est pas possible, dans ces quelques pages, de revenir sur l’ensemble des développements du néo-institutionnalisme au cours des bientôt quarante années d’existence (si l’on retient comme date de naissance l’année 1977, qui a vu la publication de l’article de Meyer et Rowan). Nous renvoyons le lecteur vers les très nombreux ouvrages (en particulier, Scott, 2001) et articles (en particulier, Greenwood et al., 2008) de synthèse.
-
[4]
Il est tentant de faire le parallèle entre ces développements récents du néo- institutionnalisme sociologique et ceux de l’institutionnalisme historique, qui visent également à penser le changement, sans l’expliquer nécessairement par des chocs exogènes ou par des changements de l’environnement et sans renoncer à accorder une place importante à l’analyse des structures (Mahoney, Thelen, 2010 ; Thelen, 2003).
-
[5]
D’autres voies ont été explorées en sociologie des organisations pour tenter de penser les liens entre agency et structure. On pense évidemment, de façon immédiate, aux travaux privilégiant les analyses de réseau, qui ont connu un impressionnant développement au cours des dernières décennies et ont conduit à un renouvellement très conséquent de certaines questions classiques de la sociologie des organisations, telles que la domination, l’autorité, le contrôle, les relations entre professions et organisations, etc. (pour des présentations – différenciées – de l’état de l’art dans ce domaine, voir, par exemple, Joel Podolny et Karen Page (1998) ; Laurel Smith-Doer et W. Powell (2003) ; Emmanuel Lazega, Lise Mounier et Tom Snijders (2008) ; Lazega (2014)). Nous ne traiterons pas de cette littérature ici, non seulement pour des questions de faisabilité, étant donné sa profusion et sa diversité, mais surtout parce que ces travaux ne dialoguent pas frontalement – ou à la marge – avec le néo-institutionnalisme, et réciproquement. La trajectoire de W. Powell, fondateur du néo-institutionnalisme et auteur majeur dans l’analyse de réseaux, nous paraît significative, qui présente, sur son site internet même, ses travaux sur les réseaux et ceux sur les institutions comme deux domaines de recherche distincts (http://woodypowell.com/research-interests).
-
[6]
Au moins depuis 1995 (Fligstein, McAdam, 1995), comme le suggèrent D. McAdam et W. Richard Scott (2005).
-
[7]
Il la manifeste aussi par sa capacité à dépasser les spécialisations par domaine d’étude et les cloisonnements disciplinaires, en faisant ici dialoguer la sociologie et la science politique – ou, plus précisément, une partie de la science politique américaine, ce qui, aux États-Unis, sans doute encore plus qu’en France, est une gageure aujourd’hui.
-
[8]
L’ouvrage The Emergence of Organizations and Markets, dirigé par John Padgett et W. Powell, paru la même année (2012), est sans aucun doute un autre ouvrage récent très marquant pour la sociologie des organisations. Toutefois, nous n’y ferons que peu référence dans cette revue de littérature, pour des raisons qui ont à voir avec celles évoquées dans la note 5. En effet, alors que l’ouvrage de Fligstein et McAdam puise l’une de ses principales inspirations dans le néo-institutionnalisme, tout en proposant des voies pour dépasser ses apories, celui dirigé par Padgett et Powell n’entend pas s’attaquer directement aux fondements du néo-institutionnalisme ou contribuer à les renouveler. Ainsi, dans leur complexe introduction, les deux auteurs se contentent de mentionner, dans une note de bas de page, que l’économie comme le néo-institutionnalisme se sont peu intéressés à la genèse des organisations et des institutions. D’ailleurs, sur son site internet, Powell ne classe pas ce livre parmi ses travaux sur les institutions.
-
[9]
De ce point de vue, il est plus délicat de parler de champ dans le cadre de la théorie de la « population ecology », en ce qu’elle ne se pose guère la question de savoir si cette population s’est instituée comme réalité intersubjective pour les acteurs qui l’habitent ; en outre, la population, dans cette théorie, désigne un ensemble d’organisations similaires, prises « à plat » pour ainsi dire, indépendamment des structures de relations dans lesquelles elles se trouvent, en réalité, encastrées et qui les lient entre elles.
-
[10]
C’est ainsi que Powell et DiMaggio (1997) ont aimablement qualifié la première génération d’auteurs qui s’était intéressée aux fonctionnements et dysfonctionnements des bureaucraties.
-
[11]
Une variable étudiée notamment dans le cas de l’industrie de l’édition académique aux États-Unis (Thornton, 2002).
-
[12]
La sociologie de l’action publique, sans réfléchir nécessairement en termes de champs (sous-systèmes chez Paul Sabatier, secteur chez Bruno Jobert et Pierre Muller), avait déjà contribué à souligner cette importance des « liens entre écologies », même si elle ne l’a pas toujours spécifiée comme Fligstein et McAdam le font.
-
[13]
Voir, entre autres exemples récents, l’étude de Terence C. Halliday et Bruce G. Carruthers (2009) sur la régulation internationale des faillites.
-
[14]
Ce qui ne signifie pas que ces deux œuvres soient cependant semblables. Bien au contraire, elles se différencient sur de nombreux points, et certains aspects couverts par l’une ne le sont pas par l’autre ; et vice versa.
-
[15]
À cette occasion, on ne pourra guère s’empêcher de se rappeler le vif débat auquel la parution de L’Acteur et le Système a donné lieu, quand certains illustres chercheurs en science politique estimaient trop réductrice une conception de l’État comme simple juxtaposition de systèmes d’action concrets (Leca, Jobert, 1980).
-
[16]
Mais on relèvera, au même moment, qu’au-delà de l’utilisation de termes identiques, l’action stratégique, placée au cœur des deux systèmes d’analyse, n’est pas définie exactement de la même façon dans les deux ouvrages. Nous allons y revenir.
-
[17]
La définition des logiques institutionnelles de Roger Friedland et Robert Alford (1991, p. 248) est restée influente : « material practices and symbolic constructions which constitute [a field’s] organizing principles and which are available to organizations and individuals to elaborate ». Mentionnons aussi celle de Patricia Thornton et William Ocasio (1999, p. 804), fréquemment usitée et qui s’en inspire : « the socially constructed, historical patterns of material practices, assumptions, values, beliefs, and rules by which individuals produce and reproduce their material subsistence, organize time and space, and provide meaning to their social reality. »
-
[18]
Il conviendrait de distinguer temps long et temps court, distinction qui permet d’affiner les propositions émises par ces recherches, en ce que certaines typifications élémentaires et essentielles peuvent cependant se travailler sur le long cours ; c’est ce qu’ont contribué à contester les mouvements pour les droits civiques ou les mouvements féministes : la perception racialisée ou genrée du monde, cadre a priori de l’expérience, qui pendant longtemps n’a guère été réfléchi.
-
[19]
Changement institutionnel entendu comme une transformation significative de la structure sociale d’un champ et des règles institutionnelles à partir desquelles celui-ci se structure, et au travers desquelles les acteurs pensent et par lesquelles ils calent leurs attentes et leurs interactions.
-
[20]
L’un des premiers textes à s’inscrire dans cette perspective a été écrit par DiMaggio (1988), pourtant défenseur par ailleurs (DiMaggio, Powell, 1983 ; Powell, DiMaggio, 1997) d’une ligne « dure » du néo-institutionnalisme.
-
[21]
Notons toutefois que, d’un point de vue empirique, les effets de l’action humaine ont été beaucoup plus investigués, dans ces travaux, dans des situations de transformations sociales que dans celles de reproduction de l’ordre social et de ses inégalités.
-
[22]
Il entend par action stratégique (strategic agency), la poursuite planifiée de fins fondées sur une évaluation rationnelle des moyens disponibles et des conditions stratégiques qui pèsent sur l’action.
-
[23]
Pour une synthèse, voir Marc Schneiberg et Michael Lounsbury (2008).
-
[24]
Ainsi, W. Richard Scott, auteur « historique » et majeur du néo-institutionnalisme, a pu reconnaître que la dimension conflictuelle de la vie sociale avait eu tendance à être sous-explorée et négligée par ce courant (Dacin, Goodstein, Scott, 2002 ; McAdam, Scott, 2005 ; voir aussi Hall, Taylor, 1997).
-
[25]
Elizabeth Berman (2012) montre cependant, dans un article fort original, que trop souvent ces entrepreneurs apparaissent comme des deus ex machina (ce que critiquent également Walter W. Powell et Jeannette A. Colyvas (2008)) et qu’il peut se réaliser, comme dans le cas qu’elle étudie, des changements de logiques institutionnelles sans que l’on puisse clairement identifier d’intentionnalité stratégique au principe de ces dynamiques sociales. Elle soutient en effet que les acteurs sont constamment en train d’expérimenter de nouvelles pratiques fondées sur d’autres logiques institutionnelles et que, quand il existe une logique dominante, les innovations fondées sur des logiques alternatives ont du mal à trouver les ressources nécessaires pour s’institutionnaliser et se diffuser (et non parce qu’elles seraient moins légitimes). Mais quand l’environnement commence à changer et à favoriser l’épanouissement de nouvelles pratiques fondées sur des logiques alternatives, ces logiques peuvent devenir dominantes en l’absence d’un projet cohérent qui tenterait de les promouvoir.
-
[26]
On pourra se référer, pour ce faire, aux synthèses de Pierre-Paul Zalio (2009) et Henri Bergeron, Patrick Castel et Etienne Nouguez (2013).
-
[27]
Ce point a été particulièrement développé dans l’article de Bergeron, Castel et Nouguez (2013).
-
[28]
Dans un article précédent, Fligstein en dénombre sept (2001).
-
[29]
J. Colyvas et Stefan Jonsson (2011) ont démontré qu’il était heuristique de distinguer la diffusion et l’institutionnalisation, car les deux processus ne vont pas toujours de pair.
-
[30]
Cela rejoint un point fait par Mahoney et Thelen, dans leur modèle du changement appliqué dans un cadre d’institutionnalisme historique : les acteurs chargés de l’application des règles doivent décider comment et quand elles doivent être mises œuvre, et ceci implique des possibilités pour le changement – soit par un décalage, soit par une interprétation et une mise en application extensive (Mahoney, Thelen, 2010, p. 13).
-
[31]
Dans le cas du drug court, les auteurs notent une certaine plasticité des logiques institutionnelles. Ainsi, bien que la logique de la « punition criminelle », lorsqu’elle est mobilisée dans les arguments, tende à aggraver la sentence finale, il n’en est pas toujours ainsi : elle peut être mobilisée parfois pour alléger cette sentence. De manière réciproque, l’invocation d’une logique de réhabilitation, si elle tend à être favorable aux personnes inculpées, peut parfois être mobilisée pour alourdir la sanction pénale.
-
[32]
Friedberg (1992), pour conceptualiser et caractériser ce qu’il appelle « ordre local », propose quatre dimensions : « le degré de formalisation de la régulation, le degré de conscience qu’en ont les participants, le degré de finalisation de la régulation et enfin le degré explicite de délégation de la régulation » (p. 531).
-
[33]
Les « [i]ncumbents are those actors who wield disproportionate influence within a field », tandis que les challengers « occupy less privileged niches within the field and ordinarily wield little influence over its operation. » (Fligstein, McAdam, 2012, p. 13).
-
[34]
En prenant cependant soin de s’en distinguer sur certains points et dimensions.
-
[35]
Pour être plus précis, il convient d’insister sur le fait que la logique d’adoption de normes et de pratiques institutionnelles est différente pour les « early adopters » qui le font souvent pour résoudre des problèmes techniques et spécifiques que celles des « followers » qui les adoptent selon une logique de convenance institutionnelle (Tolbert, Zucker, 1983).
-
[36]
Relevons cependant que la théorie de la dépendance aux ressources s’est, elle, ostensiblement intéressée aux phénomènes de pouvoir inter-organisationnels (Pfeffer, Salancik, 1978).
-
[37]
Notons que la prise en compte des structures de relations de pouvoir dans l’explication des processus de déstabilisation des institutions (conceptualisées le plus souvent sous forme d’alliances) est, en revanche beaucoup plus fréquente, dans la littérature, que ne l’est l’identification du rôle des structures horizontales (de pouvoir) dans la possibilité d’affirmation du pouvoir vertical des institutions sur les croyances et les comportements des acteurs.
-
[38]
Dans des conditions de grande certitude, affirme Beckert (1999), les pratiques institutionnalisées seront d’autant plus résistantes aux activités de déstabilisation de l’action stratégique qu’elles sont hautement légitimes et qu’elles sont soutenues par des acteurs puissants. Autrement dit, si l’on interprète un peu la pensée de Beckert, la reproduction n’est pas assurée seulement par l’« enactment » de cadres a priori (cognitifs) de l’expérience, et la réalisation de pratiques routinisées jouissant d’une forte légitimité sociale, mais également parce que les règles institutionnelles sont soutenues par une structure de relations de pouvoir. Rien ne vient, cependant, au-delà de l’affirmation de cette hypothèse (même s’il précise le caractère ambivalent du pouvoir comme force de stabilité institutionnelle ou au contraire comme ressource permettant le changement) et l’on n’a guère de définition précise du pouvoir, de ses fondements et des liens (parfois conflictuels) qui lient le couple légitimité/pouvoir. On pourra également lire avec profit le travail de l’anthropologue Ferguson (1994) qui montre combien la persistance d’une institution (et de son pouvoir d’orientation des conduites) est dépendante de la structure des relations d’interdépendance existant dans un groupe social.
-
[39]
Il est intéressant de noter, à la suite de Lawrence (2008), que l’usage de la force, y compris de la force physique, n’est guère étudié pour expliquer le changement institutionnel dans la littérature sur les organisations, bien qu’il soit fréquent, tant d’un point de vue historique que synchronique (prisons, forces de police, répression de manifestation, hospitalisation, etc.).
-
[40]
Lawrence est l’un des auteurs qui définit le plus clairement la notion de pouvoir qu’il mobilise dans ses travaux (notamment comme un phénomène relationnel et non comme attribut. Pour plus de détails, voir Lawrence, 2008).
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[41]
Cette question, en cela, mérite avant tout une réponse empirique, tout comme celle, d’ailleurs, de l’intérêt et des motivations des acteurs.
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[42]
Pour ce qui est de l’innovation organisationnelle, nous l’avons vu en introduction, d’autres voies, en parallèle, ont été explorées, qui doivent plus à l’analyse de réseaux – éventuellement couplée à la sociologie des sciences – qu’au néo-institutionnalisme (Stark, 2009 ; Padgett, Powell, 2012).
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Des travaux historiques récents travaillent la distinction idéal-typique établie entre le prêtre et le prophète par Weber et discutent en particulier cette notion de charisme, tentant d’explorer comment l’institution religieuse et certains de ses membres apparemment plus marginaux contribuent à construire le prophète (Belayche, Mimouni, 2009 ; Vauchez, 2012).