Notes
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[1]
Sans prétendre à une étude exhaustive du développement de la sociologie visuelle dans les pays de langue française, nous reviendrons aussi plus loin sur la situation en Belgique et en Suisse, deux pays où l’on retrouve des chercheurs comme Daniel Vander Gucht et Michaël Meyer, particulièrement actifs dans le champ de la sociologie visuelle francophone.
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[2]
Nous excluons donc ici les techniques de visualisations des données, notamment chiffrées, sous la forme de graphiques, tableaux, schémas, certes répandues dans la discipline sociologique, mais qui restent des « modes » de présentation de données, plus que des « données » à part entières. Les statuts respectifs du dessin et de l’animation ne seront pas discutés bien qu’ils se rapprochent des photographies et des films tout en manifestant une stylisation plus accentuée de la réalité.
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[3]
C’est précisément la question des coûts qui, par exemple, avait mis en péril une revue scientifique comme Xoana à la fin des années 1990, celle-ci laissant une large place aux données visuelles bien qu’étant uniquement diffusée en version papier. Nous ne nous étendrons pas ici sur un autre problème lié la publication de données visuelles, celui complexe du droit à l’image (Game, 2007 et l’article d’Anne Jarrigeon dans ce volume) qui avait abouti par exemple à la suspension de la publication de la revue Études photographiques.
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[4]
Le récent ouvrage Précis de photographie à l’usage des sociologues de Maresca et Meyer (2013) entend précisément combler ce manque d’appui méthodologique à disposition du sociologue concernant l’usage de la photographie comme outil d’enquête.
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[5]
Jean-Paul Terrenoire (2006, p. 121) présente clairement la façon dont la définition d’une sociologie « visuelle » implique un enjeu perceptif plus large : « La réalité sociale, telle qu’elle se manifeste dans le domaine du sensible, échappe rarement à la perception sonore ou visuelle. Toute la question est alors de fixer, du point de vue de la sociologie et de l’anthropologie, le statut et le poids de ce qui dans la pratique relève du registre de l’oreille ou de la vue, et de constituer en objet scientifique la réalité sociale dans ce qu’elle a d’audible et de visible ».
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[6]
On pense par exemple au projet culturevisuelle.org initié par André Gunthert qui héberge plusieurs blogs, dont son carnet personnel “L’Atelier des icônes”, ou encore “La vie sociale des images” du sociologue Sylvain Maresca (le projet a migré en octobre 2014 sur la plate-forme hypotheses.org). En outre, la revue en ligne ethnographiques.org apparaît comme précurseur en matière de publication d’articles s’appuyant explicitement sur des données visuelles par des sociologues : Pezeril, 2008 ; Du et Meyer, 2009 ; Cornu, 2010 ; Meyer, 2010 ; Desaleux, Langumier et Martinais, 2011 ; Riou, 2012 ; Flocco, Vallée, 2013 ; Ganne, 2013.
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[7]
Cette idée de se recentrer sur un type de données (les images) pour rassembler des chercheurs et des recherches aux profils diversifiés est aussi celle qui a guidé la publication de l’ouvrage collectif Image-based Research: A Sourcebook For Qualitative Researchers, dirigé par Jon Prosser (1998).
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[8]
Margaret Mead (1979) parle ainsi de l’anthropologie naissante comme d’une « discipline verbale », prise dans des habitudes méthodologiques peu enclines à la mobilisation de l’image. Le constat nous semble d’autant plus valable pour la discipline sociologique.
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[9]
De fait, dans les premiers volumes de l’AJS étudiés par Stasz, une minorité de contributeurs sont des femmes (12 % sur les 21 premiers volumes), tandis que les articles comportant des données visuelles sont écrits de façon paritaire par hommes et femmes. Pour une réflexion plus récente sur l’hypothèse d’une domination genrée subie par la méthode photographique, voir notamment Elizabeth Chaplin (2004).
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[10]
Nous pensons notamment aux photographies prises par Maurice Halbwachs lors de ses promenades urbaines de “taudis parisiens”, correspondant bien au souci des premiers photographes documentaires de restituer visuellement des conditions matérielles de vie particulièrement difficiles. Pour Halbwachs, ces photographies constituaient un outil de connaissance et de réformisme social servant de matériau pour ses futures publications sur les prix de l’immobilier parisien et les expropriations foncières, ainsi que sur le niveau de vie des ouvriers.
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[11]
La revue est le relais officiel de l’International Visual Sociology Association qui organise depuis 1983 des conférences annuelles sur des thématiques variées liées à l’image (celle de 2014 était par exemple intitulée « Visual Dialogues in Post-Industrial Societies: Transforming the Gaze »).
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[12]
On peut toutefois élargir le spectre des influences extra académiques en se tournant vers le film documentaire. Citons à titre d’exemples les références fréquentes des sociologues américains à l’œuvre documentaire de Frederik Wiseman, ou des sociologues français à celle de Raymond Depardon.
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[13]
Le logiciel « Transana », développé par l’Université du Wisconsin, bien qu’essentiellement utilisé dans le champ de la sociologie de l’éducation, en est un bon exemple.
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[14]
Dans le tournant numérique que cherche à opérer le monde de la recherche en sciences humaines et sociales à travers le projet Huma-num, la question de l’indexation des images pour faciliter leur traitement quantitatif pourrait être un enjeu méthodologique important pour les années à venir.
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[15]
Pour une réflexion plus générale sur ce thème, voir l’article de Monique Peyrière (2012).
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[16]
A titre d’exemple, on peut citer le numéro spécial « Représentations du monde social. Textes. Images. Cortèges », n° 154, 2004/4.
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[17]
Nous avons pu nous-mêmes être le témoin de cette émulation pédagogique autour de l’image en Suisse lors d’une participation à l’Université d’été de l’UNIGE en juin 2009 où nous avons dispensé un cours sur « l’usage des ressources visuelles comme outils de recherche en sciences sociales ».
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[18]
Outre l’animation du séminaire « Cultures visuelles. Méthodes d’analyse et d’usage des images en sciences sociales » et son carnet de recherche « La tête dans les images », on peut par exemple citer la tenue récente de l’atelier « La photographie comme outil des sociologues. Initiation pratique aux méthodes visuelles » en septembre 2014 dans le cadre du programme doctoral romand en sociologie.
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[19]
Voir le lien : http://www3.unil.ch/wpmu/sociologievisuelle/2012/12/l-institutionnalisation-de-la-sociologie-visuelle-en-italie/
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[20]
Voir respectivement les liens suivants : www.exactitudes.com et http://www.mediapart.fr/portfolios/tenues-de-travail.
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[21]
Nous avions pu nous-même l’entendre s’en expliquer lors d’une invitation à un séminaire de l’EHESS à propos d’une question portant sur la filiation de son oeuvre avec celle de Erving Goffman. Voir par ailleurs son interview dans une revue francophone (Wiseman et Mikles, 2001).
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[22]
Le projet est visible sur le lien suivant : voir http://www.melissa.ens-cachan.fr/spip.php?article441.
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[23]
L’ouvrage se décompose ainsi en trois parties : « Espace(s) Urbain(s) », « Vie(s) » et « Végétation(s) ».
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[24]
Il est aussi beaucoup question de séquences dans le travail de Bernard Ganne qui depuis trente ans et sa collaboration étroite avec le cinéaste Jean-Paul Pénard n’a eu de cesse de filmer le travail que ce soit à ses débuts dans les usines Canson et Montgolfier à Lyon ou plus tard en Europe et en Asie sur le thème de l’internationalisation des entreprises. Un article récent (Ganne, 2012) revient utilement sur son œuvre en croisant enseignements méthodologiques et résultats pratiques. Sa publication en ligne offre un exemple particulièrement réussi des possibilités qu’offre le web pour articuler données textuelles et données visuelles. Parmi les collaborations fructueuses entre chercheurs en sciences sociales et « professionnels de l’image », on pourrait également citer l’exemple tout à fait convaincant du travail de David Desaleux, Julien Langumier et Emmanuel Martinais à travers leur approche « photosociologique » des lieux de travail de l’administration dans la fonction publique d’État (2011), en rappelant que cette fois c’est le photographe qui est à l’origine du sujet de l’enquête.
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[25]
Plus récemment, sur un thème relativement proche, citons la collaboration entre l’ethnologue Philippe Bourgeois et le photographe et ethnographe Jeff Schonberg sur les sans abris héroïnomanes (homeless heroin injectors) en Califormiedont le travail est restitué sous la forme d’un article scientifique dans la revue Ehtnography : http://www.philippebourgois.net/Ethnography%20Schonberg%20Intimate%20Apartheid%20For%20Circulation%202007.pdf
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[26]
Dans le cas contraire, l’usage de photographies (ou d’extraits de films) issues du terrain sans l’accord explicite des participants à l’enquête ou véhiculant une image qui ne correspond pas à celle qu’ils ont d’eux-mêmes peut avoir un effet dévastateur a posteriori comme l’explique David Lepoutre dans un article au titre explicite : « La photo volée. Les pièges de l’ethnographie en cité de banlieue » (2001).
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[27]
Cette enquête est le fruit d’une collaboration entre la mission paysage du Conseil Général de la Gironde et le Centre Émile Durkheim de l’Université de Bordeaux (2010-2011).
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[28]
On peut simplement citer les difficultés des étudiants développant ce type d’approches à les faire reconnaître comme mode de restitution à part entière à côté de l’écrit au moment de soutenir leurs thèses, les formes alternatives de restitution tel que l’album photographique ou le film documentaire étant dés lors souvent reléguées en annexes.
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[29]
Les consignes et rappels les plus fréquents adressés à nos étudiants concernent l’impératif de commentaire et contextualisation des données photographiques, afin d’éviter la production d’un diaporama s’appuyant sur la seule puissance de désignation des images (Piette, 1992) et des formules du type « comme on le voit très bien à l’image […] » en guise d’unique observation.
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[30]
Il est d’ailleurs intéressant de signaler que le peu de crédit accordé à l’image dans la hiérarchie des éléments de preuve servant à la démonstration scientifique est une spécificité des sciences sociales, comme le souligne à juste titre Alexandre Lambelet (2010) : « Si dans d’autres disciplines — les sciences dites dures par exemple — l’image semble fonctionner comme argument ou comme preuve et est aujourd’hui largement institutionnalisée (Piette 1992 ; Relieu 1999), en sciences sociales, son statut continue d’être interrogé et sa rare restitution doit alors sans doute beaucoup plus à des enjeux scientifiques qu’à des contraintes éditoriales ou matérielles (coûts, droits d’auteur, faisabilité technique de la diffusion) ».
De la visual sociology aux sociologies visuelles
Sociologie visuelle : une expression problématique ?
1 L’expression « sociologie visuelle » est moins familière au sociologue francophone que l’expression « visual sociology » peut l’être au sociologue anglo-saxon. Certains diront qu’elle est une forme d’anglicisme, une traduction imparfaite d’un label ayant un sens pour les sociologues nord-américains et britanniques, et qu’elle est donc peu pertinente pour la communauté francophone. Pour quelles raisons cette expression est-elle donc souvent ignorée ou contournée en France [1] par exemple alors que des pratiques de recherche commencent à s’y référer ?
2 L’expression peut d’abord paraître pléonastique : toute sociologie n’est-elle pas visuelle dès lors qu’elle mobilise une forme ou une autre d’observation et qu’elle engage ce sens particulier qu’est la vue, que ce soit au moment de l’enquête de terrain, de l’analyse ou encore de la restitution? Ce serait pourtant nier la spécificité de certaines données, principalement photographiques et filmiques [2], issues de dispositifs techniques équipant l’œil humain et le dotant de facultés singulières. Nous pouvons regrouper ces données sous l’expression imparfaite mais utile de « données visuelles », bien que ce regroupement soit lui-même sujet à caution en raison des différences identifiables entre les images fixes et animées : le mouvement, le temps, le son, mais aussi le lien entre preneur et sujet d’images étant des éléments hétérogènes souvent repérés entre les deux types de médias.
3 L’expression peut également paraître incongrue : elle est peu connue et peu utilisée, en particulier dans l’espace sociologique français. Le plus souvent, les données visuelles récoltées (affiches, dépliants, flyers, journaux, films, photographies, etc.) n’apparaissent pas dans le produit final des recherches sociologiques, ou alors sous la forme d’annexes, souvent réduites pour des raisons éditoriales (coût, place, qualité d’impression) [3], mais aussi parfois par choix de les limiter à de simples données de terrain non destinées à être restituées. Outre le fait que les sociologues peinent souvent à détailler leurs conditions d’enquête (Bizeul, 1998), cette manière de passer sous silence l’utilisation ou la production de données visuelles pendant l’enquête de terrain – ce qui reste relativement fréquent lorsque l’on fait de l’observation – est souvent justifiée par le sentiment que leur récolte ne s’est pas faite selon une méthodologie suffisamment rigoureuse. L’absence de guide méthodologique [4] oblige à une forme de « bri- colage » et invite à une certaine prudence lorsqu’il s’agit de restituer ce genre de données. Dans ce cas, l’usage d’un label dédié paraît peu pertinent : pense-t-on par exemple à qualifier une sociologie de « sonore » ou d’« auditive » à partir du moment où l’oreille du chercheur écoute la parole des enquêtés ou les bruits des machines, que ces sons soient d’ailleurs restitués ou non dans le dispositif de communication scientifique (en général ils ne le sont pas, sauf dans le cas bien particulier des films sociologiques ou d’annexes sonores ou audiovisuelles) ? [5] Si cette expression est encore peu mobilisée, en raison de la place anecdotique des données visuelles dans une grande majorité des recherches en sociologie, ces données et le label « sociologie visuelle » sont de plus en plus utilisés depuis la fin des années 1990 et le début des années 2000 (Garrigues, 2000 ; Terrenoire, 1985 et 2006 ; La Rocca, 2007 ; Chauvin, Reix, 2013 ; Maresca, Meyer, 2013). La multiplication de sites et de plateformes numé- riques favorise ce développement en réduisant les coûts éditoriaux de publication des données visuelles, et en offrant de nouvelles opportunités d’articulation de textes et d’images autorisant des modes de restitution spécifiquement basés sur la présentation et la discussion de ce type bien spécifique de données [6].
4 Enfin, l’expression est problématique : elle porte un risque de confusion entre le sens (la vue), l’objet perçu (le visible ou le vu), et les dispositifs de visualisation permettant à la vue de s’exercer sur l’objet perçu. Ces trois facettes ont d’ailleurs été clairement identifiées par Jon Wagner (2006) et repris par May Du et Michaël Meyer (2008) à travers les termes « visuel », « visible » et « visualisé » dans leurs travaux sur les paysages urbains et les itinéraires empruntés par les passants ou les chercheurs en sciences sociales. La confusion possible entre ces différentes dimensions « visuelles » n’a pourtant pas empêché les sociologues américains (et plusieurs de leurs col- lègues issus d’autres disciplines) de s’entendre dès les années 1970 sur l’usage de l’expression « visual sociology », notamment grâce au travail de légitimation opéré par Howard Becker à cette époque (Becker, 1974 et 1981). Comme l’écrit J. Wagner à propos de la coordination d’un ouvrage important datant de 1979 (Images of Information) qui propose une dizaine de contributions sur l’usage de la photographie en sciences sociales :
Drawing on these antecedents and exemplars, « visual sociology » made sense to us. We might not always agree about what this meant, but we envisioned sociology as a discipline that had room for working with photographs and other images. (Wagner, 2002, p. 161).
Les usages différenciés des images en sociologie
6 Malgré les réserves présentées ci-dessus, nous défendons ici l’usage de l’expression « sociologies visuelles », au pluriel, permettant de désigner toute forme de sociologie mobilisant des « images » [7], principalement photographiques et filmiques, et leur accordant un statut central dans la logique de l’investigation et/ou de l’argumentation sociologiques.
7 Ce label recouvre ainsi une diversité d’approches et de méthodes, qu’il est difficile de recenser exhaustivement, et ce n’est pas ici la première tentative pour dresser un état des lieux de ce champ de recherche et une introduction à ces approches méconnues. Parmi les textes en langue française, un article de Fabio La Rocca (2007) entend précisément proposer une « Introduction à la sociologie visuelle ». Malgré une attention discutable à la dimension « postmoderne » de la place du visuel et de l’image dans les sociétés contemporaines, l’article a le mérite de définir clairement la distinction entre une « sociologie avec les images » et une « sociologie sur les images » qu’il emprunte à Douglas Harper (2002). Cette distinction, souvent reprise, fonctionne comme un repère commode dans ce champ de recherche, à défaut d’être une distinction analytique épistémologiquement infaillible (voir notamment le texte de Fabien Truong dans ce volume). Plus récemment, Meyer et Maresca (2013) ont ajouté une troisième distinction en introduisant l’idée d’une « sociologie en images » lorsque ces dernières servent précisément de moyen de restitution à l’analyse sociologique.
8 L’usage des images – qu’elles soient objets, outils ou supports – peut effectivement prendre des formes très différentes d’un point de vue méthodologique. Les données visuelles peuvent être pro- duites par l’enquêteur comme par l’enquêté selon le principe de la photo-elicitation (Harper, 2002). De la même manière, des images pré-existantes à l’enquête peuvent être utilisées pour produire de nouvelles données comme dans la photo-interview (Collier, Collier, 1986 [1967] ; Schwartz, 1989), servir de feed-back au cours du processus de recherche (Rouch, Morin, 1960) ou encore être utilisées comme un simple mode de présentation des résultats de l’enquête (Weber, 2008).
9 Cette liste pourrait être complétée par d’autres types de productions (audio)visuelles plus ou moins distribuées entre différents acteurs (entretiens filmés, collaborations entre sociologues et professionnels de l’image, coproductions d’images photographiques ou de vidéos par les enquêteurs et les enquêtés, etc.), mais notre préoccupation est plutôt de cerner les principaux apports généraux de ces différents usages, alors que la discipline sociologique les a pendant longtemps négligés.
Des chiffres, des lettres … et des images
10 La sociologie s’est construite comme une discipline de « mots » ou de « lettres » [8], sous la forme d’argumentations écrites formulées dans une « langue naturelle » (Passeron, 1991) et plus ou moins associée à des données chiffrées et à la formalisation permise par la langue mathématique. Aujourd’hui, elle est de plus en plus encline à mobiliser également des « images », soit comme objet d’étude, soit comme outil de recherche, soit comme médium de communication et d’échange scientifiques autour de résultats. Des chiffres et des lettres, mais aussi des images (fixes ou animées), voilà les matériaux avec lesquels les sociologues rendent comptent aujourd’hui du monde social.
11 Il convient cependant de rappeler que les sociologues n’ont pas attendu le xxi esiècle pour intégrer les images, notamment photographiques, à leurs recherches. Certaines revues fondatrices de la discipline ont ainsi publié des photographies dès la fin du xix esiècle, notamment l’American Journal of Sociology (AJS), fondée en 1895 (Maresca, Meyer, 2013). Clarice Stasz (1979) a ainsi recensé 31 articles publiés entre 1896 et 1916 dans l’AJS comportant des photographies comme éléments de preuve ou d’illustration empiriques, notamment pour témoigner des conditions de vie de populations paupérisées. Cependant, cela n’aboutira pas à une réflexion approfondie sur l’usage des photographies comme données sociologiques, principalement pour des arguments épistémologiques et institutionnels liés à la constitution de la discipline sociologique comme science autonome. Les efforts de légitimation scientifique des sociologues académiques contre les « réformateurs sociaux » ont en effet conduit à rejeter la photographie comme donnée journalistique peu solide, soumise à des jeux d’interprétations non contrôlées, et surtout platement descriptive. Albion Small, à la tête de l’AJS à partir de 1914 et considéré comme le « commis voyageur de la sociologie » nord-américaine (Cuin, Gresle, 2002), soutint en effet l’argument selon lequel la photographie ne pouvait pas permettre de dépasser la description :
Only here and there a person has discovered the difference between this sort of explanation [causal analysis] and mere photographing of wide fields of unexplained events by means of essentially descriptive formulation (cité par Stasz 1979, p. 134).
13 Le rejet de la photographie comme méthode légitime pourrait également être expliqué par « l’androcentrisme » de la sociologie américaine naissante : c’est notamment l’hypothèse originale proposée par Stasz, qui explicite ainsi le lien entre une sociologie masculine attachée à l’écriture comme seul mode de communication légitime et le rejet de la photographie comme une méthode jugée « frivole » :
Perhaps an association between females and photography contaminated the editors’ view of the technique, causing it to be devalued or seen as frivolous’. (Stasz, 1979, p. 133) [9].
15 Nous retrouvons ici le même type de scepticisme épistémologique que celui manifesté par Émile Durkheim et ses collaborateurs à l’égard de méthodes purement descriptives, cherchant ainsi à dépasser l’idiographie par des explications causales rigoureuses. Malgré un intérêt documentaire que certains durkheimiens reconnaissent et mobilisent à l’occasion, notamment Maurice Halbwachs (Topalov, 1997) [10], la photographie souffrirait d’un biais à la fois descriptiviste et subjectiviste dont la sociologie entend précisément s’affranchir par des approches « morphologiques » du social, donnant à voir des mécanismes causaux par l’examen des institutions (le droit en particulier) ou l’usage de méthodes statistiques. Notons cependant que les données visuelles se prêtent bien à des méthodes statistiques et à des analyses quantitatives, et que le rangement de la sociologie visuelle du côté de l’ethnographie « qualitative » est maladroit, sinon faux.
16 Malgré ces différents obstacles institutionnels, sociaux et épistémologiques, pourquoi le label « sociologie visuelle » s’est-il affirmé, d’abord dans le monde anglo-saxon, puis en Europe continentale, et que recouvre-t-il ? Pour le comprendre, nous allons d’abord revenir sur les caractéristiques du label américain visual sociology assimilé à sa naissance à des approches ethnographiques, « qualitatives » et le plus souvent « photographiques ». Nous soulignerons a contrario la variété des usages de l’image, non nécessairement intégrés à cette tradition, qui caractérise les sociologies visuelles contemporaines, notamment dans le monde francophone où les publications dans ce domaine sont pourtant plus rares. Nous conclurons en proposant des principes d’organisation permettant à un champ de recherches particulièrement fragmenté de trouver des lignes d’unification.
Un tournant « visuel » des sciences sociales dans le monde anglo-saxon ?
17 C’est au cours des années 1970-1980 que l’idée d’un tournant « visuel » (Pauwels, 2000) des sciences sociales apparaît sous la plume de certains chercheurs, parallèlement à l’identification d’autres tournants risquant de donner le « tournis » aux historiens de ces disciplines. Tournant « culturel », tournant « cognitif », tournant « pragmatique », etc., de nombreux qualificatifs fleurissent pour désigner une attention grandissante aux processus de production, de circulation et de réception des significations sociales.
Des « Visual Studies » à la « Visual Sociology »
18 L’expression « tournant culturel », probablement la plus répandue car bénéficiant du développement du champ des « Cultural studies », a ainsi donné lieu à une variante « visuelle », en référence aux travaux sur la place de l’œil et de la vision dans la civilisation occidentale (Baxandall, 1972 ; Jenks, 1995), condensée dans l’expression « culture visuelle », aujourd’hui largement alimentée en matière éditoriale. L’une des raisons vient de la multiplication, de la diversification et du développement du poids des images dans les sociétés contemporaines, tandis que du côté académique, les départements des universités anglo-saxonnes ont participé à structurer le champ de recherches sur l’image à travers des revues (notamment Visual Studies), des livres – notamment des Handbooks et des manuels –, mais aussi des cours, des colloques, des workshops, des sites et des blogs, etc. L’éditorial de Visual Studies écrit pour le vingtième anniversaire de la revue en 2005 est, à ce titre, révélateur de la constitution du champ et de la place que la sociologie y occupe : la revue y rappelle le rôle de son fondateur (le sociologue américain Douglas Harper), le nom des premières versions de la revue (Visual Sociology Review en 1986, et Visual Sociology en 1991), et l’ambition désormais interdisciplinaire, internationale et généraliste de la ligne éditoriale [11] :
Visual Studies should critically reflect and contribute to the dialogue that currently surrounds « the visual » across the social sciences and humanities, rather than narrowing itself to a single perspective […]. Researchers in visual studies have to concern themselves with the practical, ethical and aesthetic dimensions of images, as well as the social and cultural worlds to which they give privileged access.
20 L’affirmation de l’existence d’une « sociologie visuelle » s’est d’abord faite dans le monde académique américain des années 1970. Un sociologue a été particulièrement actif pour faire reconnaître cette discipline : Howard Becker peut en effet être considéré comme un entrepreneur de label pour la « sociologie visuelle » naissante. Dans son article fondateur de 1974, il montre cependant que, pour s’affirmer comme un champ sociologique autonome, la sociologie visuelle s’est appuyée sur d’autres territoires disciplinaires, académiques (l’anthropologie notamment), mais aussi non académiques (photographie et cinéma documentaires). Revenons d’abord sur cette double filiation issue du xix esiècle et de la première partie du xx esiècle, puis présentons les démarches entreprises dans les années 1960-1970 pour commencer à institutionnaliser ce qui se dessine alors comme une « sociologie visuelle » proprement américaine.
Une visual sociology d’inspiration ethnographique
21 La précocité de l’anthropologie à mobiliser des ressources visuelles est notée par la plupart des commentateurs sociologues regrettant que leur propre discipline ait mis tant de temps à s’emparer de ce type de données. Les anthropologues se sont appuyés dès le milieu du xix esiècle sur la photographie et le film comme outils d’enquête de terrain visant à étayer leurs démonstrations et emporter la conviction du lecteur/spectateur. Qu’ils aient été inspirés par la diffusion de Nanook of the North (1922) de Robert Flaherty, considéré par beaucoup comme le premier film ethnographique ou par la publication d’un ouvrage aussi atypique que Balinese Character. A Photographic Analysis (1942) de Gregory Bateson et Margaret Mead, les anthropologues vont développer de nombreuses approches relatives à la photographie ou au film donnant lieu à la constitution d’un champ légitime et reconnu de la discipline : l’anthropologie visuelle. La photographie et le film sont ainsi les deux principales composantes de « l’anthropologie visuelle », qui peut être définie plus généralement comme « l’étude des formes culturelles visibles », qu’elles soient produites par le chercheur ou issues de données de seconde main.
Une visual sociology plus photographique que filmique
22 Si comme beaucoup, il considère que les origines de la sociologie visuelle sont à chercher dans l’anthropologie, Douglas Harper estime qu’il existe un usage contrasté des données photographiques et filmiques entre les deux disciplines, y voyant d’ailleurs une des principales différences entre l’anthropologie visuelle et la sociologie visuelle :
Visual anthropology has largely evolved to film and video recording, at the exclusion of still photography, while visual sociology has developed more generally in the area of still photography. (Harper, 2000, p. 143).
24 Dans le cas de l’anthropologie, on pourrait effectivement penser que c’est la production de données proprement filmiques qui a participé à institutionnaliser le champ de l’anthropologie visuelle en donnant lieu à un produit aujourd’hui reconnu et célébré lors d’évènements dédiés : le film ethnographique, incarné en France par la figure de Jean Rouch. Si l’usage du film est répandu chez les anthropologues visuels, c’est donc plus spécifiquement vers la photographie que vont se tourner – peut-être aussi par défaut – les sociologues visuels à partir des années 1960 (Harper, 1988). C’est aussi implicitement le point de vue d’Howard Becker (1974) lorsqu’il ancre les origines de la sociologie visuelle naissante dans la photographie documentaire américaine incarnée par les figures de Jacob Riis, Lewis Hine, Walker Evans ou encore Robert Franck (bien que ce dernier soit suisse). De la même manière, en Europe, on pourrait voir dans la figure d’Eugène Atget (pour ses travaux datant du début du xx esiècle sur les petits métiers et sur les zoniers en périphérie de Paris) les prémices d’une forme de sociologie visuelle dans leur tentative de « catégoriser » le monde social à travers des portraits [12].
25 Si l’on en croit Becker et Harper, souvent cités comme les deux grandes figures de la sociologie visuelle, photographie et sociologie sont d’abord liées par une proximité historique évidente (Maresca, 1998). À cette concomitance fortuite s’ajoute une concomitance géographique … car tout cela se passe en France ! Comme le remarque Harper (2000), la photographie, la sociologie et même le film ethnographique sont nés en France. Cependant, c’est aux États-Unis que l’on trouve les premiers photographes documentaires dont le travail est devenu (tardivement) une source d’inspiration pour les sociologues.
26 Parmi les problèmes et les limites liés à l’ancrage anglo-saxon de la sociologie visuelle autour des figures d’Howard Becker et de Douglas Harper, figurent l’assimilation de la sociologie visuelle à l’ethnographie visuelle et son rangement du côté des « méthodes qualitatives ». La collecte des données visuelles relève souvent de techniques d’observation, et donc des « méthodes qualitatives » en général et de l’observation ethnographique en particulier, mais elle se prête pourtant particulièrement bien aux formes de comptage et d’observation quantitative hors-terrain, éventuellement outillées par des logiciels [13], et ouvertes à des traitements statistiques divers et variés [14]. Les données visuelles peuvent donc être traitées aussi bien de manière qualitative que quantitative. C’est d’ailleurs l’un des intérêts de la sociologie visuelle que de faire éclater des oppositions traditionnelles (image/écrit, qualitatif/quantitatif, etc.) en partie vides de sens. Les travaux de sociologie visuelle quantitative sont de deux types : le traitement quantitatif de données visuelles secondaires récoltées par le chercheur (Chenu, 2008 sur les couvertures de Paris-Match ; Coulmont, 2013 sur les affiches de « prophètes » charismatiques à Paris), et l’observation quantitative équipée visuellement qui permet au chercheur de produire ses données et de procéder à des comptages plus ou moins sophistiqués (Filion, 2011).
L’affirmation de la variété des sociologies visuelles : quels principes d’organisation dans les espaces francophones?
27 Si le développement des approches « visuelles » est clairement identifiable depuis les années 1970-1980 dans les mondes anglo-saxons, la situation est plus complexe en France. Parler de « retard » français est justifié au regard de la structuration institutionnelle des champs, cependant les approches visuelles n’y sont pourtant pas absentes. Pour caractériser la situation, nous pouvons d’abord souligner la double orientation « filmique » et « pédagogique » des approches visuelles mobilisées en sociologie francophone en prenant les exemples de la Belgique et de la Suisse, puis nous proposerons trois questions de recherche propices à un traitement visuel, et ayant donné lieu à des travaux plus souvent programmatiques que systématiques, sur lesquels il s’agit de capitaliser aujourd’hui, indépendamment des contextes nationaux.
Une sociologie visuelle plus filmique que photographique
28 Si l’anthropologie visuelle francophone a mobilisé assez tôt à la fois les outils photographiques et filmiques, la sociologie visuelle – sans être définie comme telle – a d’abord été en France une sociologie filmique. Hormis les rares sociologues à avoir pris des photographies ou à avoir mobilisé des données photographiques, mais de façon souvent annexe (comme Maurice Halbwachs) ou considéré du point de vue des logiques sociales de la pratique photographique (comme plus tard Pierre Bourdieu, 1965), c’est dans le champ de la sociologie du travail que s’est développé dès les années 1960-1970 un réel intérêt pour « l’instrumentation audiovisuelle » grâce à des figures comme Pierre Naville ou Edgar Morin et Jean Rouch (Giglio-Jacquemot, Géhin, 2012). Dans le prolongement de ces approches, on peut mentionner les travaux du groupe Nigwal (composé de Nicolas Hatzfeld, Gwenaële Rot et Alain Michel) sur les représentations du travail au cinéma en s’interrogeant à la fois sur leurs conditions de production et d’usage et sur l’intérêt d’un tel objet pour le chercheur en sciences sociales qu’il soit sociologue ou historien (Hatzfeld et al., 2006) [15]. Cependant, cette particularité méthodologique ne s’est guère développée au-delà de ce champ avant une période très récente. Si cette volonté de « filmer le travail » continue d’être une préoccupation méthodologique majeure des sociologues du travail aujourd’hui, il est intéressant d’observer que ces derniers préfèrent plutôt utiliser le label « sociologie filmique » que « sociologie visuelle ». Dans un article revenant sur les relations entre la sociologie filmique et le thème du travail, Joyce Sebag (2012) soutient qu’outre la distinction entre sociologies visuelles avec et sur les images, le fait que la sociologie visuelle soit « essentiellement tournée vers la pratique photographique » oblige à accorder un statut particulier à la pratique filmique. Cette volonté de donner un statut singulier au film en distinguant le filmique du visuel peut cependant apparaître surprenante et est vraisemblablement spécifique au contexte français.
29 Les deux labels peuvent aussi être associés à l’occasion (« sociologie visuelle et filmique ») comme dans le nom donné au groupe thématique dédié à ces pratiques (GT47), créé officiellement en 2012, au sein de l’Association Française de Sociologie, dans une tentative évidente de rapprocher les différents usages de l’image tout en continuant à accorder un statut particulier au film. Cette particularité peut s’expliquer par la plus grande structuration du champ de la sociologie filmique et son association au thème du travail (publication d’articles, création d’une association et d’un festival « Filmer le travail », d’une offre pédagogique « Master ‘Image et Société’ », etc.), évitant ainsi d’être absorbé dans celui plus large de la sociologie visuelle (voir l’article de Durand et Sebag au sein du présent volume).
30 Au-delà du domaine de recherche spécifique du travail, il convient de rappeler que sans en faire un élément central de sa ligne éditoriale, une revue comme Actes de la recherche en sciences sociales s’est illustrée de longue date par son intégration de l’image aux articles publiés [16].
Une sociologie visuelle francophone plus pédagogique que scientifique
31 La sociologie visuelle francophone, moins développée que la « visual sociology » anglo-saxonne, comporte donc certaines particularités qui doivent permettre de relativiser une éventuel « retard français » en la matière. En effet, ce retard repose en partie sur l’invisibilité éditoriale de nombreuses démarches de sociologie visuelle française, relevant plus souvent d’un domaine pédagogique que scientifique. Ainsi, nous pouvons formuler l’hypothèse selon laquelle le développement de la sociologie visuelle en France passe plus pour l’instant par une offre pédagogique récente que par des publications scientifiques, cette orientation la privant d’une exposition et d’une légitimation académiques.
32 Parmi les établissements où sont délivrés depuis une dizaine d’années environ ce type d’enseignements, nous pouvons citer l’Université d’Evry Val d’Essonne, l’Université de Nantes, l’Université de Bordeaux, l’Université Paris-Sorbonne et l’EHESS. Des expériences comme les concours photographiques de sociologie visuelle (ENS Cachan, ENS LSH, Université de Bordeaux) ont également participé à animer ce nouveau domaine d’un point de vue pédagogique. Ces enseignements et expérimentations ne sont pas seulement propres au territoire français, comme le montre le développement de sociologies visuelles « pédagogiques » dans des pays francophones limitrophes.
33 En Belgique, Daniel Vander Gucht mentionne par exemple les expérimentations méthodologiques réalisées avec ses étudiants dans un cours de sociologie visuelle progressivement institutionnalisé comme tel :
Je dois à ce propos dire ma fierté d’avoir obtenu des travaux tout à fait remarquables des étudiants inscrits au séminaire de sociologie visuelle, que j’ai donné pendant plusieurs années à l’Université Libre de Bruxelles dans le cadre du cours d’Étude approfondie de questions de sociologie que me confia le professeur Claude Javeau […], avant que ce séminaire ne soit transformé en véritable chaire de sociologie visuelle. (Vander Gucht, 2012, p. 17).
35 Ainsi considère-t-il la sociologie visuelle avant tout comme un « merveilleux instrument pédagogique » (Vander Gucht, 2012, p. 17).
36 En Suisse, les Universités de Genève et de Lausanne sont particulièrement avancées dans l’intégration de la sociologie visuelle aux enseignements. La première a intégré une unité de sociologie visuelle dans son département de sociologie depuis 2004 dans le but « d’enseigner, pratiquer et promouvoir le recours aux images en tant que méthode de recherche en sociologie et, de manière plus large, en sciences sociales » [17]. La seconde bénéficie de la présence d’un chercheur comme Michaël Meyer, très investi dans la reconnaissance de la sociologie visuelle ces dernières années que ce soit par ses initiatives pédagogiques [18] ou par ses nombreuses publications sur le sujet.
Encadré 1: La sociologie visuelle en Italie
37La sociologie visuelle francophone, initialement orientée autour de la pratique du film, se diversifie actuellement, non seulement du point de vue des pratiques pédagogiques, mais aussi du point de vue des types de questionnements auxquels les images, tant filmiques que photographiques, permettraient de répondre. Ce constat nous invite donc à préférer l’usage de l’expression « sociologies visuelles » au pluriel pour décrire un espace francophone caractérisé par la variété des usages des images tant comme outil que comme objet de recherche. Nous pouvons ainsi identifier trois grands types de questions particulièrement propices à un traitement visuel, au-delà des « objets » privilégiés des approches visuelles comme les corps, les matières, les configurations de l’espace, les rituels, etc., objets déjà bien identifiés depuis les premiers travaux anthropologiques sur ces questions. La rareté des publications exposant des résultats conséquents issus d’enquêtes sociologiques accordant une place centrale à des données visuelles explique l’aspect programmatique des pistes de recherches visuelles qui vont suivre.
Articulation cas/types, séquençage temporel et recherches participatives : trois grands apports et pistes de recherches visuelles
L’articulation cas/types
38En premier lieu, les outils visuels permettent de travailler autour de la question du passage du cas au type (et réciproquement), notamment à travers la constitution de séries photographiques. Au-delà des « clichés » généralisateurs, ce type de travaux permet des mises en comparaison et la mise en évidence de contrastes. Dans le champ académique, les réflexions de Sylvain Maresca sur le portrait photographique (1996 ; 1998) sont probablement les plus avancées en la matière, tandis que de nombreuses démarches plus pratiques que théoriques caractérisent le champ de la photographie contemporaine, dans la filiation des premiers grands photographes documentaires. Nous pensons par exemple aux oeuvres de Jacob Riis, Lewis Hine ou encore Walker Evans et leur travail de dénonciation des inégalités sociales, que ce soit respectivement à travers la mise au jour des conditions de logements à New York, de l’accueil réservé aux immigrés au port d’Ellis Island ou encore le témoignage d’une Amérique rurale minée par la grande dépression dans l’Alabama. Dans un autre registre, on peut aussi faire référence aux travaux pionniers d’Eugène Atget puis d’Irving Penn sur l’incarnation des métiers par des portraits photographiques de travailleurs en tenue ou encore celui atypique et nécessairement imparfait d’August Sander dans sa tentative de catégoriser le monde social de l’Allemagne de la république de Weimar par le portrait. Un parallèle évident peut être fait avec des travaux photographiques plus récents comme le projet « Exactitudes » du photographe Ari Versluis et de la styliste Ellie Uyttenbroek ou encore l’œuvre « Tenues de travail » du photographe Bruno Fert pour ne citer qu’eux [20]. La mise en série photographique permet une restitution particulièrement efficace de la constitution de « types sociaux », dont les descriptions littéraires ne peuvent par- venir à rendre compte de façon aussi précise et « incarnée ». Toujours est-il que la plupart de ces travaux restent le fait de photographes que l’on pourrait qualifier de « sociologues malgré eux ». Sur ce point, il est intéressant de noter le refus catégorique du documentariste américain Frederick Wiseman d’être assimilé à un sociologue malgré le crédit dont il bénéficie auprès des représentants de cette discipline, revendiquant le droit à être reconnu avant tout comme un artiste [21].
Le séquençage temporel
39Le deuxième grand apport des approches visuelles, moins descriptif et plus analytique, est le fait de pouvoir restituer à partir d’images, fixes ou animées, des temporalités hétérogènes et complexes, en les condensant dans des séquençages visuels. Par exemple, le projet photographique « Et l’homme créa la ville » réalisé par Cyrille Weiner et Delphine Dion et primé lors du concours de sociologie visuelle organisé par l’ENS Cachan en 2004 [22], restitue un séquençage temporel de trois phases d’urbanisation spontanée sur une plage du sud de la France, grâce à trois photographies aux langages visuels distincts (choix de prise de vue, de cadrage, de vitesse d’obturation, etc.) accompagnées de titres et de textes permettant de saisir les enjeux de chacune de ces trois étapes.
40 Dans le prolongement de ce travail sur l’urbanité, on peut évoquer l’enquête photographique d’Anne Jarrigeon sur le quartier de Gerland à Lyon qui, après avoir fait l’objet de plusieurs expositions, a finalement abouti à la publication d’un ouvrage en 2012. Gerland. État des lieux propose la restitution de six mois d’enquête de terrain dans ce quartier populaire de Lyon en voie de gentrification à travers la présentation de 72 photographies donnant à voir les changements que ce quartier est en train de vivre. Les photographies servent non seulement à voir la vie des habitants, artisans et autres commerçants du quartier mais aussi à saisir la matérialité de ces changements à travers un intérêt particulier accordé aux espaces et à la végétation [23]. Malgré sa singularité, cette étude photographique offre une image assez juste de ce que vivent de nombreux quartiers périphériques des grandes agglomérations françaises à la faveur de l’étalement urbain. [24]
Les recherches participatives
41 Enfin, la troisième question à laquelle les approches visuelles permettent de répondre de façon originale et diversifiée est celle des relations entre enquêteur et enquêté, en autorisant des modes de recherches participatives et collaboratives, en particulier sur des terrains présumés « difficiles » ou auprès de populations dites « fragiles ». Nous pourrions ainsi commencer par citer le désormais célèbre travail réalisé par Douglas Harper (1982) sur les vagabonds (traduction imparfaite du terme tramp) dans lequel l’usage de la photographie se confronte à de nombreuses autres méthodes allant de l’approche ethnographique simple à l’observation participante [25]. Plus proche de nous, le travail issu de la collaboration entre le photographe Marc Legros et le sociologue Yves Prunier sur les habitants de la cité angevine de Verneau au début des années 2000 donne un bon exemple des possibilités qu’offre la sociologie visuelle en matière de renouvellement des protocoles d’enquête sur le terrain. Ce projet qu’ils qualifient d’« intervention photographique » a consisté à demander à un panel d’habitants de la cité de prendre en photo leur quotidien et de commenter leur choix afin de restituer leur propre représentation de leur quartier. Cet exemple présentant une démarche hybride de « photo-elicitation » montre à lui seul la variété des modes d’implication des enquêtés dans la production, l’usage ou l’analyse des données visuelles. Ce type de confrontation entre enquêteur et enquêté donne d’ailleurs parfois lieu à des définitions concurrentes et des débats riches de sens sur ce qu’est une « bonne » photographie (Conord, 2002). Comme dans les autres travaux consacrés à des populations stigmatisées ou fragiles, le mérite de ce type d’approche photographique est de permettre une production visuelle d’une dignité ou d’une fierté singulières, que les images soient produites par les enquêtés, par les enquêteurs, ou à travers une forme de production conjointe [26].
42 Parmi les démarches de photographie participative, certaines sont particulièrement attentives à l’articulation entre les données textuelles et les données photographiques produites. C’était notamment l’intention de l’enquête de sociologie visuelle sur les représentations que les Girondins ont de leur cadre de vie, que nous avons nous-mêmes mis en place, aidé d’Ousseynou Ngom [27]. Intitulée « Votre paysage dans l’objectif » cette recherche avait la particularité de s’appuyer sur une méthode innovante de « sociologie visuelle » consistant à croiser des données visuelles (photographies) et des données textuelles (questionnaires) produites par les enquêtés. Il a donc d’abord été demandé aux participants de prendre une photo du paysage le plus représentatif de leur cadre de vie, puis de se rendre sur un site web dédié pour la situer sur une carte du département et enfin, de répondre en ligne à une série de questions afin de justifier leur choix et de s’exprimer sur les enjeux propres à ce paysage mais aussi à ceux de la Gironde d’une manière plus générale. Un échantillon de 317 habitants de la Gironde (croisant les profils en termes de sexe, d’âge, de catégorie socio-professionnelle et de lieu de résidence) a contribué à cette enquête de sociologie visuelle. En faisant ressortir trois grandes manières d’appréhender la question du paysage (le paysage comme sujet à débat, le paysage comme reflet d’une identité et le paysage comme lieu d’usages), cette recherche a permis de mettre en lumière la variété des représentations de la notion de « cadre de vie » et d’aboutir in fine à une définition renouvelée de ce concept pourtant largement polysémique.
Conclusion
43La sociologie visuelle est aujourd’hui loin d’être institutionnalisée de façon profonde et stable. Même aux États-Unis, là où elle semble atteindre son plus haut degré d’institutionnalisation, la situation est jugée « précaire » par l’un de ses principaux instigateurs et représentants (Harper 2000) en raison du « conservatisme méthodologique » américain et de la subsomption de ce champ par les « cultural studies », principalement britanniques. En France, la situation n’est guère plus favorable. Bien que suscitant un accueil enthousiaste chez les étudiants et un intérêt certain chez nombre de confrères, la sociologie visuelle rencontre des freins et des résistances lorsqu’il s’agit de reconnaître aux modes d’argumentation croisant images et textes une légitimité scientifique [28]. C’est d’ailleurs peut-être plus les usages non contrôlés des images dans les restitutions sociologiques qui ont participé à délégitimer ce type de données aux yeux des sociologues. Dans l’Esprit sociologique, Bernard Lahire (2005) consacre un long passage au « statut ambigu des photographies » dans l’interprétation sociologique en prenant comme exemple de « surabondance d’exemples trop parfaits », l’usage des photographies faites par Bourdieu dans La Distinction (1979). Selon Lahire, les suspicions de « surinterprétation » viennent principalement du fait que ces photographies ne sont la plupart du temps ni commentées, ni contextualisées. Ce genre d’écueil est fréquent lorsqu’il s’agit de restituer des travaux mobilisant des données visuelles, qu’il s’agisse de travaux de chercheurs reconnus ou ceux d’étudiants novices en la matière [29]. C’est précisément cet écueil, qui consiste à considérer que le sens d’une image va de soi, qu’il faut à tout prix éviter en revenant aux enseignements que Becker prodiguait dès 1986 dans son chapitre « Do Photographs Tell The Truth? », rappelant qu’il s’agissait d’abord d’une mauvaise question. Ce texte (traduit en français en 2007) a pour principal mérite de réussir à sortir d’un débat épistémologique stérile [30] en abaissant simplement l’ambition sociologique d’une photographie du statut de vérité visuelle à celui de point de vue, posant des questions légitimes de validité, d’échantillonnage, et de confiance dans le dispositif et son produit. En résumé, plus nous en savons sur une photographie, plus nous pouvons juger de sa validité. C’est selon nous le modèle qu’il convient de suivre en rappelant simplement et aussi souvent que possible la nécessité d’opérer un travail d’articulation entre texte et image afin de préciser le sens des données visuelles utilisées par le chercheur et de restituer leur contexte de production, condition fondamentale d’un usage « scientifique » des images (Prosser, 1998 ; Stanczak, 2007). C’est également ce qu’invitent à accomplir les chercheurs en sciences sociales ayant fait l’expérience de la collaboration avec un photographe (Attané, Langewiesche, Pourcel, 2008 ; Desaleux, Langumier, Martinais, 2011) en donnant naissance à une véritable « rhétorique photographique » qui réfléchisse aux modes d’articulation entre textes et images plutôt que de les opposer. Il convient cependant de préciser que la notion de texte doit être prise dans son acception la plus large, c’est-à-dire allant de l’écrit à l’oral, en passant par des types d’écritures spécifiques comme « l’écriture filmique » qui prend forme le plus souvent dans le montage. En effet, c’est en légitimant l’usage des images comme des données susceptibles d’être utilisées, analysées et restituées scientifiquement au même titre que les mots et les chiffres, que nous réussirons à fédérer les différents types de sociologie(s) visuelle(s) et à permettre ainsi à une communauté de chercheurs travaillant sur l’image d’obtenir la reconnaissance à laquelle ils ont droit.
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- Wagner J. (ed.), 1979, Images of Information: Still Photography in the Social Sciences, Beverly Hills/London, Sage Publications.
- Wagner J., 2002, « Contrasting Images, Complementary Trajectories: Sociology, Visual Sociology and Visual Research », Visual Studies, 17, 2, pp. 160-171.
- Wagner J., 2006, « Visible Materials, Visualised Theory and Images of Social Research », Visual Studies, 21, 1, pp. 55-69.
- Weber S., 2008, « Visual Images in Research », in Knowles J. G., Cole A. L (eds.), Handbook of the Arts in Qualitative Research: Perspectives, Methodologies, Examples, and Issues,Los Angeles/London/New Delhi, Sage Publications, pp. 44-54.
- Wiseman F., Mikles L., 2001, « Filmer la mise en scène du quotidien », L’Homme et la société, 4, 142, pp. 153-169.
FILMOGRAPHIE
- Flaherty R. (réalisation et scénario), 1922, Nanook of the North, Film documentaire, 79 minutes, américain.
- Rouch J. et Morin E. (réalisation et scénario), 1960, Chronique d’un été, 147 minutes, Film documentaire, français.
Notes
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[1]
Sans prétendre à une étude exhaustive du développement de la sociologie visuelle dans les pays de langue française, nous reviendrons aussi plus loin sur la situation en Belgique et en Suisse, deux pays où l’on retrouve des chercheurs comme Daniel Vander Gucht et Michaël Meyer, particulièrement actifs dans le champ de la sociologie visuelle francophone.
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[2]
Nous excluons donc ici les techniques de visualisations des données, notamment chiffrées, sous la forme de graphiques, tableaux, schémas, certes répandues dans la discipline sociologique, mais qui restent des « modes » de présentation de données, plus que des « données » à part entières. Les statuts respectifs du dessin et de l’animation ne seront pas discutés bien qu’ils se rapprochent des photographies et des films tout en manifestant une stylisation plus accentuée de la réalité.
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[3]
C’est précisément la question des coûts qui, par exemple, avait mis en péril une revue scientifique comme Xoana à la fin des années 1990, celle-ci laissant une large place aux données visuelles bien qu’étant uniquement diffusée en version papier. Nous ne nous étendrons pas ici sur un autre problème lié la publication de données visuelles, celui complexe du droit à l’image (Game, 2007 et l’article d’Anne Jarrigeon dans ce volume) qui avait abouti par exemple à la suspension de la publication de la revue Études photographiques.
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[4]
Le récent ouvrage Précis de photographie à l’usage des sociologues de Maresca et Meyer (2013) entend précisément combler ce manque d’appui méthodologique à disposition du sociologue concernant l’usage de la photographie comme outil d’enquête.
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[5]
Jean-Paul Terrenoire (2006, p. 121) présente clairement la façon dont la définition d’une sociologie « visuelle » implique un enjeu perceptif plus large : « La réalité sociale, telle qu’elle se manifeste dans le domaine du sensible, échappe rarement à la perception sonore ou visuelle. Toute la question est alors de fixer, du point de vue de la sociologie et de l’anthropologie, le statut et le poids de ce qui dans la pratique relève du registre de l’oreille ou de la vue, et de constituer en objet scientifique la réalité sociale dans ce qu’elle a d’audible et de visible ».
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[6]
On pense par exemple au projet culturevisuelle.org initié par André Gunthert qui héberge plusieurs blogs, dont son carnet personnel “L’Atelier des icônes”, ou encore “La vie sociale des images” du sociologue Sylvain Maresca (le projet a migré en octobre 2014 sur la plate-forme hypotheses.org). En outre, la revue en ligne ethnographiques.org apparaît comme précurseur en matière de publication d’articles s’appuyant explicitement sur des données visuelles par des sociologues : Pezeril, 2008 ; Du et Meyer, 2009 ; Cornu, 2010 ; Meyer, 2010 ; Desaleux, Langumier et Martinais, 2011 ; Riou, 2012 ; Flocco, Vallée, 2013 ; Ganne, 2013.
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[7]
Cette idée de se recentrer sur un type de données (les images) pour rassembler des chercheurs et des recherches aux profils diversifiés est aussi celle qui a guidé la publication de l’ouvrage collectif Image-based Research: A Sourcebook For Qualitative Researchers, dirigé par Jon Prosser (1998).
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[8]
Margaret Mead (1979) parle ainsi de l’anthropologie naissante comme d’une « discipline verbale », prise dans des habitudes méthodologiques peu enclines à la mobilisation de l’image. Le constat nous semble d’autant plus valable pour la discipline sociologique.
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[9]
De fait, dans les premiers volumes de l’AJS étudiés par Stasz, une minorité de contributeurs sont des femmes (12 % sur les 21 premiers volumes), tandis que les articles comportant des données visuelles sont écrits de façon paritaire par hommes et femmes. Pour une réflexion plus récente sur l’hypothèse d’une domination genrée subie par la méthode photographique, voir notamment Elizabeth Chaplin (2004).
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[10]
Nous pensons notamment aux photographies prises par Maurice Halbwachs lors de ses promenades urbaines de “taudis parisiens”, correspondant bien au souci des premiers photographes documentaires de restituer visuellement des conditions matérielles de vie particulièrement difficiles. Pour Halbwachs, ces photographies constituaient un outil de connaissance et de réformisme social servant de matériau pour ses futures publications sur les prix de l’immobilier parisien et les expropriations foncières, ainsi que sur le niveau de vie des ouvriers.
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[11]
La revue est le relais officiel de l’International Visual Sociology Association qui organise depuis 1983 des conférences annuelles sur des thématiques variées liées à l’image (celle de 2014 était par exemple intitulée « Visual Dialogues in Post-Industrial Societies: Transforming the Gaze »).
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[12]
On peut toutefois élargir le spectre des influences extra académiques en se tournant vers le film documentaire. Citons à titre d’exemples les références fréquentes des sociologues américains à l’œuvre documentaire de Frederik Wiseman, ou des sociologues français à celle de Raymond Depardon.
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[13]
Le logiciel « Transana », développé par l’Université du Wisconsin, bien qu’essentiellement utilisé dans le champ de la sociologie de l’éducation, en est un bon exemple.
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[14]
Dans le tournant numérique que cherche à opérer le monde de la recherche en sciences humaines et sociales à travers le projet Huma-num, la question de l’indexation des images pour faciliter leur traitement quantitatif pourrait être un enjeu méthodologique important pour les années à venir.
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[15]
Pour une réflexion plus générale sur ce thème, voir l’article de Monique Peyrière (2012).
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[16]
A titre d’exemple, on peut citer le numéro spécial « Représentations du monde social. Textes. Images. Cortèges », n° 154, 2004/4.
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[17]
Nous avons pu nous-mêmes être le témoin de cette émulation pédagogique autour de l’image en Suisse lors d’une participation à l’Université d’été de l’UNIGE en juin 2009 où nous avons dispensé un cours sur « l’usage des ressources visuelles comme outils de recherche en sciences sociales ».
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[18]
Outre l’animation du séminaire « Cultures visuelles. Méthodes d’analyse et d’usage des images en sciences sociales » et son carnet de recherche « La tête dans les images », on peut par exemple citer la tenue récente de l’atelier « La photographie comme outil des sociologues. Initiation pratique aux méthodes visuelles » en septembre 2014 dans le cadre du programme doctoral romand en sociologie.
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[19]
Voir le lien : http://www3.unil.ch/wpmu/sociologievisuelle/2012/12/l-institutionnalisation-de-la-sociologie-visuelle-en-italie/
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[20]
Voir respectivement les liens suivants : www.exactitudes.com et http://www.mediapart.fr/portfolios/tenues-de-travail.
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[21]
Nous avions pu nous-même l’entendre s’en expliquer lors d’une invitation à un séminaire de l’EHESS à propos d’une question portant sur la filiation de son oeuvre avec celle de Erving Goffman. Voir par ailleurs son interview dans une revue francophone (Wiseman et Mikles, 2001).
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[22]
Le projet est visible sur le lien suivant : voir http://www.melissa.ens-cachan.fr/spip.php?article441.
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[23]
L’ouvrage se décompose ainsi en trois parties : « Espace(s) Urbain(s) », « Vie(s) » et « Végétation(s) ».
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[24]
Il est aussi beaucoup question de séquences dans le travail de Bernard Ganne qui depuis trente ans et sa collaboration étroite avec le cinéaste Jean-Paul Pénard n’a eu de cesse de filmer le travail que ce soit à ses débuts dans les usines Canson et Montgolfier à Lyon ou plus tard en Europe et en Asie sur le thème de l’internationalisation des entreprises. Un article récent (Ganne, 2012) revient utilement sur son œuvre en croisant enseignements méthodologiques et résultats pratiques. Sa publication en ligne offre un exemple particulièrement réussi des possibilités qu’offre le web pour articuler données textuelles et données visuelles. Parmi les collaborations fructueuses entre chercheurs en sciences sociales et « professionnels de l’image », on pourrait également citer l’exemple tout à fait convaincant du travail de David Desaleux, Julien Langumier et Emmanuel Martinais à travers leur approche « photosociologique » des lieux de travail de l’administration dans la fonction publique d’État (2011), en rappelant que cette fois c’est le photographe qui est à l’origine du sujet de l’enquête.
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[25]
Plus récemment, sur un thème relativement proche, citons la collaboration entre l’ethnologue Philippe Bourgeois et le photographe et ethnographe Jeff Schonberg sur les sans abris héroïnomanes (homeless heroin injectors) en Califormiedont le travail est restitué sous la forme d’un article scientifique dans la revue Ehtnography : http://www.philippebourgois.net/Ethnography%20Schonberg%20Intimate%20Apartheid%20For%20Circulation%202007.pdf
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[26]
Dans le cas contraire, l’usage de photographies (ou d’extraits de films) issues du terrain sans l’accord explicite des participants à l’enquête ou véhiculant une image qui ne correspond pas à celle qu’ils ont d’eux-mêmes peut avoir un effet dévastateur a posteriori comme l’explique David Lepoutre dans un article au titre explicite : « La photo volée. Les pièges de l’ethnographie en cité de banlieue » (2001).
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[27]
Cette enquête est le fruit d’une collaboration entre la mission paysage du Conseil Général de la Gironde et le Centre Émile Durkheim de l’Université de Bordeaux (2010-2011).
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[28]
On peut simplement citer les difficultés des étudiants développant ce type d’approches à les faire reconnaître comme mode de restitution à part entière à côté de l’écrit au moment de soutenir leurs thèses, les formes alternatives de restitution tel que l’album photographique ou le film documentaire étant dés lors souvent reléguées en annexes.
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[29]
Les consignes et rappels les plus fréquents adressés à nos étudiants concernent l’impératif de commentaire et contextualisation des données photographiques, afin d’éviter la production d’un diaporama s’appuyant sur la seule puissance de désignation des images (Piette, 1992) et des formules du type « comme on le voit très bien à l’image […] » en guise d’unique observation.
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[30]
Il est d’ailleurs intéressant de signaler que le peu de crédit accordé à l’image dans la hiérarchie des éléments de preuve servant à la démonstration scientifique est une spécificité des sciences sociales, comme le souligne à juste titre Alexandre Lambelet (2010) : « Si dans d’autres disciplines — les sciences dites dures par exemple — l’image semble fonctionner comme argument ou comme preuve et est aujourd’hui largement institutionnalisée (Piette 1992 ; Relieu 1999), en sciences sociales, son statut continue d’être interrogé et sa rare restitution doit alors sans doute beaucoup plus à des enjeux scientifiques qu’à des contraintes éditoriales ou matérielles (coûts, droits d’auteur, faisabilité technique de la diffusion) ».