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Article de revue

La sociologie filmique : écrire la sociologie par le cinéma ?

Pages 71 à 96

Notes

  • [1]
    On ne peut pas dire tout simplement de l’écriture, car le cinéma suppose une écriture filmique, c’est-à-dire un style, une syntaxe, un langage. On utilisera ici indifféremment écriture-papier ou textuel pour signifier le recours au support papier.
  • [2]
    La sociologie filmique est peut-être plus proche du documentaire que de la fiction. Il existe de très bons films de fiction, mais réalisés par des auteurs non-sociologues ; les analyser sociologiquement relève de la sociologie sur les images. Par ailleurs le documentaire sociologique peut être partiellement scénarisé voire fictionné. Enfin, il est probable que la différence entre les deux genres soit d’abord une question de convention : la fiction fait appel la plupart du temps à des faits relevant du réel et le documentaire fait appel à l’imaginaire pour être regardé. Le débat, opposant longtemps les deux, tend aujourd’hui à faire consensus sur l’existence de frontières ténues entre les deux genres.
  • [3]
    « Doing so leads to the question of what can be visualized and how visualization changes how we think about a concept ».
  • [4]
    Les sociologues américains font le même constat : « Where is the instruction and inspiration to make these films [by sociologists] ? I do not know of a single sociological qualitative methods text that include a serious discussion of film or video making, and the topic is largely missing from the standard texts on visual methods. [...]. Another reason so few sociologists produce and teach non-fiction film is because there is virtually no training in graduate schools in filmmaking and film is not considered equal to written scholarship in most evaluation of scholarly work » (Harper, 2012, p. 233). Favorable à cette approche, Michael Burawoy alors Président de l’Association internationale de Sociologie  avait souhaité que nous donnions un entretien relatif à la sociologie filmique en France à la revue de l’AIS : « Cinematic Sociology », Global Dialogue, 3 4, 2013 [en ligne] http://isa-global-dialogue.net/cinematic-sociology.
  • [5]
    La littérature sur ce thème est immense, tout écrit sur le cinéma introduit cette question, le choix des ouvrages ne peut relever que de l’intérêt particulier du sociologue pour certaines thématiques comme par exemple la captation d’images des corps, de leurs mouvements et de leur expression. On peut citer, comme introduction à ce champ, les ouvrages de Jacques Aumont (1992) ou Vincent Amiel (1998).
    À cela s’ajoute, la question de l’aléa dans le tournage, qui existe dans le film de fiction et plus encore dans le documentaire. Jean Mitry, par exemple, note combien l’aléa dans le tournage d’un film de fiction peut modifier la symbolique et donc l’interprétation d’une scène rendant « sa signification accidentelle » (Mitry, 1987, p. 202), ce qui est à haut risque pour le « sociologue-documentariste ».
  • [6]
    C’est le sens de la création du Master Image et société (ouvert en 1996 à l’Université d’Evry) qui forme les étudiants à l’analyse cinématographique, à la réalisation de documentaires (écriture filmique, prise de vue, de son, montage) en complément d’une formation aux sciences sociales. « La sociologie par l’image : introduction à la sociologie visuelle », partie IV de la revue CinémAction, (Hamus-Vallée, 2013, pp. 134-184).
  • [7]
    Ainsi, les journées scientifiques du GT47 de l’AFS organisées en février 2013 (FMSH) ont porté sur Le montage entre film rêvé et film réalisé et questionnaient les arrangements auxquels on doit recourir pour rendre féconde cette approche malgré les obstacles rencontrés [en ligne] http://sociologie-filmique-afs.univ-evry.fr.
  • [8]
    Avec juste raison P. Maillot associe toujours l’image (pour le point de vue) et le son (pour le point d’écoute) dans le cinéma ; pour des raisons de lisibilité notre article fait souvent référence à la seule image, mais il est bien clair que le lecteur doit entendre image et son parce qu’ils sont indissociablement liés (ou déliés volontairement, décalés, etc., ces liens étant eux-mêmes signifiants) dans la performance cinématographique.
  • [9]
    Ce qui rejoint la position de Joël Magny qui fait du point de vue l’élément essentiel de l’écriture cinématographique : « c’est ce jeu infini des points de vue qui constitue la narration cinématographique, le jeu le plus subtil avec le spectateur » (Magny, 2001, p. 4). Bien sûr le « point de vue » dans le cinéma n’a pas le sens du « point de vue » du sociologue : pour ce dernier il s’agit plutôt d’une thèse à défendre (qui sous-entend qu’il y a bien une question avec des hypothèses validées). Dans le cinéma, « le point de vue, c’est celui que choisit le cinéaste dans une intentions particulière, un point de vision organisé, calculé dans un but particulier : voir l’objet, le paysage, un morceau de réalité sous un certain angle pour le faire voir à un spectateur sous cet angle particulier » (Magny, 2001, p. 16). En ce sens, le point de vue choisi dans le cinéma peut contribuer à faire valoir ou à exprimer le point de vue du sociologue.
  • [10]
    Ce constat peut être relativisé dans les deux sens : le rythme de travail des ouvriers japonais de l’industrie automobile est le plus élevé du monde : ce qui signifie qu’il reste une marge pour les autres ... A contrario, le fait que les ouvriers-monteurs soient usés physiquement à 40-45 ans en Europe, comme le reconnaissent les dirigeants des firmes automobiles, en dit long sur leur rythme de travail.
  • [11]
    On peut citer ici le film de Jean Arlaud et Annie Mercier, Touchez pas au Malang dans lequel ne pouvaient entrer par exemple certains faits explicatifs de la protection divine des camions pakistanais. Le réalisateur possédait les rushes pour présenter un document complémentaire. In fine, le documentaire premier, s’est vu adjoindre deux films ethnographiques spécifiques et un film de 20’ sur la démarche de l’auteur, montés par Christine Louveau qui a organisé le va-et-vient entre les films, dans le DVD.
  • [12]
    Parallèlement, des revues en ligne se multiplient, dont l’orientation éditoriale est clairement celle de l’association des textes théoriques et des commentaires d’une part et d’autre part des images et des sons. On peut citer Ethnographiques.org, Visual Ethnography ou Anthrovision.
  • [13]
    Par ailleurs, émerge chez certains chercheurs le souhait de développer des sites collaboratifs qui conduisent à la publication en temps réel de ces travaux réflexifs sur l’image/son et l’écrit-écran. Mais ici les obstacles sont multiples : le manque de temps car cette activité est très chronophage et l’autocensure par crainte du jugement des pairs sur une pensée ou une thèse en train de se construire. Il est aussi question de signature collective sur de tels sites. Que faire alors de l’ego des chercheurs ou de l’évaluation individuelle effectuée par les instances qui gèrent les carrières ? Le webdocumentaire est une autre proposition qui, à ce jour, abrite tellement de réalisations différentes que l’on peut difficilement les rassembler sous la même appellation. En effet, la notion de webdocumentaire va de la simple intégration d’une vidéo dans un texte (dans une fonction illustrative) à une initiative de recherche qui fait travailler ensemble vidéo et texte-écran, voire les met en tension pour approfondir les connaissances produites par les deux outils.

1 La sociologie et le cinéma – documentaire ou de fiction – entretiennent des liens ambigus qui recouvrent les rapports souvent tendus entre l’image et le texte : ils traitent assez souvent des mêmes objets, ou au moins d’objets voisins, mais avec des points de vue, des méthodes et des objectifs différents. Les tentatives de rapprochement n’ont pas toujours été couronnées de succès, ni d’ailleurs poursuivies quand elles pouvaient être prometteuses. Un fait nouveau bouleverse ce questionnement : l’abaissement notable des coûts du matériel de tournage ou de montage et la disparition de la pellicule dont le développement grevait les budgets. Ce qui ne signifie pas une plus grande facilité d’utilisation qui supprimerait tout apprentissage du maniement de ce médium ; cela signifie seulement que le cinéma ou plutôt la vidéo est abordable pour des non-professionnels de l’image qui souhaitent l’utiliser au cœur de leur démarche, en en acceptant les contraintes.

2 Cet article vise à interroger la sociologie filmique, c’est-à-dire une sociologie avec et par les images et les sons. Il ne s’agit plus seulement de faire de la sociologie à partir des productions picturales ou sonores d’autrui, mais de conduire des sociologues à réaliser eux-mêmes (voire en coopération avec des professionnels) des documentaires sociologiques. Et cela en allant jusqu’au bout de la logique, à savoir que le film se suffise à lui-même – c’est-à-dire sans commentaire de l’écriture-papier [1] d’accompagnement – pour affirmer, montrer, démontrer une thèse, en direction d’un public qui ne soit pas seulement celui des chercheurs. Bien sûr, cela ne signifie pas la fin de l’écrit-papier – bien au contraire – puisque celui-ci est le support des débats, des critiques du film projeté et plus encore des difficultés ou des écueils pour fabriquer ces documentaires sociologiques [2].

3 Ainsi, la sociologie filmique explore ce que l’image et le son donnent à voir des réalités sociales. Elle développe une réflexion sur leurs modes de capture, sur le montage et sur les voies de la narration qu’ils initient ; en ce sens et comme on le verra ci-dessous, il ne s’agit plus seulement d’utiliser le film comme outil de recueil des données (et d’exposé des résultats) mais de recourir au langage cinématographique comme instrument de production des connaissances. Douglas Harper conseille de comparer l’approche visuelle avec d’autres données obtenues dans un travail de terrain, pour saisir l’intérêt de la sociologie visuelle : « cela conduit à la question de ce qui peut être visualisé et comment la visualisation change la manière de penser le concept » [3] (Harper, 2012, p. 209). Il préconise la production visuelle des images par les sociologues eux-mêmes (Harper, 2012, p. 209). La sociologie filmique développe ainsi une conception renouvelée de la recherche sociologique en réalisant des documentaires scientifiques.

4 Pierre Naville était déjà convaincu de l’importance de l’instrumentation audiovisuelle dans la recherche sociologique. Il distinguait deux formes d’usage de l’image et du son :

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Sous leur forme passive, ils ont une fonction de substitution, ils peuvent remplacer ou compléter un récit, l’enregistrer, le stocker, le reproduire […]. [Mais] l’image peut devenir active lorsqu’elle est créatrice de données nouvelles […] et qu’elle est un instrument détecteur de relations qui ne peuvent être saisies autrement.

6 Et un peu plus loin

7

La question est alors de savoir si les images optiques et sonores, qui peuplent le monde où nous vivons presque à l’égal de ces images signifiantes spécifiques que sont les mots, peuvent donner lieu à une sémiotique particulière qui permettrait leur emploi direct dans la recherche. (Naville, 1966, pp. 165-166).

8 Développer un champ de la sociologie en s’employant à respecter les codes et les usages de l’art du cinéma – parfois peut-être en les détournant – est un exercice auquel se sont confrontés des sociologues précurseurs, alors freinés par les coûts engendrés par la pratique cinématographique et/ou par le volume et le poids du matériel d’enregistrement (Naville, 1966).

9 Ce sont ici les possibilités (et les obstacles) d’une sociologie filmique qui nous intéressent. Pour les analyser de façon aussi précise que possible, c’est « l’épaisseur socio-technique » de ce médium que sont le cinéma puis la vidéo que nous allons interroger pour comprendre :

10

  • combien ce médium dispose de potentialités pour rendre compte et enrichir les propos ou les thèses des sociologues, ce qu’il peut dire différemment ou en plus ou à côté du textuel (Giglio-Jacquemot, Gehin, 2012 ; Ganne, 2012 ; Maillot, 2012 ; Gehin, 2013),
  • pourquoi ce médium est difficile à maîtriser pour le sociologue qui devient aussi cinéaste, en particulier parce qu’il relève d’un autre langage que celui qu’il a appris ; ce qui rend nécessaire pour celui-ci l’apprentissage de ce langage qui s’est construit depuis plus d’un siècle et qui possède ses codes – même si ceux-ci doivent être transgressés (Sebag, 2012),
  • quelles sont les limites de l’efficacité de cette combinaison de la sociologie et du cinéma dans la sociologie filmique et comment les bousculer.

11 Dans un premier temps nous posons les conditions d’une hybridation des exigences de la démarche sociologique et des contraintes du langage cinématographique. Puis nous observons, à partir de quelques situations concrètes, comment le réel résiste à ce double traitement, avant d’interroger les conditions de réception du film sociologique. Les leçons tirées des cas concrets (deuxième partie) confortent les développements analytiques qui précèdent : ils en sont formellement séparés ici pour ne pas perturber la logique de l’exposé sur la faisabilité d’une sociologie filmique. Enfin, la conclusion questionne le statut des commentaires textuels ou imagés qui continuent d’accompagner les films sociologiques.

Des possibles offerts

12 Initialement largement axée sur une approche du cinéma comme produit industriel et de consommation de masse, la réflexion interdisciplinaire menée dans les années 1950 par la Revue internationale de filmologie et à laquelle ont contribué des sociologues comme Georges Friedmann et Edgar Morin a participé à l’émergence du champ de la sociologie du cinéma tout en cherchant à faire reconnaître le «  langage universel que le cinéma est en train de devenir » (Leverratto, 2009, p. 5). Plusieurs décennies après, faire du langage cinématographique l’une des langues de la sociologie peut nous permettre de prolonger la « reconfiguration épistémologique de la sociologie » (Leverratto, 2009, p. 5) proposée par ces précurseurs.

13 En effet, la communauté des sociologues, comme depuis longtemps celles des ethnologues, des anthropologues, des géographes, des historiens, etc., considère que le cinéma (ou la vidéo) et la photographie sont de formidables outils de recueil de données et d’investigation du réel. Leurs potentialités apparaissent considérables pour plusieurs raisons. Vidéo et photographie peuvent fixer des évènements qui ne se reproduisent pas ou montrer à des observateurs des faits qu’ils n’ont pas rencontrés directement : la dimension archivage de l’image est nécessairement différente de celle du textuel. Avec un avantage majeur, à savoir qu’elles conservent et montrent des détails, des dispositions, des configurations, etc. qui auraient pu échapper ou qui n’auraient pas été mis en valeur dans le texte écrit du sociologue (ou de l’ethnologue). De plus, visionnée plusieurs fois, l’image n’a de cesse de faire découvrir de nouveaux signifiants qui permettent d’enrichir l’interprétation. Il y a bien sûr un revers de cette médaille qui est l’existence du hors champ, c’est-à-dire des faits ou des détails exclus de l’image par l’opérateur et qui resteront à jamais extérieurs au corpus ; on remarquera quand même que cette situation n’est pas étrangère à l’écrit-papier puisque l’auteur a lui aussi défini un objet et circonscrit son champ d’analyse. Mais le hors-champ des deux types d’investigation n’est pas le même : on pourrait dire qu’avec l’image il est (presque) absolu alors que dans le textuel, il peut être réintroduit à travers par exemple la contextualisation de l’objet analysé. Penser cette différence c’est revenir à une attitude réflexive qui pose explicitement la question de la subjectivité du sociologue dans son travail d’investigation et au-delà dans sa démarche en général. Cependant, que ce soit à l’écrit ou à l’image c’est le hors champ qui permet de comprendre le propos en le contextualisant, en situant la recherche et en réintroduisant la « pensée » par l’attention portée à l’œuvre se faisant (Bourdieu, 2001, p. 68).

14 Dire que l’image offre d’autres possibilités que l’écrit, c’est y reconnaître, par la fixation du réel qui est son essence, le fait que des caractéristiques d’une situation peuvent échapper à la première observation du terrain, puisque des faits non perçus immédiatement sur l’image ou dans la bande son peuvent être essentiels à la connaissance d’un phénomène social. En conséquence – nous reviendrons sur ce thème – l’image et le son doivent être vus et entendus plusieurs fois pour livrer toutes les données qu’ils contiennent : or la photographie exposée comme le documentaire sociologique ne sont souvent vus qu’une fois ! À la grande différence du textuel qui est relu, qui permet de revenir en arrière, voire de se projeter vers la conclusion pour saisir le déroulé de l’exposé. Le visionnage répété, segmenté des images devrait donc être perçu comme une nécessité pour donner à celles-ci leur caractère fondamental dans la construction d’une démarche scientifique par l’image et le son pour appréhender le social. Dans le même sens, le visionnage collectif conduit à fonder des débats scientifiques conduisant à un enrichissement de la connaissance.

15 Si l’utilisation de l’image et du son comme moyens d’investigation en sociologie est reconnue, elle demeure encore assez peu présente aujourd’hui dans les travaux scientifiques, mais surtout conserve un statut d’illustration, assez extérieur à notre propos. La raison en est certainement que nombre de sociologues résistent à la reconnaissance de la complexité des images [4].

16 Aller au-delà de cette sociologie sur les images (recourant essentiellement aux images des autres) consiste en un grand saut dans le vide. Rapporter et exposer des données à travers un film (ou des photographies) qui organise ces informations en un discours scientifique, avec ou sans accompagnement par le textuel exige de réunir un certain nombre de conditions. Nous en retiendrons quatre :

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  • avoir une thèse à exprimer, afin que le résultat soit un film sociologique, c’est-à-dire un film reposant sur un aller-retour entre travail théorique et travail de terrain, d’observation et d’analyse des faits. Quoique évidente, cette condition doit être rappelée car nombre de premiers films ne sont pas réfléchis ou pensés avant le tournage : tout se passe comme si la facilité d’usage et la fascination par l’objet-caméra ou l’objectif final de « faire un film » l’emportaient sur le contenu et sur le fond ;
  • posséder une bonne maîtrise des outils de captation d’images et de sons (ou bien s’associer avec un opérateur avec qui on partage profondément sensibilités et points de vue). Les sociologues ne peuvent plus projeter des images et des sons dont la qualité serait inférieure à celle des mass médias, ce qui les contraint, tout en se préoccupant du fond scientifique, à posséder les connaissances techniques et esthétiques du cinéma (dont certains codes) ;
  • avoir appris à cadrer un plan qui fait sens [5] pour donner leur signification aux sons et aux images
  • avoir compris ce qu’est la narration cinématographique et la maîtriser, c’est-à-dire avoir été formé à celle-ci. La narration au cinéma, y compris dans le documentaire, fait appel à des savoirs et à un langage longs à acquérir. Le scénario et le découpage préparent la narration, mais dans le documentaire, les rushes sont souvent assez éloignés des matériaux attendus, ce qui conduit le réalisateur à penser un second scénario pour préparer le montage ;
  • maîtriser le montage des images et des sons. Au-delà de la technique des bancs de montage virtuel, c’est-à-dire des logiciels de montage, les sociologues doivent posséder les codes du montage et les significations des différentes associations des plans, des images et du son, les rythmes, etc. En effet, la qualité d’un film, mais surtout la clarté de l’exposé se font largement au montage.

18 En résumé, la sociologie filmique ou le documentaire sociologique se situent à la convergence des connaissances sociologiques ET d’une très grande culture cinématographique qui comprend elle-même la maîtrise des outils de réalisation cinématographique. Le défi réside dans le fait que nombre de sociologues, comme hier les anthropologues, ne souhaitent pas déléguer la prise de vues et de son, puis le montage, à des spécialistes – même si cela continue à être envisageable et à se faire – parce qu’il y a une sensibilité du sociologue face à son objet, voire une « empathie distanciée » qui le pousse à faire ses images lui-même. Il en est de même au montage où toute délégation du clavier à un professionnel peut altérer les subtilités de sens qu’il veut faire passer – ce qui n’empêche pas ici quelquefois la nécessité de l’accompagnement par un monteur.

19 Ainsi, loin de remettre en question le textuel, la sociologie filmique ouvre de nouveaux chemins de la connaissance. Nous dénommons hybridation la convergence des connaissances sociologiques et des savoirs cinématographiques, car il pourrait y avoir rapprochement sans rencontre. Or c’est l’osmose de ces deux types de connaissances c’est-à-dire l’hybridation de deux logiques plutôt hétérogènes qu’il s’agit de construire pour que de nouveaux sociologues participent à la construction de la sociologie filmique.

Les défis de l’hybridation entre sociologie et réalisation documentaire

20 La plupart des difficultés rencontrées par le sociologue qui souhaite devenir cinéaste proviennent du fait que le cinéma, comme médium, comme langage et comme technique, possède ses codes, ses grammaires – offrant une pluralité de styles possibles – qui sont tout autant de présupposés que le réalisateur-sociologue doit maîtriser pour que le spectateur le suive dans sa démarche. Sans cet apprentissage du langage, l’exposé devient confus. On peut montrer que la même « complexité » existe dans le textuel, mais elle fait tellement partie de la formation que chaque individu reçoit dès l’enfance qu’elle en devient invisible. La maîtrise de cette « épaisseur » du textuel existe donc en tant que « capital culturel » dont certains disposent et d’autres non. On la retrouve dans l’explication, même partielle, des échecs scolaires et plus tard à l’Université dans la majeure partie des causes d’abandon des thèses. Parce que certains étudiants ne parviennent pas à ordonner et à exposer de façon linéaire et logique une masse d’idées ou de données qu’ils ont déjà recueillies, ils renoncent à l’écriture de la thèse. En effet, l’exposé linéaire par chapitre, par sous-chapitre puis par paragraphe, avec une ponctuation appropriée peut apparaître comme facile à construire parce qu’évident à la lecture ; il n’en est rien face à l’épreuve de l’écriture. Il en est de même avec le cinéma : les idées et mêmes les images déjà tournées ne suffisent pas à faire un film si la structure de celui-ci et la narration n’ont pas été pensées auparavant. Autrement dit, l’auteur doit posséder la maîtrise du langage cinématographique pour écrire et réaliser son film sociologique [6].

Comparer les processus de production scientifique de l’écrit et du film sociologiques

21 La production cinématographique du sociologue, là où il propose une sociologie avec ou par l’image (et le son) passe dans les premières étapes par un processus sensiblement identique à celui d’une recherche sociologique traditionnelle (construction de l’objet à partir de son expérience sensible du réel, de son propre background et de l’appareil conceptuel disponible). Il s’agit en effet de questionner le réel avec les outils que nous offrent les différentes méthodologies sociologiques. Cependant, la phase du travail de terrain diffère quelque peu lorsque le sociologue-documentariste procède à des repérages des lieux (et des lumières) du futur tournage, avec ou sans enregistrement d’images et de son. C’est le moment du choix des personnages du film, celui où il établit une confiance aussi profonde que possible avec les individus relevant de son projet pour qu’ils acceptent sa présence et celle de la caméra. L’accès au monde sensible que donnent l’image et le son participe de l’intérêt de la sociologie filmique. Mais, ce monde sensible est vivant et se modifie au cours de la recherche, ce qui peut donner un caractère aléatoire au documentaire et peut conduire le sociologue-documentariste à faire émerger un film qui connaît quelques écarts avec le film initialement prévu [7].

22 La phase de développement est très proche de celle de l’écrit. Et le regard que l’on porte lors du travail de terrain s’articule en permanence au travail théorique effectué en amont du tournage, qui peut être aussi un moment de validation ou d’infirmation d’hypothèses.

23 L’écriture du scénario et du séquencier prépare la structure narrative du film et réfléchit aux images et aux sons qui vont faire sens dans le film, c’est-à-dire que le sociologue-documentariste s’interroge ici sur comment penser avec le cinéma. C’est dire qu’il doit s’être interrogé sur comment le sens vient aux images et aux sons (c’est-à-dire comment construire ces images et ces sons, quel cadrage adopter pour chacun des plans – voir ci-dessous) au-delà de leurs seuls contenus et paroles. Cette écriture se réfère sans cesse aux données recueillies et au carnet de bord du sociologue qui fait de son terrain le support de son écriture filmique.

24 Durant le tournage, la qualité des images et des sons (au sens technique mais aussi pour qu’elles correspondent à ce que l’auteur en attend) dépend largement du travail accompli en amont sur le terrain. Les points de vue (position de la caméra et du micro), les cadrages, les mouvements de la caméra, les éclairages sont prévus autant que possible dans le séquencier et dans le découpage. Cependant, il ne s’agit pas de scènes de fiction et le tournage dépend toujours des aléas dans les situations réelles. Une préparation approfondie du tournage permet une réactivité forte ­– lors de la prise de vue – aux situations et aux actions non prévues. Préparer son film, c’est apprendre à réagir à ces moments inattendus en saisissant immédiatement leur intérêt à partir des outils cinématographiques pour les intégrer dans le propos sociologique.

25 Le dérushage (visionnage multiple des images et des sons,) a pour objectif une très bonne imprégnation (avec classement des plans et prises de notes) des images et des sons rapportés. Sachant que ceux-ci sont toujours décalés par rapport aux prévisions, le sociologue-documentariste doit repenser et adapter son scénario aux matériaux recueillis. Après cette phase de réécriture, il monte le film – bien souvent accompagné d’un professionnel expérimenté – avec plusieurs préoccupations difficiles à faire converger : un exposé aussi clair que possible de la thèse et des possibles interprétations, une narration qui maintient l’attention du spectateur, un sens porté par les images, les sons et les rapports entre plans et séquences (la pensée par le cinéma), une certaine esthétique du film qui peut conduire à attribuer (avec la préoccupation précédente de la construction du sens) un style d’écriture cinématographique à l’auteur.

26 La réception par les spectateurs dépend de la nature du support (salle de cinéma, festivals, DVD) et, comme pour l’écrit, des backgrounds des spectateurs. Lesquels établissent, selon leurs res­- sources culturelles et sociales, tel ou tel rapport avec le réel analysé dans le film. Cependant, une difficulté supplémentaire surgit, qui est trop souvent passée sous silence : l’impréparation de la majorité du public à la lecture des images et surtout du langage cinématographique empêche de saisir les significations non immédiatement données mais seulement suggérées (dissimulées) d’un film. Comme pour le texte, il existe dans ces créations, plusieurs niveaux de compréhension du propos, l’important étant de ne pas générer de contresens. La richesse et la puissance d’un film repose sur la complexité des relations qu’il établit entre personnages, entre situations qui « disent » largement autant que les contenus directement énoncés (paroles en particulier) : or ces suggestions et ce méta niveau d’expression se situent essentiellement dans les plis du langage cinématographique.

Qu’est-ce que penser avec ou par le cinéma ?

27 Répondre à cette question, c’est s’intéresser à l’écriture cinématographique en traitant du contenu des images, en mettant en rapport les images et les sons, les valeurs des plans, en faisant parler le hors-champ, etc. Mais c’est aussi et surtout s’intéresser à la spécificité et à l’essence même du cinéma, c’est-à-dire au mouvement puisque celui-ci est constitutif du concept de cinématographe lui-même. Il ne s’agit pas de s’intéresser au mouvement des acteurs ou des objets dans l’image, mais du mouvement de la particule élémentaire du cinéma semblable au mot dans le textuel. Qu’est-ce alors que ce plus petit élément constitutif du plan au cinéma, qui fonde l’écriture s’interroge Pierre Maillot. C’est « le point de vue/écoute [8] sous lequel le plan a été filmé [9] » (Maillot, 2000, p. 48). Le cinéma est alors la construction de rapports permanents entre ces éléments de base que sont les mouvements :

28 faire un film, penser en cinéma, c’est construire des structures de mouvements de plus en plus complexes, bâtir des rapports entre ces rapports perceptifs, des rapports de rapports, des mouvements de mouvements. (Maillot, 2000, p. 52).

29 P. Maillot en dissocie trois types :

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  • le mouvement des objets dans le champ visuel qui entre en rapport avec le mouvement dans le champ sonore (connecté ou non), dans chaque plan,
  • le mouvement qui anime le champ visuel et le champ sonore à partir des possibilités des outils de captation (travelling, panoramique...) ; ces mouvements propres aux outils entrent en rapports (mouvements) avec les mouvements décrits ci-dessus pour construire une « stratégie de la perception visuelle et auditive. Un plan est une forme cinématographique non par l’acteur, l’action, le décor, l’image, etc. mais par la façon dont le récit (action, acteur, décor, sons, etc.) est perçu, selon la (les) position(s) de la (des) caméra(s) et du (des) micro(s) ». (Maillot, 2000, p. 53).
  • l’assemblage des plans en séquences au cours du montage pour aboutir au film, car : « monter un film, c’est construire des structures de plus en plus complexes de plans différents, c’est-à-dire construire des rapports de points vue/écoute, des rapports de mouvements ». (Maillot, 2000, p. 53).

31 Le cinéma se présente alors comme l’art du mouvement : comme dans le mouvement de la pensée qui rassemble et construit des rapports ou qui met en relations des idées, le cinéma met en rapport des points de vue/écoute, crée des mouvements entre ceux-ci inventant ainsi « une stratégie de la perception visuelle et auditive » (Maillot, 2000, p. 53) qui rend compte du réel à partir de ses propres règles.

32 Pour le sociologue se destinant au documentaire sociologique, cette réflexion peut apparaître très abstraite ou relevant des débats entre spécialistes du champ cinématographique (philosophes, sémiologues, critiques, etc.). Elle a l’intérêt d’interroger la nature du langage cinématographique, c’est-à-dire de tenter de comprendre comment se construit le sens au cinéma à travers la mise en rapport de ses éléments de base. Elle démontre ainsi que les images et les sons ne sont pas, contrairement à ce que pense le sens commun, les « atomes » de l’écriture cinématographique. Ce qui doit conduire immanquablement l’apprenti sociologue-documentariste à se poser des questions dont il sous-estime l’importance, avant de s’engager dans cette voie difficile. En particulier, il s’agit bien de montrer aux candidats à ce cheminement, que la préparation du tournage pour rassembler les composants du film à monter – c’est-à-dire la réflexion sur les éléments du langage – prend autant d’importance que la démarche de connaissance sociologique du phénomène social investi.

33 Toutes ces préventions nous disent aussi que le documentaire sociologique n’en est qu’à ses débuts et qu’en pratiquant cette discipline avec une conscience claire des difficultés, les résultats sont quelquefois différents de ceux attendus. Ne pouvant montrer ici des images animées, nous mettrons en évidence quelques problèmes rencontrés dans la réalisation de nos documentaires.

Le sociologue-documentariste confronté à la résistance du réel

34 Face à toutes ces exigences posées à la fois par l’expression cinématographique et par la rigueur de la démarche sociologique, le réalisateur peut avoir l’impression d’être chargé d’une mission impossible. Cette dernière partie de l’article fait état d’expé­riences vécues entre le tournage et le montage, à partir d’une position réflexive pour comprendre les sources de difficultés rencontrées ou, au contraire, les raisons de succès liées à une longue pratique de la sociologie et de l’image.

De l’image ethnographique au documentaire sociologique

35 La démarche scientifique exige la précision lorsque l’auteur rend compte d’une situation. Des descriptions par l’écriture-papier peuvent apparaître lassantes pour le non-spécialiste jusqu’à rendre l’ouvrage pesant. Par exemple la description fine du travail de montage dans l’industrie automobile nous a fermé les portes de la plupart des éditeurs français avant d’être publiée chez un éditeur suisse (Durand, Hatzfeld, 2002). Quoique pouvant paraître ennuyeuses, ces analyses du travail ouvrier sont compréhensibles par tous les lecteurs.

36 Avec le cinéma, il en va différemment : par exemple dans Rêves de chaîne (Sebag et Durand, 2003), un plan montre le pied de l’ouvrier-monteur bien en amont de l’icône « START » accompagné d’une flèche très visible. Le poste de travail filmé se situe au pied du descenseur de la chaîne : autrement dit le titulaire du poste ne peut remonter la chaîne comme il le pourrait sur un autre poste en empiétant sur l’espace de son collègue ; la flèche indique aussi clairement qu’il est dangereux de se placer en amont puisque s’y trouve toute la mécanique du descenseur. Filmer ce pied en amont de l’icône d’interdiction a une signification bien précise : montrer que l’opérateur remonte la chaîne, quoique on ne sache pas encore pourquoi. S’agit-il de prendre de l’avance parce que le poste est tellement chargé qu’il ne parvient pas à réaliser toutes les tâches sans « couler » la chaîne ? Ou bien gagne-t-il du temps pour s’aménager des temps de pause entre chaque voiture ou entre des lots de trois ou quatre voitures ? Ce que l’on apprendra plus tard dans le film. En même temps, cette image montre que l’ouvrier bafoue (légèrement) une règle de sécurité et que c’est toléré ; ce qui suggère que la prescription n’est pas aussi rigide qu’on le dit quelquefois et que de tels arrangements qui laissent du jeu dans les rouages organisationnels permettent à l’ensemble de fonctionner et de produire. On remarquera que c’est seulement sur ce poste de travail en aval du descenseur que l’on peut capter cette image : elle est d’autant plus précieuse que tout ce qui en est déduit n’est pas visible sur un autre poste de travail du milieu de la chaîne puisqu’il n’y a pas de tels icônes entre postes de travail­. Voici donc une image, rare, aux significations multiples permettant de montrer la réalité du travail sur une ligne d’assemblage tout en posant des questions sur la manière dont l’opérateur donne du sens à son travail : on apprend plus tard que pendant les minutes ainsi gagnées qu’il regroupe, il étudie les maths ou l’anthropologie parce qu’il suit des cours à l’Université.

Photogramme issu de Sebag J. et Durand J.-P., Rêves de chaîne, 2003.

Photogramme issu de Sebag J. et Durand J.-P., Rêves de chaîne, 2003.

Photogramme issu de Sebag J. et Durand J.-P., Rêves de chaîne, 2003.

37 La question posée au sociologue-documentariste – qui lui vient nécessairement à l’esprit – est de savoir qui, dans le public peut établir le rapport entre le gain de temps montré par cette image et le sens donné à son travail par l’ouvrier-monteur ? Si le documentaire sociologique est destiné aux chercheurs et aux spécialistes du champ filmé, il s’adresse aussi – comme les ouvrages sociologiques – à un public plus large. On perçoit ici la difficulté d’utilisation de ce que nous dénommons l’image ethnographique (ou le son ethnographique) qui, par sa précision chirurgicale et le fait qu’elle est nécessairement sortie de son contexte pour montrer le détail signifiant, risque de manquer sa fonction scientifique. Le risque est grand que seuls les sociologues du travail ayant travaillé dans l’industrie automobile puisse établir le rapport entre l’image du pied en amont de l’icône et les possibilités d’autonomie dans les tâches prescrites ou l’intense pression sur le travail ouvrier, ou bien les deux à la fois. Ici deux solutions s’offrent au réalisateur. La première consiste à établir une relation entre cette image du pied et d’autres images montrant l’intensité du travail ou des sons indiquant l’organisation de la relative maîtrise de son temps par l’ouvrier (la parole de l’ouvrier) : autrement dit il s’agit d’établir des rapports entre points de vue qui établissent le mouvement du film ou dans le film. La seconde voie utilise pleinement le caractère ethnographique de cette image et la commente par un texte écrit ou oral qui accompagne le film lui-même : ce n’est pas la solution cinématographique, mais elle peut être une issue scientifique qui recourt au multimédia comme on le verra ci-dessous.

38 Dans le même documentaire sociologique sur une usine américano-japonaise en Californie, un son que l’on peut aussi qualifier d’ethnographique accompagne toutes les images de l’atelier : c’est le klaxon par lequel chaque ouvrier-monteur appelle le team leader à la rescousse pour résoudre un problème sans arrêter la chaîne qui mettrait au repos momentané une centaine de salariés : l’arrêt de chaîne est prohibé eu égard à son coût. Le résultat est que les coups de klaxon, pas trop violents pour ne pas traumatiser les salariés, constituent un véritable bourdonnement dans l’atelier que seuls les team leaders concernés entendent pour se précipiter auprès du monteur en difficulté.

39 Lors de la projection du film, la fréquence de ces appels à l’aide qui les transforme en bruit de fond attire immédiatement l’attention des spécialistes. Lesquels comparent alors leur densité à ce qu’ils ont connu dans d’autres usines japonisées. Mais pour les autres spectateurs cette omniprésence pourtant assourdissante ne fait pas sens : nous avons essayé de rapprocher ce son des autres systèmes d’alertes : gyrophares, panneaux électroniques indiquant les retards sur les prévisions de la production, etc. Rien n’y fait, certainement parce que nous n’avons pas trouvé le bon mode d’écriture cinématographique pour rendre compte, par ce bruit omniprésent mais insaisissable par le profane, de la pression du temps sur les ouvriers-monteurs. Nous sommes ici face à une question d’importance pour le sociologue documentariste : la production du sens des images (et des sons) ethnographiques. Il est en effet probable que leur dimension extrêmement microsociologique pour la plupart d’entre eux, avec une tentation de les grossir à l’image pour les rendre plus visibles conduise à leur extraction du contexte : ce qui leur retire toute signification possible. L’écriture cinématographique doit les remettre en rapport et en mouvement.

40 À l’inverse de ces deux exemples, il existe un phénomène tout aussi microsociologique, dont on a une connaissance intellectuelle assez précise, mais que l’on a du mal à montrer en image ou par le son (en dehors de la parole) : il s’agit de la cadence ou de l’intensité du travail. En effet, le bon ouvrier-monteur est celui qui « coule » ses gestes, c’est-à-dire qui s’économise en ne faisant aucun geste ou même aucun mouvement inutiles à la production. Un « geste coulant » est en général un geste assez lent, sans rupture aucune et où chaque mouvement d’accomplissement d’une tâche ou d’une fraction de tâche s’enchaîne au suivant. Pour résumer, on pourrait dire que plus grande est la dextérité dans le montage, moins elle se voit, c’est-à-dire que l’ouvrier donne l’impression à l’observateur de prendre son temps. Or, il n’en est rien et l’encadrement le sait bien : le temps des ouvriers est pleinement occupé et ils sont aujourd’hui presque tous aux limites du supportable [10]. Le problème du sociologue est de montrer ce rythme très élevé du travail, puisqu’il n’en a pas l’air ; autrement dit, comment filmer la dextérité du travail répétitif pour en faire ressortir l’épuisement auquel il conduit ? Bien sûr le cinéaste se dispensera de filmer au ralenti pour produire un mouvement accéléré à la projection (voir Les Temps modernes de Chaplin). Le plan rapproché tend à donner une perception ralentie du mouvement des mains ; le plan d’ensemble de la tâche avec son contexte (une portière, un moteur, un intérieur de véhicule...) montre mieux le mouvement, dans sa précision, mais seuls les professionnels sont en mesure d’apprécier le niveau de la cadence exigée et le degré d’attention et de dextérité nécessaire pour tenir le poste. Il est probable que Louis Malle, dans Humain, trop humain (1974), ait partiellement réussi à rendre compte des rythmes de travail en utilisant certains moyens qui ne montrent pas le travail directement, mais par exemple les jambes des ouvrières en perpétuel déplacement. C’est donc bien au niveau de l’écriture cinématographique que se situent les possibilités d’expression d’une pensée abstraite, mais le risque est de ne pas satisfaire les sociologues qui souhaitent, par exemple visionner le travail lui-même, c’est-à-dire ici les gestes qui le constituent. On retrouve de nouveau la tension entre la démarche sociologique qui souhaite montrer et démontrer et le cinéma qui utilise des figures différentes pour atteindre les mêmes objectifs.

Penser la prise d’image/son pour penser par le cinéma

41 Parce que je pense, je construis l’image et le son pour que le cinéma exprime ce que je pense. Ce résumé du processus qu’est la sociologie filmique expose avec économie l’importance de la maîtrise scientifique de l’objet étudié, la préparation du tournage (captations visuelle et sonore) et l’efficacité de l’écriture cinématographique. Malgré les précautions prises en amont il arrive assez souvent que les conditions de tournage ne soient pas exactement celles qui étaient prévues. L’opérateur de prise de vue – qui est aussi le sociologue dans notre cas – se trouve donc contraint à l’improvisation et c’est avec ses seules connaissances du terrain et sa maîtrise de l’image/son qu’il doit faire face à la situation.

42 En tournant Nissan, une histoire de management (2005), nous devions rencontrer un directeur d’usine pour qu’il nous explique comment il traduisait les orientations managériales en pratiques gestionnaires d’une part et comment il faisait remonter au siège les difficultés qu’il rencontrait. Il nous reçut avec un accompagnateur de la direction générale et la traductrice dans une salle de réunion autour d’une vaste table. Les premiers plans ont été tournés en plan rapproché afin de ne pas troubler l’attention du spectateur par des détails environnementaux éloignés du thème de l’entretien. Rapidement l’opérateur-image prit conscience que les réponses paraphrasaient le discours officiel sans tenir réellement compte des questions posées. Mais en même temps, les déclarations du directeur faisaient sens dans l’environnement de cette entreprise japonaise à la fois très hiérarchisée et très conservatrice où les nouveaux dirigeants étrangers étaient venus bousculer les certitudes. Il s’agissait alors de construire des plans qui montrent ce traditionalisme et la fidélité managériale, tout en ouvrant au spectateur la possibilité d’une vision distanciée de la parole directoriale. Le plan très large était une solution à condition qu’il ne fasse pas trop de place à l’environnement démobilisateur de l’écoute : nous avons choisi de filmer, au grand angle, la grande table en bois exotique, neutre et sans accessoire pour rompre sa monotonie, avec le buste du directeur (dans le point d’or), mais comme écrasé par l’impersonnalité de l’espace bureaucratisé figuré par la table.

Photogramme issu de Sebag J. et Durand J.-P., Nissan, une histoire de management, 2005.

Photogramme issu de Sebag J. et Durand J.-P., Nissan, une histoire de management, 2005.

Photogramme issu de Sebag J. et Durand J.-P., Nissan, une histoire de management, 2005.

43 Soulignons que le directeur de l’usine porte aussi le blouson gris de l’entreprise ce qui ajoute à l’effet créé par le cadrage de l’image et à la voix monocorde de l’interviewé. Ainsi, le choix du cadre – avec une exclusion explicite du hors-champ – conduit le spectateur à mieux écouter la parole du directeur (plus il apparaît loin plus on lui porte attention) et à s’en distancier à la fois. La construction de l’image invite, par l’étonnement qu’elle crée et/ou par les connotations induites (soviétisme, espace instrumental des militaires, bureaucratie kafkaïenne...) à interroger les signes dénotés, c’est-à-dire ici la parole directoriale.

44 Plus tard, toujours dans Nissan, une histoire de management, nous interrogeons les membres de l’équipe de Direction (française et japonaise) pour comprendre comment se diffusent les réformes managériales pensées par un groupe très restreint de deux personnes. Lors d’un entretien avec le Pilote de la « Cross Functional Team » nous percevons immédiatement les difficultés qu’il rencontrait pour s’approprier cette nouvelle culture managériale : une déclaration trop générale comme « l’arrivée de Carlos Ghosn a changé le management et la motivation des salariés » laisse poindre une certaine subordination et signifie que l’interlocuteur n’est pas entré dans son personnage, c’est-à-dire aussi qu’il est encore hors-champ. Or, en prononçant cette phrase, l’interviewé recule et se place de lui-même quasiment à l’extérieur du plan : l’opérateur a le choix de recadrer rapidement ou de laisser faire parce que le plan ainsi construit signifie plus que la parole énoncée (photogramme ci-dessous). En s’échappant quasiment du cadre (l’opérateur sait aussi que le sujet ne peut aller plus loin, limité dans son déplacement par la position de son fauteuil et celle du bureau), l’interviewé dit qu’il se prépare à parler d’un « sujet imposé », la nouvelle organisation transversale. Le cadrage appuie le mouvement de son corps qui en dit plus que ses mots sur son rapport à la nouvelle fonction.

Photogramme issu de Sebag J. et Durand J.-P., Nissan, une histoire de management, 2005.

Photogramme issu de Sebag J. et Durand J.-P., Nissan, une histoire de management, 2005.

Photogramme issu de Sebag J. et Durand J.-P., Nissan, une histoire de management, 2005.

45 L’opérateur attend avec impatience que le sujet revienne complètement dans le cadre ; ce qui a lieu très rapidement quand le Directeur s’empare de son objet pour le valoriser. À partir de ce moment-là il occupe tout le cadre. La prise de confiance se manifeste à nouveau à travers son corps : il remplit le champ et écarte les bras pour exprimer la transversalité organisationnelle (voir le photogramme suivant).

Photogramme issu de Sebag J. et Durand J.-P., Nissan, une histoire de management, 2005.

Photogramme issu de Sebag J. et Durand J.-P., Nissan, une histoire de management, 2005.

Photogramme issu de Sebag J. et Durand J.-P., Nissan, une histoire de management, 2005.

46 Un peu plus tard il met ses doigts en crochets comme pour mieux posséder la réalité en déclarant « on fait le maximum pour réussir ». Si le texte-papier retranscrit la force des mots, l’image et le son mettent en exergue l’investissement du corps et la portée des intonations pour signifier plus que le seul sens des paroles. Ici, dans deux moments extrêmement différents (le malaise face au sujet imposé puis la reprise de confiance), la caméra montre la mise en adéquation du corps et des mots, invalide, nuance ou renforce le sens de ces derniers. Ainsi, l’entretien filmé est plus qu’un simple entretien, car le cinéma montre la parole incorporée dans le locuteur : la gestuelle participe du discours, les mouvements du corps scandent les mots. Le corps exprime les doutes, la recherche du vocabulaire juste, les hésitations, la pensée en train de se construire et de chercher sa meilleure expression. Les transformations du regard signifient où en est le locuteur dans sa réflexion : yeux baissés pour échapper à la caméra dans le mal-être, yeux en l’air ou regard vide qui ne perçoivent plus le monde extérieur pour mieux creuser à l’intérieur de soi et pour y trouver la formulation juste d’une pensée en maturité, par exemple.

47 Le montage a toute son importance pour rester fidèle à la parole, pour en souligner les subtilités et pour exprimer la complexité de sa genèse. Ici par exemple, nous aurions pu supprimer le premier plan du discours convenu du Pilote qui se met quasiment hors champ. Or cette introduction dit simplement la violence de la transition managériale et, en contrepoint, un peu plus tard, le niveau d’appropriation de la logique du management transversal par son nouvel adepte.

48 Dans un autre film (50 ans d’Affirmative Action à Boston, 2013), ce qui pourrait apparaître comme une situation semblable à celui du film précédent (la grande table), conduit à d’autres choix d’écriture. Nous arrivons dans un bureau d’avocat très encombré de classeurs, de plantes vertes, de récompenses et de tableaux accrochés aux murs. C’est un peu étouffant et l’avocat accepte de ne pas être filmé à son bureau très embarrassé de dossiers, ce qui nous arrangeait pour des questions de recul. Il s’assied à une table assez large, sans papier, et nous fait signe de nous installer en face de lui : le vide de la table organise une sorte de no man’s land entre l’avocat afro-américain et les deux sociologues venus de France. L’entretien peut commencer. Il faut quand même installer la caméra et choisir le point de vue, sinon la focale. En installant la caméra légèrement en contre-plongée nous ouvrons la possibilité, pour l’avocat, de s’engager dans des envolées lyriques ou militantes dont nous le sentons capables, en leur donnant plus de force, sans évidemment trahir ni son image, ni les contenus de ce qu’il va dire.

Photogramme issu de Sebag J. et Durand J.-P., 50 ans d’Affirmative Action à Boston, 2013.

Photogramme issu de Sebag J. et Durand J.-P., 50 ans d’Affirmative Action à Boston, 2013.

Photogramme issu de Sebag J. et Durand J.-P., 50 ans d’Affirmative Action à Boston, 2013.

49 Comme dans tout entretien, les valeurs de plan vont varier. Le grand angle n’a plus la même fonction que dans l’usine ; ici il montre l’environnement et réhausse les attributs d’un passé bien chargé : diplômes et récompenses, images de militants, textes fondateurs des libertés, etc. D’une certaine manière le grand angle « historicise » la scène en insistant sur l’environnement de l’interviewé qui légitime l’entretien et ses contenus. Dans les plans plus rapprochés, voire les gros plans, le spectateur conserve en mémoire le décor qui participe à la constitution du personnage : c’est encore une histoire de rapports et de mouvement, mais cette fois entre les plans. Le choix du grand angle était aussi le bon choix pour une autre raison : même avec le 35m/m, l’intense gestuelle de l’avocat plaçait souvent ses mains hors champ, laissant entendre qu’il n’y avait pas de limite à ses idées. L’usage du 28m/m grossissait ses mains au premier plan et plaçait une plus petite tête au bout des bras : quelle autre image peut mieux marquer l’action quand il s’agit de défendre les Noirs contre la domination historique des Blancs et d’expliquer le système pénitentiaire américain qui marque à vie les anciens détenus ? À d’autres moments quand il se rapproche de la caméra pour mieux convaincre, le grand angle lui donne encore plus de force en amplifiant les mouvements des bras ou les expressions du visage. Le choix du point de vue et de la focale participe au dépassement du discours pour atteindre la parole, c’est-à-dire un contenu qui exprime ou, mieux encore, qui est le je de l’interviewé.

Conclusion : instituer le commentaire et le débat sur le documentaire scientifique

50 L’image et le son, la photographie et le cinéma sont des voies différentes d’accès à la connaissance du réel, comparés à l’écrit-papier. Le présent article a montré les apports de l’image et du son à cette investigation, en même temps que leurs limites. D’une part la faiblesse de la culture de l’image signifie qu’un très grand nombre de spectateurs n’en font qu’une lecture superficielle : d’où la préoccupation, maintes fois répétée par les professionnels de la nécessité d’enseigner sa lecture, de l’école à l’université. D’autre part, la difficulté d’exprimer la pensée abstraite par l’image et le son requiert leur explicitation et le commentaire sous la forme de l’écrit-papier et/ou des images et des sons eux-mêmes.

51 Historiquement, la critique du cinéma de fiction et l’analyse des photos ou des images des ethnologues et des anthropologues (l’anthropologie filmique) ont eu lieu et se perpétuent par l’écrit-papier. Depuis la diffusion des DVD, les bonus participent à ce commentaire par l’image et par le son, souvent à travers des entretiens filmés. Quelques scientifiques se sont hasardés à enrichir leur documentaire par d’autres formes filmées [11]. Les CD-Rom ont ouvert de nouvelles possibilités rapidement abandonnées en raison de leur lourdeur de manipulation face au succès d’Internet.

52 C’est aujourd’hui sur l’Internet que se concentre l’attention pour inventer de nouvelles voies qui permettent d’enrichir le film scientifique par des développements secondaires ou par des commentaires et des analyses. Il s’agit d’associer les images (animées ou non), les sons et le textuel pour faire converger les différentes voies d’accès à la connaissance du social: la sensibilité et l’émotion d’une part et la raison ou la rigueur logique d’autre part [12].

53 Les sociologues tendent aujourd’hui à publier des travaux combinant les images/sons et des textes complémentaires ou des textes d’analyse de réalisations cinématographiques. Pierre Maillot (2013) a découpé plan par plan Night Mail, un film britannique de 1936 (22’ 30) qui met en valeur les compétences des postiers du train qui délivrent ou ramassent des sacs de courrier sans que le train ne s’arrête. En s’adressant aux sociologues-cinéastes, l’auteur démonte les procédés par lesquels le sens vient au film : le film est accessible directement à partir de la revue en ligne et des images fixes extraites du film montrent ce que le mouvement rapide de la caméra – et du train – cachent au spectateur non-averti [13].

54 Au-delà des apprentissages différenciés de l’écrit ou de l’image/son (l’un est dispensé par l’école dont c’est l’une des fonctions premières, l’autre est abandonné au hasard des trajectoires professionnelles), il est probable qu’il y ait, culturellement, un rapport différent au temps des scientifiques face à ces deux médias. Dans la lecture, le temps ne compte pas ou compte peu : l’usage du livre engage à des retours permanents aux pages ou aux chapitres précédents – voire à d’autres ouvrages – pour éclairer telle ou telle phrase ou idée que le lecteur vient de découvrir dans le texte en cours de déchiffrage. Sauf exception, la vidéo ne donne pas lieu à un second ou à un troisième visionnage ; plus encore les retours à des séquences antérieures sont rares, en particulier parce que retrouver le passage souhaité est une tâche ardue. Enfin, il est probable que l’action ou le mouvement dans la vidéo, le rythme de la narration ou le montage « accélèrent le temps » ou plutôt la perception que le spectateur peut avoir du temps. Ce qui n’encourage pas les retours, ni les second visionnages, ni l’étude approfondie – sauf par quelques professionnels – des images/sons : combien de spectateurs s’arrêtent sur une image, commentent un plan ou l’annotent comme ils le feraient avec un texte imprimé ? Combien citent des séquences en les incluant dans leurs propres travaux ? En d’autres termes, y a-t-il, au moins provisoirement, encore une « complexité technique » ou une « difficulté technique » du traitement de l’image/son qui empêchent les chercheurs de les manier avec autant de facilité que l’écriture-papier (ou écran) ?

55 La sociologie filmique souhaite combiner les différentes voies de la connaissance plutôt que les opposer, ce qui suppose la maîtrise du langage cinématographique par les sociologues-cinéastes : voici pourquoi la tâche des sociologues est immense pour faire de la sociologie avec et par le cinéma.

Bibliographie

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    • Malle L. (scenario), Malle L. et Vautier R. (réalisation), 1974, Humain, trop humain. Film Documentaire, 75 minutes, français.
    • Sebag J., Durand J.-P. (réalisation), Centre Pierre Naville/Université d’Evry (production), 2003, Rêves de chaîne. Film documentaire, 26 minutes[en ligne]http://cpn.univ-evry.fr/index.php/membres/productions-audiovisuelles.
    • Sebag J., Durand J.-P. (réalisation), Centre Pierre Naville/université d’Evry (production), 2005, NISSAN, une histoire de management. Film documentaire, 38 minutes. [en ligne]http://cpn.univ-evry.fr/index.php/membres/productions-audiovisuelles
    • Sebag J. et Durand J.-P., (réalisation), 2013, 50 ans d’Affirmative Action à Boston, Film documentaire, 52 minutes.

Mots-clés éditeurs : Documentaire sociologique, Concept, Narration, Langage cinématographique, Sociologie filmique

Mise en ligne 22/05/2015

https://doi.org/10.3917/anso.151.0071

Notes

  • [1]
    On ne peut pas dire tout simplement de l’écriture, car le cinéma suppose une écriture filmique, c’est-à-dire un style, une syntaxe, un langage. On utilisera ici indifféremment écriture-papier ou textuel pour signifier le recours au support papier.
  • [2]
    La sociologie filmique est peut-être plus proche du documentaire que de la fiction. Il existe de très bons films de fiction, mais réalisés par des auteurs non-sociologues ; les analyser sociologiquement relève de la sociologie sur les images. Par ailleurs le documentaire sociologique peut être partiellement scénarisé voire fictionné. Enfin, il est probable que la différence entre les deux genres soit d’abord une question de convention : la fiction fait appel la plupart du temps à des faits relevant du réel et le documentaire fait appel à l’imaginaire pour être regardé. Le débat, opposant longtemps les deux, tend aujourd’hui à faire consensus sur l’existence de frontières ténues entre les deux genres.
  • [3]
    « Doing so leads to the question of what can be visualized and how visualization changes how we think about a concept ».
  • [4]
    Les sociologues américains font le même constat : « Where is the instruction and inspiration to make these films [by sociologists] ? I do not know of a single sociological qualitative methods text that include a serious discussion of film or video making, and the topic is largely missing from the standard texts on visual methods. [...]. Another reason so few sociologists produce and teach non-fiction film is because there is virtually no training in graduate schools in filmmaking and film is not considered equal to written scholarship in most evaluation of scholarly work » (Harper, 2012, p. 233). Favorable à cette approche, Michael Burawoy alors Président de l’Association internationale de Sociologie  avait souhaité que nous donnions un entretien relatif à la sociologie filmique en France à la revue de l’AIS : « Cinematic Sociology », Global Dialogue, 3 4, 2013 [en ligne] http://isa-global-dialogue.net/cinematic-sociology.
  • [5]
    La littérature sur ce thème est immense, tout écrit sur le cinéma introduit cette question, le choix des ouvrages ne peut relever que de l’intérêt particulier du sociologue pour certaines thématiques comme par exemple la captation d’images des corps, de leurs mouvements et de leur expression. On peut citer, comme introduction à ce champ, les ouvrages de Jacques Aumont (1992) ou Vincent Amiel (1998).
    À cela s’ajoute, la question de l’aléa dans le tournage, qui existe dans le film de fiction et plus encore dans le documentaire. Jean Mitry, par exemple, note combien l’aléa dans le tournage d’un film de fiction peut modifier la symbolique et donc l’interprétation d’une scène rendant « sa signification accidentelle » (Mitry, 1987, p. 202), ce qui est à haut risque pour le « sociologue-documentariste ».
  • [6]
    C’est le sens de la création du Master Image et société (ouvert en 1996 à l’Université d’Evry) qui forme les étudiants à l’analyse cinématographique, à la réalisation de documentaires (écriture filmique, prise de vue, de son, montage) en complément d’une formation aux sciences sociales. « La sociologie par l’image : introduction à la sociologie visuelle », partie IV de la revue CinémAction, (Hamus-Vallée, 2013, pp. 134-184).
  • [7]
    Ainsi, les journées scientifiques du GT47 de l’AFS organisées en février 2013 (FMSH) ont porté sur Le montage entre film rêvé et film réalisé et questionnaient les arrangements auxquels on doit recourir pour rendre féconde cette approche malgré les obstacles rencontrés [en ligne] http://sociologie-filmique-afs.univ-evry.fr.
  • [8]
    Avec juste raison P. Maillot associe toujours l’image (pour le point de vue) et le son (pour le point d’écoute) dans le cinéma ; pour des raisons de lisibilité notre article fait souvent référence à la seule image, mais il est bien clair que le lecteur doit entendre image et son parce qu’ils sont indissociablement liés (ou déliés volontairement, décalés, etc., ces liens étant eux-mêmes signifiants) dans la performance cinématographique.
  • [9]
    Ce qui rejoint la position de Joël Magny qui fait du point de vue l’élément essentiel de l’écriture cinématographique : « c’est ce jeu infini des points de vue qui constitue la narration cinématographique, le jeu le plus subtil avec le spectateur » (Magny, 2001, p. 4). Bien sûr le « point de vue » dans le cinéma n’a pas le sens du « point de vue » du sociologue : pour ce dernier il s’agit plutôt d’une thèse à défendre (qui sous-entend qu’il y a bien une question avec des hypothèses validées). Dans le cinéma, « le point de vue, c’est celui que choisit le cinéaste dans une intentions particulière, un point de vision organisé, calculé dans un but particulier : voir l’objet, le paysage, un morceau de réalité sous un certain angle pour le faire voir à un spectateur sous cet angle particulier » (Magny, 2001, p. 16). En ce sens, le point de vue choisi dans le cinéma peut contribuer à faire valoir ou à exprimer le point de vue du sociologue.
  • [10]
    Ce constat peut être relativisé dans les deux sens : le rythme de travail des ouvriers japonais de l’industrie automobile est le plus élevé du monde : ce qui signifie qu’il reste une marge pour les autres ... A contrario, le fait que les ouvriers-monteurs soient usés physiquement à 40-45 ans en Europe, comme le reconnaissent les dirigeants des firmes automobiles, en dit long sur leur rythme de travail.
  • [11]
    On peut citer ici le film de Jean Arlaud et Annie Mercier, Touchez pas au Malang dans lequel ne pouvaient entrer par exemple certains faits explicatifs de la protection divine des camions pakistanais. Le réalisateur possédait les rushes pour présenter un document complémentaire. In fine, le documentaire premier, s’est vu adjoindre deux films ethnographiques spécifiques et un film de 20’ sur la démarche de l’auteur, montés par Christine Louveau qui a organisé le va-et-vient entre les films, dans le DVD.
  • [12]
    Parallèlement, des revues en ligne se multiplient, dont l’orientation éditoriale est clairement celle de l’association des textes théoriques et des commentaires d’une part et d’autre part des images et des sons. On peut citer Ethnographiques.org, Visual Ethnography ou Anthrovision.
  • [13]
    Par ailleurs, émerge chez certains chercheurs le souhait de développer des sites collaboratifs qui conduisent à la publication en temps réel de ces travaux réflexifs sur l’image/son et l’écrit-écran. Mais ici les obstacles sont multiples : le manque de temps car cette activité est très chronophage et l’autocensure par crainte du jugement des pairs sur une pensée ou une thèse en train de se construire. Il est aussi question de signature collective sur de tels sites. Que faire alors de l’ego des chercheurs ou de l’évaluation individuelle effectuée par les instances qui gèrent les carrières ? Le webdocumentaire est une autre proposition qui, à ce jour, abrite tellement de réalisations différentes que l’on peut difficilement les rassembler sous la même appellation. En effet, la notion de webdocumentaire va de la simple intégration d’une vidéo dans un texte (dans une fonction illustrative) à une initiative de recherche qui fait travailler ensemble vidéo et texte-écran, voire les met en tension pour approfondir les connaissances produites par les deux outils.
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